- Speaker #0
On pourrait penser comme ça, en disant un système capitaliste, un grand groupe défend son intérêt avant tout. Et en réalité, t'es toujours quelque part à l'intersection de plusieurs enjeux. Quand tu travailles à l'échelle internationale ou européenne, ça veut dire naviguer entre des cultures politiques très différentes. Si j'avais une grande loi à faire passer, c'est une décentralisation totale, parce que je crois vraiment au pouvoir local, et je pense que les maires... Les présidents de région connaissent mieux la France que les élus nationaux.
- Speaker #1
Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle Lesjiwatch, et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir Tanguy Ergibo. Tanguy, tu conseilles des dirigeants d'entreprises publiques comme privées. Tu es passé par Nibai, l'entreprise du 440, mais aussi par l'Assemblée nationale, le Sénat, ou encore le comité d'organisation de la Coupe du monde de rugby 2023. Par ailleurs, tu es aussi écrivain avec un ouvrage à paraître sur une opération d'exfiltration en Afghanistan. Est-ce que c'est juste ? Est-ce que tu vas rajouter quelque chose,
- Speaker #0
Tanguy ? Bonjour Pierre, c'est parfait. Super,
- Speaker #1
ben bonjour et bonjour. Je vais aller un peu vite. Tanguy, tu as commencé comme collaborateur parlementaire très jeune. Qu'est-ce que tu retiens de ces années à l'Assemblée nationale ?
- Speaker #0
C'était vraiment une école de la politique au sens brut du terme. J'avais à peine 19 ans quand je suis rentré à l'Assemblée nationale. Donc c'était en même temps que mes études. j'ai fait une licence en sciences politiques, un master de communication politique, puis un master d'affaires publiques. Donc quand je sortais d'un cours, je filais soit à l'Assemblée nationale, soit en circonscription, parce que le député est aussi un élu local. Donc il fallait tout le temps matcher et savoir se défaire de ses cours ou se défaire de son travail quand on était en cours. Donc ça m'a beaucoup forgé, parce que c'était une gymnastique parfaite.
- Speaker #1
C'était en cours et collaborateur parlementaire en même temps ?
- Speaker #0
Exactement, sans stage, sans alternant, non, non, c'était vraiment... Et l'université m'a permis... d'être ce qu'on appelait étudiant salarié, donc je zappais les cours magistes.
- Speaker #1
Ok, et t'arrivais à trouver le temps de dormir dans tout ça ? Peu.
- Speaker #0
Mais c'est ce que je dis à mes amis, j'ai pas eu trop de jeunesse, entre mes 20 et mes 26 ans, 27 ans, je sortais peu, j'étais, voilà, je jonglais en permanence entre l'université et le travail, donc je voyais très très peu mes potes. Ce que je retiens toutefois de cette expérience à l'Assemblée, c'est le rythme. La politique, on pense souvent aux grandes déclarations, au QAG, au discours de politique générale, mais en fait il y a tout ce qu'on ne voit pas, tout ce qui est en marge de ce décorum et de ce qu'on a l'habitude de voir à la télé. Et donc, tout se joue à la marge de tout cela. Derrière chaque texte de loi, tu as des convictions, tu as des doutes, tu as des négociations, et surtout des compromis, et encore plus aujourd'hui. Alors, je ne le connais pas parce que je ne suis pas collaborateur parlementaire aujourd'hui, mais en fait, se joue dans les coulisses énormément de compromis sur chaque texte. Et déjà à l'époque, j'étais collaborateur parlementaire d'un élu PS, donc il y avait beaucoup de compromis au sein même du PS. Donc tout cela m'a permis d'être, je pense, assez jeune, hyper adaptable. Il fallait qu'on change de sujet très rapidement, que je change même moi, que je switch en permanence entre mes deux activités.
- Speaker #1
Est-ce que tu étais encadré ? Parce que je veux dire, déjà, première question, comment on devient collaborateur parlementaire à 20 ans ? Est-ce que tu étais militant ou tu connaissais déjà la personne qui était élue ?
