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#8 – Philippe Mettoux : Du parquet à la SNCF, itinéraire d’un juriste d’État

#8 – Philippe Mettoux : Du parquet à la SNCF, itinéraire d’un juriste d’État

1h02 |29/04/2025
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Description

Du parquet à la direction juridique du groupe SNCF, en passant par Matignon et le Conseil d’État, Philippe Mettoux incarne une certaine continuité de l’État, au service de l’intérêt général, dans toutes ses formes.


Magistrat, conseiller ministériel, haut fonctionnaire, puis juriste d’entreprise publique, il a vu le droit devenir un levier stratégique, à la croisée des institutions, de l’économie et de la fabrique de la loi.


Dans cet épisode, on parle de :


🔹 son entrée très jeune dans la magistrature,
🔹 la gestion pionnière des victimes d’AZF et le virage humaniste du droit pénal,
🔹 ses années à Matignon auprès de Dominique de Villepin,
🔹 l’influence – réelle ou fantasmée – de la SNCF à Paris comme à Bruxelles,
🔹 la régulation, la concurrence et les mutations du ferroviaire,
🔹 l’IA générative dans une direction juridique de 500 personnes,
🔹 et de sa conviction que le droit est devenu une arme économique, bien plus qu’un simple outil de conformité.


💬 « Si on ne comprend pas que le droit est un facteur de puissance, on passe à côté de l’essentiel. »


Un échange dense, passionnant, avec l’un de ces profils discrets qui structurent, en creux, notre vie publique.


Vous pouvez contacter Pierre sur Linkedin.

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Au début du XXe siècle, il y avait 50 000 km de voies ferrées en France. Aujourd'hui, il y en a moins de 30 000. Si, par exemple, notre bilan était négatif, on pourrait se poser la question de savoir si la pérennité de la SNCF, qui existe depuis 1938, ne serait pas mise en péril. On est passé d'un établissement public qui a la garantie de limiter de l'État à un groupe de sociétés anonymes qui doit rendre des comptes et qui doit avoir un bilan positif. à la fin de l'année.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle LegiWatch et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir Philippe Mettou, magistrat de formation, procureur de la République en 1993. Il rejoint ensuite la direction des affaires criminelles au ministère de la Justice. Il devient conseiller auprès du Premier ministre Dominique de Villepin avant d'entrer au Conseil d'État. Depuis 2013, il est le directeur juridique du groupe SNCF. Bonjour Philippe.

  • Speaker #0

    Bonjour Pierre.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a des éléments que tu aimerais ajouter à cette présentation ?

  • Speaker #0

    C'est amusant parce qu'en quelques phrases, on revoit toute sa vie professionnelle qui défile, donc ça donne un petit peu le vertige aussi. J'ai eu beaucoup de plaisir, ça étonnera peut-être certains des auditeurs, à être magistrat du parquet. Parce que le magistrat du parquet, il a peut-être dans l'imaginaire une image un peu... un peu dur ou un peu difficile. C'est le champion de l'accusation, c'est celui qui réclame les peines. Mais quand on connaît bien le métier de procureur, c'est tout autre chose. C'est le protecteur des incapables majeurs, c'est celui qui vérifie les officiers d'État civil, c'est celui qui dirige l'activité de la police, de la gendarmerie en matière judiciaire. Donc ce n'est pas qu'une personne qui réclame des peines, c'est aussi lui qui décide de l'action publique dans son ressort. Et moi, j'ai eu la chance d'être procureur à 34 ans, ce qui donne un peu le vertige, je dois le reconnaître, mais comme j'étais un peu inconscient à l'époque, je ne m'en suis pas rendu compte. Mais c'est un métier que j'ai adoré, c'est un métier que j'ai fait pendant près de 22 ans, où j'ai beaucoup appris. En sortant de la fac, je peux dire aussi que je sortais des jupes de ma mère, je ne savais pas grand-chose de la vie. J'ai eu la chance d'être élevé dans un milieu un peu protégé et hop, on est nommé substitut du procureur de la République. Et puis on a son premier meurtre ou son premier assassinat. Et là, pour la première fois de sa vie, on voit un cadavre, parfois dans des conditions qui ne sont pas toujours exceptionnelles, et on est plongé dans la réalité de la vie du jour au lendemain. Alors heureusement, la vie, ça n'est pas que ça, mais ça peut être ça aussi. Et j'ai beaucoup appris à cette occasion-là, humainement, professionnellement. J'en garde un grand souvenir. Alors pas de nostalgie, mais un grand souvenir. Et encore une fois, j'y ai beaucoup appris.

  • Speaker #1

    Super intéressant, Philippe. Et comment on passe du coup de meurtre, de choses très dures à une entreprise comme la SNCF ?

  • Speaker #0

    Oui, alors là, comme tu l'as dit, c'est une longue histoire. Ça ne s'est pas fait en un trait de temps, un peu par le hasard, en réalité. J'ai été procureur en titre pendant 7 ans, ce qui est assez long, parce que comme je l'ai été assez jeune, j'étais dans un petit tribunal avec assez peu de collaborateurs. Donc c'est un travail vraiment de tous les jours, une astreinte très forte, parce qu'on n'était pas très loin de la région parisienne et donc il se passait pas mal de choses. Et au bout d'un moment, on fatigue un peu, il faut bien le dire. J'ai souhaité changer d'activité. Et on m'a proposé d'aller au ministère de la Justice sur un poste que finalement je n'ai jamais obtenu. En attente, on m'a mis sur un autre poste qui était un poste de chef de bureau qui s'occupait de prévention et de victimes. Et il se trouve que c'était au moment où des affaires d'accidents très importantes ont marqué l'actualité. L'incendie du tunnel du Mont-Blanc, l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, une chose qui s'était passée en Espagne, un naufrage sur un lac. espagnol à côté de Barcelone où il y a eu beaucoup de morts, une quarantaine de morts. L'effondrement de la passerelle du Queen Mary à Saint-Nazaire. Donc il a fallu inventer parce que c'était l'époque où la victime a repris une place un peu plus importante dans le procès pénal. Jusqu'à présent, la victime, c'était vraiment la dernière roue du carrosse. Et on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose pour les victimes dans ces accidents collectifs et donc il fallait les aider non seulement à comprendre ce qui allait se passer mais en plus à... obtenir les indemnisations auxquelles elles avaient droit sans attendre les années et les années d'instructions, de procès. Et donc on a mis en œuvre un système d'indemnisation rapide sur le barème judiciaire qui a permis d'indemniser toutes les victimes avant qu'elles arrivent au procès par des accords amiables avec elles-mêmes, contrôlés par leurs avocats. Et le plus important dans ces affaires-là, ça a été... l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, qui avait fait plus de 50 000 victimes. Alors, à peu près 5 000 victimes physiques, et tout le reste, c'était des victimes matérielles. Et on imagine assez facilement que... Une audience ne peut pas se tenir avec 50 000 victimes. Donc, il a fallu inventer un système qui a permis d'ailleurs au final que seulement 1 000 victimes se présentent au procès parce que soit elles n'étaient pas satisfaites de l'indemnisation qu'on leur proposait, soit elles estimaient qu'elles devaient l'obtenir par le tribunal et pas par un accord amiable. Mais passer de 50 000 à 1 000, ça a déjà été une grande victoire parce qu'on a pu traiter la plupart des... des dossiers qui nous étaient soumis, dans un comité que je présidais, qui comprenait les représentants de Total, les représentants de la ville, les représentants de la magistrature, les représentants des assureurs, etc. Et les représentants des victimes qui s'étaient constituées en association. Et je dois dire que ça a été une certaine fierté de voir qu'il y a eu une adhésion assez forte sur ce process, qui était une invention un peu ex nihilo, et qui a permis, je crois, de faire avancer. toutes les semaines à Toulouse, le mercredi. Et quand je faisais la route de l'aéroport au tribunal, je regardais les immeubles et j'arrivais toujours à La Réunion en disant, il y a encore trop de contreplaqué qui bouche les fenêtres. Il faut vraiment qu'on puisse mettre des carreaux pour que les gens vivent normalement dans leurs appartements. Parce qu'il y a eu une pénurie, il y a eu tellement de fenêtres qui ont explosé à cause de l'usine, qu'il y avait eu une rupture de stock de verre. C'était un peu mon baromètre chaque semaine de voir combien de fenêtres supplémentaires avaient pu être réparées dans la semaine passée. Et donc ça a été pour moi une expérience très enrichissante aussi et humainement très forte. Et surtout quand les associations de victimes m'ont remercié. Évidemment, elles n'étaient pas très inclines à remercier les représentants de l'autorité publique. Mais là, elles ont été satisfaites du travail qui avait été fait par la commission d'anonymisation des victimes.

  • Speaker #1

    C'est un moment marquant pour toi, Philippe, mais qu'est-ce qui t'a amené alors, du coup, dans la suite de ce parcours, à arriver à la SNCF ?

  • Speaker #0

    Alors, ça a été un peu le hasard. Il y a encore une ou deux étapes à faire avant. On est omnibus, là. On n'est pas TGV, on est omnibus. Donc, il faut qu'on s'arrête dans quelques gares supplémentaires. D'accord. Comme j'avais acquis cette compétence en matière de droit des victimes, le président Chirac, à une époque... a estimé lui aussi que les victimes étaient parfois un peu maltraitées dans notre système pénal, dans ce qu'on appelle le procès pénal. Et donc il a décidé de créer un secrétariat d'État aux victimes. Il l'a confié à Nicole Getsch qui a été la première secrétaire d'État aux victimes. Et Nicole Getsch cherchait un collaborateur qui s'y connaissait un peu parce qu'elle n'avait pas de compétences particulières en la matière. Et donc elle m'a demandé de venir. Et j'ai été son collaborateur principal pendant quelques mois, le temps de créer son programme, qu'elle a passé en Conseil des ministres trois ou quatre mois après, qui était assez innovant à l'époque et beaucoup de dispositions ont été reprises ou votées. Et Nicole Gage a bien voulu que je parte au ministère de l'Intérieur, où Dominique de Villepin souhaitait que je le rejoigne. Et quand Dominique de Villepin est partie à Matignon, je l'ai également rejoint. Et quand Matignon s'est arrêtée en 2007, j'ai été nommé conseiller d'État. Et je suis resté conseiller d'État pendant sept ans, jusqu'à ce qu'une chasseuse de tête vienne me chercher et me proposer ce poste à la SNCF. Voilà les différentes étapes de mon parcours, parfois un petit peu sinueux, pas très facile, enfin pas très logique en tout cas, ou pas d'une logique. qui s'impose d'emblée, pour que j'arrive directeur juridique de la SNCF, il y a maintenant presque 12 ans.

  • Speaker #1

    Tu décris un parcours qui me semble être au service de la France. Quelle est ta vision de la France pour toi ? Quelle est la société vers laquelle on devrait tendre ? Tu as un parcours qui, pour moi, me semble être un parcours de combat. Qu'est-ce que tu défends ?

  • Speaker #0

    Je crois que je ne suis pas très original dans le modèle. C'est-à-dire qu'évidemment... Je défends une société égalitaire, aussi bien d'ailleurs entre les hommes et les femmes qu'entre tous les hommes et toutes les femmes. Une société aussi qui prône l'ascension sociale pour ceux qui le souhaitent. Une société qui soit aussi peut-être plus apaisée que ce qu'elle naît aujourd'hui, avec beaucoup de toutes ces tensions qui, on le voit bien, remontent à la surface parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne s'estiment pas considérés comme ils devraient l'être. Je crois aussi que notre société, elle est là pour nous. pour faire grandir les gens. C'est-à-dire que de l'école jusqu'à, j'allais dire, à la fin de sa vie professionnelle, on doit acquérir des compétences nouvelles, on doit faire un métier qui nous plaît. En tout cas, on doit essayer de le faire comme ça. Je crois que si on avait une vision un peu plus large de ce qu'est la société... que doit être une société moderne, avec toutes les facilités qui nous sont ouvertes depuis quelques dizaines d'années. Pensons quand même à ce qu'était la vie au sortir de la guerre de 39-45. Tout était détruit, tout était démoli, il fallait tout construire, il fallait tout reconstruire, il fallait réinventer une nouvelle société, ce qui a été fait à l'époque grâce au Conseil national de la résistance, puis après grâce au général de Gaulle. On a l'impression que dans la société actuelle, actuelle dans laquelle on vit, on tourne un peu avide, tout le monde manque un peu d'idées, tout le monde réfléchit plus à l'élection d'après plutôt que voir sur le long terme, essayer d'éduquer toutes ces masses qui ont besoin de mieux connaître la vie, de mieux connaître ces nouvelles technologies qui font partie maintenant de notre vie quotidienne, qui peuvent aussi bien nous aider merveilleusement dans certaines tâches. que d'être également aussi extrêmement nocive et dangereuse.

  • Speaker #1

    Pour revenir sur ton parcours, ça fait dix ans que tu es à la SNCF, donc c'est bien plus long que tes expériences précédentes. Pour quelles raisons ?

  • Speaker #0

    Parce que tous les matins, je ne rechigne pas à me lever pour aller au boulot. C'est la raison numéro un.

  • Speaker #1

    Aussi simple que ça ?

  • Speaker #0

    C'est très simple. Quand on a envie d'aller au boulot, c'est déjà bon signe. Pourquoi est-ce que j'ai envie d'aller au boulot ? Parce que je ne m'y ennuie pas. La SNCF est une maison où il se passe toujours quelque chose. Alors, on connaît le slogan pour les galeries Lafayette, mais c'est également vrai pour la SNCF. Il se passe toujours quelque chose à la SNCF. Et puis, c'est aussi parce que, alors, pardon de cette marque un peu d'immodestie, mais c'est parce qu'au dernier baromètre interne de ma direction, un baromètre pour toute l'entreprise, j'ai les chiffres pour ma direction, j'ai un... taux d'engagement de 91%. Ça veut dire que 91% de mes collaborateurs, qui ont répondu à 100%, sont très satisfaits de leur environnement de travail, de ce qu'ils font, des dossiers qu'ils traitent, de la façon dont ils sont considérés. Je rappelle que la moyenne en France, c'est 14%. Au global, avoir 91%, j'allais dire de satisfaction, pour le dire vite, mais on appelle ça le taux d'engagement. C'est assez satisfaisant, je dois le dire. On se dit qu'on n'est pas là par hasard et qu'on a pu faire quelques petites choses qui font que, si soit le matin, on aime bien venir au travail, eux-mêmes, ils sont un peu dans le même état d'espoir.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc, si je comprends bien, c'est très agréable de travailler avec Philippe.

  • Speaker #0

    Il faudrait leur poser la question.

  • Speaker #1

    Et au-delà de ça, du coup, justement, tu parles de projets, de changements. Quels sont tes projets du moment au sein de la SNCF ? et de manière plus générique finalement, comment est-ce que tu décrirais ton quotidien à quelqu'un qui ne connaît pas du tout ce monde-là ? Qu'est-ce que tu fais en arrivant le matin ? Quelle est ta journée type si tu en as une ?

  • Speaker #0

    Alors il y a une chose certaine pour commencer par la fin, c'est que quoi que je puisse décider de faire dans ma journée en arrivant le matin, je suis à peu près certain que je ne le ferai pas. Parce qu'il y aura toujours quelque chose qui arrivera, qui me distraira de ce que j'avais prévu ou qui m'obligera assez rapidement à... à déguerpir de l'endroit où je suis pour aller rejoindre soit la salle de crise, soit mon bureau, soit une réunion qui se tient en urgence. Ce n'est pas ça tous les jours, heureusement. Mais ce que j'aime bien dans mon métier, c'est que justement, il y a une très grande variété. Alors, d'une manière aussi très chauvine, j'ai l'habitude de dire que la direction juridique de la SNCF est la plus belle direction juridique de toutes les entreprises françaises. Bon, je trouverai peut-être quelques contradicteurs de ci, de là, qui vont me dire que c'est faux et que c'est la leur. Pourquoi ? Parce que... Nous embrassons toutes les sphères du droit, c'est-à-dire aussi bien le droit privé que le droit public, le droit interne, le droit communautaire, le droit international. Et donc, on a énormément de spécialistes chez moi dans toutes ces sphères. Et moi, j'apprends tous les jours à leur contact. Il y a quelques domaines dans lesquels je ne suis pas trop mauvais, mais il y en a d'autres dans lesquels je ne suis pas le meilleur. Mais je crois pouvoir avoir les meilleurs auprès de moi pour me conseiller et pour mener à bien les dossiers que je leur confie. Et dans cette maison, ce n'est pas parce qu'on est le plus ancien dans le grade le plus élevé qu'on prend la décision. Cette maison, c'est celui qui a la meilleure connaissance de la matière et du dossier, qui emporte le morceau, qui peut être chef de projet. Je crois que ça aussi, c'est très valorisant pour les équipes, parce que ce n'est pas comme dans un cabinet d'avocats où on est d'abord obligé d'être collaborateur. pendant des années où on ne voit pas l'entièreté du dossier tout de suite. On voit très rarement le client. Et puis, les années passant, alors on travaille parfois jusqu'à 1h, 2h, 3h du matin. Et puis, les années passant, on monte un peu en grade. Et puis, au bout de 20 ans, 25 ans, on devient associé. Et là, on commence à avoir les dossiers en main et à décider de la stratégie. Chez moi, si on est très bon dans le domaine et si on a les capacités, les aptitudes, on peut très bien être chef du projet tout de suite. et avoir dans son équipe des gens plus anciens, mais qui s'y connaissent moins. Donc je crois aussi que ça permet aux gens de comprendre que, un, on leur fait confiance. Ce qui est très important, évidemment, dans l'entreprise. La confiance n'excluant évidemment pas le contrôle, selon la bonne formule. Mais faire confiance a priori, ça me paraît aussi un élément moteur dans une entreprise pour que les gens se donnent et donnent le meilleur d'eux-mêmes dans un dossier. On a, je crois, de ce point de vue-là, une philosophie qui répond bien aux attentes du moment et notamment aux plus jeunes collaborateurs. Moi, j'ai des collaborateurs qui ont 25 ans et d'autres qui en ont quasiment 60. Mais tout ce petit monde cohabite. très bien parce qu'ils savent très bien que la règle dans le traitement d'un dossier ou dans la responsabilité d'un dossier, c'est la compétence. Et la compétence, elle est rarement contestée. Elle est rarement contestée parce que ça se voit assez vite si on est compétent dans un domaine ou si on ne l'est pas. Et en droit, ça se voit quand même assez rapidement aussi. Partant de là, je crois qu'il y a des équipes qui sont justement très engagées parce qu'elles savent que la responsabilité d'un dossier et donc de la défense de l'entreprise repose sur leurs épaules.

  • Speaker #1

    Donc si je grossis le trait, au sein des équipes juridiques de la SNCF, Il y a une concurrence interne, c'est un peu le libre marché total, où un junior de 23 ans peut gérer un gros projet parce que c'est le plus compétent ?

  • Speaker #0

    Absolument. Je ne crois pas que ça se joue en termes de concurrence. Il n'y a pas de concurrence entre les équipes. Et souvent d'ailleurs, il y a de la collaboration, parce qu'un dossier juridique, ça n'est que rarement une seule question de droit. C'est généralement plusieurs questions de droit. Et donc justement, il faut emboîter les solutions juridiques les unes dans les autres. Et ça nécessite aussi un fort travail de collaboration interne entre les équipes. Et là, c'est très important de voir à quel point la dynamique du groupe joue un rôle dans la résolution de ces dossiers. Parce que si les gens ne s'entendent pas bien, on peut même dire si les gens ne s'entendaient pas bien, ils réussiraient moins bien à gérer l'intégralité du dossier ensemble.

  • Speaker #1

    D'accord. Et donc les dossiers, justement, c'est des dossiers qui sont internes à la SNCF. C'est-à-dire que c'est des appels à projets. pour votre client, c'est la SNCF ou est-ce qu'il y a d'autres clients ? Comment ça se passe ?

  • Speaker #0

    Oui, oui, notre client, ça n'est que SNCF, mais le client peut avoir différents sujets à traiter. C'est-à-dire, on peut faire soit du conseil, un contrat, on a besoin de le rédiger ou de réviser un contrat qui est proposé par notre co-contractant ou nos co-contractants. On souhaite bien évidemment insérer les clauses qui nous conviennent bien. Donc, c'est une négociation auxquelles le juriste participe, comme on a... contract manager, et puis après c'est la vie du contrat lui-même qui doit être suivie, et puis l'achèvement du contrat avec toutes les possibilités de réclamation diverses et variées. À côté de ce rôle de conseil, il y a tout ce qui a trait au contentieux, c'est-à-dire les procès, qui peuvent être aussi bien des procès civils, des procès administratifs, des procès pénaux, des procès prud'homo, des procès commerciaux. Et donc là, dans chaque domaine, on a des juristes qui sont... compétents et qui élaborent la stratégie que nos avocats, enfin généralement on l'élabore en concertation avec nos avocats, que nous développerons à l'audience pour convaincre le juge. Donc ce sont les deux grands aspects. À côté de ça, on se permet même le luxe de faire un peu de formation de nos équipes internes parce qu'évidemment, on a besoin avec certains de nos interlocuteurs dans l'entreprise de leur expliquer ce qu'est le droit, de ce qu'est ce qu'ils... peuvent faire, ce qu'ils ne doivent pas faire dans tel ou tel domaine. Et on fait donc beaucoup de formation aussi au sein même de l'entreprise. Ce sont à peu près les trois grands domaines dans lesquels la direction juridique intervient.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc là, tu parlais de potentiellement convaincre un juge. Ce podcast s'appelle Hémicycle. Est-ce que vous avez une influence sur la création des politiques publiques via, justement, votre positionnement juridique ?

  • Speaker #0

    Alors, on en a une quand... on nous le demande. On est une entreprise publique, notre actionnaire à 100% c'est l'État. L'État, de temps en temps, souhaite avoir notre avis. De temps en temps, il s'en passe très facilement. On peut lui tirer la manche de temps en temps pour lui dire qu'on aimerait bien dans ce domaine que les choses évoluent. Alors, on en a un qui est assez récent, le vote de la loi Tabarro qui est passé devant l'Assemblée nationale et devant le Sénat et en commission mixte paritaire très récemment. Tous les gens qui prennent le train savent qu'il y a une force de l'ordre qui appartient à la SNCF qui s'appelle la surveillance générale. Ce sont des gens qui sont en uniforme, qui patrouillent à la fois dans les gares, dans les trains, aux abords des gares. Nous trouvions qu'ils n'avaient pas assez de pouvoir dans certains domaines et que les délinquants ou les contrevenants utilisaient ces failles pour échapper à des condamnations, alors qu'ils ne sont que des contraventions, je m'empresse de le dire. Et donc on a suggéré du temps où il n'était pas encore ministre à M. Tabarro, qui a sans doute des améliorations à apporter dans les possibilités qui sont offertes à nos agents de la surveillance générale, qui sont 3 500 sur le territoire. Donc ce n'est pas une petite force, c'est une petite armée presque. Il se trouve que M. Tabarro est devenu ministre et a poursuivi allègrement le ministre des Transports, qui plus est, parce qu'il s'intéresse à ces sujets, et a poursuivi allègrement... le vote de sa loi et on a pu obtenir ainsi un certain nombre de dispositions pour lesquelles il était totalement convaincu. Donc ce n'était pas la peine d'essayer de le convaincre, il était totalement convaincu, mais grâce à lui, on a pu faire voter ses dispositions.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc dans ce cas-là, vous allez voir directement le ministre, comment vous avez son contact, ou alors vous passez par des parcs ? Oui,

  • Speaker #0

    il y a des contrats très étroits avec le cabinet du ministre des Transports, avec le cabinet du Premier ministre, même avec le cabinet du président de la République. Il y a souvent des conseillers, il y a toujours même des conseillers de transport auprès d'eux, parce que le transport dans ce pays est un élément important de la vie du pays. Et donc, on est en contact régulier avec eux. Et puis au ministère des Transports même, il y a une direction qui s'appelle la DGITM, qui elle est plus spécialement chargée de tous les transports, et il y a une branche qui s'occupe du transport ferroviaire, et c'est notre interlocuteur particulier. Et puis de surcroît, on a quelques régulateurs, alors l'autorité de régulation des transports, l'ART, qui est notre, j'allais dire, surveillant général, et puis d'autres régulateurs comme l'autorité de la concurrence, comme la Commission nationale informatique et liberté, Et le PSF, qui est l'établissement public de sûreté ferroviaire, qui veille à ce que les conditions de sécurité des trains, notamment dans la circulation des trains, soient respectées. Donc on a beaucoup d'interlocuteurs publics.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est les mêmes interlocuteurs pour vos projets de développement ? J'ai lu par exemple que vous allez mettre sur le marché en 2027 des navettes nommées Carflex, qui sont capables de rouler sur rail et sur route. Il y a aussi le projet de train Dresi avec des batteries électriques. Est-ce que c'est la même chose ? Vous allez directement voir le ministre des Transports ou est-ce que ça passe par d'autres processus ?

  • Speaker #0

    Alors on a une direction recherche et développement qui est évidemment très importante au sein de la SNCF et qui essaie d'anticiper sur les grandes mutations de demain. On s'est rendu compte, comme je crois tout le monde, qu'après la pandémie, le train avait connu... une vogue assez incroyable, et continue d'ailleurs à la connaître. C'est souvent assez difficile de trouver un billet de train au dernier moment, parce que tous les trains sont complets. Il y a une vraie affection des Français pour le train, et une vraie affection des Français qui fait suite à une forme de désaffection des Français pour le train qui était avant la pandémie. Je crois que les gens ont compris que d'abord, rouler en voiture, ça coûtait cher, que c'était sans doute plus risqué que de rouler en train. Ça, ce sont les statistiques qui le disent, ce n'est pas moi. Et puis, une forme aussi de désaffection, il faut bien le dire, pour l'aérien, en tout cas pour les courtes distances de l'aérien, là où notre TGV Paris-Bordeaux met 2h04 pour faire le trajet. Un avion, si on prend en compte le temps d'arriver à l'aéroport, de passer la sécurité, de rentrer dans l'avion, de ressortir de l'avion, de repasser la sécurité et de rejoindre le centre de Bordeaux, donc, On peut mettre 4 ou 5 heures. Donc, comme disaient les jeunes, maintenant ils ne le disent plus, il n'y a pas photo. C'est assez simple de penser que les gens aiment le train. Seulement, comme le train a connu cette désaffection, il faut repenser de nouveaux modes de transport qui soient compatibles avec le réseau ferré national, qui a énormément diminué. Je rappelle qu'au début du XXe siècle, il y avait 50 000 kilomètres de voies ferrées en France. Aujourd'hui, il y en a moins de 30 000. Donc on voit bien qu'à l'époque, les voies ferrées allaient dans les plus petits endroits, dans les fins fonds de campagne, et on le voit encore parce qu'il y a quelques gares désaffectées qui ont souvent été vendues, transformées en maisons d'habitation ou en autre chose. Il y a toujours cette volonté que le train, et notamment par les présidents de région, que le train devienne un mode de transport à la fois écologique et doux pour rejoindre certains lieux. Et donc on a... pu réfléchir à des modes qui favorisent à la fois les quelques voies ferrées qui subsistent dans ces endroits-là, mais qui puissent aussi prendre la route. C'est assez incongru quand on y réfléchit, parce qu'on se dit « mais on est dans un film de science-fiction » . Ben non, pas du tout, on n'est pas dans un film de science-fiction. Ces petits véhicules, parce qu'on n'a pas besoin de trains qui font 500 places, on a besoin de véhicules qui font 50 places, en réalité. Et donc, ils sont très souples dans l'utilisation, ils peuvent passer dans beaucoup d'endroits, Et ils sont polyvalents. Donc, c'est très pratique. Et moi, je fonde beaucoup d'espoir sur ces moyens de transport futur parce que je crois que c'est un peu le moyen de transport de l'avenir.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est des moyens de transport qui sont rentables ou qui sont aidés par vos autres activités ?

  • Speaker #0

    Oui, alors... On est une entreprise publique. Quand on est une entreprise publique, on se doit d'être une entreprise rentable. Surtout que depuis 2020, on est un groupe de sociétés anonymes. Donc une société anonyme, elle peut faire faillite si elle n'a pas suffisamment de revenus par rapport à ses charges. Auparavant, nous étions un établissement public industriel et commercial. Un établissement public industriel et commercial, pour ceux qui ne sont pas juristes, c'est une... spécificité du raffinement juridique français, ça n'existe nulle part ailleurs dans le monde qu'en France, mais un établissement public industriel et commercial qu'on appelle un EPIC, en résumé, il a la garantie illimitée de l'État. Là, on est passé d'un établissement public qui a la garantie illimitée de l'État à un groupe de sociétés anonymes qui doit rendre des comptes et qui doit avoir un bilan positif à la fin de l'année. Alors, tu as peut-être remarqué que ces trois dernières années, le bilan était très positif. puisqu'on fait chaque année depuis 3-4 ans 1 milliard à 1,5 milliard de bénéfices qui sont immédiatement réinvestis dans le réseau parce que le réseau a besoin d'être maintenu et régénéré. Si, par exemple, notre bilan était négatif, on pourrait se poser la question de savoir si la pérennité de la SNCF qui existe depuis 1938 ne serait pas mise en péril et si elle ne pourrait pas, comme n'importe quelle autre société, être à traite devant le tribunal de commerce pour être mise en règlement judiciaire. Ça, les Français le savent assez peu, mais c'est la réalité depuis 2020.

  • Speaker #1

    Est-ce que pour toi, c'est normal que la SNCF doive être rentable ? Je donne mon opinion personnelle là, mais si j'avais par miracle la chance d'être aujourd'hui ministre des Transports ou même de pouvoir gérer ça au niveau même européen, je dirais que le réchauffement climatique est une priorité. C'est un chantier qu'on doit adresser rapidement. Et donc, je taxe davantage les avions. Tu parlais tout à l'heure des avions. Et j'envoie le revenu de ces taxes vers... le train et le train n'a pas à être rentable, c'est simplement l'urgence, c'est que les Européens doivent prendre le train davantage. Qu'est-ce que tu penses de ça ?

  • Speaker #0

    Tu fais partie des tenants de ce grand débat franco-français qui agite beaucoup de monde. Il suffit d'aller sur les réseaux sociaux, d'ailleurs au moment où on publie nos comptes, ça suscite beaucoup de réactions entre les gens qui pensent comme toi, qui se disent que le chemin de fer c'est un service public et que partant de là, ce service public, quoi qu'il coûte, L'État doit y pourvoir. Et puis d'autres personnes qui disent, mais non, le train, c'est un moyen de transport comme un autre, comme les bus, comme les avions. Il n'a pas besoin d'être subventionné. Il faut qu'il se débrouille par lui-même. La vérité est entre les deux. Il y a en France beaucoup de transports ferroviaires qui sont subventionnés, notamment par les régions. Tous les transports ferroviaires régionaux sont subventionnés en grande partie par les régions. parce que ces régions ont besoin que les gens puissent, au sein de la même région, circuler pour aller à leur travail, en revenir. Et ça n'est pas, a priori, rentable d'emblée comme ça. En revanche, le TGV, lui, il se suffit à lui-même. Il n'est absolument pas subventionné. C'est quelque chose qui coûte très cher, le TGV, parce que la construction de la ligne coûte horriblement cher déjà au départ. C'est une ligne qui est extrêmement automatisée, avec beaucoup d'informatique. beaucoup d'intelligence artificielle aussi désormais. Mais le TGV, grâce au nombre de voyageurs qu'il transporte par an, est globalement dans sa globalité rentable. C'est-à-dire qu'il y a des lignes qui sont extrêmement rentables. Par exemple, Paris-Lyon-Marseille, c'est la ligne la plus rentable du TGV. Il y en a quelques autres qui ne sont pas rentables. Jusqu'à présent, la SNCF, comme elle possédait les lignes à la fois rentables et non rentables, elle arrivait à équilibrer pour le TGV. Maintenant qu'on a des nouveaux entrants, des concurrents, évidemment, eux. ils ne vont pas se précipiter sur les lignes qui ne sont pas rentables. Ils vont se précipiter sur celles qui sont rentables. On pose la question au gouvernement, dans ce cas-là, si à la SNCF, il ne reste plus que les lignes qui ne sont pas rentables, comment est-ce qu'on fait ? Donc la question est en débat. Le gouvernement n'a pas encore tranché. En tout cas, le gouvernement est bien au fait de cette question-là. Et l'actuel ministre des Transports, d'ailleurs, a dit qu'il va falloir qu'on réfléchisse sérieusement. Parce qu'évidemment, par exemple, je prends nos collègues italiens. qui font rouler ces magnifiques trains qui s'appellent Flèches Rouges, Freccia Rossa, qui sont hyper confortables et dans lesquels, évidemment, on a un café italien absolument délicieux. Eux, ils veulent faire Paris, Lyon, Milan, dans les meilleures conditions, mais ils ne veulent pas du tout faire des petites lignes jusqu'à Brest ou jusqu'à Quimper, parce que ça ne les intéresse pas. Ils pensent peut-être que les Bretons préfèrent le cidre au café, j'en sais rien, mais en tout cas, ils veulent des lignes extrêmement rentables. Mais s'il ne reste plus à la SNCF que les lignes qui ne sont pas rentables, ça va poser un problème de modèle économique. Et donc, ça voudrait dire que l'actionnaire, l'État, soit obligé de renflouer ou de compenser le fait que cette concurrence ne se fait que sur les lignes rentables. C'est une vraie question que les politiques doivent se poser assez rapidement.

  • Speaker #1

    Est-ce que toi, à titre personnel, tu penses que l'ouverture à la concurrence, c'est une erreur ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'on a voulu transposer ce qui s'est produit dans l'aérien depuis très longtemps dans le ferroviaire. La difficulté, c'est que ça n'est pas comparable. Parce que l'aérien, les grosses infrastructures, qu'est-ce que c'est ? Ce sont les aéroports. Et une fois qu'on a construit un aéroport, on peut peut-être l'étendre, comme c'est arrivé à Roissy à plusieurs reprises. On a étendu l'aéroport en fonction du trafic aérien. Mais l'investissement, il a été fait au départ et il a été finalement assez vite amorti. Après, ce sont les compagnies aériennes qui se chargent du confort des passagers avec des avions de plus en plus rapides. ou des avions de plus en plus économes en carburant et tout cela. Et on a vu d'ailleurs le boom des sociétés low cost qui pouvaient emmener assez loin des passagers pour 20, 30 ou 60 euros. Nous, certes, on a nos aéroports à nous qui sont nos gares, qui sont des gares d'ailleurs souvent très anciennes. Je parle notamment pour les gares parisiennes, mais pour beaucoup de gares des grandes métropoles françaises qui ne sont pas forcément adaptées au trafic actuel. qui nécessite énormément d'investissement. Quand on voit les verrières absolument magnifiques de nos gares parisiennes ou par exemple de la gare de Bordeaux qu'on a restaurée il n'y a pas très longtemps, on voit le travail que c'est de restaurer tout ça. Ça nécessite déjà en soi un investissement important. Ça nécessite aussi de réfléchir à tous les flux de passagers qui ne sont pas les mêmes qu'avant. Quand avant, un train transportait 100 personnes, Maintenant, il est capable d'en transporter 1 000 et avec le nouveau TGV, 1 500, quand il y aura deux rames à coller l'une à l'autre. Donc tout ça nécessite aussi qu'on repense les flux dans les gares. Les flux dans les gares, c'est très important. Mais surtout, ce qui nous différencie de l'aérien, c'est les voies ferrées. Les voies ferrées, l'aérien, c'est le ciel. Donc il n'a pas à se soucier de l'entretien du ciel. En revanche, nous, nous avons à nous soucier de l'entretien de près de... 30 000 km de voies ferrées. Et ça, c'est extrêmement onéreux. Et ça, c'est notre filiale SNCF Réseau qui le fait. Nos concurrents, ils se contentent de payer un péage pour passer sur ces voies ferrées, mais ils ne les entretiennent pas.

