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#29 – Kévin Gernier (Transparency International France) : Où finit le plaidoyer légitime ?

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31min |01/12/2025
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Description

« Où finit le plaidoyer légitime et où commence l’influence toxique ? »


Ancien collaborateur parlementaire et juriste formé au lobbying, Kévin Gernier est aujourd’hui responsable du plaidoyer chez Transparency International France.


Dans cet épisode, il raconte comment il est passé des bancs de Sciences Po Bordeaux à la lutte contre la corruption, pour défendre une idée simple mais exigeante : la transparence comme condition du pouvoir démocratique.


De la loi Sapin II au “Qatargate”, des valises de billets aux codes déontologiques des représentants d’intérêts, Kévin dévoile les zones grises du lobbying et plaide pour un cadre plus équitable entre ONG et grands groupes.


Avec lui, on parle de :


  • Comment est né le registre français du lobbying à la HATVP

  • Le rapport de force entre ONG et intérêts économiques

  • Les dérives du greenwashing et des arguments mensongers

  • La différence entre lobbying et plaidoyer

  • Et de cette conviction : « Le capital d’un lobby, c’est sa confiance. »

Un échange lucide et sans cynisme sur l’éthique, le pouvoir et la fabrique de l’influence.


Vous pouvez contacter Pierre sur Linkedin.

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je pense que le plus important, c'est d'une part de croire en ce qu'on défend et d'autre part d'avoir une vraie expertise sur le sujet qu'on défend. Le capital d'un lobby le plus précieux, c'est son capital confiance. On pense qu'au moins l'égalité c'est la moindre des choses, et voire même sur certains sujets, on peut viser une interdiction pure et dure du lobbying des intérêts économiques.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle Légit Watch, et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui, je reçois Kevin Jarnier, responsable du plaidoyer chez Transparency International France, juriste, ancien collaborateur à l'Assemblée Nationale, formé au lobbying, Il enseigne aujourd'hui à Sciences Po Bordeaux et consacre son action à une question centrale pour notre démocratie. Où finit le plaidoyer légitime et où commence l'influence toxique ? Salut Kevin.

  • Speaker #0

    Salut.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux ajouter quelque chose à cette courte description ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai rien à ajouter.

  • Speaker #1

    Parfait, alors t'es passé par l'Assemblée Nationale, puis la Haute Autorité pour la Transparence, avant de rejoindre Transparency en 2019. Qu'est-ce qui a motivé ton engagement dans la lutte contre la corruption et du coup pour la transparence ?

  • Speaker #0

    C'était un des premiers sujets auxquels je me suis intéressé. Je suis rentré après ma prépa à l'IEP de Bordeaux en me disant que j'allais passer des concours de la fonction publique. que j'avais travaillé pour l'intérêt général et puis j'ai eu la flemme de repasser des concours et j'ai vu ce master qui était dédié au lobbying à l'IEP de Bordeaux. Je me suis dit pourquoi pas c'est un peu une façon de court-circuiter les concours administratifs où on passe, on travaille beaucoup ensuite on est un technocrate dans un bureau et en fin de carrière on peut éventuellement espérer commencer à toucher à des enjeux plus politiques là en faisant du lobbying on se retrouve directement en prise avec les enjeux les plus politiques C'est génial, on n'a que le bon côté des sujets et pas les mauvais côtés. Donc j'y suis allé, je me suis rendu compte que je n'avais pas forcément envie de travailler tout de suite pour des intérêts lucratifs, même si je ne les diabolise pas et je considère qu'ils ont droit d'avoir des lobbyistes et de faire du lobbying. Donc je me suis intéressé à ce sujet de transparence, du lobbying et d'encadrement qui commençait à émerger à l'époque, parce qu'on était en 2016, il y avait la loi Sapin 2 qui était en train d'être adoptée. C'est comme ça que je me suis retrouvé d'abord à faire un stage aux autorités pour la transparence de la vie publique, au moment où ils mettaient en œuvre le répertoire de transparence du lobbying. Et c'était marrant de voir comment un service administratif galérait à transformer en outil numérique concret des textes juridiques. Parce qu'il y avait un temps qui était très restreint, des consignes du législateur et ensuite du pouvoir réglementaire. qui était parfois un peu flou ou contradictoire, et il fallait en deux mois transformer ça en site internet opérationnel pour que les lobbyistes puissent s'enregistrer. Donc c'était super intéressant de voir de l'intérieur.

  • Speaker #1

    Comment vous avez fait ça ? C'est toi qui as participé ?

  • Speaker #0

    Moi je suis juste stagiaire, mais je travaillais avec le responsable de la mise en œuvre du répertoire, et ça avait été internalisé à l'époque, il y avait un service informatique interne à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, et nous on faisait la maîtrise d'œuvre, c'est comme ça qu'on dit je crois dans le milieu. Donc on leur avait des petits tickets, moi j'ai appris à travailler avec des développeurs, ils nous disaient on ne comprend pas, c'est compliqué les tickets, on ne peut pas faire ça, c'est beaucoup plus compliqué que ce que vous pensez. On s'engueulait, il y avait des allers-retours et à la fin on avait quand même un truc qui était opérationnel. C'était rigolo à voir de l'intérieur parce que là on est vraiment sur le concret de l'action publique et on dit souvent que dans le secteur public il n'y a pas de culture, du numérique, pas d'agilité. Là quand même ils ont réussi en temps terrestre à sortir quelque chose d'opérationnel. Donc non, je ne pense pas qu'il y ait de manque de culture dans le secteur public. Et ensuite, je me suis retrouvé à l'Assemblée nationale, parce que j'avais envie de voir les coulisses de la fabrique du droit. Et ensuite, mon premier emploi, je l'ai trouvé à Transparency International France, après une petite période de chômage.

  • Speaker #1

    Est-ce que, quand tu as choisi de rentrer dans les études de lobbying, est-ce que c'était dans le cadre d'un engagement militant déjà, ou par curiosité, qu'est-ce qui t'a amené là ?

  • Speaker #0

    La curiosité pour la fabrique des politiques publiques, la curiosité pour comment on transforme souvent des demandes assez vagues, parfois confuses, contradictoires des électeurs, des associations, du public, des entreprises, des élus eux-mêmes, en politiques publiques concrètes, et tous les intérêts contradictoires, divergents, qu'ils discutent entre eux pour les mettre en œuvre. Ensuite, sur la question du militantisme, c'est un vrai débat en ONG. Est-ce que quand on est salarié d'une ONG, on est militant ? Moi, j'ai des collègues qui ne se considèrent pas du tout comme militants. Ils sont salariés d'une association et ils appliquent les consignes qui sont émises par le conseil d'administration bénévole de l'association. Parce qu'en fait, si on se considère à 100% militant quand on est salarié d'une ONG, ce n'est pas très sain, parce qu'on reste salarié. Le fonctionnement des associations loi 1900, ça reste normalement un fonctionnement par principe non lucratif. Les salariés sont là pour aider la mise en œuvre de l'objet social de l'association, mais l'association doit rester gouvernée par des administrateurs, un président, des bénévoles, qui sont totalement non rémunérés. Moi, je suis un peu entre les deux, parce qu'au bout d'un moment, quand on finit par travailler pendant longtemps sur un sujet, on finit forcément par le prendre à cœur, même dès le début. Il faut savoir, je trouve, un peu parfois réfréner son engagement militant et mettre plutôt son énergie militante dans d'autres structures. Moi, je trouve que c'est important de s'engager bénévolement à côté dans des assos, des partis politiques, pourquoi pas, sur son temps libre, et de ne pas vraiment fusionner son engagement militant avec sa vie salariée et son gagne-pain.

  • Speaker #1

    Alors tu as été amené à former des étudiants à Sciences Po Bordeaux sur les questions d'éthique et de lobbying. Qu'est-ce que tu essaies de leur transmettre ? À quoi ça ressemble un cours de Kevin Jarnier ?

  • Speaker #0

    J'essaie de leur transmettre des grilles d'analyse pour analyser des situations qui ne sont ni blanches ni noires, parce que c'est toujours un peu gris ces situations de dilemmes moraux, éthiques ou même juridiques. Le droit n'apporte pas de réponse absolue sur tous les cas. Souvent on a l'idée que le droit c'est vraiment une... Une grande machine qui donne toujours la même réponse à partir de paramètres constants. Pas vraiment, c'est plutôt une grille d'analyse qui permet de céder, s'orienter dans certaines situations, mais qui ne dispense pas de réfléchir. Après, je leur apprends à faire distinction entre les types d'argumentaires. Est-ce que c'est juridique ? Est-ce que c'est pénal ? Est-ce que c'est déontologique ? Ou est-ce que c'est moral ? Et on a le droit d'avoir une analyse morale quand il s'agit de corruption. On a le droit de dire, là, c'est peut-être légal, mais moi, je trouve que c'est pas bien, pas moral. Et je trouve qu'il faudrait mettre un terme à cette situation, soit en la rendant illégale, soit en comptant sur la responsabilité des acteurs pour y mettre un terme. Après, les étudiants, généralement, quand ils s'engagent dans des masters de lobbying, malheureusement, ils sont parfois déjà un peu cyniques. Et j'essaye de susciter leur indignation pour m'assurer qu'il y a bien une conscience morale et qu'ils ne font pas ça uniquement pour l'argent. et je ne crois pas qu'il n'y en ait aucun qui fasse ça uniquement pour l'argent. Je pense que la plupart des gens qui s'intéressent aux affaires publiques, ils le font fondamentalement par curiosité intellectuelle.

  • Speaker #1

    Et du coup, toi, pour rentrer dans le vif de ton quotidien, chez Transparency International, Qu'est-ce que vous faites exactement ? Est-ce que vous poussez évidemment pour plus de transparence, mais est-ce que vous enquêtez sur des sujets ou des dossiers qui paraissent trop opaques ?

  • Speaker #0

    On n'enquête pas directement parce qu'en France, on a une presse indépendante d'investigation de qualité. J'ai des collègues dans d'autres sections de transparence internationale à travers le monde qui font davantage d'enquêtes parce qu'ils sont dans des pays plus autoritaires avec moins de presse d'investigation. Donc ils doivent faire ce travail, quasiment faire le travail d'un média. et d'une ONG en même temps. En France, on n'a pas besoin de faire ça, heureusement. Nous, on va plutôt transformer la matière des journalistes en recommandations de plaidoyer concrètes, et on va monter en généralité. C'est ce qu'on a fait, par exemple, sur le lobby des pesticides en 2023. On n'a pas fait l'enquête qui a montré que le lobby des pesticides, donc Fiteis, avait utilisé des arguments mensongers pour défendre sa cause. une journaliste indépendante qui a fait l'enquête. Nous, on a lu l'enquête et on a transformé cette matière d'investigation. On a utilisé une grille d'analyse qui était le code de déontologie des représentants d'intérêt à l'Assemblée nationale et au Sénat pour dire que ce problème qui est soulevé par une journaliste seulement sous l'angle moral pour l'instant, nous on pense que ça relève aussi d'un manquement déontologique. Donc on avait fait un signalement qui avait mené à une mise en demeure du lobby des pesticides. Nous, on est plutôt un intermédiaire entre les journalistes et les pouvoirs publics. voir les pouvoirs judiciaires quand il s'agit de porter plainte avec constitution de parti civil, de faire des signalements par cas.

  • Speaker #1

    Donc vous essayez de mettre des bâtons dans les roues aux lobbyistes qui ne jouent pas dans les règles. Et est-ce que vous poussez aussi des propositions de loi ou des amendements qui vous sont propres ?

  • Speaker #0

    Oui, on fait nous-mêmes du lobbying, même si on ne fait pas que ça. On fait du lobbying classique, traditionnel. On défend beaucoup, là en ce moment, moi je travaille beaucoup sur les... des propositions de loi, des mesures pour renforcer la transparence du lobbying. Le dernier texte en date qu'on a obtenu, mais qui n'a pour l'instant pas été inscrit à l'ordre du jour, c'est une proposition de loi du député écologiste et vice-président de l'Assemblée nationale, Jérémy Ordenoff. Et sinon, on fait régulièrement, dès qu'il y a un véhicule législatif adapté, des amendements clés en main à envoyer aux parlementaires.

  • Speaker #1

    La proposition de loi de M. Ordenoff, c'est justement pour rendre plus transparentes les actions des lobbyistes, c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'est pour corriger toutes les failles qui existent dans le cadre français qui est issu de la loi Sapin d'hôte 2016. Failles qu'on a eu de cesse de pointer du doigt, de demander la correction, sans succès pour l'instant. Mais on ne désespère pas, parce qu'après tout, faire du plaidoyer, c'est demander tout le temps la même chose. Et un jour, par miracle, il y a une demande qui fonctionne. Mais bon, ça reste très rare.

  • Speaker #1

    Avant cet entretien, on s'était vu en... en visio, pour un premier échange, et tu avais évoqué plusieurs fois une transformation dans ta lecture de la corruption. Et je cite « Avant le Qatargate, je pensais que les valises de billets appartenaient au passé. Aujourd'hui, je n'écarte plus jamais cette hypothèse. » Du coup, est-ce que tu peux parler de ça ? Comment ça a bouleversé ta perception des dérives du lobbying ?

  • Speaker #0

    Oui, alors avant le Qatargate, qui a éclaté en 2022-2023, de mémoire, ce qu'on disait souvent, c'était « La corruption, ça ne passe plus par des valises de billets. Ce n'est pas aussi caricatural que ça. C'est des mécanismes plus subtils. Soit on va passer par des crypto-monnaies, des comptes dans des paradis fiscaux, des montages juridiques très complexes pour masquer les transferts financiers. Ou alors par des mécanismes pas forcément illégaux, d'influence indue avec des recrutements d'anciens fonctionnaires, d'anciens ministres, des argumentaires un peu fallacieux, mais pas complètement mensongers, mais juste un peu déformés, de la nuance, de la subtilité. On arrive au CataRigate, on apprend... que la police belge a mené des perquisitions au domicile d'une vice-présidente du Parlement européen et celui de ses proches, qu'elle a été arrêtée avec son compagnon, et qu'ils ont retrouvé à son domicile et d'autres endroits littéralement des valises de billets avec des centaines de milliers d'euros. Ça a été un immense choc, parce que nous, on ne pensait pas que c'était encore possible aujourd'hui de corrompre des parlementaires européens. juste avec de l'argent liquide. Donc ça nous a amenés à nous remettre un peu en question et à nous dire que non, finalement, tout le travail qui avait été mené dans les années 80-90 de renforcement des mécanismes de répression de la corruption, vraiment, renforcement du code pénal, des moyens, des juges et services d'investigation, tout ça, ce n'était pas suffisant. Et qu'il ne fallait pas écarter d'emblée l'hypothèse qu'un responsable public touche littéralement des valises, des enveloppes de billets.

  • Speaker #1

    C'est intéressant parce que la plupart des invités que je reçois essayent forcément de démonter un peu la caricature ou le fantasme qu'il peut y avoir autour du méchant lobbyiste. Et toi, ce que tu dis, c'est qu'il y a encore énormément d'abus. qu'il ne faut pas être naïf. Est-ce que tu penses que ça pourrait arriver en France ?

  • Speaker #0

    Il y a une enquête aussi en cours en France sur un ancien parlementaire qui est suspecté de corruption via un lobbyiste intermédiaire douteux. Donc oui, il y a littéralement une enquête en cours encore aujourd'hui qui vise un ancien parlementaire. Donc oui, ça peut aussi arriver en France. Après, je reste persuadé que l'essentiel de ce qu'on appelle la corruption au sens large, ça passe toujours... Plus largement par des mécanismes d'influence indu. Donc c'est quoi l'influence indu ? C'est tout ce qui relève en fait de l'illégitimité, mais qui peut être légal. Donc ça peut être par exemple mener une opération de lobbying opaque en déclarant juste le nécessaire à la haute autorité pour la transparence de la vie publique, comme semble l'avoir fait par exemple Nestlé Waters, qui a fait du lobbying a priori, même si c'est possible qu'ils aient manqué à leurs obligations, mais bon voilà, JTP n'a pas donné suite à notre signalement. Ils ont juste déclaré le strict nécessaire à la haute autorité et derrière, ils ont demandé à ce qu'on adapte le cadre légal, réglementaire à leur pratique illégale. Ça, c'est pas légitime comme lobbying. C'est peut-être légal mais c'est pas du tout légitime. Il y a plein d'exemples comme ça qui relèvent de l'influence indue. Je pense que les opérations de lobbying les plus efficaces, elles vont mobiliser ces outils, mais qu'il ne faut pas écarter d'emblée les opérations de corruption pure et dure qui sont à la fois illégitimes et illégales. Après, franchement, c'est pas efficace, les valises de billets c'est pas efficace, qu'est-ce qu'ils ont obtenu les pays mis en cause, donc Maroc Mauritanie, Qatar, dans le Qatar Gate qu'est-ce qu'ils ont obtenu comme décision favorable du Parlement Européen, grâce à ces centaines de milliers d'euros bon a priori pas grand chose des interventions favorables en commission que personne n'a écouté, quelques signatures sur les tribunes, lettres ouvertes bon ça reste à démontrer, il y a le procès qui est toujours en cours, bon c'était pas non plus très très efficace. Ce qui est le plus efficace aujourd'hui, c'est de mener des opérations de communication à 360, de mobiliser tous les relais, et parfois de façon tout à fait légale.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous parler de l'affaire du lobby des pesticides que vous avez contribué à faire sanctionner pour chantage mensonger à l'emploi ?

