49 - Histoire du papier marbré cover
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Histoires d'Artisans

49 - Histoire du papier marbré

49 - Histoire du papier marbré

25min |02/05/2024
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49 - Histoire du papier marbré

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25min |02/05/2024
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Description

Dans cet épisode nous accueillons Laurie Archambault, fondatrice de Laurie&LesPetitesMains, relieure et créatrice de papier marbré. On peut aussi appeler le Créateur et la créatrice de papier marbré, marbreur ou marbreuse. Pour la reliure, elle a préféré ajouter un “e” à relieur parce qu’une relieuse, c’est l’outil qu’ils utilisent. 

Dans ce premier épisode, on ne va pas parler d’étymologie des noms de métiers. Je voulais qu’avec Laurie nous vous racontions l’Histoire de la marbrure. Le papier marbré est un papier décoré dont les motifs imitent ceux du marbre ou d'autres roches, et qui est utilisé notamment en reliure. Sa technique de réalisation consiste à faire flotter des pigments sur un liquide légèrement gélifié, puis à produire un motif sur l'eau, et transférer ensuite ce motif sur une feuille de papier. Mais tout cela, Laurie vous le racontera mieux que moi. Belle écoute !

Histoires d’Artisans est l’association qui valorise l’ingénierie des artisans d’art en mettant en avant l’innovation et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d’un univers merveilleux et riche avec lequel collabore Histoires d’Artisans.

Liens de l’épisode : 

Laurie Archambault - Laurie & Les Petites Mains

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Histoires d’Artisans

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Le Carnet des Innovations


Production et réalisation : Lisa Millet

Montage et musiques : Quentin Blic


Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast@histoiresdartisans.com.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans mon atelier.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans Histoire d'artisan. Je suis Lisa Mier et je serai votre guide dans l'exploration de l'artisanat d'art. Histoire d'artisan est l'association qui valorise l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d'un univers merveilleux et riche avec lequel collabore Histoire d'Artisan. Aujourd'hui, nous accueillons Laurie Archambault, fondatrice de Laurie et les petites mains, relieur et créatrice de papier marbré. On peut aussi appeler le créateur et la créatrice de papier marbré marbreur ou marbreuse. Et non, ils ne travaillent pas la pierre. Pour la reliure, elle a préféré ajouter un E à relieur, parce qu'une relieuse, c'est l'outil qu'ils utilisent. Dans ce premier épisode, on ne va pas parler d'étymologie des noms des métiers. Je voulais qu'avec Laurie nous vous racontions l'histoire avec un grand H de la marbrure. Le papier marbré est un papier décoré dont les motifs imitent ceux du marbre ou d'autres roches et qui est utilisé notamment en reliure, d'où le nom. Sa technique de réalisation consiste à faire flotter des pigments sur un liquide légèrement gélifié puis à produire un motif sur l'eau et transférer ensuite ce motif sur une feuille de papier. Mais tout cela, Laurie va vous le raconter mieux que moi. Belle écoute !

  • Speaker #2

    Donc, Laurie, tu es relieur et créatrice de papier marbré. Relieur, on l'écrit avec un E parce que tu es une femme et qu'on y tient. Je te propose, dans ce premier épisode, de plus parler de l'histoire du papier marbré, parce que pour moi, déjà, il y a beaucoup de choses à raconter. On en a un petit peu parlé avant et j'avais un peu des bases avant de venir ici. Et surtout pour moi, c'est un moyen de mieux apprécier cet art et de mieux apprécier les papiers qu'on peut voir. C'est pour ça que je te propose qu'on fasse un focus vraiment papier marbré dans ce premier épisode. Si je ne me trompe pas, cette histoire, elle a commencé en Asie.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Ça a commencé en Asie au 8e siècle. Donc effectivement, on parle de papier sumi nagashi. Sumi qui signifie encre, nagashi qui signifie de l'encre qui flotte en mouvement. Et donc c'est une technique qu'on va situer plutôt au Japon et qui va se développer dans toute l'Asie et qui va arriver en Perse et en Empire Ottoman dès le XVe siècle. Donc c'est suivant la route de la soie qu'on va avoir des échanges techniques, de matériaux, des papiers rapportés et qu'on va nous plutôt utiliser la couleur. Le minéral broyé qu'on va différencier plutôt du végétal, par exemple l'indigo qui est de base végétale qu'on utilise en Asie. On va aussi l'utiliser dans les papiers ottomans, mais on va aussi se tourner davantage vers le minéral pour fabriquer nos couleurs.