  • Speaker #1

    Et le péage, c'est vous qui en fixez le prix ?

  • Speaker #0

    Alors c'est SNCF Réseau qui en fixe le prix, qui est à cet égard indépendant de nous. Et c'est SNCF Réseau qui décide d'attribuer ces passages, qu'on appelle chez nous des sillons, aux sociétés qui le réclament. En tout cas, les sillons qui restent, parce que nous, on en utilise déjà beaucoup. Ce n'est pas un secret de dire qu'on a essayé de saturer un peu tous ces passages pour en avoir le plus possible. C'est pour ça qu'on a, avant l'ouverture à la concurrence, créé nos trains Wigo, qui sont des trains low-cost, qui permettent à des gens de voyager pour 15, 20, 30 euros et aller à l'autre bout de la France, mais dans des conditions de confort qui sont un peu moins bonnes que dans nos TGV Inouï. Un jour va venir où la concurrence va être beaucoup plus agressive. et va réclamer beaucoup plus de passages, de sillons, et sera peut-être prête à payer plus cher, sans compter que les premières années, il y a eu une sorte de prime aux concurrents entrants qui avaient des sillons moins chers que nous, pour favoriser l'ouverture à la concurrence. Tout ça est assez complexe, tout ça mérite aussi pas mal de réflexion, et de se dire, bon, la concurrence c'est bien, c'est une volonté européenne, il y a maintenant près d'une quinzaine d'années, dans beaucoup de domaines. Mais il faut réfléchir aussi aux conséquences que ça peut avoir sur les entreprises nationales. La SNCF, globalement, c'est quand même 260 000 agents dans le monde, puisque nous avons beaucoup d'autres filiales qui travaillent ailleurs dans le monde. On ne peut pas, du jour au lendemain, mettre leur activité en péril, tout simplement parce qu'il faut ouvrir nos voies ferrées à des collègues étrangers.

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose que je ne saisis pas bien. Vous avez les gares, vous avez l'infrastructure. Est-ce que vous ne pouvez pas forcer vos concurrents à payer davantage pour contribuer aux lignes qu'ils ne veulent pas desservir ?

  • Speaker #0

    Nous, on ne peut pas. Il faudrait que ce soit une décision de l'État et que cette décision soit validée par l'Union européenne. Mais c'est, je crois, ce à quoi réfléchit actuellement le gouvernement.

  • Speaker #1

    D'accord. J'ai une autre question un peu indépendante. Est-ce que vous contrôlez totalement l'affichage des publicités dans vos gares ?

  • Speaker #0

    Alors, on contrôle pas mal, oui. On a une régie qui s'occupe de ça. et cette régie, elle a un certain nombre de règles qui lui sont fixées par nous. Mais ces règles, parfois elles peuvent être détournées, contournées, ou elles ne peuvent pas être assez claires pour une appréciation. Alors je ne sais pas si tu veux me parler d'un sujet récent que tu as pu lire dans la presse, et dont on aura la solution dans quelques jours, c'est l'affichage d'une publicité pour le livre de Jordan Bardella, qui a été contesté par un certain nombre d'associations, qui estimaient que c'était un affichage pour un livre politique, et qui... que la SNCF était tenue à une obligation de neutralité religieuse et politique. On a plaidé récemment devant le tribunal et on aura le résultat de ce dossier dans quelques temps. Bon, très objectivement, les gens qui nous ont fait ce procès ont fait plus de publicité au livre de Jordan Bardella que s'il n'y avait pas eu de procès. Donc je pense que Jordan Bardella, très légitimement, doit être plutôt satisfait de cette publicité à bon compte. Après, dans une société comme la nôtre, ça n'est pas non plus hors de propos de se poser la question de savoir si un livre par un homme politique qui est ouvertement candidat à un certain nombre d'élections et qui défend un certain nombre de points de vue, que ce soit Jordan Bardella ou que ce soit un autre, doit pouvoir avoir un panneau d'affichage vantant les mérites de son livre. Après, ça veut dire qu'il faut faire le distinguo. savoir si c'est un livre véritablement politique ou si c'est un livre simplement de mémoire ou de témoignage sur sa vie, son enfance, son oeuvre et ses projets. On va voir ce que le juge va décider.

  • Speaker #1

    Très bien. En fin de compte, je ne pensais pas du tout à ça.

  • Speaker #0

    Ah bon ? C'est le sujet d'actualité.

  • Speaker #1

    J'ai pensé à quelque chose que j'ai vécu ce week-end qui était assez différent. C'est que je suis allé en Bretagne avec la SNCF.

  • Speaker #0

    Très bien. Je te félicite.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. J'ai pris un train pour aller en Bretagne et je reviens à Paris. Et le premier truc que je vois, c'est une pub dans la gare qui dit « partez au Maroc pour 30 euros » . Et c'était une pub pour prendre l'avion. Je me suis dit, mais pour moi, là, il se tire une balle dans le pied, quoi. Je viens de payer trois fois le prix ou quatre fois le prix pour faire l'aller-retour en Bretagne. Et ils disent « non, mais prenez l'avion dès que je sors du train » . Donc, j'ai trouvé ça très étonnant. Oui,

  • Speaker #0

    évidemment. Comme tu le racontes, c'est très étonnant. Mais si nous avions refusé à cette compagnie aérienne qu'elle puisse faire sa publicité, Alors que ce n'était une publicité ni à teneur religieuse, ni à teneur politique, elle aurait pu nous attaquer pour discrimination. Il faut bien imaginer que notre régie publicitaire, comme celle de la RATP d'ailleurs, et comme celle de beaucoup d'autres entreprises, doit être équilibrée dans ses approches et elle doit pouvoir laisser, y compris nos concurrents, s'exprimer.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc vous n'avez pas un total contrôle, même loin de là, sur ce qui est affiché ?

  • Speaker #0

    Non, parce que tout le monde doit pouvoir faire la publicité pour ce qu'il pense être le meilleur. Et le Maroc, c'est quand même difficile d'y aller en train. Oui,

  • Speaker #1

    j'entends bien, mais la Bretagne préfère l'affaire.

  • Speaker #0

    C'est vrai, ce n'est pas exactement le même ensoleillement, mais ce n'est pas mal. Moi, j'aime bien les deux, mais peut-être pas au même moment.

  • Speaker #1

    Je voudrais passer à la séquence évolution du droit. J'ai vu que tu t'es beaucoup exprimé sur l'arrivée de l'intelligence artificielle, le fait que ça bouleverse vos pratiques. Quelle est ta position sur l'usage de l'intelligence artificielle ? Tu as évoqué même tout à l'heure les limites, ou en tout cas peut-être les débordements que ça pourrait amener. Quels sont les points positifs principaux que tu vois et les risques que ça amène ? Eh bien,

  • Speaker #0

    c'est, je crois, la meilleure et la pire des choses, mais en même temps. Et comme beaucoup de choses. La voiture, c'est un instrument de liberté incroyable. Dès qu'on a son permis de conduire, on est capable de partir et qu'on a trois francs six sous pour faire le plein, on est capable de partir à l'aventure et d'aller visiter la France ou d'autres pays, c'est merveilleux. La voiture, malheureusement, on peut se tuer avec aussi. Heureusement, on se tue de moins en moins en France en voiture parce que les gens sont de plus en plus responsabilisés. Donc, ils ont été éduqués et on a mis des garde-fous. On a obligé à des limitations de vitesse, on a obligé à porter la ceinture de sécurité, on a obligé à ce que les voitures soient équipées d'airbags. à ce que la sécurité passive du véhicule soit de plus en plus performante. Bon, ça c'est une chose importante. Je pense que l'intelligence artificielle, toutes proportions gardées, toutes comparaisons gardées aussi, ça va être pareil, ça va être la meilleure et la pire des choses. Ça va être la meilleure des choses parce que ça va nous décharger de tâches inintéressantes, chronophages, et parfois sur lesquelles l'œil humain n'est pas le meilleur. Je pense notamment en médecine. Il est assez reconnu que, par exemple, pour un dermatologue, l'intelligence artificielle a un taux de réussite pour déterminer un bouton qui serait dangereux, plus fort que le dermatologue lui-même, s'il a énormément d'expérience. Parce que le dermatologue, il peut être fatigué, il a pu se disputer avec sa femme le matin avant de partir, il peut être préoccupé, il peut avoir d'autres soucis en tête, être moins attentif, etc. Donc, je pense que de ce point de vue-là, notamment dans tout ce qui concerne la médecine, l'intelligence artificielle va nous permettre des progrès énormes. Il va aussi nous le permettre dans toutes ces tâches, comme je le disais à l'instant, qui sont très répétitives, qui sont inintéressantes, des tâches notamment de synthèse des dossiers, de rédaction de contrat type, bref, tous ces sujets. Donc, je pense qu'il faut absolument encourager, je dis encourager, mais... Je plaisante un peu en disant ça, parce que de toute façon, l'intelligence artificielle est déjà là. Il faut favoriser l'implantation de l'intelligence artificielle, et moi je l'ai déjà fait beaucoup au sein de ma direction, et on va monter en puissance là-dessus. Mais il faut aussi, je crois, mettre des barrières éthiques à ce qui pourrait être le pire de l'intelligence artificielle, et on le voit bien avec des fake news qui sont parfois redoutablement efficaces, plus vraies que nature. avec des photos qui sont totalement inventées par l'intelligence artificielle et qui, permets-moi de le dire de cette manière un peu triviale, pourraient faire battre des montagnes. De ce point de vue-là, je crois qu'il faut... Je ne suis pas un adepte forcené de la régulation, mais là, je crois qu'il faut absolument qu'on ait une autorité de régulation très forte, très puissante, avec beaucoup de moyens qui permettent de poser des limites, et pas seulement en France, bien sûr, déjà une autorité européenne, et si on peut, une autorité mondiale qui permette de... poser des limites aux mésusages de l'intelligence artificielle. Et ça, ça me paraît essentiel.

  • Speaker #1

    Vous avez créé le SNCF groupe GPT, c'est bien ça ?

  • Speaker #0

    Bien enseigné, là.

  • Speaker #1

    Alors, qu'est-ce que c'est ? Et justement, alors, là, tu parles du pire de l'IA, mais au niveau de la SNCF, qu'est-ce qui pourrait être le pire de l'IA ? Ça serait une fake news sur un train ? Ça serait... Si c'était complètement débridé ?

  • Speaker #0

    Le pire pour la SNCF, ce serait sans doute que des hackers... par le biais de l'intelligence artificielle, ce qui leur facilite énormément le travail. Ils peuvent déjà le faire, je pense. Ils pourraient déjà le faire. Il se trouve qu'on est très bien armés. Mais qu'ils prennent, par exemple, le contrôle d'un train, d'un aiguillage, et qu'ils créent un accident. Je dis un accident, ce serait plutôt une catastrophe. Ou simplement que sur un panneau d'affichage variable dans une gare, là où on regarde à quelle heure son train part et de quel quai, je ne sais pas, ils mettent la tête de Mickey et que... Au bout d'une heure, deux heures, trois heures, il y a des milliers de personnes dans la gare qui ne sachent plus où aller, qui traversent les voies et qui fassent n'importe quoi. Donc ça, je crois malheureusement que l'intelligence artificielle peut le favoriser. Heureusement, jusqu'à présent, je touche du bois, la table est en bois, nous avons réussi à déjouer toutes les grandes attaques cyber qui se sont concentrées sur nous.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est fréquent ?

  • Speaker #0

    Alors, est-ce que tu peux me donner un chiffre ? Par jour.

  • Speaker #1

    Par jour ? Déjà, je n'aurais pas dit par jour grandes attaques cyber. Moi, j'aurais imaginé ça à 3-4 par an, un gros coup.

  • Speaker #0

    Alors, on en a 1 million par jour.

  • Speaker #1

    Ah oui, j'étais loin.

  • Speaker #0

    Et pendant les Jeux Olympiques, on est monté à 5 millions parce qu'on était une cible. On s'y attendait.

  • Speaker #1

    5 millions par jour ? Oui. OK.

  • Speaker #0

    Donc, ça veut dire qu'on a développé des systèmes qui sont évidemment assez performants, mais il ne faut pas être naïf. Un jour, il y a un hacker plus malin qu'un autre qui arrivera certainement à rentrer dans un de nos systèmes informatiques. Après, que pourra-t-il y faire ? Est-ce qu'on le repèrera assez rapidement ? On sait qu'il y a beaucoup de grandes entreprises en France qui ont été victimes, soit d'un virus. soit d'une intrusion dans le système. Nous, on reste modeste. On le dit parce que c'est remarquable. On a réussi à échapper jusqu'à présent à toutes les grandes attaques. Et on vit très bien avec toutes ces attaques qui peuvent être soit le petit hacker du coin qui s'amuse sur son ordinateur, soit un grand hacker de ferme à troll de pays de l'Est ou d'ailleurs. L'Est, ça va très très loin. Ça peut aller jusqu'à la Corée du Nord. Et donc, il faut qu'on soit préparé. Et pourquoi est-ce qu'il faut qu'on soit préparé ? C'est parce qu'on dispose d'informations extrêmement confidentielles. Ces informations confidentielles, tu vas vite le comprendre par exemple, ce sont toutes les données bancaires de nos clients. Quand quelqu'un paie son billet de train en donnant ses coordonnées bancaires, numéro de carte bleue, date d'expiration, code secret, mais c'est aussi par exemple toutes les données de santé de nos 260 000 agents, leur numéro de carte vitale, les affections dont ils peuvent souffrir, les médicaments qu'ils peuvent prendre. Alors que je ne parle même pas de toutes les données de transport qui sont elles aussi parfois assez secrètes. Toutes ces données-là, il faut qu'on les protège. C'est pour ça qu'on a créé un chat GPT propre à SNCF. C'est pour que les agents de SNCF n'aient pas la tentation d'aller chercher sur le chat GPT classique qu'on trouve tous sur Internet, des informations qui en divulgueraient certaines de SNCF. Voilà, il est interdit à SNCF pour tous les agents. d'aller chercher sur ChatGPT ou d'autres des informations ou des aides à la décision en y mettant des documents qui sont propres à SNCF ou des informations qui sont propres à SNCF. C'est pourquoi on a un système qui est en circuit clos. Et d'ailleurs, même au sein du circuit clos, il y a des domaines dans lesquels certains n'ont pas accès à d'autres pour éviter, parce qu'il y a des informations qui doivent être encore plus confidentielles que d'autres. On a créé ce système qui fonctionne très très bien. Au début de l'année, j'ai fait un... un grand séminaire avec tous les juristes, mais 500 juristes, sur l'intelligence artificielle. Et il y avait quelques grands spécialistes de l'intelligence artificielle qui ont assisté à la démonstration de notre outil en direct. Ils ont été assez épatés de la qualité de l'outil. Donc, on pense qu'on a plutôt un bon outil. Après, c'est comme tout, il faut savoir s'en servir. Il faut savoir rédiger les promptes. Il faut savoir ce qu'on peut demander aussi à la machine. Il faut savoir la questionner correctement. Il faut savoir l'utiliser. Elle nous fait aussi... de très belles images. On peut s'amuser très bien, mais ce n'est pas la solution à toutes nos questions et l'intelligence humaine doit toujours rester derrière. Moi, je ne suis pas ceux qui pensent que la machine va remplacer l'homme. Je suis de ceux qui pensent que la machine va aider l'homme et que l'homme sera toujours là pour contrôler. Parce qu'on le sait, elle le fera de moins en moins, mais la machine a des hallucinations. Elle raconte parfois n'importe quoi et donc, il faut pouvoir être là pour le vérifier et le corriger et lui reposer la question en lui disant qu'elle s'est trompée. Ce qui d'ailleurs lui permet d'apprendre et ce qui aussi permet d'avoir de bonnes réponses. On a cet exemple, alors il est un peu ancien maintenant, mais on a cet exemple d'un cabinet américain qui avait interrogé Chad G. Petit pour faire des conclusions dans un dossier et qui ne s'est pas rendu compte, parce qu'il ne l'avait pas vérifié, que Chad G. Petit avait inventé des jurisprudences. Manque de chance, le juge, lui, il s'en est rendu compte. Parce qu'évidemment, il a voulu regarder les jurisprudences et ne les a pas trouvées. C'est dire à quel point la machine, d'ailleurs, a une forme d'intelligence. Mais une intelligence qui est une intelligence, j'allais dire, assez primaire. Parce que si elle pense qu'on ne va pas découvrir qu'elle a inventé une jurisprudence, c'est qu'elle nous prend vraiment pour des imbéciles, si tant est qu'elle puisse avoir ce genre de pensée. Donc nous, il faudra qu'on soit toujours derrière la machine, il faudra toujours qu'on vérifie le travail qu'elle a fait, mais la machine peut nous aider considérablement.

  • Speaker #1

    Tu dis que c'est fait en vase clos ? Du coup, l'infrastructure pour créer un LLM, c'est souvent des millions et des millions d'euros. Je pense à Mistral qui lève beaucoup de fonds pour aller concurrencer à ChatGPT. Comment est-ce que vous avez fait ? Est-ce que vous vous êtes adossé du coup à Mistral ?

  • Speaker #0

    Oui, absolument. Alors, l'adossement à Mistral arrive là. On est en train de le faire. Mais on s'est adossé à... Alors, je ne sais plus quel grand modèle de langage. Sincèrement, je ne sais plus. Donc, ce n'est pas que je ne veuille pas le dire. Je ne sais plus. Et donc... On a créé un grand modèle de langage spécifique pour nous, un système qui, comme je te le disais tout à l'heure, est en vase clos. C'est-à-dire qu'il ne s'évade pas du tout à l'extérieur.

  • Speaker #1

    Entendu. Donc c'est Mistral qui vous aide et vous avez mis les barbes.

  • Speaker #0

    Mistral arrive et donc va nous apporter des possibilités complémentaires.

  • Speaker #1

    D'accord. Et donc, ce que vous avez fait là actuellement, c'est tout en interne ?

  • Speaker #0

    Oui, tout en interne par notre direction du numérique.

  • Speaker #1

    Ok, super impression. Donc, avec votre infrastructure à vous ?

  • Speaker #0

    Absolument. Ah ouais,

  • Speaker #1

    chapeau.

  • Speaker #0

    Et un outil, moi je ne suis pas tellement geek, un outil qui est plutôt convivial, qui est un plus.

  • Speaker #1

    C'est un chat également ou il y a d'autres choses ?

  • Speaker #0

    Oui, chat. Il peut faire aussi des dessins, il peut faire des vidéos.

  • Speaker #1

    Bravo, félicitations, c'est génial.

  • Speaker #0

    C'est plutôt mes collègues de l'informatique qui ont été géniaux de ce point de vue-là. Et en plus, ils font un truc formidable, c'est qu'ils nous font le service après-vente. Et ils ont distingué dans la maison quelques directions qui sont susceptibles d'avoir un gain formidable grâce à l'intelligence artificielle. Et la direction juridique en fait partie. Et donc, on a eu la possibilité de développer des cas d'usage qui seront spécifiques dans l'outil chat JPT SNCF. Ils sont spécifiques pour les juristes du groupe. Et donc, ça nous facilite énormément la tâche.

  • Speaker #1

    Ok. Le cas d'usage, par exemple, c'est je veux chercher une décision qui a déjà été prise.

  • Speaker #0

    Oui, alors ça, c'est un cas d'usage assez simple. Mais par exemple, je voudrais faire une autorisation de droit à l'image classique. Merci de me la remplir avec Robert Dupont comme personne qui autorise. Alors ça, c'est un cas hyper simple. Il y a des cas beaucoup plus compliqués où on a développé l'ensemble des cas d'usage. Et on en a découvert à peu près une quinzaine qui vont être particulièrement adaptés à notre activité.

  • Speaker #1

    OK. Est-ce qu'avec toutes ces évolutions... Tu trouves que ton métier est toujours aussi passionnant ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce que je te disais tout à l'heure. Le jour où j'aurai un peu plus de mal à me lever le matin, et en plus, moi, il se trouve que je me lève très tôt, bon, là, je me poserai la question. J'ai cette chance aussi d'être un peu dans une tour de contrôle où je ne fais pas toujours la même chose, où on me parle de sujets très différents, donc c'est très varié, où j'ai des collaborateurs de très grande qualité, où de temps en temps, on me demande d'aller dans des colloques. pour témoigner de mon expérience ou on me demande de faire quelques interviews sur la modeste vie professionnelle, de faire des cours dans une école ou dans une fac. C'est passionnant. Donc c'est très varié. Moi, j'ai toujours eu horreur de la routine. Là, je suis bien tombé pour ne pas être dans la routine quotidienne, mais au contraire, chaque jour, avoir une surprise nouvelle, alors parfois elle est mauvaise. Un accident, c'est une mauvaise surprise pour nous, mais il faut le traiter. ou une bonne surprise quand on a une très bonne décision dans un dossier dans lequel on pensait peut-être être à 50-50.

  • Speaker #1

    Merci Philippe. On va passer à une séquence qui est nouvelle sur ce podcast, la séquence vrai ou faux. J'annonce une phrase et tu dois me dire si tu trouves ça vrai ou faux, et tu peux évidemment justifier ça ensuite comme tu le souhaites. Je vais commencer par la première phrase, donc il y en a cinq. Les affaires publiques, c'est juste une affaire de réseau.

  • Speaker #0

    Non, non, non, ce n'est pas juste une affaire de réseau. Si c'était qu'une affaire de réseau, ça serait simple. Les affaires publiques, c'est aussi d'abord avoir un bon argumentaire et puis savoir convaincre son interlocuteur que son argumentaire est le meilleur. Donc ce n'est pas qu'une affaire de réseau. Le réseau compte, bien sûr. Si on connaît quelqu'un, c'est plus facile de s'adresser à lui que si on ne le connaît pas. Mais ça ne suffit pas.

  • Speaker #1

    Deuxième phrase, la régulation freine plus souvent l'innovation qu'elle ne la protège.

  • Speaker #0

    C'est ce qu'on dit. Donc j'aurais plutôt tendance à dire oui aussi. On a besoin de régulation. C'est évident, et je le disais d'ailleurs tout à l'heure pour l'intelligence artificielle, il est important qu'on ait une autorité de régulation, une autorité éthique de l'intelligence artificielle dans les années qui viennent, et même plutôt dans les mois qui viennent. Mais il faut faire attention à ce que, dans ce pays, on a l'impression que chaque fois qu'on a un problème que l'administration n'a pas envie de traiter, on crée une autorité régulatrice. Et donc, une autorité régulatrice, qu'est-ce qu'elle a envie de faire ? Elle a envie de créer des normes supplémentaires, et puis elle a envie de sanctionner. Parce que ce qui est important... c'est la sanction. Et c'est même un peu à ça qu'on serait tenté de juger la bonne activité d'une autorité de régulation. Combien de millions d'amendes prononcées ? Moi, je pense que c'est pas ça. Une autorité de régulation, c'est une autorité qui doit être avant tout correctrice. Elle doit aider l'entreprise. Bon, je vois par exemple, nous, on est une entreprise publique qui étions en monopole de 1938 à 2000. C'est pas mal. Du jour au lendemain, on nous dit ... Voilà, on ouvre à la concurrence. Est-ce qu'une entreprise comme la nôtre, avec 260 000 personnes réparties dans le monde, puisqu'au passage, je t'apprends peut-être que la SNCF travaille dans 130 pays dans le monde, pas qu'une entreprise franco-française. Comment est-ce que ces 260 000 agents de SNCF qui travaillent dans 130 pays dans le monde, du jour au lendemain, peuvent changer leur façon de penser et de se dire, aujourd'hui, attention, il faut que je respecte mon concurrent. Bien sûr qu'ils vont le faire, mais ils peuvent aussi... garder des mauvais réflexes et essayer de se dire bon ben le concurrent il nous plombe plaire on va essayer de le contourner si l'autorité de la concurrence vient nous voir et nous dit là vous n'avez pas respecté la règle si on reconnaît ce qu'on fait généralement parce qu'une entreprise publique ne peut pas mentir enfin peut pas mentir son actionnaire c'est l'état moi ce que je préférerais c'est que l'autorité de régulation nous disent c'est pas bien ça c'est sûr On ne vous condamne pas pour cette fois-ci parce que c'est la première fois, mais on va vous monitorer pour vérifier que vous ne recommencez pas. Et ce monitoring, il peut durer un an, deux ans, trois ans, cinq ans. Ça, ça me paraît correctif. Ça, ça me paraît être intéressant. J'ai parfois un peu tendance à penser qu'au jour d'aujourd'hui, les autorités de régulation, pour démontrer qu'elles ont une véritable activité et qu'elles sont utiles, elles commencent par sanctionner, puis après, ils passent à autre chose. Mais peut-être pas toutes. Je ne citerai personne.

  • Speaker #1

    La SNCF est plus influente à Bruxelles qu'à Paris ?

  • Speaker #0

    Non. On a une représentation à Bruxelles. C'est important aussi de faire passer un certain nombre d'idées. Le lobbying n'est pas interdit. On est déclaré comme lobbyiste, à Bruxelles comme en France d'ailleurs. Certains d'entre nous sont déclarés comme lobbyistes. Si on avait une influence aussi forte à Bruxelles qu'on le dit, que tu le penses, je ne sais pas, on n'aurait pas été obligé de... réformer totalement de fond en comble notre branche frette à la demande de Bruxelles, qui estime que nous avons bénéficié d'une aide d'État de la part du gouvernement de 5 milliards et qui a faussé la concurrence avec nos autres concurrents sur le territoire. Donc on voit bien la limite du propos, c'est que non, on n'est pas plus influent à Bruxelles qu'à Paris, et inversement.

  • Speaker #1

    La quatrième phrase qui a déjà répondu, je pense assez largement, l'intelligence artificielle remplacera les juristes d'ici 15 ans.

  • Speaker #0

    Non, en revanche, je peux ajouter juste une chose, c'est qu'il n'y aura certainement pas d'avenir pour un juriste qui ne saura pas rédiger des promptes. Là, c'est sûr. Là, je pense que lui, il fera les cafés. Et encore, je pense que la machine à café, dans quelques années, on lui demandera de faire un café et elle le fera toute seule. Donc, non, il faut... Et c'est pour ça que c'est très important la formation continue. La formation continue juridique, elle est très importante. Mais la formation, si je peux le dire... l'exprimer comme ça au promptage, c'est aussi très important. Et la dernière phrase, c'est « Le droit est devenu une arme d'influence autant qu'un outil de conformité. »

  • Speaker #1

    Alors, je dirais plutôt non. Mais pourquoi ? Parce que je pense que le droit, et les Américains ont été les premiers à le comprendre, ce n'est pas tellement une arme d'influence, c'est une arme économique. C'est-à-dire, si on arrive à imposer son droit à son co-contractant, on a gagné. Son droit, c'est-à-dire ses règles, ses juridictions, sa manière de penser juridique, on a gagné. Et les Américains, ils ont tout de suite compris ça. Et dans les boîtes américaines, à l'inverse des boîtes françaises, le directeur juridique, ce qu'on appelle là-bas le General Counsel, c'est le numéro 2 de la boîte. Ce n'est pas le directeur financier, c'est le numéro 2. Parce que le droit pour les Américains, une façon d'imposer, que je crois qu'on peut appeler leur impérialisme, y compris dans les activités commerciales ou industrielles, et on le voit bien avec beaucoup de règles qui théoriquement devraient être circonscrites au territoire américain, mais qui en fait sont applicables dans le monde entier. Par exemple, une entreprise de croisière qui fait accoster un de ses bateaux dans un port à la Havane est susceptible, et ça a déjà été le cas, d'être poursuivie par les juridictions américaines parce que la loi américaine estime que les légitimes propriétaires du port de la Havane avant la révolution castriste, qui étaient souvent d'ailleurs des entreprises privées, ont été expropriés, que donc le simple fait d'accoster sur ce qu'est exproprié constitue une infraction susceptible d'être poursuivie par la justice américaine. Et il y a déjà des croisiéristes qui ont été condamnés à plusieurs centaines de millions de dollars d'amende. Donc on voit bien la force du droit à cet égard. Alors, on peut très bien dire que c'est injuste, que de quoi ils se mêlent. La Havane, ce n'est pas les États-Unis. Ils ont réussi à... imposer au monde entier un mode juridique que le monde entier est bien obligé de respecter. Quand on paie en dollars certains contrats, on est justiciable de la justice américaine. Alors, on a intérêt à ne pas conclure des contrats avec des pays qui sont sous embargo américains parce qu'on est capable d'être poursuivi aux États-Unis et, par exemple, nos filiales qui sont aux États-Unis peuvent être poursuivies au lieu de notre entreprise nationale. Donc, c'est une force.

  • Speaker #0

    C'est-à-dire que au moment où moi j'ai un contrat avec un client américain et que je le paye en dollars, je suis soumis à la juridiction américaine.

  • Speaker #1

    Alors, il y a des cas différents, mais si, par exemple, ce client est un client qui est dans le collimateur des Américains, oui.

  • Speaker #0

    Entendu,

  • Speaker #1

    je le sais maintenant. Non, mais paye en euros, c'est mieux. Oui.

  • Speaker #0

    Philippe, on va arriver au bout de cet entretien. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voulais aborder, que tu n'as pas encore eu le temps de... développer ici ?

  • Speaker #1

    Peut-être pour reprendre ce que j'ai dit à l'instant, c'est que dans ce pays, on n'a pas encore compris à quel point le droit était un élément très important de la vie des entreprises. C'est assez curieux parce que, aussi bien dans les entreprises publiques que dans les entreprises privées, il y a assez peu de très grands patrons qui ont compris la force du droit, l'intérêt du droit et la possibilité pour le droit de résoudre des grands conflits pour l'entreprise. Alors, le droit ce n'est pas forcément traîner les gens devant les tribunaux. Ça peut être aussi la médiation, la conciliation, l'arbitrage, toutes ces choses qui appliquent des règles de droit de façon plus ou moins contraignante, mais qui sont quand même fondées sur la règle juridique. Beaucoup de mes collègues directeurs juridiques militent pour que les grands patrons français prennent un peu conscience de ces situations et se disent que finalement, leur directeur juridique, ce n'est pas le casse-pied de service qui chaque fois dit non à un projet. Mais c'est au contraire devenu le risk manager, celui qui est là pour accompagner le risque auquel l'entreprise peut être confrontée dans certaines situations. Alors ça viendra peut-être un jour. Ce serait, je crois, une bonne chose. Et les États-Unis, d'ailleurs, dans ce domaine, nous montrent véritablement le modèle. Mais on n'est pas encore assez mûrs en France pour ça.

  • Speaker #0

    Si tu pouvais te donner un conseil à ton toit de début de carrière, quel serait ce conseil ?

  • Speaker #1

    Abnégation et persévérance. Voilà. Alors, abnégation et persévérance, parce que dans la vie, on ne fait pas... C'est ce que je dis à mes enfants, d'ailleurs, très régulièrement. Mais dans la vie, on ne fait pas toujours que ce qui plaît. Et dans ce monde actuel, on a un peu tendance à penser que tout ce qui ne plaît pas, on peut s'en dispenser. Non, malheureusement, on est obligé de le faire aussi. Et surtout, persévérance, parce que ce n'est pas parce qu'on a un échec qu'il faut se décourager. Au contraire, un échec, ça nous permet d'apprendre et ça nous permet d'éviter un second échec plus tard, peut-être. Pas toujours. Et donc, abnégation et persévérance, ça me paraît être pas mal. Et puis aussi, être ouvert sur le monde, pas être plié sur soi. Être un peu à l'affût de ce qui se fait, de ce qui se dit. Des cultures différentes aussi, parce qu'on a beaucoup à apprendre de cultures qu'on ne connaît pas très bien. De gens qui sont confrontés aux mêmes problèmes que nous et qui arrivent à les résoudre parfois d'une manière différente de la nôtre. Ils ont donc parfois raison de le faire comme ça. Voilà, et puis je pense que dans une vie de juriste, plus spécifiquement de juriste, moi j'ai un mantra que je dis depuis une dizaine d'années à mes collaborateurs, et je pense que maintenant ils l'ont bien retenu, c'est qu'il faut être polyvalent, très important la polyvalence, c'est-à-dire qu'il faut être capable de passer d'un sujet à un autre assez facilement, il faut éviter d'être trop spécialisé, on peut être spécialisé dans un domaine, mais il ne faut pas que ce soit le seul domaine dans lequel on est bon, et puis il faut être adaptable, c'est-à-dire il faut s'adapter à la situation, parce que ce n'est pas la situation qui va s'adapter à nous. Donc polyvalent, adaptable, ça me paraît aussi un bon mantra pour de jeunes juristes qui veulent faire carrière en entreprise. Ou ailleurs, dans un cabinet d'avocat ou dans une administration un peu partout.

  • Speaker #0

    Philippe, pour conclure, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager ?

  • Speaker #1

    J'aime beaucoup la lecture, donc je serais tenté de recommander un livre. Le dernier livre très intéressant que j'ai lu, c'est un livre d'un auteur japonais qui s'appelle Haruki Murakami, dont j'ai lu pratiquement tous les livres, qu'on annonce tous les ans comme pouvant être prix Nobel de littérature, mais le pauvre, tous les ans, il est recalé. Son dernier livre, comme beaucoup de ses livres d'ailleurs, est un livre extrêmement onirique, qui à la fois mélange le réel et l'irréel. Dans cette culture japonaise que nous, on connaît quand même relativement mal chez nous, qui ne nous est pas immédiatement accessible, mais qui, encore une fois, est très irréelle, très onirique. J'allais dire, on est un peu transporté par ce conte. Et donc, voilà, c'est peut-être un livre que je recommande. Merci Philippe. Merci à toi, Pierre.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le cofondateur de l'SG Watch. plateforme qui vous aide dans votre travail institutionnel. A bientôt !

