Speaker #1La Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. À partir de 1941, en zone occupée, les polices françaises et allemandes organiseront des vagues d'arrestations de juifs que l'on appellera rafle. La première d'entre elles est la rafle du 14 mai 1941, ou rafle du billet vert. Par l'intermédiaire d'une convocation de couleur verte, plus de 6 000 hommes juifs, principalement polonais ou tchèques, habitant Paris et la région parisienne, seront sommés de se rendre dans divers lieux de rassemblement sous un faux prétexte de contrôle d'identité. Ils seront près de 4 000 à obéir, se croyant en sécurité, mais seront immédiatement faits prisonniers. Certains d'entre eux réussiront à s'échapper, mais la très grande majorité de ces hommes sera déporté à Auschwitz lors des premiers convois de juin et juillet 1942, puis assassiné. Marcel est né le 9 mars 1937 à Paris, de parents polonais ayant fui les pogroms. Il a un frère aîné, né en 1934. Nous sommes le 14 mai 1941, voici l'histoire de Marcel, 4 ans, enfant de la Shoah.
Speaker #0Quand mon père est parti, j'avais 4 ans, il a été convoqué par ce qu'on appelle le billet vert et qu'il s'est présenté à la caserne rue des Minimes et qu'il a été envoyé à Beaune-la-Rolande et puis de là dans une ferme où ils sont restés pendant 13-14 mois avant d'être déportés, le 17 juillet 1942, lui par le convoi 6. avec 928 autres internés. Je devais avoir deux ou trois oncles dans le même convoi. Personne n'est revenu. C'est arrivé après la rafle du Veldib, le 16 juillet 1942. On est venu nous arrêter, ma mère, mon frère et moi. Ils sont venus à la maison et je me vois... Dans la rue Charlot, il y a un garage à un endroit. Moi, j'habitais au coin de la rue de Poitou, au 18. Et en allant vers le garage, on passe devant un bistrot. Je vais dire son nom. Elle est morte maintenant, je pense. Madame Diogène, qui avait un bistrot, elle était sur le pas de la porte. Elle nous a crié « sale juif » . Moi, j'avais 4 ans. Bon, je n'ai pas trop réagi. Il y avait deux flics. On a été enfermés dans ce garage. En attendant que les bus arrivent, il y avait toute une... Aïe, aïe, aïe. Et après, on est montés dans les bus, direction le Veldiv. Je me rappelle la lumière qui brûlait jour et nuit. On n'arrivait pas à dormir. Nous, on jouait dans les gradins, tous les enfants un peu. On montait, on descendait avec d'autres gosses. Et là, j'ai un flash un peu où j'étais, je ne sais pas, dans une espèce de cave. Il y avait des escaliers, on dormait là en bas, par terre, je n'en sais rien. Moi, je ne comprenais pas. Même ma mère, je suis sûr qu'elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle aussi, elle a dû comprendre que déjà son mari avait été arrêté et qu'elle aussi, elle venait d'être arrêtée. Ils ne savaient pas où ils allaient. Comme on disait dans le jargon à l'époque, ils allaient à Pitchepoy. On va dire, bon, là-bas, dans l'Est. Il y a eu 13 152 personnes d'arrêtées ce jour-là. Mais une partie est partie à Drancy, les célibataires. Les hommes avaient déjà été arrêtés, pratiquement tous. Les mères avec les enfants à Beaune-la-Rolande et les célibataires à Drancy, les couples sans enfants à Pitivier. Ah oui, à Pitivier. Nous, quand on est arrivé à Beaune-Larlande, ma mère a dû reconnaître le camp ou quoi, et elle savait que son mari était là, elle pensait sûrement retrouver son mari, et lui, il avait été déporté le 17 juillet. J'ai attrapé là-bas la scarlatine, alors je ne saurais jamais si j'ai vraiment eu la scarlatine. Parce que j'ai découvert depuis un docteur qui était de Beaune-la-Rolande, qui a été maire, il déclarait lui des enfants malades pour les sortir. Alors est-ce que j'ai vraiment eu la scarlatine ou est-ce qu'il m'avait déclaré ? Il n'a pas tenu de liste, bien sûr c'est trop dangereux. Donc j'ai eu la soi-disant la scarlatine, transférée à Paris à l'hôpital Claude Bernard. Mais la chance a voulu que tout le monde qui sortait un peu comme ça dans les camps... pour aller à un endroit, passer par Drancy, forcément. Et à Drancy, la chance a voulu que la mère d'une de mes tantes, qui était à Drancy, aux cuisines, elle a su que j'allais à l'hôpital Claude Bernard. Comment elle a fait, je n'en sais rien, mais un matin, il y a un gendarme qui s'est présenté avec un mot, où la mère avait mis, « Marcel, pars à l'hôpital Claude Bernard, il a la scarlatine, va voir et fais ce que tu peux. » Et ma tante, qui avait 18 ans à l'époque, Elle est partie en robe de chambre et en chausson, elle me dit. Elle a traversé Paris pour aller à l'hôpital. Et là, elle est tombée sur une infirmière qui était gentille et qui lui a dit que je venais d'être transférée à l'UGIF, un organisme qui était censé faire le lien entre les associations juives et les nazis. Et j'étais mise dans une pouponnière à Neuilly, 67 rue Édouard-Nortier. Et je ne sais pas comment elle a négocié ça. C'est mon neveu, elle n'avait pas de documents vraiment. C'est mon neveu, je vais le reprendre et m'en occuper à la maison. Comment ils l'ont laissé faire ce genre de truc ? Et elle m'a ramené et en revenant, ça je me rappelle, quand on est arrivé chez elle rue de Picardie, elle rencontre une voisine qui était compatissante à qui elle raconte l'histoire. Et l'autre lui dit, moi je vais chez mon cousin fermier qui est dans le nord, je l'emmène et puis il passera les moments de la guerre là-bas. C'est comme ça que ça a été et je suis parti quelques jours après avec cette dame. Elle s'appelait Madame Sevestre. Et c'est comme ça que dans un petit village à côté d'Arras, qui s'appelle Salti, j'ai passé les restants de la guerre là-bas. En 1942, j'avais 5 ans. Et je suis resté là-bas jusqu'en 1945. Ma mère et mon frère ne sont pas revenus. Ma mère a été déportée pendant que j'étais encore à Beaune-la-Rolande. On a été séparés de notre mère quand elle a été déportée par le convoi 16 le 7 août à coups de crosse. Moi, j'ai été accroché au jupon de ma mère et pour la laisser partir, ils sont venus pour nous séparer. Les enfants, tout le monde hurlait et on a été séparés. Et puis, mon frère et moi, on est restés tout seuls. Moi, je suis parti avec l'histoire de la scarlatine. Et mon frère est resté là. Après, il a été déporté par le convoi 34 tout seul. Dans ce convoi est partie la mère de ma tante aussi. J'espère qu'ils se sont peut-être vus. Bon, il ne saura rien changer de toute façon. Il a été tout de suite dans la chambre à gaz, ma mère aussi. 8 ans. Il était né le 13 avril 1934. Il a été déporté le 18 septembre 1942.