  • Speaker #2

    Il y a quel type de minéraux qui sont utilisés ?

  • Speaker #0

    Il y en a plein. Déjà, il y a toutes les terres naturelles. Si on s'écarte un peu de l'Empire ottoman et qu'on regarde en France, il y a des terres en Bourgogne, en Roussillon. Il faut s'imaginer que sur chaque territoire, on a des terres naturelles. On a aussi des gisements en Pied-de-Lune. Les pierres semi-précieuses permettent de faire du bijou. Forcément, les pierres qui servent en bijou sont un peu trop dures. Ce qui va intéresser le marbreur, c'est plutôt une terre tendre, friable. Même si on a certaines pierres qui sont dures, on peut quand même les transformer en couleurs, en pigments liquides, mais le processus est beaucoup plus long. Donc effectivement, il y a toute une tradition d'ailleurs autour de ça, savoir quelle pierre on peut choisir, et en fonction de sa densité, quelle couleur on va obtenir à la fin. Il y a vraiment des étapes de broyage de la pierre qui sont assez complexes et assez longues. Et pour préparer une couleur, même si elle est déjà réduite sous forme de petits grains en pigment, par exemple si on achète une terre en roussillon, en fait elle va être prête seulement au bout de trois semaines. Le liant qu'on utilise dans les recettes ottomanes, qui est le fiel de bœuf. C'est un acide naturel, et cet acide naturel va aider au broyage de la couleur et créer son unité, puisqu'elle porte le nom de liant, donc elle crée l'unité de la couleur, qui ne sera donc pas mélangeable aux autres. C'est ce qui permet de créer ces jeux de matière et ces superpositions de tâches qui permettent ensuite de créer les motifs. Et donc ce liant, comme c'est un acide, il lui faut trois semaines pour agir. Sur la couleur et que cette couleur puisse à la fois flotter et être imprimée sur le papier ou sur le support, puisqu'il n'y a pas que le papier en soi, on peut imprimer sur de la soie, sur du cuir, du parchemin, tout matériau poreux, mais bien évidemment, les trois quarts du temps, c'est plutôt sur du papier.

  • Speaker #2

    Quel que soit le minéral, ça prend trois semaines ?

  • Speaker #0

    Oui, environ trois semaines au minimum. Et donc pour les pierres plus dures, quand je parlais tout à l'heure des gisements semi-précieux, effectivement, là, il faut beaucoup plus de temps parce que déjà, il faut réduire. C'est son caillou en une terre, quelque chose de très fin, le plus fin possible. Donc on passe par des étapes avec des petits marteaux. On peut broyer avec le pavé de marbre traditionnel sur une plaque de marbre. Et puis ensuite, si le pigment est mis cible à l'eau, on vient faire son mélange sur pierre pour créer la pâte pigmentaire à base d'eau. Et si le pigment n'est pas miscible à l'eau, on va d'abord mettre le fiel de bœuf, ce qui permettra ensuite de rajouter l'eau. Et puis après, dans les compositions, c'est une vraie petite recette, c'est un peu de la cuisine. On a le miel qui est un conservateur naturel, on va rajouter un élément qui permet de bien fixer les bœufs. La couleur sur le support qui est la gomme arabique. Et puis, on peut jouer sur l'intensité de la couleur en fonction de la quantité de pigments. Et le fiel de bœuf, lui, au contraire, va plutôt avoir le pouvoir d'éclaircir la couleur. Et c'est pour ça qu'on attend trois semaines. Trois semaines, c'est le temps pour le fiel de s'évaporer et de rester en quantité suffisante pour que le pigment flotte, mais ne soit pas non plus trop clair. Et donc, la dilution se fait avec de l'eau.