Description

Du parquet à la direction juridique du groupe SNCF, en passant par Matignon et le Conseil d’État, Philippe Mettoux incarne une certaine continuité de l’État, au service de l’intérêt général, dans toutes ses formes.


Magistrat, conseiller ministériel, haut fonctionnaire, puis juriste d’entreprise publique, il a vu le droit devenir un levier stratégique, à la croisée des institutions, de l’économie et de la fabrique de la loi.


Dans cet épisode, on parle de :


🔹 son entrée très jeune dans la magistrature,
🔹 la gestion pionnière des victimes d’AZF et le virage humaniste du droit pénal,
🔹 ses années à Matignon auprès de Dominique de Villepin,
🔹 l’influence – réelle ou fantasmée – de la SNCF à Paris comme à Bruxelles,
🔹 la régulation, la concurrence et les mutations du ferroviaire,
🔹 l’IA générative dans une direction juridique de 500 personnes,
🔹 et de sa conviction que le droit est devenu une arme économique, bien plus qu’un simple outil de conformité.


💬 « Si on ne comprend pas que le droit est un facteur de puissance, on passe à côté de l’essentiel. »


Un échange dense, passionnant, avec l’un de ces profils discrets qui structurent, en creux, notre vie publique.


Vous pouvez contacter Pierre sur Linkedin.

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Transcription

  • Speaker #0

    Au début du XXe siècle, il y avait 50 000 km de voies ferrées en France. Aujourd'hui, il y en a moins de 30 000. Si, par exemple, notre bilan était négatif, on pourrait se poser la question de savoir si la pérennité de la SNCF, qui existe depuis 1938, ne serait pas mise en péril. On est passé d'un établissement public qui a la garantie de limiter de l'État à un groupe de sociétés anonymes qui doit rendre des comptes et qui doit avoir un bilan positif. à la fin de l'année.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle LegiWatch et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir Philippe Mettou, magistrat de formation, procureur de la République en 1993. Il rejoint ensuite la direction des affaires criminelles au ministère de la Justice. Il devient conseiller auprès du Premier ministre Dominique de Villepin avant d'entrer au Conseil d'État. Depuis 2013, il est le directeur juridique du groupe SNCF. Bonjour Philippe.

  • Speaker #0

    Bonjour Pierre.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a des éléments que tu aimerais ajouter à cette présentation ?

  • Speaker #0

    C'est amusant parce qu'en quelques phrases, on revoit toute sa vie professionnelle qui défile, donc ça donne un petit peu le vertige aussi. J'ai eu beaucoup de plaisir, ça étonnera peut-être certains des auditeurs, à être magistrat du parquet. Parce que le magistrat du parquet, il a peut-être dans l'imaginaire une image un peu... un peu dur ou un peu difficile. C'est le champion de l'accusation, c'est celui qui réclame les peines. Mais quand on connaît bien le métier de procureur, c'est tout autre chose. C'est le protecteur des incapables majeurs, c'est celui qui vérifie les officiers d'État civil, c'est celui qui dirige l'activité de la police, de la gendarmerie en matière judiciaire. Donc ce n'est pas qu'une personne qui réclame des peines, c'est aussi lui qui décide de l'action publique dans son ressort. Et moi, j'ai eu la chance d'être procureur à 34 ans, ce qui donne un peu le vertige, je dois le reconnaître, mais comme j'étais un peu inconscient à l'époque, je ne m'en suis pas rendu compte. Mais c'est un métier que j'ai adoré, c'est un métier que j'ai fait pendant près de 22 ans, où j'ai beaucoup appris. En sortant de la fac, je peux dire aussi que je sortais des jupes de ma mère, je ne savais pas grand-chose de la vie. J'ai eu la chance d'être élevé dans un milieu un peu protégé et hop, on est nommé substitut du procureur de la République. Et puis on a son premier meurtre ou son premier assassinat. Et là, pour la première fois de sa vie, on voit un cadavre, parfois dans des conditions qui ne sont pas toujours exceptionnelles, et on est plongé dans la réalité de la vie du jour au lendemain. Alors heureusement, la vie, ça n'est pas que ça, mais ça peut être ça aussi. Et j'ai beaucoup appris à cette occasion-là, humainement, professionnellement. J'en garde un grand souvenir. Alors pas de nostalgie, mais un grand souvenir. Et encore une fois, j'y ai beaucoup appris.

  • Speaker #1

    Super intéressant, Philippe. Et comment on passe du coup de meurtre, de choses très dures à une entreprise comme la SNCF ?

  • Speaker #0

    Oui, alors là, comme tu l'as dit, c'est une longue histoire. Ça ne s'est pas fait en un trait de temps, un peu par le hasard, en réalité. J'ai été procureur en titre pendant 7 ans, ce qui est assez long, parce que comme je l'ai été assez jeune, j'étais dans un petit tribunal avec assez peu de collaborateurs. Donc c'est un travail vraiment de tous les jours, une astreinte très forte, parce qu'on n'était pas très loin de la région parisienne et donc il se passait pas mal de choses. Et au bout d'un moment, on fatigue un peu, il faut bien le dire. J'ai souhaité changer d'activité. Et on m'a proposé d'aller au ministère de la Justice sur un poste que finalement je n'ai jamais obtenu. En attente, on m'a mis sur un autre poste qui était un poste de chef de bureau qui s'occupait de prévention et de victimes. Et il se trouve que c'était au moment où des affaires d'accidents très importantes ont marqué l'actualité. L'incendie du tunnel du Mont-Blanc, l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, une chose qui s'était passée en Espagne, un naufrage sur un lac. espagnol à côté de Barcelone où il y a eu beaucoup de morts, une quarantaine de morts. L'effondrement de la passerelle du Queen Mary à Saint-Nazaire. Donc il a fallu inventer parce que c'était l'époque où la victime a repris une place un peu plus importante dans le procès pénal. Jusqu'à présent, la victime, c'était vraiment la dernière roue du carrosse. Et on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose pour les victimes dans ces accidents collectifs et donc il fallait les aider non seulement à comprendre ce qui allait se passer mais en plus à... obtenir les indemnisations auxquelles elles avaient droit sans attendre les années et les années d'instructions, de procès. Et donc on a mis en œuvre un système d'indemnisation rapide sur le barème judiciaire qui a permis d'indemniser toutes les victimes avant qu'elles arrivent au procès par des accords amiables avec elles-mêmes, contrôlés par leurs avocats. Et le plus important dans ces affaires-là, ça a été... l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, qui avait fait plus de 50 000 victimes. Alors, à peu près 5 000 victimes physiques, et tout le reste, c'était des victimes matérielles. Et on imagine assez facilement que... Une audience ne peut pas se tenir avec 50 000 victimes. Donc, il a fallu inventer un système qui a permis d'ailleurs au final que seulement 1 000 victimes se présentent au procès parce que soit elles n'étaient pas satisfaites de l'indemnisation qu'on leur proposait, soit elles estimaient qu'elles devaient l'obtenir par le tribunal et pas par un accord amiable. Mais passer de 50 000 à 1 000, ça a déjà été une grande victoire parce qu'on a pu traiter la plupart des... des dossiers qui nous étaient soumis, dans un comité que je présidais, qui comprenait les représentants de Total, les représentants de la ville, les représentants de la magistrature, les représentants des assureurs, etc. Et les représentants des victimes qui s'étaient constituées en association. Et je dois dire que ça a été une certaine fierté de voir qu'il y a eu une adhésion assez forte sur ce process, qui était une invention un peu ex nihilo, et qui a permis, je crois, de faire avancer. toutes les semaines à Toulouse, le mercredi. Et quand je faisais la route de l'aéroport au tribunal, je regardais les immeubles et j'arrivais toujours à La Réunion en disant, il y a encore trop de contreplaqué qui bouche les fenêtres. Il faut vraiment qu'on puisse mettre des carreaux pour que les gens vivent normalement dans leurs appartements. Parce qu'il y a eu une pénurie, il y a eu tellement de fenêtres qui ont explosé à cause de l'usine, qu'il y avait eu une rupture de stock de verre. C'était un peu mon baromètre chaque semaine de voir combien de fenêtres supplémentaires avaient pu être réparées dans la semaine passée. Et donc ça a été pour moi une expérience très enrichissante aussi et humainement très forte. Et surtout quand les associations de victimes m'ont remercié. Évidemment, elles n'étaient pas très inclines à remercier les représentants de l'autorité publique. Mais là, elles ont été satisfaites du travail qui avait été fait par la commission d'anonymisation des victimes.

  • Speaker #1

    C'est un moment marquant pour toi, Philippe, mais qu'est-ce qui t'a amené alors, du coup, dans la suite de ce parcours, à arriver à la SNCF ?

  • Speaker #0

    Alors, ça a été un peu le hasard. Il y a encore une ou deux étapes à faire avant. On est omnibus, là. On n'est pas TGV, on est omnibus. Donc, il faut qu'on s'arrête dans quelques gares supplémentaires. D'accord. Comme j'avais acquis cette compétence en matière de droit des victimes, le président Chirac, à une époque... a estimé lui aussi que les victimes étaient parfois un peu maltraitées dans notre système pénal, dans ce qu'on appelle le procès pénal. Et donc il a décidé de créer un secrétariat d'État aux victimes. Il l'a confié à Nicole Getsch qui a été la première secrétaire d'État aux victimes. Et Nicole Getsch cherchait un collaborateur qui s'y connaissait un peu parce qu'elle n'avait pas de compétences particulières en la matière. Et donc elle m'a demandé de venir. Et j'ai été son collaborateur principal pendant quelques mois, le temps de créer son programme, qu'elle a passé en Conseil des ministres trois ou quatre mois après, qui était assez innovant à l'époque et beaucoup de dispositions ont été reprises ou votées. Et Nicole Gage a bien voulu que je parte au ministère de l'Intérieur, où Dominique de Villepin souhaitait que je le rejoigne. Et quand Dominique de Villepin est partie à Matignon, je l'ai également rejoint. Et quand Matignon s'est arrêtée en 2007, j'ai été nommé conseiller d'État. Et je suis resté conseiller d'État pendant sept ans, jusqu'à ce qu'une chasseuse de tête vienne me chercher et me proposer ce poste à la SNCF. Voilà les différentes étapes de mon parcours, parfois un petit peu sinueux, pas très facile, enfin pas très logique en tout cas, ou pas d'une logique. qui s'impose d'emblée, pour que j'arrive directeur juridique de la SNCF, il y a maintenant presque 12 ans.

  • Speaker #1

    Tu décris un parcours qui me semble être au service de la France. Quelle est ta vision de la France pour toi ? Quelle est la société vers laquelle on devrait tendre ? Tu as un parcours qui, pour moi, me semble être un parcours de combat. Qu'est-ce que tu défends ?

  • Speaker #0

    Je crois que je ne suis pas très original dans le modèle. C'est-à-dire qu'évidemment... Je défends une société égalitaire, aussi bien d'ailleurs entre les hommes et les femmes qu'entre tous les hommes et toutes les femmes. Une société aussi qui prône l'ascension sociale pour ceux qui le souhaitent. Une société qui soit aussi peut-être plus apaisée que ce qu'elle naît aujourd'hui, avec beaucoup de toutes ces tensions qui, on le voit bien, remontent à la surface parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne s'estiment pas considérés comme ils devraient l'être. Je crois aussi que notre société, elle est là pour nous. pour faire grandir les gens. C'est-à-dire que de l'école jusqu'à, j'allais dire, à la fin de sa vie professionnelle, on doit acquérir des compétences nouvelles, on doit faire un métier qui nous plaît. En tout cas, on doit essayer de le faire comme ça. Je crois que si on avait une vision un peu plus large de ce qu'est la société... que doit être une société moderne, avec toutes les facilités qui nous sont ouvertes depuis quelques dizaines d'années. Pensons quand même à ce qu'était la vie au sortir de la guerre de 39-45. Tout était détruit, tout était démoli, il fallait tout construire, il fallait tout reconstruire, il fallait réinventer une nouvelle société, ce qui a été fait à l'époque grâce au Conseil national de la résistance, puis après grâce au général de Gaulle. On a l'impression que dans la société actuelle, actuelle dans laquelle on vit, on tourne un peu avide, tout le monde manque un peu d'idées, tout le monde réfléchit plus à l'élection d'après plutôt que voir sur le long terme, essayer d'éduquer toutes ces masses qui ont besoin de mieux connaître la vie, de mieux connaître ces nouvelles technologies qui font partie maintenant de notre vie quotidienne, qui peuvent aussi bien nous aider merveilleusement dans certaines tâches. que d'être également aussi extrêmement nocive et dangereuse.

  • Speaker #1

    Pour revenir sur ton parcours, ça fait dix ans que tu es à la SNCF, donc c'est bien plus long que tes expériences précédentes. Pour quelles raisons ?

  • Speaker #0

    Parce que tous les matins, je ne rechigne pas à me lever pour aller au boulot. C'est la raison numéro un.

  • Speaker #1

    Aussi simple que ça ?

  • Speaker #0

    C'est très simple. Quand on a envie d'aller au boulot, c'est déjà bon signe. Pourquoi est-ce que j'ai envie d'aller au boulot ? Parce que je ne m'y ennuie pas. La SNCF est une maison où il se passe toujours quelque chose. Alors, on connaît le slogan pour les galeries Lafayette, mais c'est également vrai pour la SNCF. Il se passe toujours quelque chose à la SNCF. Et puis, c'est aussi parce que, alors, pardon de cette marque un peu d'immodestie, mais c'est parce qu'au dernier baromètre interne de ma direction, un baromètre pour toute l'entreprise, j'ai les chiffres pour ma direction, j'ai un... taux d'engagement de 91%. Ça veut dire que 91% de mes collaborateurs, qui ont répondu à 100%, sont très satisfaits de leur environnement de travail, de ce qu'ils font, des dossiers qu'ils traitent, de la façon dont ils sont considérés. Je rappelle que la moyenne en France, c'est 14%. Au global, avoir 91%, j'allais dire de satisfaction, pour le dire vite, mais on appelle ça le taux d'engagement. C'est assez satisfaisant, je dois le dire. On se dit qu'on n'est pas là par hasard et qu'on a pu faire quelques petites choses qui font que, si soit le matin, on aime bien venir au travail, eux-mêmes, ils sont un peu dans le même état d'espoir.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc, si je comprends bien, c'est très agréable de travailler avec Philippe.

  • Speaker #0

    Il faudrait leur poser la question.

  • Speaker #1

    Et au-delà de ça, du coup, justement, tu parles de projets, de changements. Quels sont tes projets du moment au sein de la SNCF ? et de manière plus générique finalement, comment est-ce que tu décrirais ton quotidien à quelqu'un qui ne connaît pas du tout ce monde-là ? Qu'est-ce que tu fais en arrivant le matin ? Quelle est ta journée type si tu en as une ?

  • Speaker #0

    Alors il y a une chose certaine pour commencer par la fin, c'est que quoi que je puisse décider de faire dans ma journée en arrivant le matin, je suis à peu près certain que je ne le ferai pas. Parce qu'il y aura toujours quelque chose qui arrivera, qui me distraira de ce que j'avais prévu ou qui m'obligera assez rapidement à... à déguerpir de l'endroit où je suis pour aller rejoindre soit la salle de crise, soit mon bureau, soit une réunion qui se tient en urgence. Ce n'est pas ça tous les jours, heureusement. Mais ce que j'aime bien dans mon métier, c'est que justement, il y a une très grande variété. Alors, d'une manière aussi très chauvine, j'ai l'habitude de dire que la direction juridique de la SNCF est la plus belle direction juridique de toutes les entreprises françaises. Bon, je trouverai peut-être quelques contradicteurs de ci, de là, qui vont me dire que c'est faux et que c'est la leur. Pourquoi ? Parce que... Nous embrassons toutes les sphères du droit, c'est-à-dire aussi bien le droit privé que le droit public, le droit interne, le droit communautaire, le droit international. Et donc, on a énormément de spécialistes chez moi dans toutes ces sphères. Et moi, j'apprends tous les jours à leur contact. Il y a quelques domaines dans lesquels je ne suis pas trop mauvais, mais il y en a d'autres dans lesquels je ne suis pas le meilleur. Mais je crois pouvoir avoir les meilleurs auprès de moi pour me conseiller et pour mener à bien les dossiers que je leur confie. Et dans cette maison, ce n'est pas parce qu'on est le plus ancien dans le grade le plus élevé qu'on prend la décision. Cette maison, c'est celui qui a la meilleure connaissance de la matière et du dossier, qui emporte le morceau, qui peut être chef de projet. Je crois que ça aussi, c'est très valorisant pour les équipes, parce que ce n'est pas comme dans un cabinet d'avocats où on est d'abord obligé d'être collaborateur. pendant des années où on ne voit pas l'entièreté du dossier tout de suite. On voit très rarement le client. Et puis, les années passant, alors on travaille parfois jusqu'à 1h, 2h, 3h du matin. Et puis, les années passant, on monte un peu en grade. Et puis, au bout de 20 ans, 25 ans, on devient associé. Et là, on commence à avoir les dossiers en main et à décider de la stratégie. Chez moi, si on est très bon dans le domaine et si on a les capacités, les aptitudes, on peut très bien être chef du projet tout de suite. et avoir dans son équipe des gens plus anciens, mais qui s'y connaissent moins. Donc je crois aussi que ça permet aux gens de comprendre que, un, on leur fait confiance. Ce qui est très important, évidemment, dans l'entreprise. La confiance n'excluant évidemment pas le contrôle, selon la bonne formule. Mais faire confiance a priori, ça me paraît aussi un élément moteur dans une entreprise pour que les gens se donnent et donnent le meilleur d'eux-mêmes dans un dossier. On a, je crois, de ce point de vue-là, une philosophie qui répond bien aux attentes du moment et notamment aux plus jeunes collaborateurs. Moi, j'ai des collaborateurs qui ont 25 ans et d'autres qui en ont quasiment 60. Mais tout ce petit monde cohabite. très bien parce qu'ils savent très bien que la règle dans le traitement d'un dossier ou dans la responsabilité d'un dossier, c'est la compétence. Et la compétence, elle est rarement contestée. Elle est rarement contestée parce que ça se voit assez vite si on est compétent dans un domaine ou si on ne l'est pas. Et en droit, ça se voit quand même assez rapidement aussi. Partant de là, je crois qu'il y a des équipes qui sont justement très engagées parce qu'elles savent que la responsabilité d'un dossier et donc de la défense de l'entreprise repose sur leurs épaules.

  • Speaker #1

    Donc si je grossis le trait, au sein des équipes juridiques de la SNCF, Il y a une concurrence interne, c'est un peu le libre marché total, où un junior de 23 ans peut gérer un gros projet parce que c'est le plus compétent ?

  • Speaker #0

    Absolument. Je ne crois pas que ça se joue en termes de concurrence. Il n'y a pas de concurrence entre les équipes. Et souvent d'ailleurs, il y a de la collaboration, parce qu'un dossier juridique, ça n'est que rarement une seule question de droit. C'est généralement plusieurs questions de droit. Et donc justement, il faut emboîter les solutions juridiques les unes dans les autres. Et ça nécessite aussi un fort travail de collaboration interne entre les équipes. Et là, c'est très important de voir à quel point la dynamique du groupe joue un rôle dans la résolution de ces dossiers. Parce que si les gens ne s'entendent pas bien, on peut même dire si les gens ne s'entendaient pas bien, ils réussiraient moins bien à gérer l'intégralité du dossier ensemble.

  • Speaker #1

    D'accord. Et donc les dossiers, justement, c'est des dossiers qui sont internes à la SNCF. C'est-à-dire que c'est des appels à projets. pour votre client, c'est la SNCF ou est-ce qu'il y a d'autres clients ? Comment ça se passe ?

  • Speaker #0

    Oui, oui, notre client, ça n'est que SNCF, mais le client peut avoir différents sujets à traiter. C'est-à-dire, on peut faire soit du conseil, un contrat, on a besoin de le rédiger ou de réviser un contrat qui est proposé par notre co-contractant ou nos co-contractants. On souhaite bien évidemment insérer les clauses qui nous conviennent bien. Donc, c'est une négociation auxquelles le juriste participe, comme on a... contract manager, et puis après c'est la vie du contrat lui-même qui doit être suivie, et puis l'achèvement du contrat avec toutes les possibilités de réclamation diverses et variées. À côté de ce rôle de conseil, il y a tout ce qui a trait au contentieux, c'est-à-dire les procès, qui peuvent être aussi bien des procès civils, des procès administratifs, des procès pénaux, des procès prud'homo, des procès commerciaux. Et donc là, dans chaque domaine, on a des juristes qui sont... compétents et qui élaborent la stratégie que nos avocats, enfin généralement on l'élabore en concertation avec nos avocats, que nous développerons à l'audience pour convaincre le juge. Donc ce sont les deux grands aspects. À côté de ça, on se permet même le luxe de faire un peu de formation de nos équipes internes parce qu'évidemment, on a besoin avec certains de nos interlocuteurs dans l'entreprise de leur expliquer ce qu'est le droit, de ce qu'est ce qu'ils... peuvent faire, ce qu'ils ne doivent pas faire dans tel ou tel domaine. Et on fait donc beaucoup de formation aussi au sein même de l'entreprise. Ce sont à peu près les trois grands domaines dans lesquels la direction juridique intervient.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc là, tu parlais de potentiellement convaincre un juge. Ce podcast s'appelle Hémicycle. Est-ce que vous avez une influence sur la création des politiques publiques via, justement, votre positionnement juridique ?

  • Speaker #0

    Alors, on en a une quand... on nous le demande. On est une entreprise publique, notre actionnaire à 100% c'est l'État. L'État, de temps en temps, souhaite avoir notre avis. De temps en temps, il s'en passe très facilement. On peut lui tirer la manche de temps en temps pour lui dire qu'on aimerait bien dans ce domaine que les choses évoluent. Alors, on en a un qui est assez récent, le vote de la loi Tabarro qui est passé devant l'Assemblée nationale et devant le Sénat et en commission mixte paritaire très récemment. Tous les gens qui prennent le train savent qu'il y a une force de l'ordre qui appartient à la SNCF qui s'appelle la surveillance générale. Ce sont des gens qui sont en uniforme, qui patrouillent à la fois dans les gares, dans les trains, aux abords des gares. Nous trouvions qu'ils n'avaient pas assez de pouvoir dans certains domaines et que les délinquants ou les contrevenants utilisaient ces failles pour échapper à des condamnations, alors qu'ils ne sont que des contraventions, je m'empresse de le dire. Et donc on a suggéré du temps où il n'était pas encore ministre à M. Tabarro, qui a sans doute des améliorations à apporter dans les possibilités qui sont offertes à nos agents de la surveillance générale, qui sont 3 500 sur le territoire. Donc ce n'est pas une petite force, c'est une petite armée presque. Il se trouve que M. Tabarro est devenu ministre et a poursuivi allègrement le ministre des Transports, qui plus est, parce qu'il s'intéresse à ces sujets, et a poursuivi allègrement... le vote de sa loi et on a pu obtenir ainsi un certain nombre de dispositions pour lesquelles il était totalement convaincu. Donc ce n'était pas la peine d'essayer de le convaincre, il était totalement convaincu, mais grâce à lui, on a pu faire voter ses dispositions.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc dans ce cas-là, vous allez voir directement le ministre, comment vous avez son contact, ou alors vous passez par des parcs ? Oui,

  • Speaker #0

    il y a des contrats très étroits avec le cabinet du ministre des Transports, avec le cabinet du Premier ministre, même avec le cabinet du président de la République. Il y a souvent des conseillers, il y a toujours même des conseillers de transport auprès d'eux, parce que le transport dans ce pays est un élément important de la vie du pays. Et donc, on est en contact régulier avec eux. Et puis au ministère des Transports même, il y a une direction qui s'appelle la DGITM, qui elle est plus spécialement chargée de tous les transports, et il y a une branche qui s'occupe du transport ferroviaire, et c'est notre interlocuteur particulier. Et puis de surcroît, on a quelques régulateurs, alors l'autorité de régulation des transports, l'ART, qui est notre, j'allais dire, surveillant général, et puis d'autres régulateurs comme l'autorité de la concurrence, comme la Commission nationale informatique et liberté, Et le PSF, qui est l'établissement public de sûreté ferroviaire, qui veille à ce que les conditions de sécurité des trains, notamment dans la circulation des trains, soient respectées. Donc on a beaucoup d'interlocuteurs publics.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est les mêmes interlocuteurs pour vos projets de développement ? J'ai lu par exemple que vous allez mettre sur le marché en 2027 des navettes nommées Carflex, qui sont capables de rouler sur rail et sur route. Il y a aussi le projet de train Dresi avec des batteries électriques. Est-ce que c'est la même chose ? Vous allez directement voir le ministre des Transports ou est-ce que ça passe par d'autres processus ?

  • Speaker #0

    Alors on a une direction recherche et développement qui est évidemment très importante au sein de la SNCF et qui essaie d'anticiper sur les grandes mutations de demain. On s'est rendu compte, comme je crois tout le monde, qu'après la pandémie, le train avait connu... une vogue assez incroyable, et continue d'ailleurs à la connaître. C'est souvent assez difficile de trouver un billet de train au dernier moment, parce que tous les trains sont complets. Il y a une vraie affection des Français pour le train, et une vraie affection des Français qui fait suite à une forme de désaffection des Français pour le train qui était avant la pandémie. Je crois que les gens ont compris que d'abord, rouler en voiture, ça coûtait cher, que c'était sans doute plus risqué que de rouler en train. Ça, ce sont les statistiques qui le disent, ce n'est pas moi. Et puis, une forme aussi de désaffection, il faut bien le dire, pour l'aérien, en tout cas pour les courtes distances de l'aérien, là où notre TGV Paris-Bordeaux met 2h04 pour faire le trajet. Un avion, si on prend en compte le temps d'arriver à l'aéroport, de passer la sécurité, de rentrer dans l'avion, de ressortir de l'avion, de repasser la sécurité et de rejoindre le centre de Bordeaux, donc, On peut mettre 4 ou 5 heures. Donc, comme disaient les jeunes, maintenant ils ne le disent plus, il n'y a pas photo. C'est assez simple de penser que les gens aiment le train. Seulement, comme le train a connu cette désaffection, il faut repenser de nouveaux modes de transport qui soient compatibles avec le réseau ferré national, qui a énormément diminué. Je rappelle qu'au début du XXe siècle, il y avait 50 000 kilomètres de voies ferrées en France. Aujourd'hui, il y en a moins de 30 000. Donc on voit bien qu'à l'époque, les voies ferrées allaient dans les plus petits endroits, dans les fins fonds de campagne, et on le voit encore parce qu'il y a quelques gares désaffectées qui ont souvent été vendues, transformées en maisons d'habitation ou en autre chose. Il y a toujours cette volonté que le train, et notamment par les présidents de région, que le train devienne un mode de transport à la fois écologique et doux pour rejoindre certains lieux. Et donc on a... pu réfléchir à des modes qui favorisent à la fois les quelques voies ferrées qui subsistent dans ces endroits-là, mais qui puissent aussi prendre la route. C'est assez incongru quand on y réfléchit, parce qu'on se dit « mais on est dans un film de science-fiction » . Ben non, pas du tout, on n'est pas dans un film de science-fiction. Ces petits véhicules, parce qu'on n'a pas besoin de trains qui font 500 places, on a besoin de véhicules qui font 50 places, en réalité. Et donc, ils sont très souples dans l'utilisation, ils peuvent passer dans beaucoup d'endroits, Et ils sont polyvalents. Donc, c'est très pratique. Et moi, je fonde beaucoup d'espoir sur ces moyens de transport futur parce que je crois que c'est un peu le moyen de transport de l'avenir.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est des moyens de transport qui sont rentables ou qui sont aidés par vos autres activités ?

  • Speaker #0

    Oui, alors... On est une entreprise publique. Quand on est une entreprise publique, on se doit d'être une entreprise rentable. Surtout que depuis 2020, on est un groupe de sociétés anonymes. Donc une société anonyme, elle peut faire faillite si elle n'a pas suffisamment de revenus par rapport à ses charges. Auparavant, nous étions un établissement public industriel et commercial. Un établissement public industriel et commercial, pour ceux qui ne sont pas juristes, c'est une... spécificité du raffinement juridique français, ça n'existe nulle part ailleurs dans le monde qu'en France, mais un établissement public industriel et commercial qu'on appelle un EPIC, en résumé, il a la garantie illimitée de l'État. Là, on est passé d'un établissement public qui a la garantie illimitée de l'État à un groupe de sociétés anonymes qui doit rendre des comptes et qui doit avoir un bilan positif à la fin de l'année. Alors, tu as peut-être remarqué que ces trois dernières années, le bilan était très positif. puisqu'on fait chaque année depuis 3-4 ans 1 milliard à 1,5 milliard de bénéfices qui sont immédiatement réinvestis dans le réseau parce que le réseau a besoin d'être maintenu et régénéré. Si, par exemple, notre bilan était négatif, on pourrait se poser la question de savoir si la pérennité de la SNCF qui existe depuis 1938 ne serait pas mise en péril et si elle ne pourrait pas, comme n'importe quelle autre société, être à traite devant le tribunal de commerce pour être mise en règlement judiciaire. Ça, les Français le savent assez peu, mais c'est la réalité depuis 2020.

  • Speaker #1

    Est-ce que pour toi, c'est normal que la SNCF doive être rentable ? Je donne mon opinion personnelle là, mais si j'avais par miracle la chance d'être aujourd'hui ministre des Transports ou même de pouvoir gérer ça au niveau même européen, je dirais que le réchauffement climatique est une priorité. C'est un chantier qu'on doit adresser rapidement. Et donc, je taxe davantage les avions. Tu parlais tout à l'heure des avions. Et j'envoie le revenu de ces taxes vers... le train et le train n'a pas à être rentable, c'est simplement l'urgence, c'est que les Européens doivent prendre le train davantage. Qu'est-ce que tu penses de ça ?

  • Speaker #0

    Tu fais partie des tenants de ce grand débat franco-français qui agite beaucoup de monde. Il suffit d'aller sur les réseaux sociaux, d'ailleurs au moment où on publie nos comptes, ça suscite beaucoup de réactions entre les gens qui pensent comme toi, qui se disent que le chemin de fer c'est un service public et que partant de là, ce service public, quoi qu'il coûte, L'État doit y pourvoir. Et puis d'autres personnes qui disent, mais non, le train, c'est un moyen de transport comme un autre, comme les bus, comme les avions. Il n'a pas besoin d'être subventionné. Il faut qu'il se débrouille par lui-même. La vérité est entre les deux. Il y a en France beaucoup de transports ferroviaires qui sont subventionnés, notamment par les régions. Tous les transports ferroviaires régionaux sont subventionnés en grande partie par les régions. parce que ces régions ont besoin que les gens puissent, au sein de la même région, circuler pour aller à leur travail, en revenir. Et ça n'est pas, a priori, rentable d'emblée comme ça. En revanche, le TGV, lui, il se suffit à lui-même. Il n'est absolument pas subventionné. C'est quelque chose qui coûte très cher, le TGV, parce que la construction de la ligne coûte horriblement cher déjà au départ. C'est une ligne qui est extrêmement automatisée, avec beaucoup d'informatique. beaucoup d'intelligence artificielle aussi désormais. Mais le TGV, grâce au nombre de voyageurs qu'il transporte par an, est globalement dans sa globalité rentable. C'est-à-dire qu'il y a des lignes qui sont extrêmement rentables. Par exemple, Paris-Lyon-Marseille, c'est la ligne la plus rentable du TGV. Il y en a quelques autres qui ne sont pas rentables. Jusqu'à présent, la SNCF, comme elle possédait les lignes à la fois rentables et non rentables, elle arrivait à équilibrer pour le TGV. Maintenant qu'on a des nouveaux entrants, des concurrents, évidemment, eux. ils ne vont pas se précipiter sur les lignes qui ne sont pas rentables. Ils vont se précipiter sur celles qui sont rentables. On pose la question au gouvernement, dans ce cas-là, si à la SNCF, il ne reste plus que les lignes qui ne sont pas rentables, comment est-ce qu'on fait ? Donc la question est en débat. Le gouvernement n'a pas encore tranché. En tout cas, le gouvernement est bien au fait de cette question-là. Et l'actuel ministre des Transports, d'ailleurs, a dit qu'il va falloir qu'on réfléchisse sérieusement. Parce qu'évidemment, par exemple, je prends nos collègues italiens. qui font rouler ces magnifiques trains qui s'appellent Flèches Rouges, Freccia Rossa, qui sont hyper confortables et dans lesquels, évidemment, on a un café italien absolument délicieux. Eux, ils veulent faire Paris, Lyon, Milan, dans les meilleures conditions, mais ils ne veulent pas du tout faire des petites lignes jusqu'à Brest ou jusqu'à Quimper, parce que ça ne les intéresse pas. Ils pensent peut-être que les Bretons préfèrent le cidre au café, j'en sais rien, mais en tout cas, ils veulent des lignes extrêmement rentables. Mais s'il ne reste plus à la SNCF que les lignes qui ne sont pas rentables, ça va poser un problème de modèle économique. Et donc, ça voudrait dire que l'actionnaire, l'État, soit obligé de renflouer ou de compenser le fait que cette concurrence ne se fait que sur les lignes rentables. C'est une vraie question que les politiques doivent se poser assez rapidement.

  • Speaker #1

    Est-ce que toi, à titre personnel, tu penses que l'ouverture à la concurrence, c'est une erreur ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'on a voulu transposer ce qui s'est produit dans l'aérien depuis très longtemps dans le ferroviaire. La difficulté, c'est que ça n'est pas comparable. Parce que l'aérien, les grosses infrastructures, qu'est-ce que c'est ? Ce sont les aéroports. Et une fois qu'on a construit un aéroport, on peut peut-être l'étendre, comme c'est arrivé à Roissy à plusieurs reprises. On a étendu l'aéroport en fonction du trafic aérien. Mais l'investissement, il a été fait au départ et il a été finalement assez vite amorti. Après, ce sont les compagnies aériennes qui se chargent du confort des passagers avec des avions de plus en plus rapides. ou des avions de plus en plus économes en carburant et tout cela. Et on a vu d'ailleurs le boom des sociétés low cost qui pouvaient emmener assez loin des passagers pour 20, 30 ou 60 euros. Nous, certes, on a nos aéroports à nous qui sont nos gares, qui sont des gares d'ailleurs souvent très anciennes. Je parle notamment pour les gares parisiennes, mais pour beaucoup de gares des grandes métropoles françaises qui ne sont pas forcément adaptées au trafic actuel. qui nécessite énormément d'investissement. Quand on voit les verrières absolument magnifiques de nos gares parisiennes ou par exemple de la gare de Bordeaux qu'on a restaurée il n'y a pas très longtemps, on voit le travail que c'est de restaurer tout ça. Ça nécessite déjà en soi un investissement important. Ça nécessite aussi de réfléchir à tous les flux de passagers qui ne sont pas les mêmes qu'avant. Quand avant, un train transportait 100 personnes, Maintenant, il est capable d'en transporter 1 000 et avec le nouveau TGV, 1 500, quand il y aura deux rames à coller l'une à l'autre. Donc tout ça nécessite aussi qu'on repense les flux dans les gares. Les flux dans les gares, c'est très important. Mais surtout, ce qui nous différencie de l'aérien, c'est les voies ferrées. Les voies ferrées, l'aérien, c'est le ciel. Donc il n'a pas à se soucier de l'entretien du ciel. En revanche, nous, nous avons à nous soucier de l'entretien de près de... 30 000 km de voies ferrées. Et ça, c'est extrêmement onéreux. Et ça, c'est notre filiale SNCF Réseau qui le fait. Nos concurrents, ils se contentent de payer un péage pour passer sur ces voies ferrées, mais ils ne les entretiennent pas.