- Speaker #0
Oui, oui, j'étais militant. Et il s'avère que, pour la petite histoire, je le cache à personne, j'étais collaborateur parlementaire d'Edouard Dorian-Sipel, qui était porte-parole du Parti Socialiste et à la Commission Défense Nationale. Il avait notamment co-écrit le... le rapport sur la défense nationale, le livre blanc, etc. Et comment on devient collaborateur parlementaire à 19 ans ? Par les jeux du hasard, en fait. On rencontre le député à une réunion. C'est-à-dire que j'étais de Sénémarne, il était député de Sénémarne, mais pas de la même circonscription. Et on se rencontre à une réunion, il me dit, j'ai besoin d'un collaborateur parlementaire à mi-temps, est-ce que tu es prêt, est-ce que tu veux me suivre, m'arrêter tes études, etc. Et moi, par pure ambition aussi, parce qu'à 19 ans, on en a beaucoup. J'ai dit oui, sans trop mesurer le travail que ça allait demander. Et donc, ça dit crise d'angoisse les deux premiers mois, parce qu'on se dit qu'on n'est pas au niveau, etc. Puis les choses se font naturellement et en fait, on apprend vite. Quand on est jeune, on est quand même très, très adaptable.
- Speaker #1
Est-ce que tu as vu la série Parlement, sur justement le collaborateur parlementaire qui arrive au Parlement européen ? Oui, oui, je l'ai vu. Qui est un peu perdu, quoi. Oui, oui. C'était ton cas,
- Speaker #0
du coup. C'était un peu mon cas. C'est aussi ce film... sur Dominique de Villepin, où le jeune collaborateur de Dominique de Villepin arrive avec des chaussures un peu boueuses, etc. C'est un peu ça. Donc, non, non, c'était très, très enrichissant. C'est une expérience magnifique. Ensuite, après, j'ai atterri au Sénat avec François Patria. Et là, c'est un jeu, et c'est là où on voit que la politique, c'est aussi un jeu de réseau. C'est parce que j'avais noué une amitié de la politique en Seine-et-Marne, Adrien Gomi, qui est d'ailleurs devenu député. Il l'a perdu l'année dernière. qui m'a eu ce poste auprès de François Patria, parce que c'était son ancien collaborateur, puis il était devenu secrétaire général du groupe qui avait monté François Patria. Donc tout cela, c'est aussi, on crée un réseau, donc on crée aussi son prochain poste.
- Speaker #1
C'est quoi la différence entre collaborateurs à l'Assemblée et au Sénat ? Est-ce qu'il y a une différence de rythme ? Est-ce qu'il y en a un qui est plus cool que l'autre ?
- Speaker #0
Clairement, c'est totalement différent. On a quand même deux chambres qui font le même travail, à un rythme totalement différent, et avec une manière de travailler qui est totalement différente. C'est beaucoup plus posé au Sénat. On est plus sur le fond, on est moins sur la politique, je trouve. C'est mon point de vue. Et ça permet aussi, quand on est collaborateur parlementaire d'un sénateur, et même quand on est sénateur, d'avoir des activités annexes, de faire un peu plus de choses, de travailler ses relations publiques, etc. Donc ça m'a enrichi. Je n'ai pas voulu y rester trop longtemps. J'avais fait trois ans à l'Assemblée, un an au Sénat, c'était très bien. Et d'un an, c'est un rythme différent. Je suis très content d'avoir connu ces deux mondes, mais je n'y reviendrai pas parce que c'est un monde que j'ai connu et j'ai envie de faire autre chose aujourd'hui.
- Speaker #1
Du coup, après la mêlée de l'Assemblée et du Sénat, tu t'es dit, on va à la Coupe du Monde de rugby ?
- Speaker #0
Exactement. Pareil, jeu du hasard, une connaissance. On recherchait quelqu'un au cabinet du directeur général.
- Speaker #1
C'était aussi en affaires publiques, la Coupe du Monde 2023, ou c'était un autre rôle ?