  • Speaker #2

    Et est-ce que ça fait partie du métier de marbreur de faire ces pigments ou est-ce que vous les achetez ?

  • Speaker #0

    Alors, normalement, culturellement, quand on est marbreur, on fabrique non seulement ces pigments, mais on fabrique aussi ces pinceaux. Il y a des pinceaux traditionnels avec des branches de rosier et du crin de cheval. Normalement, c'est une technique qui se transmet de maître à élève dans la marbreur. Donc, c'est quelque chose que j'ai appris à faire et la fabrication des pigments aussi. Donc,

  • Speaker #2

    on est au XVe siècle. Ça a mis sept siècles à passer de l'Asie à l'Empire ottoman. J'imagine que c'est toujours très long à cette époque-là, puisqu'il n'y a pas Internet.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #2

    Et donc au XIVe siècle, ça arrive en Perse. Qu'est-ce qu'on attend de ce matériau ? Qu'est-ce qu'on en fait ? On en fait la même chose qu'en Asie ?

  • Speaker #0

    Alors, à l'origine, en Asie, c'est un support pour la calligraphie, la poésie, la correspondance. C'est vrai que quand ça va arriver en Empire ottoman, on est plutôt sur l'objet peut avoir une fonction. Il est tout autant décoratif qu'en Asie et sa fonction là pour le coup c'est tout ce qui est documents officiels non reproductibles. Donc c'est assez intéressant de voir qu'il y a des commandes de papier qui sont réalisées à l'époque pour ces documents. Et puis c'est aussi donc l'écriture c'est quelque chose qui devient populaire. En tout cas même si tout le monde ne sait pas écrire, il y a des manuscrits qui circulent et ces manuscrits il faut bien les habiller, les protéger. Et donc déjà dans les pages de garde qui gardent les manuscrits, donc qui les protègent, on a l'utilisation de papier marbré.

  • Speaker #2

    La page de garde. C'est à l'intérieur de la couverture ?

  • Speaker #0

    Oui, en fait, quand on ouvre la partie rigide du livre, qui est la couverture, les premières pages sur lesquelles on arrive, c'est ces pages de garde, qui sont à la fois décoratives et qui portent bien leur nom, puisqu'elles gardent l'ouvrage et le protègent.

  • Speaker #2

    Donc là, on n'est pas encore arrivé en Europe, on est toujours dans l'Empire Ottoman. Ça arrive quand à peu près en Europe ?

  • Speaker #0

    En Europe, ça va arriver plutôt à partir du XVIIe siècle. Donc du coup, il va vraiment falloir attendre que les métiers de l'imprimerie se développent. Les feuilles peuvent circuler, il y a des voyages, il y a des expéditions qui sont organisées, il y a des chercheurs, il y a des hommes et des femmes qui mènent des expéditions et qui vont ramener des papiers. Donc les papiers circulent, mais le fait que vraiment ça se développe, ça va plutôt être lié au métier du livre et de l'imprimerie. Il faudra vraiment attendre que ces métiers-là se développent en eux-mêmes pour qu'ensuite le papier occupe une place importante, à savoir, comme on le disait dans les manuscrits tout à l'heure écrits à la main, dans les livres imprimés, ils vont aussi se trouver en page de garde. Je pense que chaque culture a eu sa façon de créer son style. Il y a des peignes italiens, des peignes anglais. Les peignes sont des outils inspirés des outils turcs. Les mandrins qui ressemblent à des petits stylos métalliques avec un manche en bois. Au lieu de dessiner à l'unité les modifs... Comme les livres sortent de presse et sont imprimés à un débit plus important qu'on ne l'avait connu auparavant, le principe du peigne, c'est que ça va permettre de créer un motif en tirant le peigne vers soi en un seul passage. Et donc ça garantit à la fois une régularité, un motif assez petit qui va venir à l'échelle de proportion du livre tel qu'on l'attend, et ça permet de sortir plus de feuilles, d'être un petit peu plus rentable en termes de production de papier à l'époque.