  • Speaker #1

    Et le péage, c'est vous qui en fixez le prix ?

  • Speaker #0

    Alors c'est SNCF Réseau qui en fixe le prix, qui est à cet égard indépendant de nous. Et c'est SNCF Réseau qui décide d'attribuer ces passages, qu'on appelle chez nous des sillons, aux sociétés qui le réclament. En tout cas, les sillons qui restent, parce que nous, on en utilise déjà beaucoup. Ce n'est pas un secret de dire qu'on a essayé de saturer un peu tous ces passages pour en avoir le plus possible. C'est pour ça qu'on a, avant l'ouverture à la concurrence, créé nos trains Wigo, qui sont des trains low-cost, qui permettent à des gens de voyager pour 15, 20, 30 euros et aller à l'autre bout de la France, mais dans des conditions de confort qui sont un peu moins bonnes que dans nos TGV Inouï. Un jour va venir où la concurrence va être beaucoup plus agressive. et va réclamer beaucoup plus de passages, de sillons, et sera peut-être prête à payer plus cher, sans compter que les premières années, il y a eu une sorte de prime aux concurrents entrants qui avaient des sillons moins chers que nous, pour favoriser l'ouverture à la concurrence. Tout ça est assez complexe, tout ça mérite aussi pas mal de réflexion, et de se dire, bon, la concurrence c'est bien, c'est une volonté européenne, il y a maintenant près d'une quinzaine d'années, dans beaucoup de domaines. Mais il faut réfléchir aussi aux conséquences que ça peut avoir sur les entreprises nationales. La SNCF, globalement, c'est quand même 260 000 agents dans le monde, puisque nous avons beaucoup d'autres filiales qui travaillent ailleurs dans le monde. On ne peut pas, du jour au lendemain, mettre leur activité en péril, tout simplement parce qu'il faut ouvrir nos voies ferrées à des collègues étrangers.

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose que je ne saisis pas bien. Vous avez les gares, vous avez l'infrastructure. Est-ce que vous ne pouvez pas forcer vos concurrents à payer davantage pour contribuer aux lignes qu'ils ne veulent pas desservir ?

  • Speaker #0

    Nous, on ne peut pas. Il faudrait que ce soit une décision de l'État et que cette décision soit validée par l'Union européenne. Mais c'est, je crois, ce à quoi réfléchit actuellement le gouvernement.

  • Speaker #1

    D'accord. J'ai une autre question un peu indépendante. Est-ce que vous contrôlez totalement l'affichage des publicités dans vos gares ?

  • Speaker #0

    Alors, on contrôle pas mal, oui. On a une régie qui s'occupe de ça. et cette régie, elle a un certain nombre de règles qui lui sont fixées par nous. Mais ces règles, parfois elles peuvent être détournées, contournées, ou elles ne peuvent pas être assez claires pour une appréciation. Alors je ne sais pas si tu veux me parler d'un sujet récent que tu as pu lire dans la presse, et dont on aura la solution dans quelques jours, c'est l'affichage d'une publicité pour le livre de Jordan Bardella, qui a été contesté par un certain nombre d'associations, qui estimaient que c'était un affichage pour un livre politique, et qui... que la SNCF était tenue à une obligation de neutralité religieuse et politique. On a plaidé récemment devant le tribunal et on aura le résultat de ce dossier dans quelques temps. Bon, très objectivement, les gens qui nous ont fait ce procès ont fait plus de publicité au livre de Jordan Bardella que s'il n'y avait pas eu de procès. Donc je pense que Jordan Bardella, très légitimement, doit être plutôt satisfait de cette publicité à bon compte. Après, dans une société comme la nôtre, ça n'est pas non plus hors de propos de se poser la question de savoir si un livre par un homme politique qui est ouvertement candidat à un certain nombre d'élections et qui défend un certain nombre de points de vue, que ce soit Jordan Bardella ou que ce soit un autre, doit pouvoir avoir un panneau d'affichage vantant les mérites de son livre. Après, ça veut dire qu'il faut faire le distinguo. savoir si c'est un livre véritablement politique ou si c'est un livre simplement de mémoire ou de témoignage sur sa vie, son enfance, son oeuvre et ses projets. On va voir ce que le juge va décider.

  • Speaker #1

    Très bien. En fin de compte, je ne pensais pas du tout à ça.

  • Speaker #0

    Ah bon ? C'est le sujet d'actualité.

  • Speaker #1

    J'ai pensé à quelque chose que j'ai vécu ce week-end qui était assez différent. C'est que je suis allé en Bretagne avec la SNCF.

  • Speaker #0

    Très bien. Je te félicite.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. J'ai pris un train pour aller en Bretagne et je reviens à Paris. Et le premier truc que je vois, c'est une pub dans la gare qui dit « partez au Maroc pour 30 euros » . Et c'était une pub pour prendre l'avion. Je me suis dit, mais pour moi, là, il se tire une balle dans le pied, quoi. Je viens de payer trois fois le prix ou quatre fois le prix pour faire l'aller-retour en Bretagne. Et ils disent « non, mais prenez l'avion dès que je sors du train » . Donc, j'ai trouvé ça très étonnant. Oui,

  • Speaker #0

    évidemment. Comme tu le racontes, c'est très étonnant. Mais si nous avions refusé à cette compagnie aérienne qu'elle puisse faire sa publicité, Alors que ce n'était une publicité ni à teneur religieuse, ni à teneur politique, elle aurait pu nous attaquer pour discrimination. Il faut bien imaginer que notre régie publicitaire, comme celle de la RATP d'ailleurs, et comme celle de beaucoup d'autres entreprises, doit être équilibrée dans ses approches et elle doit pouvoir laisser, y compris nos concurrents, s'exprimer.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc vous n'avez pas un total contrôle, même loin de là, sur ce qui est affiché ?

  • Speaker #0

    Non, parce que tout le monde doit pouvoir faire la publicité pour ce qu'il pense être le meilleur. Et le Maroc, c'est quand même difficile d'y aller en train. Oui,

  • Speaker #1

    j'entends bien, mais la Bretagne préfère l'affaire.

  • Speaker #0

    C'est vrai, ce n'est pas exactement le même ensoleillement, mais ce n'est pas mal. Moi, j'aime bien les deux, mais peut-être pas au même moment.

  • Speaker #1

    Je voudrais passer à la séquence évolution du droit. J'ai vu que tu t'es beaucoup exprimé sur l'arrivée de l'intelligence artificielle, le fait que ça bouleverse vos pratiques. Quelle est ta position sur l'usage de l'intelligence artificielle ? Tu as évoqué même tout à l'heure les limites, ou en tout cas peut-être les débordements que ça pourrait amener. Quels sont les points positifs principaux que tu vois et les risques que ça amène ? Eh bien,

  • Speaker #0

    c'est, je crois, la meilleure et la pire des choses, mais en même temps. Et comme beaucoup de choses. La voiture, c'est un instrument de liberté incroyable. Dès qu'on a son permis de conduire, on est capable de partir et qu'on a trois francs six sous pour faire le plein, on est capable de partir à l'aventure et d'aller visiter la France ou d'autres pays, c'est merveilleux. La voiture, malheureusement, on peut se tuer avec aussi. Heureusement, on se tue de moins en moins en France en voiture parce que les gens sont de plus en plus responsabilisés. Donc, ils ont été éduqués et on a mis des garde-fous. On a obligé à des limitations de vitesse, on a obligé à porter la ceinture de sécurité, on a obligé à ce que les voitures soient équipées d'airbags. à ce que la sécurité passive du véhicule soit de plus en plus performante. Bon, ça c'est une chose importante. Je pense que l'intelligence artificielle, toutes proportions gardées, toutes comparaisons gardées aussi, ça va être pareil, ça va être la meilleure et la pire des choses. Ça va être la meilleure des choses parce que ça va nous décharger de tâches inintéressantes, chronophages, et parfois sur lesquelles l'œil humain n'est pas le meilleur. Je pense notamment en médecine. Il est assez reconnu que, par exemple, pour un dermatologue, l'intelligence artificielle a un taux de réussite pour déterminer un bouton qui serait dangereux, plus fort que le dermatologue lui-même, s'il a énormément d'expérience. Parce que le dermatologue, il peut être fatigué, il a pu se disputer avec sa femme le matin avant de partir, il peut être préoccupé, il peut avoir d'autres soucis en tête, être moins attentif, etc. Donc, je pense que de ce point de vue-là, notamment dans tout ce qui concerne la médecine, l'intelligence artificielle va nous permettre des progrès énormes. Il va aussi nous le permettre dans toutes ces tâches, comme je le disais à l'instant, qui sont très répétitives, qui sont inintéressantes, des tâches notamment de synthèse des dossiers, de rédaction de contrat type, bref, tous ces sujets. Donc, je pense qu'il faut absolument encourager, je dis encourager, mais... Je plaisante un peu en disant ça, parce que de toute façon, l'intelligence artificielle est déjà là. Il faut favoriser l'implantation de l'intelligence artificielle, et moi je l'ai déjà fait beaucoup au sein de ma direction, et on va monter en puissance là-dessus. Mais il faut aussi, je crois, mettre des barrières éthiques à ce qui pourrait être le pire de l'intelligence artificielle, et on le voit bien avec des fake news qui sont parfois redoutablement efficaces, plus vraies que nature. avec des photos qui sont totalement inventées par l'intelligence artificielle et qui, permets-moi de le dire de cette manière un peu triviale, pourraient faire battre des montagnes. De ce point de vue-là, je crois qu'il faut... Je ne suis pas un adepte forcené de la régulation, mais là, je crois qu'il faut absolument qu'on ait une autorité de régulation très forte, très puissante, avec beaucoup de moyens qui permettent de poser des limites, et pas seulement en France, bien sûr, déjà une autorité européenne, et si on peut, une autorité mondiale qui permette de... poser des limites aux mésusages de l'intelligence artificielle. Et ça, ça me paraît essentiel.

  • Speaker #1

    Vous avez créé le SNCF groupe GPT, c'est bien ça ?

  • Speaker #0

    Bien enseigné, là.

  • Speaker #1

    Alors, qu'est-ce que c'est ? Et justement, alors, là, tu parles du pire de l'IA, mais au niveau de la SNCF, qu'est-ce qui pourrait être le pire de l'IA ? Ça serait une fake news sur un train ? Ça serait... Si c'était complètement débridé ?

  • Speaker #0

    Le pire pour la SNCF, ce serait sans doute que des hackers... par le biais de l'intelligence artificielle, ce qui leur facilite énormément le travail. Ils peuvent déjà le faire, je pense. Ils pourraient déjà le faire. Il se trouve qu'on est très bien armés. Mais qu'ils prennent, par exemple, le contrôle d'un train, d'un aiguillage, et qu'ils créent un accident. Je dis un accident, ce serait plutôt une catastrophe. Ou simplement que sur un panneau d'affichage variable dans une gare, là où on regarde à quelle heure son train part et de quel quai, je ne sais pas, ils mettent la tête de Mickey et que... Au bout d'une heure, deux heures, trois heures, il y a des milliers de personnes dans la gare qui ne sachent plus où aller, qui traversent les voies et qui fassent n'importe quoi. Donc ça, je crois malheureusement que l'intelligence artificielle peut le favoriser. Heureusement, jusqu'à présent, je touche du bois, la table est en bois, nous avons réussi à déjouer toutes les grandes attaques cyber qui se sont concentrées sur nous.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est fréquent ?

  • Speaker #0

    Alors, est-ce que tu peux me donner un chiffre ? Par jour.

  • Speaker #1

    Par jour ? Déjà, je n'aurais pas dit par jour grandes attaques cyber. Moi, j'aurais imaginé ça à 3-4 par an, un gros coup.

  • Speaker #0

    Alors, on en a 1 million par jour.

  • Speaker #1

    Ah oui, j'étais loin.

  • Speaker #0

    Et pendant les Jeux Olympiques, on est monté à 5 millions parce qu'on était une cible. On s'y attendait.

  • Speaker #1

    5 millions par jour ? Oui. OK.

  • Speaker #0

    Donc, ça veut dire qu'on a développé des systèmes qui sont évidemment assez performants, mais il ne faut pas être naïf. Un jour, il y a un hacker plus malin qu'un autre qui arrivera certainement à rentrer dans un de nos systèmes informatiques. Après, que pourra-t-il y faire ? Est-ce qu'on le repèrera assez rapidement ? On sait qu'il y a beaucoup de grandes entreprises en France qui ont été victimes, soit d'un virus. soit d'une intrusion dans le système. Nous, on reste modeste. On le dit parce que c'est remarquable. On a réussi à échapper jusqu'à présent à toutes les grandes attaques. Et on vit très bien avec toutes ces attaques qui peuvent être soit le petit hacker du coin qui s'amuse sur son ordinateur, soit un grand hacker de ferme à troll de pays de l'Est ou d'ailleurs. L'Est, ça va très très loin. Ça peut aller jusqu'à la Corée du Nord. Et donc, il faut qu'on soit préparé. Et pourquoi est-ce qu'il faut qu'on soit préparé ? C'est parce qu'on dispose d'informations extrêmement confidentielles. Ces informations confidentielles, tu vas vite le comprendre par exemple, ce sont toutes les données bancaires de nos clients. Quand quelqu'un paie son billet de train en donnant ses coordonnées bancaires, numéro de carte bleue, date d'expiration, code secret, mais c'est aussi par exemple toutes les données de santé de nos 260 000 agents, leur numéro de carte vitale, les affections dont ils peuvent souffrir, les médicaments qu'ils peuvent prendre. Alors que je ne parle même pas de toutes les données de transport qui sont elles aussi parfois assez secrètes. Toutes ces données-là, il faut qu'on les protège. C'est pour ça qu'on a créé un chat GPT propre à SNCF. C'est pour que les agents de SNCF n'aient pas la tentation d'aller chercher sur le chat GPT classique qu'on trouve tous sur Internet, des informations qui en divulgueraient certaines de SNCF. Voilà, il est interdit à SNCF pour tous les agents. d'aller chercher sur ChatGPT ou d'autres des informations ou des aides à la décision en y mettant des documents qui sont propres à SNCF ou des informations qui sont propres à SNCF. C'est pourquoi on a un système qui est en circuit clos. Et d'ailleurs, même au sein du circuit clos, il y a des domaines dans lesquels certains n'ont pas accès à d'autres pour éviter, parce qu'il y a des informations qui doivent être encore plus confidentielles que d'autres. On a créé ce système qui fonctionne très très bien. Au début de l'année, j'ai fait un... un grand séminaire avec tous les juristes, mais 500 juristes, sur l'intelligence artificielle. Et il y avait quelques grands spécialistes de l'intelligence artificielle qui ont assisté à la démonstration de notre outil en direct. Ils ont été assez épatés de la qualité de l'outil. Donc, on pense qu'on a plutôt un bon outil. Après, c'est comme tout, il faut savoir s'en servir. Il faut savoir rédiger les promptes. Il faut savoir ce qu'on peut demander aussi à la machine. Il faut savoir la questionner correctement. Il faut savoir l'utiliser. Elle nous fait aussi... de très belles images. On peut s'amuser très bien, mais ce n'est pas la solution à toutes nos questions et l'intelligence humaine doit toujours rester derrière. Moi, je ne suis pas ceux qui pensent que la machine va remplacer l'homme. Je suis de ceux qui pensent que la machine va aider l'homme et que l'homme sera toujours là pour contrôler. Parce qu'on le sait, elle le fera de moins en moins, mais la machine a des hallucinations. Elle raconte parfois n'importe quoi et donc, il faut pouvoir être là pour le vérifier et le corriger et lui reposer la question en lui disant qu'elle s'est trompée. Ce qui d'ailleurs lui permet d'apprendre et ce qui aussi permet d'avoir de bonnes réponses. On a cet exemple, alors il est un peu ancien maintenant, mais on a cet exemple d'un cabinet américain qui avait interrogé Chad G. Petit pour faire des conclusions dans un dossier et qui ne s'est pas rendu compte, parce qu'il ne l'avait pas vérifié, que Chad G. Petit avait inventé des jurisprudences. Manque de chance, le juge, lui, il s'en est rendu compte. Parce qu'évidemment, il a voulu regarder les jurisprudences et ne les a pas trouvées. C'est dire à quel point la machine, d'ailleurs, a une forme d'intelligence. Mais une intelligence qui est une intelligence, j'allais dire, assez primaire. Parce que si elle pense qu'on ne va pas découvrir qu'elle a inventé une jurisprudence, c'est qu'elle nous prend vraiment pour des imbéciles, si tant est qu'elle puisse avoir ce genre de pensée. Donc nous, il faudra qu'on soit toujours derrière la machine, il faudra toujours qu'on vérifie le travail qu'elle a fait, mais la machine peut nous aider considérablement.

  • Speaker #1

    Tu dis que c'est fait en vase clos ? Du coup, l'infrastructure pour créer un LLM, c'est souvent des millions et des millions d'euros. Je pense à Mistral qui lève beaucoup de fonds pour aller concurrencer à ChatGPT. Comment est-ce que vous avez fait ? Est-ce que vous vous êtes adossé du coup à Mistral ?

  • Speaker #0

    Oui, absolument. Alors, l'adossement à Mistral arrive là. On est en train de le faire. Mais on s'est adossé à... Alors, je ne sais plus quel grand modèle de langage. Sincèrement, je ne sais plus. Donc, ce n'est pas que je ne veuille pas le dire. Je ne sais plus. Et donc... On a créé un grand modèle de langage spécifique pour nous, un système qui, comme je te le disais tout à l'heure, est en vase clos. C'est-à-dire qu'il ne s'évade pas du tout à l'extérieur.

  • Speaker #1

    Entendu. Donc c'est Mistral qui vous aide et vous avez mis les barbes.

  • Speaker #0

    Mistral arrive et donc va nous apporter des possibilités complémentaires.

  • Speaker #1

    D'accord. Et donc, ce que vous avez fait là actuellement, c'est tout en interne ?

  • Speaker #0

    Oui, tout en interne par notre direction du numérique.

  • Speaker #1

    Ok, super impression. Donc, avec votre infrastructure à vous ?

  • Speaker #0

    Absolument. Ah ouais,

  • Speaker #1

    chapeau.

  • Speaker #0

    Et un outil, moi je ne suis pas tellement geek, un outil qui est plutôt convivial, qui est un plus.

  • Speaker #1

    C'est un chat également ou il y a d'autres choses ?

  • Speaker #0

    Oui, chat. Il peut faire aussi des dessins, il peut faire des vidéos.

  • Speaker #1

    Bravo, félicitations, c'est génial.

  • Speaker #0

    C'est plutôt mes collègues de l'informatique qui ont été géniaux de ce point de vue-là. Et en plus, ils font un truc formidable, c'est qu'ils nous font le service après-vente. Et ils ont distingué dans la maison quelques directions qui sont susceptibles d'avoir un gain formidable grâce à l'intelligence artificielle. Et la direction juridique en fait partie. Et donc, on a eu la possibilité de développer des cas d'usage qui seront spécifiques dans l'outil chat JPT SNCF. Ils sont spécifiques pour les juristes du groupe. Et donc, ça nous facilite énormément la tâche.

  • Speaker #1

    Ok. Le cas d'usage, par exemple, c'est je veux chercher une décision qui a déjà été prise.

  • Speaker #0

    Oui, alors ça, c'est un cas d'usage assez simple. Mais par exemple, je voudrais faire une autorisation de droit à l'image classique. Merci de me la remplir avec Robert Dupont comme personne qui autorise. Alors ça, c'est un cas hyper simple. Il y a des cas beaucoup plus compliqués où on a développé l'ensemble des cas d'usage. Et on en a découvert à peu près une quinzaine qui vont être particulièrement adaptés à notre activité.

  • Speaker #1

    OK. Est-ce qu'avec toutes ces évolutions... Tu trouves que ton métier est toujours aussi passionnant ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce que je te disais tout à l'heure. Le jour où j'aurai un peu plus de mal à me lever le matin, et en plus, moi, il se trouve que je me lève très tôt, bon, là, je me poserai la question. J'ai cette chance aussi d'être un peu dans une tour de contrôle où je ne fais pas toujours la même chose, où on me parle de sujets très différents, donc c'est très varié, où j'ai des collaborateurs de très grande qualité, où de temps en temps, on me demande d'aller dans des colloques. pour témoigner de mon expérience ou on me demande de faire quelques interviews sur la modeste vie professionnelle, de faire des cours dans une école ou dans une fac. C'est passionnant. Donc c'est très varié. Moi, j'ai toujours eu horreur de la routine. Là, je suis bien tombé pour ne pas être dans la routine quotidienne, mais au contraire, chaque jour, avoir une surprise nouvelle, alors parfois elle est mauvaise. Un accident, c'est une mauvaise surprise pour nous, mais il faut le traiter. ou une bonne surprise quand on a une très bonne décision dans un dossier dans lequel on pensait peut-être être à 50-50.

  • Speaker #1

    Merci Philippe. On va passer à une séquence qui est nouvelle sur ce podcast, la séquence vrai ou faux. J'annonce une phrase et tu dois me dire si tu trouves ça vrai ou faux, et tu peux évidemment justifier ça ensuite comme tu le souhaites. Je vais commencer par la première phrase, donc il y en a cinq. Les affaires publiques, c'est juste une affaire de réseau.

  • Speaker #0

    Non, non, non, ce n'est pas juste une affaire de réseau. Si c'était qu'une affaire de réseau, ça serait simple. Les affaires publiques, c'est aussi d'abord avoir un bon argumentaire et puis savoir convaincre son interlocuteur que son argumentaire est le meilleur. Donc ce n'est pas qu'une affaire de réseau. Le réseau compte, bien sûr. Si on connaît quelqu'un, c'est plus facile de s'adresser à lui que si on ne le connaît pas. Mais ça ne suffit pas.

  • Speaker #1

    Deuxième phrase, la régulation freine plus souvent l'innovation qu'elle ne la protège.

  • Speaker #0

    C'est ce qu'on dit. Donc j'aurais plutôt tendance à dire oui aussi. On a besoin de régulation. C'est évident, et je le disais d'ailleurs tout à l'heure pour l'intelligence artificielle, il est important qu'on ait une autorité de régulation, une autorité éthique de l'intelligence artificielle dans les années qui viennent, et même plutôt dans les mois qui viennent. Mais il faut faire attention à ce que, dans ce pays, on a l'impression que chaque fois qu'on a un problème que l'administration n'a pas envie de traiter, on crée une autorité régulatrice. Et donc, une autorité régulatrice, qu'est-ce qu'elle a envie de faire ? Elle a envie de créer des normes supplémentaires, et puis elle a envie de sanctionner. Parce que ce qui est important... c'est la sanction. Et c'est même un peu à ça qu'on serait tenté de juger la bonne activité d'une autorité de régulation. Combien de millions d'amendes prononcées ? Moi, je pense que c'est pas ça. Une autorité de régulation, c'est une autorité qui doit être avant tout correctrice. Elle doit aider l'entreprise. Bon, je vois par exemple, nous, on est une entreprise publique qui étions en monopole de 1938 à 2000. C'est pas mal. Du jour au lendemain, on nous dit ... Voilà, on ouvre à la concurrence. Est-ce qu'une entreprise comme la nôtre, avec 260 000 personnes réparties dans le monde, puisqu'au passage, je t'apprends peut-être que la SNCF travaille dans 130 pays dans le monde, pas qu'une entreprise franco-française. Comment est-ce que ces 260 000 agents de SNCF qui travaillent dans 130 pays dans le monde, du jour au lendemain, peuvent changer leur façon de penser et de se dire, aujourd'hui, attention, il faut que je respecte mon concurrent. Bien sûr qu'ils vont le faire, mais ils peuvent aussi... garder des mauvais réflexes et essayer de se dire bon ben le concurrent il nous plombe plaire on va essayer de le contourner si l'autorité de la concurrence vient nous voir et nous dit là vous n'avez pas respecté la règle si on reconnaît ce qu'on fait généralement parce qu'une entreprise publique ne peut pas mentir enfin peut pas mentir son actionnaire c'est l'état moi ce que je préférerais c'est que l'autorité de régulation nous disent c'est pas bien ça c'est sûr On ne vous condamne pas pour cette fois-ci parce que c'est la première fois, mais on va vous monitorer pour vérifier que vous ne recommencez pas. Et ce monitoring, il peut durer un an, deux ans, trois ans, cinq ans. Ça, ça me paraît correctif. Ça, ça me paraît être intéressant. J'ai parfois un peu tendance à penser qu'au jour d'aujourd'hui, les autorités de régulation, pour démontrer qu'elles ont une véritable activité et qu'elles sont utiles, elles commencent par sanctionner, puis après, ils passent à autre chose. Mais peut-être pas toutes. Je ne citerai personne.

  • Speaker #1

    La SNCF est plus influente à Bruxelles qu'à Paris ?

  • Speaker #0

    Non. On a une représentation à Bruxelles. C'est important aussi de faire passer un certain nombre d'idées. Le lobbying n'est pas interdit. On est déclaré comme lobbyiste, à Bruxelles comme en France d'ailleurs. Certains d'entre nous sont déclarés comme lobbyistes. Si on avait une influence aussi forte à Bruxelles qu'on le dit, que tu le penses, je ne sais pas, on n'aurait pas été obligé de... réformer totalement de fond en comble notre branche frette à la demande de Bruxelles, qui estime que nous avons bénéficié d'une aide d'État de la part du gouvernement de 5 milliards et qui a faussé la concurrence avec nos autres concurrents sur le territoire. Donc on voit bien la limite du propos, c'est que non, on n'est pas plus influent à Bruxelles qu'à Paris, et inversement.

  • Speaker #1

    La quatrième phrase qui a déjà répondu, je pense assez largement, l'intelligence artificielle remplacera les juristes d'ici 15 ans.

  • Speaker #0

    Non, en revanche, je peux ajouter juste une chose, c'est qu'il n'y aura certainement pas d'avenir pour un juriste qui ne saura pas rédiger des promptes. Là, c'est sûr. Là, je pense que lui, il fera les cafés. Et encore, je pense que la machine à café, dans quelques années, on lui demandera de faire un café et elle le fera toute seule. Donc, non, il faut... Et c'est pour ça que c'est très important la formation continue. La formation continue juridique, elle est très importante. Mais la formation, si je peux le dire... l'exprimer comme ça au promptage, c'est aussi très important. Et la dernière phrase, c'est « Le droit est devenu une arme d'influence autant qu'un outil de conformité. »

  • Speaker #1

    Alors, je dirais plutôt non. Mais pourquoi ? Parce que je pense que le droit, et les Américains ont été les premiers à le comprendre, ce n'est pas tellement une arme d'influence, c'est une arme économique. C'est-à-dire, si on arrive à imposer son droit à son co-contractant, on a gagné. Son droit, c'est-à-dire ses règles, ses juridictions, sa manière de penser juridique, on a gagné. Et les Américains, ils ont tout de suite compris ça. Et dans les boîtes américaines, à l'inverse des boîtes françaises, le directeur juridique, ce qu'on appelle là-bas le General Counsel, c'est le numéro 2 de la boîte. Ce n'est pas le directeur financier, c'est le numéro 2. Parce que le droit pour les Américains, une façon d'imposer, que je crois qu'on peut appeler leur impérialisme, y compris dans les activités commerciales ou industrielles, et on le voit bien avec beaucoup de règles qui théoriquement devraient être circonscrites au territoire américain, mais qui en fait sont applicables dans le monde entier. Par exemple, une entreprise de croisière qui fait accoster un de ses bateaux dans un port à la Havane est susceptible, et ça a déjà été le cas, d'être poursuivie par les juridictions américaines parce que la loi américaine estime que les légitimes propriétaires du port de la Havane avant la révolution castriste, qui étaient souvent d'ailleurs des entreprises privées, ont été expropriés, que donc le simple fait d'accoster sur ce qu'est exproprié constitue une infraction susceptible d'être poursuivie par la justice américaine. Et il y a déjà des croisiéristes qui ont été condamnés à plusieurs centaines de millions de dollars d'amende. Donc on voit bien la force du droit à cet égard. Alors, on peut très bien dire que c'est injuste, que de quoi ils se mêlent. La Havane, ce n'est pas les États-Unis. Ils ont réussi à... imposer au monde entier un mode juridique que le monde entier est bien obligé de respecter. Quand on paie en dollars certains contrats, on est justiciable de la justice américaine. Alors, on a intérêt à ne pas conclure des contrats avec des pays qui sont sous embargo américains parce qu'on est capable d'être poursuivi aux États-Unis et, par exemple, nos filiales qui sont aux États-Unis peuvent être poursuivies au lieu de notre entreprise nationale. Donc, c'est une force.

  • Speaker #0

    C'est-à-dire que au moment où moi j'ai un contrat avec un client américain et que je le paye en dollars, je suis soumis à la juridiction américaine.

  • Speaker #1

    Alors, il y a des cas différents, mais si, par exemple, ce client est un client qui est dans le collimateur des Américains, oui.

  • Speaker #0

    Entendu,

  • Speaker #1

    je le sais maintenant. Non, mais paye en euros, c'est mieux. Oui.

  • Speaker #0

    Philippe, on va arriver au bout de cet entretien. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voulais aborder, que tu n'as pas encore eu le temps de... développer ici ?

  • Speaker #1

    Peut-être pour reprendre ce que j'ai dit à l'instant, c'est que dans ce pays, on n'a pas encore compris à quel point le droit était un élément très important de la vie des entreprises. C'est assez curieux parce que, aussi bien dans les entreprises publiques que dans les entreprises privées, il y a assez peu de très grands patrons qui ont compris la force du droit, l'intérêt du droit et la possibilité pour le droit de résoudre des grands conflits pour l'entreprise. Alors, le droit ce n'est pas forcément traîner les gens devant les tribunaux. Ça peut être aussi la médiation, la conciliation, l'arbitrage, toutes ces choses qui appliquent des règles de droit de façon plus ou moins contraignante, mais qui sont quand même fondées sur la règle juridique. Beaucoup de mes collègues directeurs juridiques militent pour que les grands patrons français prennent un peu conscience de ces situations et se disent que finalement, leur directeur juridique, ce n'est pas le casse-pied de service qui chaque fois dit non à un projet. Mais c'est au contraire devenu le risk manager, celui qui est là pour accompagner le risque auquel l'entreprise peut être confrontée dans certaines situations. Alors ça viendra peut-être un jour. Ce serait, je crois, une bonne chose. Et les États-Unis, d'ailleurs, dans ce domaine, nous montrent véritablement le modèle. Mais on n'est pas encore assez mûrs en France pour ça.

  • Speaker #0

    Si tu pouvais te donner un conseil à ton toit de début de carrière, quel serait ce conseil ?

  • Speaker #1

    Abnégation et persévérance. Voilà. Alors, abnégation et persévérance, parce que dans la vie, on ne fait pas... C'est ce que je dis à mes enfants, d'ailleurs, très régulièrement. Mais dans la vie, on ne fait pas toujours que ce qui plaît. Et dans ce monde actuel, on a un peu tendance à penser que tout ce qui ne plaît pas, on peut s'en dispenser. Non, malheureusement, on est obligé de le faire aussi. Et surtout, persévérance, parce que ce n'est pas parce qu'on a un échec qu'il faut se décourager. Au contraire, un échec, ça nous permet d'apprendre et ça nous permet d'éviter un second échec plus tard, peut-être. Pas toujours. Et donc, abnégation et persévérance, ça me paraît être pas mal. Et puis aussi, être ouvert sur le monde, pas être plié sur soi. Être un peu à l'affût de ce qui se fait, de ce qui se dit. Des cultures différentes aussi, parce qu'on a beaucoup à apprendre de cultures qu'on ne connaît pas très bien. De gens qui sont confrontés aux mêmes problèmes que nous et qui arrivent à les résoudre parfois d'une manière différente de la nôtre. Ils ont donc parfois raison de le faire comme ça. Voilà, et puis je pense que dans une vie de juriste, plus spécifiquement de juriste, moi j'ai un mantra que je dis depuis une dizaine d'années à mes collaborateurs, et je pense que maintenant ils l'ont bien retenu, c'est qu'il faut être polyvalent, très important la polyvalence, c'est-à-dire qu'il faut être capable de passer d'un sujet à un autre assez facilement, il faut éviter d'être trop spécialisé, on peut être spécialisé dans un domaine, mais il ne faut pas que ce soit le seul domaine dans lequel on est bon, et puis il faut être adaptable, c'est-à-dire il faut s'adapter à la situation, parce que ce n'est pas la situation qui va s'adapter à nous. Donc polyvalent, adaptable, ça me paraît aussi un bon mantra pour de jeunes juristes qui veulent faire carrière en entreprise. Ou ailleurs, dans un cabinet d'avocat ou dans une administration un peu partout.

  • Speaker #0

    Philippe, pour conclure, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager ?

  • Speaker #1

    J'aime beaucoup la lecture, donc je serais tenté de recommander un livre. Le dernier livre très intéressant que j'ai lu, c'est un livre d'un auteur japonais qui s'appelle Haruki Murakami, dont j'ai lu pratiquement tous les livres, qu'on annonce tous les ans comme pouvant être prix Nobel de littérature, mais le pauvre, tous les ans, il est recalé. Son dernier livre, comme beaucoup de ses livres d'ailleurs, est un livre extrêmement onirique, qui à la fois mélange le réel et l'irréel. Dans cette culture japonaise que nous, on connaît quand même relativement mal chez nous, qui ne nous est pas immédiatement accessible, mais qui, encore une fois, est très irréelle, très onirique. J'allais dire, on est un peu transporté par ce conte. Et donc, voilà, c'est peut-être un livre que je recommande. Merci Philippe. Merci à toi, Pierre.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le cofondateur de l'SG Watch. plateforme qui vous aide dans votre travail institutionnel. A bientôt !