  • Speaker #0

    C'est une opération qu'on a fait en 2023 avec trois autres ONG environnementales. En janvier 2023... une journaliste d'un média indépendant d'investigation qui a révélé que le lobby français des pesticides, qui s'appelle aujourd'hui Fiteis, avait menti tout simplement aux responsables publics en 2019. À l'époque, le lobby des pesticides s'opposait à l'entrée en vigueur d'une interdiction de production en France de substances pesticides qui étaient déjà interdites d'usage en France, mais qu'on pouvait encore produire en France pour les exporter. à l'étranger, ce qui était une forme d'hypocrisie assez sévère, puisqu'on considère que c'est trop toxique pour les utiliser en France, mais par contre qu'on pouvait aller empoisonner des voisins avec. Le législateur a dit qu'on arrête l'hypocrisie, on interdit la production de ces substances destinées à l'export. Le lobby des pesticides crie, comme tous les lobbys économiques savent le faire, à la suppression d'emplois. Ils disent qu'on va devoir supprimer 2700 emplois directs et 1000 emplois indirects, ça rentre en vigueur avec vos mesures d'angélisme vert. « Soyez réalistes, pensez à l'emploi local » . Ils démarchent, classiques, ils vont démarcher les parlementaires qui ont des usines de pesticides dans leur circonscription, stratégie de lobbying très classique. Les parlementaires déposent des amendements au Sénat pour revenir sur cette interdiction. Les amendements sont adoptés au Sénat, à l'Assemblée nationale, avec le soutien du gouvernement qui réutilise dans son discours ce chiffre magique des 2700 emplois menacés. C'est censuré in extremis par le Conseil constitutionnel. Parce que c'était un cavalier législatif, cet amendement qui réintroduisait l'autorisation de produire ces pesticides. Finalement, c'est interdit, ça entre en vigueur. La journaliste investigue en 2023 et elle se rend compte qu'aucune des usines qui étaient présentées comme menacées n'a supprimé le moindre emploi. Donc voilà, nous, on repère ça. On se dit, là, c'est rare, en fait, de trouver un cas de lobbying où on est sûr que l'argument a été mensonger. C'est très rare, parce que déjà, souvent, on n'a même pas accès à l'argumentaire, puisqu'en fait, les documents de lobbying ne sont pas rendus publics. Donc on n'a même pas de matière à expertiser. Là, il se trouve que la presse avait publié à l'époque des courriers du lobby qui mentionnaient cet argument. On a fait un signalement à l'Assemblée nationale et au Sénat, puisque beaucoup de lobbyistes l'oubliaient à l'époque, mais dans les codes de déontologie des représentants d'intérêt à l'Assemblée, au Sénat et aussi auprès des ministres et des élus locaux, il y a une disposition qui interdit de défendre ses intérêts en utilisant des éléments destinés à volontairement induire en erreur les responsables publics.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on risque vraiment quelque chose quand on se fait attraper comme ici ?

  • Speaker #0

    Pas grand-chose, en réalité. Là, en l'occurrence, on a obtenu... Parce que Fintéis a été très mauvais dans ses réponses aux sénateurs. Ils ont été mis en demeure. C'est la sanction, c'est un manquement déontologique, c'est pas du pénal. Donc ils ont été mis en demeure par Gérard Larcher et ensuite par Yann Lebrun-Pivet. C'est juste du name and shame. Comme c'est pas du pénal, il n'y a pas de peine de prison, il n'y a pas d'amende. Après, je pense que c'est quand même efficace pour un lobby, parce que le capital d'un lobby le plus précieux, c'est son capital confiance. C'est sa crédibilité, son expertise qui peut faire valoir auprès des responsables publics. Je pense que ça a écorné ce capital confiance du lobby des pesticides. Mais je pense qu'il y a d'autres leviers qu'on peut continuer d'actionner sur d'autres sujets, notamment le greenwashing, où là on peut aller au pénal sur le terrain judiciaire.

  • Speaker #1

    Comment ça se fait ? Pourquoi on peut aller plus loin sur le greenwashing ?

  • Speaker #0

    Là, en ce moment, ce qui est tenté par d'autres ONG, c'est d'actionner le levier de la pratique commerciale trompeuse. Pour sanctionner des entreprises qui font du greenwashing, alors pas nécessairement dans leur lobbying direct auprès des responsables publics, mais plutôt dans leur communication auprès du grand public. À la rentrée, il y a le procès de Total Energy, notamment été initié par Greenpeace et d'autres ONG. Sur ce fondement-là, on verra s'ils sont condamnés ou pas. Et s'ils le sont, ça va élargir la jurisprudence sur le terrain judiciaire.

  • Speaker #1

    Donc quand ce n'est pas du lobbying, mais de la communication, il y a plus de sanctions potentielles ?

  • Speaker #0

    Pour l'instant, l'état actuel de la jurisprudence, oui. Parce que surtout le juge, il a plus d'éléments à expertiser, à juger en matière de communication grand public. Parce qu'en matière de lobbying, malheureusement, aujourd'hui, il n'y a pas d'obligation de publier les documents in extenso qui ont été envoyés aux responsables publics. Donc, on a du mal à contre-expertiser ces éléments.

  • Speaker #1

    Alors, sur d'autres terrains, vous avez récemment travaillé sur un rapport comparant les moyens financiers des ONG et des lobbies lucratifs. À quoi ça ressemble ? Est-ce que c'est le David contre Goliath qu'on peut attendre ?

  • Speaker #0

    Oui. Ce qu'on a trouvé, c'est qu'on avait en gros une différence de... 1 à 7 en termes de dépenses de lobbying entre les lobbies à but lucratif, donc en gros les entreprises et leurs fédérations représentatives, et les lobbies à but non lucratif, donc en gros les ONG, l'ESS. Donc voilà, on a trouvé qu'il y avait 7 fois plus d'argent qui était dépensé par ces lobbies à but économique pour défendre leurs intérêts. Tout simplement parce qu'il y a beaucoup plus aujourd'hui de lobbies à but économique. En gros, il y a 85% des lobbies qui sont déclarées à l'Auto-Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. ils représentent un intérêt économique. Et on n'a que 15% de lobbies qui représentent des intérêts non économiques. Et on retrouve aussi ces différences en termes de nombre de lobbyistes employés, où là, la différence est de l'ordre de 9. C'est-à-dire qu'il y a 9 fois plus de lobbyistes qui sont employés par ces entreprises, ces fédérations économiques, par rapport aux lobbyistes, aux chargés de plaidoyer, comme moi, employés par des ONG.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a un espoir de rééquilibrage ? Par exemple, je ne sais pas, plus de subventions pour l'autre camp ? Ou au contraire ? Je ne sais pas. Économiquement, est-ce qu'il y a une manière de taxer l'un pour reverser à l'autre ?

  • Speaker #0

    Nous, ce qu'on propose déjà, c'est qu'effectivement, il y ait plus de subventions publiques pour les ONG. Parce que nous, on ne peut pas lever des fonds pour défendre l'intérêt général. On peut lever des fonds à travers les dons que nous font les personnes physiques, à travers les dons que nous font des personnes morales. Mais c'est la lutte contre la corruption. Il n'y a pas de chiffre d'affaires derrière. Si on arrive à notre finalité, c'est-à-dire à faire disparaître totalement la corruption dans le monde, ce qui n'arrivera pas, mais si, par hasard, on y arrive, là on n'aura pas plus de chiffre d'affaires, on va juste fermer tout simplement l'ONG.

  • Speaker #1

    Est-ce que comme pendant les élections, c'est pas respecté dès le début, mais on pourrait dire qu'il y a un temps de parole égal entre chaque camp et une exposition égale entre chaque... Défense d'intérêts, est-ce que ça pourrait...

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce qu'on aimerait sur les consultations, par exemple, en amont l'élaboration d'une décision publique. On aimerait que les pouvoirs publics veillent volontairement déjà à au moins une égalité de consultation entre les intérêts économiques et non économiques. Ça nous semble être la moindre des choses. Et d'ailleurs, il y a même des sujets où l'égalité stricte n'est même pas souhaitable. Par exemple, il y a une charte au niveau mondial de l'Organisation mondiale pour la santé, l'OMS, Merci. qui interdit aux entreprises du tabac de faire du lobbying sur des sujets de santé publique et de prévention du tabagisme. Donc là, les États se sont mis d'accord pour vraiment ne même pas autoriser l'égalité de temps de parole entre ONG et entreprises et pour vraiment bannir les entreprises, les représentants des intérêts économiques du tabac, des discussions sur les politiques de santé publique. On pense qu'au moins l'égalité, c'est la moindre des choses, voire même sur certains sujets. on peut viser une interdiction pure et dure du lobbying des intérêts économiques.

  • Speaker #1

    Si tu avais une réforme prioritaire que tu pousserais si tu en avais le pouvoir, est-ce que ce serait celle-là ou est-ce qu'il y a d'autres priorités encore ?

  • Speaker #0

    Oui, il y a ça. Il y a s'assurer qu'il y ait une égalité au moins à minima dans les consultations des responsables publics, qu'il y ait des obligations de consultation ouvertes en amont de l'élaboration des projets de loi ou des décrets. Systématiquement, ça nous semble être la moindre des choses aussi, parce qu'aujourd'hui, l'exécutif, ça reste une énorme boîte noire, davantage que le Parlement. Alors même que la tension médiatique et publique, souvent, elle est concentrée sur le Parlement. Quand les textes de loi, ils arrivent dans la navette parlementaire, c'est généralement à ce moment-là que les médias en parlent le plus, à ce moment-là qu'il y a des manifestations. C'est ce qui s'est passé pour la loi Duplon, par exemple. Alors, c'est une exception à la loi Duplon, parce que c'est une proposition de loi. Mais généralement, là où le lobbying est le plus efficace et malheureusement le plus opaque, c'est quand c'est en cours d'élaboration dans les ministères, quand il y a des projets de loi, des décrets qui sont rédigés dans les ministères.

  • Speaker #1

    Et comment on fait pour ouvrir la boîte noire à ce moment-là ? Est-ce qu'il y a déjà des pistes de réflexion, des choses qu'on pourrait activer ?

  • Speaker #0

    Oui, déjà faire des consultations publiques plus systématiques, de façon même quasiment obligatoire pour chaque décret qui soit élaboré, pour chaque projet de loi qui soit élaboré. Il y a eu des cas dans le passé, il y a eu la loi République numérique en 2016, il y avait eu une grande consultation en ligne, chacun pouvait amener un amendement, un commentaire sur le texte de loi. Au niveau européen, il y a ce qu'on appelle les Better Regulation Guidelines qui... qui imposent, en théorie, à la Commission européenne de faire des consultations ouvertes, publiques, équitables, transparentes. En pratique, ces derniers temps, la Commission européenne s'est un peu assise sur ces Better Regulation Guidelines, qui ont quand même le mérite d'exister.

  • Speaker #1

    Alors, si ça te convient, on va passer à la séquence vrai-faux.

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #1

    Je vais te dénoncer trois phrases et tu réponds par vrai ou faux. Tu peux développer si tu le souhaites, évidemment. La première phrase, plaidoyer et lobbying, c'est pareil.

  • Speaker #0

    Faux.

  • Speaker #1

    Quelle est la différence majeure, d'après toi ? Parce que, justement, j'ai reçu, ici, Jordan Allouche. qui travaille à Ecoloobie, et lui se revendique comme lobbyiste écologique pour, je cite, « aller sur leur terrain et essayer de les battre sur leur terrain » .

  • Speaker #0

    Il y a trois stades dans cette question qui est un peu l'arlésienne des affaires publiques. Premier stade, on se dit non, le lobbying et le plaidoyer, ce n'est pas la même chose, parce que le lobbying, c'est pour des intérêts particuliers, le plaidoyer, c'est pour l'intérêt général. Bon, ce n'est pas aussi simple que ça. Déjà, c'est très compliqué de définir qu'est-ce que l'intérêt général, qu'est-ce qu'un intérêt particulier, même si je pense qu'il y a une différence. Donc, deuxième stade de la réflexion, on se dit « Bon, finalement, c'est pareil. Moi, je ne suis pas naïf. Je sais que le plaidoyer et le lobbying, c'est la même chose. » C'est un discours qui est souvent défendu par des lobbyistes du secteur privé qui travaillent pour des entreprises. Je pense que ce n'est pas satisfaisant parce que c'est un discours qui vise à tout relativiser et aussi à laisser penser que le terrain politico-médiatique, le terrain de jeu des lobbyistes, c'est un peu comme un... un traitoire lors d'un procès. C'est-à-dire que chaque partie civile, chaque victime a droit à son avocat, donc à son lobbyiste, qu'il y a des procédures, que chacun plaide sa cause et qu'à la fin, le responsable public, c'est comme un juge, il va trancher le juste milieu et il va prendre la bonne décision en fonction des plaidoiries de chaque avocat, de chaque lobbyiste. Ça, c'est une analogie qui n'est pas pertinente parce que dans un tribunal, il y a un ensemble de procédures qui font qu'il n'y a vraiment pas de distorsion, normalement, dans la représentation de chaque partie prenante. Le terrain politico-médiatique, ce n'est pas un tribunal, c'est la jungle. C'est celui, souvent, qui a le plus d'argent, qui a le plus de moyens de défendre sa cause. Tous les coups sont permis, même s'il y a des règles déontologiques et légales. Ce n'est pas comme dans un procès. Il y a beaucoup de coups qui sont permis, beaucoup plus. et l'argent. ne permet pas tout, mais facilite grandement la défense des causes. Et je ne pense pas que l'intérêt général, ce soit le juste milieu entre les défenseurs, les gens qui se font de l'argent en vendant des pesticides, et les victimes du cancer, qui n'ont pas d'argent pour défendre leurs causes. Je pense qu'il y a un moment où le juge, l'inspecteur public, doit prendre parti. Donc je pense qu'il y a une différence entre l'intérêt général et les intérêts particuliers. Ça, c'est la distinction de plaidoyer-lobbing. Sur la finalité, il y a aussi une différence d'outils à mobiliser. Je pense que quand on fait du plaidoyer en ONG, on peut mobiliser des outils qui sont différents des outils du lobbying. Même si le lobbying fait partie de la palette, il y a aussi des outils de mobilisation citoyenne qui ne sont pas accessibles aux lobbyistes d'entreprise. Pour ces raisons, je pense qu'il faut faire la distinction entre les deux.

  • Speaker #1

    La deuxième phrase, on peut faire du lobbying propre, mais pas du lobbying neutre.

  • Speaker #0

    Vrai. Le lobbying, c'est par définition forcément orienté. Le lobbying, ce n'est pas la science. d'ailleurs... Quand le lobbying essaie de se faire passer pour la science, c'est mauvais signe. C'est qu'il y a un problème, généralement. Donc non, non, il faut assumer les intérêts qu'on représente, être très transparent dessus, et ne jamais prétendre représenter une sorte d'objectivité, de vérité absolue. Parce que généralement, enfin même systématiquement, quand un lobbyiste prétend défendre une vérité absolue, il est dans la manipulation.

  • Speaker #1

    Et la dernière phrase, il n'y a jamais eu autant de transparence dans les institutions qu'aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est compliqué. Oui, mais ce n'est pas suffisant. Oui, si on prend du recul historique à ce réel long terme et qu'on fait de l'histoire de façon très amateur, oui, clairement, les régimes démocratiques qui sont assez récents dans l'histoire de l'humanité, ils sont quand même globalement plus transparents que les précédents régimes qu'on avait pu avoir. et depuis la naissance de la démocratie, sa généralisation, on a quand même... avec le numérique, plus d'outils pour avoir accès à l'information. Ça ne veut pas dire que c'est suffisant pour autant. Il y a toujours des grandes boîtes noires qui subsistent. L'exécutif, c'est toujours une immense boîte noire, alors même qu'il y a les moyens techniques... beaucoup plus transparente sur sa prise de décision. Il y a toujours une vraie volonté d'opacité dans les ministères. Il y a cette idée qui subsiste, qui consiste à penser que la bonne décision publique, c'est d'abord à l'ombre, parce que finalement, l'attention médiatique, ça apporte une pollution, ça apporte de l'irrationalité, et qu'un bon fonctionnaire prend sa décision dans l'ombre, sur la base d'éléments rationnels, scientifiques, qui en réalité... ne sortent pas de nulle part, peuvent être produits par des intérêts particuliers, peuvent faire l'objet de manipulations. Et nous, on pense que pour éviter ces biais-là, il faut plus de transparence.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il reste un espoir pour que la transparence progresse vraiment dans les prochaines années ?

  • Speaker #0

    Oui, je n'ai pas d'autre choix que...

  • Speaker #1

    Toi, à titre personnel, est-ce que tu es confiant ? Comment tu vois le futur proche ? Est-ce qu'il y a des motifs d'espoir ou des motifs de réjouissance, des dossiers sur lesquels vous espérez gagner prochainement ?

  • Speaker #0

    Malheureusement, non. On a passé la grande décennie de la transparence. C'était un peu les années 2010. Il y a eu un mouvement mondial. A l'époque, c'était l'ouverture des données, l'open data, le gouvernement ouvert. Grâce au numérique, on va vraiment ouvrir la décision publique aux citoyens. On va changer la façon de faire les choses. Ce mouvement s'est un peu essoufflé aujourd'hui. Malheureusement, ce qui se passe, c'est qu'en tous les domaines, on recule. Je ne pense pas que ce soit fichu pour autant.

  • Speaker #1

    mais clairement le contexte il est moins favorable qu'il y a une dizaine d'années donc tu formes la prochaine génération d'acteurs publics est-ce que tu as un conseil à donner pour quelqu'un qui se lance dans le plaidoyer aujourd'hui ou un conseil que tu aurais aimé avoir quand tu t'es lancé toi-même ?

  • Speaker #0

    déjà c'est de ne pas penser qu'on peut faire ce métier seulement pour l'argent on ne peut pas être complètement cynique quand on fait des affaires publiques c'est un métier qui n'est pas comme les autres c'est un métier quand même où on a... un pouvoir qui est assez grand, même si à la fin, c'est le responsable public, c'est le parlementaire, c'est le ministre qui tranche. Il ne faut pas se réfugier derrière ce responsable public pour se dédouaner des décisions qui sont prises. On a forcément une influence et une responsabilité dans les décisions qui sont prises. Donc, il faut croire un minimum dans ce qu'on défend. Je ne pense pas qu'on puisse être totalement cynique. Et après, deuxième recommandation, je ne pense pas qu'il faille une expertise très poussée pour faire des affaires publiques, du lobbying. Je vais me tirer une balle dans le pied, mais je ne pense pas que les professions des affaires publiques doivent être réservées à des gens qui ont fait des masters de lobbying, d'affaires publiques. En réalité, c'est assez simple de faire des affaires publiques et je pense que le plus important, c'est d'une part de croire en ce qu'on défend et d'autre part d'avoir une vraie expertise sur le sujet qu'on défend.

  • Speaker #1

    Kevin, on arrive bientôt à la fin de cet épisode. Est-ce qu'il y a un sujet que tu voudrais... voulais développer, que tu n'as pas encore eu le temps d'aborder ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Parfait. Et pour conclure, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager ?

  • Speaker #0

    Beaucoup de films sur le lobbying. Un que j'avais bien aimé, c'était Miss Sloan, je crois. Sur une lobbyiste à Washington. C'est un thriller, mais c'est plutôt bien fait.

  • Speaker #1

    Génial. Merci beaucoup, Kevin.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Salut. Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le cofondateur de l'SJ Watch, la plateforme qui vous aide dans votre veille institutionnelle. A bientôt.