  • Speaker #2

    Ce que tu racontes, c'est qu'on est quand même toujours dans le rapport au livre, et uniquement au livre.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai.

  • Speaker #2

    Donc ça a du sens que tu es les deux métiers, en fait, finalement. Oui, c'est vrai,

  • Speaker #0

    c'est vrai. Les deux sont liés.

  • Speaker #2

    C'est vrai qu'on ne l'a pas expliqué en commençant cet épisode, mais là, on parle de papier comme nous, on le connaît aujourd'hui, qui est quand même un matériau ultra commun. Mais en fait, à l'époque, ça ne l'était pas du tout. Et en revanche, ce que tu me racontais, c'est que nous, en Europe, on avait le parchemin. Et donc, ce rapport au papier, justement, est né en Asie, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Donc en fait, c'est vrai que la première trace des papiers inventés, on se trouvait en Asie. Après, on a quelque chose de plat qui ressemble au papier. C'est un support à plat qui est le papier russe aussi. Donc nous, on est sur du parchemin. En Asie, on a des papiers fabriqués avec ce qu'ils ont sur place, donc des végétaux, des fibres de murier et autres possibilités qu'ils ont pu mettre en place. Et il faut vraiment attendre qu'en même temps que les recettes de la marbrure évoluent, suivant la route de la soie, c'est aussi ces papiers qui vont nous mettre la puce à l'oreille. Donc à la fois les papiers venant d'Asie et aussi la fabrication du papier venant du monde arabe. Et donc nous ça va nous influencer et c'est aussi plus rentable, plus léger, un matériau plus facile à transporter, à relier, à coudre. Ça va vraiment révolutionner le livre d'avoir ce support papier. Et c'est pour ça qu'on va s'y intéresser très fortement à partir du moment où on se rend compte que c'est possible de travailler ce matériau.

  • Speaker #2

    Parce que le parchemin c'est quoi comme matériau ?

  • Speaker #0

    On est en fait sur un matériau animal, c'est comme le cuir. Sauf que c'est une autre façon de tanner et ce ne sont pas les mêmes produits qui sont utilisés.

  • Speaker #2

    Donc oui, un effet beaucoup plus lourd.

  • Speaker #0

    Avec plus de travail aussi finalement sur le matériau.

  • Speaker #2

    Une production plus lourde aussi.

  • Speaker #0

    Oui, plus longue.

  • Speaker #2

    Et donc, tu me racontais qu'il y avait une petite anecdote sur des prisonniers japonais ?

  • Speaker #0

    Alors là, c'est plutôt l'Empire chinois qui a une forte influence, effectivement. Il y a des prisonniers d'origine chinoise qui vont livrer au monde islamique le secret de la fabrication du papier en 751. Donc voilà,

  • Speaker #2

    petite anecdote. Et donc, c'est comme ça qu'il est arrivé, vraiment, le papier.

  • Speaker #0

    Il est arrivé à se développer, à devenir populaire. En fait, on se rend compte que le papier, on peut le colorer, on peut le décorer, le polir. Ce qu'on était capable de faire sur du parchemin, on peut aussi le faire sur le papier. On se rend compte de la richesse de ce matériau et ça va vraiment se populariser parce qu'il est plus facile de produire du papier en quantité.

  • Speaker #2

    Ok, donc là, on a fait la dispersion du papier dans les époques et géographiquement. Tu me parlais aussi du fait que derrière le papier marbré, tu me racontais qu'il y avait quand même tout un art de vivre que c'était... Plus une culture ? Est-ce qu'on peut dire que c'était plus une culture qu'un artisanat ou c'était un artisanat inclus dans une culture ?

  • Speaker #0

    Bonne question.