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Description

Du parquet à la direction juridique du groupe SNCF, en passant par Matignon et le Conseil d’État, Philippe Mettoux incarne une certaine continuité de l’État, au service de l’intérêt général, dans toutes ses formes.


Magistrat, conseiller ministériel, haut fonctionnaire, puis juriste d’entreprise publique, il a vu le droit devenir un levier stratégique, à la croisée des institutions, de l’économie et de la fabrique de la loi.


Dans cet épisode, on parle de :


🔹 son entrée très jeune dans la magistrature,
🔹 la gestion pionnière des victimes d’AZF et le virage humaniste du droit pénal,
🔹 ses années à Matignon auprès de Dominique de Villepin,
🔹 l’influence – réelle ou fantasmée – de la SNCF à Paris comme à Bruxelles,
🔹 la régulation, la concurrence et les mutations du ferroviaire,
🔹 l’IA générative dans une direction juridique de 500 personnes,
🔹 et de sa conviction que le droit est devenu une arme économique, bien plus qu’un simple outil de conformité.


💬 « Si on ne comprend pas que le droit est un facteur de puissance, on passe à côté de l’essentiel. »


Un échange dense, passionnant, avec l’un de ces profils discrets qui structurent, en creux, notre vie publique.


Vous pouvez contacter Pierre sur Linkedin.

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Transcription

  • Speaker #0

    Au début du XXe siècle, il y avait 50 000 km de voies ferrées en France. Aujourd'hui, il y en a moins de 30 000. Si, par exemple, notre bilan était négatif, on pourrait se poser la question de savoir si la pérennité de la SNCF, qui existe depuis 1938, ne serait pas mise en péril. On est passé d'un établissement public qui a la garantie de limiter de l'État à un groupe de sociétés anonymes qui doit rendre des comptes et qui doit avoir un bilan positif. à la fin de l'année.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle LegiWatch et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir Philippe Mettou, magistrat de formation, procureur de la République en 1993. Il rejoint ensuite la direction des affaires criminelles au ministère de la Justice. Il devient conseiller auprès du Premier ministre Dominique de Villepin avant d'entrer au Conseil d'État. Depuis 2013, il est le directeur juridique du groupe SNCF. Bonjour Philippe.

  • Speaker #0

    Bonjour Pierre.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a des éléments que tu aimerais ajouter à cette présentation ?

  • Speaker #0

    C'est amusant parce qu'en quelques phrases, on revoit toute sa vie professionnelle qui défile, donc ça donne un petit peu le vertige aussi. J'ai eu beaucoup de plaisir, ça étonnera peut-être certains des auditeurs, à être magistrat du parquet. Parce que le magistrat du parquet, il a peut-être dans l'imaginaire une image un peu... un peu dur ou un peu difficile. C'est le champion de l'accusation, c'est celui qui réclame les peines. Mais quand on connaît bien le métier de procureur, c'est tout autre chose. C'est le protecteur des incapables majeurs, c'est celui qui vérifie les officiers d'État civil, c'est celui qui dirige l'activité de la police, de la gendarmerie en matière judiciaire. Donc ce n'est pas qu'une personne qui réclame des peines, c'est aussi lui qui décide de l'action publique dans son ressort. Et moi, j'ai eu la chance d'être procureur à 34 ans, ce qui donne un peu le vertige, je dois le reconnaître, mais comme j'étais un peu inconscient à l'époque, je ne m'en suis pas rendu compte. Mais c'est un métier que j'ai adoré, c'est un métier que j'ai fait pendant près de 22 ans, où j'ai beaucoup appris. En sortant de la fac, je peux dire aussi que je sortais des jupes de ma mère, je ne savais pas grand-chose de la vie. J'ai eu la chance d'être élevé dans un milieu un peu protégé et hop, on est nommé substitut du procureur de la République. Et puis on a son premier meurtre ou son premier assassinat. Et là, pour la première fois de sa vie, on voit un cadavre, parfois dans des conditions qui ne sont pas toujours exceptionnelles, et on est plongé dans la réalité de la vie du jour au lendemain. Alors heureusement, la vie, ça n'est pas que ça, mais ça peut être ça aussi. Et j'ai beaucoup appris à cette occasion-là, humainement, professionnellement. J'en garde un grand souvenir. Alors pas de nostalgie, mais un grand souvenir. Et encore une fois, j'y ai beaucoup appris.

  • Speaker #1

    Super intéressant, Philippe. Et comment on passe du coup de meurtre, de choses très dures à une entreprise comme la SNCF ?

  • Speaker #0

    Oui, alors là, comme tu l'as dit, c'est une longue histoire. Ça ne s'est pas fait en un trait de temps, un peu par le hasard, en réalité. J'ai été procureur en titre pendant 7 ans, ce qui est assez long, parce que comme je l'ai été assez jeune, j'étais dans un petit tribunal avec assez peu de collaborateurs. Donc c'est un travail vraiment de tous les jours, une astreinte très forte, parce qu'on n'était pas très loin de la région parisienne et donc il se passait pas mal de choses. Et au bout d'un moment, on fatigue un peu, il faut bien le dire. J'ai souhaité changer d'activité. Et on m'a proposé d'aller au ministère de la Justice sur un poste que finalement je n'ai jamais obtenu. En attente, on m'a mis sur un autre poste qui était un poste de chef de bureau qui s'occupait de prévention et de victimes. Et il se trouve que c'était au moment où des affaires d'accidents très importantes ont marqué l'actualité. L'incendie du tunnel du Mont-Blanc, l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, une chose qui s'était passée en Espagne, un naufrage sur un lac. espagnol à côté de Barcelone où il y a eu beaucoup de morts, une quarantaine de morts. L'effondrement de la passerelle du Queen Mary à Saint-Nazaire. Donc il a fallu inventer parce que c'était l'époque où la victime a repris une place un peu plus importante dans le procès pénal. Jusqu'à présent, la victime, c'était vraiment la dernière roue du carrosse. Et on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose pour les victimes dans ces accidents collectifs et donc il fallait les aider non seulement à comprendre ce qui allait se passer mais en plus à... obtenir les indemnisations auxquelles elles avaient droit sans attendre les années et les années d'instructions, de procès. Et donc on a mis en œuvre un système d'indemnisation rapide sur le barème judiciaire qui a permis d'indemniser toutes les victimes avant qu'elles arrivent au procès par des accords amiables avec elles-mêmes, contrôlés par leurs avocats. Et le plus important dans ces affaires-là, ça a été... l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, qui avait fait plus de 50 000 victimes. Alors, à peu près 5 000 victimes physiques, et tout le reste, c'était des victimes matérielles. Et on imagine assez facilement que... Une audience ne peut pas se tenir avec 50 000 victimes. Donc, il a fallu inventer un système qui a permis d'ailleurs au final que seulement 1 000 victimes se présentent au procès parce que soit elles n'étaient pas satisfaites de l'indemnisation qu'on leur proposait, soit elles estimaient qu'elles devaient l'obtenir par le tribunal et pas par un accord amiable. Mais passer de 50 000 à 1 000, ça a déjà été une grande victoire parce qu'on a pu traiter la plupart des... des dossiers qui nous étaient soumis, dans un comité que je présidais, qui comprenait les représentants de Total, les représentants de la ville, les représentants de la magistrature, les représentants des assureurs, etc. Et les représentants des victimes qui s'étaient constituées en association. Et je dois dire que ça a été une certaine fierté de voir qu'il y a eu une adhésion assez forte sur ce process, qui était une invention un peu ex nihilo, et qui a permis, je crois, de faire avancer. toutes les semaines à Toulouse, le mercredi. Et quand je faisais la route de l'aéroport au tribunal, je regardais les immeubles et j'arrivais toujours à La Réunion en disant, il y a encore trop de contreplaqué qui bouche les fenêtres. Il faut vraiment qu'on puisse mettre des carreaux pour que les gens vivent normalement dans leurs appartements. Parce qu'il y a eu une pénurie, il y a eu tellement de fenêtres qui ont explosé à cause de l'usine, qu'il y avait eu une rupture de stock de verre. C'était un peu mon baromètre chaque semaine de voir combien de fenêtres supplémentaires avaient pu être réparées dans la semaine passée. Et donc ça a été pour moi une expérience très enrichissante aussi et humainement très forte. Et surtout quand les associations de victimes m'ont remercié. Évidemment, elles n'étaient pas très inclines à remercier les représentants de l'autorité publique. Mais là, elles ont été satisfaites du travail qui avait été fait par la commission d'anonymisation des victimes.

  • Speaker #1

    C'est un moment marquant pour toi, Philippe, mais qu'est-ce qui t'a amené alors, du coup, dans la suite de ce parcours, à arriver à la SNCF ?

  • Speaker #0

    Alors, ça a été un peu le hasard. Il y a encore une ou deux étapes à faire avant. On est omnibus, là. On n'est pas TGV, on est omnibus. Donc, il faut qu'on s'arrête dans quelques gares supplémentaires. D'accord. Comme j'avais acquis cette compétence en matière de droit des victimes, le président Chirac, à une époque... a estimé lui aussi que les victimes étaient parfois un peu maltraitées dans notre système pénal, dans ce qu'on appelle le procès pénal. Et donc il a décidé de créer un secrétariat d'État aux victimes. Il l'a confié à Nicole Getsch qui a été la première secrétaire d'État aux victimes. Et Nicole Getsch cherchait un collaborateur qui s'y connaissait un peu parce qu'elle n'avait pas de compétences particulières en la matière. Et donc elle m'a demandé de venir. Et j'ai été son collaborateur principal pendant quelques mois, le temps de créer son programme, qu'elle a passé en Conseil des ministres trois ou quatre mois après, qui était assez innovant à l'époque et beaucoup de dispositions ont été reprises ou votées. Et Nicole Gage a bien voulu que je parte au ministère de l'Intérieur, où Dominique de Villepin souhaitait que je le rejoigne. Et quand Dominique de Villepin est partie à Matignon, je l'ai également rejoint. Et quand Matignon s'est arrêtée en 2007, j'ai été nommé conseiller d'État. Et je suis resté conseiller d'État pendant sept ans, jusqu'à ce qu'une chasseuse de tête vienne me chercher et me proposer ce poste à la SNCF. Voilà les différentes étapes de mon parcours, parfois un petit peu sinueux, pas très facile, enfin pas très logique en tout cas, ou pas d'une logique. qui s'impose d'emblée, pour que j'arrive directeur juridique de la SNCF, il y a maintenant presque 12 ans.

  • Speaker #1

    Tu décris un parcours qui me semble être au service de la France. Quelle est ta vision de la France pour toi ? Quelle est la société vers laquelle on devrait tendre ? Tu as un parcours qui, pour moi, me semble être un parcours de combat. Qu'est-ce que tu défends ?

  • Speaker #0

    Je crois que je ne suis pas très original dans le modèle. C'est-à-dire qu'évidemment... Je défends une société égalitaire, aussi bien d'ailleurs entre les hommes et les femmes qu'entre tous les hommes et toutes les femmes. Une société aussi qui prône l'ascension sociale pour ceux qui le souhaitent. Une société qui soit aussi peut-être plus apaisée que ce qu'elle naît aujourd'hui, avec beaucoup de toutes ces tensions qui, on le voit bien, remontent à la surface parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne s'estiment pas considérés comme ils devraient l'être. Je crois aussi que notre société, elle est là pour nous. pour faire grandir les gens. C'est-à-dire que de l'école jusqu'à, j'allais dire, à la fin de sa vie professionnelle, on doit acquérir des compétences nouvelles, on doit faire un métier qui nous plaît. En tout cas, on doit essayer de le faire comme ça. Je crois que si on avait une vision un peu plus large de ce qu'est la société... que doit être une société moderne, avec toutes les facilités qui nous sont ouvertes depuis quelques dizaines d'années. Pensons quand même à ce qu'était la vie au sortir de la guerre de 39-45. Tout était détruit, tout était démoli, il fallait tout construire, il fallait tout reconstruire, il fallait réinventer une nouvelle société, ce qui a été fait à l'époque grâce au Conseil national de la résistance, puis après grâce au général de Gaulle. On a l'impression que dans la société actuelle, actuelle dans laquelle on vit, on tourne un peu avide, tout le monde manque un peu d'idées, tout le monde réfléchit plus à l'élection d'après plutôt que voir sur le long terme, essayer d'éduquer toutes ces masses qui ont besoin de mieux connaître la vie, de mieux connaître ces nouvelles technologies qui font partie maintenant de notre vie quotidienne, qui peuvent aussi bien nous aider merveilleusement dans certaines tâches. que d'être également aussi extrêmement nocive et dangereuse.

  • Speaker #1

    Pour revenir sur ton parcours, ça fait dix ans que tu es à la SNCF, donc c'est bien plus long que tes expériences précédentes. Pour quelles raisons ?

  • Speaker #0

    Parce que tous les matins, je ne rechigne pas à me lever pour aller au boulot. C'est la raison numéro un.

  • Speaker #1

    Aussi simple que ça ?

  • Speaker #0

    C'est très simple. Quand on a envie d'aller au boulot, c'est déjà bon signe. Pourquoi est-ce que j'ai envie d'aller au boulot ? Parce que je ne m'y ennuie pas. La SNCF est une maison où il se passe toujours quelque chose. Alors, on connaît le slogan pour les galeries Lafayette, mais c'est également vrai pour la SNCF. Il se passe toujours quelque chose à la SNCF. Et puis, c'est aussi parce que, alors, pardon de cette marque un peu d'immodestie, mais c'est parce qu'au dernier baromètre interne de ma direction, un baromètre pour toute l'entreprise, j'ai les chiffres pour ma direction, j'ai un... taux d'engagement de 91%. Ça veut dire que 91% de mes collaborateurs, qui ont répondu à 100%, sont très satisfaits de leur environnement de travail, de ce qu'ils font, des dossiers qu'ils traitent, de la façon dont ils sont considérés. Je rappelle que la moyenne en France, c'est 14%. Au global, avoir 91%, j'allais dire de satisfaction, pour le dire vite, mais on appelle ça le taux d'engagement. C'est assez satisfaisant, je dois le dire. On se dit qu'on n'est pas là par hasard et qu'on a pu faire quelques petites choses qui font que, si soit le matin, on aime bien venir au travail, eux-mêmes, ils sont un peu dans le même état d'espoir.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc, si je comprends bien, c'est très agréable de travailler avec Philippe.

  • Speaker #0

    Il faudrait leur poser la question.

  • Speaker #1

    Et au-delà de ça, du coup, justement, tu parles de projets, de changements. Quels sont tes projets du moment au sein de la SNCF ? et de manière plus générique finalement, comment est-ce que tu décrirais ton quotidien à quelqu'un qui ne connaît pas du tout ce monde-là ? Qu'est-ce que tu fais en arrivant le matin ? Quelle est ta journée type si tu en as une ?

  • Speaker #0

    Alors il y a une chose certaine pour commencer par la fin, c'est que quoi que je puisse décider de faire dans ma journée en arrivant le matin, je suis à peu près certain que je ne le ferai pas. Parce qu'il y aura toujours quelque chose qui arrivera, qui me distraira de ce que j'avais prévu ou qui m'obligera assez rapidement à... à déguerpir de l'endroit où je suis pour aller rejoindre soit la salle de crise, soit mon bureau, soit une réunion qui se tient en urgence. Ce n'est pas ça tous les jours, heureusement. Mais ce que j'aime bien dans mon métier, c'est que justement, il y a une très grande variété. Alors, d'une manière aussi très chauvine, j'ai l'habitude de dire que la direction juridique de la SNCF est la plus belle direction juridique de toutes les entreprises françaises. Bon, je trouverai peut-être quelques contradicteurs de ci, de là, qui vont me dire que c'est faux et que c'est la leur. Pourquoi ? Parce que... Nous embrassons toutes les sphères du droit, c'est-à-dire aussi bien le droit privé que le droit public, le droit interne, le droit communautaire, le droit international. Et donc, on a énormément de spécialistes chez moi dans toutes ces sphères. Et moi, j'apprends tous les jours à leur contact. Il y a quelques domaines dans lesquels je ne suis pas trop mauvais, mais il y en a d'autres dans lesquels je ne suis pas le meilleur. Mais je crois pouvoir avoir les meilleurs auprès de moi pour me conseiller et pour mener à bien les dossiers que je leur confie. Et dans cette maison, ce n'est pas parce qu'on est le plus ancien dans le grade le plus élevé qu'on prend la décision. Cette maison, c'est celui qui a la meilleure connaissance de la matière et du dossier, qui emporte le morceau, qui peut être chef de projet. Je crois que ça aussi, c'est très valorisant pour les équipes, parce que ce n'est pas comme dans un cabinet d'avocats où on est d'abord obligé d'être collaborateur. pendant des années où on ne voit pas l'entièreté du dossier tout de suite. On voit très rarement le client. Et puis, les années passant, alors on travaille parfois jusqu'à 1h, 2h, 3h du matin. Et puis, les années passant, on monte un peu en grade. Et puis, au bout de 20 ans, 25 ans, on devient associé. Et là, on commence à avoir les dossiers en main et à décider de la stratégie. Chez moi, si on est très bon dans le domaine et si on a les capacités, les aptitudes, on peut très bien être chef du projet tout de suite. et avoir dans son équipe des gens plus anciens, mais qui s'y connaissent moins. Donc je crois aussi que ça permet aux gens de comprendre que, un, on leur fait confiance. Ce qui est très important, évidemment, dans l'entreprise. La confiance n'excluant évidemment pas le contrôle, selon la bonne formule. Mais faire confiance a priori, ça me paraît aussi un élément moteur dans une entreprise pour que les gens se donnent et donnent le meilleur d'eux-mêmes dans un dossier. On a, je crois, de ce point de vue-là, une philosophie qui répond bien aux attentes du moment et notamment aux plus jeunes collaborateurs. Moi, j'ai des collaborateurs qui ont 25 ans et d'autres qui en ont quasiment 60. Mais tout ce petit monde cohabite. très bien parce qu'ils savent très bien que la règle dans le traitement d'un dossier ou dans la responsabilité d'un dossier, c'est la compétence. Et la compétence, elle est rarement contestée. Elle est rarement contestée parce que ça se voit assez vite si on est compétent dans un domaine ou si on ne l'est pas. Et en droit, ça se voit quand même assez rapidement aussi. Partant de là, je crois qu'il y a des équipes qui sont justement très engagées parce qu'elles savent que la responsabilité d'un dossier et donc de la défense de l'entreprise repose sur leurs épaules.

  • Speaker #1

    Donc si je grossis le trait, au sein des équipes juridiques de la SNCF, Il y a une concurrence interne, c'est un peu le libre marché total, où un junior de 23 ans peut gérer un gros projet parce que c'est le plus compétent ?

  • Speaker #0

    Absolument. Je ne crois pas que ça se joue en termes de concurrence. Il n'y a pas de concurrence entre les équipes. Et souvent d'ailleurs, il y a de la collaboration, parce qu'un dossier juridique, ça n'est que rarement une seule question de droit. C'est généralement plusieurs questions de droit. Et donc justement, il faut emboîter les solutions juridiques les unes dans les autres. Et ça nécessite aussi un fort travail de collaboration interne entre les équipes. Et là, c'est très important de voir à quel point la dynamique du groupe joue un rôle dans la résolution de ces dossiers. Parce que si les gens ne s'entendent pas bien, on peut même dire si les gens ne s'entendaient pas bien, ils réussiraient moins bien à gérer l'intégralité du dossier ensemble.

  • Speaker #1

    D'accord. Et donc les dossiers, justement, c'est des dossiers qui sont internes à la SNCF. C'est-à-dire que c'est des appels à projets. pour votre client, c'est la SNCF ou est-ce qu'il y a d'autres clients ? Comment ça se passe ?

  • Speaker #0

    Oui, oui, notre client, ça n'est que SNCF, mais le client peut avoir différents sujets à traiter. C'est-à-dire, on peut faire soit du conseil, un contrat, on a besoin de le rédiger ou de réviser un contrat qui est proposé par notre co-contractant ou nos co-contractants. On souhaite bien évidemment insérer les clauses qui nous conviennent bien. Donc, c'est une négociation auxquelles le juriste participe, comme on a... contract manager, et puis après c'est la vie du contrat lui-même qui doit être suivie, et puis l'achèvement du contrat avec toutes les possibilités de réclamation diverses et variées. À côté de ce rôle de conseil, il y a tout ce qui a trait au contentieux, c'est-à-dire les procès, qui peuvent être aussi bien des procès civils, des procès administratifs, des procès pénaux, des procès prud'homo, des procès commerciaux. Et donc là, dans chaque domaine, on a des juristes qui sont... compétents et qui élaborent la stratégie que nos avocats, enfin généralement on l'élabore en concertation avec nos avocats, que nous développerons à l'audience pour convaincre le juge. Donc ce sont les deux grands aspects. À côté de ça, on se permet même le luxe de faire un peu de formation de nos équipes internes parce qu'évidemment, on a besoin avec certains de nos interlocuteurs dans l'entreprise de leur expliquer ce qu'est le droit, de ce qu'est ce qu'ils... peuvent faire, ce qu'ils ne doivent pas faire dans tel ou tel domaine. Et on fait donc beaucoup de formation aussi au sein même de l'entreprise. Ce sont à peu près les trois grands domaines dans lesquels la direction juridique intervient.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc là, tu parlais de potentiellement convaincre un juge. Ce podcast s'appelle Hémicycle. Est-ce que vous avez une influence sur la création des politiques publiques via, justement, votre positionnement juridique ?

  • Speaker #0

    Alors, on en a une quand... on nous le demande. On est une entreprise publique, notre actionnaire à 100% c'est l'État. L'État, de temps en temps, souhaite avoir notre avis. De temps en temps, il s'en passe très facilement. On peut lui tirer la manche de temps en temps pour lui dire qu'on aimerait bien dans ce domaine que les choses évoluent. Alors, on en a un qui est assez récent, le vote de la loi Tabarro qui est passé devant l'Assemblée nationale et devant le Sénat et en commission mixte paritaire très récemment. Tous les gens qui prennent le train savent qu'il y a une force de l'ordre qui appartient à la SNCF qui s'appelle la surveillance générale. Ce sont des gens qui sont en uniforme, qui patrouillent à la fois dans les gares, dans les trains, aux abords des gares. Nous trouvions qu'ils n'avaient pas assez de pouvoir dans certains domaines et que les délinquants ou les contrevenants utilisaient ces failles pour échapper à des condamnations, alors qu'ils ne sont que des contraventions, je m'empresse de le dire. Et donc on a suggéré du temps où il n'était pas encore ministre à M. Tabarro, qui a sans doute des améliorations à apporter dans les possibilités qui sont offertes à nos agents de la surveillance générale, qui sont 3 500 sur le territoire. Donc ce n'est pas une petite force, c'est une petite armée presque. Il se trouve que M. Tabarro est devenu ministre et a poursuivi allègrement le ministre des Transports, qui plus est, parce qu'il s'intéresse à ces sujets, et a poursuivi allègrement... le vote de sa loi et on a pu obtenir ainsi un certain nombre de dispositions pour lesquelles il était totalement convaincu. Donc ce n'était pas la peine d'essayer de le convaincre, il était totalement convaincu, mais grâce à lui, on a pu faire voter ses dispositions.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc dans ce cas-là, vous allez voir directement le ministre, comment vous avez son contact, ou alors vous passez par des parcs ? Oui,

  • Speaker #0

    il y a des contrats très étroits avec le cabinet du ministre des Transports, avec le cabinet du Premier ministre, même avec le cabinet du président de la République. Il y a souvent des conseillers, il y a toujours même des conseillers de transport auprès d'eux, parce que le transport dans ce pays est un élément important de la vie du pays. Et donc, on est en contact régulier avec eux. Et puis au ministère des Transports même, il y a une direction qui s'appelle la DGITM, qui elle est plus spécialement chargée de tous les transports, et il y a une branche qui s'occupe du transport ferroviaire, et c'est notre interlocuteur particulier. Et puis de surcroît, on a quelques régulateurs, alors l'autorité de régulation des transports, l'ART, qui est notre, j'allais dire, surveillant général, et puis d'autres régulateurs comme l'autorité de la concurrence, comme la Commission nationale informatique et liberté, Et le PSF, qui est l'établissement public de sûreté ferroviaire, qui veille à ce que les conditions de sécurité des trains, notamment dans la circulation des trains, soient respectées. Donc on a beaucoup d'interlocuteurs publics.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est les mêmes interlocuteurs pour vos projets de développement ? J'ai lu par exemple que vous allez mettre sur le marché en 2027 des navettes nommées Carflex, qui sont capables de rouler sur rail et sur route. Il y a aussi le projet de train Dresi avec des batteries électriques. Est-ce que c'est la même chose ? Vous allez directement voir le ministre des Transports ou est-ce que ça passe par d'autres processus ?

  • Speaker #0

    Alors on a une direction recherche et développement qui est évidemment très importante au sein de la SNCF et qui essaie d'anticiper sur les grandes mutations de demain. On s'est rendu compte, comme je crois tout le monde, qu'après la pandémie, le train avait connu... une vogue assez incroyable, et continue d'ailleurs à la connaître. C'est souvent assez difficile de trouver un billet de train au dernier moment, parce que tous les trains sont complets. Il y a une vraie affection des Français pour le train, et une vraie affection des Français qui fait suite à une forme de désaffection des Français pour le train qui était avant la pandémie. Je crois que les gens ont compris que d'abord, rouler en voiture, ça coûtait cher, que c'était sans doute plus risqué que de rouler en train. Ça, ce sont les statistiques qui le disent, ce n'est pas moi. Et puis, une forme aussi de désaffection, il faut bien le dire, pour l'aérien, en tout cas pour les courtes distances de l'aérien, là où notre TGV Paris-Bordeaux met 2h04 pour faire le trajet. Un avion, si on prend en compte le temps d'arriver à l'aéroport, de passer la sécurité, de rentrer dans l'avion, de ressortir de l'avion, de repasser la sécurité et de rejoindre le centre de Bordeaux, donc, On peut mettre 4 ou 5 heures. Donc, comme disaient les jeunes, maintenant ils ne le disent plus, il n'y a pas photo. C'est assez simple de penser que les gens aiment le train. Seulement, comme le train a connu cette désaffection, il faut repenser de nouveaux modes de transport qui soient compatibles avec le réseau ferré national, qui a énormément diminué. Je rappelle qu'au début du XXe siècle, il y avait 50 000 kilomètres de voies ferrées en France. Aujourd'hui, il y en a moins de 30 000. Donc on voit bien qu'à l'époque, les voies ferrées allaient dans les plus petits endroits, dans les fins fonds de campagne, et on le voit encore parce qu'il y a quelques gares désaffectées qui ont souvent été vendues, transformées en maisons d'habitation ou en autre chose. Il y a toujours cette volonté que le train, et notamment par les présidents de région, que le train devienne un mode de transport à la fois écologique et doux pour rejoindre certains lieux. Et donc on a... pu réfléchir à des modes qui favorisent à la fois les quelques voies ferrées qui subsistent dans ces endroits-là, mais qui puissent aussi prendre la route. C'est assez incongru quand on y réfléchit, parce qu'on se dit « mais on est dans un film de science-fiction » . Ben non, pas du tout, on n'est pas dans un film de science-fiction. Ces petits véhicules, parce qu'on n'a pas besoin de trains qui font 500 places, on a besoin de véhicules qui font 50 places, en réalité. Et donc, ils sont très souples dans l'utilisation, ils peuvent passer dans beaucoup d'endroits, Et ils sont polyvalents. Donc, c'est très pratique. Et moi, je fonde beaucoup d'espoir sur ces moyens de transport futur parce que je crois que c'est un peu le moyen de transport de l'avenir.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est des moyens de transport qui sont rentables ou qui sont aidés par vos autres activités ?

  • Speaker #0

    Oui, alors... On est une entreprise publique. Quand on est une entreprise publique, on se doit d'être une entreprise rentable. Surtout que depuis 2020, on est un groupe de sociétés anonymes. Donc une société anonyme, elle peut faire faillite si elle n'a pas suffisamment de revenus par rapport à ses charges. Auparavant, nous étions un établissement public industriel et commercial. Un établissement public industriel et commercial, pour ceux qui ne sont pas juristes, c'est une... spécificité du raffinement juridique français, ça n'existe nulle part ailleurs dans le monde qu'en France, mais un établissement public industriel et commercial qu'on appelle un EPIC, en résumé, il a la garantie illimitée de l'État. Là, on est passé d'un établissement public qui a la garantie illimitée de l'État à un groupe de sociétés anonymes qui doit rendre des comptes et qui doit avoir un bilan positif à la fin de l'année. Alors, tu as peut-être remarqué que ces trois dernières années, le bilan était très positif. puisqu'on fait chaque année depuis 3-4 ans 1 milliard à 1,5 milliard de bénéfices qui sont immédiatement réinvestis dans le réseau parce que le réseau a besoin d'être maintenu et régénéré. Si, par exemple, notre bilan était négatif, on pourrait se poser la question de savoir si la pérennité de la SNCF qui existe depuis 1938 ne serait pas mise en péril et si elle ne pourrait pas, comme n'importe quelle autre société, être à traite devant le tribunal de commerce pour être mise en règlement judiciaire. Ça, les Français le savent assez peu, mais c'est la réalité depuis 2020.

  • Speaker #1

    Est-ce que pour toi, c'est normal que la SNCF doive être rentable ? Je donne mon opinion personnelle là, mais si j'avais par miracle la chance d'être aujourd'hui ministre des Transports ou même de pouvoir gérer ça au niveau même européen, je dirais que le réchauffement climatique est une priorité. C'est un chantier qu'on doit adresser rapidement. Et donc, je taxe davantage les avions. Tu parlais tout à l'heure des avions. Et j'envoie le revenu de ces taxes vers... le train et le train n'a pas à être rentable, c'est simplement l'urgence, c'est que les Européens doivent prendre le train davantage. Qu'est-ce que tu penses de ça ?

  • Speaker #0

    Tu fais partie des tenants de ce grand débat franco-français qui agite beaucoup de monde. Il suffit d'aller sur les réseaux sociaux, d'ailleurs au moment où on publie nos comptes, ça suscite beaucoup de réactions entre les gens qui pensent comme toi, qui se disent que le chemin de fer c'est un service public et que partant de là, ce service public, quoi qu'il coûte, L'État doit y pourvoir. Et puis d'autres personnes qui disent, mais non, le train, c'est un moyen de transport comme un autre, comme les bus, comme les avions. Il n'a pas besoin d'être subventionné. Il faut qu'il se débrouille par lui-même. La vérité est entre les deux. Il y a en France beaucoup de transports ferroviaires qui sont subventionnés, notamment par les régions. Tous les transports ferroviaires régionaux sont subventionnés en grande partie par les régions. parce que ces régions ont besoin que les gens puissent, au sein de la même région, circuler pour aller à leur travail, en revenir. Et ça n'est pas, a priori, rentable d'emblée comme ça. En revanche, le TGV, lui, il se suffit à lui-même. Il n'est absolument pas subventionné. C'est quelque chose qui coûte très cher, le TGV, parce que la construction de la ligne coûte horriblement cher déjà au départ. C'est une ligne qui est extrêmement automatisée, avec beaucoup d'informatique. beaucoup d'intelligence artificielle aussi désormais. Mais le TGV, grâce au nombre de voyageurs qu'il transporte par an, est globalement dans sa globalité rentable. C'est-à-dire qu'il y a des lignes qui sont extrêmement rentables. Par exemple, Paris-Lyon-Marseille, c'est la ligne la plus rentable du TGV. Il y en a quelques autres qui ne sont pas rentables. Jusqu'à présent, la SNCF, comme elle possédait les lignes à la fois rentables et non rentables, elle arrivait à équilibrer pour le TGV. Maintenant qu'on a des nouveaux entrants, des concurrents, évidemment, eux. ils ne vont pas se précipiter sur les lignes qui ne sont pas rentables. Ils vont se précipiter sur celles qui sont rentables. On pose la question au gouvernement, dans ce cas-là, si à la SNCF, il ne reste plus que les lignes qui ne sont pas rentables, comment est-ce qu'on fait ? Donc la question est en débat. Le gouvernement n'a pas encore tranché. En tout cas, le gouvernement est bien au fait de cette question-là. Et l'actuel ministre des Transports, d'ailleurs, a dit qu'il va falloir qu'on réfléchisse sérieusement. Parce qu'évidemment, par exemple, je prends nos collègues italiens. qui font rouler ces magnifiques trains qui s'appellent Flèches Rouges, Freccia Rossa, qui sont hyper confortables et dans lesquels, évidemment, on a un café italien absolument délicieux. Eux, ils veulent faire Paris, Lyon, Milan, dans les meilleures conditions, mais ils ne veulent pas du tout faire des petites lignes jusqu'à Brest ou jusqu'à Quimper, parce que ça ne les intéresse pas. Ils pensent peut-être que les Bretons préfèrent le cidre au café, j'en sais rien, mais en tout cas, ils veulent des lignes extrêmement rentables. Mais s'il ne reste plus à la SNCF que les lignes qui ne sont pas rentables, ça va poser un problème de modèle économique. Et donc, ça voudrait dire que l'actionnaire, l'État, soit obligé de renflouer ou de compenser le fait que cette concurrence ne se fait que sur les lignes rentables. C'est une vraie question que les politiques doivent se poser assez rapidement.

  • Speaker #1

    Est-ce que toi, à titre personnel, tu penses que l'ouverture à la concurrence, c'est une erreur ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'on a voulu transposer ce qui s'est produit dans l'aérien depuis très longtemps dans le ferroviaire. La difficulté, c'est que ça n'est pas comparable. Parce que l'aérien, les grosses infrastructures, qu'est-ce que c'est ? Ce sont les aéroports. Et une fois qu'on a construit un aéroport, on peut peut-être l'étendre, comme c'est arrivé à Roissy à plusieurs reprises. On a étendu l'aéroport en fonction du trafic aérien. Mais l'investissement, il a été fait au départ et il a été finalement assez vite amorti. Après, ce sont les compagnies aériennes qui se chargent du confort des passagers avec des avions de plus en plus rapides. ou des avions de plus en plus économes en carburant et tout cela. Et on a vu d'ailleurs le boom des sociétés low cost qui pouvaient emmener assez loin des passagers pour 20, 30 ou 60 euros. Nous, certes, on a nos aéroports à nous qui sont nos gares, qui sont des gares d'ailleurs souvent très anciennes. Je parle notamment pour les gares parisiennes, mais pour beaucoup de gares des grandes métropoles françaises qui ne sont pas forcément adaptées au trafic actuel. qui nécessite énormément d'investissement. Quand on voit les verrières absolument magnifiques de nos gares parisiennes ou par exemple de la gare de Bordeaux qu'on a restaurée il n'y a pas très longtemps, on voit le travail que c'est de restaurer tout ça. Ça nécessite déjà en soi un investissement important. Ça nécessite aussi de réfléchir à tous les flux de passagers qui ne sont pas les mêmes qu'avant. Quand avant, un train transportait 100 personnes, Maintenant, il est capable d'en transporter 1 000 et avec le nouveau TGV, 1 500, quand il y aura deux rames à coller l'une à l'autre. Donc tout ça nécessite aussi qu'on repense les flux dans les gares. Les flux dans les gares, c'est très important. Mais surtout, ce qui nous différencie de l'aérien, c'est les voies ferrées. Les voies ferrées, l'aérien, c'est le ciel. Donc il n'a pas à se soucier de l'entretien du ciel. En revanche, nous, nous avons à nous soucier de l'entretien de près de... 30 000 km de voies ferrées. Et ça, c'est extrêmement onéreux. Et ça, c'est notre filiale SNCF Réseau qui le fait. Nos concurrents, ils se contentent de payer un péage pour passer sur ces voies ferrées, mais ils ne les entretiennent pas.

