undefined cover
undefined cover
#16 – David Nguyen (MAIF) : La fabrique du compromis, des cabinets ministériels à l’entreprise engagée cover
#16 – David Nguyen (MAIF) : La fabrique du compromis, des cabinets ministériels à l’entreprise engagée cover
Hemicycle

#16 – David Nguyen (MAIF) : La fabrique du compromis, des cabinets ministériels à l’entreprise engagée

#16 – David Nguyen (MAIF) : La fabrique du compromis, des cabinets ministériels à l’entreprise engagée

34min |11/07/2025
Play
undefined cover
undefined cover
#16 – David Nguyen (MAIF) : La fabrique du compromis, des cabinets ministériels à l’entreprise engagée cover
#16 – David Nguyen (MAIF) : La fabrique du compromis, des cabinets ministériels à l’entreprise engagée cover
Hemicycle

#16 – David Nguyen (MAIF) : La fabrique du compromis, des cabinets ministériels à l’entreprise engagée

#16 – David Nguyen (MAIF) : La fabrique du compromis, des cabinets ministériels à l’entreprise engagée

34min |11/07/2025
Play

Description

David Nguyen a été conseiller discours, puis directeur adjoint de cabinet auprès de plusieurs ministres, avant de rejoindre l’IFOP pour observer la société française et aujourd’hui la MAIF, où il accompagne une entreprise mutualiste face aux défis écologiques.

Dans cet épisode, il raconte son parcours entre coulisses du pouvoir et engagement pour une transition plus collective et plus adulte.


On parle de :

  • Son apprentissage express de la politique au ministère du Travail, lors de la loi El Khomri

  • La montée fulgurante de la conscience écologique à partir de 2019

  • L’absence de contrepoids dans le débat public qui complique la fabrique de compromis sur l’écologie

  • Son rôle à la MAIF et l’expérience du dividende écologique

  • Le nécessaire rapport plus adulte entre citoyens et dirigeants

  • Et de son espoir que l’écologie devienne une nouvelle matrice structurante de la société française


💬 « Le plus important, c’est de ne jamais sous-estimer la puissance de la parole politique. Elle peut rassembler ou diviser. »

Un échange riche et sans langue de bois sur l’impact réel des mots, des lois et de l’engagement collectif.


Vous pouvez contacter Pierre sur Linkedin.

Vous souhaitez en savoir plus sur Legiwatch ou participer au podcast ? Prenez rendez-vous avec nous ici.

Vous souhaitez sponsoriser Hémicycle ou nous proposer un partenariat ? Contactez nous via ce formulaire.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le plus important, c'est de jamais sous-estimer l'importance de bien réfléchir à ce qu'on dit quand on fait de la politique. Là, sur la question écologique, il n'y a pas de deal possible. Dès que vous n'êtes pas exactement à ce que le GIEC dit de faire, vous avez les ONG contre vous. Et donc, c'est très difficile de construire la loi dans ces conditions. C'est bien, je dirais, au moins le couple État-entreprise qui doit mener la transition en investissant des milliards.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle Légit Watch et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir David Enguyen. David, tu es directeur de cabinet du directeur général de la Maïf. Tu es passé par les cabinets de Myriam El Khomri, Elisabeth Borne et Barbara Pompili, mais aussi par l'IFOP au contact des grandes tendances d'opinion. Et donc tu as vu la fabrique des politiques publiques de l'intérieur. dans des moments critiques, loi travail, gilets jaunes, covid, convention, climat et maintenant t'accompagne une entreprise de l'autre côté du débat public. Salut David !

  • Speaker #0

    Salut !

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux ajouter quelque chose à cette description, à ton parcours ?

  • Speaker #0

    Bah écoute, c'est un détail mais il y a un moment j'ai aussi fait une année de césure avec un groupe de rock, donc pour dire que c'est possible de faire plusieurs choses dans sa vie avant de faire de la politique.

  • Speaker #1

    Et tu continues le rock ?

  • Speaker #0

    Non, plus trop non.

  • Speaker #1

    Tu joues quoi ?

  • Speaker #0

    Tu chantes ? J'étais chanteur du groupe, c'était la grande période des Strokes, des Arctic Monkeys, donc il fallait en être. Et après mes études, on a tous fait une année de césure, mais en sachant très bien qu'on reprendrait notre parcours. Et voilà, on ne voulait pas avoir de crise de la cinquantaine en se disant qu'on aurait dû le faire. Donc, on est très content de l'avoir fait.

  • Speaker #1

    Trop bien. Côté écriture politique, en tout cas monde politique, j'ai vu que tu avais commencé en 2016 comme conseiller de discours de Myriam El Khomri. Ouais. Est-ce que tu peux parler de ce moment ?

  • Speaker #0

    Ouais, bien sûr. J'avais très envie de faire du cabinet ministériel. et ça a été quand même un apprentissage express du fait que la politique... C'est pas exactement ce qu'on apprend à l'école, c'est-à-dire que c'est pas exactement une recherche rationnelle de l'intérêt général avec un débat d'idées qui finit par aboutir sur une loi de consensus. La politique c'est du rapport de force, c'est des dynamiques, c'est choisir son camp, c'est assumer qu'il peut y avoir des gagnants et des perdants quand on engage une action politique. Et je pense que ça m'a déniaisé sur ce que c'était réellement la politique par rapport à ce que j'avais pu voir dans mes études.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que tu faisais exactement ? Donc c'est quand t'es sorti d'école c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'était un petit peu après, j'avais eu quelques premières expériences, mais c'est ma première grosse expérience. C'est quand t'es conseiller discours, ça peut dépendre des ministres, mais c'est un mélange un peu de prospective, un peu de notes de fond, sur ce qui se passe dans l'opinion, ce qui se peut lire dans la presse, parfois un petit peu des évolutions sur le droit, même s'il y a d'autres conseillers qui sont plus techniques, qui sont chargés de faire ça. Mais donc t'es un peu un espèce de conseiller un peu opinion aussi, et puis tout simplement tu rédiges des discours à la chaîne. Donc il y a des grands discours importants, comme quand la ministre présente son projet de loi devant les députés dans l'hémicycle. Là, tu sais que ça va ster un petit peu. Tu as des discours pendant ses déplacements, quand elle inaugure des choses, quand elle va rendre visite sur le terrain. Ou tu as des discours de légion d'honneur, où il faut découvrir le parcours de quelqu'un et faire un discours en son hommage. Donc voilà, il y a plein de choses. et c'est pas la même chose que ce qu'on appelle les éléments de langage qui sont... plus le fait des conseillers communication, conseillers presse, qui sont les petites phrases, les petits argumentaires que tu prépares avant une matinale, une interview. Et ça, à l'époque, je ne le faisais pas. J'étais vraiment conseiller de discours.

  • Speaker #1

    Ensuite, tu rejoins l'IFOP, donc au moment des Gilets jaunes.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que tu retiens de cette période ? Est-ce que ça t'a influencé dans ta manière de penser la politique ?

  • Speaker #0

    Justement, je disais que dans le cabinet de Myrmé El Khomri, j'avais découvert en tête la loi El Khomri, qui a quand même abouti sur... une scission du PS avec les frondeurs, des 49-3, enfin voilà, c'était dans la douleur. Et j'avoue que j'étais un peu junior et que, pour être tout à fait honnête, je ne comprenais pas très bien ce qui se passait. J'avais l'impression qu'il y avait des choses qui étaient bien dans la loi. Enfin voilà, j'avais une espèce de candeur d'étudiant en sciences politiques qui imaginait qu'on pourrait trouver des compromis, etc. Et qui n'a pas vu qu'il y avait un jeu politique avec, à l'époque, une concurrence entre Emmanuel Macron, Manuel Valls, François Hollande, qui n'avait pas encore dit qu'il ne serait plus candidat. et donc ça a été pris dans le jeu de la politique Et c'est pour ça que j'ai eu envie d'aller dans un institut de sondage pour essayer de mieux comprendre, tout simplement, comment fonctionnait l'opinion, comment fonctionnaient ces rapports de force au sein de la société française et au travers de la vie politique.

  • Speaker #1

    Et comment fonctionne l'opinion alors ?

  • Speaker #0

    La première chose que j'ai... appris ou en tout cas confirmé, c'est qu'il y a des choses beaucoup plus profondes que les sondages qu'on voit tous les jours qui donnent 70% pour ou contre telle mesure, telle déclaration de telle politique, et qu'en fait la société elle est structurée quand même par des très grandes tendances, que ça soit la déchristianisation du pays, la fin des grandes matrices comme le communisme qui structurait énormément le pays, le consumérisme, le rapport à la liberté individuelle, le rapport à la famille, tout ça c'est des choses où à son territoire c'est des choses qui sont extrêmement structurantes. et qui sont assez peu présentes dans le débat public par rapport à réagir à telle ou telle proposition d'un politique. Donc ça, c'est plus de la sociologie, de se plonger un petit peu là-dedans. Et peut-être la deuxième chose importante, qui est peut-être un peu contradictoire avec ce que je viens de dire, c'est que la parole politique, certes, est quand même globalement ignorée. Donc c'est une belle leçon d'humilité quand tu lis des sondages que tel politique a fait une déclaration la veille et que personne ne le voit et que personne n'en a entendu parler. Tu réalises que quand tu étais en cabinet ministériel, souvent tu... travailler pour du vent quoi, donc c'est une belle leçon d'humilité, mais malgré tout il y a quand même des moments où la parole politique est performative et où elle a un impact sur la société et moi ce que j'ai observé de près pendant cette période c'est quand même la montée de la question écologique dans la société puisque j'y étais pile en 2019 qui pour moi est la naissance de la génération climat en fait il y a une succession d'événements qu'on voit à l'époque en institut, il y a d'abord la démission de Nicolas Hulot qui claque la porte un matin en matinale sur France Inter et qui dit en fait je n'ai pas de mouvement d'opinion au dernier mois, je n'ai pas de la société civile qui me soutient dans mes rapports de force avec les autres ministres, avec Bercy, avec les lobbies et donc je suis seul et donc je ne peux plus combattre et ça je comprends très bien ce qui a pu lui arriver. Et en fait après ça, c'est là que naissent un peu en réaction les marches pour le climat et donc qu'émerge un peu cette génération climat. Tu as aussi en même temps l'espèce d'arrivée tonitruante de Greta Thunberg qui quand même devient un émetteur. extrêmement puissant à l'international et donc aussi en France. Et là, en fait, tu vois qu'il y a un effet, c'est que dans les enquêtes, etc., tu vois que même dans les conversations, dans les familles, entre générations, notamment les enfants qui challengent leurs parents à table, tout ça, on le voit. Et en fait, tu vois que la question monte et il y a l'affaire du siècle aussi à ce moment avec l'État qui est condamné. Donc tout ça, c'est des choses hyper structurantes et ça, en fait, ça a une traduction politique assez rapide puisque dès les élections européennes de 2019... Puis les élections municipales de 2020, on a des scores très importants des écologistes, beaucoup plus qu'aujourd'hui, qui vont engager le Green Deal au niveau européen, qui est quand même un texte majeur de la mandature précédente, et qui vont engager un certain nombre de choses en France, notamment la Convention citoyenne pour le climat. Et donc voilà, tout ça pour dire que... il faut plusieurs conditions pour que ça réussisse, et puis c'est aussi une prise de conscience scientifique, les rapports du GIEC, les gens qui voient les inondations, les feux de forêt, etc., qui comprennent qu'il commence à y avoir des répercussions au réchauffement climatique, mais quand même, la mobilisation, ça paye, et la parole politique, ça a bien un effet sur l'opinion, et ça peut avoir une traduction politique.

  • Speaker #1

    Tu disais que t'as le sentiment que la société française change de structure, les valeurs évoluent, et donc... quelque part que l'écologie peut devenir une nouvelle structure ?

  • Speaker #0

    Alors en réalité, c'est pas moi qui le dis, c'est quelque chose d'hyper documenté, hyper connu, enfin il y a quelque chose de... Voilà, la société française a longtemps été structurée par des grandes matrices, c'est des termes qui sont utilisés notamment par Jérôme Fourquet, avec qui j'ai travaillé à l'IFOP, ça a été un pays structuré par le christianisme, puis par le communisme, au milieu de tout ça il y a la république, etc. Et c'est bien connu, il y a une sorte de désenchantement et de fin des grands récits qui ne datent pas d'aujourd'hui, qui datent au moins du 19e, 20e siècle. Et c'est notamment Jérôme Fourquet qui disait « l'écologie peut être cette nouvelle matrice parce que, en fait, c'est quand même un combat qui vaut la peine d'être mené. » On parle quand même de la survie de l'espèce, la survie de la planète. C'est quelque chose qui demande de changer profondément les structures économiques, les rapports même... les structures sociales, l'urbanisme, c'est quand même un grand projet collectif.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a un espoir justement ? J'ai noté aussi que pendant que tu travaillais avec Barbara Pompili, tu dis avoir découvert à ce moment-là le poids des lobbies économiques et l'absence d'interlocuteurs de compromis côté ONG ou syndicats.

  • Speaker #0

    C'est peut-être ça le chénon manquant et c'est peut-être ça aussi qui explique en partie la situation dans laquelle on est aujourd'hui qui est beaucoup plus d'un retour en arrière sur les questions écologiques par rapport à cette période. 2019, 2021, 2022, qui en réalité était une période assez dynamique sur ces questions-là. En fait, je pense que sur la question écologique, on n'a pas la maturité qu'a la question sociale. J'essaye de faire un parallèle, c'est-à-dire que la question sociale, on peut dire qu'elle émerge avec l'industrialisation, la constitution d'une classe ouvrière qui va avoir conscience de ses conditions de travail et qui va s'organiser en syndicat, trouver des relais politiques pour changer le système, pour faire voter des lois sociales, etc. la question écologique il y a eu une prise de conscience de l'opinion, il y a eu une vérité scientifique qui a établi le niveau de dégradation de la situation mais il n'y a pas eu cette espèce de relais au sein de la société civile par des corps intermédiaires pour négocier avec les forces économiques, avec le patronat et avec les pouvoirs publics avec le gouvernement des grandes transformations. Il y a les ONG qui ont joué quand même ce rôle et de manière plutôt efficace au début parce qu'elles ont un rôle de plaidoyer de pression dans l'opinion publique qui est très fort, mais à la fin, quand vous passez de l'autre côté, comme je l'ai fait ensuite dans le cabinet ministériel, en fait, il faut des gens autour de la table pour négocier. Parce que la réalité, c'est qu'une loi, ça va toujours être un compromis. Quand bien même on sait que ça serait mieux qu'elle soit plus ambitieuse sur les questions de réduction de gaz à effet de serre, etc. A la fin de la fin, la société démocratique, c'est une société où il y a des compromis. Et en fait, quand vous êtes ministre de l'écologie, vous n'avez personne autour de la table pour faire des compromis avec vous. Vous avez les scientifiques qui vous disent « voilà ce qu'il faut faire » , vous avez les ONG qui disent « on vous met une pression de dingue pour faire ce que les scientifiques disent » , puis vous avez le, enfin sans vouloir caricaturer, une partie du patronat de l'autre côté qui dit « ça coûte super cher, ça va agréver notre compétitivité » . donc c'est pas possible et puis parfois vous avez même des réactions dans la société comme les gilets jaunes qui je pense pas été anti écolo mais en tout cas ne voulait pas supporter une taxe carbone calais empiété sur leur pouvoir d'achat et en fait vous n'avez pas ce truc qui existe dans le monde social qui sont les syndicats qui permettent de dealer c'est à dire les syndicats sur les questions sociales on deal sur le salaire minimum on deal sur les augmentations de salaire on deal sur le nombre de congés etc et il ya un compromis qui est fait à la fin là sur la question écologique il n'y a pas de deal possible dès que vous n'êtes pas exactement à ce que le GIEC dit de faire, vous avez les ONG contre vous. Et donc, c'est très difficile de construire la loi dans ces conditions. C'est ce que moi, j'ai pu observer. Je ne cherche pas du tout les ONG qui ont un rôle hyper important de mobilisation dans l'opinion publique. Mais en fait, à la fin, autour de la table, il n'y a personne. D'après toi,

  • Speaker #1

    c'est à qui de prendre ces responsabilités pour rentrer dans ce que tu fais aujourd'hui ? Donc, tu travailles à la Maïf qui est un assureur mutualiste. Ce que je comprends, c'est que l'environnement, ça peut être un gros défi même pour vous parce qu'il y a des territoires que vous pourrez... plus assuré si ça devient trop compliqué niveau climat. Donc, est-ce que c'est à l'entreprise de mettre la pression sur l'État ? Est-ce que c'est aux ONG qui le font peut-être déjà ? Pour toi, qui doit prendre le lead dans le dialogue ? Qui doit s'imposer ?

  • Speaker #0

    En matière écologique, mais je pense que ça vaut pour plusieurs choses. Moi, c'est vraiment Spiderman, quoi. C'est grand pouvoir, grande responsabilité. Donc, bien sûr que les individus peuvent faire des choses, mais à la fin... quand vous devez changer le système industriel de production qui existe depuis plus de deux siècles, en fait, c'est les États et les entreprises qui ont les moyens financiers, technologiques, réglementaires pour pouvoir changer la donne. Et donc, c'est bien eux qui doivent basculer les premiers. Et on voit d'ailleurs que quand, avec ce qui se passe en ce moment aux États-Unis avec Donald Trump, quand les puissants décident de revenir en arrière, ça revient en arrière très, très vite. C'est-à-dire que là, les États-Unis sont sortis de l'accord de Paris. la campagne elle était sur le fait de forer à nouveau au maximum pour pouvoir avoir du pétrole pas cher et en fait s'ils le décident ça se passe comme ça et les individus ils peuvent pas grand chose donc c'est bien je dirais au moins le couple état entreprise qui doit mener la transition en investissant des milliards On sait le nombre de milliards d'euros qu'il faut pour pouvoir mener la transition, c'est documenté, il y a eu des rapports. En investissant dans les innovations technologiques, sur les énergies décarbonées, sur les voitures électriques, etc. Sur les pompes à chaleur, il y a des innovations à faire. Et puis en relayant aussi, parce que c'est une bataille culturelle, ce discours, c'est-à-dire le discours de la transition qui est nécessaire pour les entreprises, parce que c'est un coût faramineux. Moi je travaille pour un assureur. Évidemment que le réchauffement climatique, ce n'est pas seulement une obligation morale. ou sociétal, c'est une obligation économique. Si les assureurs ne s'adaptent pas à cette nouvelle donne, ils couleront. C'est tout simplement insoutenable de rembourser les catastrophes naturelles qui ne font qu'augmenter. Toi,

  • Speaker #1

    en tant que directeur de cabinet du DG, quel est ton rôle exactement aujourd'hui ? Comment est-ce que tu peux impacter sur les décisions de l'entreprise ?

  • Speaker #0

    Alors, un directeur de cabinet d'une entreprise, pour ceux qui connaissent, ce n'est pas du tout la même chose qu'un directeur de cabinet d'un ministère. Dans un ministère, un directeur de cabinet, c'est vraiment le ministre numéro 2. Il a un pouvoir de décision, de pilotage de l'action publique qui est très important. Là, c'est un travail de premier collaborateur du directeur général, donc tu as une influence, tu l'aides au quotidien, tu as des idées qu'il peut reprendre, mais ce n'est pas toi qui dirige l'entreprise. Donc voilà, déjà pour dire quel est le pouvoir réel, malgré tout, comme tu as un regard à 360 degrés et que tu peux influencer un tout petit peu la marge de l'entreprise, tu peux avoir des idées, contribuer à valoriser. Par exemple, à la Maïf, on a mis en place quelque chose qui s'appelle le dividende écologique. Donc le dividende écologique, c'est quoi ? C'est 10% des bénéfices annuels de la Maïf qui sont redistribués à des actions en faveur de l'environnement. Et bien ça, il y a des gens qui vont le concevoir, qui vont mettre en place le dispositif. Toi, tu peux aider à donner le maximum de visibilité, de puissance, tout simplement en faisant un plan média, en l'accompagnant. Enfin voilà, on avait fait les matinales de France Inter, on avait fait plusieurs médias importants au moment où on avait annoncé ça, pour espérer que ça puisse faire des petits et que d'autres entreprises le fassent. En fait, le levier principal... Pour un patron, c'est bien sûr l'action dans son entreprise, mais il y a aussi le côté modélisant, c'est-à-dire si tu prouves que ça marche dans ton entreprise, tu peux avoir d'autres entreprises qui décident de le faire. Et comme la question écologique, elle ne peut pas fonctionner si ce n'est pas systémique, le rôle le plus intéressant que tu peux avoir en tant que dire-câble, c'est d'essayer d'augmenter l'influence de ton patron pour que ses idées fassent des petits.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc ton quotidien, est-ce que tu pourrais décrire quand tu arrives au bureau, c'est quoi les premières choses que tu fais ? Est-ce qu'il y a des moments qui se répètent ? Et puis, comment on fait ? Tu parlais de plan média, mais est-ce que c'est un exercice qui est fréquent ou est-ce que c'est deux fois par an ?