- Speaker #0
On change souvent de poste dans les organisations sportives, notamment quand on... organise un grand événement sportif, c'est-à-dire qu'il y a une fin. Dans les fédérations, c'est autre chose. Donc on change souvent de poste. Je suis arrivé au cabinet du directeur général, puis ensuite j'ai switché un peu sur les affaires publiques, relations institutionnelles, relations État. Et donc ça a été, oui, ce que je disais, c'était une aventure incroyable. On l'oublie souvent, mais une Coupe du Monde, c'est pas juste du sport, c'est de l'économie, de la diplomatie, et c'est un objet politique à part entière.
- Speaker #1
Et tu négocies quoi avec qui à ce moment-là, justement ?
- Speaker #0
Mon rôle, c'était de faire le lien entre le comité d'organisation et tous les acteurs de l'État. Donc que ce soit... L'État lui-même, les collectivités et les agences, comme l'Agence Nationale du Sport, par exemple, le CNOSF, qui était un de nos actionnaires. Donc concrètement, moi, j'avais l'objectif de sécuriser un budget d'accompagnement de l'État de 25 millions. C'est un gros défi à 25 ans, sur plein de projets que l'on portait. Que ce soit Campus 2023, on a créé un CFA.
- Speaker #1
Qu'est-ce que c'est un CFA ?
- Speaker #0
Un CFA, c'est un centre de formation des apprentis. Et on a créé cela dans tous les métiers du sport. Entraîneur, manager, etc. On a créé cela, on a fait un fonds de dotation qui s'appelait Rugby au cœur et son dotation, il a permis notamment de soutenir des projets de sport pour les femmes qui étaient atteintes de cancer. Donc tout cela, on était accompagnés par l'État et donc moi, il fallait que je sécurise un budget avec l'État, donc avec le ministère des Sports, avec l'Agence Nationale du Sport et aussi avec le Premier ministre de l'époque qui était fan de rugby, Jean Castex, et pour montrer que cet événement allait vraiment être un levier pour l'économie locale, pour l'image de la France, à l'international et aussi pour toute la cohésion sociale que un grand événement sportif est censé apporter à la France.
- Speaker #1
Ça concrètement, Tanguy, Si moi, j'étais à ta place à ce moment-là, qu'est-ce qui se passe ? C'est-à-dire que je dois faire un... J'arrive devant Jean Castex, je fais « Ok Jean, on va faire un super événement. Vous allez mettre 25 millions, mais j'ai fait mes simulations, ça va rapporter 52 millions en tourisme, etc. » Comment ça marche ?
- Speaker #0
Alors, quand on a gagné la Coupe du Monde de rugby, on la gagne face à l'Irlande et l'Afrique du Sud. Et là, on doit faire un dossier de présentation. Et donc, dans ce dossier, on prend... Moi, je n'étais pas là à ce moment-là, mais on prend des cabinets experts qui vont mesurer l'impact. que la Coupe du Monde va avoir. Donc déjà, ça, on peut l'apporter aux politiques en disant, on a mesuré l'impact que la Coupe du Monde peut avoir sur le territoire, voici de combien. Déjà, c'est quand même un levier. Ensuite, on a des projets qu'on porte, que j'ai mentionnés précédemment. Et des très gros projets d'ampleur, Jean Castex et les gouvernements successifs d'Emmanuel Macron ont porté des projets ambitieux en matière d'apprentissage. Nous, on s'appuie dessus, on crée un CFA. Donc tout cela, c'est des mesures qui vont... plaire aux politiques parce qu'on s'appuie sur des politiques publiques qu'ils nous portent. Après, il faut les débloquer, les 25 millions. Et donc, c'est à eux de choisir les leviers économiques qu'ils vont réussir à porter, notamment via l'agence nationale du sport qui avait quand même des fonds, via les opcos, l'opco AFDAS. Les opcos, c'est ce qui gère l'apprentissage. Donc tout cela, en fait, eux, ils ont une force de frappe, c'est-à-dire qu'ils appellent chacun des acteurs pour lever ces 25 millions. C'est pas l'État qui met 25 millions de sa poche.