  • Speaker #1

    Et le péage, c'est vous qui en fixez le prix ?

  • Speaker #0

    Alors c'est SNCF Réseau qui en fixe le prix, qui est à cet égard indépendant de nous. Et c'est SNCF Réseau qui décide d'attribuer ces passages, qu'on appelle chez nous des sillons, aux sociétés qui le réclament. En tout cas, les sillons qui restent, parce que nous, on en utilise déjà beaucoup. Ce n'est pas un secret de dire qu'on a essayé de saturer un peu tous ces passages pour en avoir le plus possible. C'est pour ça qu'on a, avant l'ouverture à la concurrence, créé nos trains Wigo, qui sont des trains low-cost, qui permettent à des gens de voyager pour 15, 20, 30 euros et aller à l'autre bout de la France, mais dans des conditions de confort qui sont un peu moins bonnes que dans nos TGV Inouï. Un jour va venir où la concurrence va être beaucoup plus agressive. et va réclamer beaucoup plus de passages, de sillons, et sera peut-être prête à payer plus cher, sans compter que les premières années, il y a eu une sorte de prime aux concurrents entrants qui avaient des sillons moins chers que nous, pour favoriser l'ouverture à la concurrence. Tout ça est assez complexe, tout ça mérite aussi pas mal de réflexion, et de se dire, bon, la concurrence c'est bien, c'est une volonté européenne, il y a maintenant près d'une quinzaine d'années, dans beaucoup de domaines. Mais il faut réfléchir aussi aux conséquences que ça peut avoir sur les entreprises nationales. La SNCF, globalement, c'est quand même 260 000 agents dans le monde, puisque nous avons beaucoup d'autres filiales qui travaillent ailleurs dans le monde. On ne peut pas, du jour au lendemain, mettre leur activité en péril, tout simplement parce qu'il faut ouvrir nos voies ferrées à des collègues étrangers.

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose que je ne saisis pas bien. Vous avez les gares, vous avez l'infrastructure. Est-ce que vous ne pouvez pas forcer vos concurrents à payer davantage pour contribuer aux lignes qu'ils ne veulent pas desservir ?

  • Speaker #0

    Nous, on ne peut pas. Il faudrait que ce soit une décision de l'État et que cette décision soit validée par l'Union européenne. Mais c'est, je crois, ce à quoi réfléchit actuellement le gouvernement.

  • Speaker #1

    D'accord. J'ai une autre question un peu indépendante. Est-ce que vous contrôlez totalement l'affichage des publicités dans vos gares ?

  • Speaker #0

    Alors, on contrôle pas mal, oui. On a une régie qui s'occupe de ça. et cette régie, elle a un certain nombre de règles qui lui sont fixées par nous. Mais ces règles, parfois elles peuvent être détournées, contournées, ou elles ne peuvent pas être assez claires pour une appréciation. Alors je ne sais pas si tu veux me parler d'un sujet récent que tu as pu lire dans la presse, et dont on aura la solution dans quelques jours, c'est l'affichage d'une publicité pour le livre de Jordan Bardella, qui a été contesté par un certain nombre d'associations, qui estimaient que c'était un affichage pour un livre politique, et qui... que la SNCF était tenue à une obligation de neutralité religieuse et politique. On a plaidé récemment devant le tribunal et on aura le résultat de ce dossier dans quelques temps. Bon, très objectivement, les gens qui nous ont fait ce procès ont fait plus de publicité au livre de Jordan Bardella que s'il n'y avait pas eu de procès. Donc je pense que Jordan Bardella, très légitimement, doit être plutôt satisfait de cette publicité à bon compte. Après, dans une société comme la nôtre, ça n'est pas non plus hors de propos de se poser la question de savoir si un livre par un homme politique qui est ouvertement candidat à un certain nombre d'élections et qui défend un certain nombre de points de vue, que ce soit Jordan Bardella ou que ce soit un autre, doit pouvoir avoir un panneau d'affichage vantant les mérites de son livre. Après, ça veut dire qu'il faut faire le distinguo. savoir si c'est un livre véritablement politique ou si c'est un livre simplement de mémoire ou de témoignage sur sa vie, son enfance, son oeuvre et ses projets. On va voir ce que le juge va décider.

  • Speaker #1

    Très bien. En fin de compte, je ne pensais pas du tout à ça.

  • Speaker #0

    Ah bon ? C'est le sujet d'actualité.

  • Speaker #1

    J'ai pensé à quelque chose que j'ai vécu ce week-end qui était assez différent. C'est que je suis allé en Bretagne avec la SNCF.

  • Speaker #0

    Très bien. Je te félicite.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. J'ai pris un train pour aller en Bretagne et je reviens à Paris. Et le premier truc que je vois, c'est une pub dans la gare qui dit « partez au Maroc pour 30 euros » . Et c'était une pub pour prendre l'avion. Je me suis dit, mais pour moi, là, il se tire une balle dans le pied, quoi. Je viens de payer trois fois le prix ou quatre fois le prix pour faire l'aller-retour en Bretagne. Et ils disent « non, mais prenez l'avion dès que je sors du train » . Donc, j'ai trouvé ça très étonnant. Oui,

  • Speaker #0

    évidemment. Comme tu le racontes, c'est très étonnant. Mais si nous avions refusé à cette compagnie aérienne qu'elle puisse faire sa publicité, Alors que ce n'était une publicité ni à teneur religieuse, ni à teneur politique, elle aurait pu nous attaquer pour discrimination. Il faut bien imaginer que notre régie publicitaire, comme celle de la RATP d'ailleurs, et comme celle de beaucoup d'autres entreprises, doit être équilibrée dans ses approches et elle doit pouvoir laisser, y compris nos concurrents, s'exprimer.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc vous n'avez pas un total contrôle, même loin de là, sur ce qui est affiché ?

  • Speaker #0

    Non, parce que tout le monde doit pouvoir faire la publicité pour ce qu'il pense être le meilleur. Et le Maroc, c'est quand même difficile d'y aller en train. Oui,

  • Speaker #1

    j'entends bien, mais la Bretagne préfère l'affaire.

  • Speaker #0

    C'est vrai, ce n'est pas exactement le même ensoleillement, mais ce n'est pas mal. Moi, j'aime bien les deux, mais peut-être pas au même moment.

  • Speaker #1

    Je voudrais passer à la séquence évolution du droit. J'ai vu que tu t'es beaucoup exprimé sur l'arrivée de l'intelligence artificielle, le fait que ça bouleverse vos pratiques. Quelle est ta position sur l'usage de l'intelligence artificielle ? Tu as évoqué même tout à l'heure les limites, ou en tout cas peut-être les débordements que ça pourrait amener. Quels sont les points positifs principaux que tu vois et les risques que ça amène ? Eh bien,

  • Speaker #0

    c'est, je crois, la meilleure et la pire des choses, mais en même temps. Et comme beaucoup de choses. La voiture, c'est un instrument de liberté incroyable. Dès qu'on a son permis de conduire, on est capable de partir et qu'on a trois francs six sous pour faire le plein, on est capable de partir à l'aventure et d'aller visiter la France ou d'autres pays, c'est merveilleux. La voiture, malheureusement, on peut se tuer avec aussi. Heureusement, on se tue de moins en moins en France en voiture parce que les gens sont de plus en plus responsabilisés. Donc, ils ont été éduqués et on a mis des garde-fous. On a obligé à des limitations de vitesse, on a obligé à porter la ceinture de sécurité, on a obligé à ce que les voitures soient équipées d'airbags. à ce que la sécurité passive du véhicule soit de plus en plus performante. Bon, ça c'est une chose importante. Je pense que l'intelligence artificielle, toutes proportions gardées, toutes comparaisons gardées aussi, ça va être pareil, ça va être la meilleure et la pire des choses. Ça va être la meilleure des choses parce que ça va nous décharger de tâches inintéressantes, chronophages, et parfois sur lesquelles l'œil humain n'est pas le meilleur. Je pense notamment en médecine. Il est assez reconnu que, par exemple, pour un dermatologue, l'intelligence artificielle a un taux de réussite pour déterminer un bouton qui serait dangereux, plus fort que le dermatologue lui-même, s'il a énormément d'expérience. Parce que le dermatologue, il peut être fatigué, il a pu se disputer avec sa femme le matin avant de partir, il peut être préoccupé, il peut avoir d'autres soucis en tête, être moins attentif, etc. Donc, je pense que de ce point de vue-là, notamment dans tout ce qui concerne la médecine, l'intelligence artificielle va nous permettre des progrès énormes. Il va aussi nous le permettre dans toutes ces tâches, comme je le disais à l'instant, qui sont très répétitives, qui sont inintéressantes, des tâches notamment de synthèse des dossiers, de rédaction de contrat type, bref, tous ces sujets. Donc, je pense qu'il faut absolument encourager, je dis encourager, mais... Je plaisante un peu en disant ça, parce que de toute façon, l'intelligence artificielle est déjà là. Il faut favoriser l'implantation de l'intelligence artificielle, et moi je l'ai déjà fait beaucoup au sein de ma direction, et on va monter en puissance là-dessus. Mais il faut aussi, je crois, mettre des barrières éthiques à ce qui pourrait être le pire de l'intelligence artificielle, et on le voit bien avec des fake news qui sont parfois redoutablement efficaces, plus vraies que nature. avec des photos qui sont totalement inventées par l'intelligence artificielle et qui, permets-moi de le dire de cette manière un peu triviale, pourraient faire battre des montagnes. De ce point de vue-là, je crois qu'il faut... Je ne suis pas un adepte forcené de la régulation, mais là, je crois qu'il faut absolument qu'on ait une autorité de régulation très forte, très puissante, avec beaucoup de moyens qui permettent de poser des limites, et pas seulement en France, bien sûr, déjà une autorité européenne, et si on peut, une autorité mondiale qui permette de... poser des limites aux mésusages de l'intelligence artificielle. Et ça, ça me paraît essentiel.

  • Speaker #1

    Vous avez créé le SNCF groupe GPT, c'est bien ça ?

  • Speaker #0

    Bien enseigné, là.

  • Speaker #1

    Alors, qu'est-ce que c'est ? Et justement, alors, là, tu parles du pire de l'IA, mais au niveau de la SNCF, qu'est-ce qui pourrait être le pire de l'IA ? Ça serait une fake news sur un train ? Ça serait... Si c'était complètement débridé ?

  • Speaker #0

    Le pire pour la SNCF, ce serait sans doute que des hackers... par le biais de l'intelligence artificielle, ce qui leur facilite énormément le travail. Ils peuvent déjà le faire, je pense. Ils pourraient déjà le faire. Il se trouve qu'on est très bien armés. Mais qu'ils prennent, par exemple, le contrôle d'un train, d'un aiguillage, et qu'ils créent un accident. Je dis un accident, ce serait plutôt une catastrophe. Ou simplement que sur un panneau d'affichage variable dans une gare, là où on regarde à quelle heure son train part et de quel quai, je ne sais pas, ils mettent la tête de Mickey et que... Au bout d'une heure, deux heures, trois heures, il y a des milliers de personnes dans la gare qui ne sachent plus où aller, qui traversent les voies et qui fassent n'importe quoi. Donc ça, je crois malheureusement que l'intelligence artificielle peut le favoriser. Heureusement, jusqu'à présent, je touche du bois, la table est en bois, nous avons réussi à déjouer toutes les grandes attaques cyber qui se sont concentrées sur nous.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est fréquent ?

  • Speaker #0

    Alors, est-ce que tu peux me donner un chiffre ? Par jour.

  • Speaker #1

    Par jour ? Déjà, je n'aurais pas dit par jour grandes attaques cyber. Moi, j'aurais imaginé ça à 3-4 par an, un gros coup.

  • Speaker #0

    Alors, on en a 1 million par jour.

  • Speaker #1

    Ah oui, j'étais loin.

  • Speaker #0

    Et pendant les Jeux Olympiques, on est monté à 5 millions parce qu'on était une cible. On s'y attendait.

  • Speaker #1

    5 millions par jour ? Oui. OK.

  • Speaker #0

    Donc, ça veut dire qu'on a développé des systèmes qui sont évidemment assez performants, mais il ne faut pas être naïf. Un jour, il y a un hacker plus malin qu'un autre qui arrivera certainement à rentrer dans un de nos systèmes informatiques. Après, que pourra-t-il y faire ? Est-ce qu'on le repèrera assez rapidement ? On sait qu'il y a beaucoup de grandes entreprises en France qui ont été victimes, soit d'un virus. soit d'une intrusion dans le système. Nous, on reste modeste. On le dit parce que c'est remarquable. On a réussi à échapper jusqu'à présent à toutes les grandes attaques. Et on vit très bien avec toutes ces attaques qui peuvent être soit le petit hacker du coin qui s'amuse sur son ordinateur, soit un grand hacker de ferme à troll de pays de l'Est ou d'ailleurs. L'Est, ça va très très loin. Ça peut aller jusqu'à la Corée du Nord. Et donc, il faut qu'on soit préparé. Et pourquoi est-ce qu'il faut qu'on soit préparé ? C'est parce qu'on dispose d'informations extrêmement confidentielles. Ces informations confidentielles, tu vas vite le comprendre par exemple, ce sont toutes les données bancaires de nos clients. Quand quelqu'un paie son billet de train en donnant ses coordonnées bancaires, numéro de carte bleue, date d'expiration, code secret, mais c'est aussi par exemple toutes les données de santé de nos 260 000 agents, leur numéro de carte vitale, les affections dont ils peuvent souffrir, les médicaments qu'ils peuvent prendre. Alors que je ne parle même pas de toutes les données de transport qui sont elles aussi parfois assez secrètes. Toutes ces données-là, il faut qu'on les protège. C'est pour ça qu'on a créé un chat GPT propre à SNCF. C'est pour que les agents de SNCF n'aient pas la tentation d'aller chercher sur le chat GPT classique qu'on trouve tous sur Internet, des informations qui en divulgueraient certaines de SNCF. Voilà, il est interdit à SNCF pour tous les agents. d'aller chercher sur ChatGPT ou d'autres des informations ou des aides à la décision en y mettant des documents qui sont propres à SNCF ou des informations qui sont propres à SNCF. C'est pourquoi on a un système qui est en circuit clos. Et d'ailleurs, même au sein du circuit clos, il y a des domaines dans lesquels certains n'ont pas accès à d'autres pour éviter, parce qu'il y a des informations qui doivent être encore plus confidentielles que d'autres. On a créé ce système qui fonctionne très très bien. Au début de l'année, j'ai fait un... un grand séminaire avec tous les juristes, mais 500 juristes, sur l'intelligence artificielle. Et il y avait quelques grands spécialistes de l'intelligence artificielle qui ont assisté à la démonstration de notre outil en direct. Ils ont été assez épatés de la qualité de l'outil. Donc, on pense qu'on a plutôt un bon outil. Après, c'est comme tout, il faut savoir s'en servir. Il faut savoir rédiger les promptes. Il faut savoir ce qu'on peut demander aussi à la machine. Il faut savoir la questionner correctement. Il faut savoir l'utiliser. Elle nous fait aussi... de très belles images. On peut s'amuser très bien, mais ce n'est pas la solution à toutes nos questions et l'intelligence humaine doit toujours rester derrière. Moi, je ne suis pas ceux qui pensent que la machine va remplacer l'homme. Je suis de ceux qui pensent que la machine va aider l'homme et que l'homme sera toujours là pour contrôler. Parce qu'on le sait, elle le fera de moins en moins, mais la machine a des hallucinations. Elle raconte parfois n'importe quoi et donc, il faut pouvoir être là pour le vérifier et le corriger et lui reposer la question en lui disant qu'elle s'est trompée. Ce qui d'ailleurs lui permet d'apprendre et ce qui aussi permet d'avoir de bonnes réponses. On a cet exemple, alors il est un peu ancien maintenant, mais on a cet exemple d'un cabinet américain qui avait interrogé Chad G. Petit pour faire des conclusions dans un dossier et qui ne s'est pas rendu compte, parce qu'il ne l'avait pas vérifié, que Chad G. Petit avait inventé des jurisprudences. Manque de chance, le juge, lui, il s'en est rendu compte. Parce qu'évidemment, il a voulu regarder les jurisprudences et ne les a pas trouvées. C'est dire à quel point la machine, d'ailleurs, a une forme d'intelligence. Mais une intelligence qui est une intelligence, j'allais dire, assez primaire. Parce que si elle pense qu'on ne va pas découvrir qu'elle a inventé une jurisprudence, c'est qu'elle nous prend vraiment pour des imbéciles, si tant est qu'elle puisse avoir ce genre de pensée. Donc nous, il faudra qu'on soit toujours derrière la machine, il faudra toujours qu'on vérifie le travail qu'elle a fait, mais la machine peut nous aider considérablement.

  • Speaker #1

    Tu dis que c'est fait en vase clos ? Du coup, l'infrastructure pour créer un LLM, c'est souvent des millions et des millions d'euros. Je pense à Mistral qui lève beaucoup de fonds pour aller concurrencer à ChatGPT. Comment est-ce que vous avez fait ? Est-ce que vous vous êtes adossé du coup à Mistral ?

  • Speaker #0

    Oui, absolument. Alors, l'adossement à Mistral arrive là. On est en train de le faire. Mais on s'est adossé à... Alors, je ne sais plus quel grand modèle de langage. Sincèrement, je ne sais plus. Donc, ce n'est pas que je ne veuille pas le dire. Je ne sais plus. Et donc... On a créé un grand modèle de langage spécifique pour nous, un système qui, comme je te le disais tout à l'heure, est en vase clos. C'est-à-dire qu'il ne s'évade pas du tout à l'extérieur.

  • Speaker #1

    Entendu. Donc c'est Mistral qui vous aide et vous avez mis les barbes.

  • Speaker #0

    Mistral arrive et donc va nous apporter des possibilités complémentaires.

  • Speaker #1

    D'accord. Et donc, ce que vous avez fait là actuellement, c'est tout en interne ?

  • Speaker #0

    Oui, tout en interne par notre direction du numérique.

  • Speaker #1

    Ok, super impression. Donc, avec votre infrastructure à vous ?

  • Speaker #0

    Absolument. Ah ouais,

  • Speaker #1

    chapeau.

  • Speaker #0

    Et un outil, moi je ne suis pas tellement geek, un outil qui est plutôt convivial, qui est un plus.

  • Speaker #1

    C'est un chat également ou il y a d'autres choses ?

  • Speaker #0

    Oui, chat. Il peut faire aussi des dessins, il peut faire des vidéos.

  • Speaker #1

    Bravo, félicitations, c'est génial.

  • Speaker #0

    C'est plutôt mes collègues de l'informatique qui ont été géniaux de ce point de vue-là. Et en plus, ils font un truc formidable, c'est qu'ils nous font le service après-vente. Et ils ont distingué dans la maison quelques directions qui sont susceptibles d'avoir un gain formidable grâce à l'intelligence artificielle. Et la direction juridique en fait partie. Et donc, on a eu la possibilité de développer des cas d'usage qui seront spécifiques dans l'outil chat JPT SNCF. Ils sont spécifiques pour les juristes du groupe. Et donc, ça nous facilite énormément la tâche.

  • Speaker #1

    Ok. Le cas d'usage, par exemple, c'est je veux chercher une décision qui a déjà été prise.

  • Speaker #0

    Oui, alors ça, c'est un cas d'usage assez simple. Mais par exemple, je voudrais faire une autorisation de droit à l'image classique. Merci de me la remplir avec Robert Dupont comme personne qui autorise. Alors ça, c'est un cas hyper simple. Il y a des cas beaucoup plus compliqués où on a développé l'ensemble des cas d'usage. Et on en a découvert à peu près une quinzaine qui vont être particulièrement adaptés à notre activité.

  • Speaker #1

    OK. Est-ce qu'avec toutes ces évolutions... Tu trouves que ton métier est toujours aussi passionnant ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce que je te disais tout à l'heure. Le jour où j'aurai un peu plus de mal à me lever le matin, et en plus, moi, il se trouve que je me lève très tôt, bon, là, je me poserai la question. J'ai cette chance aussi d'être un peu dans une tour de contrôle où je ne fais pas toujours la même chose, où on me parle de sujets très différents, donc c'est très varié, où j'ai des collaborateurs de très grande qualité, où de temps en temps, on me demande d'aller dans des colloques. pour témoigner de mon expérience ou on me demande de faire quelques interviews sur la modeste vie professionnelle, de faire des cours dans une école ou dans une fac. C'est passionnant. Donc c'est très varié. Moi, j'ai toujours eu horreur de la routine. Là, je suis bien tombé pour ne pas être dans la routine quotidienne, mais au contraire, chaque jour, avoir une surprise nouvelle, alors parfois elle est mauvaise. Un accident, c'est une mauvaise surprise pour nous, mais il faut le traiter. ou une bonne surprise quand on a une très bonne décision dans un dossier dans lequel on pensait peut-être être à 50-50.

  • Speaker #1

    Merci Philippe. On va passer à une séquence qui est nouvelle sur ce podcast, la séquence vrai ou faux. J'annonce une phrase et tu dois me dire si tu trouves ça vrai ou faux, et tu peux évidemment justifier ça ensuite comme tu le souhaites. Je vais commencer par la première phrase, donc il y en a cinq. Les affaires publiques, c'est juste une affaire de réseau.

  • Speaker #0

    Non, non, non, ce n'est pas juste une affaire de réseau. Si c'était qu'une affaire de réseau, ça serait simple. Les affaires publiques, c'est aussi d'abord avoir un bon argumentaire et puis savoir convaincre son interlocuteur que son argumentaire est le meilleur. Donc ce n'est pas qu'une affaire de réseau. Le réseau compte, bien sûr. Si on connaît quelqu'un, c'est plus facile de s'adresser à lui que si on ne le connaît pas. Mais ça ne suffit pas.

  • Speaker #1

    Deuxième phrase, la régulation freine plus souvent l'innovation qu'elle ne la protège.

  • Speaker #0

    C'est ce qu'on dit. Donc j'aurais plutôt tendance à dire oui aussi. On a besoin de régulation. C'est évident, et je le disais d'ailleurs tout à l'heure pour l'intelligence artificielle, il est important qu'on ait une autorité de régulation, une autorité éthique de l'intelligence artificielle dans les années qui viennent, et même plutôt dans les mois qui viennent. Mais il faut faire attention à ce que, dans ce pays, on a l'impression que chaque fois qu'on a un problème que l'administration n'a pas envie de traiter, on crée une autorité régulatrice. Et donc, une autorité régulatrice, qu'est-ce qu'elle a envie de faire ? Elle a envie de créer des normes supplémentaires, et puis elle a envie de sanctionner. Parce que ce qui est important... c'est la sanction. Et c'est même un peu à ça qu'on serait tenté de juger la bonne activité d'une autorité de régulation. Combien de millions d'amendes prononcées ? Moi, je pense que c'est pas ça. Une autorité de régulation, c'est une autorité qui doit être avant tout correctrice. Elle doit aider l'entreprise. Bon, je vois par exemple, nous, on est une entreprise publique qui étions en monopole de 1938 à 2000. C'est pas mal. Du jour au lendemain, on nous dit ... Voilà, on ouvre à la concurrence. Est-ce qu'une entreprise comme la nôtre, avec 260 000 personnes réparties dans le monde, puisqu'au passage, je t'apprends peut-être que la SNCF travaille dans 130 pays dans le monde, pas qu'une entreprise franco-française. Comment est-ce que ces 260 000 agents de SNCF qui travaillent dans 130 pays dans le monde, du jour au lendemain, peuvent changer leur façon de penser et de se dire, aujourd'hui, attention, il faut que je respecte mon concurrent. Bien sûr qu'ils vont le faire, mais ils peuvent aussi... garder des mauvais réflexes et essayer de se dire bon ben le concurrent il nous plombe plaire on va essayer de le contourner si l'autorité de la concurrence vient nous voir et nous dit là vous n'avez pas respecté la règle si on reconnaît ce qu'on fait généralement parce qu'une entreprise publique ne peut pas mentir enfin peut pas mentir son actionnaire c'est l'état moi ce que je préférerais c'est que l'autorité de régulation nous disent c'est pas bien ça c'est sûr On ne vous condamne pas pour cette fois-ci parce que c'est la première fois, mais on va vous monitorer pour vérifier que vous ne recommencez pas. Et ce monitoring, il peut durer un an, deux ans, trois ans, cinq ans. Ça, ça me paraît correctif. Ça, ça me paraît être intéressant. J'ai parfois un peu tendance à penser qu'au jour d'aujourd'hui, les autorités de régulation, pour démontrer qu'elles ont une véritable activité et qu'elles sont utiles, elles commencent par sanctionner, puis après, ils passent à autre chose. Mais peut-être pas toutes. Je ne citerai personne.

  • Speaker #1

    La SNCF est plus influente à Bruxelles qu'à Paris ?

  • Speaker #0

    Non. On a une représentation à Bruxelles. C'est important aussi de faire passer un certain nombre d'idées. Le lobbying n'est pas interdit. On est déclaré comme lobbyiste, à Bruxelles comme en France d'ailleurs. Certains d'entre nous sont déclarés comme lobbyistes. Si on avait une influence aussi forte à Bruxelles qu'on le dit, que tu le penses, je ne sais pas, on n'aurait pas été obligé de... réformer totalement de fond en comble notre branche frette à la demande de Bruxelles, qui estime que nous avons bénéficié d'une aide d'État de la part du gouvernement de 5 milliards et qui a faussé la concurrence avec nos autres concurrents sur le territoire. Donc on voit bien la limite du propos, c'est que non, on n'est pas plus influent à Bruxelles qu'à Paris, et inversement.

  • Speaker #1

    La quatrième phrase qui a déjà répondu, je pense assez largement, l'intelligence artificielle remplacera les juristes d'ici 15 ans.

  • Speaker #0

    Non, en revanche, je peux ajouter juste une chose, c'est qu'il n'y aura certainement pas d'avenir pour un juriste qui ne saura pas rédiger des promptes. Là, c'est sûr. Là, je pense que lui, il fera les cafés. Et encore, je pense que la machine à café, dans quelques années, on lui demandera de faire un café et elle le fera toute seule. Donc, non, il faut... Et c'est pour ça que c'est très important la formation continue. La formation continue juridique, elle est très importante. Mais la formation, si je peux le dire... l'exprimer comme ça au promptage, c'est aussi très important. Et la dernière phrase, c'est « Le droit est devenu une arme d'influence autant qu'un outil de conformité. »

  • Speaker #1

    Alors, je dirais plutôt non. Mais pourquoi ? Parce que je pense que le droit, et les Américains ont été les premiers à le comprendre, ce n'est pas tellement une arme d'influence, c'est une arme économique. C'est-à-dire, si on arrive à imposer son droit à son co-contractant, on a gagné. Son droit, c'est-à-dire ses règles, ses juridictions, sa manière de penser juridique, on a gagné. Et les Américains, ils ont tout de suite compris ça. Et dans les boîtes américaines, à l'inverse des boîtes françaises, le directeur juridique, ce qu'on appelle là-bas le General Counsel, c'est le numéro 2 de la boîte. Ce n'est pas le directeur financier, c'est le numéro 2. Parce que le droit pour les Américains, une façon d'imposer, que je crois qu'on peut appeler leur impérialisme, y compris dans les activités commerciales ou industrielles, et on le voit bien avec beaucoup de règles qui théoriquement devraient être circonscrites au territoire américain, mais qui en fait sont applicables dans le monde entier. Par exemple, une entreprise de croisière qui fait accoster un de ses bateaux dans un port à la Havane est susceptible, et ça a déjà été le cas, d'être poursuivie par les juridictions américaines parce que la loi américaine estime que les légitimes propriétaires du port de la Havane avant la révolution castriste, qui étaient souvent d'ailleurs des entreprises privées, ont été expropriés, que donc le simple fait d'accoster sur ce qu'est exproprié constitue une infraction susceptible d'être poursuivie par la justice américaine. Et il y a déjà des croisiéristes qui ont été condamnés à plusieurs centaines de millions de dollars d'amende. Donc on voit bien la force du droit à cet égard. Alors, on peut très bien dire que c'est injuste, que de quoi ils se mêlent. La Havane, ce n'est pas les États-Unis. Ils ont réussi à... imposer au monde entier un mode juridique que le monde entier est bien obligé de respecter. Quand on paie en dollars certains contrats, on est justiciable de la justice américaine. Alors, on a intérêt à ne pas conclure des contrats avec des pays qui sont sous embargo américains parce qu'on est capable d'être poursuivi aux États-Unis et, par exemple, nos filiales qui sont aux États-Unis peuvent être poursuivies au lieu de notre entreprise nationale. Donc, c'est une force.

  • Speaker #0

    C'est-à-dire que au moment où moi j'ai un contrat avec un client américain et que je le paye en dollars, je suis soumis à la juridiction américaine.

  • Speaker #1

    Alors, il y a des cas différents, mais si, par exemple, ce client est un client qui est dans le collimateur des Américains, oui.

  • Speaker #0

    Entendu,

  • Speaker #1

    je le sais maintenant. Non, mais paye en euros, c'est mieux. Oui.

  • Speaker #0

    Philippe, on va arriver au bout de cet entretien. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voulais aborder, que tu n'as pas encore eu le temps de... développer ici ?

  • Speaker #1

    Peut-être pour reprendre ce que j'ai dit à l'instant, c'est que dans ce pays, on n'a pas encore compris à quel point le droit était un élément très important de la vie des entreprises. C'est assez curieux parce que, aussi bien dans les entreprises publiques que dans les entreprises privées, il y a assez peu de très grands patrons qui ont compris la force du droit, l'intérêt du droit et la possibilité pour le droit de résoudre des grands conflits pour l'entreprise. Alors, le droit ce n'est pas forcément traîner les gens devant les tribunaux. Ça peut être aussi la médiation, la conciliation, l'arbitrage, toutes ces choses qui appliquent des règles de droit de façon plus ou moins contraignante, mais qui sont quand même fondées sur la règle juridique. Beaucoup de mes collègues directeurs juridiques militent pour que les grands patrons français prennent un peu conscience de ces situations et se disent que finalement, leur directeur juridique, ce n'est pas le casse-pied de service qui chaque fois dit non à un projet. Mais c'est au contraire devenu le risk manager, celui qui est là pour accompagner le risque auquel l'entreprise peut être confrontée dans certaines situations. Alors ça viendra peut-être un jour. Ce serait, je crois, une bonne chose. Et les États-Unis, d'ailleurs, dans ce domaine, nous montrent véritablement le modèle. Mais on n'est pas encore assez mûrs en France pour ça.

  • Speaker #0

    Si tu pouvais te donner un conseil à ton toit de début de carrière, quel serait ce conseil ?

  • Speaker #1

    Abnégation et persévérance. Voilà. Alors, abnégation et persévérance, parce que dans la vie, on ne fait pas... C'est ce que je dis à mes enfants, d'ailleurs, très régulièrement. Mais dans la vie, on ne fait pas toujours que ce qui plaît. Et dans ce monde actuel, on a un peu tendance à penser que tout ce qui ne plaît pas, on peut s'en dispenser. Non, malheureusement, on est obligé de le faire aussi. Et surtout, persévérance, parce que ce n'est pas parce qu'on a un échec qu'il faut se décourager. Au contraire, un échec, ça nous permet d'apprendre et ça nous permet d'éviter un second échec plus tard, peut-être. Pas toujours. Et donc, abnégation et persévérance, ça me paraît être pas mal. Et puis aussi, être ouvert sur le monde, pas être plié sur soi. Être un peu à l'affût de ce qui se fait, de ce qui se dit. Des cultures différentes aussi, parce qu'on a beaucoup à apprendre de cultures qu'on ne connaît pas très bien. De gens qui sont confrontés aux mêmes problèmes que nous et qui arrivent à les résoudre parfois d'une manière différente de la nôtre. Ils ont donc parfois raison de le faire comme ça. Voilà, et puis je pense que dans une vie de juriste, plus spécifiquement de juriste, moi j'ai un mantra que je dis depuis une dizaine d'années à mes collaborateurs, et je pense que maintenant ils l'ont bien retenu, c'est qu'il faut être polyvalent, très important la polyvalence, c'est-à-dire qu'il faut être capable de passer d'un sujet à un autre assez facilement, il faut éviter d'être trop spécialisé, on peut être spécialisé dans un domaine, mais il ne faut pas que ce soit le seul domaine dans lequel on est bon, et puis il faut être adaptable, c'est-à-dire il faut s'adapter à la situation, parce que ce n'est pas la situation qui va s'adapter à nous. Donc polyvalent, adaptable, ça me paraît aussi un bon mantra pour de jeunes juristes qui veulent faire carrière en entreprise. Ou ailleurs, dans un cabinet d'avocat ou dans une administration un peu partout.

  • Speaker #0

    Philippe, pour conclure, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager ?

  • Speaker #1

    J'aime beaucoup la lecture, donc je serais tenté de recommander un livre. Le dernier livre très intéressant que j'ai lu, c'est un livre d'un auteur japonais qui s'appelle Haruki Murakami, dont j'ai lu pratiquement tous les livres, qu'on annonce tous les ans comme pouvant être prix Nobel de littérature, mais le pauvre, tous les ans, il est recalé. Son dernier livre, comme beaucoup de ses livres d'ailleurs, est un livre extrêmement onirique, qui à la fois mélange le réel et l'irréel. Dans cette culture japonaise que nous, on connaît quand même relativement mal chez nous, qui ne nous est pas immédiatement accessible, mais qui, encore une fois, est très irréelle, très onirique. J'allais dire, on est un peu transporté par ce conte. Et donc, voilà, c'est peut-être un livre que je recommande. Merci Philippe. Merci à toi, Pierre.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le cofondateur de l'SG Watch. plateforme qui vous aide dans votre travail institutionnel. A bientôt !