  • Speaker #0

    Alors déjà, je pense que vraiment, dire cab, la fonction... Ça dépend totalement d'une entreprise à l'autre. Tu as des patrons qui n'ont pas du tout envie d'être médiatiques et donc cette dimension n'existe pas dans ton job. Tu en as d'autres qui, comme le mien, défendent ses idées sur la place publique et là, ça a une dimension importante. Malgré tout, il y a quand même d'abord un job très interne. C'est-à-dire que tu es là pour favoriser la cohésion, le bon fonctionnement de la gouvernance. La gouvernance, c'est quoi ? C'est conseil d'administration, COMEX, les relations aussi avec les syndicats. S'assurer que le dialogue fonctionne, qu'il n'y a pas de quipropco parce que voilà, une entreprise, c'est pas... non plus un conseil municipal ou une assemblée nationale, mais c'est quand même des gens avec du pouvoir et donc il peut y avoir des relations de pouvoir, il peut y avoir des enjeux d'égo parfois aussi qu'il faut essayer de lisser. T'es là aussi pour t'assurer que la vision du boss est bien cohérente, est bien diffusée dans toute l'entreprise, parce qu'en fait une entreprise c'est quoi ? C'est aussi énormément de grandes messes annuelles, avec des séminaires, des congrès, où tu rassembles les salariés, la Maïf c'est 10 000 salariés, et en fait faut t'assurer que tout le monde partage la même vision. quand même un peu à l'échelle d'un pays, beaucoup plus modestement. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'en fait, justement, t'as plus de levier d'action pour s'assurer qu'on sait qu'on va tous dans le même chemin, que tout le monde a conscience, par exemple, de la question climatique, que tout le monde a conscience des enjeux de diversité, d'inclusion. Tout ça, tu contribues à ce que ça fonctionne bien. Puis après, il y a l'influence extérieure, c'est-à-dire s'assurer qu'il y a une présence médiatique intéressante, qu'il peut rencontrer d'autres patrons intéressants, des intellectuels, des scientifiques, et des hommes politiques, des femmes politiques, pour pouvoir avoir... une influence concrète sur les textes, sur le débat public.

  • Speaker #1

    Est-ce que le fait d'être passé dans le public avant, justement, dans les ministères, de connaître la fabrique de la loi de l'autre côté, est-ce que ça t'aide aujourd'hui ou pas ?

  • Speaker #0

    Oui, alors je rappelle quand même qu'il y a des règles sur les conflits d'intérêts. En tout cas, je n'avais pas le droit d'être en contact avec des gens avec qui j'avais travaillé auparavant. Donc comme il y a un renouvellement rapide dans les cabinets, très vite l'enjeu s'estompe, donc on ne fait pas n'importe quoi. Mais oui, je pense que ce qui aide le plus, c'est de hiérarchiser. C'est-à-dire... comprendre quand un texte est de toute façon intouchable ou au contraire quand il y a une marge de manoeuvre et s'il y a de la marge de manoeuvre par quel canal il faut passer quel argument il faut utiliser parce que tu sais que de l'autre côté comme t'y as été c'est ultra speed et qu'en fait ils vont écouter que si tu as des arguments massue si tu as du poids si tu représente quelque chose et que tu leur propose une solution clé en main c'est à dire que très souvent quand tu es en cabine ministérielle tu as quand même des gens qui viennent partager leurs problèmes qui sont légitimes etc mais avec rarement des solutions. Et en fait, forcément, celui qui arrive en présentant un problème de société, qui n'est pas juste un problème de son entreprise tout seul, mais un problème important, il risque de licencier, il risque de perdre des marchés, et donc de perdre de l'activité économique, et ce n'est pas bon pour un territoire par exemple, c'est mieux s'il vient avec une solution. Et une solution qui tient légalement, d'un point de vue réglementaire, constitutionnel, etc. Donc, t'aides à concevoir quelque chose qui vole.

  • Speaker #1

    T'as acquis le super pouvoir de pouvoir comprendre rapidement les forces en présence et les points clés d'une discussion.

  • Speaker #0

    Quand même, il faut rester modeste parce que ça se renouvelle très vite. Depuis que je suis parti, moi je suis parti à la fin du quinquennat précédent, je sais plus s'il y a eu trois ou quatre gouvernements, donc ça se renouvelle très très vite, pas toujours avec exactement la même coloration politique par ailleurs. Donc voilà, il faut être modeste là-dessus. Mais ce qui est intéressant, c'est que je pense que le quinquennat précédent, le lobbying, il se passait quasi exclusivement au niveau gouvernemental. parce qu'on avait une majorité absolue extrêmement disciplinée. Aujourd'hui, c'est une majorité relative. Donc, il y a beaucoup plus de choses à faire au Parlement et ça peut être plus intéressant. C'est plus compliqué aussi parce qu'à l'époque, quand un ministre avait décidé, ça roulait. Là, ce n'est pas parce que le ministre a décidé, il faut voir avec les députés. Et puis, à l'inverse, parfois, tu as des propositions de députés qui trouvent un chemin. Parce que l'Assemblée s'impose au gouvernement. Et d'un point de vue démocratique, c'est pas plus mal.

  • Speaker #1

    J'ai vu aussi que tu travailles pour le mouvement Impact France, qui est donc entre le MEDEF et les ONG. Est-ce que tu peux expliquer ça ? Est-ce que c'est juste ?

  • Speaker #0

    Alors, moi je travaille pas directement pour Impact France. En fait, Pascal Demianger, le patron de la Maïf, est aussi le co-président de ce mouvement d'entreprise engagé. Co-président avec une fille qui s'appelle Julia Ford, à la tête d'une marque de mode éthique qui s'appelle Loom. Et donc, oui, l'idée, et c'est un peu cohérent avec ce que je disais tout à l'heure sur le fait que Dans la cause écologique, pour moi, il y a un chénon manquant qui est en gros le syndicat écolo, c'est-à-dire la CFDT, la CGT, la FO écolo. Et alors là, la particularité, c'est que c'est un syndicat patronal. C'est un mouvement patronal qui rassemble des dirigeants d'entreprises qui pensent qu'ils ont un intérêt à faire accélérer la transition écologique et sociale. On ne traite pas que de la question écologique, mais c'est quand même assez important. Et donc voilà, ça rassemble des dirigeants qui vont partager leurs problématiques sur les grandes transitions, qui vont formuler des propositions. comme par exemple conditionner des marchés publics à des critères écolos pour favoriser les entreprises qui sont plus avancées sur ces questions-là, et donc envoyer un signal au marché qu'il y a un intérêt à s'engager dans la transition écologique, à moduler la fiscalité, moduler les aides aux entreprises en fonction de ton impact positif, et on l'assume totalement, c'est bien sûr un intérêt bien compris pour nous, parce que nous on estime que ça favorisera les entreprises du mouvement Impact France. Donc c'est en sac, c'est un lobby, c'est un syndicat, mais dont la cause rejoint l'intérêt général. Moi, ce qui est intéressant, c'est que je trouve que quand on va voir des ministres, on porte quelque chose de différent du discours classique patronal sur moins de charges, moins de réglementation, qui peut être tout à fait légitime pour favoriser la compétitivité. Et on vient les voir en leur disant, en fait, il faudrait nous aider à faire la transition écologique, il faudrait des aides plus ciblées sur ces questions-là. Et nous, en tant qu'entreprise, on vous dit que ça serait utile pour l'économie. Et par ailleurs, on est capable de dealer, ça veut dire de négocier, de dire, nous, on aimerait obtenir ça, mais si... trouve un point d'accord sur ça, ça serait super. Et on le dira publiquement, on le dira médiatiquement.

  • Speaker #1

    Si toi, tu avais le pouvoir de pousser une politique en particulier, là, tu parles du coup d'aide, de cibler quelques niches économiques ou quelques endroits, qu'est-ce que tu ferais ? Quelle est pour toi la priorité ?

  • Speaker #0

    Par exemple, il y a quand même, c'est assez documenté, il y a le crédit impôt recherche, qui est une aide de plusieurs milliards d'euros à destination des entreprises qui sont utilisées chaque année par les entreprises pour financer leur recherche et développement. on pourrait totalement mettre quelques critères pour favoriser la recherche en faveur de la transition écologique. Aujourd'hui, c'est tout type de recherche. Ça peut être une entreprise de cosmétique qui va faire de la recherche pour développer des nouveaux produits cosmétiques, ce qui peut être très bien, et avoir du chiffre d'affaires, et avoir des parts de marché, et c'est bien pour l'économie française, mais il n'y a pas de finalité d'impact, ni écologique, ni sociale. On pourrait mettre des critères, et donc piloter un peu la recherche et le développement, et donc... aider l'économie française à pivoter plus rapidement vers la transition. Ça, c'est un exemple parmi d'autres. Je prends cette aide parce que c'est l'aide la plus importante aux entreprises en France.

  • Speaker #1

    Super clair. On va passer à la séquence vrai-faux. Donc, je te dis une phrase. Tu me dis si c'est vrai ou faux. Évidemment, tu peux développer si tu le souhaites.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    Première phrase, on comprend mieux la politique à l'IFOP qu'à Matignon.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est plutôt faux. Je pense qu'on peut comprendre mieux la société à l'IFOP ou dans un institut de sondage. Mais la politique, ça reste avant tout une pratique. c'est un sport de combat au quotidien et c'est pas un savoir. Bien sûr que c'est mieux de connaître ces classiques, c'est mieux d'avoir des références historiques, c'est mieux de comprendre les équilibres économiques et sociaux dans le pays, mais à la fin de la fin, quand tu veux faire passer une loi, un amendement, une idée, c'est d'abord que tu vas prendre un risque, tu vas aller dans la presse, tu vas proposer quelque chose, que tu vas essayer de rassembler des gens autour de toi et que tu vas essayer de peser dans le débat public et d'obtenir un vote majoritaire à la fin tout simplement. Et ça, c'est beaucoup plus un art, un sport qu'un savoir.

  • Speaker #1

    La seconde affirmation, c'est une entreprise engagée peut faire plus pour l'écologie qu'un ministère.

  • Speaker #0

    Je dirais faux. Je pense que les entreprises sont indispensables et qu'elles doivent et qu'elles peuvent faire énormément et que ça ne marchera pas sans elles. Il n'y aura pas de voiture électrique sans constructeurs automobiles qui construisent des voitures électriques. Mais rien ne remplace une loi, une interdiction de vendre des choses néfastes pour l'environnement. et quand même un budget d'État qui dépense des milliards dans la transition écologique, c'est toujours mieux et ça oriente quand même très fortement l'économie.

  • Speaker #1

    Et la dernière phrase, les ONG sont aujourd'hui hors-jeu dans la fabrique des compromis.

  • Speaker #0

    Je dirais que malheureusement, plutôt oui. Ils ont un rôle toujours hyper important d'alerte, de sensibilisation de l'opinion, pour faire monter des sujets, mais je me permets de dire ça notamment parce que j'ai vu une étude d'un think tank qui s'appelle Parlons Climat et qui montrait qu'en fait, l'adhésion aux ONG et la crédibilité des ONG en dehors des gens qui étaient déjà convaincus, Merci. de la question écologique, étaient très faibles. Donc je pense que, voilà, par des modes de communication, des postures, pour le très grand public, ils apparaissent moins comme des acteurs de solutions, de contre-militantisme.

  • Speaker #1

    On le voit comme du militantisme.

  • Speaker #0

    Ce qui est très bien. Heureusement qu'il y a des gens qui défendent la cause écologique, surtout en ce moment. Enfin, il y a quand même un tel backlash, un tel recours en arrière, que les ONG sont fondamentales. Mais par contre, à la fin de la fin, quand il faut faire une loi, quand il faut trouver des solutions techniques, et dealer avec le pouvoir. Et donc, ça veut dire accepter que les choses ne soient pas parfaites. Je pense que ce n'est pas dans leur culture et qu'en fait, il manque un acteur, il manque des acteurs. Et notamment, je pense, Impact France vise modestement à combler un peu ce vide.

  • Speaker #1

    Merci David, on va passer à la séquence sur ta vision propre. Tu as vu la politique de très près. Qu'est-ce que tu retiens de plus précieux dans ton parcours ? Est-ce que tu as des leçons, des anecdotes à partager ?

  • Speaker #0

    Alors, je ne suis pas encore un vieux sage, mais modestement... j'ai la conviction que ceux qui détiennent la parole politique ont une grande responsabilité et doivent pas l'utiliser n'importe comment. Je donne un exemple, c'est-à-dire qu'en positif, ça peut vraiment rassembler la société dans des moments cruciaux. Moi je l'avais vu au moment des attentats islamistes qu'ont frappé la France dans les années 2015-2016. Il y a eu à ce moment, globalement, un monde politique qui a appelé à ne pas faire d'amalgame entre les islamistes et les musulmans dans la société française, et on a vu dans les études que ça a fonctionné. Ça a fonctionné dans la société, il n'y a pas eu de représailles, il y a eu des manifestations pour défendre la République, etc. Mais il y a eu vraiment un discours quand même assez rassembleur et assez pacifique à un moment où on était soumis à une violence extrême. Et ça, je pense vraiment que dans ces moments, si tu as un dirigeant, notamment le plus haut, le président de la République ou des ministres qui ont un discours de clivage et de conflictualité dans ces moments-là, ça peut vraiment partir en sucette. Et je pense que... La parole politique a une valeur performative dans ces moments-là, et à l'inverse, c'est le principe de la fenêtre d'Overton, plus tu dis des atrocités, des énormités, plus tu ouvres le champ, et tu libères la parole politique, et les idées, et finalement les comportements politiques dans la société, avec tous les risques que ça engendre. Donc voilà, je pense que le plus important c'est de jamais sous-estimer l'importance de bien réfléchir à ce qu'on dit quand on fait de la politique.

  • Speaker #1

    Ce qui m'intéresse aussi, c'est de savoir ta vision à toi de la société dans laquelle on devrait vivre, vers laquelle on devrait tendre. Donc, tu as un parcours qui est hyper marqué politiquement. C'est à baigner dedans quasiment toute ta vie professionnelle. Est-ce que tu as une vision que tu portes, des valeurs ?

  • Speaker #0

    Alors là, encore une fois, très modestement, je pense que ce que j'aimerais, c'est aller vers une société plus adulte. Je pense qu'il y a quelque chose qui est peut-être un peu... particulier à la France qui est un pays ultra centralisé avec la Vème République qui crée un pouvoir extrêmement important au sommet de l'État, où il y a une sorte de manque d'autonomisation des gens et aussi de responsabilisation qui va avec l'autonomie. Et donc il y a quelque chose d'assez infantilisant dans notre rapport au pouvoir politique. Moi je l'ai vu pendant la période Covid, les premiers confinements où j'étais au gouvernement. Le réflexe du pouvoir politique, ça a quand même été vraiment de dire aux gens, aux millimètres, ce qu'ils devaient faire. Et j'ai envie de dire... que la société en redemandait. Et donc ça crée un truc malsain où on est habitué à être infantilisé par le pouvoir politique, le pouvoir politique est habitué à nous infantiliser, et c'est un cycle infernal. Et en fait, à la fin, on ne supporte plus ça parce que non, en vrai, on est des adultes, on a envie de prendre des décisions de manière un peu autonome. Et donc tout ça pour dire que je pense qu'on a les moyens, on a une société éduquée, diplômée, démocratique depuis très longtemps, de laisser beaucoup plus de place. à l'autonomie des individus dans le fonctionnement de la société et beaucoup plus de place aussi à la démocratie. Moi, je crois beaucoup aux conventions citoyennes. Je n'oublie pas que les Gilets jaunes, leur demande principale, c'était le RIC, le référendum d'initiative citoyenne. Je ne dis pas qu'il faut le faire dans tous les sens, n'importe comment, etc. et qu'il faut invoquer le référendum pour n'importe quelle proposition de loi. C'est quand même le bazooka de la démocratie. Mais on ne peut pas avoir des consultations des citoyens uniquement lors... des présidentielles parce qu'en gros, c'est l'élection phare et tout le reste, en fait, on ne consulte pas trop ou pour de faux ou à côté. Donc voilà, je pense que j'aimerais qu'on parte de l'a priori que la société est adulte, mais ça veut dire aussi qu'elle doit se comporter en adulte et accepter parfois de perdre des combats politiques et de faire des compromis. Mais ça veut dire que le pouvoir politique lui-même doit donner beaucoup plus de marge de manœuvre, de poids à des consultations autres. que les grandes, grandes élections nationales.

  • Speaker #1

    C'est vrai que ça rejoint... Alors là, j'ai pas de question, mais ça rejoint une autre discussion que j'avais ici dans Hémicycle, concernant la convention climat. Où donc, l'idée était bonne de faire intervenir des citoyens sur la fabrique de la loi, sauf que de manière assez infantilisante, on leur a dit, tout ce que vous allez dire ici sera repris sans filtre, ce qui n'était pas possible. Et donc forcément, il y a eu une frustration, et on a l'impression que c'est une manipulation politique...

  • Speaker #0

    Alors je pense que, je sais pas si vraiment, s'il y a du machiavélisme, c'est plutôt de la légèreté du pouvoir politique dans la gestion du dispositif, et effectivement c'est se dire qu'on peut pas prendre les gens pour des adultes. En fait les 150 citoyens qui ont été tirés au sort, je suis absolument certain que si on leur avait dit vous allez faire des propositions, elles vont contribuer au débat public, elles vont être examinées par le gouvernement, par le législateur, qui à la fin, parce qu'il a le pouvoir souverain et démocratique et constitutionnel, c'est lui qui décidera. En fait, on leur a fait croire... qui se substituaient aux législateurs. Alors qu'ils n'en avaient pas la légitimité. C'est un tirage au sort, c'est hyper important, c'est hyper intéressant, c'est hyper précieux, mais c'est pas législateur. Et en fait, on les a pris pour des enfants, et je pense qu'ils se sont sentis humiliés, qu'on leur avait fait croire qu'ils allaient vraiment changer le droit du jour au lendemain. et qu'en réalité, ils l'ont très mal vécu. Et ce qui est dommage, c'est qu'en réalité, il y a eu une loi qui a appliqué cette convention qui s'appelle la loi Climat et Résilience, qui avait des centaines d'articles de transposition de la Convention citoyenne pour le climat, mais qui avait fait l'objet, bah oui, d'examens budgétaires, réglementaires, à l'Assemblée nationale, et donc qui n'était pas le même texte que celui de la convention. Mais on a retenu que rien n'était sorti de la convention, alors que c'est faux, parce que le procès avait été humiliant pour les conventionnels. Donc ça, je pense que c'est un exemple. Très parlant d'une société qui n'arrive pas à régler ses problèmes de manière adulte.

  • Speaker #1

    En parlant d'adulte, du coup, si tu avais un conseil à donner au David qui sort d'école, si tu pouvais le voir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Franchement, j'ai l'impression que j'ai fait à peu près ce que j'avais envie de faire. Donc peut-être d'oser encore plus, de rencontrer encore plus de monde. Peut-être que j'avais un côté très scolaire en me disant il suffit d'être bon élève et de bien bien travailler pour pouvoir progresser, ce qui n'est pas faux. Il faut être performant dans son job. Mais en fait, il ne faut jamais oublier que tout dépend des opportunités, des gens que tu rencontres, des nouvelles idées que tu peux avoir en voyant d'autres domaines, d'autres secteurs. Donc voilà, c'est un conseil même que je donne maintenant à des gens un peu plus jeunes qui viennent me voir parfois pour savoir comment évoluer en politique ou dans le monde des grandes entreprises. Je leur dis fais exactement ce que tu es en train de faire, c'est à dire rencontrer des gens, discuter, élargir ton horizon.

  • Speaker #1

    Pour aller à nos horizons, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager, David ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai peut-être une recommandation, c'est le livre La puissance de la douceur de la philosophe Anne Dufour-Mantel. Je pense que ça m'a marqué parce qu'on est dans une période plutôt de très grande brutalité, de retour de la pure force avec Donald Trump, voire de la menace, voire de la volonté d'en finir avec l'ennemi. Je veux dire, c'est vraiment une rupture totale avec ce qu'on a connu. depuis des décennies. Et ce livre, La puissance de la douceur, montre qu'en fait, la douceur, c'est quelque chose qui peut aussi être très efficace pour faire avancer la société, pour obtenir des choses, et puis pour aller bien dans sa vie. Donc c'est un bouquin pour ne pas renoncer à ça, malgré la brutalité actuelle.

  • Speaker #1

    Merci David, on arrive au bout de cet entretien. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voulais exprimer ici que tu n'as pas encore eu le temps de développer ?

  • Speaker #0

    Peut-être parce que comme on parlait globalement de la question du poids de la parole politique et aussi de mon l'espoir qu'on aille vers une société plus adulte. Il y a eu un moment qui, pour moi, m'a beaucoup conforté dans cette conviction, c'est la période du premier confinement, où on est plutôt parti au début sur une gestion très infantilisante de la crise. Bon, il y avait la nécessité quand même de gérer quelque chose de totalement extraordinaire, mais en fait, et on l'a vu dans les études d'opinion à l'époque, il y a un moment clé, c'est le jour où Edouard Philippe, un dimanche, fait une conférence de presse et dit « Aujourd'hui, je vais vous dire ce que je sais et ce que je ne sais pas. » Et en fait, c'est un moment où il reconnaît sa vulnérabilité, il reconnaît les limites de son pouvoir, et il dit à la société française, je vais tout simplement être transparent et honnête avec vous, il y a des choses que je ne maîtrise pas, il y a des choses que je ne sais pas, et je trouve qu'il y a eu un effet performatif énorme à ce moment-là, c'est à ce moment-là qu'il y a ce code de popularité qui explose. Donc ça montre bien que, je pense, la société française est prête à entendre que le politique ne peut pas tout, que l'État ne peut pas tout, qu'on peut aussi trouver des solutions à notre niveau, et qu'en tout cas, les gens sont en attente d'un discours authentique. transparent sur la réalité du pouvoir. Et je pense que si on faisait un peu plus ça, ça détendrait tout le monde et on arriverait peut-être un peu plus à faire avancer les choses.

  • Speaker #1

    Pour rebondir juste sur ce que tu viens de dire, tu disais tout à l'heure qu'un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Donc l'État doit prendre ses responsabilités, mais il doit reconnaître qu'il ne peut pas tout. Donc, est-ce que ça veut dire qu'il faut qu'on suive l'État même s'il ne voit pas tout quelque part un peu en tâtonnant ?