- Speaker #1
Et d'ailleurs, la... L'organisation de la Coupe du Monde de rugby 2023, c'était une initiative privée ou publique ou semi-publique ?
- Speaker #0
Alors ça a été un groupement d'intérêt public, un JIP ce qu'on appelle, avec trois acteurs qui portent ce projet, l'État, la Fédération Française de Rugby et le CNOSF. Trois acteurs qui sont quand même assez publics, puisque la Fédération Française a des fonds publics, l'État et le CNOSF. Un groupement d'intérêt public, ça permet que l'État garde un contrôle sur l'organisation. et sur la gestion. Après, il y a eu des défaillances économiques parce qu'on a été, je pense, trop ambitieux, notamment en matière d'hospitalité. L'hospitalité, c'est les packagings qu'on vend pour les salons, etc. Et qui a créé un trou dans le budget final de la Coupe du monde de rugby.
- Speaker #1
Tanguy, tu m'as appris juste avant cet entretien que la Cour des comptes avait dénoncé les dysfonctionnements financiers durant l'organisation de la Coupe du monde de rugby de 2023. Comment est-ce que tu as géré ça ? Est-ce que tu peux en parler ?
- Speaker #0
Alors, nous, en interne, ce sont des choses qu'on ne savait pas encore, parce que c'était géré vraiment via la direction financière et la direction générale. Je l'ai appris, comme toi, juste avant cet entretien. Après, on a quand même vécu une très très grosse crise au sein de la Coupe du Monde de rugby. Il y a un membre de la compétition, le directeur général de la Coupe du Monde, s'est fait évincer par la ministre des Sports sur des questions managériales, surtout financières, de manière... annexe, mais un peu quand même. Et donc, il a fallu qu'on gère cette crise de manière particulièrement intense. Il a fallu qu'on rassure, nous, de notre côté, l'État, les collectivités avec lesquelles on était engagés, et expliquer que le projet tient toujours, et que de toute manière, à un niveau d'événement, c'est un train qui roule, et directeur général ou pas, ça ira au bout, et le match d'ouverture se fera. Et en même temps, tu dois, toi aussi, maintenir une certaine dynamique interne, apaiser les tensions qu'il peut y avoir entre les collaborateurs. Et donc, c'est un équilibre pas simple du tout entre la communication de crise et la gestion un peu des égaux de chacun, parce qu'on est quand même dans un monde de sportifs. Et tout cela, la gestion de crise que j'ai appris lors de cet événement, c'est des choses que je mobilise encore moi dans mon métier. Il faut savoir garder la tête froide quand tout s'emballe, piloter une communication pour éviter d'ajouter un peu un désordre ambiant parce que toute la presse reprend l'éviction du directeur général de la compétition. Et donc moi j'ai vraiment aimé cette expérience, c'est une complexité qu'on a gérée à la fois de manière je pense assez saine et efficace parce qu'il fallait garder les ambitions sportives, maintenir les ambitions économiques et tout cela dans une dimension très politique. Donc voilà, on a essayé de reparler un peu du PNI, du rugby et que tout cela allait être une belle fête et d'ailleurs ça a été une très belle fête.
- Speaker #1
Tanguy, t'es ensuite passé dans le privé notamment chez Unibail quelles sont les particularités de faire de l'influence au sein des grands groupes ? quelle a été la différence ?