Description

« Où finit le plaidoyer légitime et où commence l’influence toxique ? »


Ancien collaborateur parlementaire et juriste formé au lobbying, Kévin Gernier est aujourd’hui responsable du plaidoyer chez Transparency International France.


Dans cet épisode, il raconte comment il est passé des bancs de Sciences Po Bordeaux à la lutte contre la corruption, pour défendre une idée simple mais exigeante : la transparence comme condition du pouvoir démocratique.


De la loi Sapin II au “Qatargate”, des valises de billets aux codes déontologiques des représentants d’intérêts, Kévin dévoile les zones grises du lobbying et plaide pour un cadre plus équitable entre ONG et grands groupes.


Avec lui, on parle de :


  • Comment est né le registre français du lobbying à la HATVP

  • Le rapport de force entre ONG et intérêts économiques

  • Les dérives du greenwashing et des arguments mensongers

  • La différence entre lobbying et plaidoyer

  • Et de cette conviction : « Le capital d’un lobby, c’est sa confiance. »

Un échange lucide et sans cynisme sur l’éthique, le pouvoir et la fabrique de l’influence.


Vous pouvez contacter Pierre sur Linkedin.

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Transcription

  • Speaker #0

    Je pense que le plus important, c'est d'une part de croire en ce qu'on défend et d'autre part d'avoir une vraie expertise sur le sujet qu'on défend. Le capital d'un lobby le plus précieux, c'est son capital confiance. On pense qu'au moins l'égalité c'est la moindre des choses, et voire même sur certains sujets, on peut viser une interdiction pure et dure du lobbying des intérêts économiques.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle Légit Watch, et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui, je reçois Kevin Jarnier, responsable du plaidoyer chez Transparency International France, juriste, ancien collaborateur à l'Assemblée Nationale, formé au lobbying, Il enseigne aujourd'hui à Sciences Po Bordeaux et consacre son action à une question centrale pour notre démocratie. Où finit le plaidoyer légitime et où commence l'influence toxique ? Salut Kevin.

  • Speaker #0

    Salut.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux ajouter quelque chose à cette courte description ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai rien à ajouter.

  • Speaker #1

    Parfait, alors t'es passé par l'Assemblée Nationale, puis la Haute Autorité pour la Transparence, avant de rejoindre Transparency en 2019. Qu'est-ce qui a motivé ton engagement dans la lutte contre la corruption et du coup pour la transparence ?

  • Speaker #0

    C'était un des premiers sujets auxquels je me suis intéressé. Je suis rentré après ma prépa à l'IEP de Bordeaux en me disant que j'allais passer des concours de la fonction publique. que j'avais travaillé pour l'intérêt général et puis j'ai eu la flemme de repasser des concours et j'ai vu ce master qui était dédié au lobbying à l'IEP de Bordeaux. Je me suis dit pourquoi pas c'est un peu une façon de court-circuiter les concours administratifs où on passe, on travaille beaucoup ensuite on est un technocrate dans un bureau et en fin de carrière on peut éventuellement espérer commencer à toucher à des enjeux plus politiques là en faisant du lobbying on se retrouve directement en prise avec les enjeux les plus politiques C'est génial, on n'a que le bon côté des sujets et pas les mauvais côtés. Donc j'y suis allé, je me suis rendu compte que je n'avais pas forcément envie de travailler tout de suite pour des intérêts lucratifs, même si je ne les diabolise pas et je considère qu'ils ont droit d'avoir des lobbyistes et de faire du lobbying. Donc je me suis intéressé à ce sujet de transparence, du lobbying et d'encadrement qui commençait à émerger à l'époque, parce qu'on était en 2016, il y avait la loi Sapin 2 qui était en train d'être adoptée. C'est comme ça que je me suis retrouvé d'abord à faire un stage aux autorités pour la transparence de la vie publique, au moment où ils mettaient en œuvre le répertoire de transparence du lobbying. Et c'était marrant de voir comment un service administratif galérait à transformer en outil numérique concret des textes juridiques. Parce qu'il y avait un temps qui était très restreint, des consignes du législateur et ensuite du pouvoir réglementaire. qui était parfois un peu flou ou contradictoire, et il fallait en deux mois transformer ça en site internet opérationnel pour que les lobbyistes puissent s'enregistrer. Donc c'était super intéressant de voir de l'intérieur.

  • Speaker #1

    Comment vous avez fait ça ? C'est toi qui as participé ?

  • Speaker #0

    Moi je suis juste stagiaire, mais je travaillais avec le responsable de la mise en œuvre du répertoire, et ça avait été internalisé à l'époque, il y avait un service informatique interne à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, et nous on faisait la maîtrise d'œuvre, c'est comme ça qu'on dit je crois dans le milieu. Donc on leur avait des petits tickets, moi j'ai appris à travailler avec des développeurs, ils nous disaient on ne comprend pas, c'est compliqué les tickets, on ne peut pas faire ça, c'est beaucoup plus compliqué que ce que vous pensez. On s'engueulait, il y avait des allers-retours et à la fin on avait quand même un truc qui était opérationnel. C'était rigolo à voir de l'intérieur parce que là on est vraiment sur le concret de l'action publique et on dit souvent que dans le secteur public il n'y a pas de culture, du numérique, pas d'agilité. Là quand même ils ont réussi en temps terrestre à sortir quelque chose d'opérationnel. Donc non, je ne pense pas qu'il y ait de manque de culture dans le secteur public. Et ensuite, je me suis retrouvé à l'Assemblée nationale, parce que j'avais envie de voir les coulisses de la fabrique du droit. Et ensuite, mon premier emploi, je l'ai trouvé à Transparency International France, après une petite période de chômage.

  • Speaker #1

    Est-ce que, quand tu as choisi de rentrer dans les études de lobbying, est-ce que c'était dans le cadre d'un engagement militant déjà, ou par curiosité, qu'est-ce qui t'a amené là ?

  • Speaker #0

    La curiosité pour la fabrique des politiques publiques, la curiosité pour comment on transforme souvent des demandes assez vagues, parfois confuses, contradictoires des électeurs, des associations, du public, des entreprises, des élus eux-mêmes, en politiques publiques concrètes, et tous les intérêts contradictoires, divergents, qu'ils discutent entre eux pour les mettre en œuvre. Ensuite, sur la question du militantisme, c'est un vrai débat en ONG. Est-ce que quand on est salarié d'une ONG, on est militant ? Moi, j'ai des collègues qui ne se considèrent pas du tout comme militants. Ils sont salariés d'une association et ils appliquent les consignes qui sont émises par le conseil d'administration bénévole de l'association. Parce qu'en fait, si on se considère à 100% militant quand on est salarié d'une ONG, ce n'est pas très sain, parce qu'on reste salarié. Le fonctionnement des associations loi 1900, ça reste normalement un fonctionnement par principe non lucratif. Les salariés sont là pour aider la mise en œuvre de l'objet social de l'association, mais l'association doit rester gouvernée par des administrateurs, un président, des bénévoles, qui sont totalement non rémunérés. Moi, je suis un peu entre les deux, parce qu'au bout d'un moment, quand on finit par travailler pendant longtemps sur un sujet, on finit forcément par le prendre à cœur, même dès le début. Il faut savoir, je trouve, un peu parfois réfréner son engagement militant et mettre plutôt son énergie militante dans d'autres structures. Moi, je trouve que c'est important de s'engager bénévolement à côté dans des assos, des partis politiques, pourquoi pas, sur son temps libre, et de ne pas vraiment fusionner son engagement militant avec sa vie salariée et son gagne-pain.

  • Speaker #1

    Alors tu as été amené à former des étudiants à Sciences Po Bordeaux sur les questions d'éthique et de lobbying. Qu'est-ce que tu essaies de leur transmettre ? À quoi ça ressemble un cours de Kevin Jarnier ?

  • Speaker #0

    J'essaie de leur transmettre des grilles d'analyse pour analyser des situations qui ne sont ni blanches ni noires, parce que c'est toujours un peu gris ces situations de dilemmes moraux, éthiques ou même juridiques. Le droit n'apporte pas de réponse absolue sur tous les cas. Souvent on a l'idée que le droit c'est vraiment une... Une grande machine qui donne toujours la même réponse à partir de paramètres constants. Pas vraiment, c'est plutôt une grille d'analyse qui permet de céder, s'orienter dans certaines situations, mais qui ne dispense pas de réfléchir. Après, je leur apprends à faire distinction entre les types d'argumentaires. Est-ce que c'est juridique ? Est-ce que c'est pénal ? Est-ce que c'est déontologique ? Ou est-ce que c'est moral ? Et on a le droit d'avoir une analyse morale quand il s'agit de corruption. On a le droit de dire, là, c'est peut-être légal, mais moi, je trouve que c'est pas bien, pas moral. Et je trouve qu'il faudrait mettre un terme à cette situation, soit en la rendant illégale, soit en comptant sur la responsabilité des acteurs pour y mettre un terme. Après, les étudiants, généralement, quand ils s'engagent dans des masters de lobbying, malheureusement, ils sont parfois déjà un peu cyniques. Et j'essaye de susciter leur indignation pour m'assurer qu'il y a bien une conscience morale et qu'ils ne font pas ça uniquement pour l'argent. et je ne crois pas qu'il n'y en ait aucun qui fasse ça uniquement pour l'argent. Je pense que la plupart des gens qui s'intéressent aux affaires publiques, ils le font fondamentalement par curiosité intellectuelle.

  • Speaker #1

    Et du coup, toi, pour rentrer dans le vif de ton quotidien, chez Transparency International, Qu'est-ce que vous faites exactement ? Est-ce que vous poussez évidemment pour plus de transparence, mais est-ce que vous enquêtez sur des sujets ou des dossiers qui paraissent trop opaques ?

  • Speaker #0

    On n'enquête pas directement parce qu'en France, on a une presse indépendante d'investigation de qualité. J'ai des collègues dans d'autres sections de transparence internationale à travers le monde qui font davantage d'enquêtes parce qu'ils sont dans des pays plus autoritaires avec moins de presse d'investigation. Donc ils doivent faire ce travail, quasiment faire le travail d'un média. et d'une ONG en même temps. En France, on n'a pas besoin de faire ça, heureusement. Nous, on va plutôt transformer la matière des journalistes en recommandations de plaidoyer concrètes, et on va monter en généralité. C'est ce qu'on a fait, par exemple, sur le lobby des pesticides en 2023. On n'a pas fait l'enquête qui a montré que le lobby des pesticides, donc Fiteis, avait utilisé des arguments mensongers pour défendre sa cause. une journaliste indépendante qui a fait l'enquête. Nous, on a lu l'enquête et on a transformé cette matière d'investigation. On a utilisé une grille d'analyse qui était le code de déontologie des représentants d'intérêt à l'Assemblée nationale et au Sénat pour dire que ce problème qui est soulevé par une journaliste seulement sous l'angle moral pour l'instant, nous on pense que ça relève aussi d'un manquement déontologique. Donc on avait fait un signalement qui avait mené à une mise en demeure du lobby des pesticides. Nous, on est plutôt un intermédiaire entre les journalistes et les pouvoirs publics. voir les pouvoirs judiciaires quand il s'agit de porter plainte avec constitution de parti civil, de faire des signalements par cas.

  • Speaker #1

    Donc vous essayez de mettre des bâtons dans les roues aux lobbyistes qui ne jouent pas dans les règles. Et est-ce que vous poussez aussi des propositions de loi ou des amendements qui vous sont propres ?

  • Speaker #0

    Oui, on fait nous-mêmes du lobbying, même si on ne fait pas que ça. On fait du lobbying classique, traditionnel. On défend beaucoup, là en ce moment, moi je travaille beaucoup sur les... des propositions de loi, des mesures pour renforcer la transparence du lobbying. Le dernier texte en date qu'on a obtenu, mais qui n'a pour l'instant pas été inscrit à l'ordre du jour, c'est une proposition de loi du député écologiste et vice-président de l'Assemblée nationale, Jérémy Ordenoff. Et sinon, on fait régulièrement, dès qu'il y a un véhicule législatif adapté, des amendements clés en main à envoyer aux parlementaires.

  • Speaker #1

    La proposition de loi de M. Ordenoff, c'est justement pour rendre plus transparentes les actions des lobbyistes, c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'est pour corriger toutes les failles qui existent dans le cadre français qui est issu de la loi Sapin d'hôte 2016. Failles qu'on a eu de cesse de pointer du doigt, de demander la correction, sans succès pour l'instant. Mais on ne désespère pas, parce qu'après tout, faire du plaidoyer, c'est demander tout le temps la même chose. Et un jour, par miracle, il y a une demande qui fonctionne. Mais bon, ça reste très rare.

  • Speaker #1

    Avant cet entretien, on s'était vu en... en visio, pour un premier échange, et tu avais évoqué plusieurs fois une transformation dans ta lecture de la corruption. Et je cite « Avant le Qatargate, je pensais que les valises de billets appartenaient au passé. Aujourd'hui, je n'écarte plus jamais cette hypothèse. » Du coup, est-ce que tu peux parler de ça ? Comment ça a bouleversé ta perception des dérives du lobbying ?

  • Speaker #0

    Oui, alors avant le Qatargate, qui a éclaté en 2022-2023, de mémoire, ce qu'on disait souvent, c'était « La corruption, ça ne passe plus par des valises de billets. Ce n'est pas aussi caricatural que ça. C'est des mécanismes plus subtils. Soit on va passer par des crypto-monnaies, des comptes dans des paradis fiscaux, des montages juridiques très complexes pour masquer les transferts financiers. Ou alors par des mécanismes pas forcément illégaux, d'influence indue avec des recrutements d'anciens fonctionnaires, d'anciens ministres, des argumentaires un peu fallacieux, mais pas complètement mensongers, mais juste un peu déformés, de la nuance, de la subtilité. On arrive au CataRigate, on apprend... que la police belge a mené des perquisitions au domicile d'une vice-présidente du Parlement européen et celui de ses proches, qu'elle a été arrêtée avec son compagnon, et qu'ils ont retrouvé à son domicile et d'autres endroits littéralement des valises de billets avec des centaines de milliers d'euros. Ça a été un immense choc, parce que nous, on ne pensait pas que c'était encore possible aujourd'hui de corrompre des parlementaires européens. juste avec de l'argent liquide. Donc ça nous a amenés à nous remettre un peu en question et à nous dire que non, finalement, tout le travail qui avait été mené dans les années 80-90 de renforcement des mécanismes de répression de la corruption, vraiment, renforcement du code pénal, des moyens, des juges et services d'investigation, tout ça, ce n'était pas suffisant. Et qu'il ne fallait pas écarter d'emblée l'hypothèse qu'un responsable public touche littéralement des valises, des enveloppes de billets.

  • Speaker #1

    C'est intéressant parce que la plupart des invités que je reçois essayent forcément de démonter un peu la caricature ou le fantasme qu'il peut y avoir autour du méchant lobbyiste. Et toi, ce que tu dis, c'est qu'il y a encore énormément d'abus. qu'il ne faut pas être naïf. Est-ce que tu penses que ça pourrait arriver en France ?

  • Speaker #0

    Il y a une enquête aussi en cours en France sur un ancien parlementaire qui est suspecté de corruption via un lobbyiste intermédiaire douteux. Donc oui, il y a littéralement une enquête en cours encore aujourd'hui qui vise un ancien parlementaire. Donc oui, ça peut aussi arriver en France. Après, je reste persuadé que l'essentiel de ce qu'on appelle la corruption au sens large, ça passe toujours... Plus largement par des mécanismes d'influence indu. Donc c'est quoi l'influence indu ? C'est tout ce qui relève en fait de l'illégitimité, mais qui peut être légal. Donc ça peut être par exemple mener une opération de lobbying opaque en déclarant juste le nécessaire à la haute autorité pour la transparence de la vie publique, comme semble l'avoir fait par exemple Nestlé Waters, qui a fait du lobbying a priori, même si c'est possible qu'ils aient manqué à leurs obligations, mais bon voilà, JTP n'a pas donné suite à notre signalement. Ils ont juste déclaré le strict nécessaire à la haute autorité et derrière, ils ont demandé à ce qu'on adapte le cadre légal, réglementaire à leur pratique illégale. Ça, c'est pas légitime comme lobbying. C'est peut-être légal mais c'est pas du tout légitime. Il y a plein d'exemples comme ça qui relèvent de l'influence indue. Je pense que les opérations de lobbying les plus efficaces, elles vont mobiliser ces outils, mais qu'il ne faut pas écarter d'emblée les opérations de corruption pure et dure qui sont à la fois illégitimes et illégales. Après, franchement, c'est pas efficace, les valises de billets c'est pas efficace, qu'est-ce qu'ils ont obtenu les pays mis en cause, donc Maroc Mauritanie, Qatar, dans le Qatar Gate qu'est-ce qu'ils ont obtenu comme décision favorable du Parlement Européen, grâce à ces centaines de milliers d'euros bon a priori pas grand chose des interventions favorables en commission que personne n'a écouté, quelques signatures sur les tribunes, lettres ouvertes bon ça reste à démontrer, il y a le procès qui est toujours en cours, bon c'était pas non plus très très efficace. Ce qui est le plus efficace aujourd'hui, c'est de mener des opérations de communication à 360, de mobiliser tous les relais, et parfois de façon tout à fait légale.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous parler de l'affaire du lobby des pesticides que vous avez contribué à faire sanctionner pour chantage mensonger à l'emploi ?