  • Speaker #0

    En fait, un leader, quel qu'il soit, se grandit énormément à reconnaître ses limites. Et je pense qu'il peut même avoir un leadership beaucoup plus puissant et une capacité à entraîner les gens beaucoup plus puissantes s'il reconnaît qu'il est un homme parmi les hommes ou une femme parmi les femmes. Et donc les gens vont se reconnaître dans cette façon humaine et normale d'incarner le pouvoir et vont accepter qu'il y ait des imperfections. Mais ça ne veut pas dire pour autant... que l'État ne doit pas impulser, donner des directions, faire des choix ultra structurants pour le pays. Et en fait, normalement, il tire sa légitimité du débat démocratique parce qu'il est incarné par des politiques qui ont été élues. Donc c'est plus un mode de pratique du pouvoir qu'une limitation de la responsabilité de l'État. Je pense que les pouvoirs publics restent quand même responsables de nous mettre sur les bons rails et de prendre les bonnes décisions pour le pays. il n'est pas obligé de le faire en maintenant le mythe qu'il est capable de tout et qu'il est omniscient, omnipotent. C'est quelque chose qui ne peut pas fonctionner parce que c'est faux.

  • Speaker #1

    Super, merci beaucoup David.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup. A la prochaine.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le co-fondateur de l'Egywatch, la plateforme qui vous aide dans votre veille institutionnelle.

  • Speaker #0

    A bientôt.

Description

David Nguyen a été conseiller discours, puis directeur adjoint de cabinet auprès de plusieurs ministres, avant de rejoindre l’IFOP pour observer la société française et aujourd’hui la MAIF, où il accompagne une entreprise mutualiste face aux défis écologiques.

Dans cet épisode, il raconte son parcours entre coulisses du pouvoir et engagement pour une transition plus collective et plus adulte.


On parle de :

  • Son apprentissage express de la politique au ministère du Travail, lors de la loi El Khomri

  • La montée fulgurante de la conscience écologique à partir de 2019

  • L’absence de contrepoids dans le débat public qui complique la fabrique de compromis sur l’écologie

  • Son rôle à la MAIF et l’expérience du dividende écologique

  • Le nécessaire rapport plus adulte entre citoyens et dirigeants

  • Et de son espoir que l’écologie devienne une nouvelle matrice structurante de la société française


💬 « Le plus important, c’est de ne jamais sous-estimer la puissance de la parole politique. Elle peut rassembler ou diviser. »

Un échange riche et sans langue de bois sur l’impact réel des mots, des lois et de l’engagement collectif.


Vous pouvez contacter Pierre sur Linkedin.

Vous souhaitez en savoir plus sur Legiwatch ou participer au podcast ? Prenez rendez-vous avec nous ici.

Vous souhaitez sponsoriser Hémicycle ou nous proposer un partenariat ? Contactez nous via ce formulaire.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le plus important, c'est de jamais sous-estimer l'importance de bien réfléchir à ce qu'on dit quand on fait de la politique. Là, sur la question écologique, il n'y a pas de deal possible. Dès que vous n'êtes pas exactement à ce que le GIEC dit de faire, vous avez les ONG contre vous. Et donc, c'est très difficile de construire la loi dans ces conditions. C'est bien, je dirais, au moins le couple État-entreprise qui doit mener la transition en investissant des milliards.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle Légit Watch et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir David Enguyen. David, tu es directeur de cabinet du directeur général de la Maïf. Tu es passé par les cabinets de Myriam El Khomri, Elisabeth Borne et Barbara Pompili, mais aussi par l'IFOP au contact des grandes tendances d'opinion. Et donc tu as vu la fabrique des politiques publiques de l'intérieur. dans des moments critiques, loi travail, gilets jaunes, covid, convention, climat et maintenant t'accompagne une entreprise de l'autre côté du débat public. Salut David !

  • Speaker #0

    Salut !

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux ajouter quelque chose à cette description, à ton parcours ?

  • Speaker #0

    Bah écoute, c'est un détail mais il y a un moment j'ai aussi fait une année de césure avec un groupe de rock, donc pour dire que c'est possible de faire plusieurs choses dans sa vie avant de faire de la politique.

  • Speaker #1

    Et tu continues le rock ?

  • Speaker #0

    Non, plus trop non.

  • Speaker #1

    Tu joues quoi ?

  • Speaker #0

    Tu chantes ? J'étais chanteur du groupe, c'était la grande période des Strokes, des Arctic Monkeys, donc il fallait en être. Et après mes études, on a tous fait une année de césure, mais en sachant très bien qu'on reprendrait notre parcours. Et voilà, on ne voulait pas avoir de crise de la cinquantaine en se disant qu'on aurait dû le faire. Donc, on est très content de l'avoir fait.

  • Speaker #1

    Trop bien. Côté écriture politique, en tout cas monde politique, j'ai vu que tu avais commencé en 2016 comme conseiller de discours de Myriam El Khomri. Ouais. Est-ce que tu peux parler de ce moment ?

  • Speaker #0

    Ouais, bien sûr. J'avais très envie de faire du cabinet ministériel. et ça a été quand même un apprentissage express du fait que la politique... C'est pas exactement ce qu'on apprend à l'école, c'est-à-dire que c'est pas exactement une recherche rationnelle de l'intérêt général avec un débat d'idées qui finit par aboutir sur une loi de consensus. La politique c'est du rapport de force, c'est des dynamiques, c'est choisir son camp, c'est assumer qu'il peut y avoir des gagnants et des perdants quand on engage une action politique. Et je pense que ça m'a déniaisé sur ce que c'était réellement la politique par rapport à ce que j'avais pu voir dans mes études.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que tu faisais exactement ? Donc c'est quand t'es sorti d'école c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'était un petit peu après, j'avais eu quelques premières expériences, mais c'est ma première grosse expérience. C'est quand t'es conseiller discours, ça peut dépendre des ministres, mais c'est un mélange un peu de prospective, un peu de notes de fond, sur ce qui se passe dans l'opinion, ce qui se peut lire dans la presse, parfois un petit peu des évolutions sur le droit, même s'il y a d'autres conseillers qui sont plus techniques, qui sont chargés de faire ça. Mais donc t'es un peu un espèce de conseiller un peu opinion aussi, et puis tout simplement tu rédiges des discours à la chaîne. Donc il y a des grands discours importants, comme quand la ministre présente son projet de loi devant les députés dans l'hémicycle. Là, tu sais que ça va ster un petit peu. Tu as des discours pendant ses déplacements, quand elle inaugure des choses, quand elle va rendre visite sur le terrain. Ou tu as des discours de légion d'honneur, où il faut découvrir le parcours de quelqu'un et faire un discours en son hommage. Donc voilà, il y a plein de choses. et c'est pas la même chose que ce qu'on appelle les éléments de langage qui sont... plus le fait des conseillers communication, conseillers presse, qui sont les petites phrases, les petits argumentaires que tu prépares avant une matinale, une interview. Et ça, à l'époque, je ne le faisais pas. J'étais vraiment conseiller de discours.

  • Speaker #1

    Ensuite, tu rejoins l'IFOP, donc au moment des Gilets jaunes.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que tu retiens de cette période ? Est-ce que ça t'a influencé dans ta manière de penser la politique ?

  • Speaker #0

    Justement, je disais que dans le cabinet de Myrmé El Khomri, j'avais découvert en tête la loi El Khomri, qui a quand même abouti sur... une scission du PS avec les frondeurs, des 49-3, enfin voilà, c'était dans la douleur. Et j'avoue que j'étais un peu junior et que, pour être tout à fait honnête, je ne comprenais pas très bien ce qui se passait. J'avais l'impression qu'il y avait des choses qui étaient bien dans la loi. Enfin voilà, j'avais une espèce de candeur d'étudiant en sciences politiques qui imaginait qu'on pourrait trouver des compromis, etc. Et qui n'a pas vu qu'il y avait un jeu politique avec, à l'époque, une concurrence entre Emmanuel Macron, Manuel Valls, François Hollande, qui n'avait pas encore dit qu'il ne serait plus candidat. et donc ça a été pris dans le jeu de la politique Et c'est pour ça que j'ai eu envie d'aller dans un institut de sondage pour essayer de mieux comprendre, tout simplement, comment fonctionnait l'opinion, comment fonctionnaient ces rapports de force au sein de la société française et au travers de la vie politique.

  • Speaker #1

    Et comment fonctionne l'opinion alors ?

  • Speaker #0

    La première chose que j'ai... appris ou en tout cas confirmé, c'est qu'il y a des choses beaucoup plus profondes que les sondages qu'on voit tous les jours qui donnent 70% pour ou contre telle mesure, telle déclaration de telle politique, et qu'en fait la société elle est structurée quand même par des très grandes tendances, que ça soit la déchristianisation du pays, la fin des grandes matrices comme le communisme qui structurait énormément le pays, le consumérisme, le rapport à la liberté individuelle, le rapport à la famille, tout ça c'est des choses où à son territoire c'est des choses qui sont extrêmement structurantes. et qui sont assez peu présentes dans le débat public par rapport à réagir à telle ou telle proposition d'un politique. Donc ça, c'est plus de la sociologie, de se plonger un petit peu là-dedans. Et peut-être la deuxième chose importante, qui est peut-être un peu contradictoire avec ce que je viens de dire, c'est que la parole politique, certes, est quand même globalement ignorée. Donc c'est une belle leçon d'humilité quand tu lis des sondages que tel politique a fait une déclaration la veille et que personne ne le voit et que personne n'en a entendu parler. Tu réalises que quand tu étais en cabinet ministériel, souvent tu... travailler pour du vent quoi, donc c'est une belle leçon d'humilité, mais malgré tout il y a quand même des moments où la parole politique est performative et où elle a un impact sur la société et moi ce que j'ai observé de près pendant cette période c'est quand même la montée de la question écologique dans la société puisque j'y étais pile en 2019 qui pour moi est la naissance de la génération climat en fait il y a une succession d'événements qu'on voit à l'époque en institut, il y a d'abord la démission de Nicolas Hulot qui claque la porte un matin en matinale sur France Inter et qui dit en fait je n'ai pas de mouvement d'opinion au dernier mois, je n'ai pas de la société civile qui me soutient dans mes rapports de force avec les autres ministres, avec Bercy, avec les lobbies et donc je suis seul et donc je ne peux plus combattre et ça je comprends très bien ce qui a pu lui arriver. Et en fait après ça, c'est là que naissent un peu en réaction les marches pour le climat et donc qu'émerge un peu cette génération climat. Tu as aussi en même temps l'espèce d'arrivée tonitruante de Greta Thunberg qui quand même devient un émetteur. extrêmement puissant à l'international et donc aussi en France. Et là, en fait, tu vois qu'il y a un effet, c'est que dans les enquêtes, etc., tu vois que même dans les conversations, dans les familles, entre générations, notamment les enfants qui challengent leurs parents à table, tout ça, on le voit. Et en fait, tu vois que la question monte et il y a l'affaire du siècle aussi à ce moment avec l'État qui est condamné. Donc tout ça, c'est des choses hyper structurantes et ça, en fait, ça a une traduction politique assez rapide puisque dès les élections européennes de 2019... Puis les élections municipales de 2020, on a des scores très importants des écologistes, beaucoup plus qu'aujourd'hui, qui vont engager le Green Deal au niveau européen, qui est quand même un texte majeur de la mandature précédente, et qui vont engager un certain nombre de choses en France, notamment la Convention citoyenne pour le climat. Et donc voilà, tout ça pour dire que... il faut plusieurs conditions pour que ça réussisse, et puis c'est aussi une prise de conscience scientifique, les rapports du GIEC, les gens qui voient les inondations, les feux de forêt, etc., qui comprennent qu'il commence à y avoir des répercussions au réchauffement climatique, mais quand même, la mobilisation, ça paye, et la parole politique, ça a bien un effet sur l'opinion, et ça peut avoir une traduction politique.

  • Speaker #1

    Tu disais que t'as le sentiment que la société française change de structure, les valeurs évoluent, et donc... quelque part que l'écologie peut devenir une nouvelle structure ?

  • Speaker #0

    Alors en réalité, c'est pas moi qui le dis, c'est quelque chose d'hyper documenté, hyper connu, enfin il y a quelque chose de... Voilà, la société française a longtemps été structurée par des grandes matrices, c'est des termes qui sont utilisés notamment par Jérôme Fourquet, avec qui j'ai travaillé à l'IFOP, ça a été un pays structuré par le christianisme, puis par le communisme, au milieu de tout ça il y a la république, etc. Et c'est bien connu, il y a une sorte de désenchantement et de fin des grands récits qui ne datent pas d'aujourd'hui, qui datent au moins du 19e, 20e siècle. Et c'est notamment Jérôme Fourquet qui disait « l'écologie peut être cette nouvelle matrice parce que, en fait, c'est quand même un combat qui vaut la peine d'être mené. » On parle quand même de la survie de l'espèce, la survie de la planète. C'est quelque chose qui demande de changer profondément les structures économiques, les rapports même... les structures sociales, l'urbanisme, c'est quand même un grand projet collectif.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a un espoir justement ? J'ai noté aussi que pendant que tu travaillais avec Barbara Pompili, tu dis avoir découvert à ce moment-là le poids des lobbies économiques et l'absence d'interlocuteurs de compromis côté ONG ou syndicats.

  • Speaker #0

    C'est peut-être ça le chénon manquant et c'est peut-être ça aussi qui explique en partie la situation dans laquelle on est aujourd'hui qui est beaucoup plus d'un retour en arrière sur les questions écologiques par rapport à cette période. 2019, 2021, 2022, qui en réalité était une période assez dynamique sur ces questions-là. En fait, je pense que sur la question écologique, on n'a pas la maturité qu'a la question sociale. J'essaye de faire un parallèle, c'est-à-dire que la question sociale, on peut dire qu'elle émerge avec l'industrialisation, la constitution d'une classe ouvrière qui va avoir conscience de ses conditions de travail et qui va s'organiser en syndicat, trouver des relais politiques pour changer le système, pour faire voter des lois sociales, etc. la question écologique il y a eu une prise de conscience de l'opinion, il y a eu une vérité scientifique qui a établi le niveau de dégradation de la situation mais il n'y a pas eu cette espèce de relais au sein de la société civile par des corps intermédiaires pour négocier avec les forces économiques, avec le patronat et avec les pouvoirs publics avec le gouvernement des grandes transformations. Il y a les ONG qui ont joué quand même ce rôle et de manière plutôt efficace au début parce qu'elles ont un rôle de plaidoyer de pression dans l'opinion publique qui est très fort, mais à la fin, quand vous passez de l'autre côté, comme je l'ai fait ensuite dans le cabinet ministériel, en fait, il faut des gens autour de la table pour négocier. Parce que la réalité, c'est qu'une loi, ça va toujours être un compromis. Quand bien même on sait que ça serait mieux qu'elle soit plus ambitieuse sur les questions de réduction de gaz à effet de serre, etc. A la fin de la fin, la société démocratique, c'est une société où il y a des compromis. Et en fait, quand vous êtes ministre de l'écologie, vous n'avez personne autour de la table pour faire des compromis avec vous. Vous avez les scientifiques qui vous disent « voilà ce qu'il faut faire » , vous avez les ONG qui disent « on vous met une pression de dingue pour faire ce que les scientifiques disent » , puis vous avez le, enfin sans vouloir caricaturer, une partie du patronat de l'autre côté qui dit « ça coûte super cher, ça va agréver notre compétitivité » . donc c'est pas possible et puis parfois vous avez même des réactions dans la société comme les gilets jaunes qui je pense pas été anti écolo mais en tout cas ne voulait pas supporter une taxe carbone calais empiété sur leur pouvoir d'achat et en fait vous n'avez pas ce truc qui existe dans le monde social qui sont les syndicats qui permettent de dealer c'est à dire les syndicats sur les questions sociales on deal sur le salaire minimum on deal sur les augmentations de salaire on deal sur le nombre de congés etc et il ya un compromis qui est fait à la fin là sur la question écologique il n'y a pas de deal possible dès que vous n'êtes pas exactement à ce que le GIEC dit de faire, vous avez les ONG contre vous. Et donc, c'est très difficile de construire la loi dans ces conditions. C'est ce que moi, j'ai pu observer. Je ne cherche pas du tout les ONG qui ont un rôle hyper important de mobilisation dans l'opinion publique. Mais en fait, à la fin, autour de la table, il n'y a personne. D'après toi,

  • Speaker #1

    c'est à qui de prendre ces responsabilités pour rentrer dans ce que tu fais aujourd'hui ? Donc, tu travailles à la Maïf qui est un assureur mutualiste. Ce que je comprends, c'est que l'environnement, ça peut être un gros défi même pour vous parce qu'il y a des territoires que vous pourrez... plus assuré si ça devient trop compliqué niveau climat. Donc, est-ce que c'est à l'entreprise de mettre la pression sur l'État ? Est-ce que c'est aux ONG qui le font peut-être déjà ? Pour toi, qui doit prendre le lead dans le dialogue ? Qui doit s'imposer ?

  • Speaker #0

    En matière écologique, mais je pense que ça vaut pour plusieurs choses. Moi, c'est vraiment Spiderman, quoi. C'est grand pouvoir, grande responsabilité. Donc, bien sûr que les individus peuvent faire des choses, mais à la fin... quand vous devez changer le système industriel de production qui existe depuis plus de deux siècles, en fait, c'est les États et les entreprises qui ont les moyens financiers, technologiques, réglementaires pour pouvoir changer la donne. Et donc, c'est bien eux qui doivent basculer les premiers. Et on voit d'ailleurs que quand, avec ce qui se passe en ce moment aux États-Unis avec Donald Trump, quand les puissants décident de revenir en arrière, ça revient en arrière très, très vite. C'est-à-dire que là, les États-Unis sont sortis de l'accord de Paris. la campagne elle était sur le fait de forer à nouveau au maximum pour pouvoir avoir du pétrole pas cher et en fait s'ils le décident ça se passe comme ça et les individus ils peuvent pas grand chose donc c'est bien je dirais au moins le couple état entreprise qui doit mener la transition en investissant des milliards On sait le nombre de milliards d'euros qu'il faut pour pouvoir mener la transition, c'est documenté, il y a eu des rapports. En investissant dans les innovations technologiques, sur les énergies décarbonées, sur les voitures électriques, etc. Sur les pompes à chaleur, il y a des innovations à faire. Et puis en relayant aussi, parce que c'est une bataille culturelle, ce discours, c'est-à-dire le discours de la transition qui est nécessaire pour les entreprises, parce que c'est un coût faramineux. Moi je travaille pour un assureur. Évidemment que le réchauffement climatique, ce n'est pas seulement une obligation morale. ou sociétal, c'est une obligation économique. Si les assureurs ne s'adaptent pas à cette nouvelle donne, ils couleront. C'est tout simplement insoutenable de rembourser les catastrophes naturelles qui ne font qu'augmenter. Toi,

  • Speaker #1

    en tant que directeur de cabinet du DG, quel est ton rôle exactement aujourd'hui ? Comment est-ce que tu peux impacter sur les décisions de l'entreprise ?

  • Speaker #0

    Alors, un directeur de cabinet d'une entreprise, pour ceux qui connaissent, ce n'est pas du tout la même chose qu'un directeur de cabinet d'un ministère. Dans un ministère, un directeur de cabinet, c'est vraiment le ministre numéro 2. Il a un pouvoir de décision, de pilotage de l'action publique qui est très important. Là, c'est un travail de premier collaborateur du directeur général, donc tu as une influence, tu l'aides au quotidien, tu as des idées qu'il peut reprendre, mais ce n'est pas toi qui dirige l'entreprise. Donc voilà, déjà pour dire quel est le pouvoir réel, malgré tout, comme tu as un regard à 360 degrés et que tu peux influencer un tout petit peu la marge de l'entreprise, tu peux avoir des idées, contribuer à valoriser. Par exemple, à la Maïf, on a mis en place quelque chose qui s'appelle le dividende écologique. Donc le dividende écologique, c'est quoi ? C'est 10% des bénéfices annuels de la Maïf qui sont redistribués à des actions en faveur de l'environnement. Et bien ça, il y a des gens qui vont le concevoir, qui vont mettre en place le dispositif. Toi, tu peux aider à donner le maximum de visibilité, de puissance, tout simplement en faisant un plan média, en l'accompagnant. Enfin voilà, on avait fait les matinales de France Inter, on avait fait plusieurs médias importants au moment où on avait annoncé ça, pour espérer que ça puisse faire des petits et que d'autres entreprises le fassent. En fait, le levier principal... Pour un patron, c'est bien sûr l'action dans son entreprise, mais il y a aussi le côté modélisant, c'est-à-dire si tu prouves que ça marche dans ton entreprise, tu peux avoir d'autres entreprises qui décident de le faire. Et comme la question écologique, elle ne peut pas fonctionner si ce n'est pas systémique, le rôle le plus intéressant que tu peux avoir en tant que dire-câble, c'est d'essayer d'augmenter l'influence de ton patron pour que ses idées fassent des petits.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc ton quotidien, est-ce que tu pourrais décrire quand tu arrives au bureau, c'est quoi les premières choses que tu fais ? Est-ce qu'il y a des moments qui se répètent ? Et puis, comment on fait ? Tu parlais de plan média, mais est-ce que c'est un exercice qui est fréquent ou est-ce que c'est deux fois par an ?

  • Speaker #0

    Alors déjà, je pense que vraiment, dire cab, la fonction... Ça dépend totalement d'une entreprise à l'autre. Tu as des patrons qui n'ont pas du tout envie d'être médiatiques et donc cette dimension n'existe pas dans ton job. Tu en as d'autres qui, comme le mien, défendent ses idées sur la place publique et là, ça a une dimension importante. Malgré tout, il y a quand même d'abord un job très interne. C'est-à-dire que tu es là pour favoriser la cohésion, le bon fonctionnement de la gouvernance. La gouvernance, c'est quoi ? C'est conseil d'administration, COMEX, les relations aussi avec les syndicats. S'assurer que le dialogue fonctionne, qu'il n'y a pas de quipropco parce que voilà, une entreprise, c'est pas... non plus un conseil municipal ou une assemblée nationale, mais c'est quand même des gens avec du pouvoir et donc il peut y avoir des relations de pouvoir, il peut y avoir des enjeux d'égo parfois aussi qu'il faut essayer de lisser. T'es là aussi pour t'assurer que la vision du boss est bien cohérente, est bien diffusée dans toute l'entreprise, parce qu'en fait une entreprise c'est quoi ? C'est aussi énormément de grandes messes annuelles, avec des séminaires, des congrès, où tu rassembles les salariés, la Maïf c'est 10 000 salariés, et en fait faut t'assurer que tout le monde partage la même vision. quand même un peu à l'échelle d'un pays, beaucoup plus modestement. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'en fait, justement, t'as plus de levier d'action pour s'assurer qu'on sait qu'on va tous dans le même chemin, que tout le monde a conscience, par exemple, de la question climatique, que tout le monde a conscience des enjeux de diversité, d'inclusion. Tout ça, tu contribues à ce que ça fonctionne bien. Puis après, il y a l'influence extérieure, c'est-à-dire s'assurer qu'il y a une présence médiatique intéressante, qu'il peut rencontrer d'autres patrons intéressants, des intellectuels, des scientifiques, et des hommes politiques, des femmes politiques, pour pouvoir avoir... une influence concrète sur les textes, sur le débat public.