- Speaker #0
ce qui est fascinant dans les grands groupes c'est que tu n'es jamais seulement dans la défense des intérêts particuliers on pourrait penser comme ça on est dans un système capitaliste un grand groupe défend son intérêt avant tout et en réalité t'es toujours quelque part à l'intersection de plusieurs enjeux qui sont économiques, sociaux, environnementaux et aussi territoriaux quand un groupe est... présents un peu partout sur le territoire, qu'ils soient français, européens ou d'ailleurs internationaux. Et donc, travailler sur l'influence à ce niveau-là, c'est gérer une complexité assez forte. D'abord parce que tu parles au nombre de milliers de collaborateurs, dont le groupe est puissant, d'actionnaires quand il est coté, et de partenaires, donc tu portes la parole et ça a un poids politique assez fort. Donc, tu dois toujours être irréprochable sur la méthode et assez transparent sur tes objectifs, notamment quand il est coté. Ensuite, quand tu travailles à l'échelle internationale ou européenne, ça veut dire naviguer entre des cultures politiques très différentes. L'exercice consiste à bâtir un peu des argumentaires qui sont à la fois robustes et adaptées aux réalités locales et suffisamment universelles pour créer une cohérence de ton groupe à l'échelle du territoire que tu vises. Donc c'est vraiment un travail d'anticipation, de pédagogie. Il faut savoir anticiper des tendances un peu réglementaires. Tu captes les signaux faibles, que ce soit au niveau européen ou au niveau local. Et donc, il faut savoir montrer que l'entreprise n'est pas simplement là pour défendre ses marges, mais qu'elle s'inscrit quand même dans une dynamique collective. et qu'elles contribuent, je pense que c'est cela aussi le principal objectif dans nos sociétés occidentales, aux transitions économiques et sociales et environnementales.
- Speaker #1
Dans la relation avec les parlementaires, est-ce que quand on représente un gros groupe comme Unibail qui fait de l'aménagement du territoire, est-ce que c'est les parlementaires qui viennent à toi en disant « on doit réglementer ça » ou est-ce que c'est toi qui viens à eux avec « on a un nouveau projet, on a besoin de telle autorisation, etc. »
- Speaker #0
Quand tu es un grand groupe du CAC 40, tu peux... peux difficilement faire sans ton écosystème politique. Et donc, quand il y a des sujets locaux, souvent, tu as des élus locaux en face de toi qui viennent t'alerter, qui viennent te voir. Quand tu as des sujets nationaux, c'est souvent toi qui alertes, en tant qu'acteur quand même, CAAC ou plus largement un acteur national. Ça dépend vraiment des enjeux et des relations que tu as avec les acteurs de ton écosystème politique.
- Speaker #1
Et de toutes tes expériences dont on a parlé, toute transparence. Quel était pour toi le plus intéressant, le plus enrichissant ? Qu'est-ce qui t'a fait le plus kiffer quelque part ?
- Speaker #0
Ce qui m'a fait le plus kiffer, pour être honnête et totalement transparent, c'est la Coupe du Monde, parce qu'on n'en vit pas 60 dans une vie. Des expériences dans des groupes privés, des expériences politiques, on peut en vivre plein. Des expériences de grands événements sportifs qui brassent le monde entier, qui sont suivis dans des vieilles contrées néo-zélandaises, dans un café à Johannesburg, à Tokyo, parce qu'aujourd'hui le rugby aussi se développe en Asie, c'est quelque chose d'extraordinaire. Et de se dire qu'on accueille le monde, et qu'on fait la fête, et qu'à notre échelle on a permis cela, c'est une expérience magnifique.
- Speaker #1
Au-delà de tout ça, par ailleurs, tu es également auteur, tu as co-écrit un livre avec Getty Azami. qui est une jeune journaliste afghane sur son exfiltration d'Afghanistan. Est-ce que tu peux nous raconter cette histoire ?
- Speaker #0
C'est une histoire particulière. Un matin, on est en août 2021, les talibans sont aux portes de Kaboul. Je tombe sur un tweet d'une jeune française qui relaie un article du New York Times ou du Washington Post sur une jeune journaliste afghane qui vient de se faire agresser. Ce jeune journaliste afghane vient de se faire agresser par des talibans. Elle s'appelle Gaiety Azami et moi, je ne sais pas pourquoi. je tape souvent sur les réseaux sociaux et je lui demande comment ça va. Et de là s'en suit une histoire extraordinaire. Donc elle me dit qu'elle a été agressée par les talibans, que sa vie est en danger ainsi que la vie évidemment de sa famille. On est au tout début de l'exfiltration des pays occidentaux et donc j'essaye à mon niveau de lui avoir un laisser-passer à l'ambassade de France qui est à l'aéroport parce qu'elle est journaliste et donc en danger et que la France... dans son ambition universelle, se doit d'accueillir les journalistes en danger, se doit d'accueillir les artistes en danger, quels qu'ils soient et qu'importe où ils se trouvent. Et donc, je mobilise mon réseau un peu politique, j'essaie d'avoir le numéro de l'ambassadeur, qui est David Martinon, et qui aujourd'hui préface notre livre, donc on est très heureux.