Description

Du parquet à la direction juridique du groupe SNCF, en passant par Matignon et le Conseil d’État, Philippe Mettoux incarne une certaine continuité de l’État, au service de l’intérêt général, dans toutes ses formes.


Magistrat, conseiller ministériel, haut fonctionnaire, puis juriste d’entreprise publique, il a vu le droit devenir un levier stratégique, à la croisée des institutions, de l’économie et de la fabrique de la loi.


Dans cet épisode, on parle de :


🔹 son entrée très jeune dans la magistrature,
🔹 la gestion pionnière des victimes d’AZF et le virage humaniste du droit pénal,
🔹 ses années à Matignon auprès de Dominique de Villepin,
🔹 l’influence – réelle ou fantasmée – de la SNCF à Paris comme à Bruxelles,
🔹 la régulation, la concurrence et les mutations du ferroviaire,
🔹 l’IA générative dans une direction juridique de 500 personnes,
🔹 et de sa conviction que le droit est devenu une arme économique, bien plus qu’un simple outil de conformité.


💬 « Si on ne comprend pas que le droit est un facteur de puissance, on passe à côté de l’essentiel. »


Un échange dense, passionnant, avec l’un de ces profils discrets qui structurent, en creux, notre vie publique.


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Transcription

  • Speaker #0

    Au début du XXe siècle, il y avait 50 000 km de voies ferrées en France. Aujourd'hui, il y en a moins de 30 000. Si, par exemple, notre bilan était négatif, on pourrait se poser la question de savoir si la pérennité de la SNCF, qui existe depuis 1938, ne serait pas mise en péril. On est passé d'un établissement public qui a la garantie de limiter de l'État à un groupe de sociétés anonymes qui doit rendre des comptes et qui doit avoir un bilan positif. à la fin de l'année.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle LegiWatch et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir Philippe Mettou, magistrat de formation, procureur de la République en 1993. Il rejoint ensuite la direction des affaires criminelles au ministère de la Justice. Il devient conseiller auprès du Premier ministre Dominique de Villepin avant d'entrer au Conseil d'État. Depuis 2013, il est le directeur juridique du groupe SNCF. Bonjour Philippe.

  • Speaker #0

    Bonjour Pierre.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a des éléments que tu aimerais ajouter à cette présentation ?

  • Speaker #0

    C'est amusant parce qu'en quelques phrases, on revoit toute sa vie professionnelle qui défile, donc ça donne un petit peu le vertige aussi. J'ai eu beaucoup de plaisir, ça étonnera peut-être certains des auditeurs, à être magistrat du parquet. Parce que le magistrat du parquet, il a peut-être dans l'imaginaire une image un peu... un peu dur ou un peu difficile. C'est le champion de l'accusation, c'est celui qui réclame les peines. Mais quand on connaît bien le métier de procureur, c'est tout autre chose. C'est le protecteur des incapables majeurs, c'est celui qui vérifie les officiers d'État civil, c'est celui qui dirige l'activité de la police, de la gendarmerie en matière judiciaire. Donc ce n'est pas qu'une personne qui réclame des peines, c'est aussi lui qui décide de l'action publique dans son ressort. Et moi, j'ai eu la chance d'être procureur à 34 ans, ce qui donne un peu le vertige, je dois le reconnaître, mais comme j'étais un peu inconscient à l'époque, je ne m'en suis pas rendu compte. Mais c'est un métier que j'ai adoré, c'est un métier que j'ai fait pendant près de 22 ans, où j'ai beaucoup appris. En sortant de la fac, je peux dire aussi que je sortais des jupes de ma mère, je ne savais pas grand-chose de la vie. J'ai eu la chance d'être élevé dans un milieu un peu protégé et hop, on est nommé substitut du procureur de la République. Et puis on a son premier meurtre ou son premier assassinat. Et là, pour la première fois de sa vie, on voit un cadavre, parfois dans des conditions qui ne sont pas toujours exceptionnelles, et on est plongé dans la réalité de la vie du jour au lendemain. Alors heureusement, la vie, ça n'est pas que ça, mais ça peut être ça aussi. Et j'ai beaucoup appris à cette occasion-là, humainement, professionnellement. J'en garde un grand souvenir. Alors pas de nostalgie, mais un grand souvenir. Et encore une fois, j'y ai beaucoup appris.

  • Speaker #1

    Super intéressant, Philippe. Et comment on passe du coup de meurtre, de choses très dures à une entreprise comme la SNCF ?

  • Speaker #0

    Oui, alors là, comme tu l'as dit, c'est une longue histoire. Ça ne s'est pas fait en un trait de temps, un peu par le hasard, en réalité. J'ai été procureur en titre pendant 7 ans, ce qui est assez long, parce que comme je l'ai été assez jeune, j'étais dans un petit tribunal avec assez peu de collaborateurs. Donc c'est un travail vraiment de tous les jours, une astreinte très forte, parce qu'on n'était pas très loin de la région parisienne et donc il se passait pas mal de choses. Et au bout d'un moment, on fatigue un peu, il faut bien le dire. J'ai souhaité changer d'activité. Et on m'a proposé d'aller au ministère de la Justice sur un poste que finalement je n'ai jamais obtenu. En attente, on m'a mis sur un autre poste qui était un poste de chef de bureau qui s'occupait de prévention et de victimes. Et il se trouve que c'était au moment où des affaires d'accidents très importantes ont marqué l'actualité. L'incendie du tunnel du Mont-Blanc, l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, une chose qui s'était passée en Espagne, un naufrage sur un lac. espagnol à côté de Barcelone où il y a eu beaucoup de morts, une quarantaine de morts. L'effondrement de la passerelle du Queen Mary à Saint-Nazaire. Donc il a fallu inventer parce que c'était l'époque où la victime a repris une place un peu plus importante dans le procès pénal. Jusqu'à présent, la victime, c'était vraiment la dernière roue du carrosse. Et on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose pour les victimes dans ces accidents collectifs et donc il fallait les aider non seulement à comprendre ce qui allait se passer mais en plus à... obtenir les indemnisations auxquelles elles avaient droit sans attendre les années et les années d'instructions, de procès. Et donc on a mis en œuvre un système d'indemnisation rapide sur le barème judiciaire qui a permis d'indemniser toutes les victimes avant qu'elles arrivent au procès par des accords amiables avec elles-mêmes, contrôlés par leurs avocats. Et le plus important dans ces affaires-là, ça a été... l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, qui avait fait plus de 50 000 victimes. Alors, à peu près 5 000 victimes physiques, et tout le reste, c'était des victimes matérielles. Et on imagine assez facilement que... Une audience ne peut pas se tenir avec 50 000 victimes. Donc, il a fallu inventer un système qui a permis d'ailleurs au final que seulement 1 000 victimes se présentent au procès parce que soit elles n'étaient pas satisfaites de l'indemnisation qu'on leur proposait, soit elles estimaient qu'elles devaient l'obtenir par le tribunal et pas par un accord amiable. Mais passer de 50 000 à 1 000, ça a déjà été une grande victoire parce qu'on a pu traiter la plupart des... des dossiers qui nous étaient soumis, dans un comité que je présidais, qui comprenait les représentants de Total, les représentants de la ville, les représentants de la magistrature, les représentants des assureurs, etc. Et les représentants des victimes qui s'étaient constituées en association. Et je dois dire que ça a été une certaine fierté de voir qu'il y a eu une adhésion assez forte sur ce process, qui était une invention un peu ex nihilo, et qui a permis, je crois, de faire avancer. toutes les semaines à Toulouse, le mercredi. Et quand je faisais la route de l'aéroport au tribunal, je regardais les immeubles et j'arrivais toujours à La Réunion en disant, il y a encore trop de contreplaqué qui bouche les fenêtres. Il faut vraiment qu'on puisse mettre des carreaux pour que les gens vivent normalement dans leurs appartements. Parce qu'il y a eu une pénurie, il y a eu tellement de fenêtres qui ont explosé à cause de l'usine, qu'il y avait eu une rupture de stock de verre. C'était un peu mon baromètre chaque semaine de voir combien de fenêtres supplémentaires avaient pu être réparées dans la semaine passée. Et donc ça a été pour moi une expérience très enrichissante aussi et humainement très forte. Et surtout quand les associations de victimes m'ont remercié. Évidemment, elles n'étaient pas très inclines à remercier les représentants de l'autorité publique. Mais là, elles ont été satisfaites du travail qui avait été fait par la commission d'anonymisation des victimes.

  • Speaker #1

    C'est un moment marquant pour toi, Philippe, mais qu'est-ce qui t'a amené alors, du coup, dans la suite de ce parcours, à arriver à la SNCF ?

  • Speaker #0

    Alors, ça a été un peu le hasard. Il y a encore une ou deux étapes à faire avant. On est omnibus, là. On n'est pas TGV, on est omnibus. Donc, il faut qu'on s'arrête dans quelques gares supplémentaires. D'accord. Comme j'avais acquis cette compétence en matière de droit des victimes, le président Chirac, à une époque... a estimé lui aussi que les victimes étaient parfois un peu maltraitées dans notre système pénal, dans ce qu'on appelle le procès pénal. Et donc il a décidé de créer un secrétariat d'État aux victimes. Il l'a confié à Nicole Getsch qui a été la première secrétaire d'État aux victimes. Et Nicole Getsch cherchait un collaborateur qui s'y connaissait un peu parce qu'elle n'avait pas de compétences particulières en la matière. Et donc elle m'a demandé de venir. Et j'ai été son collaborateur principal pendant quelques mois, le temps de créer son programme, qu'elle a passé en Conseil des ministres trois ou quatre mois après, qui était assez innovant à l'époque et beaucoup de dispositions ont été reprises ou votées. Et Nicole Gage a bien voulu que je parte au ministère de l'Intérieur, où Dominique de Villepin souhaitait que je le rejoigne. Et quand Dominique de Villepin est partie à Matignon, je l'ai également rejoint. Et quand Matignon s'est arrêtée en 2007, j'ai été nommé conseiller d'État. Et je suis resté conseiller d'État pendant sept ans, jusqu'à ce qu'une chasseuse de tête vienne me chercher et me proposer ce poste à la SNCF. Voilà les différentes étapes de mon parcours, parfois un petit peu sinueux, pas très facile, enfin pas très logique en tout cas, ou pas d'une logique. qui s'impose d'emblée, pour que j'arrive directeur juridique de la SNCF, il y a maintenant presque 12 ans.

  • Speaker #1

    Tu décris un parcours qui me semble être au service de la France. Quelle est ta vision de la France pour toi ? Quelle est la société vers laquelle on devrait tendre ? Tu as un parcours qui, pour moi, me semble être un parcours de combat. Qu'est-ce que tu défends ?

  • Speaker #0

    Je crois que je ne suis pas très original dans le modèle. C'est-à-dire qu'évidemment... Je défends une société égalitaire, aussi bien d'ailleurs entre les hommes et les femmes qu'entre tous les hommes et toutes les femmes. Une société aussi qui prône l'ascension sociale pour ceux qui le souhaitent. Une société qui soit aussi peut-être plus apaisée que ce qu'elle naît aujourd'hui, avec beaucoup de toutes ces tensions qui, on le voit bien, remontent à la surface parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne s'estiment pas considérés comme ils devraient l'être. Je crois aussi que notre société, elle est là pour nous. pour faire grandir les gens. C'est-à-dire que de l'école jusqu'à, j'allais dire, à la fin de sa vie professionnelle, on doit acquérir des compétences nouvelles, on doit faire un métier qui nous plaît. En tout cas, on doit essayer de le faire comme ça. Je crois que si on avait une vision un peu plus large de ce qu'est la société... que doit être une société moderne, avec toutes les facilités qui nous sont ouvertes depuis quelques dizaines d'années. Pensons quand même à ce qu'était la vie au sortir de la guerre de 39-45. Tout était détruit, tout était démoli, il fallait tout construire, il fallait tout reconstruire, il fallait réinventer une nouvelle société, ce qui a été fait à l'époque grâce au Conseil national de la résistance, puis après grâce au général de Gaulle. On a l'impression que dans la société actuelle, actuelle dans laquelle on vit, on tourne un peu avide, tout le monde manque un peu d'idées, tout le monde réfléchit plus à l'élection d'après plutôt que voir sur le long terme, essayer d'éduquer toutes ces masses qui ont besoin de mieux connaître la vie, de mieux connaître ces nouvelles technologies qui font partie maintenant de notre vie quotidienne, qui peuvent aussi bien nous aider merveilleusement dans certaines tâches. que d'être également aussi extrêmement nocive et dangereuse.

  • Speaker #1

    Pour revenir sur ton parcours, ça fait dix ans que tu es à la SNCF, donc c'est bien plus long que tes expériences précédentes. Pour quelles raisons ?

  • Speaker #0

    Parce que tous les matins, je ne rechigne pas à me lever pour aller au boulot. C'est la raison numéro un.

  • Speaker #1

    Aussi simple que ça ?

  • Speaker #0

    C'est très simple. Quand on a envie d'aller au boulot, c'est déjà bon signe. Pourquoi est-ce que j'ai envie d'aller au boulot ? Parce que je ne m'y ennuie pas. La SNCF est une maison où il se passe toujours quelque chose. Alors, on connaît le slogan pour les galeries Lafayette, mais c'est également vrai pour la SNCF. Il se passe toujours quelque chose à la SNCF. Et puis, c'est aussi parce que, alors, pardon de cette marque un peu d'immodestie, mais c'est parce qu'au dernier baromètre interne de ma direction, un baromètre pour toute l'entreprise, j'ai les chiffres pour ma direction, j'ai un... taux d'engagement de 91%. Ça veut dire que 91% de mes collaborateurs, qui ont répondu à 100%, sont très satisfaits de leur environnement de travail, de ce qu'ils font, des dossiers qu'ils traitent, de la façon dont ils sont considérés. Je rappelle que la moyenne en France, c'est 14%. Au global, avoir 91%, j'allais dire de satisfaction, pour le dire vite, mais on appelle ça le taux d'engagement. C'est assez satisfaisant, je dois le dire. On se dit qu'on n'est pas là par hasard et qu'on a pu faire quelques petites choses qui font que, si soit le matin, on aime bien venir au travail, eux-mêmes, ils sont un peu dans le même état d'espoir.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc, si je comprends bien, c'est très agréable de travailler avec Philippe.

  • Speaker #0

    Il faudrait leur poser la question.

  • Speaker #1

    Et au-delà de ça, du coup, justement, tu parles de projets, de changements. Quels sont tes projets du moment au sein de la SNCF ? et de manière plus générique finalement, comment est-ce que tu décrirais ton quotidien à quelqu'un qui ne connaît pas du tout ce monde-là ? Qu'est-ce que tu fais en arrivant le matin ? Quelle est ta journée type si tu en as une ?

  • Speaker #0

    Alors il y a une chose certaine pour commencer par la fin, c'est que quoi que je puisse décider de faire dans ma journée en arrivant le matin, je suis à peu près certain que je ne le ferai pas. Parce qu'il y aura toujours quelque chose qui arrivera, qui me distraira de ce que j'avais prévu ou qui m'obligera assez rapidement à... à déguerpir de l'endroit où je suis pour aller rejoindre soit la salle de crise, soit mon bureau, soit une réunion qui se tient en urgence. Ce n'est pas ça tous les jours, heureusement. Mais ce que j'aime bien dans mon métier, c'est que justement, il y a une très grande variété. Alors, d'une manière aussi très chauvine, j'ai l'habitude de dire que la direction juridique de la SNCF est la plus belle direction juridique de toutes les entreprises françaises. Bon, je trouverai peut-être quelques contradicteurs de ci, de là, qui vont me dire que c'est faux et que c'est la leur. Pourquoi ? Parce que... Nous embrassons toutes les sphères du droit, c'est-à-dire aussi bien le droit privé que le droit public, le droit interne, le droit communautaire, le droit international. Et donc, on a énormément de spécialistes chez moi dans toutes ces sphères. Et moi, j'apprends tous les jours à leur contact. Il y a quelques domaines dans lesquels je ne suis pas trop mauvais, mais il y en a d'autres dans lesquels je ne suis pas le meilleur. Mais je crois pouvoir avoir les meilleurs auprès de moi pour me conseiller et pour mener à bien les dossiers que je leur confie. Et dans cette maison, ce n'est pas parce qu'on est le plus ancien dans le grade le plus élevé qu'on prend la décision. Cette maison, c'est celui qui a la meilleure connaissance de la matière et du dossier, qui emporte le morceau, qui peut être chef de projet. Je crois que ça aussi, c'est très valorisant pour les équipes, parce que ce n'est pas comme dans un cabinet d'avocats où on est d'abord obligé d'être collaborateur. pendant des années où on ne voit pas l'entièreté du dossier tout de suite. On voit très rarement le client. Et puis, les années passant, alors on travaille parfois jusqu'à 1h, 2h, 3h du matin. Et puis, les années passant, on monte un peu en grade. Et puis, au bout de 20 ans, 25 ans, on devient associé. Et là, on commence à avoir les dossiers en main et à décider de la stratégie. Chez moi, si on est très bon dans le domaine et si on a les capacités, les aptitudes, on peut très bien être chef du projet tout de suite. et avoir dans son équipe des gens plus anciens, mais qui s'y connaissent moins. Donc je crois aussi que ça permet aux gens de comprendre que, un, on leur fait confiance. Ce qui est très important, évidemment, dans l'entreprise. La confiance n'excluant évidemment pas le contrôle, selon la bonne formule. Mais faire confiance a priori, ça me paraît aussi un élément moteur dans une entreprise pour que les gens se donnent et donnent le meilleur d'eux-mêmes dans un dossier. On a, je crois, de ce point de vue-là, une philosophie qui répond bien aux attentes du moment et notamment aux plus jeunes collaborateurs. Moi, j'ai des collaborateurs qui ont 25 ans et d'autres qui en ont quasiment 60. Mais tout ce petit monde cohabite. très bien parce qu'ils savent très bien que la règle dans le traitement d'un dossier ou dans la responsabilité d'un dossier, c'est la compétence. Et la compétence, elle est rarement contestée. Elle est rarement contestée parce que ça se voit assez vite si on est compétent dans un domaine ou si on ne l'est pas. Et en droit, ça se voit quand même assez rapidement aussi. Partant de là, je crois qu'il y a des équipes qui sont justement très engagées parce qu'elles savent que la responsabilité d'un dossier et donc de la défense de l'entreprise repose sur leurs épaules.

  • Speaker #1

    Donc si je grossis le trait, au sein des équipes juridiques de la SNCF, Il y a une concurrence interne, c'est un peu le libre marché total, où un junior de 23 ans peut gérer un gros projet parce que c'est le plus compétent ?

  • Speaker #0

    Absolument. Je ne crois pas que ça se joue en termes de concurrence. Il n'y a pas de concurrence entre les équipes. Et souvent d'ailleurs, il y a de la collaboration, parce qu'un dossier juridique, ça n'est que rarement une seule question de droit. C'est généralement plusieurs questions de droit. Et donc justement, il faut emboîter les solutions juridiques les unes dans les autres. Et ça nécessite aussi un fort travail de collaboration interne entre les équipes. Et là, c'est très important de voir à quel point la dynamique du groupe joue un rôle dans la résolution de ces dossiers. Parce que si les gens ne s'entendent pas bien, on peut même dire si les gens ne s'entendaient pas bien, ils réussiraient moins bien à gérer l'intégralité du dossier ensemble.

  • Speaker #1

    D'accord. Et donc les dossiers, justement, c'est des dossiers qui sont internes à la SNCF. C'est-à-dire que c'est des appels à projets. pour votre client, c'est la SNCF ou est-ce qu'il y a d'autres clients ? Comment ça se passe ?

  • Speaker #0

    Oui, oui, notre client, ça n'est que SNCF, mais le client peut avoir différents sujets à traiter. C'est-à-dire, on peut faire soit du conseil, un contrat, on a besoin de le rédiger ou de réviser un contrat qui est proposé par notre co-contractant ou nos co-contractants. On souhaite bien évidemment insérer les clauses qui nous conviennent bien. Donc, c'est une négociation auxquelles le juriste participe, comme on a... contract manager, et puis après c'est la vie du contrat lui-même qui doit être suivie, et puis l'achèvement du contrat avec toutes les possibilités de réclamation diverses et variées. À côté de ce rôle de conseil, il y a tout ce qui a trait au contentieux, c'est-à-dire les procès, qui peuvent être aussi bien des procès civils, des procès administratifs, des procès pénaux, des procès prud'homo, des procès commerciaux. Et donc là, dans chaque domaine, on a des juristes qui sont... compétents et qui élaborent la stratégie que nos avocats, enfin généralement on l'élabore en concertation avec nos avocats, que nous développerons à l'audience pour convaincre le juge. Donc ce sont les deux grands aspects. À côté de ça, on se permet même le luxe de faire un peu de formation de nos équipes internes parce qu'évidemment, on a besoin avec certains de nos interlocuteurs dans l'entreprise de leur expliquer ce qu'est le droit, de ce qu'est ce qu'ils... peuvent faire, ce qu'ils ne doivent pas faire dans tel ou tel domaine. Et on fait donc beaucoup de formation aussi au sein même de l'entreprise. Ce sont à peu près les trois grands domaines dans lesquels la direction juridique intervient.

  • Speaker #1

    Super intéressant. Donc là, tu parlais de potentiellement convaincre un juge. Ce podcast s'appelle Hémicycle. Est-ce que vous avez une influence sur la création des politiques publiques via, justement, votre positionnement juridique ?

  • Speaker #0

    Alors, on en a une quand... on nous le demande. On est une entreprise publique, notre actionnaire à 100% c'est l'État. L'État, de temps en temps, souhaite avoir notre avis. De temps en temps, il s'en passe très facilement. On peut lui tirer la manche de temps en temps pour lui dire qu'on aimerait bien dans ce domaine que les choses évoluent. Alors, on en a un qui est assez récent, le vote de la loi Tabarro qui est passé devant l'Assemblée nationale et devant le Sénat et en commission mixte paritaire très récemment. Tous les gens qui prennent le train savent qu'il y a une force de l'ordre qui appartient à la SNCF qui s'appelle la surveillance générale. Ce sont des gens qui sont en uniforme, qui patrouillent à la fois dans les gares, dans les trains, aux abords des gares. Nous trouvions qu'ils n'avaient pas assez de pouvoir dans certains domaines et que les délinquants ou les contrevenants utilisaient ces failles pour échapper à des condamnations, alors qu'ils ne sont que des contraventions, je m'empresse de le dire. Et donc on a suggéré du temps où il n'était pas encore ministre à M. Tabarro, qui a sans doute des améliorations à apporter dans les possibilités qui sont offertes à nos agents de la surveillance générale, qui sont 3 500 sur le territoire. Donc ce n'est pas une petite force, c'est une petite armée presque. Il se trouve que M. Tabarro est devenu ministre et a poursuivi allègrement le ministre des Transports, qui plus est, parce qu'il s'intéresse à ces sujets, et a poursuivi allègrement... le vote de sa loi et on a pu obtenir ainsi un certain nombre de dispositions pour lesquelles il était totalement convaincu. Donc ce n'était pas la peine d'essayer de le convaincre, il était totalement convaincu, mais grâce à lui, on a pu faire voter ses dispositions.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc dans ce cas-là, vous allez voir directement le ministre, comment vous avez son contact, ou alors vous passez par des parcs ? Oui,

  • Speaker #0

    il y a des contrats très étroits avec le cabinet du ministre des Transports, avec le cabinet du Premier ministre, même avec le cabinet du président de la République. Il y a souvent des conseillers, il y a toujours même des conseillers de transport auprès d'eux, parce que le transport dans ce pays est un élément important de la vie du pays. Et donc, on est en contact régulier avec eux. Et puis au ministère des Transports même, il y a une direction qui s'appelle la DGITM, qui elle est plus spécialement chargée de tous les transports, et il y a une branche qui s'occupe du transport ferroviaire, et c'est notre interlocuteur particulier. Et puis de surcroît, on a quelques régulateurs, alors l'autorité de régulation des transports, l'ART, qui est notre, j'allais dire, surveillant général, et puis d'autres régulateurs comme l'autorité de la concurrence, comme la Commission nationale informatique et liberté, Et le PSF, qui est l'établissement public de sûreté ferroviaire, qui veille à ce que les conditions de sécurité des trains, notamment dans la circulation des trains, soient respectées. Donc on a beaucoup d'interlocuteurs publics.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est les mêmes interlocuteurs pour vos projets de développement ? J'ai lu par exemple que vous allez mettre sur le marché en 2027 des navettes nommées Carflex, qui sont capables de rouler sur rail et sur route. Il y a aussi le projet de train Dresi avec des batteries électriques. Est-ce que c'est la même chose ? Vous allez directement voir le ministre des Transports ou est-ce que ça passe par d'autres processus ?

  • Speaker #0

    Alors on a une direction recherche et développement qui est évidemment très importante au sein de la SNCF et qui essaie d'anticiper sur les grandes mutations de demain. On s'est rendu compte, comme je crois tout le monde, qu'après la pandémie, le train avait connu... une vogue assez incroyable, et continue d'ailleurs à la connaître. C'est souvent assez difficile de trouver un billet de train au dernier moment, parce que tous les trains sont complets. Il y a une vraie affection des Français pour le train, et une vraie affection des Français qui fait suite à une forme de désaffection des Français pour le train qui était avant la pandémie. Je crois que les gens ont compris que d'abord, rouler en voiture, ça coûtait cher, que c'était sans doute plus risqué que de rouler en train. Ça, ce sont les statistiques qui le disent, ce n'est pas moi. Et puis, une forme aussi de désaffection, il faut bien le dire, pour l'aérien, en tout cas pour les courtes distances de l'aérien, là où notre TGV Paris-Bordeaux met 2h04 pour faire le trajet. Un avion, si on prend en compte le temps d'arriver à l'aéroport, de passer la sécurité, de rentrer dans l'avion, de ressortir de l'avion, de repasser la sécurité et de rejoindre le centre de Bordeaux, donc, On peut mettre 4 ou 5 heures. Donc, comme disaient les jeunes, maintenant ils ne le disent plus, il n'y a pas photo. C'est assez simple de penser que les gens aiment le train. Seulement, comme le train a connu cette désaffection, il faut repenser de nouveaux modes de transport qui soient compatibles avec le réseau ferré national, qui a énormément diminué. Je rappelle qu'au début du XXe siècle, il y avait 50 000 kilomètres de voies ferrées en France. Aujourd'hui, il y en a moins de 30 000. Donc on voit bien qu'à l'époque, les voies ferrées allaient dans les plus petits endroits, dans les fins fonds de campagne, et on le voit encore parce qu'il y a quelques gares désaffectées qui ont souvent été vendues, transformées en maisons d'habitation ou en autre chose. Il y a toujours cette volonté que le train, et notamment par les présidents de région, que le train devienne un mode de transport à la fois écologique et doux pour rejoindre certains lieux. Et donc on a... pu réfléchir à des modes qui favorisent à la fois les quelques voies ferrées qui subsistent dans ces endroits-là, mais qui puissent aussi prendre la route. C'est assez incongru quand on y réfléchit, parce qu'on se dit « mais on est dans un film de science-fiction » . Ben non, pas du tout, on n'est pas dans un film de science-fiction. Ces petits véhicules, parce qu'on n'a pas besoin de trains qui font 500 places, on a besoin de véhicules qui font 50 places, en réalité. Et donc, ils sont très souples dans l'utilisation, ils peuvent passer dans beaucoup d'endroits, Et ils sont polyvalents. Donc, c'est très pratique. Et moi, je fonde beaucoup d'espoir sur ces moyens de transport futur parce que je crois que c'est un peu le moyen de transport de l'avenir.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est des moyens de transport qui sont rentables ou qui sont aidés par vos autres activités ?

  • Speaker #0

    Oui, alors... On est une entreprise publique. Quand on est une entreprise publique, on se doit d'être une entreprise rentable. Surtout que depuis 2020, on est un groupe de sociétés anonymes. Donc une société anonyme, elle peut faire faillite si elle n'a pas suffisamment de revenus par rapport à ses charges. Auparavant, nous étions un établissement public industriel et commercial. Un établissement public industriel et commercial, pour ceux qui ne sont pas juristes, c'est une... spécificité du raffinement juridique français, ça n'existe nulle part ailleurs dans le monde qu'en France, mais un établissement public industriel et commercial qu'on appelle un EPIC, en résumé, il a la garantie illimitée de l'État. Là, on est passé d'un établissement public qui a la garantie illimitée de l'État à un groupe de sociétés anonymes qui doit rendre des comptes et qui doit avoir un bilan positif à la fin de l'année. Alors, tu as peut-être remarqué que ces trois dernières années, le bilan était très positif. puisqu'on fait chaque année depuis 3-4 ans 1 milliard à 1,5 milliard de bénéfices qui sont immédiatement réinvestis dans le réseau parce que le réseau a besoin d'être maintenu et régénéré. Si, par exemple, notre bilan était négatif, on pourrait se poser la question de savoir si la pérennité de la SNCF qui existe depuis 1938 ne serait pas mise en péril et si elle ne pourrait pas, comme n'importe quelle autre société, être à traite devant le tribunal de commerce pour être mise en règlement judiciaire. Ça, les Français le savent assez peu, mais c'est la réalité depuis 2020.

  • Speaker #1

    Est-ce que pour toi, c'est normal que la SNCF doive être rentable ? Je donne mon opinion personnelle là, mais si j'avais par miracle la chance d'être aujourd'hui ministre des Transports ou même de pouvoir gérer ça au niveau même européen, je dirais que le réchauffement climatique est une priorité. C'est un chantier qu'on doit adresser rapidement. Et donc, je taxe davantage les avions. Tu parlais tout à l'heure des avions. Et j'envoie le revenu de ces taxes vers... le train et le train n'a pas à être rentable, c'est simplement l'urgence, c'est que les Européens doivent prendre le train davantage. Qu'est-ce que tu penses de ça ?

  • Speaker #0

    Tu fais partie des tenants de ce grand débat franco-français qui agite beaucoup de monde. Il suffit d'aller sur les réseaux sociaux, d'ailleurs au moment où on publie nos comptes, ça suscite beaucoup de réactions entre les gens qui pensent comme toi, qui se disent que le chemin de fer c'est un service public et que partant de là, ce service public, quoi qu'il coûte, L'État doit y pourvoir. Et puis d'autres personnes qui disent, mais non, le train, c'est un moyen de transport comme un autre, comme les bus, comme les avions. Il n'a pas besoin d'être subventionné. Il faut qu'il se débrouille par lui-même. La vérité est entre les deux. Il y a en France beaucoup de transports ferroviaires qui sont subventionnés, notamment par les régions. Tous les transports ferroviaires régionaux sont subventionnés en grande partie par les régions. parce que ces régions ont besoin que les gens puissent, au sein de la même région, circuler pour aller à leur travail, en revenir. Et ça n'est pas, a priori, rentable d'emblée comme ça. En revanche, le TGV, lui, il se suffit à lui-même. Il n'est absolument pas subventionné. C'est quelque chose qui coûte très cher, le TGV, parce que la construction de la ligne coûte horriblement cher déjà au départ. C'est une ligne qui est extrêmement automatisée, avec beaucoup d'informatique. beaucoup d'intelligence artificielle aussi désormais. Mais le TGV, grâce au nombre de voyageurs qu'il transporte par an, est globalement dans sa globalité rentable. C'est-à-dire qu'il y a des lignes qui sont extrêmement rentables. Par exemple, Paris-Lyon-Marseille, c'est la ligne la plus rentable du TGV. Il y en a quelques autres qui ne sont pas rentables. Jusqu'à présent, la SNCF, comme elle possédait les lignes à la fois rentables et non rentables, elle arrivait à équilibrer pour le TGV. Maintenant qu'on a des nouveaux entrants, des concurrents, évidemment, eux. ils ne vont pas se précipiter sur les lignes qui ne sont pas rentables. Ils vont se précipiter sur celles qui sont rentables. On pose la question au gouvernement, dans ce cas-là, si à la SNCF, il ne reste plus que les lignes qui ne sont pas rentables, comment est-ce qu'on fait ? Donc la question est en débat. Le gouvernement n'a pas encore tranché. En tout cas, le gouvernement est bien au fait de cette question-là. Et l'actuel ministre des Transports, d'ailleurs, a dit qu'il va falloir qu'on réfléchisse sérieusement. Parce qu'évidemment, par exemple, je prends nos collègues italiens. qui font rouler ces magnifiques trains qui s'appellent Flèches Rouges, Freccia Rossa, qui sont hyper confortables et dans lesquels, évidemment, on a un café italien absolument délicieux. Eux, ils veulent faire Paris, Lyon, Milan, dans les meilleures conditions, mais ils ne veulent pas du tout faire des petites lignes jusqu'à Brest ou jusqu'à Quimper, parce que ça ne les intéresse pas. Ils pensent peut-être que les Bretons préfèrent le cidre au café, j'en sais rien, mais en tout cas, ils veulent des lignes extrêmement rentables. Mais s'il ne reste plus à la SNCF que les lignes qui ne sont pas rentables, ça va poser un problème de modèle économique. Et donc, ça voudrait dire que l'actionnaire, l'État, soit obligé de renflouer ou de compenser le fait que cette concurrence ne se fait que sur les lignes rentables. C'est une vraie question que les politiques doivent se poser assez rapidement.

  • Speaker #1

    Est-ce que toi, à titre personnel, tu penses que l'ouverture à la concurrence, c'est une erreur ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'on a voulu transposer ce qui s'est produit dans l'aérien depuis très longtemps dans le ferroviaire. La difficulté, c'est que ça n'est pas comparable. Parce que l'aérien, les grosses infrastructures, qu'est-ce que c'est ? Ce sont les aéroports. Et une fois qu'on a construit un aéroport, on peut peut-être l'étendre, comme c'est arrivé à Roissy à plusieurs reprises. On a étendu l'aéroport en fonction du trafic aérien. Mais l'investissement, il a été fait au départ et il a été finalement assez vite amorti. Après, ce sont les compagnies aériennes qui se chargent du confort des passagers avec des avions de plus en plus rapides. ou des avions de plus en plus économes en carburant et tout cela. Et on a vu d'ailleurs le boom des sociétés low cost qui pouvaient emmener assez loin des passagers pour 20, 30 ou 60 euros. Nous, certes, on a nos aéroports à nous qui sont nos gares, qui sont des gares d'ailleurs souvent très anciennes. Je parle notamment pour les gares parisiennes, mais pour beaucoup de gares des grandes métropoles françaises qui ne sont pas forcément adaptées au trafic actuel. qui nécessite énormément d'investissement. Quand on voit les verrières absolument magnifiques de nos gares parisiennes ou par exemple de la gare de Bordeaux qu'on a restaurée il n'y a pas très longtemps, on voit le travail que c'est de restaurer tout ça. Ça nécessite déjà en soi un investissement important. Ça nécessite aussi de réfléchir à tous les flux de passagers qui ne sont pas les mêmes qu'avant. Quand avant, un train transportait 100 personnes, Maintenant, il est capable d'en transporter 1 000 et avec le nouveau TGV, 1 500, quand il y aura deux rames à coller l'une à l'autre. Donc tout ça nécessite aussi qu'on repense les flux dans les gares. Les flux dans les gares, c'est très important. Mais surtout, ce qui nous différencie de l'aérien, c'est les voies ferrées. Les voies ferrées, l'aérien, c'est le ciel. Donc il n'a pas à se soucier de l'entretien du ciel. En revanche, nous, nous avons à nous soucier de l'entretien de près de... 30 000 km de voies ferrées. Et ça, c'est extrêmement onéreux. Et ça, c'est notre filiale SNCF Réseau qui le fait. Nos concurrents, ils se contentent de payer un péage pour passer sur ces voies ferrées, mais ils ne les entretiennent pas.