  • Speaker #1

    Est-ce que le fait d'être passé dans le public avant, justement, dans les ministères, de connaître la fabrique de la loi de l'autre côté, est-ce que ça t'aide aujourd'hui ou pas ?

  • Speaker #0

    Oui, alors je rappelle quand même qu'il y a des règles sur les conflits d'intérêts. En tout cas, je n'avais pas le droit d'être en contact avec des gens avec qui j'avais travaillé auparavant. Donc comme il y a un renouvellement rapide dans les cabinets, très vite l'enjeu s'estompe, donc on ne fait pas n'importe quoi. Mais oui, je pense que ce qui aide le plus, c'est de hiérarchiser. C'est-à-dire... comprendre quand un texte est de toute façon intouchable ou au contraire quand il y a une marge de manoeuvre et s'il y a de la marge de manoeuvre par quel canal il faut passer quel argument il faut utiliser parce que tu sais que de l'autre côté comme t'y as été c'est ultra speed et qu'en fait ils vont écouter que si tu as des arguments massue si tu as du poids si tu représente quelque chose et que tu leur propose une solution clé en main c'est à dire que très souvent quand tu es en cabine ministérielle tu as quand même des gens qui viennent partager leurs problèmes qui sont légitimes etc mais avec rarement des solutions. Et en fait, forcément, celui qui arrive en présentant un problème de société, qui n'est pas juste un problème de son entreprise tout seul, mais un problème important, il risque de licencier, il risque de perdre des marchés, et donc de perdre de l'activité économique, et ce n'est pas bon pour un territoire par exemple, c'est mieux s'il vient avec une solution. Et une solution qui tient légalement, d'un point de vue réglementaire, constitutionnel, etc. Donc, t'aides à concevoir quelque chose qui vole.

  • Speaker #1

    T'as acquis le super pouvoir de pouvoir comprendre rapidement les forces en présence et les points clés d'une discussion.

  • Speaker #0

    Quand même, il faut rester modeste parce que ça se renouvelle très vite. Depuis que je suis parti, moi je suis parti à la fin du quinquennat précédent, je sais plus s'il y a eu trois ou quatre gouvernements, donc ça se renouvelle très très vite, pas toujours avec exactement la même coloration politique par ailleurs. Donc voilà, il faut être modeste là-dessus. Mais ce qui est intéressant, c'est que je pense que le quinquennat précédent, le lobbying, il se passait quasi exclusivement au niveau gouvernemental. parce qu'on avait une majorité absolue extrêmement disciplinée. Aujourd'hui, c'est une majorité relative. Donc, il y a beaucoup plus de choses à faire au Parlement et ça peut être plus intéressant. C'est plus compliqué aussi parce qu'à l'époque, quand un ministre avait décidé, ça roulait. Là, ce n'est pas parce que le ministre a décidé, il faut voir avec les députés. Et puis, à l'inverse, parfois, tu as des propositions de députés qui trouvent un chemin. Parce que l'Assemblée s'impose au gouvernement. Et d'un point de vue démocratique, c'est pas plus mal.

  • Speaker #1

    J'ai vu aussi que tu travailles pour le mouvement Impact France, qui est donc entre le MEDEF et les ONG. Est-ce que tu peux expliquer ça ? Est-ce que c'est juste ?

  • Speaker #0

    Alors, moi je travaille pas directement pour Impact France. En fait, Pascal Demianger, le patron de la Maïf, est aussi le co-président de ce mouvement d'entreprise engagé. Co-président avec une fille qui s'appelle Julia Ford, à la tête d'une marque de mode éthique qui s'appelle Loom. Et donc, oui, l'idée, et c'est un peu cohérent avec ce que je disais tout à l'heure sur le fait que Dans la cause écologique, pour moi, il y a un chénon manquant qui est en gros le syndicat écolo, c'est-à-dire la CFDT, la CGT, la FO écolo. Et alors là, la particularité, c'est que c'est un syndicat patronal. C'est un mouvement patronal qui rassemble des dirigeants d'entreprises qui pensent qu'ils ont un intérêt à faire accélérer la transition écologique et sociale. On ne traite pas que de la question écologique, mais c'est quand même assez important. Et donc voilà, ça rassemble des dirigeants qui vont partager leurs problématiques sur les grandes transitions, qui vont formuler des propositions. comme par exemple conditionner des marchés publics à des critères écolos pour favoriser les entreprises qui sont plus avancées sur ces questions-là, et donc envoyer un signal au marché qu'il y a un intérêt à s'engager dans la transition écologique, à moduler la fiscalité, moduler les aides aux entreprises en fonction de ton impact positif, et on l'assume totalement, c'est bien sûr un intérêt bien compris pour nous, parce que nous on estime que ça favorisera les entreprises du mouvement Impact France. Donc c'est en sac, c'est un lobby, c'est un syndicat, mais dont la cause rejoint l'intérêt général. Moi, ce qui est intéressant, c'est que je trouve que quand on va voir des ministres, on porte quelque chose de différent du discours classique patronal sur moins de charges, moins de réglementation, qui peut être tout à fait légitime pour favoriser la compétitivité. Et on vient les voir en leur disant, en fait, il faudrait nous aider à faire la transition écologique, il faudrait des aides plus ciblées sur ces questions-là. Et nous, en tant qu'entreprise, on vous dit que ça serait utile pour l'économie. Et par ailleurs, on est capable de dealer, ça veut dire de négocier, de dire, nous, on aimerait obtenir ça, mais si... trouve un point d'accord sur ça, ça serait super. Et on le dira publiquement, on le dira médiatiquement.

  • Speaker #1

    Si toi, tu avais le pouvoir de pousser une politique en particulier, là, tu parles du coup d'aide, de cibler quelques niches économiques ou quelques endroits, qu'est-ce que tu ferais ? Quelle est pour toi la priorité ?

  • Speaker #0

    Par exemple, il y a quand même, c'est assez documenté, il y a le crédit impôt recherche, qui est une aide de plusieurs milliards d'euros à destination des entreprises qui sont utilisées chaque année par les entreprises pour financer leur recherche et développement. on pourrait totalement mettre quelques critères pour favoriser la recherche en faveur de la transition écologique. Aujourd'hui, c'est tout type de recherche. Ça peut être une entreprise de cosmétique qui va faire de la recherche pour développer des nouveaux produits cosmétiques, ce qui peut être très bien, et avoir du chiffre d'affaires, et avoir des parts de marché, et c'est bien pour l'économie française, mais il n'y a pas de finalité d'impact, ni écologique, ni sociale. On pourrait mettre des critères, et donc piloter un peu la recherche et le développement, et donc... aider l'économie française à pivoter plus rapidement vers la transition. Ça, c'est un exemple parmi d'autres. Je prends cette aide parce que c'est l'aide la plus importante aux entreprises en France.

  • Speaker #1

    Super clair. On va passer à la séquence vrai-faux. Donc, je te dis une phrase. Tu me dis si c'est vrai ou faux. Évidemment, tu peux développer si tu le souhaites.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    Première phrase, on comprend mieux la politique à l'IFOP qu'à Matignon.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est plutôt faux. Je pense qu'on peut comprendre mieux la société à l'IFOP ou dans un institut de sondage. Mais la politique, ça reste avant tout une pratique. c'est un sport de combat au quotidien et c'est pas un savoir. Bien sûr que c'est mieux de connaître ces classiques, c'est mieux d'avoir des références historiques, c'est mieux de comprendre les équilibres économiques et sociaux dans le pays, mais à la fin de la fin, quand tu veux faire passer une loi, un amendement, une idée, c'est d'abord que tu vas prendre un risque, tu vas aller dans la presse, tu vas proposer quelque chose, que tu vas essayer de rassembler des gens autour de toi et que tu vas essayer de peser dans le débat public et d'obtenir un vote majoritaire à la fin tout simplement. Et ça, c'est beaucoup plus un art, un sport qu'un savoir.

  • Speaker #1

    La seconde affirmation, c'est une entreprise engagée peut faire plus pour l'écologie qu'un ministère.

  • Speaker #0

    Je dirais faux. Je pense que les entreprises sont indispensables et qu'elles doivent et qu'elles peuvent faire énormément et que ça ne marchera pas sans elles. Il n'y aura pas de voiture électrique sans constructeurs automobiles qui construisent des voitures électriques. Mais rien ne remplace une loi, une interdiction de vendre des choses néfastes pour l'environnement. et quand même un budget d'État qui dépense des milliards dans la transition écologique, c'est toujours mieux et ça oriente quand même très fortement l'économie.

  • Speaker #1

    Et la dernière phrase, les ONG sont aujourd'hui hors-jeu dans la fabrique des compromis.

  • Speaker #0

    Je dirais que malheureusement, plutôt oui. Ils ont un rôle toujours hyper important d'alerte, de sensibilisation de l'opinion, pour faire monter des sujets, mais je me permets de dire ça notamment parce que j'ai vu une étude d'un think tank qui s'appelle Parlons Climat et qui montrait qu'en fait, l'adhésion aux ONG et la crédibilité des ONG en dehors des gens qui étaient déjà convaincus, Merci. de la question écologique, étaient très faibles. Donc je pense que, voilà, par des modes de communication, des postures, pour le très grand public, ils apparaissent moins comme des acteurs de solutions, de contre-militantisme.

  • Speaker #1

    On le voit comme du militantisme.

  • Speaker #0

    Ce qui est très bien. Heureusement qu'il y a des gens qui défendent la cause écologique, surtout en ce moment. Enfin, il y a quand même un tel backlash, un tel recours en arrière, que les ONG sont fondamentales. Mais par contre, à la fin de la fin, quand il faut faire une loi, quand il faut trouver des solutions techniques, et dealer avec le pouvoir. Et donc, ça veut dire accepter que les choses ne soient pas parfaites. Je pense que ce n'est pas dans leur culture et qu'en fait, il manque un acteur, il manque des acteurs. Et notamment, je pense, Impact France vise modestement à combler un peu ce vide.

  • Speaker #1

    Merci David, on va passer à la séquence sur ta vision propre. Tu as vu la politique de très près. Qu'est-ce que tu retiens de plus précieux dans ton parcours ? Est-ce que tu as des leçons, des anecdotes à partager ?

  • Speaker #0

    Alors, je ne suis pas encore un vieux sage, mais modestement... j'ai la conviction que ceux qui détiennent la parole politique ont une grande responsabilité et doivent pas l'utiliser n'importe comment. Je donne un exemple, c'est-à-dire qu'en positif, ça peut vraiment rassembler la société dans des moments cruciaux. Moi je l'avais vu au moment des attentats islamistes qu'ont frappé la France dans les années 2015-2016. Il y a eu à ce moment, globalement, un monde politique qui a appelé à ne pas faire d'amalgame entre les islamistes et les musulmans dans la société française, et on a vu dans les études que ça a fonctionné. Ça a fonctionné dans la société, il n'y a pas eu de représailles, il y a eu des manifestations pour défendre la République, etc. Mais il y a eu vraiment un discours quand même assez rassembleur et assez pacifique à un moment où on était soumis à une violence extrême. Et ça, je pense vraiment que dans ces moments, si tu as un dirigeant, notamment le plus haut, le président de la République ou des ministres qui ont un discours de clivage et de conflictualité dans ces moments-là, ça peut vraiment partir en sucette. Et je pense que... La parole politique a une valeur performative dans ces moments-là, et à l'inverse, c'est le principe de la fenêtre d'Overton, plus tu dis des atrocités, des énormités, plus tu ouvres le champ, et tu libères la parole politique, et les idées, et finalement les comportements politiques dans la société, avec tous les risques que ça engendre. Donc voilà, je pense que le plus important c'est de jamais sous-estimer l'importance de bien réfléchir à ce qu'on dit quand on fait de la politique.

  • Speaker #1

    Ce qui m'intéresse aussi, c'est de savoir ta vision à toi de la société dans laquelle on devrait vivre, vers laquelle on devrait tendre. Donc, tu as un parcours qui est hyper marqué politiquement. C'est à baigner dedans quasiment toute ta vie professionnelle. Est-ce que tu as une vision que tu portes, des valeurs ?

  • Speaker #0

    Alors là, encore une fois, très modestement, je pense que ce que j'aimerais, c'est aller vers une société plus adulte. Je pense qu'il y a quelque chose qui est peut-être un peu... particulier à la France qui est un pays ultra centralisé avec la Vème République qui crée un pouvoir extrêmement important au sommet de l'État, où il y a une sorte de manque d'autonomisation des gens et aussi de responsabilisation qui va avec l'autonomie. Et donc il y a quelque chose d'assez infantilisant dans notre rapport au pouvoir politique. Moi je l'ai vu pendant la période Covid, les premiers confinements où j'étais au gouvernement. Le réflexe du pouvoir politique, ça a quand même été vraiment de dire aux gens, aux millimètres, ce qu'ils devaient faire. Et j'ai envie de dire... que la société en redemandait. Et donc ça crée un truc malsain où on est habitué à être infantilisé par le pouvoir politique, le pouvoir politique est habitué à nous infantiliser, et c'est un cycle infernal. Et en fait, à la fin, on ne supporte plus ça parce que non, en vrai, on est des adultes, on a envie de prendre des décisions de manière un peu autonome. Et donc tout ça pour dire que je pense qu'on a les moyens, on a une société éduquée, diplômée, démocratique depuis très longtemps, de laisser beaucoup plus de place. à l'autonomie des individus dans le fonctionnement de la société et beaucoup plus de place aussi à la démocratie. Moi, je crois beaucoup aux conventions citoyennes. Je n'oublie pas que les Gilets jaunes, leur demande principale, c'était le RIC, le référendum d'initiative citoyenne. Je ne dis pas qu'il faut le faire dans tous les sens, n'importe comment, etc. et qu'il faut invoquer le référendum pour n'importe quelle proposition de loi. C'est quand même le bazooka de la démocratie. Mais on ne peut pas avoir des consultations des citoyens uniquement lors... des présidentielles parce qu'en gros, c'est l'élection phare et tout le reste, en fait, on ne consulte pas trop ou pour de faux ou à côté. Donc voilà, je pense que j'aimerais qu'on parte de l'a priori que la société est adulte, mais ça veut dire aussi qu'elle doit se comporter en adulte et accepter parfois de perdre des combats politiques et de faire des compromis. Mais ça veut dire que le pouvoir politique lui-même doit donner beaucoup plus de marge de manœuvre, de poids à des consultations autres. que les grandes, grandes élections nationales.

  • Speaker #1

    C'est vrai que ça rejoint... Alors là, j'ai pas de question, mais ça rejoint une autre discussion que j'avais ici dans Hémicycle, concernant la convention climat. Où donc, l'idée était bonne de faire intervenir des citoyens sur la fabrique de la loi, sauf que de manière assez infantilisante, on leur a dit, tout ce que vous allez dire ici sera repris sans filtre, ce qui n'était pas possible. Et donc forcément, il y a eu une frustration, et on a l'impression que c'est une manipulation politique...

  • Speaker #0

    Alors je pense que, je sais pas si vraiment, s'il y a du machiavélisme, c'est plutôt de la légèreté du pouvoir politique dans la gestion du dispositif, et effectivement c'est se dire qu'on peut pas prendre les gens pour des adultes. En fait les 150 citoyens qui ont été tirés au sort, je suis absolument certain que si on leur avait dit vous allez faire des propositions, elles vont contribuer au débat public, elles vont être examinées par le gouvernement, par le législateur, qui à la fin, parce qu'il a le pouvoir souverain et démocratique et constitutionnel, c'est lui qui décidera. En fait, on leur a fait croire... qui se substituaient aux législateurs. Alors qu'ils n'en avaient pas la légitimité. C'est un tirage au sort, c'est hyper important, c'est hyper intéressant, c'est hyper précieux, mais c'est pas législateur. Et en fait, on les a pris pour des enfants, et je pense qu'ils se sont sentis humiliés, qu'on leur avait fait croire qu'ils allaient vraiment changer le droit du jour au lendemain. et qu'en réalité, ils l'ont très mal vécu. Et ce qui est dommage, c'est qu'en réalité, il y a eu une loi qui a appliqué cette convention qui s'appelle la loi Climat et Résilience, qui avait des centaines d'articles de transposition de la Convention citoyenne pour le climat, mais qui avait fait l'objet, bah oui, d'examens budgétaires, réglementaires, à l'Assemblée nationale, et donc qui n'était pas le même texte que celui de la convention. Mais on a retenu que rien n'était sorti de la convention, alors que c'est faux, parce que le procès avait été humiliant pour les conventionnels. Donc ça, je pense que c'est un exemple. Très parlant d'une société qui n'arrive pas à régler ses problèmes de manière adulte.

  • Speaker #1

    En parlant d'adulte, du coup, si tu avais un conseil à donner au David qui sort d'école, si tu pouvais le voir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Franchement, j'ai l'impression que j'ai fait à peu près ce que j'avais envie de faire. Donc peut-être d'oser encore plus, de rencontrer encore plus de monde. Peut-être que j'avais un côté très scolaire en me disant il suffit d'être bon élève et de bien bien travailler pour pouvoir progresser, ce qui n'est pas faux. Il faut être performant dans son job. Mais en fait, il ne faut jamais oublier que tout dépend des opportunités, des gens que tu rencontres, des nouvelles idées que tu peux avoir en voyant d'autres domaines, d'autres secteurs. Donc voilà, c'est un conseil même que je donne maintenant à des gens un peu plus jeunes qui viennent me voir parfois pour savoir comment évoluer en politique ou dans le monde des grandes entreprises. Je leur dis fais exactement ce que tu es en train de faire, c'est à dire rencontrer des gens, discuter, élargir ton horizon.

  • Speaker #1

    Pour aller à nos horizons, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager, David ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai peut-être une recommandation, c'est le livre La puissance de la douceur de la philosophe Anne Dufour-Mantel. Je pense que ça m'a marqué parce qu'on est dans une période plutôt de très grande brutalité, de retour de la pure force avec Donald Trump, voire de la menace, voire de la volonté d'en finir avec l'ennemi. Je veux dire, c'est vraiment une rupture totale avec ce qu'on a connu. depuis des décennies. Et ce livre, La puissance de la douceur, montre qu'en fait, la douceur, c'est quelque chose qui peut aussi être très efficace pour faire avancer la société, pour obtenir des choses, et puis pour aller bien dans sa vie. Donc c'est un bouquin pour ne pas renoncer à ça, malgré la brutalité actuelle.

  • Speaker #1

    Merci David, on arrive au bout de cet entretien. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voulais exprimer ici que tu n'as pas encore eu le temps de développer ?

  • Speaker #0

    Peut-être parce que comme on parlait globalement de la question du poids de la parole politique et aussi de mon l'espoir qu'on aille vers une société plus adulte. Il y a eu un moment qui, pour moi, m'a beaucoup conforté dans cette conviction, c'est la période du premier confinement, où on est plutôt parti au début sur une gestion très infantilisante de la crise. Bon, il y avait la nécessité quand même de gérer quelque chose de totalement extraordinaire, mais en fait, et on l'a vu dans les études d'opinion à l'époque, il y a un moment clé, c'est le jour où Edouard Philippe, un dimanche, fait une conférence de presse et dit « Aujourd'hui, je vais vous dire ce que je sais et ce que je ne sais pas. » Et en fait, c'est un moment où il reconnaît sa vulnérabilité, il reconnaît les limites de son pouvoir, et il dit à la société française, je vais tout simplement être transparent et honnête avec vous, il y a des choses que je ne maîtrise pas, il y a des choses que je ne sais pas, et je trouve qu'il y a eu un effet performatif énorme à ce moment-là, c'est à ce moment-là qu'il y a ce code de popularité qui explose. Donc ça montre bien que, je pense, la société française est prête à entendre que le politique ne peut pas tout, que l'État ne peut pas tout, qu'on peut aussi trouver des solutions à notre niveau, et qu'en tout cas, les gens sont en attente d'un discours authentique. transparent sur la réalité du pouvoir. Et je pense que si on faisait un peu plus ça, ça détendrait tout le monde et on arriverait peut-être un peu plus à faire avancer les choses.

  • Speaker #1

    Pour rebondir juste sur ce que tu viens de dire, tu disais tout à l'heure qu'un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Donc l'État doit prendre ses responsabilités, mais il doit reconnaître qu'il ne peut pas tout. Donc, est-ce que ça veut dire qu'il faut qu'on suive l'État même s'il ne voit pas tout quelque part un peu en tâtonnant ?

  • Speaker #0

    En fait, un leader, quel qu'il soit, se grandit énormément à reconnaître ses limites. Et je pense qu'il peut même avoir un leadership beaucoup plus puissant et une capacité à entraîner les gens beaucoup plus puissantes s'il reconnaît qu'il est un homme parmi les hommes ou une femme parmi les femmes. Et donc les gens vont se reconnaître dans cette façon humaine et normale d'incarner le pouvoir et vont accepter qu'il y ait des imperfections. Mais ça ne veut pas dire pour autant... que l'État ne doit pas impulser, donner des directions, faire des choix ultra structurants pour le pays. Et en fait, normalement, il tire sa légitimité du débat démocratique parce qu'il est incarné par des politiques qui ont été élues. Donc c'est plus un mode de pratique du pouvoir qu'une limitation de la responsabilité de l'État. Je pense que les pouvoirs publics restent quand même responsables de nous mettre sur les bons rails et de prendre les bonnes décisions pour le pays. il n'est pas obligé de le faire en maintenant le mythe qu'il est capable de tout et qu'il est omniscient, omnipotent. C'est quelque chose qui ne peut pas fonctionner parce que c'est faux.