- Speaker #1
C'est quoi le déclic où on se dit « Ok, je vais aider cette personne » . À quel moment tu t'es dit « Il faut que je le fasse » .
- Speaker #0
Au premier instant, je ne sais pas pourquoi. C'est le hasard. Je n'ai jamais su pourquoi. Pourquoi elle ? Pourquoi nous ? Pourquoi maintenant ? Je ne sais pas. Et aujourd'hui, je tombe sur un communiqué de presse de France Télé qui dit qu'il faut défendre les intérêts des journalistes afghans, qu'il faut les accueillir, qu'il faut les sauver. Je contacte par mail le mail de l'attaché de presse de France Télé, qui m'envoie le mail de la DRH, et là, la DRH de France Télé qui arrive à lui avoir laissé passer Gaiety et sa famille. Et s'ensuit trois jours où je n'ai pas de nouvelles de Gaiety parce qu'elle quitte son appartement sans batterie. Et donc, je ne sais pas si elle a réussi à avoir un avion. Et elle m'envoie une photo d'elle à l'aéroport de Paris. Je vous en ai dit un peu, mais voilà. Et donc, l'histoire raconte comment tout cela s'est fait, comment on a organisé son exfiltration. Et aussi, c'est une forme de thriller un peu ce livre, parce qu'elle raconte ses moments d'angoisse à l'aéroport, arrêtés par les talibans. Et donc, un peu pour conclure ce message, c'est... C'est un livre d'espoir, d'exil et d'amitié.
- Speaker #1
Génial. Et là, maintenant, Getty, du coup, elle est en France.
- Speaker #0
Elle est en France.
- Speaker #1
Comment ça se passe pour elle ?
- Speaker #0
Ça se passe bien. On en dit beaucoup dans le livre. Donc, je dis à tout le monde de l'acheter quand il sortira, parce qu'on apprend aujourd'hui sur sa vie d'aujourd'hui. Donc,
- Speaker #1
tu as aussi écrit d'autres choses, notamment sur le documentaire comme outil de communication politique. Est-ce que tu penses que l'image a plus de pouvoir que le discours politique ?
- Speaker #0
Alors, oui. Ça paraît étonnant de répondre oui comme ça, mais en fait l'image a ce truc incroyable, elle a une force émotionnelle immédiate. Là où un discours politique peut parfois paraître un peu froid, même prononcé par des grands tribuns, le documentaire et l'image en général te plongent directement dans la réalité. T'es plus dans l'explication théorique, t'es dans l'expérience vécue. Et c'est ce que j'aime aussi dans le documentaire, c'est qu'il capte des choses que les mots parfois n'arrivent pas forcément à dire ou à retransmettre. Et donc, cette image, elle t'oblige à t'arrêter. Elle te met face à une réalité que tu ne peux pas du tout ignorer, qui te parle à la fois au cœur et à l'esprit. Et je trouve que dans une époque comme la nôtre, c'est un levier extrêmement efficace pour toucher profondément les gens et surtout les jeunes. Et c'est pour ça qu'aujourd'hui, on est abreuvé d'images, notamment par les politiques.
- Speaker #1
Pour toi, pour engager du coup le parlementaire ou le grand public, c'est quoi l'outil le plus... puissant, le plus efficace ? Ça va être les affaires publiques ou un témoignage comme celui de Getty ?