  • Speaker #0

    C'est une opération qu'on a fait en 2023 avec trois autres ONG environnementales. En janvier 2023... une journaliste d'un média indépendant d'investigation qui a révélé que le lobby français des pesticides, qui s'appelle aujourd'hui Fiteis, avait menti tout simplement aux responsables publics en 2019. À l'époque, le lobby des pesticides s'opposait à l'entrée en vigueur d'une interdiction de production en France de substances pesticides qui étaient déjà interdites d'usage en France, mais qu'on pouvait encore produire en France pour les exporter. à l'étranger, ce qui était une forme d'hypocrisie assez sévère, puisqu'on considère que c'est trop toxique pour les utiliser en France, mais par contre qu'on pouvait aller empoisonner des voisins avec. Le législateur a dit qu'on arrête l'hypocrisie, on interdit la production de ces substances destinées à l'export. Le lobby des pesticides crie, comme tous les lobbys économiques savent le faire, à la suppression d'emplois. Ils disent qu'on va devoir supprimer 2700 emplois directs et 1000 emplois indirects, ça rentre en vigueur avec vos mesures d'angélisme vert. « Soyez réalistes, pensez à l'emploi local » . Ils démarchent, classiques, ils vont démarcher les parlementaires qui ont des usines de pesticides dans leur circonscription, stratégie de lobbying très classique. Les parlementaires déposent des amendements au Sénat pour revenir sur cette interdiction. Les amendements sont adoptés au Sénat, à l'Assemblée nationale, avec le soutien du gouvernement qui réutilise dans son discours ce chiffre magique des 2700 emplois menacés. C'est censuré in extremis par le Conseil constitutionnel. Parce que c'était un cavalier législatif, cet amendement qui réintroduisait l'autorisation de produire ces pesticides. Finalement, c'est interdit, ça entre en vigueur. La journaliste investigue en 2023 et elle se rend compte qu'aucune des usines qui étaient présentées comme menacées n'a supprimé le moindre emploi. Donc voilà, nous, on repère ça. On se dit, là, c'est rare, en fait, de trouver un cas de lobbying où on est sûr que l'argument a été mensonger. C'est très rare, parce que déjà, souvent, on n'a même pas accès à l'argumentaire, puisqu'en fait, les documents de lobbying ne sont pas rendus publics. Donc on n'a même pas de matière à expertiser. Là, il se trouve que la presse avait publié à l'époque des courriers du lobby qui mentionnaient cet argument. On a fait un signalement à l'Assemblée nationale et au Sénat, puisque beaucoup de lobbyistes l'oubliaient à l'époque, mais dans les codes de déontologie des représentants d'intérêt à l'Assemblée, au Sénat et aussi auprès des ministres et des élus locaux, il y a une disposition qui interdit de défendre ses intérêts en utilisant des éléments destinés à volontairement induire en erreur les responsables publics.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on risque vraiment quelque chose quand on se fait attraper comme ici ?

  • Speaker #0

    Pas grand-chose, en réalité. Là, en l'occurrence, on a obtenu... Parce que Fintéis a été très mauvais dans ses réponses aux sénateurs. Ils ont été mis en demeure. C'est la sanction, c'est un manquement déontologique, c'est pas du pénal. Donc ils ont été mis en demeure par Gérard Larcher et ensuite par Yann Lebrun-Pivet. C'est juste du name and shame. Comme c'est pas du pénal, il n'y a pas de peine de prison, il n'y a pas d'amende. Après, je pense que c'est quand même efficace pour un lobby, parce que le capital d'un lobby le plus précieux, c'est son capital confiance. C'est sa crédibilité, son expertise qui peut faire valoir auprès des responsables publics. Je pense que ça a écorné ce capital confiance du lobby des pesticides. Mais je pense qu'il y a d'autres leviers qu'on peut continuer d'actionner sur d'autres sujets, notamment le greenwashing, où là on peut aller au pénal sur le terrain judiciaire.

  • Speaker #1

    Comment ça se fait ? Pourquoi on peut aller plus loin sur le greenwashing ?

  • Speaker #0

    Là, en ce moment, ce qui est tenté par d'autres ONG, c'est d'actionner le levier de la pratique commerciale trompeuse. Pour sanctionner des entreprises qui font du greenwashing, alors pas nécessairement dans leur lobbying direct auprès des responsables publics, mais plutôt dans leur communication auprès du grand public. À la rentrée, il y a le procès de Total Energy, notamment été initié par Greenpeace et d'autres ONG. Sur ce fondement-là, on verra s'ils sont condamnés ou pas. Et s'ils le sont, ça va élargir la jurisprudence sur le terrain judiciaire.

  • Speaker #1

    Donc quand ce n'est pas du lobbying, mais de la communication, il y a plus de sanctions potentielles ?

  • Speaker #0

    Pour l'instant, l'état actuel de la jurisprudence, oui. Parce que surtout le juge, il a plus d'éléments à expertiser, à juger en matière de communication grand public. Parce qu'en matière de lobbying, malheureusement, aujourd'hui, il n'y a pas d'obligation de publier les documents in extenso qui ont été envoyés aux responsables publics. Donc, on a du mal à contre-expertiser ces éléments.

  • Speaker #1

    Alors, sur d'autres terrains, vous avez récemment travaillé sur un rapport comparant les moyens financiers des ONG et des lobbies lucratifs. À quoi ça ressemble ? Est-ce que c'est le David contre Goliath qu'on peut attendre ?

  • Speaker #0

    Oui. Ce qu'on a trouvé, c'est qu'on avait en gros une différence de... 1 à 7 en termes de dépenses de lobbying entre les lobbies à but lucratif, donc en gros les entreprises et leurs fédérations représentatives, et les lobbies à but non lucratif, donc en gros les ONG, l'ESS. Donc voilà, on a trouvé qu'il y avait 7 fois plus d'argent qui était dépensé par ces lobbies à but économique pour défendre leurs intérêts. Tout simplement parce qu'il y a beaucoup plus aujourd'hui de lobbies à but économique. En gros, il y a 85% des lobbies qui sont déclarées à l'Auto-Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. ils représentent un intérêt économique. Et on n'a que 15% de lobbies qui représentent des intérêts non économiques. Et on retrouve aussi ces différences en termes de nombre de lobbyistes employés, où là, la différence est de l'ordre de 9. C'est-à-dire qu'il y a 9 fois plus de lobbyistes qui sont employés par ces entreprises, ces fédérations économiques, par rapport aux lobbyistes, aux chargés de plaidoyer, comme moi, employés par des ONG.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a un espoir de rééquilibrage ? Par exemple, je ne sais pas, plus de subventions pour l'autre camp ? Ou au contraire ? Je ne sais pas. Économiquement, est-ce qu'il y a une manière de taxer l'un pour reverser à l'autre ?

  • Speaker #0

    Nous, ce qu'on propose déjà, c'est qu'effectivement, il y ait plus de subventions publiques pour les ONG. Parce que nous, on ne peut pas lever des fonds pour défendre l'intérêt général. On peut lever des fonds à travers les dons que nous font les personnes physiques, à travers les dons que nous font des personnes morales. Mais c'est la lutte contre la corruption. Il n'y a pas de chiffre d'affaires derrière. Si on arrive à notre finalité, c'est-à-dire à faire disparaître totalement la corruption dans le monde, ce qui n'arrivera pas, mais si, par hasard, on y arrive, là on n'aura pas plus de chiffre d'affaires, on va juste fermer tout simplement l'ONG.

  • Speaker #1

    Est-ce que comme pendant les élections, c'est pas respecté dès le début, mais on pourrait dire qu'il y a un temps de parole égal entre chaque camp et une exposition égale entre chaque... Défense d'intérêts, est-ce que ça pourrait...

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce qu'on aimerait sur les consultations, par exemple, en amont l'élaboration d'une décision publique. On aimerait que les pouvoirs publics veillent volontairement déjà à au moins une égalité de consultation entre les intérêts économiques et non économiques. Ça nous semble être la moindre des choses. Et d'ailleurs, il y a même des sujets où l'égalité stricte n'est même pas souhaitable. Par exemple, il y a une charte au niveau mondial de l'Organisation mondiale pour la santé, l'OMS, Merci. qui interdit aux entreprises du tabac de faire du lobbying sur des sujets de santé publique et de prévention du tabagisme. Donc là, les États se sont mis d'accord pour vraiment ne même pas autoriser l'égalité de temps de parole entre ONG et entreprises et pour vraiment bannir les entreprises, les représentants des intérêts économiques du tabac, des discussions sur les politiques de santé publique. On pense qu'au moins l'égalité, c'est la moindre des choses, voire même sur certains sujets. on peut viser une interdiction pure et dure du lobbying des intérêts économiques.

  • Speaker #1

    Si tu avais une réforme prioritaire que tu pousserais si tu en avais le pouvoir, est-ce que ce serait celle-là ou est-ce qu'il y a d'autres priorités encore ?

  • Speaker #0

    Oui, il y a ça. Il y a s'assurer qu'il y ait une égalité au moins à minima dans les consultations des responsables publics, qu'il y ait des obligations de consultation ouvertes en amont de l'élaboration des projets de loi ou des décrets. Systématiquement, ça nous semble être la moindre des choses aussi, parce qu'aujourd'hui, l'exécutif, ça reste une énorme boîte noire, davantage que le Parlement. Alors même que la tension médiatique et publique, souvent, elle est concentrée sur le Parlement. Quand les textes de loi, ils arrivent dans la navette parlementaire, c'est généralement à ce moment-là que les médias en parlent le plus, à ce moment-là qu'il y a des manifestations. C'est ce qui s'est passé pour la loi Duplon, par exemple. Alors, c'est une exception à la loi Duplon, parce que c'est une proposition de loi. Mais généralement, là où le lobbying est le plus efficace et malheureusement le plus opaque, c'est quand c'est en cours d'élaboration dans les ministères, quand il y a des projets de loi, des décrets qui sont rédigés dans les ministères.

  • Speaker #1

    Et comment on fait pour ouvrir la boîte noire à ce moment-là ? Est-ce qu'il y a déjà des pistes de réflexion, des choses qu'on pourrait activer ?

  • Speaker #0

    Oui, déjà faire des consultations publiques plus systématiques, de façon même quasiment obligatoire pour chaque décret qui soit élaboré, pour chaque projet de loi qui soit élaboré. Il y a eu des cas dans le passé, il y a eu la loi République numérique en 2016, il y avait eu une grande consultation en ligne, chacun pouvait amener un amendement, un commentaire sur le texte de loi. Au niveau européen, il y a ce qu'on appelle les Better Regulation Guidelines qui... qui imposent, en théorie, à la Commission européenne de faire des consultations ouvertes, publiques, équitables, transparentes. En pratique, ces derniers temps, la Commission européenne s'est un peu assise sur ces Better Regulation Guidelines, qui ont quand même le mérite d'exister.

  • Speaker #1

    Alors, si ça te convient, on va passer à la séquence vrai-faux.

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #1

    Je vais te dénoncer trois phrases et tu réponds par vrai ou faux. Tu peux développer si tu le souhaites, évidemment. La première phrase, plaidoyer et lobbying, c'est pareil.

  • Speaker #0

    Faux.

  • Speaker #1

    Quelle est la différence majeure, d'après toi ? Parce que, justement, j'ai reçu, ici, Jordan Allouche. qui travaille à Ecoloobie, et lui se revendique comme lobbyiste écologique pour, je cite, « aller sur leur terrain et essayer de les battre sur leur terrain » .

  • Speaker #0

    Il y a trois stades dans cette question qui est un peu l'arlésienne des affaires publiques. Premier stade, on se dit non, le lobbying et le plaidoyer, ce n'est pas la même chose, parce que le lobbying, c'est pour des intérêts particuliers, le plaidoyer, c'est pour l'intérêt général. Bon, ce n'est pas aussi simple que ça. Déjà, c'est très compliqué de définir qu'est-ce que l'intérêt général, qu'est-ce qu'un intérêt particulier, même si je pense qu'il y a une différence. Donc, deuxième stade de la réflexion, on se dit « Bon, finalement, c'est pareil. Moi, je ne suis pas naïf. Je sais que le plaidoyer et le lobbying, c'est la même chose. » C'est un discours qui est souvent défendu par des lobbyistes du secteur privé qui travaillent pour des entreprises. Je pense que ce n'est pas satisfaisant parce que c'est un discours qui vise à tout relativiser et aussi à laisser penser que le terrain politico-médiatique, le terrain de jeu des lobbyistes, c'est un peu comme un... un traitoire lors d'un procès. C'est-à-dire que chaque partie civile, chaque victime a droit à son avocat, donc à son lobbyiste, qu'il y a des procédures, que chacun plaide sa cause et qu'à la fin, le responsable public, c'est comme un juge, il va trancher le juste milieu et il va prendre la bonne décision en fonction des plaidoiries de chaque avocat, de chaque lobbyiste. Ça, c'est une analogie qui n'est pas pertinente parce que dans un tribunal, il y a un ensemble de procédures qui font qu'il n'y a vraiment pas de distorsion, normalement, dans la représentation de chaque partie prenante. Le terrain politico-médiatique, ce n'est pas un tribunal, c'est la jungle. C'est celui, souvent, qui a le plus d'argent, qui a le plus de moyens de défendre sa cause. Tous les coups sont permis, même s'il y a des règles déontologiques et légales. Ce n'est pas comme dans un procès. Il y a beaucoup de coups qui sont permis, beaucoup plus. et l'argent. ne permet pas tout, mais facilite grandement la défense des causes. Et je ne pense pas que l'intérêt général, ce soit le juste milieu entre les défenseurs, les gens qui se font de l'argent en vendant des pesticides, et les victimes du cancer, qui n'ont pas d'argent pour défendre leurs causes. Je pense qu'il y a un moment où le juge, l'inspecteur public, doit prendre parti. Donc je pense qu'il y a une différence entre l'intérêt général et les intérêts particuliers. Ça, c'est la distinction de plaidoyer-lobbing. Sur la finalité, il y a aussi une différence d'outils à mobiliser. Je pense que quand on fait du plaidoyer en ONG, on peut mobiliser des outils qui sont différents des outils du lobbying. Même si le lobbying fait partie de la palette, il y a aussi des outils de mobilisation citoyenne qui ne sont pas accessibles aux lobbyistes d'entreprise. Pour ces raisons, je pense qu'il faut faire la distinction entre les deux.

  • Speaker #1

    La deuxième phrase, on peut faire du lobbying propre, mais pas du lobbying neutre.

  • Speaker #0

    Vrai. Le lobbying, c'est par définition forcément orienté. Le lobbying, ce n'est pas la science. d'ailleurs... Quand le lobbying essaie de se faire passer pour la science, c'est mauvais signe. C'est qu'il y a un problème, généralement. Donc non, non, il faut assumer les intérêts qu'on représente, être très transparent dessus, et ne jamais prétendre représenter une sorte d'objectivité, de vérité absolue. Parce que généralement, enfin même systématiquement, quand un lobbyiste prétend défendre une vérité absolue, il est dans la manipulation.

  • Speaker #1

    Et la dernière phrase, il n'y a jamais eu autant de transparence dans les institutions qu'aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est compliqué. Oui, mais ce n'est pas suffisant. Oui, si on prend du recul historique à ce réel long terme et qu'on fait de l'histoire de façon très amateur, oui, clairement, les régimes démocratiques qui sont assez récents dans l'histoire de l'humanité, ils sont quand même globalement plus transparents que les précédents régimes qu'on avait pu avoir. et depuis la naissance de la démocratie, sa généralisation, on a quand même... avec le numérique, plus d'outils pour avoir accès à l'information. Ça ne veut pas dire que c'est suffisant pour autant. Il y a toujours des grandes boîtes noires qui subsistent. L'exécutif, c'est toujours une immense boîte noire, alors même qu'il y a les moyens techniques... beaucoup plus transparente sur sa prise de décision. Il y a toujours une vraie volonté d'opacité dans les ministères. Il y a cette idée qui subsiste, qui consiste à penser que la bonne décision publique, c'est d'abord à l'ombre, parce que finalement, l'attention médiatique, ça apporte une pollution, ça apporte de l'irrationalité, et qu'un bon fonctionnaire prend sa décision dans l'ombre, sur la base d'éléments rationnels, scientifiques, qui en réalité... ne sortent pas de nulle part, peuvent être produits par des intérêts particuliers, peuvent faire l'objet de manipulations. Et nous, on pense que pour éviter ces biais-là, il faut plus de transparence.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il reste un espoir pour que la transparence progresse vraiment dans les prochaines années ?

  • Speaker #0

    Oui, je n'ai pas d'autre choix que...

  • Speaker #1

    Toi, à titre personnel, est-ce que tu es confiant ? Comment tu vois le futur proche ? Est-ce qu'il y a des motifs d'espoir ou des motifs de réjouissance, des dossiers sur lesquels vous espérez gagner prochainement ?

  • Speaker #0

    Malheureusement, non. On a passé la grande décennie de la transparence. C'était un peu les années 2010. Il y a eu un mouvement mondial. A l'époque, c'était l'ouverture des données, l'open data, le gouvernement ouvert. Grâce au numérique, on va vraiment ouvrir la décision publique aux citoyens. On va changer la façon de faire les choses. Ce mouvement s'est un peu essoufflé aujourd'hui. Malheureusement, ce qui se passe, c'est qu'en tous les domaines, on recule. Je ne pense pas que ce soit fichu pour autant.

  • Speaker #1

    mais clairement le contexte il est moins favorable qu'il y a une dizaine d'années donc tu formes la prochaine génération d'acteurs publics est-ce que tu as un conseil à donner pour quelqu'un qui se lance dans le plaidoyer aujourd'hui ou un conseil que tu aurais aimé avoir quand tu t'es lancé toi-même ?

  • Speaker #0

    déjà c'est de ne pas penser qu'on peut faire ce métier seulement pour l'argent on ne peut pas être complètement cynique quand on fait des affaires publiques c'est un métier qui n'est pas comme les autres c'est un métier quand même où on a... un pouvoir qui est assez grand, même si à la fin, c'est le responsable public, c'est le parlementaire, c'est le ministre qui tranche. Il ne faut pas se réfugier derrière ce responsable public pour se dédouaner des décisions qui sont prises. On a forcément une influence et une responsabilité dans les décisions qui sont prises. Donc, il faut croire un minimum dans ce qu'on défend. Je ne pense pas qu'on puisse être totalement cynique. Et après, deuxième recommandation, je ne pense pas qu'il faille une expertise très poussée pour faire des affaires publiques, du lobbying. Je vais me tirer une balle dans le pied, mais je ne pense pas que les professions des affaires publiques doivent être réservées à des gens qui ont fait des masters de lobbying, d'affaires publiques. En réalité, c'est assez simple de faire des affaires publiques et je pense que le plus important, c'est d'une part de croire en ce qu'on défend et d'autre part d'avoir une vraie expertise sur le sujet qu'on défend.

  • Speaker #1

    Kevin, on arrive bientôt à la fin de cet épisode. Est-ce qu'il y a un sujet que tu voudrais... voulais développer, que tu n'as pas encore eu le temps d'aborder ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Parfait. Et pour conclure, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager ?

  • Speaker #0

    Beaucoup de films sur le lobbying. Un que j'avais bien aimé, c'était Miss Sloan, je crois. Sur une lobbyiste à Washington. C'est un thriller, mais c'est plutôt bien fait.

  • Speaker #1

    Génial. Merci beaucoup, Kevin.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Salut. Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le cofondateur de l'SJ Watch, la plateforme qui vous aide dans votre veille institutionnelle. A bientôt.