  • Speaker #1

    Super, merci beaucoup David.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup. A la prochaine.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le co-fondateur de l'Egywatch, la plateforme qui vous aide dans votre veille institutionnelle.

  • Speaker #0

    A bientôt.

Share

Embed

You may also like

Description

David Nguyen a été conseiller discours, puis directeur adjoint de cabinet auprès de plusieurs ministres, avant de rejoindre l’IFOP pour observer la société française et aujourd’hui la MAIF, où il accompagne une entreprise mutualiste face aux défis écologiques.

Dans cet épisode, il raconte son parcours entre coulisses du pouvoir et engagement pour une transition plus collective et plus adulte.


On parle de :

  • Son apprentissage express de la politique au ministère du Travail, lors de la loi El Khomri

  • La montée fulgurante de la conscience écologique à partir de 2019

  • L’absence de contrepoids dans le débat public qui complique la fabrique de compromis sur l’écologie

  • Son rôle à la MAIF et l’expérience du dividende écologique

  • Le nécessaire rapport plus adulte entre citoyens et dirigeants

  • Et de son espoir que l’écologie devienne une nouvelle matrice structurante de la société française


💬 « Le plus important, c’est de ne jamais sous-estimer la puissance de la parole politique. Elle peut rassembler ou diviser. »

Un échange riche et sans langue de bois sur l’impact réel des mots, des lois et de l’engagement collectif.


Vous pouvez contacter Pierre sur Linkedin.

Vous souhaitez en savoir plus sur Legiwatch ou participer au podcast ? Prenez rendez-vous avec nous ici.

Vous souhaitez sponsoriser Hémicycle ou nous proposer un partenariat ? Contactez nous via ce formulaire.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le plus important, c'est de jamais sous-estimer l'importance de bien réfléchir à ce qu'on dit quand on fait de la politique. Là, sur la question écologique, il n'y a pas de deal possible. Dès que vous n'êtes pas exactement à ce que le GIEC dit de faire, vous avez les ONG contre vous. Et donc, c'est très difficile de construire la loi dans ces conditions. C'est bien, je dirais, au moins le couple État-entreprise qui doit mener la transition en investissant des milliards.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle Légit Watch et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir David Enguyen. David, tu es directeur de cabinet du directeur général de la Maïf. Tu es passé par les cabinets de Myriam El Khomri, Elisabeth Borne et Barbara Pompili, mais aussi par l'IFOP au contact des grandes tendances d'opinion. Et donc tu as vu la fabrique des politiques publiques de l'intérieur. dans des moments critiques, loi travail, gilets jaunes, covid, convention, climat et maintenant t'accompagne une entreprise de l'autre côté du débat public. Salut David !

  • Speaker #0

    Salut !

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux ajouter quelque chose à cette description, à ton parcours ?

  • Speaker #0

    Bah écoute, c'est un détail mais il y a un moment j'ai aussi fait une année de césure avec un groupe de rock, donc pour dire que c'est possible de faire plusieurs choses dans sa vie avant de faire de la politique.

  • Speaker #1

    Et tu continues le rock ?

  • Speaker #0

    Non, plus trop non.

  • Speaker #1

    Tu joues quoi ?

  • Speaker #0

    Tu chantes ? J'étais chanteur du groupe, c'était la grande période des Strokes, des Arctic Monkeys, donc il fallait en être. Et après mes études, on a tous fait une année de césure, mais en sachant très bien qu'on reprendrait notre parcours. Et voilà, on ne voulait pas avoir de crise de la cinquantaine en se disant qu'on aurait dû le faire. Donc, on est très content de l'avoir fait.

  • Speaker #1

    Trop bien. Côté écriture politique, en tout cas monde politique, j'ai vu que tu avais commencé en 2016 comme conseiller de discours de Myriam El Khomri. Ouais. Est-ce que tu peux parler de ce moment ?

  • Speaker #0

    Ouais, bien sûr. J'avais très envie de faire du cabinet ministériel. et ça a été quand même un apprentissage express du fait que la politique... C'est pas exactement ce qu'on apprend à l'école, c'est-à-dire que c'est pas exactement une recherche rationnelle de l'intérêt général avec un débat d'idées qui finit par aboutir sur une loi de consensus. La politique c'est du rapport de force, c'est des dynamiques, c'est choisir son camp, c'est assumer qu'il peut y avoir des gagnants et des perdants quand on engage une action politique. Et je pense que ça m'a déniaisé sur ce que c'était réellement la politique par rapport à ce que j'avais pu voir dans mes études.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que tu faisais exactement ? Donc c'est quand t'es sorti d'école c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'était un petit peu après, j'avais eu quelques premières expériences, mais c'est ma première grosse expérience. C'est quand t'es conseiller discours, ça peut dépendre des ministres, mais c'est un mélange un peu de prospective, un peu de notes de fond, sur ce qui se passe dans l'opinion, ce qui se peut lire dans la presse, parfois un petit peu des évolutions sur le droit, même s'il y a d'autres conseillers qui sont plus techniques, qui sont chargés de faire ça. Mais donc t'es un peu un espèce de conseiller un peu opinion aussi, et puis tout simplement tu rédiges des discours à la chaîne. Donc il y a des grands discours importants, comme quand la ministre présente son projet de loi devant les députés dans l'hémicycle. Là, tu sais que ça va ster un petit peu. Tu as des discours pendant ses déplacements, quand elle inaugure des choses, quand elle va rendre visite sur le terrain. Ou tu as des discours de légion d'honneur, où il faut découvrir le parcours de quelqu'un et faire un discours en son hommage. Donc voilà, il y a plein de choses. et c'est pas la même chose que ce qu'on appelle les éléments de langage qui sont... plus le fait des conseillers communication, conseillers presse, qui sont les petites phrases, les petits argumentaires que tu prépares avant une matinale, une interview. Et ça, à l'époque, je ne le faisais pas. J'étais vraiment conseiller de discours.

  • Speaker #1

    Ensuite, tu rejoins l'IFOP, donc au moment des Gilets jaunes.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que tu retiens de cette période ? Est-ce que ça t'a influencé dans ta manière de penser la politique ?

  • Speaker #0

    Justement, je disais que dans le cabinet de Myrmé El Khomri, j'avais découvert en tête la loi El Khomri, qui a quand même abouti sur... une scission du PS avec les frondeurs, des 49-3, enfin voilà, c'était dans la douleur. Et j'avoue que j'étais un peu junior et que, pour être tout à fait honnête, je ne comprenais pas très bien ce qui se passait. J'avais l'impression qu'il y avait des choses qui étaient bien dans la loi. Enfin voilà, j'avais une espèce de candeur d'étudiant en sciences politiques qui imaginait qu'on pourrait trouver des compromis, etc. Et qui n'a pas vu qu'il y avait un jeu politique avec, à l'époque, une concurrence entre Emmanuel Macron, Manuel Valls, François Hollande, qui n'avait pas encore dit qu'il ne serait plus candidat. et donc ça a été pris dans le jeu de la politique Et c'est pour ça que j'ai eu envie d'aller dans un institut de sondage pour essayer de mieux comprendre, tout simplement, comment fonctionnait l'opinion, comment fonctionnaient ces rapports de force au sein de la société française et au travers de la vie politique.

  • Speaker #1

    Et comment fonctionne l'opinion alors ?

  • Speaker #0

    La première chose que j'ai... appris ou en tout cas confirmé, c'est qu'il y a des choses beaucoup plus profondes que les sondages qu'on voit tous les jours qui donnent 70% pour ou contre telle mesure, telle déclaration de telle politique, et qu'en fait la société elle est structurée quand même par des très grandes tendances, que ça soit la déchristianisation du pays, la fin des grandes matrices comme le communisme qui structurait énormément le pays, le consumérisme, le rapport à la liberté individuelle, le rapport à la famille, tout ça c'est des choses où à son territoire c'est des choses qui sont extrêmement structurantes. et qui sont assez peu présentes dans le débat public par rapport à réagir à telle ou telle proposition d'un politique. Donc ça, c'est plus de la sociologie, de se plonger un petit peu là-dedans. Et peut-être la deuxième chose importante, qui est peut-être un peu contradictoire avec ce que je viens de dire, c'est que la parole politique, certes, est quand même globalement ignorée. Donc c'est une belle leçon d'humilité quand tu lis des sondages que tel politique a fait une déclaration la veille et que personne ne le voit et que personne n'en a entendu parler. Tu réalises que quand tu étais en cabinet ministériel, souvent tu... travailler pour du vent quoi, donc c'est une belle leçon d'humilité, mais malgré tout il y a quand même des moments où la parole politique est performative et où elle a un impact sur la société et moi ce que j'ai observé de près pendant cette période c'est quand même la montée de la question écologique dans la société puisque j'y étais pile en 2019 qui pour moi est la naissance de la génération climat en fait il y a une succession d'événements qu'on voit à l'époque en institut, il y a d'abord la démission de Nicolas Hulot qui claque la porte un matin en matinale sur France Inter et qui dit en fait je n'ai pas de mouvement d'opinion au dernier mois, je n'ai pas de la société civile qui me soutient dans mes rapports de force avec les autres ministres, avec Bercy, avec les lobbies et donc je suis seul et donc je ne peux plus combattre et ça je comprends très bien ce qui a pu lui arriver. Et en fait après ça, c'est là que naissent un peu en réaction les marches pour le climat et donc qu'émerge un peu cette génération climat. Tu as aussi en même temps l'espèce d'arrivée tonitruante de Greta Thunberg qui quand même devient un émetteur. extrêmement puissant à l'international et donc aussi en France. Et là, en fait, tu vois qu'il y a un effet, c'est que dans les enquêtes, etc., tu vois que même dans les conversations, dans les familles, entre générations, notamment les enfants qui challengent leurs parents à table, tout ça, on le voit. Et en fait, tu vois que la question monte et il y a l'affaire du siècle aussi à ce moment avec l'État qui est condamné. Donc tout ça, c'est des choses hyper structurantes et ça, en fait, ça a une traduction politique assez rapide puisque dès les élections européennes de 2019... Puis les élections municipales de 2020, on a des scores très importants des écologistes, beaucoup plus qu'aujourd'hui, qui vont engager le Green Deal au niveau européen, qui est quand même un texte majeur de la mandature précédente, et qui vont engager un certain nombre de choses en France, notamment la Convention citoyenne pour le climat. Et donc voilà, tout ça pour dire que... il faut plusieurs conditions pour que ça réussisse, et puis c'est aussi une prise de conscience scientifique, les rapports du GIEC, les gens qui voient les inondations, les feux de forêt, etc., qui comprennent qu'il commence à y avoir des répercussions au réchauffement climatique, mais quand même, la mobilisation, ça paye, et la parole politique, ça a bien un effet sur l'opinion, et ça peut avoir une traduction politique.

  • Speaker #1

    Tu disais que t'as le sentiment que la société française change de structure, les valeurs évoluent, et donc... quelque part que l'écologie peut devenir une nouvelle structure ?

  • Speaker #0

    Alors en réalité, c'est pas moi qui le dis, c'est quelque chose d'hyper documenté, hyper connu, enfin il y a quelque chose de... Voilà, la société française a longtemps été structurée par des grandes matrices, c'est des termes qui sont utilisés notamment par Jérôme Fourquet, avec qui j'ai travaillé à l'IFOP, ça a été un pays structuré par le christianisme, puis par le communisme, au milieu de tout ça il y a la république, etc. Et c'est bien connu, il y a une sorte de désenchantement et de fin des grands récits qui ne datent pas d'aujourd'hui, qui datent au moins du 19e, 20e siècle. Et c'est notamment Jérôme Fourquet qui disait « l'écologie peut être cette nouvelle matrice parce que, en fait, c'est quand même un combat qui vaut la peine d'être mené. » On parle quand même de la survie de l'espèce, la survie de la planète. C'est quelque chose qui demande de changer profondément les structures économiques, les rapports même... les structures sociales, l'urbanisme, c'est quand même un grand projet collectif.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a un espoir justement ? J'ai noté aussi que pendant que tu travaillais avec Barbara Pompili, tu dis avoir découvert à ce moment-là le poids des lobbies économiques et l'absence d'interlocuteurs de compromis côté ONG ou syndicats.

  • Speaker #0

    C'est peut-être ça le chénon manquant et c'est peut-être ça aussi qui explique en partie la situation dans laquelle on est aujourd'hui qui est beaucoup plus d'un retour en arrière sur les questions écologiques par rapport à cette période. 2019, 2021, 2022, qui en réalité était une période assez dynamique sur ces questions-là. En fait, je pense que sur la question écologique, on n'a pas la maturité qu'a la question sociale. J'essaye de faire un parallèle, c'est-à-dire que la question sociale, on peut dire qu'elle émerge avec l'industrialisation, la constitution d'une classe ouvrière qui va avoir conscience de ses conditions de travail et qui va s'organiser en syndicat, trouver des relais politiques pour changer le système, pour faire voter des lois sociales, etc. la question écologique il y a eu une prise de conscience de l'opinion, il y a eu une vérité scientifique qui a établi le niveau de dégradation de la situation mais il n'y a pas eu cette espèce de relais au sein de la société civile par des corps intermédiaires pour négocier avec les forces économiques, avec le patronat et avec les pouvoirs publics avec le gouvernement des grandes transformations. Il y a les ONG qui ont joué quand même ce rôle et de manière plutôt efficace au début parce qu'elles ont un rôle de plaidoyer de pression dans l'opinion publique qui est très fort, mais à la fin, quand vous passez de l'autre côté, comme je l'ai fait ensuite dans le cabinet ministériel, en fait, il faut des gens autour de la table pour négocier. Parce que la réalité, c'est qu'une loi, ça va toujours être un compromis. Quand bien même on sait que ça serait mieux qu'elle soit plus ambitieuse sur les questions de réduction de gaz à effet de serre, etc. A la fin de la fin, la société démocratique, c'est une société où il y a des compromis. Et en fait, quand vous êtes ministre de l'écologie, vous n'avez personne autour de la table pour faire des compromis avec vous. Vous avez les scientifiques qui vous disent « voilà ce qu'il faut faire » , vous avez les ONG qui disent « on vous met une pression de dingue pour faire ce que les scientifiques disent » , puis vous avez le, enfin sans vouloir caricaturer, une partie du patronat de l'autre côté qui dit « ça coûte super cher, ça va agréver notre compétitivité » . donc c'est pas possible et puis parfois vous avez même des réactions dans la société comme les gilets jaunes qui je pense pas été anti écolo mais en tout cas ne voulait pas supporter une taxe carbone calais empiété sur leur pouvoir d'achat et en fait vous n'avez pas ce truc qui existe dans le monde social qui sont les syndicats qui permettent de dealer c'est à dire les syndicats sur les questions sociales on deal sur le salaire minimum on deal sur les augmentations de salaire on deal sur le nombre de congés etc et il ya un compromis qui est fait à la fin là sur la question écologique il n'y a pas de deal possible dès que vous n'êtes pas exactement à ce que le GIEC dit de faire, vous avez les ONG contre vous. Et donc, c'est très difficile de construire la loi dans ces conditions. C'est ce que moi, j'ai pu observer. Je ne cherche pas du tout les ONG qui ont un rôle hyper important de mobilisation dans l'opinion publique. Mais en fait, à la fin, autour de la table, il n'y a personne. D'après toi,

  • Speaker #1

    c'est à qui de prendre ces responsabilités pour rentrer dans ce que tu fais aujourd'hui ? Donc, tu travailles à la Maïf qui est un assureur mutualiste. Ce que je comprends, c'est que l'environnement, ça peut être un gros défi même pour vous parce qu'il y a des territoires que vous pourrez... plus assuré si ça devient trop compliqué niveau climat. Donc, est-ce que c'est à l'entreprise de mettre la pression sur l'État ? Est-ce que c'est aux ONG qui le font peut-être déjà ? Pour toi, qui doit prendre le lead dans le dialogue ? Qui doit s'imposer ?

  • Speaker #0

    En matière écologique, mais je pense que ça vaut pour plusieurs choses. Moi, c'est vraiment Spiderman, quoi. C'est grand pouvoir, grande responsabilité. Donc, bien sûr que les individus peuvent faire des choses, mais à la fin... quand vous devez changer le système industriel de production qui existe depuis plus de deux siècles, en fait, c'est les États et les entreprises qui ont les moyens financiers, technologiques, réglementaires pour pouvoir changer la donne. Et donc, c'est bien eux qui doivent basculer les premiers. Et on voit d'ailleurs que quand, avec ce qui se passe en ce moment aux États-Unis avec Donald Trump, quand les puissants décident de revenir en arrière, ça revient en arrière très, très vite. C'est-à-dire que là, les États-Unis sont sortis de l'accord de Paris. la campagne elle était sur le fait de forer à nouveau au maximum pour pouvoir avoir du pétrole pas cher et en fait s'ils le décident ça se passe comme ça et les individus ils peuvent pas grand chose donc c'est bien je dirais au moins le couple état entreprise qui doit mener la transition en investissant des milliards On sait le nombre de milliards d'euros qu'il faut pour pouvoir mener la transition, c'est documenté, il y a eu des rapports. En investissant dans les innovations technologiques, sur les énergies décarbonées, sur les voitures électriques, etc. Sur les pompes à chaleur, il y a des innovations à faire. Et puis en relayant aussi, parce que c'est une bataille culturelle, ce discours, c'est-à-dire le discours de la transition qui est nécessaire pour les entreprises, parce que c'est un coût faramineux. Moi je travaille pour un assureur. Évidemment que le réchauffement climatique, ce n'est pas seulement une obligation morale. ou sociétal, c'est une obligation économique. Si les assureurs ne s'adaptent pas à cette nouvelle donne, ils couleront. C'est tout simplement insoutenable de rembourser les catastrophes naturelles qui ne font qu'augmenter. Toi,

  • Speaker #1

    en tant que directeur de cabinet du DG, quel est ton rôle exactement aujourd'hui ? Comment est-ce que tu peux impacter sur les décisions de l'entreprise ?

  • Speaker #0

    Alors, un directeur de cabinet d'une entreprise, pour ceux qui connaissent, ce n'est pas du tout la même chose qu'un directeur de cabinet d'un ministère. Dans un ministère, un directeur de cabinet, c'est vraiment le ministre numéro 2. Il a un pouvoir de décision, de pilotage de l'action publique qui est très important. Là, c'est un travail de premier collaborateur du directeur général, donc tu as une influence, tu l'aides au quotidien, tu as des idées qu'il peut reprendre, mais ce n'est pas toi qui dirige l'entreprise. Donc voilà, déjà pour dire quel est le pouvoir réel, malgré tout, comme tu as un regard à 360 degrés et que tu peux influencer un tout petit peu la marge de l'entreprise, tu peux avoir des idées, contribuer à valoriser. Par exemple, à la Maïf, on a mis en place quelque chose qui s'appelle le dividende écologique. Donc le dividende écologique, c'est quoi ? C'est 10% des bénéfices annuels de la Maïf qui sont redistribués à des actions en faveur de l'environnement. Et bien ça, il y a des gens qui vont le concevoir, qui vont mettre en place le dispositif. Toi, tu peux aider à donner le maximum de visibilité, de puissance, tout simplement en faisant un plan média, en l'accompagnant. Enfin voilà, on avait fait les matinales de France Inter, on avait fait plusieurs médias importants au moment où on avait annoncé ça, pour espérer que ça puisse faire des petits et que d'autres entreprises le fassent. En fait, le levier principal... Pour un patron, c'est bien sûr l'action dans son entreprise, mais il y a aussi le côté modélisant, c'est-à-dire si tu prouves que ça marche dans ton entreprise, tu peux avoir d'autres entreprises qui décident de le faire. Et comme la question écologique, elle ne peut pas fonctionner si ce n'est pas systémique, le rôle le plus intéressant que tu peux avoir en tant que dire-câble, c'est d'essayer d'augmenter l'influence de ton patron pour que ses idées fassent des petits.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc ton quotidien, est-ce que tu pourrais décrire quand tu arrives au bureau, c'est quoi les premières choses que tu fais ? Est-ce qu'il y a des moments qui se répètent ? Et puis, comment on fait ? Tu parlais de plan média, mais est-ce que c'est un exercice qui est fréquent ou est-ce que c'est deux fois par an ?

  • Speaker #0

    Alors déjà, je pense que vraiment, dire cab, la fonction... Ça dépend totalement d'une entreprise à l'autre. Tu as des patrons qui n'ont pas du tout envie d'être médiatiques et donc cette dimension n'existe pas dans ton job. Tu en as d'autres qui, comme le mien, défendent ses idées sur la place publique et là, ça a une dimension importante. Malgré tout, il y a quand même d'abord un job très interne. C'est-à-dire que tu es là pour favoriser la cohésion, le bon fonctionnement de la gouvernance. La gouvernance, c'est quoi ? C'est conseil d'administration, COMEX, les relations aussi avec les syndicats. S'assurer que le dialogue fonctionne, qu'il n'y a pas de quipropco parce que voilà, une entreprise, c'est pas... non plus un conseil municipal ou une assemblée nationale, mais c'est quand même des gens avec du pouvoir et donc il peut y avoir des relations de pouvoir, il peut y avoir des enjeux d'égo parfois aussi qu'il faut essayer de lisser. T'es là aussi pour t'assurer que la vision du boss est bien cohérente, est bien diffusée dans toute l'entreprise, parce qu'en fait une entreprise c'est quoi ? C'est aussi énormément de grandes messes annuelles, avec des séminaires, des congrès, où tu rassembles les salariés, la Maïf c'est 10 000 salariés, et en fait faut t'assurer que tout le monde partage la même vision. quand même un peu à l'échelle d'un pays, beaucoup plus modestement. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'en fait, justement, t'as plus de levier d'action pour s'assurer qu'on sait qu'on va tous dans le même chemin, que tout le monde a conscience, par exemple, de la question climatique, que tout le monde a conscience des enjeux de diversité, d'inclusion. Tout ça, tu contribues à ce que ça fonctionne bien. Puis après, il y a l'influence extérieure, c'est-à-dire s'assurer qu'il y a une présence médiatique intéressante, qu'il peut rencontrer d'autres patrons intéressants, des intellectuels, des scientifiques, et des hommes politiques, des femmes politiques, pour pouvoir avoir... une influence concrète sur les textes, sur le débat public.