- Speaker #0
Je vais te faire une réponse de normand. Je pense que c'est un mix des deux. C'est une forme d'hybridation. Le lobbying, c'est essentiel pour structurer un propos solide, crédible, avec des arguments clairs et vérifiables, mais je pense réellement que ça ne suffit pas. La fiction, mais aussi le témoignage, ça a une capacité incroyable de toucher à l'imaginaire collectif. de te faire passer des idées fortes sans qu'on s'en rende toujours compte. Et donc, le meilleur moyen, je pense, c'est une forme, comme je te disais, d'hybridation et de faire la différence dans une histoire vécue.
- Speaker #1
Du coup, tu as un parcours politique qui est déjà riche, en tout cas autour de l'Assemblée, autour de la fabrique de la loi. Tu te mobilises sur beaucoup de sujets, notamment l'écriture, le conseil. Est-ce qu'à travers tous ces engagements, est-ce que tu défends une vision de la société ? Tu essaies de faire tendre vers un monde qui... pourrait être plus le tien ? Est-ce que tu as un combat, finalement ?
- Speaker #0
J'ai mes idées. Elles se sont traduites par mon expérience personnelle et professionnelle. Aujourd'hui, je ne milite plus dans aucun parti politique. Non pas parce que je ne me retrouve pas, mais parce que pour moi, le pouvoir politique dans les institutions qui sont les nôtres a aujourd'hui de moins en moins de pouvoir. Je pense que le pouvoir, il est au niveau local. Si j'avais une grande loi à faire passer, c'est une décentralisation totale. parce que je crois vraiment au pouvoir local et je pense que les maires, les présidents de région connaissent mieux la France que des élus nationaux.
- Speaker #1
Merci Tanguy. On va passer maintenant à la séquence vrai-faux. Je vais te donner trois affirmations et tu vas répondre par vrai ou faux et tu peux développer si tu le souhaites. La première phrase est « Un bon storytelling vaut mieux qu'un bon dossier législatif. »
- Speaker #0
Réponse encore de Normand, vrai et faux. Le storytelling est essentiel pour donner envie d'ouvrir un dossier législatif. Parce que sans une narration, porte même le meilleur dossier, je pense, reste dans le tiroir. Mais l'inverse est tout aussi vrai, en fait. Un bon storytelling, sans fond solide, s'effondre très vite. Donc vrai et faux.
- Speaker #1
La deuxième affirmation, l'engagement humanitaire et le lobbying n'ont rien à voir.
- Speaker #0
Faux. Au contraire, en fait. Le lobbying permet de transformer des constats en propositions concrètes auprès des décideurs. En gros, l'un alerte et l'autre structure la réponse.
- Speaker #1
Et enfin, la dernière, l'image qu'on se fait du pouvoir à 20 ans. ne survit pas à l'Assemblée nationale.
- Speaker #0
Plutôt vrai. On arrive avec des idéaux assez forts et on découvre un peu la réalité des compromis, des lenteurs, des rapports de force. Mais ce n'est pas forcément une désillusion totale.
- Speaker #1
Toi, tu dirais que tu as changé ?
- Speaker #0
Pas complètement, mais tu as une prise de conscience des mécanismes de pouvoir. Et donc, ça rend l'action un peu plus lucide, en tout cas. OK.
- Speaker #1
On va passer, du coup, justement, à la séquence transmission où on va parler de toi, ta vision très personnelle des affaires publiques et de ce que tu as pu apprendre. J'ai noté... quand tu avais un rapport lucide mais non cynique à la politique ? Est-ce que c'est juste ? Qu'est-ce que tu penses de ça ?
- Speaker #0
Probablement de ma riche expérience à seulement 30 ans. J'ai cette chance d'avoir 11 ans d'expérience professionnelle maintenant. Et donc, tu deviens lucide sur quelque chose sans être encore cynique. Peut-être que ça le deviendra. Mais à 30 ans, je pense que d'être cynique à 30 ans, c'est quand même la loose. Et donc, j'ai vu l'intérieur des travers du système, qu'il soit politique et même dans le monde professionnel. Mais j'ai aussi rencontré des gens d'une sincérité franchement incroyable dans leur engagement. Et cette dualité me pousse à rester quand même assez lucide, à ne pas tomber dans une forme d'angélisme non plus.