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Description

« Où finit le plaidoyer légitime et où commence l’influence toxique ? »


Ancien collaborateur parlementaire et juriste formé au lobbying, Kévin Gernier est aujourd’hui responsable du plaidoyer chez Transparency International France.


Dans cet épisode, il raconte comment il est passé des bancs de Sciences Po Bordeaux à la lutte contre la corruption, pour défendre une idée simple mais exigeante : la transparence comme condition du pouvoir démocratique.


De la loi Sapin II au “Qatargate”, des valises de billets aux codes déontologiques des représentants d’intérêts, Kévin dévoile les zones grises du lobbying et plaide pour un cadre plus équitable entre ONG et grands groupes.


Avec lui, on parle de :


  • Comment est né le registre français du lobbying à la HATVP

  • Le rapport de force entre ONG et intérêts économiques

  • Les dérives du greenwashing et des arguments mensongers

  • La différence entre lobbying et plaidoyer

  • Et de cette conviction : « Le capital d’un lobby, c’est sa confiance. »

Un échange lucide et sans cynisme sur l’éthique, le pouvoir et la fabrique de l’influence.


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Transcription

  • Speaker #0

    Je pense que le plus important, c'est d'une part de croire en ce qu'on défend et d'autre part d'avoir une vraie expertise sur le sujet qu'on défend. Le capital d'un lobby le plus précieux, c'est son capital confiance. On pense qu'au moins l'égalité c'est la moindre des choses, et voire même sur certains sujets, on peut viser une interdiction pure et dure du lobbying des intérêts économiques.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle Légit Watch, et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui, je reçois Kevin Jarnier, responsable du plaidoyer chez Transparency International France, juriste, ancien collaborateur à l'Assemblée Nationale, formé au lobbying, Il enseigne aujourd'hui à Sciences Po Bordeaux et consacre son action à une question centrale pour notre démocratie. Où finit le plaidoyer légitime et où commence l'influence toxique ? Salut Kevin.

  • Speaker #0

    Salut.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux ajouter quelque chose à cette courte description ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai rien à ajouter.

  • Speaker #1

    Parfait, alors t'es passé par l'Assemblée Nationale, puis la Haute Autorité pour la Transparence, avant de rejoindre Transparency en 2019. Qu'est-ce qui a motivé ton engagement dans la lutte contre la corruption et du coup pour la transparence ?

  • Speaker #0

    C'était un des premiers sujets auxquels je me suis intéressé. Je suis rentré après ma prépa à l'IEP de Bordeaux en me disant que j'allais passer des concours de la fonction publique. que j'avais travaillé pour l'intérêt général et puis j'ai eu la flemme de repasser des concours et j'ai vu ce master qui était dédié au lobbying à l'IEP de Bordeaux. Je me suis dit pourquoi pas c'est un peu une façon de court-circuiter les concours administratifs où on passe, on travaille beaucoup ensuite on est un technocrate dans un bureau et en fin de carrière on peut éventuellement espérer commencer à toucher à des enjeux plus politiques là en faisant du lobbying on se retrouve directement en prise avec les enjeux les plus politiques C'est génial, on n'a que le bon côté des sujets et pas les mauvais côtés. Donc j'y suis allé, je me suis rendu compte que je n'avais pas forcément envie de travailler tout de suite pour des intérêts lucratifs, même si je ne les diabolise pas et je considère qu'ils ont droit d'avoir des lobbyistes et de faire du lobbying. Donc je me suis intéressé à ce sujet de transparence, du lobbying et d'encadrement qui commençait à émerger à l'époque, parce qu'on était en 2016, il y avait la loi Sapin 2 qui était en train d'être adoptée. C'est comme ça que je me suis retrouvé d'abord à faire un stage aux autorités pour la transparence de la vie publique, au moment où ils mettaient en œuvre le répertoire de transparence du lobbying. Et c'était marrant de voir comment un service administratif galérait à transformer en outil numérique concret des textes juridiques. Parce qu'il y avait un temps qui était très restreint, des consignes du législateur et ensuite du pouvoir réglementaire. qui était parfois un peu flou ou contradictoire, et il fallait en deux mois transformer ça en site internet opérationnel pour que les lobbyistes puissent s'enregistrer. Donc c'était super intéressant de voir de l'intérieur.

  • Speaker #1

    Comment vous avez fait ça ? C'est toi qui as participé ?

  • Speaker #0

    Moi je suis juste stagiaire, mais je travaillais avec le responsable de la mise en œuvre du répertoire, et ça avait été internalisé à l'époque, il y avait un service informatique interne à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, et nous on faisait la maîtrise d'œuvre, c'est comme ça qu'on dit je crois dans le milieu. Donc on leur avait des petits tickets, moi j'ai appris à travailler avec des développeurs, ils nous disaient on ne comprend pas, c'est compliqué les tickets, on ne peut pas faire ça, c'est beaucoup plus compliqué que ce que vous pensez. On s'engueulait, il y avait des allers-retours et à la fin on avait quand même un truc qui était opérationnel. C'était rigolo à voir de l'intérieur parce que là on est vraiment sur le concret de l'action publique et on dit souvent que dans le secteur public il n'y a pas de culture, du numérique, pas d'agilité. Là quand même ils ont réussi en temps terrestre à sortir quelque chose d'opérationnel. Donc non, je ne pense pas qu'il y ait de manque de culture dans le secteur public. Et ensuite, je me suis retrouvé à l'Assemblée nationale, parce que j'avais envie de voir les coulisses de la fabrique du droit. Et ensuite, mon premier emploi, je l'ai trouvé à Transparency International France, après une petite période de chômage.

  • Speaker #1

    Est-ce que, quand tu as choisi de rentrer dans les études de lobbying, est-ce que c'était dans le cadre d'un engagement militant déjà, ou par curiosité, qu'est-ce qui t'a amené là ?

  • Speaker #0

    La curiosité pour la fabrique des politiques publiques, la curiosité pour comment on transforme souvent des demandes assez vagues, parfois confuses, contradictoires des électeurs, des associations, du public, des entreprises, des élus eux-mêmes, en politiques publiques concrètes, et tous les intérêts contradictoires, divergents, qu'ils discutent entre eux pour les mettre en œuvre. Ensuite, sur la question du militantisme, c'est un vrai débat en ONG. Est-ce que quand on est salarié d'une ONG, on est militant ? Moi, j'ai des collègues qui ne se considèrent pas du tout comme militants. Ils sont salariés d'une association et ils appliquent les consignes qui sont émises par le conseil d'administration bénévole de l'association. Parce qu'en fait, si on se considère à 100% militant quand on est salarié d'une ONG, ce n'est pas très sain, parce qu'on reste salarié. Le fonctionnement des associations loi 1900, ça reste normalement un fonctionnement par principe non lucratif. Les salariés sont là pour aider la mise en œuvre de l'objet social de l'association, mais l'association doit rester gouvernée par des administrateurs, un président, des bénévoles, qui sont totalement non rémunérés. Moi, je suis un peu entre les deux, parce qu'au bout d'un moment, quand on finit par travailler pendant longtemps sur un sujet, on finit forcément par le prendre à cœur, même dès le début. Il faut savoir, je trouve, un peu parfois réfréner son engagement militant et mettre plutôt son énergie militante dans d'autres structures. Moi, je trouve que c'est important de s'engager bénévolement à côté dans des assos, des partis politiques, pourquoi pas, sur son temps libre, et de ne pas vraiment fusionner son engagement militant avec sa vie salariée et son gagne-pain.

  • Speaker #1

    Alors tu as été amené à former des étudiants à Sciences Po Bordeaux sur les questions d'éthique et de lobbying. Qu'est-ce que tu essaies de leur transmettre ? À quoi ça ressemble un cours de Kevin Jarnier ?

  • Speaker #0

    J'essaie de leur transmettre des grilles d'analyse pour analyser des situations qui ne sont ni blanches ni noires, parce que c'est toujours un peu gris ces situations de dilemmes moraux, éthiques ou même juridiques. Le droit n'apporte pas de réponse absolue sur tous les cas. Souvent on a l'idée que le droit c'est vraiment une... Une grande machine qui donne toujours la même réponse à partir de paramètres constants. Pas vraiment, c'est plutôt une grille d'analyse qui permet de céder, s'orienter dans certaines situations, mais qui ne dispense pas de réfléchir. Après, je leur apprends à faire distinction entre les types d'argumentaires. Est-ce que c'est juridique ? Est-ce que c'est pénal ? Est-ce que c'est déontologique ? Ou est-ce que c'est moral ? Et on a le droit d'avoir une analyse morale quand il s'agit de corruption. On a le droit de dire, là, c'est peut-être légal, mais moi, je trouve que c'est pas bien, pas moral. Et je trouve qu'il faudrait mettre un terme à cette situation, soit en la rendant illégale, soit en comptant sur la responsabilité des acteurs pour y mettre un terme. Après, les étudiants, généralement, quand ils s'engagent dans des masters de lobbying, malheureusement, ils sont parfois déjà un peu cyniques. Et j'essaye de susciter leur indignation pour m'assurer qu'il y a bien une conscience morale et qu'ils ne font pas ça uniquement pour l'argent. et je ne crois pas qu'il n'y en ait aucun qui fasse ça uniquement pour l'argent. Je pense que la plupart des gens qui s'intéressent aux affaires publiques, ils le font fondamentalement par curiosité intellectuelle.

  • Speaker #1

    Et du coup, toi, pour rentrer dans le vif de ton quotidien, chez Transparency International, Qu'est-ce que vous faites exactement ? Est-ce que vous poussez évidemment pour plus de transparence, mais est-ce que vous enquêtez sur des sujets ou des dossiers qui paraissent trop opaques ?

  • Speaker #0

    On n'enquête pas directement parce qu'en France, on a une presse indépendante d'investigation de qualité. J'ai des collègues dans d'autres sections de transparence internationale à travers le monde qui font davantage d'enquêtes parce qu'ils sont dans des pays plus autoritaires avec moins de presse d'investigation. Donc ils doivent faire ce travail, quasiment faire le travail d'un média. et d'une ONG en même temps. En France, on n'a pas besoin de faire ça, heureusement. Nous, on va plutôt transformer la matière des journalistes en recommandations de plaidoyer concrètes, et on va monter en généralité. C'est ce qu'on a fait, par exemple, sur le lobby des pesticides en 2023. On n'a pas fait l'enquête qui a montré que le lobby des pesticides, donc Fiteis, avait utilisé des arguments mensongers pour défendre sa cause. une journaliste indépendante qui a fait l'enquête. Nous, on a lu l'enquête et on a transformé cette matière d'investigation. On a utilisé une grille d'analyse qui était le code de déontologie des représentants d'intérêt à l'Assemblée nationale et au Sénat pour dire que ce problème qui est soulevé par une journaliste seulement sous l'angle moral pour l'instant, nous on pense que ça relève aussi d'un manquement déontologique. Donc on avait fait un signalement qui avait mené à une mise en demeure du lobby des pesticides. Nous, on est plutôt un intermédiaire entre les journalistes et les pouvoirs publics. voir les pouvoirs judiciaires quand il s'agit de porter plainte avec constitution de parti civil, de faire des signalements par cas.

  • Speaker #1

    Donc vous essayez de mettre des bâtons dans les roues aux lobbyistes qui ne jouent pas dans les règles. Et est-ce que vous poussez aussi des propositions de loi ou des amendements qui vous sont propres ?

  • Speaker #0

    Oui, on fait nous-mêmes du lobbying, même si on ne fait pas que ça. On fait du lobbying classique, traditionnel. On défend beaucoup, là en ce moment, moi je travaille beaucoup sur les... des propositions de loi, des mesures pour renforcer la transparence du lobbying. Le dernier texte en date qu'on a obtenu, mais qui n'a pour l'instant pas été inscrit à l'ordre du jour, c'est une proposition de loi du député écologiste et vice-président de l'Assemblée nationale, Jérémy Ordenoff. Et sinon, on fait régulièrement, dès qu'il y a un véhicule législatif adapté, des amendements clés en main à envoyer aux parlementaires.

  • Speaker #1

    La proposition de loi de M. Ordenoff, c'est justement pour rendre plus transparentes les actions des lobbyistes, c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'est pour corriger toutes les failles qui existent dans le cadre français qui est issu de la loi Sapin d'hôte 2016. Failles qu'on a eu de cesse de pointer du doigt, de demander la correction, sans succès pour l'instant. Mais on ne désespère pas, parce qu'après tout, faire du plaidoyer, c'est demander tout le temps la même chose. Et un jour, par miracle, il y a une demande qui fonctionne. Mais bon, ça reste très rare.

  • Speaker #1

    Avant cet entretien, on s'était vu en... en visio, pour un premier échange, et tu avais évoqué plusieurs fois une transformation dans ta lecture de la corruption. Et je cite « Avant le Qatargate, je pensais que les valises de billets appartenaient au passé. Aujourd'hui, je n'écarte plus jamais cette hypothèse. » Du coup, est-ce que tu peux parler de ça ? Comment ça a bouleversé ta perception des dérives du lobbying ?

  • Speaker #0

    Oui, alors avant le Qatargate, qui a éclaté en 2022-2023, de mémoire, ce qu'on disait souvent, c'était « La corruption, ça ne passe plus par des valises de billets. Ce n'est pas aussi caricatural que ça. C'est des mécanismes plus subtils. Soit on va passer par des crypto-monnaies, des comptes dans des paradis fiscaux, des montages juridiques très complexes pour masquer les transferts financiers. Ou alors par des mécanismes pas forcément illégaux, d'influence indue avec des recrutements d'anciens fonctionnaires, d'anciens ministres, des argumentaires un peu fallacieux, mais pas complètement mensongers, mais juste un peu déformés, de la nuance, de la subtilité. On arrive au CataRigate, on apprend... que la police belge a mené des perquisitions au domicile d'une vice-présidente du Parlement européen et celui de ses proches, qu'elle a été arrêtée avec son compagnon, et qu'ils ont retrouvé à son domicile et d'autres endroits littéralement des valises de billets avec des centaines de milliers d'euros. Ça a été un immense choc, parce que nous, on ne pensait pas que c'était encore possible aujourd'hui de corrompre des parlementaires européens. juste avec de l'argent liquide. Donc ça nous a amenés à nous remettre un peu en question et à nous dire que non, finalement, tout le travail qui avait été mené dans les années 80-90 de renforcement des mécanismes de répression de la corruption, vraiment, renforcement du code pénal, des moyens, des juges et services d'investigation, tout ça, ce n'était pas suffisant. Et qu'il ne fallait pas écarter d'emblée l'hypothèse qu'un responsable public touche littéralement des valises, des enveloppes de billets.

  • Speaker #1

    C'est intéressant parce que la plupart des invités que je reçois essayent forcément de démonter un peu la caricature ou le fantasme qu'il peut y avoir autour du méchant lobbyiste. Et toi, ce que tu dis, c'est qu'il y a encore énormément d'abus. qu'il ne faut pas être naïf. Est-ce que tu penses que ça pourrait arriver en France ?

  • Speaker #0

    Il y a une enquête aussi en cours en France sur un ancien parlementaire qui est suspecté de corruption via un lobbyiste intermédiaire douteux. Donc oui, il y a littéralement une enquête en cours encore aujourd'hui qui vise un ancien parlementaire. Donc oui, ça peut aussi arriver en France. Après, je reste persuadé que l'essentiel de ce qu'on appelle la corruption au sens large, ça passe toujours... Plus largement par des mécanismes d'influence indu. Donc c'est quoi l'influence indu ? C'est tout ce qui relève en fait de l'illégitimité, mais qui peut être légal. Donc ça peut être par exemple mener une opération de lobbying opaque en déclarant juste le nécessaire à la haute autorité pour la transparence de la vie publique, comme semble l'avoir fait par exemple Nestlé Waters, qui a fait du lobbying a priori, même si c'est possible qu'ils aient manqué à leurs obligations, mais bon voilà, JTP n'a pas donné suite à notre signalement. Ils ont juste déclaré le strict nécessaire à la haute autorité et derrière, ils ont demandé à ce qu'on adapte le cadre légal, réglementaire à leur pratique illégale. Ça, c'est pas légitime comme lobbying. C'est peut-être légal mais c'est pas du tout légitime. Il y a plein d'exemples comme ça qui relèvent de l'influence indue. Je pense que les opérations de lobbying les plus efficaces, elles vont mobiliser ces outils, mais qu'il ne faut pas écarter d'emblée les opérations de corruption pure et dure qui sont à la fois illégitimes et illégales. Après, franchement, c'est pas efficace, les valises de billets c'est pas efficace, qu'est-ce qu'ils ont obtenu les pays mis en cause, donc Maroc Mauritanie, Qatar, dans le Qatar Gate qu'est-ce qu'ils ont obtenu comme décision favorable du Parlement Européen, grâce à ces centaines de milliers d'euros bon a priori pas grand chose des interventions favorables en commission que personne n'a écouté, quelques signatures sur les tribunes, lettres ouvertes bon ça reste à démontrer, il y a le procès qui est toujours en cours, bon c'était pas non plus très très efficace. Ce qui est le plus efficace aujourd'hui, c'est de mener des opérations de communication à 360, de mobiliser tous les relais, et parfois de façon tout à fait légale.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous parler de l'affaire du lobby des pesticides que vous avez contribué à faire sanctionner pour chantage mensonger à l'emploi ?