  • Speaker #2

    Ils se considéraient artisans, les marbreurs ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'ils avaient vraiment une place parce que pour cette histoire de document officiel, il y a quelque chose d'assez solennel, d'assez posé. Maintenant, dans l'évolution de cette technique, je pense que c'est devenu un art populaire par la suite, là où c'était très officiel au départ. Mais je pense aussi que ça dépend là où on se situe, dès qu'on est en province, dans des zones un peu éloignées, ça va être un art de vivre. Parce qu'on n'est pas forcément connu, on n'est pas implanté et on n'est pas au service de quelqu'un. Donc je pense que ça dépend de la position sociale qu'on a et du contexte dans lequel on fait le papier. Mais c'est vrai que ça s'inscrit vraiment dans un art de vivre. C'est vrai qu'au Japon, avec les papiers Suminagashi, les couleurs sont pâles, elles sont assez vagues. C'est très spirituel, ça forme des cercles, des formes très naturelles, assez organiques qu'on retrouve dans la nature. Même quand une goutte d'eau va tomber, ça forme un cercle. On retrouve ce mouvement naturel à travers les papiers. Suminagashi, c'est très beau, c'est très poétique. L'art en Empire ottoman s'appelle l'art hébreu. Donc on dit hébreu et ça signifie l'art des nuages. Donc c'est pareil, c'est très poétique, c'est encore une fois un rappel à la nature, à ce qu'on observe. Et finalement, c'est ce qu'on fait quand on développe une civilisation, on observe ce qui nous entoure. Donc il y a des personnes qui sont plutôt dans la contemplation, il y en a qui sont dans l'action, dans le faire, dans l'écoute. Et donc je pense que le marbreur, c'est quelqu'un qui a à la fois à observer, mais a su aussi développer. développer sa propre façon de recréer ce qu'il observait dans la nature, d'une certaine manière. Et voilà.

  • Speaker #2

    Quand tu m'as parlé d'art de vivre, tu m'as quand même parlé de culture, tu m'as dit qu'ils étaient impliqués dans des spectacles, qu'il y avait tout un univers autour.

  • Speaker #0

    Il y a quelque chose d'assez festif, dans le sens où toutes ces couleurs qu'on retrouve en empire ottoman, ça va vraiment se démarquer. Que ça rappelle aussi toute la richesse textile qu'on avait à l'époque, avec de grands motifs. En fait, les motifs qu'on retrouve sur papier sont clairement liés aussi à ce qu'on peut retrouver dans les métiers du textile, donc à savoir des grandes fleurs assez stylisées. On a quelque chose d'assez moderne, étonnamment, dans les papiers les plus anciens, parce qu'il y a des couleurs bien délimitées, avec des couleurs franches. Des couleurs naturelles mais franches. Du coup, c'est un peu une fête. C'est un peu la fête des couleurs. Le fait de devoir frapper sur sa main pour que les couleurs se répartissent à la surface de la cuve, ça rappelle un rythme. En général, quand on prend le pinceau et qu'on commence à poser son fond caillouté, il ne faut pas arrêter de frapper sur sa main. Et donc forcément, ça va s'accompagner de musique, donc de musiciens, de chants. Il peut y avoir des personnes qui dansent automatiquement aussi. Il y a le marbreur qui fait le papier, mais il peut y avoir aussi un public autour, en tout cas qui regarde, qui observe, qui contemple. Et il y a ceux qui font de la musique. Il y a quelque chose aussi de méditatif. Ce n'est pas forcément tout le temps. Il y a deux visions du marbreur. Il y a le marbreur qui participe à ce regroupement de personnes un peu festif. Et il y a aussi un peu le marbreur qui fait son œuvre en solitaire, de manière un peu méditative. Le marbreur de tous les jours, il n'a pas nécessairement de la musique. Il peut faire ses papiers et avoir son rythme intérieur en frappant sur sa main sans avoir besoin de cette musique et de ses grandes fêtes. Donc je pense qu'il y a deux façons de faire de la marbreur finalement.