- Speaker #1
Tu parles des travers, est-ce que tu as déjà des solutions ? Enfin, tu as des choses où tu te dis « Ah, mais ça serait tellement plus simple si c'était comme ça » . Ou justement, tu parlais de la décentralisation, est-ce que tu as d'autres idées où tu te dis « Mais en fait, on pourrait prendre des décisions politiques plus intéressantes si c'était dans un autre contexte ? »
- Speaker #0
Pas forcément, parce qu'il faut quand même connaître l'histoire de notre pays, d'où l'on vient. Il a fallu quand même que l'État se consolide, alors qu'il avait des cultures totalement différentes. On n'a pas la même culture quand on est corse que quand on est breton. Quand on est bourguignon, alsacien, c'est aussi des cultures différentes en soi. Donc le pays est fait de mille cultures, et donc il n'y a pas de bonne manière d'exercer le pouvoir, si ce n'est de le donner au niveau local, un peu plus.
- Speaker #1
Merci Tanguy, on arrive au bout de cet épisode. Est-ce que tu as une recommandation culturelle à nous partager ?
- Speaker #0
Oui, c'est une recommandation pas nouvelle, parce qu'elle date, je crois, des années 2000. Mais c'est le complot contre l'Amérique de Philip Roth. C'est un roman assez incroyable, parce qu'il imagine une Amérique où Charles Lindbergh, qui était vraiment un héros national américain, proche des thèses isolationnistes et antisémites, devient président dans les années 40. Et ce que Roth raconte super bien, c'est comment une démocratie solide peut basculer presque insidieusement sans... grand fracas en gros. Et ce qui m'a marqué, c'est dans la manière dont il décrit cette montée progressive des dérives autoritaires. Et bien sûr, c'est impossible de ne pas faire le parallèle avec des figures comme Trump, parce que Roth avait presque anticipé ce qui est arrivé en novembre dernier.
- Speaker #1
Est-ce qu'il nous offre de l'espoir ?
- Speaker #0
Pas tellement.
- Speaker #1
Pas tellement.
- Speaker #0
Pas tellement. Et il anticipe le rejet des élites, la montée des discours identitaires, le culte de la personnalité. Et en fait... In fine, il nous montre que la démocratie n'est jamais complètement acquise et que c'est fragile, qu'il faut en prendre soin. Et donc, tout cela demande une vigilance permanente.
- Speaker #1
Tanguy, est-ce qu'il y a quelque chose que tu voulais exprimer ici que tu n'as pas encore eu le temps de développer ? Non,
- Speaker #0
non. Parfait.
- Speaker #1
Parfait ? Parfait. Est-ce que tu peux me recommander une personnalité pour un prochain épisode ?
- Speaker #0
Eh bien, je vais même t'en recommander deux. Je pense à Gilles Flickenstein ou Blanche Léridon. Gilles Flickenstein, c'est le secrétaire général de la fondation Jean Jaurès. Il est aussi chez Abbas. Et Blanche Léridon, c'est la directrice éditoriale de l'Institut Montaigne. Et pourquoi je te recommande ces deux personnalités ? Parce que quand on parle affaires publiques, on pense tout de suite au lobbying, au travail un peu direct auprès des décideurs, mais on oublie ce que font les think tanks derrière. Et ils sont un acteur à clé de l'influence, en fait. Ce que j'aime chez eux, c'est qu'ils arrivent à prendre un recul sur les grands enjeux de société, tout en restant très, très connectés aux réalités. Donc, en gros, les think tanks sont des fabriques à idées et les lobbyistes s'appuient énormément sur eux.
- Speaker #1
Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour la suite Tanguy ? C'est quoi tes ambitions prochaines ? La politique ? Le monde de la politique ?
- Speaker #0
Non, la réussite du livre, que notre histoire soit connue parce qu'elle porte beaucoup d'espoir sur l'humanité et juste bonheur. Merci beaucoup.
- Speaker #1
Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le cofondateur de l'Egywatch. La plateforme qui vous aide dans votre veille institutionnelle. A bientôt !