  • Speaker #0

    C'est une opération qu'on a fait en 2023 avec trois autres ONG environnementales. En janvier 2023... une journaliste d'un média indépendant d'investigation qui a révélé que le lobby français des pesticides, qui s'appelle aujourd'hui Fiteis, avait menti tout simplement aux responsables publics en 2019. À l'époque, le lobby des pesticides s'opposait à l'entrée en vigueur d'une interdiction de production en France de substances pesticides qui étaient déjà interdites d'usage en France, mais qu'on pouvait encore produire en France pour les exporter. à l'étranger, ce qui était une forme d'hypocrisie assez sévère, puisqu'on considère que c'est trop toxique pour les utiliser en France, mais par contre qu'on pouvait aller empoisonner des voisins avec. Le législateur a dit qu'on arrête l'hypocrisie, on interdit la production de ces substances destinées à l'export. Le lobby des pesticides crie, comme tous les lobbys économiques savent le faire, à la suppression d'emplois. Ils disent qu'on va devoir supprimer 2700 emplois directs et 1000 emplois indirects, ça rentre en vigueur avec vos mesures d'angélisme vert. « Soyez réalistes, pensez à l'emploi local » . Ils démarchent, classiques, ils vont démarcher les parlementaires qui ont des usines de pesticides dans leur circonscription, stratégie de lobbying très classique. Les parlementaires déposent des amendements au Sénat pour revenir sur cette interdiction. Les amendements sont adoptés au Sénat, à l'Assemblée nationale, avec le soutien du gouvernement qui réutilise dans son discours ce chiffre magique des 2700 emplois menacés. C'est censuré in extremis par le Conseil constitutionnel. Parce que c'était un cavalier législatif, cet amendement qui réintroduisait l'autorisation de produire ces pesticides. Finalement, c'est interdit, ça entre en vigueur. La journaliste investigue en 2023 et elle se rend compte qu'aucune des usines qui étaient présentées comme menacées n'a supprimé le moindre emploi. Donc voilà, nous, on repère ça. On se dit, là, c'est rare, en fait, de trouver un cas de lobbying où on est sûr que l'argument a été mensonger. C'est très rare, parce que déjà, souvent, on n'a même pas accès à l'argumentaire, puisqu'en fait, les documents de lobbying ne sont pas rendus publics. Donc on n'a même pas de matière à expertiser. Là, il se trouve que la presse avait publié à l'époque des courriers du lobby qui mentionnaient cet argument. On a fait un signalement à l'Assemblée nationale et au Sénat, puisque beaucoup de lobbyistes l'oubliaient à l'époque, mais dans les codes de déontologie des représentants d'intérêt à l'Assemblée, au Sénat et aussi auprès des ministres et des élus locaux, il y a une disposition qui interdit de défendre ses intérêts en utilisant des éléments destinés à volontairement induire en erreur les responsables publics.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on risque vraiment quelque chose quand on se fait attraper comme ici ?

  • Speaker #0

    Pas grand-chose, en réalité. Là, en l'occurrence, on a obtenu... Parce que Fintéis a été très mauvais dans ses réponses aux sénateurs. Ils ont été mis en demeure. C'est la sanction, c'est un manquement déontologique, c'est pas du pénal. Donc ils ont été mis en demeure par Gérard Larcher et ensuite par Yann Lebrun-Pivet. C'est juste du name and shame. Comme c'est pas du pénal, il n'y a pas de peine de prison, il n'y a pas d'amende. Après, je pense que c'est quand même efficace pour un lobby, parce que le capital d'un lobby le plus précieux, c'est son capital confiance. C'est sa crédibilité, son expertise qui peut faire valoir auprès des responsables publics. Je pense que ça a écorné ce capital confiance du lobby des pesticides. Mais je pense qu'il y a d'autres leviers qu'on peut continuer d'actionner sur d'autres sujets, notamment le greenwashing, où là on peut aller au pénal sur le terrain judiciaire.

  • Speaker #1

    Comment ça se fait ? Pourquoi on peut aller plus loin sur le greenwashing ?

  • Speaker #0

    Là, en ce moment, ce qui est tenté par d'autres ONG, c'est d'actionner le levier de la pratique commerciale trompeuse. Pour sanctionner des entreprises qui font du greenwashing, alors pas nécessairement dans leur lobbying direct auprès des responsables publics, mais plutôt dans leur communication auprès du grand public. À la rentrée, il y a le procès de Total Energy, notamment été initié par Greenpeace et d'autres ONG. Sur ce fondement-là, on verra s'ils sont condamnés ou pas. Et s'ils le sont, ça va élargir la jurisprudence sur le terrain judiciaire.

  • Speaker #1

    Donc quand ce n'est pas du lobbying, mais de la communication, il y a plus de sanctions potentielles ?

  • Speaker #0

    Pour l'instant, l'état actuel de la jurisprudence, oui. Parce que surtout le juge, il a plus d'éléments à expertiser, à juger en matière de communication grand public. Parce qu'en matière de lobbying, malheureusement, aujourd'hui, il n'y a pas d'obligation de publier les documents in extenso qui ont été envoyés aux responsables publics. Donc, on a du mal à contre-expertiser ces éléments.

  • Speaker #1

    Alors, sur d'autres terrains, vous avez récemment travaillé sur un rapport comparant les moyens financiers des ONG et des lobbies lucratifs. À quoi ça ressemble ? Est-ce que c'est le David contre Goliath qu'on peut attendre ?

  • Speaker #0

    Oui. Ce qu'on a trouvé, c'est qu'on avait en gros une différence de... 1 à 7 en termes de dépenses de lobbying entre les lobbies à but lucratif, donc en gros les entreprises et leurs fédérations représentatives, et les lobbies à but non lucratif, donc en gros les ONG, l'ESS. Donc voilà, on a trouvé qu'il y avait 7 fois plus d'argent qui était dépensé par ces lobbies à but économique pour défendre leurs intérêts. Tout simplement parce qu'il y a beaucoup plus aujourd'hui de lobbies à but économique. En gros, il y a 85% des lobbies qui sont déclarées à l'Auto-Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. ils représentent un intérêt économique. Et on n'a que 15% de lobbies qui représentent des intérêts non économiques. Et on retrouve aussi ces différences en termes de nombre de lobbyistes employés, où là, la différence est de l'ordre de 9. C'est-à-dire qu'il y a 9 fois plus de lobbyistes qui sont employés par ces entreprises, ces fédérations économiques, par rapport aux lobbyistes, aux chargés de plaidoyer, comme moi, employés par des ONG.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a un espoir de rééquilibrage ? Par exemple, je ne sais pas, plus de subventions pour l'autre camp ? Ou au contraire ? Je ne sais pas. Économiquement, est-ce qu'il y a une manière de taxer l'un pour reverser à l'autre ?

  • Speaker #0

    Nous, ce qu'on propose déjà, c'est qu'effectivement, il y ait plus de subventions publiques pour les ONG. Parce que nous, on ne peut pas lever des fonds pour défendre l'intérêt général. On peut lever des fonds à travers les dons que nous font les personnes physiques, à travers les dons que nous font des personnes morales. Mais c'est la lutte contre la corruption. Il n'y a pas de chiffre d'affaires derrière. Si on arrive à notre finalité, c'est-à-dire à faire disparaître totalement la corruption dans le monde, ce qui n'arrivera pas, mais si, par hasard, on y arrive, là on n'aura pas plus de chiffre d'affaires, on va juste fermer tout simplement l'ONG.

  • Speaker #1

    Est-ce que comme pendant les élections, c'est pas respecté dès le début, mais on pourrait dire qu'il y a un temps de parole égal entre chaque camp et une exposition égale entre chaque... Défense d'intérêts, est-ce que ça pourrait...

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce qu'on aimerait sur les consultations, par exemple, en amont l'élaboration d'une décision publique. On aimerait que les pouvoirs publics veillent volontairement déjà à au moins une égalité de consultation entre les intérêts économiques et non économiques. Ça nous semble être la moindre des choses. Et d'ailleurs, il y a même des sujets où l'égalité stricte n'est même pas souhaitable. Par exemple, il y a une charte au niveau mondial de l'Organisation mondiale pour la santé, l'OMS, Merci. qui interdit aux entreprises du tabac de faire du lobbying sur des sujets de santé publique et de prévention du tabagisme. Donc là, les États se sont mis d'accord pour vraiment ne même pas autoriser l'égalité de temps de parole entre ONG et entreprises et pour vraiment bannir les entreprises, les représentants des intérêts économiques du tabac, des discussions sur les politiques de santé publique. On pense qu'au moins l'égalité, c'est la moindre des choses, voire même sur certains sujets. on peut viser une interdiction pure et dure du lobbying des intérêts économiques.

  • Speaker #1

    Si tu avais une réforme prioritaire que tu pousserais si tu en avais le pouvoir, est-ce que ce serait celle-là ou est-ce qu'il y a d'autres priorités encore ?

  • Speaker #0

    Oui, il y a ça. Il y a s'assurer qu'il y ait une égalité au moins à minima dans les consultations des responsables publics, qu'il y ait des obligations de consultation ouvertes en amont de l'élaboration des projets de loi ou des décrets. Systématiquement, ça nous semble être la moindre des choses aussi, parce qu'aujourd'hui, l'exécutif, ça reste une énorme boîte noire, davantage que le Parlement. Alors même que la tension médiatique et publique, souvent, elle est concentrée sur le Parlement. Quand les textes de loi, ils arrivent dans la navette parlementaire, c'est généralement à ce moment-là que les médias en parlent le plus, à ce moment-là qu'il y a des manifestations. C'est ce qui s'est passé pour la loi Duplon, par exemple. Alors, c'est une exception à la loi Duplon, parce que c'est une proposition de loi. Mais généralement, là où le lobbying est le plus efficace et malheureusement le plus opaque, c'est quand c'est en cours d'élaboration dans les ministères, quand il y a des projets de loi, des décrets qui sont rédigés dans les ministères.

  • Speaker #1

    Et comment on fait pour ouvrir la boîte noire à ce moment-là ? Est-ce qu'il y a déjà des pistes de réflexion, des choses qu'on pourrait activer ?

  • Speaker #0

    Oui, déjà faire des consultations publiques plus systématiques, de façon même quasiment obligatoire pour chaque décret qui soit élaboré, pour chaque projet de loi qui soit élaboré. Il y a eu des cas dans le passé, il y a eu la loi République numérique en 2016, il y avait eu une grande consultation en ligne, chacun pouvait amener un amendement, un commentaire sur le texte de loi. Au niveau européen, il y a ce qu'on appelle les Better Regulation Guidelines qui... qui imposent, en théorie, à la Commission européenne de faire des consultations ouvertes, publiques, équitables, transparentes. En pratique, ces derniers temps, la Commission européenne s'est un peu assise sur ces Better Regulation Guidelines, qui ont quand même le mérite d'exister.

  • Speaker #1

    Alors, si ça te convient, on va passer à la séquence vrai-faux.

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #1

    Je vais te dénoncer trois phrases et tu réponds par vrai ou faux. Tu peux développer si tu le souhaites, évidemment. La première phrase, plaidoyer et lobbying, c'est pareil.

  • Speaker #0

    Faux.

  • Speaker #1

    Quelle est la différence majeure, d'après toi ? Parce que, justement, j'ai reçu, ici, Jordan Allouche. qui travaille à Ecoloobie, et lui se revendique comme lobbyiste écologique pour, je cite, « aller sur leur terrain et essayer de les battre sur leur terrain » .

  • Speaker #0

    Il y a trois stades dans cette question qui est un peu l'arlésienne des affaires publiques. Premier stade, on se dit non, le lobbying et le plaidoyer, ce n'est pas la même chose, parce que le lobbying, c'est pour des intérêts particuliers, le plaidoyer, c'est pour l'intérêt général. Bon, ce n'est pas aussi simple que ça. Déjà, c'est très compliqué de définir qu'est-ce que l'intérêt général, qu'est-ce qu'un intérêt particulier, même si je pense qu'il y a une différence. Donc, deuxième stade de la réflexion, on se dit « Bon, finalement, c'est pareil. Moi, je ne suis pas naïf. Je sais que le plaidoyer et le lobbying, c'est la même chose. » C'est un discours qui est souvent défendu par des lobbyistes du secteur privé qui travaillent pour des entreprises. Je pense que ce n'est pas satisfaisant parce que c'est un discours qui vise à tout relativiser et aussi à laisser penser que le terrain politico-médiatique, le terrain de jeu des lobbyistes, c'est un peu comme un... un traitoire lors d'un procès. C'est-à-dire que chaque partie civile, chaque victime a droit à son avocat, donc à son lobbyiste, qu'il y a des procédures, que chacun plaide sa cause et qu'à la fin, le responsable public, c'est comme un juge, il va trancher le juste milieu et il va prendre la bonne décision en fonction des plaidoiries de chaque avocat, de chaque lobbyiste. Ça, c'est une analogie qui n'est pas pertinente parce que dans un tribunal, il y a un ensemble de procédures qui font qu'il n'y a vraiment pas de distorsion, normalement, dans la représentation de chaque partie prenante. Le terrain politico-médiatique, ce n'est pas un tribunal, c'est la jungle. C'est celui, souvent, qui a le plus d'argent, qui a le plus de moyens de défendre sa cause. Tous les coups sont permis, même s'il y a des règles déontologiques et légales. Ce n'est pas comme dans un procès. Il y a beaucoup de coups qui sont permis, beaucoup plus. et l'argent. ne permet pas tout, mais facilite grandement la défense des causes. Et je ne pense pas que l'intérêt général, ce soit le juste milieu entre les défenseurs, les gens qui se font de l'argent en vendant des pesticides, et les victimes du cancer, qui n'ont pas d'argent pour défendre leurs causes. Je pense qu'il y a un moment où le juge, l'inspecteur public, doit prendre parti. Donc je pense qu'il y a une différence entre l'intérêt général et les intérêts particuliers. Ça, c'est la distinction de plaidoyer-lobbing. Sur la finalité, il y a aussi une différence d'outils à mobiliser. Je pense que quand on fait du plaidoyer en ONG, on peut mobiliser des outils qui sont différents des outils du lobbying. Même si le lobbying fait partie de la palette, il y a aussi des outils de mobilisation citoyenne qui ne sont pas accessibles aux lobbyistes d'entreprise. Pour ces raisons, je pense qu'il faut faire la distinction entre les deux.

  • Speaker #1

    La deuxième phrase, on peut faire du lobbying propre, mais pas du lobbying neutre.

  • Speaker #0

    Vrai. Le lobbying, c'est par définition forcément orienté. Le lobbying, ce n'est pas la science. d'ailleurs... Quand le lobbying essaie de se faire passer pour la science, c'est mauvais signe. C'est qu'il y a un problème, généralement. Donc non, non, il faut assumer les intérêts qu'on représente, être très transparent dessus, et ne jamais prétendre représenter une sorte d'objectivité, de vérité absolue. Parce que généralement, enfin même systématiquement, quand un lobbyiste prétend défendre une vérité absolue, il est dans la manipulation.

  • Speaker #1

    Et la dernière phrase, il n'y a jamais eu autant de transparence dans les institutions qu'aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est compliqué. Oui, mais ce n'est pas suffisant. Oui, si on prend du recul historique à ce réel long terme et qu'on fait de l'histoire de façon très amateur, oui, clairement, les régimes démocratiques qui sont assez récents dans l'histoire de l'humanité, ils sont quand même globalement plus transparents que les précédents régimes qu'on avait pu avoir. et depuis la naissance de la démocratie, sa généralisation, on a quand même... avec le numérique, plus d'outils pour avoir accès à l'information. Ça ne veut pas dire que c'est suffisant pour autant. Il y a toujours des grandes boîtes noires qui subsistent. L'exécutif, c'est toujours une immense boîte noire, alors même qu'il y a les moyens techniques... beaucoup plus transparente sur sa prise de décision. Il y a toujours une vraie volonté d'opacité dans les ministères. Il y a cette idée qui subsiste, qui consiste à penser que la bonne décision publique, c'est d'abord à l'ombre, parce que finalement, l'attention médiatique, ça apporte une pollution, ça apporte de l'irrationalité, et qu'un bon fonctionnaire prend sa décision dans l'ombre, sur la base d'éléments rationnels, scientifiques, qui en réalité... ne sortent pas de nulle part, peuvent être produits par des intérêts particuliers, peuvent faire l'objet de manipulations. Et nous, on pense que pour éviter ces biais-là, il faut plus de transparence.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il reste un espoir pour que la transparence progresse vraiment dans les prochaines années ?

  • Speaker #0

    Oui, je n'ai pas d'autre choix que...

  • Speaker #1

    Toi, à titre personnel, est-ce que tu es confiant ? Comment tu vois le futur proche ? Est-ce qu'il y a des motifs d'espoir ou des motifs de réjouissance, des dossiers sur lesquels vous espérez gagner prochainement ?

  • Speaker #0

    Malheureusement, non. On a passé la grande décennie de la transparence. C'était un peu les années 2010. Il y a eu un mouvement mondial. A l'époque, c'était l'ouverture des données, l'open data, le gouvernement ouvert. Grâce au numérique, on va vraiment ouvrir la décision publique aux citoyens. On va changer la façon de faire les choses. Ce mouvement s'est un peu essoufflé aujourd'hui. Malheureusement, ce qui se passe, c'est qu'en tous les domaines, on recule. Je ne pense pas que ce soit fichu pour autant.

  • Speaker #1

    mais clairement le contexte il est moins favorable qu'il y a une dizaine d'années donc tu formes la prochaine génération d'acteurs publics est-ce que tu as un conseil à donner pour quelqu'un qui se lance dans le plaidoyer aujourd'hui ou un conseil que tu aurais aimé avoir quand tu t'es lancé toi-même ?

  • Speaker #0

    déjà c'est de ne pas penser qu'on peut faire ce métier seulement pour l'argent on ne peut pas être complètement cynique quand on fait des affaires publiques c'est un métier qui n'est pas comme les autres c'est un métier quand même où on a... un pouvoir qui est assez grand, même si à la fin, c'est le responsable public, c'est le parlementaire, c'est le ministre qui tranche. Il ne faut pas se réfugier derrière ce responsable public pour se dédouaner des décisions qui sont prises. On a forcément une influence et une responsabilité dans les décisions qui sont prises. Donc, il faut croire un minimum dans ce qu'on défend. Je ne pense pas qu'on puisse être totalement cynique. Et après, deuxième recommandation, je ne pense pas qu'il faille une expertise très poussée pour faire des affaires publiques, du lobbying. Je vais me tirer une balle dans le pied, mais je ne pense pas que les professions des affaires publiques doivent être réservées à des gens qui ont fait des masters de lobbying, d'affaires publiques. En réalité, c'est assez simple de faire des affaires publiques et je pense que le plus important, c'est d'une part de croire en ce qu'on défend et d'autre part d'avoir une vraie expertise sur le sujet qu'on défend.

  • Speaker #1

    Kevin, on arrive bientôt à la fin de cet épisode. Est-ce qu'il y a un sujet que tu voudrais... voulais développer, que tu n'as pas encore eu le temps d'aborder ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Parfait. Et pour conclure, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager ?

  • Speaker #0

    Beaucoup de films sur le lobbying. Un que j'avais bien aimé, c'était Miss Sloan, je crois. Sur une lobbyiste à Washington. C'est un thriller, mais c'est plutôt bien fait.

  • Speaker #1

    Génial. Merci beaucoup, Kevin.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Salut. Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le cofondateur de l'SJ Watch, la plateforme qui vous aide dans votre veille institutionnelle. A bientôt.

Description

« Où finit le plaidoyer légitime et où commence l’influence toxique ? »


Ancien collaborateur parlementaire et juriste formé au lobbying, Kévin Gernier est aujourd’hui responsable du plaidoyer chez Transparency International France.