  • Speaker #1

    Est-ce que le fait d'être passé dans le public avant, justement, dans les ministères, de connaître la fabrique de la loi de l'autre côté, est-ce que ça t'aide aujourd'hui ou pas ?

  • Speaker #0

    Oui, alors je rappelle quand même qu'il y a des règles sur les conflits d'intérêts. En tout cas, je n'avais pas le droit d'être en contact avec des gens avec qui j'avais travaillé auparavant. Donc comme il y a un renouvellement rapide dans les cabinets, très vite l'enjeu s'estompe, donc on ne fait pas n'importe quoi. Mais oui, je pense que ce qui aide le plus, c'est de hiérarchiser. C'est-à-dire... comprendre quand un texte est de toute façon intouchable ou au contraire quand il y a une marge de manoeuvre et s'il y a de la marge de manoeuvre par quel canal il faut passer quel argument il faut utiliser parce que tu sais que de l'autre côté comme t'y as été c'est ultra speed et qu'en fait ils vont écouter que si tu as des arguments massue si tu as du poids si tu représente quelque chose et que tu leur propose une solution clé en main c'est à dire que très souvent quand tu es en cabine ministérielle tu as quand même des gens qui viennent partager leurs problèmes qui sont légitimes etc mais avec rarement des solutions. Et en fait, forcément, celui qui arrive en présentant un problème de société, qui n'est pas juste un problème de son entreprise tout seul, mais un problème important, il risque de licencier, il risque de perdre des marchés, et donc de perdre de l'activité économique, et ce n'est pas bon pour un territoire par exemple, c'est mieux s'il vient avec une solution. Et une solution qui tient légalement, d'un point de vue réglementaire, constitutionnel, etc. Donc, t'aides à concevoir quelque chose qui vole.

  • Speaker #1

    T'as acquis le super pouvoir de pouvoir comprendre rapidement les forces en présence et les points clés d'une discussion.

  • Speaker #0

    Quand même, il faut rester modeste parce que ça se renouvelle très vite. Depuis que je suis parti, moi je suis parti à la fin du quinquennat précédent, je sais plus s'il y a eu trois ou quatre gouvernements, donc ça se renouvelle très très vite, pas toujours avec exactement la même coloration politique par ailleurs. Donc voilà, il faut être modeste là-dessus. Mais ce qui est intéressant, c'est que je pense que le quinquennat précédent, le lobbying, il se passait quasi exclusivement au niveau gouvernemental. parce qu'on avait une majorité absolue extrêmement disciplinée. Aujourd'hui, c'est une majorité relative. Donc, il y a beaucoup plus de choses à faire au Parlement et ça peut être plus intéressant. C'est plus compliqué aussi parce qu'à l'époque, quand un ministre avait décidé, ça roulait. Là, ce n'est pas parce que le ministre a décidé, il faut voir avec les députés. Et puis, à l'inverse, parfois, tu as des propositions de députés qui trouvent un chemin. Parce que l'Assemblée s'impose au gouvernement. Et d'un point de vue démocratique, c'est pas plus mal.

  • Speaker #1

    J'ai vu aussi que tu travailles pour le mouvement Impact France, qui est donc entre le MEDEF et les ONG. Est-ce que tu peux expliquer ça ? Est-ce que c'est juste ?

  • Speaker #0

    Alors, moi je travaille pas directement pour Impact France. En fait, Pascal Demianger, le patron de la Maïf, est aussi le co-président de ce mouvement d'entreprise engagé. Co-président avec une fille qui s'appelle Julia Ford, à la tête d'une marque de mode éthique qui s'appelle Loom. Et donc, oui, l'idée, et c'est un peu cohérent avec ce que je disais tout à l'heure sur le fait que Dans la cause écologique, pour moi, il y a un chénon manquant qui est en gros le syndicat écolo, c'est-à-dire la CFDT, la CGT, la FO écolo. Et alors là, la particularité, c'est que c'est un syndicat patronal. C'est un mouvement patronal qui rassemble des dirigeants d'entreprises qui pensent qu'ils ont un intérêt à faire accélérer la transition écologique et sociale. On ne traite pas que de la question écologique, mais c'est quand même assez important. Et donc voilà, ça rassemble des dirigeants qui vont partager leurs problématiques sur les grandes transitions, qui vont formuler des propositions. comme par exemple conditionner des marchés publics à des critères écolos pour favoriser les entreprises qui sont plus avancées sur ces questions-là, et donc envoyer un signal au marché qu'il y a un intérêt à s'engager dans la transition écologique, à moduler la fiscalité, moduler les aides aux entreprises en fonction de ton impact positif, et on l'assume totalement, c'est bien sûr un intérêt bien compris pour nous, parce que nous on estime que ça favorisera les entreprises du mouvement Impact France. Donc c'est en sac, c'est un lobby, c'est un syndicat, mais dont la cause rejoint l'intérêt général. Moi, ce qui est intéressant, c'est que je trouve que quand on va voir des ministres, on porte quelque chose de différent du discours classique patronal sur moins de charges, moins de réglementation, qui peut être tout à fait légitime pour favoriser la compétitivité. Et on vient les voir en leur disant, en fait, il faudrait nous aider à faire la transition écologique, il faudrait des aides plus ciblées sur ces questions-là. Et nous, en tant qu'entreprise, on vous dit que ça serait utile pour l'économie. Et par ailleurs, on est capable de dealer, ça veut dire de négocier, de dire, nous, on aimerait obtenir ça, mais si... trouve un point d'accord sur ça, ça serait super. Et on le dira publiquement, on le dira médiatiquement.

  • Speaker #1

    Si toi, tu avais le pouvoir de pousser une politique en particulier, là, tu parles du coup d'aide, de cibler quelques niches économiques ou quelques endroits, qu'est-ce que tu ferais ? Quelle est pour toi la priorité ?

  • Speaker #0

    Par exemple, il y a quand même, c'est assez documenté, il y a le crédit impôt recherche, qui est une aide de plusieurs milliards d'euros à destination des entreprises qui sont utilisées chaque année par les entreprises pour financer leur recherche et développement. on pourrait totalement mettre quelques critères pour favoriser la recherche en faveur de la transition écologique. Aujourd'hui, c'est tout type de recherche. Ça peut être une entreprise de cosmétique qui va faire de la recherche pour développer des nouveaux produits cosmétiques, ce qui peut être très bien, et avoir du chiffre d'affaires, et avoir des parts de marché, et c'est bien pour l'économie française, mais il n'y a pas de finalité d'impact, ni écologique, ni sociale. On pourrait mettre des critères, et donc piloter un peu la recherche et le développement, et donc... aider l'économie française à pivoter plus rapidement vers la transition. Ça, c'est un exemple parmi d'autres. Je prends cette aide parce que c'est l'aide la plus importante aux entreprises en France.

  • Speaker #1

    Super clair. On va passer à la séquence vrai-faux. Donc, je te dis une phrase. Tu me dis si c'est vrai ou faux. Évidemment, tu peux développer si tu le souhaites.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    Première phrase, on comprend mieux la politique à l'IFOP qu'à Matignon.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est plutôt faux. Je pense qu'on peut comprendre mieux la société à l'IFOP ou dans un institut de sondage. Mais la politique, ça reste avant tout une pratique. c'est un sport de combat au quotidien et c'est pas un savoir. Bien sûr que c'est mieux de connaître ces classiques, c'est mieux d'avoir des références historiques, c'est mieux de comprendre les équilibres économiques et sociaux dans le pays, mais à la fin de la fin, quand tu veux faire passer une loi, un amendement, une idée, c'est d'abord que tu vas prendre un risque, tu vas aller dans la presse, tu vas proposer quelque chose, que tu vas essayer de rassembler des gens autour de toi et que tu vas essayer de peser dans le débat public et d'obtenir un vote majoritaire à la fin tout simplement. Et ça, c'est beaucoup plus un art, un sport qu'un savoir.

  • Speaker #1

    La seconde affirmation, c'est une entreprise engagée peut faire plus pour l'écologie qu'un ministère.

  • Speaker #0

    Je dirais faux. Je pense que les entreprises sont indispensables et qu'elles doivent et qu'elles peuvent faire énormément et que ça ne marchera pas sans elles. Il n'y aura pas de voiture électrique sans constructeurs automobiles qui construisent des voitures électriques. Mais rien ne remplace une loi, une interdiction de vendre des choses néfastes pour l'environnement. et quand même un budget d'État qui dépense des milliards dans la transition écologique, c'est toujours mieux et ça oriente quand même très fortement l'économie.

  • Speaker #1

    Et la dernière phrase, les ONG sont aujourd'hui hors-jeu dans la fabrique des compromis.

  • Speaker #0

    Je dirais que malheureusement, plutôt oui. Ils ont un rôle toujours hyper important d'alerte, de sensibilisation de l'opinion, pour faire monter des sujets, mais je me permets de dire ça notamment parce que j'ai vu une étude d'un think tank qui s'appelle Parlons Climat et qui montrait qu'en fait, l'adhésion aux ONG et la crédibilité des ONG en dehors des gens qui étaient déjà convaincus, Merci. de la question écologique, étaient très faibles. Donc je pense que, voilà, par des modes de communication, des postures, pour le très grand public, ils apparaissent moins comme des acteurs de solutions, de contre-militantisme.

  • Speaker #1

    On le voit comme du militantisme.

  • Speaker #0

    Ce qui est très bien. Heureusement qu'il y a des gens qui défendent la cause écologique, surtout en ce moment. Enfin, il y a quand même un tel backlash, un tel recours en arrière, que les ONG sont fondamentales. Mais par contre, à la fin de la fin, quand il faut faire une loi, quand il faut trouver des solutions techniques, et dealer avec le pouvoir. Et donc, ça veut dire accepter que les choses ne soient pas parfaites. Je pense que ce n'est pas dans leur culture et qu'en fait, il manque un acteur, il manque des acteurs. Et notamment, je pense, Impact France vise modestement à combler un peu ce vide.

  • Speaker #1

    Merci David, on va passer à la séquence sur ta vision propre. Tu as vu la politique de très près. Qu'est-ce que tu retiens de plus précieux dans ton parcours ? Est-ce que tu as des leçons, des anecdotes à partager ?

  • Speaker #0

    Alors, je ne suis pas encore un vieux sage, mais modestement... j'ai la conviction que ceux qui détiennent la parole politique ont une grande responsabilité et doivent pas l'utiliser n'importe comment. Je donne un exemple, c'est-à-dire qu'en positif, ça peut vraiment rassembler la société dans des moments cruciaux. Moi je l'avais vu au moment des attentats islamistes qu'ont frappé la France dans les années 2015-2016. Il y a eu à ce moment, globalement, un monde politique qui a appelé à ne pas faire d'amalgame entre les islamistes et les musulmans dans la société française, et on a vu dans les études que ça a fonctionné. Ça a fonctionné dans la société, il n'y a pas eu de représailles, il y a eu des manifestations pour défendre la République, etc. Mais il y a eu vraiment un discours quand même assez rassembleur et assez pacifique à un moment où on était soumis à une violence extrême. Et ça, je pense vraiment que dans ces moments, si tu as un dirigeant, notamment le plus haut, le président de la République ou des ministres qui ont un discours de clivage et de conflictualité dans ces moments-là, ça peut vraiment partir en sucette. Et je pense que... La parole politique a une valeur performative dans ces moments-là, et à l'inverse, c'est le principe de la fenêtre d'Overton, plus tu dis des atrocités, des énormités, plus tu ouvres le champ, et tu libères la parole politique, et les idées, et finalement les comportements politiques dans la société, avec tous les risques que ça engendre. Donc voilà, je pense que le plus important c'est de jamais sous-estimer l'importance de bien réfléchir à ce qu'on dit quand on fait de la politique.

  • Speaker #1

    Ce qui m'intéresse aussi, c'est de savoir ta vision à toi de la société dans laquelle on devrait vivre, vers laquelle on devrait tendre. Donc, tu as un parcours qui est hyper marqué politiquement. C'est à baigner dedans quasiment toute ta vie professionnelle. Est-ce que tu as une vision que tu portes, des valeurs ?

  • Speaker #0

    Alors là, encore une fois, très modestement, je pense que ce que j'aimerais, c'est aller vers une société plus adulte. Je pense qu'il y a quelque chose qui est peut-être un peu... particulier à la France qui est un pays ultra centralisé avec la Vème République qui crée un pouvoir extrêmement important au sommet de l'État, où il y a une sorte de manque d'autonomisation des gens et aussi de responsabilisation qui va avec l'autonomie. Et donc il y a quelque chose d'assez infantilisant dans notre rapport au pouvoir politique. Moi je l'ai vu pendant la période Covid, les premiers confinements où j'étais au gouvernement. Le réflexe du pouvoir politique, ça a quand même été vraiment de dire aux gens, aux millimètres, ce qu'ils devaient faire. Et j'ai envie de dire... que la société en redemandait. Et donc ça crée un truc malsain où on est habitué à être infantilisé par le pouvoir politique, le pouvoir politique est habitué à nous infantiliser, et c'est un cycle infernal. Et en fait, à la fin, on ne supporte plus ça parce que non, en vrai, on est des adultes, on a envie de prendre des décisions de manière un peu autonome. Et donc tout ça pour dire que je pense qu'on a les moyens, on a une société éduquée, diplômée, démocratique depuis très longtemps, de laisser beaucoup plus de place. à l'autonomie des individus dans le fonctionnement de la société et beaucoup plus de place aussi à la démocratie. Moi, je crois beaucoup aux conventions citoyennes. Je n'oublie pas que les Gilets jaunes, leur demande principale, c'était le RIC, le référendum d'initiative citoyenne. Je ne dis pas qu'il faut le faire dans tous les sens, n'importe comment, etc. et qu'il faut invoquer le référendum pour n'importe quelle proposition de loi. C'est quand même le bazooka de la démocratie. Mais on ne peut pas avoir des consultations des citoyens uniquement lors... des présidentielles parce qu'en gros, c'est l'élection phare et tout le reste, en fait, on ne consulte pas trop ou pour de faux ou à côté. Donc voilà, je pense que j'aimerais qu'on parte de l'a priori que la société est adulte, mais ça veut dire aussi qu'elle doit se comporter en adulte et accepter parfois de perdre des combats politiques et de faire des compromis. Mais ça veut dire que le pouvoir politique lui-même doit donner beaucoup plus de marge de manœuvre, de poids à des consultations autres. que les grandes, grandes élections nationales.

  • Speaker #1

    C'est vrai que ça rejoint... Alors là, j'ai pas de question, mais ça rejoint une autre discussion que j'avais ici dans Hémicycle, concernant la convention climat. Où donc, l'idée était bonne de faire intervenir des citoyens sur la fabrique de la loi, sauf que de manière assez infantilisante, on leur a dit, tout ce que vous allez dire ici sera repris sans filtre, ce qui n'était pas possible. Et donc forcément, il y a eu une frustration, et on a l'impression que c'est une manipulation politique...

  • Speaker #0

    Alors je pense que, je sais pas si vraiment, s'il y a du machiavélisme, c'est plutôt de la légèreté du pouvoir politique dans la gestion du dispositif, et effectivement c'est se dire qu'on peut pas prendre les gens pour des adultes. En fait les 150 citoyens qui ont été tirés au sort, je suis absolument certain que si on leur avait dit vous allez faire des propositions, elles vont contribuer au débat public, elles vont être examinées par le gouvernement, par le législateur, qui à la fin, parce qu'il a le pouvoir souverain et démocratique et constitutionnel, c'est lui qui décidera. En fait, on leur a fait croire... qui se substituaient aux législateurs. Alors qu'ils n'en avaient pas la légitimité. C'est un tirage au sort, c'est hyper important, c'est hyper intéressant, c'est hyper précieux, mais c'est pas législateur. Et en fait, on les a pris pour des enfants, et je pense qu'ils se sont sentis humiliés, qu'on leur avait fait croire qu'ils allaient vraiment changer le droit du jour au lendemain. et qu'en réalité, ils l'ont très mal vécu. Et ce qui est dommage, c'est qu'en réalité, il y a eu une loi qui a appliqué cette convention qui s'appelle la loi Climat et Résilience, qui avait des centaines d'articles de transposition de la Convention citoyenne pour le climat, mais qui avait fait l'objet, bah oui, d'examens budgétaires, réglementaires, à l'Assemblée nationale, et donc qui n'était pas le même texte que celui de la convention. Mais on a retenu que rien n'était sorti de la convention, alors que c'est faux, parce que le procès avait été humiliant pour les conventionnels. Donc ça, je pense que c'est un exemple. Très parlant d'une société qui n'arrive pas à régler ses problèmes de manière adulte.

  • Speaker #1

    En parlant d'adulte, du coup, si tu avais un conseil à donner au David qui sort d'école, si tu pouvais le voir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Franchement, j'ai l'impression que j'ai fait à peu près ce que j'avais envie de faire. Donc peut-être d'oser encore plus, de rencontrer encore plus de monde. Peut-être que j'avais un côté très scolaire en me disant il suffit d'être bon élève et de bien bien travailler pour pouvoir progresser, ce qui n'est pas faux. Il faut être performant dans son job. Mais en fait, il ne faut jamais oublier que tout dépend des opportunités, des gens que tu rencontres, des nouvelles idées que tu peux avoir en voyant d'autres domaines, d'autres secteurs. Donc voilà, c'est un conseil même que je donne maintenant à des gens un peu plus jeunes qui viennent me voir parfois pour savoir comment évoluer en politique ou dans le monde des grandes entreprises. Je leur dis fais exactement ce que tu es en train de faire, c'est à dire rencontrer des gens, discuter, élargir ton horizon.

  • Speaker #1

    Pour aller à nos horizons, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager, David ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai peut-être une recommandation, c'est le livre La puissance de la douceur de la philosophe Anne Dufour-Mantel. Je pense que ça m'a marqué parce qu'on est dans une période plutôt de très grande brutalité, de retour de la pure force avec Donald Trump, voire de la menace, voire de la volonté d'en finir avec l'ennemi. Je veux dire, c'est vraiment une rupture totale avec ce qu'on a connu. depuis des décennies. Et ce livre, La puissance de la douceur, montre qu'en fait, la douceur, c'est quelque chose qui peut aussi être très efficace pour faire avancer la société, pour obtenir des choses, et puis pour aller bien dans sa vie. Donc c'est un bouquin pour ne pas renoncer à ça, malgré la brutalité actuelle.

  • Speaker #1

    Merci David, on arrive au bout de cet entretien. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voulais exprimer ici que tu n'as pas encore eu le temps de développer ?

  • Speaker #0

    Peut-être parce que comme on parlait globalement de la question du poids de la parole politique et aussi de mon l'espoir qu'on aille vers une société plus adulte. Il y a eu un moment qui, pour moi, m'a beaucoup conforté dans cette conviction, c'est la période du premier confinement, où on est plutôt parti au début sur une gestion très infantilisante de la crise. Bon, il y avait la nécessité quand même de gérer quelque chose de totalement extraordinaire, mais en fait, et on l'a vu dans les études d'opinion à l'époque, il y a un moment clé, c'est le jour où Edouard Philippe, un dimanche, fait une conférence de presse et dit « Aujourd'hui, je vais vous dire ce que je sais et ce que je ne sais pas. » Et en fait, c'est un moment où il reconnaît sa vulnérabilité, il reconnaît les limites de son pouvoir, et il dit à la société française, je vais tout simplement être transparent et honnête avec vous, il y a des choses que je ne maîtrise pas, il y a des choses que je ne sais pas, et je trouve qu'il y a eu un effet performatif énorme à ce moment-là, c'est à ce moment-là qu'il y a ce code de popularité qui explose. Donc ça montre bien que, je pense, la société française est prête à entendre que le politique ne peut pas tout, que l'État ne peut pas tout, qu'on peut aussi trouver des solutions à notre niveau, et qu'en tout cas, les gens sont en attente d'un discours authentique. transparent sur la réalité du pouvoir. Et je pense que si on faisait un peu plus ça, ça détendrait tout le monde et on arriverait peut-être un peu plus à faire avancer les choses.

  • Speaker #1

    Pour rebondir juste sur ce que tu viens de dire, tu disais tout à l'heure qu'un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Donc l'État doit prendre ses responsabilités, mais il doit reconnaître qu'il ne peut pas tout. Donc, est-ce que ça veut dire qu'il faut qu'on suive l'État même s'il ne voit pas tout quelque part un peu en tâtonnant ?

  • Speaker #0

    En fait, un leader, quel qu'il soit, se grandit énormément à reconnaître ses limites. Et je pense qu'il peut même avoir un leadership beaucoup plus puissant et une capacité à entraîner les gens beaucoup plus puissantes s'il reconnaît qu'il est un homme parmi les hommes ou une femme parmi les femmes. Et donc les gens vont se reconnaître dans cette façon humaine et normale d'incarner le pouvoir et vont accepter qu'il y ait des imperfections. Mais ça ne veut pas dire pour autant... que l'État ne doit pas impulser, donner des directions, faire des choix ultra structurants pour le pays. Et en fait, normalement, il tire sa légitimité du débat démocratique parce qu'il est incarné par des politiques qui ont été élues. Donc c'est plus un mode de pratique du pouvoir qu'une limitation de la responsabilité de l'État. Je pense que les pouvoirs publics restent quand même responsables de nous mettre sur les bons rails et de prendre les bonnes décisions pour le pays. il n'est pas obligé de le faire en maintenant le mythe qu'il est capable de tout et qu'il est omniscient, omnipotent. C'est quelque chose qui ne peut pas fonctionner parce que c'est faux.