  • Speaker #1

    Et le péage, c'est vous qui en fixez le prix ?

  • Speaker #0

    Alors c'est SNCF Réseau qui en fixe le prix, qui est à cet égard indépendant de nous. Et c'est SNCF Réseau qui décide d'attribuer ces passages, qu'on appelle chez nous des sillons, aux sociétés qui le réclament. En tout cas, les sillons qui restent, parce que nous, on en utilise déjà beaucoup. Ce n'est pas un secret de dire qu'on a essayé de saturer un peu tous ces passages pour en avoir le plus possible. C'est pour ça qu'on a, avant l'ouverture à la concurrence, créé nos trains Wigo, qui sont des trains low-cost, qui permettent à des gens de voyager pour 15, 20, 30 euros et aller à l'autre bout de la France, mais dans des conditions de confort qui sont un peu moins bonnes que dans nos TGV Inouï. Un jour va venir où la concurrence va être beaucoup plus agressive. et va réclamer beaucoup plus de passages, de sillons, et sera peut-être prête à payer plus cher, sans compter que les premières années, il y a eu une sorte de prime aux concurrents entrants qui avaient des sillons moins chers que nous, pour favoriser l'ouverture à la concurrence. Tout ça est assez complexe, tout ça mérite aussi pas mal de réflexion, et de se dire, bon, la concurrence c'est bien, c'est une volonté européenne, il y a maintenant près d'une quinzaine d'années, dans beaucoup de domaines. Mais il faut réfléchir aussi aux conséquences que ça peut avoir sur les entreprises nationales. La SNCF, globalement, c'est quand même 260 000 agents dans le monde, puisque nous avons beaucoup d'autres filiales qui travaillent ailleurs dans le monde. On ne peut pas, du jour au lendemain, mettre leur activité en péril, tout simplement parce qu'il faut ouvrir nos voies ferrées à des collègues étrangers.

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose que je ne saisis pas bien. Vous avez les gares, vous avez l'infrastructure. Est-ce que vous ne pouvez pas forcer vos concurrents à payer davantage pour contribuer aux lignes qu'ils ne veulent pas desservir ?

  • Speaker #0

    Nous, on ne peut pas. Il faudrait que ce soit une décision de l'État et que cette décision soit validée par l'Union européenne. Mais c'est, je crois, ce à quoi réfléchit actuellement le gouvernement.

  • Speaker #1

    D'accord. J'ai une autre question un peu indépendante. Est-ce que vous contrôlez totalement l'affichage des publicités dans vos gares ?

  • Speaker #0

    Alors, on contrôle pas mal, oui. On a une régie qui s'occupe de ça. et cette régie, elle a un certain nombre de règles qui lui sont fixées par nous. Mais ces règles, parfois elles peuvent être détournées, contournées, ou elles ne peuvent pas être assez claires pour une appréciation. Alors je ne sais pas si tu veux me parler d'un sujet récent que tu as pu lire dans la presse, et dont on aura la solution dans quelques jours, c'est l'affichage d'une publicité pour le livre de Jordan Bardella, qui a été contesté par un certain nombre d'associations, qui estimaient que c'était un affichage pour un livre politique, et qui... que la SNCF était tenue à une obligation de neutralité religieuse et politique. On a plaidé récemment devant le tribunal et on aura le résultat de ce dossier dans quelques temps. Bon, très objectivement, les gens qui nous ont fait ce procès ont fait plus de publicité au livre de Jordan Bardella que s'il n'y avait pas eu de procès. Donc je pense que Jordan Bardella, très légitimement, doit être plutôt satisfait de cette publicité à bon compte. Après, dans une société comme la nôtre, ça n'est pas non plus hors de propos de se poser la question de savoir si un livre par un homme politique qui est ouvertement candidat à un certain nombre d'élections et qui défend un certain nombre de points de vue, que ce soit Jordan Bardella ou que ce soit un autre, doit pouvoir avoir un panneau d'affichage vantant les mérites de son livre. Après, ça veut dire qu'il faut faire le distinguo. savoir si c'est un livre véritablement politique ou si c'est un livre simplement de mémoire ou de témoignage sur sa vie, son enfance, son oeuvre et ses projets. On va voir ce que le juge va décider.

  • Speaker #1

    Très bien. En fin de compte, je ne pensais pas du tout à ça.

  • Speaker #0

    Ah bon ? C'est le sujet d'actualité.

  • Speaker #1

    J'ai pensé à quelque chose que j'ai vécu ce week-end qui était assez différent. C'est que je suis allé en Bretagne avec la SNCF.

  • Speaker #0

    Très bien. Je te félicite.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. J'ai pris un train pour aller en Bretagne et je reviens à Paris. Et le premier truc que je vois, c'est une pub dans la gare qui dit « partez au Maroc pour 30 euros » . Et c'était une pub pour prendre l'avion. Je me suis dit, mais pour moi, là, il se tire une balle dans le pied, quoi. Je viens de payer trois fois le prix ou quatre fois le prix pour faire l'aller-retour en Bretagne. Et ils disent « non, mais prenez l'avion dès que je sors du train » . Donc, j'ai trouvé ça très étonnant. Oui,

  • Speaker #0

    évidemment. Comme tu le racontes, c'est très étonnant. Mais si nous avions refusé à cette compagnie aérienne qu'elle puisse faire sa publicité, Alors que ce n'était une publicité ni à teneur religieuse, ni à teneur politique, elle aurait pu nous attaquer pour discrimination. Il faut bien imaginer que notre régie publicitaire, comme celle de la RATP d'ailleurs, et comme celle de beaucoup d'autres entreprises, doit être équilibrée dans ses approches et elle doit pouvoir laisser, y compris nos concurrents, s'exprimer.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc vous n'avez pas un total contrôle, même loin de là, sur ce qui est affiché ?

  • Speaker #0

    Non, parce que tout le monde doit pouvoir faire la publicité pour ce qu'il pense être le meilleur. Et le Maroc, c'est quand même difficile d'y aller en train. Oui,

  • Speaker #1

    j'entends bien, mais la Bretagne préfère l'affaire.

  • Speaker #0

    C'est vrai, ce n'est pas exactement le même ensoleillement, mais ce n'est pas mal. Moi, j'aime bien les deux, mais peut-être pas au même moment.

  • Speaker #1

    Je voudrais passer à la séquence évolution du droit. J'ai vu que tu t'es beaucoup exprimé sur l'arrivée de l'intelligence artificielle, le fait que ça bouleverse vos pratiques. Quelle est ta position sur l'usage de l'intelligence artificielle ? Tu as évoqué même tout à l'heure les limites, ou en tout cas peut-être les débordements que ça pourrait amener. Quels sont les points positifs principaux que tu vois et les risques que ça amène ? Eh bien,

  • Speaker #0

    c'est, je crois, la meilleure et la pire des choses, mais en même temps. Et comme beaucoup de choses. La voiture, c'est un instrument de liberté incroyable. Dès qu'on a son permis de conduire, on est capable de partir et qu'on a trois francs six sous pour faire le plein, on est capable de partir à l'aventure et d'aller visiter la France ou d'autres pays, c'est merveilleux. La voiture, malheureusement, on peut se tuer avec aussi. Heureusement, on se tue de moins en moins en France en voiture parce que les gens sont de plus en plus responsabilisés. Donc, ils ont été éduqués et on a mis des garde-fous. On a obligé à des limitations de vitesse, on a obligé à porter la ceinture de sécurité, on a obligé à ce que les voitures soient équipées d'airbags. à ce que la sécurité passive du véhicule soit de plus en plus performante. Bon, ça c'est une chose importante. Je pense que l'intelligence artificielle, toutes proportions gardées, toutes comparaisons gardées aussi, ça va être pareil, ça va être la meilleure et la pire des choses. Ça va être la meilleure des choses parce que ça va nous décharger de tâches inintéressantes, chronophages, et parfois sur lesquelles l'œil humain n'est pas le meilleur. Je pense notamment en médecine. Il est assez reconnu que, par exemple, pour un dermatologue, l'intelligence artificielle a un taux de réussite pour déterminer un bouton qui serait dangereux, plus fort que le dermatologue lui-même, s'il a énormément d'expérience. Parce que le dermatologue, il peut être fatigué, il a pu se disputer avec sa femme le matin avant de partir, il peut être préoccupé, il peut avoir d'autres soucis en tête, être moins attentif, etc. Donc, je pense que de ce point de vue-là, notamment dans tout ce qui concerne la médecine, l'intelligence artificielle va nous permettre des progrès énormes. Il va aussi nous le permettre dans toutes ces tâches, comme je le disais à l'instant, qui sont très répétitives, qui sont inintéressantes, des tâches notamment de synthèse des dossiers, de rédaction de contrat type, bref, tous ces sujets. Donc, je pense qu'il faut absolument encourager, je dis encourager, mais... Je plaisante un peu en disant ça, parce que de toute façon, l'intelligence artificielle est déjà là. Il faut favoriser l'implantation de l'intelligence artificielle, et moi je l'ai déjà fait beaucoup au sein de ma direction, et on va monter en puissance là-dessus. Mais il faut aussi, je crois, mettre des barrières éthiques à ce qui pourrait être le pire de l'intelligence artificielle, et on le voit bien avec des fake news qui sont parfois redoutablement efficaces, plus vraies que nature. avec des photos qui sont totalement inventées par l'intelligence artificielle et qui, permets-moi de le dire de cette manière un peu triviale, pourraient faire battre des montagnes. De ce point de vue-là, je crois qu'il faut... Je ne suis pas un adepte forcené de la régulation, mais là, je crois qu'il faut absolument qu'on ait une autorité de régulation très forte, très puissante, avec beaucoup de moyens qui permettent de poser des limites, et pas seulement en France, bien sûr, déjà une autorité européenne, et si on peut, une autorité mondiale qui permette de... poser des limites aux mésusages de l'intelligence artificielle. Et ça, ça me paraît essentiel.

  • Speaker #1

    Vous avez créé le SNCF groupe GPT, c'est bien ça ?

  • Speaker #0

    Bien enseigné, là.

  • Speaker #1

    Alors, qu'est-ce que c'est ? Et justement, alors, là, tu parles du pire de l'IA, mais au niveau de la SNCF, qu'est-ce qui pourrait être le pire de l'IA ? Ça serait une fake news sur un train ? Ça serait... Si c'était complètement débridé ?

  • Speaker #0

    Le pire pour la SNCF, ce serait sans doute que des hackers... par le biais de l'intelligence artificielle, ce qui leur facilite énormément le travail. Ils peuvent déjà le faire, je pense. Ils pourraient déjà le faire. Il se trouve qu'on est très bien armés. Mais qu'ils prennent, par exemple, le contrôle d'un train, d'un aiguillage, et qu'ils créent un accident. Je dis un accident, ce serait plutôt une catastrophe. Ou simplement que sur un panneau d'affichage variable dans une gare, là où on regarde à quelle heure son train part et de quel quai, je ne sais pas, ils mettent la tête de Mickey et que... Au bout d'une heure, deux heures, trois heures, il y a des milliers de personnes dans la gare qui ne sachent plus où aller, qui traversent les voies et qui fassent n'importe quoi. Donc ça, je crois malheureusement que l'intelligence artificielle peut le favoriser. Heureusement, jusqu'à présent, je touche du bois, la table est en bois, nous avons réussi à déjouer toutes les grandes attaques cyber qui se sont concentrées sur nous.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est fréquent ?

  • Speaker #0

    Alors, est-ce que tu peux me donner un chiffre ? Par jour.

  • Speaker #1

    Par jour ? Déjà, je n'aurais pas dit par jour grandes attaques cyber. Moi, j'aurais imaginé ça à 3-4 par an, un gros coup.

  • Speaker #0

    Alors, on en a 1 million par jour.

  • Speaker #1

    Ah oui, j'étais loin.

  • Speaker #0

    Et pendant les Jeux Olympiques, on est monté à 5 millions parce qu'on était une cible. On s'y attendait.

  • Speaker #1

    5 millions par jour ? Oui. OK.

  • Speaker #0

    Donc, ça veut dire qu'on a développé des systèmes qui sont évidemment assez performants, mais il ne faut pas être naïf. Un jour, il y a un hacker plus malin qu'un autre qui arrivera certainement à rentrer dans un de nos systèmes informatiques. Après, que pourra-t-il y faire ? Est-ce qu'on le repèrera assez rapidement ? On sait qu'il y a beaucoup de grandes entreprises en France qui ont été victimes, soit d'un virus. soit d'une intrusion dans le système. Nous, on reste modeste. On le dit parce que c'est remarquable. On a réussi à échapper jusqu'à présent à toutes les grandes attaques. Et on vit très bien avec toutes ces attaques qui peuvent être soit le petit hacker du coin qui s'amuse sur son ordinateur, soit un grand hacker de ferme à troll de pays de l'Est ou d'ailleurs. L'Est, ça va très très loin. Ça peut aller jusqu'à la Corée du Nord. Et donc, il faut qu'on soit préparé. Et pourquoi est-ce qu'il faut qu'on soit préparé ? C'est parce qu'on dispose d'informations extrêmement confidentielles. Ces informations confidentielles, tu vas vite le comprendre par exemple, ce sont toutes les données bancaires de nos clients. Quand quelqu'un paie son billet de train en donnant ses coordonnées bancaires, numéro de carte bleue, date d'expiration, code secret, mais c'est aussi par exemple toutes les données de santé de nos 260 000 agents, leur numéro de carte vitale, les affections dont ils peuvent souffrir, les médicaments qu'ils peuvent prendre. Alors que je ne parle même pas de toutes les données de transport qui sont elles aussi parfois assez secrètes. Toutes ces données-là, il faut qu'on les protège. C'est pour ça qu'on a créé un chat GPT propre à SNCF. C'est pour que les agents de SNCF n'aient pas la tentation d'aller chercher sur le chat GPT classique qu'on trouve tous sur Internet, des informations qui en divulgueraient certaines de SNCF. Voilà, il est interdit à SNCF pour tous les agents. d'aller chercher sur ChatGPT ou d'autres des informations ou des aides à la décision en y mettant des documents qui sont propres à SNCF ou des informations qui sont propres à SNCF. C'est pourquoi on a un système qui est en circuit clos. Et d'ailleurs, même au sein du circuit clos, il y a des domaines dans lesquels certains n'ont pas accès à d'autres pour éviter, parce qu'il y a des informations qui doivent être encore plus confidentielles que d'autres. On a créé ce système qui fonctionne très très bien. Au début de l'année, j'ai fait un... un grand séminaire avec tous les juristes, mais 500 juristes, sur l'intelligence artificielle. Et il y avait quelques grands spécialistes de l'intelligence artificielle qui ont assisté à la démonstration de notre outil en direct. Ils ont été assez épatés de la qualité de l'outil. Donc, on pense qu'on a plutôt un bon outil. Après, c'est comme tout, il faut savoir s'en servir. Il faut savoir rédiger les promptes. Il faut savoir ce qu'on peut demander aussi à la machine. Il faut savoir la questionner correctement. Il faut savoir l'utiliser. Elle nous fait aussi... de très belles images. On peut s'amuser très bien, mais ce n'est pas la solution à toutes nos questions et l'intelligence humaine doit toujours rester derrière. Moi, je ne suis pas ceux qui pensent que la machine va remplacer l'homme. Je suis de ceux qui pensent que la machine va aider l'homme et que l'homme sera toujours là pour contrôler. Parce qu'on le sait, elle le fera de moins en moins, mais la machine a des hallucinations. Elle raconte parfois n'importe quoi et donc, il faut pouvoir être là pour le vérifier et le corriger et lui reposer la question en lui disant qu'elle s'est trompée. Ce qui d'ailleurs lui permet d'apprendre et ce qui aussi permet d'avoir de bonnes réponses. On a cet exemple, alors il est un peu ancien maintenant, mais on a cet exemple d'un cabinet américain qui avait interrogé Chad G. Petit pour faire des conclusions dans un dossier et qui ne s'est pas rendu compte, parce qu'il ne l'avait pas vérifié, que Chad G. Petit avait inventé des jurisprudences. Manque de chance, le juge, lui, il s'en est rendu compte. Parce qu'évidemment, il a voulu regarder les jurisprudences et ne les a pas trouvées. C'est dire à quel point la machine, d'ailleurs, a une forme d'intelligence. Mais une intelligence qui est une intelligence, j'allais dire, assez primaire. Parce que si elle pense qu'on ne va pas découvrir qu'elle a inventé une jurisprudence, c'est qu'elle nous prend vraiment pour des imbéciles, si tant est qu'elle puisse avoir ce genre de pensée. Donc nous, il faudra qu'on soit toujours derrière la machine, il faudra toujours qu'on vérifie le travail qu'elle a fait, mais la machine peut nous aider considérablement.

  • Speaker #1

    Tu dis que c'est fait en vase clos ? Du coup, l'infrastructure pour créer un LLM, c'est souvent des millions et des millions d'euros. Je pense à Mistral qui lève beaucoup de fonds pour aller concurrencer à ChatGPT. Comment est-ce que vous avez fait ? Est-ce que vous vous êtes adossé du coup à Mistral ?

  • Speaker #0

    Oui, absolument. Alors, l'adossement à Mistral arrive là. On est en train de le faire. Mais on s'est adossé à... Alors, je ne sais plus quel grand modèle de langage. Sincèrement, je ne sais plus. Donc, ce n'est pas que je ne veuille pas le dire. Je ne sais plus. Et donc... On a créé un grand modèle de langage spécifique pour nous, un système qui, comme je te le disais tout à l'heure, est en vase clos. C'est-à-dire qu'il ne s'évade pas du tout à l'extérieur.

  • Speaker #1

    Entendu. Donc c'est Mistral qui vous aide et vous avez mis les barbes.

  • Speaker #0

    Mistral arrive et donc va nous apporter des possibilités complémentaires.

  • Speaker #1

    D'accord. Et donc, ce que vous avez fait là actuellement, c'est tout en interne ?

  • Speaker #0

    Oui, tout en interne par notre direction du numérique.

  • Speaker #1

    Ok, super impression. Donc, avec votre infrastructure à vous ?

  • Speaker #0

    Absolument. Ah ouais,

  • Speaker #1

    chapeau.

  • Speaker #0

    Et un outil, moi je ne suis pas tellement geek, un outil qui est plutôt convivial, qui est un plus.

  • Speaker #1

    C'est un chat également ou il y a d'autres choses ?

  • Speaker #0

    Oui, chat. Il peut faire aussi des dessins, il peut faire des vidéos.

  • Speaker #1

    Bravo, félicitations, c'est génial.

  • Speaker #0

    C'est plutôt mes collègues de l'informatique qui ont été géniaux de ce point de vue-là. Et en plus, ils font un truc formidable, c'est qu'ils nous font le service après-vente. Et ils ont distingué dans la maison quelques directions qui sont susceptibles d'avoir un gain formidable grâce à l'intelligence artificielle. Et la direction juridique en fait partie. Et donc, on a eu la possibilité de développer des cas d'usage qui seront spécifiques dans l'outil chat JPT SNCF. Ils sont spécifiques pour les juristes du groupe. Et donc, ça nous facilite énormément la tâche.

  • Speaker #1

    Ok. Le cas d'usage, par exemple, c'est je veux chercher une décision qui a déjà été prise.

  • Speaker #0

    Oui, alors ça, c'est un cas d'usage assez simple. Mais par exemple, je voudrais faire une autorisation de droit à l'image classique. Merci de me la remplir avec Robert Dupont comme personne qui autorise. Alors ça, c'est un cas hyper simple. Il y a des cas beaucoup plus compliqués où on a développé l'ensemble des cas d'usage. Et on en a découvert à peu près une quinzaine qui vont être particulièrement adaptés à notre activité.

  • Speaker #1

    OK. Est-ce qu'avec toutes ces évolutions... Tu trouves que ton métier est toujours aussi passionnant ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce que je te disais tout à l'heure. Le jour où j'aurai un peu plus de mal à me lever le matin, et en plus, moi, il se trouve que je me lève très tôt, bon, là, je me poserai la question. J'ai cette chance aussi d'être un peu dans une tour de contrôle où je ne fais pas toujours la même chose, où on me parle de sujets très différents, donc c'est très varié, où j'ai des collaborateurs de très grande qualité, où de temps en temps, on me demande d'aller dans des colloques. pour témoigner de mon expérience ou on me demande de faire quelques interviews sur la modeste vie professionnelle, de faire des cours dans une école ou dans une fac. C'est passionnant. Donc c'est très varié. Moi, j'ai toujours eu horreur de la routine. Là, je suis bien tombé pour ne pas être dans la routine quotidienne, mais au contraire, chaque jour, avoir une surprise nouvelle, alors parfois elle est mauvaise. Un accident, c'est une mauvaise surprise pour nous, mais il faut le traiter. ou une bonne surprise quand on a une très bonne décision dans un dossier dans lequel on pensait peut-être être à 50-50.

  • Speaker #1

    Merci Philippe. On va passer à une séquence qui est nouvelle sur ce podcast, la séquence vrai ou faux. J'annonce une phrase et tu dois me dire si tu trouves ça vrai ou faux, et tu peux évidemment justifier ça ensuite comme tu le souhaites. Je vais commencer par la première phrase, donc il y en a cinq. Les affaires publiques, c'est juste une affaire de réseau.

  • Speaker #0

    Non, non, non, ce n'est pas juste une affaire de réseau. Si c'était qu'une affaire de réseau, ça serait simple. Les affaires publiques, c'est aussi d'abord avoir un bon argumentaire et puis savoir convaincre son interlocuteur que son argumentaire est le meilleur. Donc ce n'est pas qu'une affaire de réseau. Le réseau compte, bien sûr. Si on connaît quelqu'un, c'est plus facile de s'adresser à lui que si on ne le connaît pas. Mais ça ne suffit pas.

  • Speaker #1

    Deuxième phrase, la régulation freine plus souvent l'innovation qu'elle ne la protège.

  • Speaker #0

    C'est ce qu'on dit. Donc j'aurais plutôt tendance à dire oui aussi. On a besoin de régulation. C'est évident, et je le disais d'ailleurs tout à l'heure pour l'intelligence artificielle, il est important qu'on ait une autorité de régulation, une autorité éthique de l'intelligence artificielle dans les années qui viennent, et même plutôt dans les mois qui viennent. Mais il faut faire attention à ce que, dans ce pays, on a l'impression que chaque fois qu'on a un problème que l'administration n'a pas envie de traiter, on crée une autorité régulatrice. Et donc, une autorité régulatrice, qu'est-ce qu'elle a envie de faire ? Elle a envie de créer des normes supplémentaires, et puis elle a envie de sanctionner. Parce que ce qui est important... c'est la sanction. Et c'est même un peu à ça qu'on serait tenté de juger la bonne activité d'une autorité de régulation. Combien de millions d'amendes prononcées ? Moi, je pense que c'est pas ça. Une autorité de régulation, c'est une autorité qui doit être avant tout correctrice. Elle doit aider l'entreprise. Bon, je vois par exemple, nous, on est une entreprise publique qui étions en monopole de 1938 à 2000. C'est pas mal. Du jour au lendemain, on nous dit ... Voilà, on ouvre à la concurrence. Est-ce qu'une entreprise comme la nôtre, avec 260 000 personnes réparties dans le monde, puisqu'au passage, je t'apprends peut-être que la SNCF travaille dans 130 pays dans le monde, pas qu'une entreprise franco-française. Comment est-ce que ces 260 000 agents de SNCF qui travaillent dans 130 pays dans le monde, du jour au lendemain, peuvent changer leur façon de penser et de se dire, aujourd'hui, attention, il faut que je respecte mon concurrent. Bien sûr qu'ils vont le faire, mais ils peuvent aussi... garder des mauvais réflexes et essayer de se dire bon ben le concurrent il nous plombe plaire on va essayer de le contourner si l'autorité de la concurrence vient nous voir et nous dit là vous n'avez pas respecté la règle si on reconnaît ce qu'on fait généralement parce qu'une entreprise publique ne peut pas mentir enfin peut pas mentir son actionnaire c'est l'état moi ce que je préférerais c'est que l'autorité de régulation nous disent c'est pas bien ça c'est sûr On ne vous condamne pas pour cette fois-ci parce que c'est la première fois, mais on va vous monitorer pour vérifier que vous ne recommencez pas. Et ce monitoring, il peut durer un an, deux ans, trois ans, cinq ans. Ça, ça me paraît correctif. Ça, ça me paraît être intéressant. J'ai parfois un peu tendance à penser qu'au jour d'aujourd'hui, les autorités de régulation, pour démontrer qu'elles ont une véritable activité et qu'elles sont utiles, elles commencent par sanctionner, puis après, ils passent à autre chose. Mais peut-être pas toutes. Je ne citerai personne.

  • Speaker #1

    La SNCF est plus influente à Bruxelles qu'à Paris ?

  • Speaker #0

    Non. On a une représentation à Bruxelles. C'est important aussi de faire passer un certain nombre d'idées. Le lobbying n'est pas interdit. On est déclaré comme lobbyiste, à Bruxelles comme en France d'ailleurs. Certains d'entre nous sont déclarés comme lobbyistes. Si on avait une influence aussi forte à Bruxelles qu'on le dit, que tu le penses, je ne sais pas, on n'aurait pas été obligé de... réformer totalement de fond en comble notre branche frette à la demande de Bruxelles, qui estime que nous avons bénéficié d'une aide d'État de la part du gouvernement de 5 milliards et qui a faussé la concurrence avec nos autres concurrents sur le territoire. Donc on voit bien la limite du propos, c'est que non, on n'est pas plus influent à Bruxelles qu'à Paris, et inversement.

  • Speaker #1

    La quatrième phrase qui a déjà répondu, je pense assez largement, l'intelligence artificielle remplacera les juristes d'ici 15 ans.

  • Speaker #0

    Non, en revanche, je peux ajouter juste une chose, c'est qu'il n'y aura certainement pas d'avenir pour un juriste qui ne saura pas rédiger des promptes. Là, c'est sûr. Là, je pense que lui, il fera les cafés. Et encore, je pense que la machine à café, dans quelques années, on lui demandera de faire un café et elle le fera toute seule. Donc, non, il faut... Et c'est pour ça que c'est très important la formation continue. La formation continue juridique, elle est très importante. Mais la formation, si je peux le dire... l'exprimer comme ça au promptage, c'est aussi très important. Et la dernière phrase, c'est « Le droit est devenu une arme d'influence autant qu'un outil de conformité. »

  • Speaker #1

    Alors, je dirais plutôt non. Mais pourquoi ? Parce que je pense que le droit, et les Américains ont été les premiers à le comprendre, ce n'est pas tellement une arme d'influence, c'est une arme économique. C'est-à-dire, si on arrive à imposer son droit à son co-contractant, on a gagné. Son droit, c'est-à-dire ses règles, ses juridictions, sa manière de penser juridique, on a gagné. Et les Américains, ils ont tout de suite compris ça. Et dans les boîtes américaines, à l'inverse des boîtes françaises, le directeur juridique, ce qu'on appelle là-bas le General Counsel, c'est le numéro 2 de la boîte. Ce n'est pas le directeur financier, c'est le numéro 2. Parce que le droit pour les Américains, une façon d'imposer, que je crois qu'on peut appeler leur impérialisme, y compris dans les activités commerciales ou industrielles, et on le voit bien avec beaucoup de règles qui théoriquement devraient être circonscrites au territoire américain, mais qui en fait sont applicables dans le monde entier. Par exemple, une entreprise de croisière qui fait accoster un de ses bateaux dans un port à la Havane est susceptible, et ça a déjà été le cas, d'être poursuivie par les juridictions américaines parce que la loi américaine estime que les légitimes propriétaires du port de la Havane avant la révolution castriste, qui étaient souvent d'ailleurs des entreprises privées, ont été expropriés, que donc le simple fait d'accoster sur ce qu'est exproprié constitue une infraction susceptible d'être poursuivie par la justice américaine. Et il y a déjà des croisiéristes qui ont été condamnés à plusieurs centaines de millions de dollars d'amende. Donc on voit bien la force du droit à cet égard. Alors, on peut très bien dire que c'est injuste, que de quoi ils se mêlent. La Havane, ce n'est pas les États-Unis. Ils ont réussi à... imposer au monde entier un mode juridique que le monde entier est bien obligé de respecter. Quand on paie en dollars certains contrats, on est justiciable de la justice américaine. Alors, on a intérêt à ne pas conclure des contrats avec des pays qui sont sous embargo américains parce qu'on est capable d'être poursuivi aux États-Unis et, par exemple, nos filiales qui sont aux États-Unis peuvent être poursuivies au lieu de notre entreprise nationale. Donc, c'est une force.

  • Speaker #0

    C'est-à-dire que au moment où moi j'ai un contrat avec un client américain et que je le paye en dollars, je suis soumis à la juridiction américaine.

  • Speaker #1

    Alors, il y a des cas différents, mais si, par exemple, ce client est un client qui est dans le collimateur des Américains, oui.

  • Speaker #0

    Entendu,

  • Speaker #1

    je le sais maintenant. Non, mais paye en euros, c'est mieux. Oui.

  • Speaker #0

    Philippe, on va arriver au bout de cet entretien. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voulais aborder, que tu n'as pas encore eu le temps de... développer ici ?

  • Speaker #1

    Peut-être pour reprendre ce que j'ai dit à l'instant, c'est que dans ce pays, on n'a pas encore compris à quel point le droit était un élément très important de la vie des entreprises. C'est assez curieux parce que, aussi bien dans les entreprises publiques que dans les entreprises privées, il y a assez peu de très grands patrons qui ont compris la force du droit, l'intérêt du droit et la possibilité pour le droit de résoudre des grands conflits pour l'entreprise. Alors, le droit ce n'est pas forcément traîner les gens devant les tribunaux. Ça peut être aussi la médiation, la conciliation, l'arbitrage, toutes ces choses qui appliquent des règles de droit de façon plus ou moins contraignante, mais qui sont quand même fondées sur la règle juridique. Beaucoup de mes collègues directeurs juridiques militent pour que les grands patrons français prennent un peu conscience de ces situations et se disent que finalement, leur directeur juridique, ce n'est pas le casse-pied de service qui chaque fois dit non à un projet. Mais c'est au contraire devenu le risk manager, celui qui est là pour accompagner le risque auquel l'entreprise peut être confrontée dans certaines situations. Alors ça viendra peut-être un jour. Ce serait, je crois, une bonne chose. Et les États-Unis, d'ailleurs, dans ce domaine, nous montrent véritablement le modèle. Mais on n'est pas encore assez mûrs en France pour ça.

  • Speaker #0

    Si tu pouvais te donner un conseil à ton toit de début de carrière, quel serait ce conseil ?

  • Speaker #1

    Abnégation et persévérance. Voilà. Alors, abnégation et persévérance, parce que dans la vie, on ne fait pas... C'est ce que je dis à mes enfants, d'ailleurs, très régulièrement. Mais dans la vie, on ne fait pas toujours que ce qui plaît. Et dans ce monde actuel, on a un peu tendance à penser que tout ce qui ne plaît pas, on peut s'en dispenser. Non, malheureusement, on est obligé de le faire aussi. Et surtout, persévérance, parce que ce n'est pas parce qu'on a un échec qu'il faut se décourager. Au contraire, un échec, ça nous permet d'apprendre et ça nous permet d'éviter un second échec plus tard, peut-être. Pas toujours. Et donc, abnégation et persévérance, ça me paraît être pas mal. Et puis aussi, être ouvert sur le monde, pas être plié sur soi. Être un peu à l'affût de ce qui se fait, de ce qui se dit. Des cultures différentes aussi, parce qu'on a beaucoup à apprendre de cultures qu'on ne connaît pas très bien. De gens qui sont confrontés aux mêmes problèmes que nous et qui arrivent à les résoudre parfois d'une manière différente de la nôtre. Ils ont donc parfois raison de le faire comme ça. Voilà, et puis je pense que dans une vie de juriste, plus spécifiquement de juriste, moi j'ai un mantra que je dis depuis une dizaine d'années à mes collaborateurs, et je pense que maintenant ils l'ont bien retenu, c'est qu'il faut être polyvalent, très important la polyvalence, c'est-à-dire qu'il faut être capable de passer d'un sujet à un autre assez facilement, il faut éviter d'être trop spécialisé, on peut être spécialisé dans un domaine, mais il ne faut pas que ce soit le seul domaine dans lequel on est bon, et puis il faut être adaptable, c'est-à-dire il faut s'adapter à la situation, parce que ce n'est pas la situation qui va s'adapter à nous. Donc polyvalent, adaptable, ça me paraît aussi un bon mantra pour de jeunes juristes qui veulent faire carrière en entreprise. Ou ailleurs, dans un cabinet d'avocat ou dans une administration un peu partout.

  • Speaker #0

    Philippe, pour conclure, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager ?

  • Speaker #1

    J'aime beaucoup la lecture, donc je serais tenté de recommander un livre. Le dernier livre très intéressant que j'ai lu, c'est un livre d'un auteur japonais qui s'appelle Haruki Murakami, dont j'ai lu pratiquement tous les livres, qu'on annonce tous les ans comme pouvant être prix Nobel de littérature, mais le pauvre, tous les ans, il est recalé. Son dernier livre, comme beaucoup de ses livres d'ailleurs, est un livre extrêmement onirique, qui à la fois mélange le réel et l'irréel. Dans cette culture japonaise que nous, on connaît quand même relativement mal chez nous, qui ne nous est pas immédiatement accessible, mais qui, encore une fois, est très irréelle, très onirique. J'allais dire, on est un peu transporté par ce conte. Et donc, voilà, c'est peut-être un livre que je recommande. Merci Philippe. Merci à toi, Pierre.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le cofondateur de l'SG Watch. plateforme qui vous aide dans votre travail institutionnel. A bientôt !

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