Dans cet épisode, il raconte comment il est passé des bancs de Sciences Po Bordeaux à la lutte contre la corruption, pour défendre une idée simple mais exigeante : la transparence comme condition du pouvoir démocratique.


De la loi Sapin II au “Qatargate”, des valises de billets aux codes déontologiques des représentants d’intérêts, Kévin dévoile les zones grises du lobbying et plaide pour un cadre plus équitable entre ONG et grands groupes.


Avec lui, on parle de :


  • Comment est né le registre français du lobbying à la HATVP

  • Le rapport de force entre ONG et intérêts économiques

  • Les dérives du greenwashing et des arguments mensongers

  • La différence entre lobbying et plaidoyer

  • Et de cette conviction : « Le capital d’un lobby, c’est sa confiance. »

Un échange lucide et sans cynisme sur l’éthique, le pouvoir et la fabrique de l’influence.


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Transcription

  • Speaker #0

    Je pense que le plus important, c'est d'une part de croire en ce qu'on défend et d'autre part d'avoir une vraie expertise sur le sujet qu'on défend. Le capital d'un lobby le plus précieux, c'est son capital confiance. On pense qu'au moins l'égalité c'est la moindre des choses, et voire même sur certains sujets, on peut viser une interdiction pure et dure du lobbying des intérêts économiques.

  • Speaker #1

    Qui sont ceux qui font la loi ? Je m'appelle Pierre, fondateur de la plateforme de veille institutionnelle Légit Watch, et je rencontre celles et ceux qui font les coulisses de notre vie politique. Aujourd'hui, je reçois Kevin Jarnier, responsable du plaidoyer chez Transparency International France, juriste, ancien collaborateur à l'Assemblée Nationale, formé au lobbying, Il enseigne aujourd'hui à Sciences Po Bordeaux et consacre son action à une question centrale pour notre démocratie. Où finit le plaidoyer légitime et où commence l'influence toxique ? Salut Kevin.

  • Speaker #0

    Salut.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux ajouter quelque chose à cette courte description ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai rien à ajouter.

  • Speaker #1

    Parfait, alors t'es passé par l'Assemblée Nationale, puis la Haute Autorité pour la Transparence, avant de rejoindre Transparency en 2019. Qu'est-ce qui a motivé ton engagement dans la lutte contre la corruption et du coup pour la transparence ?

  • Speaker #0

    C'était un des premiers sujets auxquels je me suis intéressé. Je suis rentré après ma prépa à l'IEP de Bordeaux en me disant que j'allais passer des concours de la fonction publique. que j'avais travaillé pour l'intérêt général et puis j'ai eu la flemme de repasser des concours et j'ai vu ce master qui était dédié au lobbying à l'IEP de Bordeaux. Je me suis dit pourquoi pas c'est un peu une façon de court-circuiter les concours administratifs où on passe, on travaille beaucoup ensuite on est un technocrate dans un bureau et en fin de carrière on peut éventuellement espérer commencer à toucher à des enjeux plus politiques là en faisant du lobbying on se retrouve directement en prise avec les enjeux les plus politiques C'est génial, on n'a que le bon côté des sujets et pas les mauvais côtés. Donc j'y suis allé, je me suis rendu compte que je n'avais pas forcément envie de travailler tout de suite pour des intérêts lucratifs, même si je ne les diabolise pas et je considère qu'ils ont droit d'avoir des lobbyistes et de faire du lobbying. Donc je me suis intéressé à ce sujet de transparence, du lobbying et d'encadrement qui commençait à émerger à l'époque, parce qu'on était en 2016, il y avait la loi Sapin 2 qui était en train d'être adoptée. C'est comme ça que je me suis retrouvé d'abord à faire un stage aux autorités pour la transparence de la vie publique, au moment où ils mettaient en œuvre le répertoire de transparence du lobbying. Et c'était marrant de voir comment un service administratif galérait à transformer en outil numérique concret des textes juridiques. Parce qu'il y avait un temps qui était très restreint, des consignes du législateur et ensuite du pouvoir réglementaire. qui était parfois un peu flou ou contradictoire, et il fallait en deux mois transformer ça en site internet opérationnel pour que les lobbyistes puissent s'enregistrer. Donc c'était super intéressant de voir de l'intérieur.

  • Speaker #1

    Comment vous avez fait ça ? C'est toi qui as participé ?

  • Speaker #0

    Moi je suis juste stagiaire, mais je travaillais avec le responsable de la mise en œuvre du répertoire, et ça avait été internalisé à l'époque, il y avait un service informatique interne à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, et nous on faisait la maîtrise d'œuvre, c'est comme ça qu'on dit je crois dans le milieu. Donc on leur avait des petits tickets, moi j'ai appris à travailler avec des développeurs, ils nous disaient on ne comprend pas, c'est compliqué les tickets, on ne peut pas faire ça, c'est beaucoup plus compliqué que ce que vous pensez. On s'engueulait, il y avait des allers-retours et à la fin on avait quand même un truc qui était opérationnel. C'était rigolo à voir de l'intérieur parce que là on est vraiment sur le concret de l'action publique et on dit souvent que dans le secteur public il n'y a pas de culture, du numérique, pas d'agilité. Là quand même ils ont réussi en temps terrestre à sortir quelque chose d'opérationnel. Donc non, je ne pense pas qu'il y ait de manque de culture dans le secteur public. Et ensuite, je me suis retrouvé à l'Assemblée nationale, parce que j'avais envie de voir les coulisses de la fabrique du droit. Et ensuite, mon premier emploi, je l'ai trouvé à Transparency International France, après une petite période de chômage.

  • Speaker #1

    Est-ce que, quand tu as choisi de rentrer dans les études de lobbying, est-ce que c'était dans le cadre d'un engagement militant déjà, ou par curiosité, qu'est-ce qui t'a amené là ?

  • Speaker #0

    La curiosité pour la fabrique des politiques publiques, la curiosité pour comment on transforme souvent des demandes assez vagues, parfois confuses, contradictoires des électeurs, des associations, du public, des entreprises, des élus eux-mêmes, en politiques publiques concrètes, et tous les intérêts contradictoires, divergents, qu'ils discutent entre eux pour les mettre en œuvre. Ensuite, sur la question du militantisme, c'est un vrai débat en ONG. Est-ce que quand on est salarié d'une ONG, on est militant ? Moi, j'ai des collègues qui ne se considèrent pas du tout comme militants. Ils sont salariés d'une association et ils appliquent les consignes qui sont émises par le conseil d'administration bénévole de l'association. Parce qu'en fait, si on se considère à 100% militant quand on est salarié d'une ONG, ce n'est pas très sain, parce qu'on reste salarié. Le fonctionnement des associations loi 1900, ça reste normalement un fonctionnement par principe non lucratif. Les salariés sont là pour aider la mise en œuvre de l'objet social de l'association, mais l'association doit rester gouvernée par des administrateurs, un président, des bénévoles, qui sont totalement non rémunérés. Moi, je suis un peu entre les deux, parce qu'au bout d'un moment, quand on finit par travailler pendant longtemps sur un sujet, on finit forcément par le prendre à cœur, même dès le début. Il faut savoir, je trouve, un peu parfois réfréner son engagement militant et mettre plutôt son énergie militante dans d'autres structures. Moi, je trouve que c'est important de s'engager bénévolement à côté dans des assos, des partis politiques, pourquoi pas, sur son temps libre, et de ne pas vraiment fusionner son engagement militant avec sa vie salariée et son gagne-pain.

  • Speaker #1

    Alors tu as été amené à former des étudiants à Sciences Po Bordeaux sur les questions d'éthique et de lobbying. Qu'est-ce que tu essaies de leur transmettre ? À quoi ça ressemble un cours de Kevin Jarnier ?

  • Speaker #0

    J'essaie de leur transmettre des grilles d'analyse pour analyser des situations qui ne sont ni blanches ni noires, parce que c'est toujours un peu gris ces situations de dilemmes moraux, éthiques ou même juridiques. Le droit n'apporte pas de réponse absolue sur tous les cas. Souvent on a l'idée que le droit c'est vraiment une... Une grande machine qui donne toujours la même réponse à partir de paramètres constants. Pas vraiment, c'est plutôt une grille d'analyse qui permet de céder, s'orienter dans certaines situations, mais qui ne dispense pas de réfléchir. Après, je leur apprends à faire distinction entre les types d'argumentaires. Est-ce que c'est juridique ? Est-ce que c'est pénal ? Est-ce que c'est déontologique ? Ou est-ce que c'est moral ? Et on a le droit d'avoir une analyse morale quand il s'agit de corruption. On a le droit de dire, là, c'est peut-être légal, mais moi, je trouve que c'est pas bien, pas moral. Et je trouve qu'il faudrait mettre un terme à cette situation, soit en la rendant illégale, soit en comptant sur la responsabilité des acteurs pour y mettre un terme. Après, les étudiants, généralement, quand ils s'engagent dans des masters de lobbying, malheureusement, ils sont parfois déjà un peu cyniques. Et j'essaye de susciter leur indignation pour m'assurer qu'il y a bien une conscience morale et qu'ils ne font pas ça uniquement pour l'argent. et je ne crois pas qu'il n'y en ait aucun qui fasse ça uniquement pour l'argent. Je pense que la plupart des gens qui s'intéressent aux affaires publiques, ils le font fondamentalement par curiosité intellectuelle.

  • Speaker #1

    Et du coup, toi, pour rentrer dans le vif de ton quotidien, chez Transparency International, Qu'est-ce que vous faites exactement ? Est-ce que vous poussez évidemment pour plus de transparence, mais est-ce que vous enquêtez sur des sujets ou des dossiers qui paraissent trop opaques ?

  • Speaker #0

    On n'enquête pas directement parce qu'en France, on a une presse indépendante d'investigation de qualité. J'ai des collègues dans d'autres sections de transparence internationale à travers le monde qui font davantage d'enquêtes parce qu'ils sont dans des pays plus autoritaires avec moins de presse d'investigation. Donc ils doivent faire ce travail, quasiment faire le travail d'un média. et d'une ONG en même temps. En France, on n'a pas besoin de faire ça, heureusement. Nous, on va plutôt transformer la matière des journalistes en recommandations de plaidoyer concrètes, et on va monter en généralité. C'est ce qu'on a fait, par exemple, sur le lobby des pesticides en 2023. On n'a pas fait l'enquête qui a montré que le lobby des pesticides, donc Fiteis, avait utilisé des arguments mensongers pour défendre sa cause. une journaliste indépendante qui a fait l'enquête. Nous, on a lu l'enquête et on a transformé cette matière d'investigation. On a utilisé une grille d'analyse qui était le code de déontologie des représentants d'intérêt à l'Assemblée nationale et au Sénat pour dire que ce problème qui est soulevé par une journaliste seulement sous l'angle moral pour l'instant, nous on pense que ça relève aussi d'un manquement déontologique. Donc on avait fait un signalement qui avait mené à une mise en demeure du lobby des pesticides. Nous, on est plutôt un intermédiaire entre les journalistes et les pouvoirs publics. voir les pouvoirs judiciaires quand il s'agit de porter plainte avec constitution de parti civil, de faire des signalements par cas.

  • Speaker #1

    Donc vous essayez de mettre des bâtons dans les roues aux lobbyistes qui ne jouent pas dans les règles. Et est-ce que vous poussez aussi des propositions de loi ou des amendements qui vous sont propres ?

  • Speaker #0

    Oui, on fait nous-mêmes du lobbying, même si on ne fait pas que ça. On fait du lobbying classique, traditionnel. On défend beaucoup, là en ce moment, moi je travaille beaucoup sur les... des propositions de loi, des mesures pour renforcer la transparence du lobbying. Le dernier texte en date qu'on a obtenu, mais qui n'a pour l'instant pas été inscrit à l'ordre du jour, c'est une proposition de loi du député écologiste et vice-président de l'Assemblée nationale, Jérémy Ordenoff. Et sinon, on fait régulièrement, dès qu'il y a un véhicule législatif adapté, des amendements clés en main à envoyer aux parlementaires.

  • Speaker #1

    La proposition de loi de M. Ordenoff, c'est justement pour rendre plus transparentes les actions des lobbyistes, c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'est pour corriger toutes les failles qui existent dans le cadre français qui est issu de la loi Sapin d'hôte 2016. Failles qu'on a eu de cesse de pointer du doigt, de demander la correction, sans succès pour l'instant. Mais on ne désespère pas, parce qu'après tout, faire du plaidoyer, c'est demander tout le temps la même chose. Et un jour, par miracle, il y a une demande qui fonctionne. Mais bon, ça reste très rare.

  • Speaker #1

    Avant cet entretien, on s'était vu en... en visio, pour un premier échange, et tu avais évoqué plusieurs fois une transformation dans ta lecture de la corruption. Et je cite « Avant le Qatargate, je pensais que les valises de billets appartenaient au passé. Aujourd'hui, je n'écarte plus jamais cette hypothèse. » Du coup, est-ce que tu peux parler de ça ? Comment ça a bouleversé ta perception des dérives du lobbying ?

  • Speaker #0

    Oui, alors avant le Qatargate, qui a éclaté en 2022-2023, de mémoire, ce qu'on disait souvent, c'était « La corruption, ça ne passe plus par des valises de billets. Ce n'est pas aussi caricatural que ça. C'est des mécanismes plus subtils. Soit on va passer par des crypto-monnaies, des comptes dans des paradis fiscaux, des montages juridiques très complexes pour masquer les transferts financiers. Ou alors par des mécanismes pas forcément illégaux, d'influence indue avec des recrutements d'anciens fonctionnaires, d'anciens ministres, des argumentaires un peu fallacieux, mais pas complètement mensongers, mais juste un peu déformés, de la nuance, de la subtilité. On arrive au CataRigate, on apprend... que la police belge a mené des perquisitions au domicile d'une vice-présidente du Parlement européen et celui de ses proches, qu'elle a été arrêtée avec son compagnon, et qu'ils ont retrouvé à son domicile et d'autres endroits littéralement des valises de billets avec des centaines de milliers d'euros. Ça a été un immense choc, parce que nous, on ne pensait pas que c'était encore possible aujourd'hui de corrompre des parlementaires européens. juste avec de l'argent liquide. Donc ça nous a amenés à nous remettre un peu en question et à nous dire que non, finalement, tout le travail qui avait été mené dans les années 80-90 de renforcement des mécanismes de répression de la corruption, vraiment, renforcement du code pénal, des moyens, des juges et services d'investigation, tout ça, ce n'était pas suffisant. Et qu'il ne fallait pas écarter d'emblée l'hypothèse qu'un responsable public touche littéralement des valises, des enveloppes de billets.

  • Speaker #1

    C'est intéressant parce que la plupart des invités que je reçois essayent forcément de démonter un peu la caricature ou le fantasme qu'il peut y avoir autour du méchant lobbyiste. Et toi, ce que tu dis, c'est qu'il y a encore énormément d'abus. qu'il ne faut pas être naïf. Est-ce que tu penses que ça pourrait arriver en France ?

  • Speaker #0

    Il y a une enquête aussi en cours en France sur un ancien parlementaire qui est suspecté de corruption via un lobbyiste intermédiaire douteux. Donc oui, il y a littéralement une enquête en cours encore aujourd'hui qui vise un ancien parlementaire. Donc oui, ça peut aussi arriver en France. Après, je reste persuadé que l'essentiel de ce qu'on appelle la corruption au sens large, ça passe toujours... Plus largement par des mécanismes d'influence indu. Donc c'est quoi l'influence indu ? C'est tout ce qui relève en fait de l'illégitimité, mais qui peut être légal. Donc ça peut être par exemple mener une opération de lobbying opaque en déclarant juste le nécessaire à la haute autorité pour la transparence de la vie publique, comme semble l'avoir fait par exemple Nestlé Waters, qui a fait du lobbying a priori, même si c'est possible qu'ils aient manqué à leurs obligations, mais bon voilà, JTP n'a pas donné suite à notre signalement. Ils ont juste déclaré le strict nécessaire à la haute autorité et derrière, ils ont demandé à ce qu'on adapte le cadre légal, réglementaire à leur pratique illégale. Ça, c'est pas légitime comme lobbying. C'est peut-être légal mais c'est pas du tout légitime. Il y a plein d'exemples comme ça qui relèvent de l'influence indue. Je pense que les opérations de lobbying les plus efficaces, elles vont mobiliser ces outils, mais qu'il ne faut pas écarter d'emblée les opérations de corruption pure et dure qui sont à la fois illégitimes et illégales. Après, franchement, c'est pas efficace, les valises de billets c'est pas efficace, qu'est-ce qu'ils ont obtenu les pays mis en cause, donc Maroc Mauritanie, Qatar, dans le Qatar Gate qu'est-ce qu'ils ont obtenu comme décision favorable du Parlement Européen, grâce à ces centaines de milliers d'euros bon a priori pas grand chose des interventions favorables en commission que personne n'a écouté, quelques signatures sur les tribunes, lettres ouvertes bon ça reste à démontrer, il y a le procès qui est toujours en cours, bon c'était pas non plus très très efficace. Ce qui est le plus efficace aujourd'hui, c'est de mener des opérations de communication à 360, de mobiliser tous les relais, et parfois de façon tout à fait légale.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous parler de l'affaire du lobby des pesticides que vous avez contribué à faire sanctionner pour chantage mensonger à l'emploi ?