  • Speaker #1

    Super, merci beaucoup David.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup. A la prochaine.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le co-fondateur de l'Egywatch, la plateforme qui vous aide dans votre veille institutionnelle.

  • Speaker #0

    A bientôt.

Description

David Nguyen a été conseiller discours, puis directeur adjoint de cabinet auprès de plusieurs ministres, avant de rejoindre l’IFOP pour observer la société française et aujourd’hui la MAIF, où il accompagne une entreprise mutualiste face aux défis écologiques.

Dans cet épisode, il raconte son parcours entre coulisses du pouvoir et engagement pour une transition plus collective et plus adulte.


On parle de :

  • Son apprentissage express de la politique au ministère du Travail, lors de la loi El Khomri

  • La montée fulgurante de la conscience écologique à partir de 2019

  • L’absence de contrepoids dans le débat public qui complique la fabrique de compromis sur l’écologie

  • Son rôle à la MAIF et l’expérience du dividende écologique

  • Le nécessaire rapport plus adulte entre citoyens et dirigeants

  • Et de son espoir que l’écologie devienne une nouvelle matrice structurante de la société française


💬 « Le plus important, c’est de ne jamais sous-estimer la puissance de la parole politique. Elle peut rassembler ou diviser. »

Un échange riche et sans langue de bois sur l’impact réel des mots, des lois et de l’engagement collectif.


Vous pouvez contacter Pierre sur Linkedin.

Vous souhaitez en savoir plus sur Legiwatch ou participer au podcast ? Prenez rendez-vous avec nous ici.

Vous souhaitez sponsoriser Hémicycle ou nous proposer un partenariat ? Contactez nous via ce formulaire.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le plus important, c'est de jamais sous-estimer l'importance de bien réfléchir à ce qu'on dit quand on fait de la politique. Là, sur la question écologique, il n'y a pas de deal possible. Dès que vous n'êtes pas exactement à ce que le GIEC dit de faire, vous avez les ONG contre vous. Et donc, c'est très difficile de construire la loi dans ces conditions. C'est bien, je dirais, au moins le couple État-entreprise qui doit mener la transition en investissant des milliards.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle Légit Watch et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir David Enguyen. David, tu es directeur de cabinet du directeur général de la Maïf. Tu es passé par les cabinets de Myriam El Khomri, Elisabeth Borne et Barbara Pompili, mais aussi par l'IFOP au contact des grandes tendances d'opinion. Et donc tu as vu la fabrique des politiques publiques de l'intérieur. dans des moments critiques, loi travail, gilets jaunes, covid, convention, climat et maintenant t'accompagne une entreprise de l'autre côté du débat public. Salut David !

  • Speaker #0

    Salut !

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux ajouter quelque chose à cette description, à ton parcours ?

  • Speaker #0

    Bah écoute, c'est un détail mais il y a un moment j'ai aussi fait une année de césure avec un groupe de rock, donc pour dire que c'est possible de faire plusieurs choses dans sa vie avant de faire de la politique.

  • Speaker #1

    Et tu continues le rock ?

  • Speaker #0

    Non, plus trop non.

  • Speaker #1

    Tu joues quoi ?

  • Speaker #0

    Tu chantes ? J'étais chanteur du groupe, c'était la grande période des Strokes, des Arctic Monkeys, donc il fallait en être. Et après mes études, on a tous fait une année de césure, mais en sachant très bien qu'on reprendrait notre parcours. Et voilà, on ne voulait pas avoir de crise de la cinquantaine en se disant qu'on aurait dû le faire. Donc, on est très content de l'avoir fait.

  • Speaker #1

    Trop bien. Côté écriture politique, en tout cas monde politique, j'ai vu que tu avais commencé en 2016 comme conseiller de discours de Myriam El Khomri. Ouais. Est-ce que tu peux parler de ce moment ?

  • Speaker #0

    Ouais, bien sûr. J'avais très envie de faire du cabinet ministériel. et ça a été quand même un apprentissage express du fait que la politique... C'est pas exactement ce qu'on apprend à l'école, c'est-à-dire que c'est pas exactement une recherche rationnelle de l'intérêt général avec un débat d'idées qui finit par aboutir sur une loi de consensus. La politique c'est du rapport de force, c'est des dynamiques, c'est choisir son camp, c'est assumer qu'il peut y avoir des gagnants et des perdants quand on engage une action politique. Et je pense que ça m'a déniaisé sur ce que c'était réellement la politique par rapport à ce que j'avais pu voir dans mes études.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que tu faisais exactement ? Donc c'est quand t'es sorti d'école c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'était un petit peu après, j'avais eu quelques premières expériences, mais c'est ma première grosse expérience. C'est quand t'es conseiller discours, ça peut dépendre des ministres, mais c'est un mélange un peu de prospective, un peu de notes de fond, sur ce qui se passe dans l'opinion, ce qui se peut lire dans la presse, parfois un petit peu des évolutions sur le droit, même s'il y a d'autres conseillers qui sont plus techniques, qui sont chargés de faire ça. Mais donc t'es un peu un espèce de conseiller un peu opinion aussi, et puis tout simplement tu rédiges des discours à la chaîne. Donc il y a des grands discours importants, comme quand la ministre présente son projet de loi devant les députés dans l'hémicycle. Là, tu sais que ça va ster un petit peu. Tu as des discours pendant ses déplacements, quand elle inaugure des choses, quand elle va rendre visite sur le terrain. Ou tu as des discours de légion d'honneur, où il faut découvrir le parcours de quelqu'un et faire un discours en son hommage. Donc voilà, il y a plein de choses. et c'est pas la même chose que ce qu'on appelle les éléments de langage qui sont... plus le fait des conseillers communication, conseillers presse, qui sont les petites phrases, les petits argumentaires que tu prépares avant une matinale, une interview. Et ça, à l'époque, je ne le faisais pas. J'étais vraiment conseiller de discours.

  • Speaker #1

    Ensuite, tu rejoins l'IFOP, donc au moment des Gilets jaunes.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que tu retiens de cette période ? Est-ce que ça t'a influencé dans ta manière de penser la politique ?

  • Speaker #0

    Justement, je disais que dans le cabinet de Myrmé El Khomri, j'avais découvert en tête la loi El Khomri, qui a quand même abouti sur... une scission du PS avec les frondeurs, des 49-3, enfin voilà, c'était dans la douleur. Et j'avoue que j'étais un peu junior et que, pour être tout à fait honnête, je ne comprenais pas très bien ce qui se passait. J'avais l'impression qu'il y avait des choses qui étaient bien dans la loi. Enfin voilà, j'avais une espèce de candeur d'étudiant en sciences politiques qui imaginait qu'on pourrait trouver des compromis, etc. Et qui n'a pas vu qu'il y avait un jeu politique avec, à l'époque, une concurrence entre Emmanuel Macron, Manuel Valls, François Hollande, qui n'avait pas encore dit qu'il ne serait plus candidat. et donc ça a été pris dans le jeu de la politique Et c'est pour ça que j'ai eu envie d'aller dans un institut de sondage pour essayer de mieux comprendre, tout simplement, comment fonctionnait l'opinion, comment fonctionnaient ces rapports de force au sein de la société française et au travers de la vie politique.

  • Speaker #1

    Et comment fonctionne l'opinion alors ?

  • Speaker #0

    La première chose que j'ai... appris ou en tout cas confirmé, c'est qu'il y a des choses beaucoup plus profondes que les sondages qu'on voit tous les jours qui donnent 70% pour ou contre telle mesure, telle déclaration de telle politique, et qu'en fait la société elle est structurée quand même par des très grandes tendances, que ça soit la déchristianisation du pays, la fin des grandes matrices comme le communisme qui structurait énormément le pays, le consumérisme, le rapport à la liberté individuelle, le rapport à la famille, tout ça c'est des choses où à son territoire c'est des choses qui sont extrêmement structurantes. et qui sont assez peu présentes dans le débat public par rapport à réagir à telle ou telle proposition d'un politique. Donc ça, c'est plus de la sociologie, de se plonger un petit peu là-dedans. Et peut-être la deuxième chose importante, qui est peut-être un peu contradictoire avec ce que je viens de dire, c'est que la parole politique, certes, est quand même globalement ignorée. Donc c'est une belle leçon d'humilité quand tu lis des sondages que tel politique a fait une déclaration la veille et que personne ne le voit et que personne n'en a entendu parler. Tu réalises que quand tu étais en cabinet ministériel, souvent tu... travailler pour du vent quoi, donc c'est une belle leçon d'humilité, mais malgré tout il y a quand même des moments où la parole politique est performative et où elle a un impact sur la société et moi ce que j'ai observé de près pendant cette période c'est quand même la montée de la question écologique dans la société puisque j'y étais pile en 2019 qui pour moi est la naissance de la génération climat en fait il y a une succession d'événements qu'on voit à l'époque en institut, il y a d'abord la démission de Nicolas Hulot qui claque la porte un matin en matinale sur France Inter et qui dit en fait je n'ai pas de mouvement d'opinion au dernier mois, je n'ai pas de la société civile qui me soutient dans mes rapports de force avec les autres ministres, avec Bercy, avec les lobbies et donc je suis seul et donc je ne peux plus combattre et ça je comprends très bien ce qui a pu lui arriver. Et en fait après ça, c'est là que naissent un peu en réaction les marches pour le climat et donc qu'émerge un peu cette génération climat. Tu as aussi en même temps l'espèce d'arrivée tonitruante de Greta Thunberg qui quand même devient un émetteur. extrêmement puissant à l'international et donc aussi en France. Et là, en fait, tu vois qu'il y a un effet, c'est que dans les enquêtes, etc., tu vois que même dans les conversations, dans les familles, entre générations, notamment les enfants qui challengent leurs parents à table, tout ça, on le voit. Et en fait, tu vois que la question monte et il y a l'affaire du siècle aussi à ce moment avec l'État qui est condamné. Donc tout ça, c'est des choses hyper structurantes et ça, en fait, ça a une traduction politique assez rapide puisque dès les élections européennes de 2019... Puis les élections municipales de 2020, on a des scores très importants des écologistes, beaucoup plus qu'aujourd'hui, qui vont engager le Green Deal au niveau européen, qui est quand même un texte majeur de la mandature précédente, et qui vont engager un certain nombre de choses en France, notamment la Convention citoyenne pour le climat. Et donc voilà, tout ça pour dire que... il faut plusieurs conditions pour que ça réussisse, et puis c'est aussi une prise de conscience scientifique, les rapports du GIEC, les gens qui voient les inondations, les feux de forêt, etc., qui comprennent qu'il commence à y avoir des répercussions au réchauffement climatique, mais quand même, la mobilisation, ça paye, et la parole politique, ça a bien un effet sur l'opinion, et ça peut avoir une traduction politique.

  • Speaker #1

    Tu disais que t'as le sentiment que la société française change de structure, les valeurs évoluent, et donc... quelque part que l'écologie peut devenir une nouvelle structure ?

  • Speaker #0

    Alors en réalité, c'est pas moi qui le dis, c'est quelque chose d'hyper documenté, hyper connu, enfin il y a quelque chose de... Voilà, la société française a longtemps été structurée par des grandes matrices, c'est des termes qui sont utilisés notamment par Jérôme Fourquet, avec qui j'ai travaillé à l'IFOP, ça a été un pays structuré par le christianisme, puis par le communisme, au milieu de tout ça il y a la république, etc. Et c'est bien connu, il y a une sorte de désenchantement et de fin des grands récits qui ne datent pas d'aujourd'hui, qui datent au moins du 19e, 20e siècle. Et c'est notamment Jérôme Fourquet qui disait « l'écologie peut être cette nouvelle matrice parce que, en fait, c'est quand même un combat qui vaut la peine d'être mené. » On parle quand même de la survie de l'espèce, la survie de la planète. C'est quelque chose qui demande de changer profondément les structures économiques, les rapports même... les structures sociales, l'urbanisme, c'est quand même un grand projet collectif.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a un espoir justement ? J'ai noté aussi que pendant que tu travaillais avec Barbara Pompili, tu dis avoir découvert à ce moment-là le poids des lobbies économiques et l'absence d'interlocuteurs de compromis côté ONG ou syndicats.

  • Speaker #0

    C'est peut-être ça le chénon manquant et c'est peut-être ça aussi qui explique en partie la situation dans laquelle on est aujourd'hui qui est beaucoup plus d'un retour en arrière sur les questions écologiques par rapport à cette période. 2019, 2021, 2022, qui en réalité était une période assez dynamique sur ces questions-là. En fait, je pense que sur la question écologique, on n'a pas la maturité qu'a la question sociale. J'essaye de faire un parallèle, c'est-à-dire que la question sociale, on peut dire qu'elle émerge avec l'industrialisation, la constitution d'une classe ouvrière qui va avoir conscience de ses conditions de travail et qui va s'organiser en syndicat, trouver des relais politiques pour changer le système, pour faire voter des lois sociales, etc. la question écologique il y a eu une prise de conscience de l'opinion, il y a eu une vérité scientifique qui a établi le niveau de dégradation de la situation mais il n'y a pas eu cette espèce de relais au sein de la société civile par des corps intermédiaires pour négocier avec les forces économiques, avec le patronat et avec les pouvoirs publics avec le gouvernement des grandes transformations. Il y a les ONG qui ont joué quand même ce rôle et de manière plutôt efficace au début parce qu'elles ont un rôle de plaidoyer de pression dans l'opinion publique qui est très fort, mais à la fin, quand vous passez de l'autre côté, comme je l'ai fait ensuite dans le cabinet ministériel, en fait, il faut des gens autour de la table pour négocier. Parce que la réalité, c'est qu'une loi, ça va toujours être un compromis. Quand bien même on sait que ça serait mieux qu'elle soit plus ambitieuse sur les questions de réduction de gaz à effet de serre, etc. A la fin de la fin, la société démocratique, c'est une société où il y a des compromis. Et en fait, quand vous êtes ministre de l'écologie, vous n'avez personne autour de la table pour faire des compromis avec vous. Vous avez les scientifiques qui vous disent « voilà ce qu'il faut faire » , vous avez les ONG qui disent « on vous met une pression de dingue pour faire ce que les scientifiques disent » , puis vous avez le, enfin sans vouloir caricaturer, une partie du patronat de l'autre côté qui dit « ça coûte super cher, ça va agréver notre compétitivité » . donc c'est pas possible et puis parfois vous avez même des réactions dans la société comme les gilets jaunes qui je pense pas été anti écolo mais en tout cas ne voulait pas supporter une taxe carbone calais empiété sur leur pouvoir d'achat et en fait vous n'avez pas ce truc qui existe dans le monde social qui sont les syndicats qui permettent de dealer c'est à dire les syndicats sur les questions sociales on deal sur le salaire minimum on deal sur les augmentations de salaire on deal sur le nombre de congés etc et il ya un compromis qui est fait à la fin là sur la question écologique il n'y a pas de deal possible dès que vous n'êtes pas exactement à ce que le GIEC dit de faire, vous avez les ONG contre vous. Et donc, c'est très difficile de construire la loi dans ces conditions. C'est ce que moi, j'ai pu observer. Je ne cherche pas du tout les ONG qui ont un rôle hyper important de mobilisation dans l'opinion publique. Mais en fait, à la fin, autour de la table, il n'y a personne. D'après toi,

  • Speaker #1

    c'est à qui de prendre ces responsabilités pour rentrer dans ce que tu fais aujourd'hui ? Donc, tu travailles à la Maïf qui est un assureur mutualiste. Ce que je comprends, c'est que l'environnement, ça peut être un gros défi même pour vous parce qu'il y a des territoires que vous pourrez... plus assuré si ça devient trop compliqué niveau climat. Donc, est-ce que c'est à l'entreprise de mettre la pression sur l'État ? Est-ce que c'est aux ONG qui le font peut-être déjà ? Pour toi, qui doit prendre le lead dans le dialogue ? Qui doit s'imposer ?

  • Speaker #0

    En matière écologique, mais je pense que ça vaut pour plusieurs choses. Moi, c'est vraiment Spiderman, quoi. C'est grand pouvoir, grande responsabilité. Donc, bien sûr que les individus peuvent faire des choses, mais à la fin... quand vous devez changer le système industriel de production qui existe depuis plus de deux siècles, en fait, c'est les États et les entreprises qui ont les moyens financiers, technologiques, réglementaires pour pouvoir changer la donne. Et donc, c'est bien eux qui doivent basculer les premiers. Et on voit d'ailleurs que quand, avec ce qui se passe en ce moment aux États-Unis avec Donald Trump, quand les puissants décident de revenir en arrière, ça revient en arrière très, très vite. C'est-à-dire que là, les États-Unis sont sortis de l'accord de Paris. la campagne elle était sur le fait de forer à nouveau au maximum pour pouvoir avoir du pétrole pas cher et en fait s'ils le décident ça se passe comme ça et les individus ils peuvent pas grand chose donc c'est bien je dirais au moins le couple état entreprise qui doit mener la transition en investissant des milliards On sait le nombre de milliards d'euros qu'il faut pour pouvoir mener la transition, c'est documenté, il y a eu des rapports. En investissant dans les innovations technologiques, sur les énergies décarbonées, sur les voitures électriques, etc. Sur les pompes à chaleur, il y a des innovations à faire. Et puis en relayant aussi, parce que c'est une bataille culturelle, ce discours, c'est-à-dire le discours de la transition qui est nécessaire pour les entreprises, parce que c'est un coût faramineux. Moi je travaille pour un assureur. Évidemment que le réchauffement climatique, ce n'est pas seulement une obligation morale. ou sociétal, c'est une obligation économique. Si les assureurs ne s'adaptent pas à cette nouvelle donne, ils couleront. C'est tout simplement insoutenable de rembourser les catastrophes naturelles qui ne font qu'augmenter. Toi,

  • Speaker #1

    en tant que directeur de cabinet du DG, quel est ton rôle exactement aujourd'hui ? Comment est-ce que tu peux impacter sur les décisions de l'entreprise ?

  • Speaker #0

    Alors, un directeur de cabinet d'une entreprise, pour ceux qui connaissent, ce n'est pas du tout la même chose qu'un directeur de cabinet d'un ministère. Dans un ministère, un directeur de cabinet, c'est vraiment le ministre numéro 2. Il a un pouvoir de décision, de pilotage de l'action publique qui est très important. Là, c'est un travail de premier collaborateur du directeur général, donc tu as une influence, tu l'aides au quotidien, tu as des idées qu'il peut reprendre, mais ce n'est pas toi qui dirige l'entreprise. Donc voilà, déjà pour dire quel est le pouvoir réel, malgré tout, comme tu as un regard à 360 degrés et que tu peux influencer un tout petit peu la marge de l'entreprise, tu peux avoir des idées, contribuer à valoriser. Par exemple, à la Maïf, on a mis en place quelque chose qui s'appelle le dividende écologique. Donc le dividende écologique, c'est quoi ? C'est 10% des bénéfices annuels de la Maïf qui sont redistribués à des actions en faveur de l'environnement. Et bien ça, il y a des gens qui vont le concevoir, qui vont mettre en place le dispositif. Toi, tu peux aider à donner le maximum de visibilité, de puissance, tout simplement en faisant un plan média, en l'accompagnant. Enfin voilà, on avait fait les matinales de France Inter, on avait fait plusieurs médias importants au moment où on avait annoncé ça, pour espérer que ça puisse faire des petits et que d'autres entreprises le fassent. En fait, le levier principal... Pour un patron, c'est bien sûr l'action dans son entreprise, mais il y a aussi le côté modélisant, c'est-à-dire si tu prouves que ça marche dans ton entreprise, tu peux avoir d'autres entreprises qui décident de le faire. Et comme la question écologique, elle ne peut pas fonctionner si ce n'est pas systémique, le rôle le plus intéressant que tu peux avoir en tant que dire-câble, c'est d'essayer d'augmenter l'influence de ton patron pour que ses idées fassent des petits.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc ton quotidien, est-ce que tu pourrais décrire quand tu arrives au bureau, c'est quoi les premières choses que tu fais ? Est-ce qu'il y a des moments qui se répètent ? Et puis, comment on fait ? Tu parlais de plan média, mais est-ce que c'est un exercice qui est fréquent ou est-ce que c'est deux fois par an ?

  • Speaker #0

    Alors déjà, je pense que vraiment, dire cab, la fonction... Ça dépend totalement d'une entreprise à l'autre. Tu as des patrons qui n'ont pas du tout envie d'être médiatiques et donc cette dimension n'existe pas dans ton job. Tu en as d'autres qui, comme le mien, défendent ses idées sur la place publique et là, ça a une dimension importante. Malgré tout, il y a quand même d'abord un job très interne. C'est-à-dire que tu es là pour favoriser la cohésion, le bon fonctionnement de la gouvernance. La gouvernance, c'est quoi ? C'est conseil d'administration, COMEX, les relations aussi avec les syndicats. S'assurer que le dialogue fonctionne, qu'il n'y a pas de quipropco parce que voilà, une entreprise, c'est pas... non plus un conseil municipal ou une assemblée nationale, mais c'est quand même des gens avec du pouvoir et donc il peut y avoir des relations de pouvoir, il peut y avoir des enjeux d'égo parfois aussi qu'il faut essayer de lisser. T'es là aussi pour t'assurer que la vision du boss est bien cohérente, est bien diffusée dans toute l'entreprise, parce qu'en fait une entreprise c'est quoi ? C'est aussi énormément de grandes messes annuelles, avec des séminaires, des congrès, où tu rassembles les salariés, la Maïf c'est 10 000 salariés, et en fait faut t'assurer que tout le monde partage la même vision. quand même un peu à l'échelle d'un pays, beaucoup plus modestement. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'en fait, justement, t'as plus de levier d'action pour s'assurer qu'on sait qu'on va tous dans le même chemin, que tout le monde a conscience, par exemple, de la question climatique, que tout le monde a conscience des enjeux de diversité, d'inclusion. Tout ça, tu contribues à ce que ça fonctionne bien. Puis après, il y a l'influence extérieure, c'est-à-dire s'assurer qu'il y a une présence médiatique intéressante, qu'il peut rencontrer d'autres patrons intéressants, des intellectuels, des scientifiques, et des hommes politiques, des femmes politiques, pour pouvoir avoir... une influence concrète sur les textes, sur le débat public.

  • Speaker #1

    Est-ce que le fait d'être passé dans le public avant, justement, dans les ministères, de connaître la fabrique de la loi de l'autre côté, est-ce que ça t'aide aujourd'hui ou pas ?

  • Speaker #0

    Oui, alors je rappelle quand même qu'il y a des règles sur les conflits d'intérêts. En tout cas, je n'avais pas le droit d'être en contact avec des gens avec qui j'avais travaillé auparavant. Donc comme il y a un renouvellement rapide dans les cabinets, très vite l'enjeu s'estompe, donc on ne fait pas n'importe quoi. Mais oui, je pense que ce qui aide le plus, c'est de hiérarchiser. C'est-à-dire... comprendre quand un texte est de toute façon intouchable ou au contraire quand il y a une marge de manoeuvre et s'il y a de la marge de manoeuvre par quel canal il faut passer quel argument il faut utiliser parce que tu sais que de l'autre côté comme t'y as été c'est ultra speed et qu'en fait ils vont écouter que si tu as des arguments massue si tu as du poids si tu représente quelque chose et que tu leur propose une solution clé en main c'est à dire que très souvent quand tu es en cabine ministérielle tu as quand même des gens qui viennent partager leurs problèmes qui sont légitimes etc mais avec rarement des solutions. Et en fait, forcément, celui qui arrive en présentant un problème de société, qui n'est pas juste un problème de son entreprise tout seul, mais un problème important, il risque de licencier, il risque de perdre des marchés, et donc de perdre de l'activité économique, et ce n'est pas bon pour un territoire par exemple, c'est mieux s'il vient avec une solution. Et une solution qui tient légalement, d'un point de vue réglementaire, constitutionnel, etc. Donc, t'aides à concevoir quelque chose qui vole.

  • Speaker #1

    T'as acquis le super pouvoir de pouvoir comprendre rapidement les forces en présence et les points clés d'une discussion.

  • Speaker #0

    Quand même, il faut rester modeste parce que ça se renouvelle très vite. Depuis que je suis parti, moi je suis parti à la fin du quinquennat précédent, je sais plus s'il y a eu trois ou quatre gouvernements, donc ça se renouvelle très très vite, pas toujours avec exactement la même coloration politique par ailleurs. Donc voilà, il faut être modeste là-dessus. Mais ce qui est intéressant, c'est que je pense que le quinquennat précédent, le lobbying, il se passait quasi exclusivement au niveau gouvernemental. parce qu'on avait une majorité absolue extrêmement disciplinée. Aujourd'hui, c'est une majorité relative. Donc, il y a beaucoup plus de choses à faire au Parlement et ça peut être plus intéressant. C'est plus compliqué aussi parce qu'à l'époque, quand un ministre avait décidé, ça roulait. Là, ce n'est pas parce que le ministre a décidé, il faut voir avec les députés. Et puis, à l'inverse, parfois, tu as des propositions de députés qui trouvent un chemin. Parce que l'Assemblée s'impose au gouvernement. Et d'un point de vue démocratique, c'est pas plus mal.

  • Speaker #1

    J'ai vu aussi que tu travailles pour le mouvement Impact France, qui est donc entre le MEDEF et les ONG. Est-ce que tu peux expliquer ça ? Est-ce que c'est juste ?

  • Speaker #0

    Alors, moi je travaille pas directement pour Impact France. En fait, Pascal Demianger, le patron de la Maïf, est aussi le co-président de ce mouvement d'entreprise engagé. Co-président avec une fille qui s'appelle Julia Ford, à la tête d'une marque de mode éthique qui s'appelle Loom. Et donc, oui, l'idée, et c'est un peu cohérent avec ce que je disais tout à l'heure sur le fait que Dans la cause écologique, pour moi, il y a un chénon manquant qui est en gros le syndicat écolo, c'est-à-dire la CFDT, la CGT, la FO écolo. Et alors là, la particularité, c'est que c'est un syndicat patronal. C'est un mouvement patronal qui rassemble des dirigeants d'entreprises qui pensent qu'ils ont un intérêt à faire accélérer la transition écologique et sociale. On ne traite pas que de la question écologique, mais c'est quand même assez important. Et donc voilà, ça rassemble des dirigeants qui vont partager leurs problématiques sur les grandes transitions, qui vont formuler des propositions. comme par exemple conditionner des marchés publics à des critères écolos pour favoriser les entreprises qui sont plus avancées sur ces questions-là, et donc envoyer un signal au marché qu'il y a un intérêt à s'engager dans la transition écologique, à moduler la fiscalité, moduler les aides aux entreprises en fonction de ton impact positif, et on l'assume totalement, c'est bien sûr un intérêt bien compris pour nous, parce que nous on estime que ça favorisera les entreprises du mouvement Impact France. Donc c'est en sac, c'est un lobby, c'est un syndicat, mais dont la cause rejoint l'intérêt général. Moi, ce qui est intéressant, c'est que je trouve que quand on va voir des ministres, on porte quelque chose de différent du discours classique patronal sur moins de charges, moins de réglementation, qui peut être tout à fait légitime pour favoriser la compétitivité. Et on vient les voir en leur disant, en fait, il faudrait nous aider à faire la transition écologique, il faudrait des aides plus ciblées sur ces questions-là. Et nous, en tant qu'entreprise, on vous dit que ça serait utile pour l'économie. Et par ailleurs, on est capable de dealer, ça veut dire de négocier, de dire, nous, on aimerait obtenir ça, mais si... trouve un point d'accord sur ça, ça serait super. Et on le dira publiquement, on le dira médiatiquement.

  • Speaker #1

    Si toi, tu avais le pouvoir de pousser une politique en particulier, là, tu parles du coup d'aide, de cibler quelques niches économiques ou quelques endroits, qu'est-ce que tu ferais ? Quelle est pour toi la priorité ?

  • Speaker #0

    Par exemple, il y a quand même, c'est assez documenté, il y a le crédit impôt recherche, qui est une aide de plusieurs milliards d'euros à destination des entreprises qui sont utilisées chaque année par les entreprises pour financer leur recherche et développement. on pourrait totalement mettre quelques critères pour favoriser la recherche en faveur de la transition écologique. Aujourd'hui, c'est tout type de recherche. Ça peut être une entreprise de cosmétique qui va faire de la recherche pour développer des nouveaux produits cosmétiques, ce qui peut être très bien, et avoir du chiffre d'affaires, et avoir des parts de marché, et c'est bien pour l'économie française, mais il n'y a pas de finalité d'impact, ni écologique, ni sociale. On pourrait mettre des critères, et donc piloter un peu la recherche et le développement, et donc... aider l'économie française à pivoter plus rapidement vers la transition. Ça, c'est un exemple parmi d'autres. Je prends cette aide parce que c'est l'aide la plus importante aux entreprises en France.

  • Speaker #1

    Super clair. On va passer à la séquence vrai-faux. Donc, je te dis une phrase. Tu me dis si c'est vrai ou faux. Évidemment, tu peux développer si tu le souhaites.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    Première phrase, on comprend mieux la politique à l'IFOP qu'à Matignon.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est plutôt faux. Je pense qu'on peut comprendre mieux la société à l'IFOP ou dans un institut de sondage. Mais la politique, ça reste avant tout une pratique. c'est un sport de combat au quotidien et c'est pas un savoir. Bien sûr que c'est mieux de connaître ces classiques, c'est mieux d'avoir des références historiques, c'est mieux de comprendre les équilibres économiques et sociaux dans le pays, mais à la fin de la fin, quand tu veux faire passer une loi, un amendement, une idée, c'est d'abord que tu vas prendre un risque, tu vas aller dans la presse, tu vas proposer quelque chose, que tu vas essayer de rassembler des gens autour de toi et que tu vas essayer de peser dans le débat public et d'obtenir un vote majoritaire à la fin tout simplement. Et ça, c'est beaucoup plus un art, un sport qu'un savoir.

  • Speaker #1

    La seconde affirmation, c'est une entreprise engagée peut faire plus pour l'écologie qu'un ministère.

  • Speaker #0

    Je dirais faux. Je pense que les entreprises sont indispensables et qu'elles doivent et qu'elles peuvent faire énormément et que ça ne marchera pas sans elles. Il n'y aura pas de voiture électrique sans constructeurs automobiles qui construisent des voitures électriques. Mais rien ne remplace une loi, une interdiction de vendre des choses néfastes pour l'environnement. et quand même un budget d'État qui dépense des milliards dans la transition écologique, c'est toujours mieux et ça oriente quand même très fortement l'économie.

  • Speaker #1

    Et la dernière phrase, les ONG sont aujourd'hui hors-jeu dans la fabrique des compromis.

  • Speaker #0

    Je dirais que malheureusement, plutôt oui. Ils ont un rôle toujours hyper important d'alerte, de sensibilisation de l'opinion, pour faire monter des sujets, mais je me permets de dire ça notamment parce que j'ai vu une étude d'un think tank qui s'appelle Parlons Climat et qui montrait qu'en fait, l'adhésion aux ONG et la crédibilité des ONG en dehors des gens qui étaient déjà convaincus, Merci. de la question écologique, étaient très faibles. Donc je pense que, voilà, par des modes de communication, des postures, pour le très grand public, ils apparaissent moins comme des acteurs de solutions, de contre-militantisme.

  • Speaker #1

    On le voit comme du militantisme.

  • Speaker #0

    Ce qui est très bien. Heureusement qu'il y a des gens qui défendent la cause écologique, surtout en ce moment. Enfin, il y a quand même un tel backlash, un tel recours en arrière, que les ONG sont fondamentales. Mais par contre, à la fin de la fin, quand il faut faire une loi, quand il faut trouver des solutions techniques, et dealer avec le pouvoir. Et donc, ça veut dire accepter que les choses ne soient pas parfaites. Je pense que ce n'est pas dans leur culture et qu'en fait, il manque un acteur, il manque des acteurs. Et notamment, je pense, Impact France vise modestement à combler un peu ce vide.

  • Speaker #1

    Merci David, on va passer à la séquence sur ta vision propre. Tu as vu la politique de très près. Qu'est-ce que tu retiens de plus précieux dans ton parcours ? Est-ce que tu as des leçons, des anecdotes à partager ?

  • Speaker #0

    Alors, je ne suis pas encore un vieux sage, mais modestement... j'ai la conviction que ceux qui détiennent la parole politique ont une grande responsabilité et doivent pas l'utiliser n'importe comment. Je donne un exemple, c'est-à-dire qu'en positif, ça peut vraiment rassembler la société dans des moments cruciaux. Moi je l'avais vu au moment des attentats islamistes qu'ont frappé la France dans les années 2015-2016. Il y a eu à ce moment, globalement, un monde politique qui a appelé à ne pas faire d'amalgame entre les islamistes et les musulmans dans la société française, et on a vu dans les études que ça a fonctionné. Ça a fonctionné dans la société, il n'y a pas eu de représailles, il y a eu des manifestations pour défendre la République, etc. Mais il y a eu vraiment un discours quand même assez rassembleur et assez pacifique à un moment où on était soumis à une violence extrême. Et ça, je pense vraiment que dans ces moments, si tu as un dirigeant, notamment le plus haut, le président de la République ou des ministres qui ont un discours de clivage et de conflictualité dans ces moments-là, ça peut vraiment partir en sucette. Et je pense que... La parole politique a une valeur performative dans ces moments-là, et à l'inverse, c'est le principe de la fenêtre d'Overton, plus tu dis des atrocités, des énormités, plus tu ouvres le champ, et tu libères la parole politique, et les idées, et finalement les comportements politiques dans la société, avec tous les risques que ça engendre. Donc voilà, je pense que le plus important c'est de jamais sous-estimer l'importance de bien réfléchir à ce qu'on dit quand on fait de la politique.

  • Speaker #1

    Ce qui m'intéresse aussi, c'est de savoir ta vision à toi de la société dans laquelle on devrait vivre, vers laquelle on devrait tendre. Donc, tu as un parcours qui est hyper marqué politiquement. C'est à baigner dedans quasiment toute ta vie professionnelle. Est-ce que tu as une vision que tu portes, des valeurs ?

  • Speaker #0

    Alors là, encore une fois, très modestement, je pense que ce que j'aimerais, c'est aller vers une société plus adulte. Je pense qu'il y a quelque chose qui est peut-être un peu... particulier à la France qui est un pays ultra centralisé avec la Vème République qui crée un pouvoir extrêmement important au sommet de l'État, où il y a une sorte de manque d'autonomisation des gens et aussi de responsabilisation qui va avec l'autonomie. Et donc il y a quelque chose d'assez infantilisant dans notre rapport au pouvoir politique. Moi je l'ai vu pendant la période Covid, les premiers confinements où j'étais au gouvernement. Le réflexe du pouvoir politique, ça a quand même été vraiment de dire aux gens, aux millimètres, ce qu'ils devaient faire. Et j'ai envie de dire... que la société en redemandait. Et donc ça crée un truc malsain où on est habitué à être infantilisé par le pouvoir politique, le pouvoir politique est habitué à nous infantiliser, et c'est un cycle infernal. Et en fait, à la fin, on ne supporte plus ça parce que non, en vrai, on est des adultes, on a envie de prendre des décisions de manière un peu autonome. Et donc tout ça pour dire que je pense qu'on a les moyens, on a une société éduquée, diplômée, démocratique depuis très longtemps, de laisser beaucoup plus de place. à l'autonomie des individus dans le fonctionnement de la société et beaucoup plus de place aussi à la démocratie. Moi, je crois beaucoup aux conventions citoyennes. Je n'oublie pas que les Gilets jaunes, leur demande principale, c'était le RIC, le référendum d'initiative citoyenne. Je ne dis pas qu'il faut le faire dans tous les sens, n'importe comment, etc. et qu'il faut invoquer le référendum pour n'importe quelle proposition de loi. C'est quand même le bazooka de la démocratie. Mais on ne peut pas avoir des consultations des citoyens uniquement lors... des présidentielles parce qu'en gros, c'est l'élection phare et tout le reste, en fait, on ne consulte pas trop ou pour de faux ou à côté. Donc voilà, je pense que j'aimerais qu'on parte de l'a priori que la société est adulte, mais ça veut dire aussi qu'elle doit se comporter en adulte et accepter parfois de perdre des combats politiques et de faire des compromis. Mais ça veut dire que le pouvoir politique lui-même doit donner beaucoup plus de marge de manœuvre, de poids à des consultations autres. que les grandes, grandes élections nationales.

  • Speaker #1

    C'est vrai que ça rejoint... Alors là, j'ai pas de question, mais ça rejoint une autre discussion que j'avais ici dans Hémicycle, concernant la convention climat. Où donc, l'idée était bonne de faire intervenir des citoyens sur la fabrique de la loi, sauf que de manière assez infantilisante, on leur a dit, tout ce que vous allez dire ici sera repris sans filtre, ce qui n'était pas possible. Et donc forcément, il y a eu une frustration, et on a l'impression que c'est une manipulation politique...

  • Speaker #0

    Alors je pense que, je sais pas si vraiment, s'il y a du machiavélisme, c'est plutôt de la légèreté du pouvoir politique dans la gestion du dispositif, et effectivement c'est se dire qu'on peut pas prendre les gens pour des adultes. En fait les 150 citoyens qui ont été tirés au sort, je suis absolument certain que si on leur avait dit vous allez faire des propositions, elles vont contribuer au débat public, elles vont être examinées par le gouvernement, par le législateur, qui à la fin, parce qu'il a le pouvoir souverain et démocratique et constitutionnel, c'est lui qui décidera. En fait, on leur a fait croire... qui se substituaient aux législateurs. Alors qu'ils n'en avaient pas la légitimité. C'est un tirage au sort, c'est hyper important, c'est hyper intéressant, c'est hyper précieux, mais c'est pas législateur. Et en fait, on les a pris pour des enfants, et je pense qu'ils se sont sentis humiliés, qu'on leur avait fait croire qu'ils allaient vraiment changer le droit du jour au lendemain. et qu'en réalité, ils l'ont très mal vécu. Et ce qui est dommage, c'est qu'en réalité, il y a eu une loi qui a appliqué cette convention qui s'appelle la loi Climat et Résilience, qui avait des centaines d'articles de transposition de la Convention citoyenne pour le climat, mais qui avait fait l'objet, bah oui, d'examens budgétaires, réglementaires, à l'Assemblée nationale, et donc qui n'était pas le même texte que celui de la convention. Mais on a retenu que rien n'était sorti de la convention, alors que c'est faux, parce que le procès avait été humiliant pour les conventionnels. Donc ça, je pense que c'est un exemple. Très parlant d'une société qui n'arrive pas à régler ses problèmes de manière adulte.

  • Speaker #1

    En parlant d'adulte, du coup, si tu avais un conseil à donner au David qui sort d'école, si tu pouvais le voir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Franchement, j'ai l'impression que j'ai fait à peu près ce que j'avais envie de faire. Donc peut-être d'oser encore plus, de rencontrer encore plus de monde. Peut-être que j'avais un côté très scolaire en me disant il suffit d'être bon élève et de bien bien travailler pour pouvoir progresser, ce qui n'est pas faux. Il faut être performant dans son job. Mais en fait, il ne faut jamais oublier que tout dépend des opportunités, des gens que tu rencontres, des nouvelles idées que tu peux avoir en voyant d'autres domaines, d'autres secteurs. Donc voilà, c'est un conseil même que je donne maintenant à des gens un peu plus jeunes qui viennent me voir parfois pour savoir comment évoluer en politique ou dans le monde des grandes entreprises. Je leur dis fais exactement ce que tu es en train de faire, c'est à dire rencontrer des gens, discuter, élargir ton horizon.

  • Speaker #1

    Pour aller à nos horizons, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager, David ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai peut-être une recommandation, c'est le livre La puissance de la douceur de la philosophe Anne Dufour-Mantel. Je pense que ça m'a marqué parce qu'on est dans une période plutôt de très grande brutalité, de retour de la pure force avec Donald Trump, voire de la menace, voire de la volonté d'en finir avec l'ennemi. Je veux dire, c'est vraiment une rupture totale avec ce qu'on a connu. depuis des décennies. Et ce livre, La puissance de la douceur, montre qu'en fait, la douceur, c'est quelque chose qui peut aussi être très efficace pour faire avancer la société, pour obtenir des choses, et puis pour aller bien dans sa vie. Donc c'est un bouquin pour ne pas renoncer à ça, malgré la brutalité actuelle.

  • Speaker #1

    Merci David, on arrive au bout de cet entretien. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voulais exprimer ici que tu n'as pas encore eu le temps de développer ?

  • Speaker #0

    Peut-être parce que comme on parlait globalement de la question du poids de la parole politique et aussi de mon l'espoir qu'on aille vers une société plus adulte. Il y a eu un moment qui, pour moi, m'a beaucoup conforté dans cette conviction, c'est la période du premier confinement, où on est plutôt parti au début sur une gestion très infantilisante de la crise. Bon, il y avait la nécessité quand même de gérer quelque chose de totalement extraordinaire, mais en fait, et on l'a vu dans les études d'opinion à l'époque, il y a un moment clé, c'est le jour où Edouard Philippe, un dimanche, fait une conférence de presse et dit « Aujourd'hui, je vais vous dire ce que je sais et ce que je ne sais pas. » Et en fait, c'est un moment où il reconnaît sa vulnérabilité, il reconnaît les limites de son pouvoir, et il dit à la société française, je vais tout simplement être transparent et honnête avec vous, il y a des choses que je ne maîtrise pas, il y a des choses que je ne sais pas, et je trouve qu'il y a eu un effet performatif énorme à ce moment-là, c'est à ce moment-là qu'il y a ce code de popularité qui explose. Donc ça montre bien que, je pense, la société française est prête à entendre que le politique ne peut pas tout, que l'État ne peut pas tout, qu'on peut aussi trouver des solutions à notre niveau, et qu'en tout cas, les gens sont en attente d'un discours authentique. transparent sur la réalité du pouvoir. Et je pense que si on faisait un peu plus ça, ça détendrait tout le monde et on arriverait peut-être un peu plus à faire avancer les choses.

  • Speaker #1

    Pour rebondir juste sur ce que tu viens de dire, tu disais tout à l'heure qu'un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Donc l'État doit prendre ses responsabilités, mais il doit reconnaître qu'il ne peut pas tout. Donc, est-ce que ça veut dire qu'il faut qu'on suive l'État même s'il ne voit pas tout quelque part un peu en tâtonnant ?

  • Speaker #0

    En fait, un leader, quel qu'il soit, se grandit énormément à reconnaître ses limites. Et je pense qu'il peut même avoir un leadership beaucoup plus puissant et une capacité à entraîner les gens beaucoup plus puissantes s'il reconnaît qu'il est un homme parmi les hommes ou une femme parmi les femmes. Et donc les gens vont se reconnaître dans cette façon humaine et normale d'incarner le pouvoir et vont accepter qu'il y ait des imperfections. Mais ça ne veut pas dire pour autant... que l'État ne doit pas impulser, donner des directions, faire des choix ultra structurants pour le pays. Et en fait, normalement, il tire sa légitimité du débat démocratique parce qu'il est incarné par des politiques qui ont été élues. Donc c'est plus un mode de pratique du pouvoir qu'une limitation de la responsabilité de l'État. Je pense que les pouvoirs publics restent quand même responsables de nous mettre sur les bons rails et de prendre les bonnes décisions pour le pays. il n'est pas obligé de le faire en maintenant le mythe qu'il est capable de tout et qu'il est omniscient, omnipotent. C'est quelque chose qui ne peut pas fonctionner parce que c'est faux.

  • Speaker #1

    Super, merci beaucoup David.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup. A la prochaine.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le co-fondateur de l'Egywatch, la plateforme qui vous aide dans votre veille institutionnelle.

  • Speaker #0

    A bientôt.

Share

Embed

You may also like