  • Speaker #0

    C'est une opération qu'on a fait en 2023 avec trois autres ONG environnementales. En janvier 2023... une journaliste d'un média indépendant d'investigation qui a révélé que le lobby français des pesticides, qui s'appelle aujourd'hui Fiteis, avait menti tout simplement aux responsables publics en 2019. À l'époque, le lobby des pesticides s'opposait à l'entrée en vigueur d'une interdiction de production en France de substances pesticides qui étaient déjà interdites d'usage en France, mais qu'on pouvait encore produire en France pour les exporter. à l'étranger, ce qui était une forme d'hypocrisie assez sévère, puisqu'on considère que c'est trop toxique pour les utiliser en France, mais par contre qu'on pouvait aller empoisonner des voisins avec. Le législateur a dit qu'on arrête l'hypocrisie, on interdit la production de ces substances destinées à l'export. Le lobby des pesticides crie, comme tous les lobbys économiques savent le faire, à la suppression d'emplois. Ils disent qu'on va devoir supprimer 2700 emplois directs et 1000 emplois indirects, ça rentre en vigueur avec vos mesures d'angélisme vert. « Soyez réalistes, pensez à l'emploi local » . Ils démarchent, classiques, ils vont démarcher les parlementaires qui ont des usines de pesticides dans leur circonscription, stratégie de lobbying très classique. Les parlementaires déposent des amendements au Sénat pour revenir sur cette interdiction. Les amendements sont adoptés au Sénat, à l'Assemblée nationale, avec le soutien du gouvernement qui réutilise dans son discours ce chiffre magique des 2700 emplois menacés. C'est censuré in extremis par le Conseil constitutionnel. Parce que c'était un cavalier législatif, cet amendement qui réintroduisait l'autorisation de produire ces pesticides. Finalement, c'est interdit, ça entre en vigueur. La journaliste investigue en 2023 et elle se rend compte qu'aucune des usines qui étaient présentées comme menacées n'a supprimé le moindre emploi. Donc voilà, nous, on repère ça. On se dit, là, c'est rare, en fait, de trouver un cas de lobbying où on est sûr que l'argument a été mensonger. C'est très rare, parce que déjà, souvent, on n'a même pas accès à l'argumentaire, puisqu'en fait, les documents de lobbying ne sont pas rendus publics. Donc on n'a même pas de matière à expertiser. Là, il se trouve que la presse avait publié à l'époque des courriers du lobby qui mentionnaient cet argument. On a fait un signalement à l'Assemblée nationale et au Sénat, puisque beaucoup de lobbyistes l'oubliaient à l'époque, mais dans les codes de déontologie des représentants d'intérêt à l'Assemblée, au Sénat et aussi auprès des ministres et des élus locaux, il y a une disposition qui interdit de défendre ses intérêts en utilisant des éléments destinés à volontairement induire en erreur les responsables publics.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on risque vraiment quelque chose quand on se fait attraper comme ici ?

  • Speaker #0

    Pas grand-chose, en réalité. Là, en l'occurrence, on a obtenu... Parce que Fintéis a été très mauvais dans ses réponses aux sénateurs. Ils ont été mis en demeure. C'est la sanction, c'est un manquement déontologique, c'est pas du pénal. Donc ils ont été mis en demeure par Gérard Larcher et ensuite par Yann Lebrun-Pivet. C'est juste du name and shame. Comme c'est pas du pénal, il n'y a pas de peine de prison, il n'y a pas d'amende. Après, je pense que c'est quand même efficace pour un lobby, parce que le capital d'un lobby le plus précieux, c'est son capital confiance. C'est sa crédibilité, son expertise qui peut faire valoir auprès des responsables publics. Je pense que ça a écorné ce capital confiance du lobby des pesticides. Mais je pense qu'il y a d'autres leviers qu'on peut continuer d'actionner sur d'autres sujets, notamment le greenwashing, où là on peut aller au pénal sur le terrain judiciaire.

  • Speaker #1

    Comment ça se fait ? Pourquoi on peut aller plus loin sur le greenwashing ?

  • Speaker #0

    Là, en ce moment, ce qui est tenté par d'autres ONG, c'est d'actionner le levier de la pratique commerciale trompeuse. Pour sanctionner des entreprises qui font du greenwashing, alors pas nécessairement dans leur lobbying direct auprès des responsables publics, mais plutôt dans leur communication auprès du grand public. À la rentrée, il y a le procès de Total Energy, notamment été initié par Greenpeace et d'autres ONG. Sur ce fondement-là, on verra s'ils sont condamnés ou pas. Et s'ils le sont, ça va élargir la jurisprudence sur le terrain judiciaire.

  • Speaker #1

    Donc quand ce n'est pas du lobbying, mais de la communication, il y a plus de sanctions potentielles ?

  • Speaker #0

    Pour l'instant, l'état actuel de la jurisprudence, oui. Parce que surtout le juge, il a plus d'éléments à expertiser, à juger en matière de communication grand public. Parce qu'en matière de lobbying, malheureusement, aujourd'hui, il n'y a pas d'obligation de publier les documents in extenso qui ont été envoyés aux responsables publics. Donc, on a du mal à contre-expertiser ces éléments.

  • Speaker #1

    Alors, sur d'autres terrains, vous avez récemment travaillé sur un rapport comparant les moyens financiers des ONG et des lobbies lucratifs. À quoi ça ressemble ? Est-ce que c'est le David contre Goliath qu'on peut attendre ?

  • Speaker #0

    Oui. Ce qu'on a trouvé, c'est qu'on avait en gros une différence de... 1 à 7 en termes de dépenses de lobbying entre les lobbies à but lucratif, donc en gros les entreprises et leurs fédérations représentatives, et les lobbies à but non lucratif, donc en gros les ONG, l'ESS. Donc voilà, on a trouvé qu'il y avait 7 fois plus d'argent qui était dépensé par ces lobbies à but économique pour défendre leurs intérêts. Tout simplement parce qu'il y a beaucoup plus aujourd'hui de lobbies à but économique. En gros, il y a 85% des lobbies qui sont déclarées à l'Auto-Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. ils représentent un intérêt économique. Et on n'a que 15% de lobbies qui représentent des intérêts non économiques. Et on retrouve aussi ces différences en termes de nombre de lobbyistes employés, où là, la différence est de l'ordre de 9. C'est-à-dire qu'il y a 9 fois plus de lobbyistes qui sont employés par ces entreprises, ces fédérations économiques, par rapport aux lobbyistes, aux chargés de plaidoyer, comme moi, employés par des ONG.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a un espoir de rééquilibrage ? Par exemple, je ne sais pas, plus de subventions pour l'autre camp ? Ou au contraire ? Je ne sais pas. Économiquement, est-ce qu'il y a une manière de taxer l'un pour reverser à l'autre ?

  • Speaker #0

    Nous, ce qu'on propose déjà, c'est qu'effectivement, il y ait plus de subventions publiques pour les ONG. Parce que nous, on ne peut pas lever des fonds pour défendre l'intérêt général. On peut lever des fonds à travers les dons que nous font les personnes physiques, à travers les dons que nous font des personnes morales. Mais c'est la lutte contre la corruption. Il n'y a pas de chiffre d'affaires derrière. Si on arrive à notre finalité, c'est-à-dire à faire disparaître totalement la corruption dans le monde, ce qui n'arrivera pas, mais si, par hasard, on y arrive, là on n'aura pas plus de chiffre d'affaires, on va juste fermer tout simplement l'ONG.

  • Speaker #1

    Est-ce que comme pendant les élections, c'est pas respecté dès le début, mais on pourrait dire qu'il y a un temps de parole égal entre chaque camp et une exposition égale entre chaque... Défense d'intérêts, est-ce que ça pourrait...

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce qu'on aimerait sur les consultations, par exemple, en amont l'élaboration d'une décision publique. On aimerait que les pouvoirs publics veillent volontairement déjà à au moins une égalité de consultation entre les intérêts économiques et non économiques. Ça nous semble être la moindre des choses. Et d'ailleurs, il y a même des sujets où l'égalité stricte n'est même pas souhaitable. Par exemple, il y a une charte au niveau mondial de l'Organisation mondiale pour la santé, l'OMS, Merci. qui interdit aux entreprises du tabac de faire du lobbying sur des sujets de santé publique et de prévention du tabagisme. Donc là, les États se sont mis d'accord pour vraiment ne même pas autoriser l'égalité de temps de parole entre ONG et entreprises et pour vraiment bannir les entreprises, les représentants des intérêts économiques du tabac, des discussions sur les politiques de santé publique. On pense qu'au moins l'égalité, c'est la moindre des choses, voire même sur certains sujets. on peut viser une interdiction pure et dure du lobbying des intérêts économiques.

  • Speaker #1

    Si tu avais une réforme prioritaire que tu pousserais si tu en avais le pouvoir, est-ce que ce serait celle-là ou est-ce qu'il y a d'autres priorités encore ?

  • Speaker #0

    Oui, il y a ça. Il y a s'assurer qu'il y ait une égalité au moins à minima dans les consultations des responsables publics, qu'il y ait des obligations de consultation ouvertes en amont de l'élaboration des projets de loi ou des décrets. Systématiquement, ça nous semble être la moindre des choses aussi, parce qu'aujourd'hui, l'exécutif, ça reste une énorme boîte noire, davantage que le Parlement. Alors même que la tension médiatique et publique, souvent, elle est concentrée sur le Parlement. Quand les textes de loi, ils arrivent dans la navette parlementaire, c'est généralement à ce moment-là que les médias en parlent le plus, à ce moment-là qu'il y a des manifestations. C'est ce qui s'est passé pour la loi Duplon, par exemple. Alors, c'est une exception à la loi Duplon, parce que c'est une proposition de loi. Mais généralement, là où le lobbying est le plus efficace et malheureusement le plus opaque, c'est quand c'est en cours d'élaboration dans les ministères, quand il y a des projets de loi, des décrets qui sont rédigés dans les ministères.

  • Speaker #1

    Et comment on fait pour ouvrir la boîte noire à ce moment-là ? Est-ce qu'il y a déjà des pistes de réflexion, des choses qu'on pourrait activer ?

  • Speaker #0

    Oui, déjà faire des consultations publiques plus systématiques, de façon même quasiment obligatoire pour chaque décret qui soit élaboré, pour chaque projet de loi qui soit élaboré. Il y a eu des cas dans le passé, il y a eu la loi République numérique en 2016, il y avait eu une grande consultation en ligne, chacun pouvait amener un amendement, un commentaire sur le texte de loi. Au niveau européen, il y a ce qu'on appelle les Better Regulation Guidelines qui... qui imposent, en théorie, à la Commission européenne de faire des consultations ouvertes, publiques, équitables, transparentes. En pratique, ces derniers temps, la Commission européenne s'est un peu assise sur ces Better Regulation Guidelines, qui ont quand même le mérite d'exister.

  • Speaker #1

    Alors, si ça te convient, on va passer à la séquence vrai-faux.

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #1

    Je vais te dénoncer trois phrases et tu réponds par vrai ou faux. Tu peux développer si tu le souhaites, évidemment. La première phrase, plaidoyer et lobbying, c'est pareil.

  • Speaker #0

    Faux.

  • Speaker #1

    Quelle est la différence majeure, d'après toi ? Parce que, justement, j'ai reçu, ici, Jordan Allouche. qui travaille à Ecoloobie, et lui se revendique comme lobbyiste écologique pour, je cite, « aller sur leur terrain et essayer de les battre sur leur terrain » .

  • Speaker #0

    Il y a trois stades dans cette question qui est un peu l'arlésienne des affaires publiques. Premier stade, on se dit non, le lobbying et le plaidoyer, ce n'est pas la même chose, parce que le lobbying, c'est pour des intérêts particuliers, le plaidoyer, c'est pour l'intérêt général. Bon, ce n'est pas aussi simple que ça. Déjà, c'est très compliqué de définir qu'est-ce que l'intérêt général, qu'est-ce qu'un intérêt particulier, même si je pense qu'il y a une différence. Donc, deuxième stade de la réflexion, on se dit « Bon, finalement, c'est pareil. Moi, je ne suis pas naïf. Je sais que le plaidoyer et le lobbying, c'est la même chose. » C'est un discours qui est souvent défendu par des lobbyistes du secteur privé qui travaillent pour des entreprises. Je pense que ce n'est pas satisfaisant parce que c'est un discours qui vise à tout relativiser et aussi à laisser penser que le terrain politico-médiatique, le terrain de jeu des lobbyistes, c'est un peu comme un... un traitoire lors d'un procès. C'est-à-dire que chaque partie civile, chaque victime a droit à son avocat, donc à son lobbyiste, qu'il y a des procédures, que chacun plaide sa cause et qu'à la fin, le responsable public, c'est comme un juge, il va trancher le juste milieu et il va prendre la bonne décision en fonction des plaidoiries de chaque avocat, de chaque lobbyiste. Ça, c'est une analogie qui n'est pas pertinente parce que dans un tribunal, il y a un ensemble de procédures qui font qu'il n'y a vraiment pas de distorsion, normalement, dans la représentation de chaque partie prenante. Le terrain politico-médiatique, ce n'est pas un tribunal, c'est la jungle. C'est celui, souvent, qui a le plus d'argent, qui a le plus de moyens de défendre sa cause. Tous les coups sont permis, même s'il y a des règles déontologiques et légales. Ce n'est pas comme dans un procès. Il y a beaucoup de coups qui sont permis, beaucoup plus. et l'argent. ne permet pas tout, mais facilite grandement la défense des causes. Et je ne pense pas que l'intérêt général, ce soit le juste milieu entre les défenseurs, les gens qui se font de l'argent en vendant des pesticides, et les victimes du cancer, qui n'ont pas d'argent pour défendre leurs causes. Je pense qu'il y a un moment où le juge, l'inspecteur public, doit prendre parti. Donc je pense qu'il y a une différence entre l'intérêt général et les intérêts particuliers. Ça, c'est la distinction de plaidoyer-lobbing. Sur la finalité, il y a aussi une différence d'outils à mobiliser. Je pense que quand on fait du plaidoyer en ONG, on peut mobiliser des outils qui sont différents des outils du lobbying. Même si le lobbying fait partie de la palette, il y a aussi des outils de mobilisation citoyenne qui ne sont pas accessibles aux lobbyistes d'entreprise. Pour ces raisons, je pense qu'il faut faire la distinction entre les deux.

  • Speaker #1

    La deuxième phrase, on peut faire du lobbying propre, mais pas du lobbying neutre.

  • Speaker #0

    Vrai. Le lobbying, c'est par définition forcément orienté. Le lobbying, ce n'est pas la science. d'ailleurs... Quand le lobbying essaie de se faire passer pour la science, c'est mauvais signe. C'est qu'il y a un problème, généralement. Donc non, non, il faut assumer les intérêts qu'on représente, être très transparent dessus, et ne jamais prétendre représenter une sorte d'objectivité, de vérité absolue. Parce que généralement, enfin même systématiquement, quand un lobbyiste prétend défendre une vérité absolue, il est dans la manipulation.

  • Speaker #1

    Et la dernière phrase, il n'y a jamais eu autant de transparence dans les institutions qu'aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est compliqué. Oui, mais ce n'est pas suffisant. Oui, si on prend du recul historique à ce réel long terme et qu'on fait de l'histoire de façon très amateur, oui, clairement, les régimes démocratiques qui sont assez récents dans l'histoire de l'humanité, ils sont quand même globalement plus transparents que les précédents régimes qu'on avait pu avoir. et depuis la naissance de la démocratie, sa généralisation, on a quand même... avec le numérique, plus d'outils pour avoir accès à l'information. Ça ne veut pas dire que c'est suffisant pour autant. Il y a toujours des grandes boîtes noires qui subsistent. L'exécutif, c'est toujours une immense boîte noire, alors même qu'il y a les moyens techniques... beaucoup plus transparente sur sa prise de décision. Il y a toujours une vraie volonté d'opacité dans les ministères. Il y a cette idée qui subsiste, qui consiste à penser que la bonne décision publique, c'est d'abord à l'ombre, parce que finalement, l'attention médiatique, ça apporte une pollution, ça apporte de l'irrationalité, et qu'un bon fonctionnaire prend sa décision dans l'ombre, sur la base d'éléments rationnels, scientifiques, qui en réalité... ne sortent pas de nulle part, peuvent être produits par des intérêts particuliers, peuvent faire l'objet de manipulations. Et nous, on pense que pour éviter ces biais-là, il faut plus de transparence.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il reste un espoir pour que la transparence progresse vraiment dans les prochaines années ?

  • Speaker #0

    Oui, je n'ai pas d'autre choix que...

  • Speaker #1

    Toi, à titre personnel, est-ce que tu es confiant ? Comment tu vois le futur proche ? Est-ce qu'il y a des motifs d'espoir ou des motifs de réjouissance, des dossiers sur lesquels vous espérez gagner prochainement ?

  • Speaker #0

    Malheureusement, non. On a passé la grande décennie de la transparence. C'était un peu les années 2010. Il y a eu un mouvement mondial. A l'époque, c'était l'ouverture des données, l'open data, le gouvernement ouvert. Grâce au numérique, on va vraiment ouvrir la décision publique aux citoyens. On va changer la façon de faire les choses. Ce mouvement s'est un peu essoufflé aujourd'hui. Malheureusement, ce qui se passe, c'est qu'en tous les domaines, on recule. Je ne pense pas que ce soit fichu pour autant.

  • Speaker #1

    mais clairement le contexte il est moins favorable qu'il y a une dizaine d'années donc tu formes la prochaine génération d'acteurs publics est-ce que tu as un conseil à donner pour quelqu'un qui se lance dans le plaidoyer aujourd'hui ou un conseil que tu aurais aimé avoir quand tu t'es lancé toi-même ?

  • Speaker #0

    déjà c'est de ne pas penser qu'on peut faire ce métier seulement pour l'argent on ne peut pas être complètement cynique quand on fait des affaires publiques c'est un métier qui n'est pas comme les autres c'est un métier quand même où on a... un pouvoir qui est assez grand, même si à la fin, c'est le responsable public, c'est le parlementaire, c'est le ministre qui tranche. Il ne faut pas se réfugier derrière ce responsable public pour se dédouaner des décisions qui sont prises. On a forcément une influence et une responsabilité dans les décisions qui sont prises. Donc, il faut croire un minimum dans ce qu'on défend. Je ne pense pas qu'on puisse être totalement cynique. Et après, deuxième recommandation, je ne pense pas qu'il faille une expertise très poussée pour faire des affaires publiques, du lobbying. Je vais me tirer une balle dans le pied, mais je ne pense pas que les professions des affaires publiques doivent être réservées à des gens qui ont fait des masters de lobbying, d'affaires publiques. En réalité, c'est assez simple de faire des affaires publiques et je pense que le plus important, c'est d'une part de croire en ce qu'on défend et d'autre part d'avoir une vraie expertise sur le sujet qu'on défend.

  • Speaker #1

    Kevin, on arrive bientôt à la fin de cet épisode. Est-ce qu'il y a un sujet que tu voudrais... voulais développer, que tu n'as pas encore eu le temps d'aborder ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Parfait. Et pour conclure, est-ce que tu aurais une recommandation culturelle à nous partager ?

  • Speaker #0

    Beaucoup de films sur le lobbying. Un que j'avais bien aimé, c'était Miss Sloan, je crois. Sur une lobbyiste à Washington. C'est un thriller, mais c'est plutôt bien fait.

  • Speaker #1

    Génial. Merci beaucoup, Kevin.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #1

    Salut. Merci d'avoir écouté Hémicycle, le podcast qui décrypte la fabrique de la loi. Je m'appelle Pierre, je suis le cofondateur de l'SJ Watch, la plateforme qui vous aide dans votre veille institutionnelle. A bientôt.

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