  • Speaker #2

    Oui, surtout que ce que tu expliquais, c'est que ça a évolué dans le temps, mais initialement, il y avait quand même des artisans qui marbreurent. pour des documents officiels. Et tu me racontais que ces artisans marbreurs qui produisaient les documents officiels étaient mandatés. J'imagine qu'il n'y en avait pas 400, il n'y en avait que quelques-uns. Et j'imagine que du coup, la cérémonie n'était pas du tout la même quand c'était avec les artisans mandatés et quand c'était avec plus informels.

  • Speaker #0

    Un peu comme ça peut se passer, je ne sais pas, lors d'événements, il y a quelque chose à fêter dans un village ou autre. Voilà, si on sait qu'il y a quelqu'un qui pratique... Cette technique, c'est vraiment une façon de créer le regroupement autour de quelque chose de festif, de convivial. En tout cas, c'est vrai que la cuve, c'est un endroit sur lequel on veut se pencher, on veut voir. Après, là, on peut rentrer dans un rapport à la philosophie et tout ça, mais l'eau, les couleurs, c'est très beau. Il y a quelque chose de l'ordre de la contemplation et en même temps, c'est joyeux. C'est un bel adage pour se retrouver. Culturellement, oui, c'est pour ça que ça va devenir un art populaire. C'est qu'il y a quelque chose autour de ça qui fonctionne bien. Pour le coup, le monde occidental, quand ça va être repris, il y a une très grande qualité dans les papiers. Ils vont essayer de retrouver ces couleurs et cette richesse, mais ce sera peut-être un peu moins le cas dans nos ateliers en Occident. C'est plutôt de par les recettes qu'on va se différencier et qu'il va y avoir quelque chose de culturel dans la marbre. C'est à travers les compositions et la façon dont on va se... réapproprier cet art, ce qui n'empêche pas de se mettre un petit fond musical, qu'on fasse de la marbre à l'italienne, ou dans tous les cas, ça peut s'accompagner de musique, mais ce geste au pinceau est bien particulier, cette façon de déposer la couleur, il est vraiment propre à cette culture-là, alors que voilà, on peut se retrouver à déposer des couleurs avec une pipette aujourd'hui, en France, en Allemagne, en Italie, on n'a pas forcément ce pinceau, ce pinceau est unique.

  • Speaker #2

    Justement, si je rebondis sur le thème du pinceau, tu m'expliquais aussi que... Avec le déplacement géographique, finalement, outre les couleurs qui ont évolué puisqu'on s'adapte à l'environnement qu'on a, il y a aussi les pinceaux qui ont évolué entre l'Asie et l'Empire ottoman.

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Les pinceaux suminagashi japonais sont des pinceaux étonnamment très bombés à la base du pinceau. On est sur des poils de chèvre très fins, très soyeux. d'un blanc, d'une jolie couleur blanche. Et en fait, quand on trempe ce pinceau bombé, le bout du pinceau est extrêmement fin, aussi fin qu'une aiguille quasiment. Et donc, ça va permettre de déposer les cercles à la surface de l'eau, suivant cette technique. Donc effectivement, ça nous donne des indices. Quand on voit un manche avec un poil de chèvre, enfin plusieurs poils de chèvre pour créer le pinceau, on se demande ce qu'on pourrait trouver chez soi. Et donc, c'est pour ça qu'on va se retrouver avec des branches de rosier assez robustes. Et c'est plutôt le crin de chevel qui sera utilisé. Et voilà, il y a des pinceaux plus courts pour faire des petites projections, des pinceaux plus épais. Et là, c'est plus du tout où on pose délicatement le pinceau, c'est on frappe sur sa main. Et donc, quand ce ne sont pas les recettes de couleurs, effectivement, ce sont les pinceaux aussi qui peuvent nous apporter quelque chose de très différent. Et donc, les motifs sur le papier, on les distingue très bien. C'est une approche très contrastée avec les papiers japonais.

  • Speaker #2

    Et donc, j'imagine que c'est une technique qui a un peu disparu avec le temps, puisque tu me racontais justement que l'arrivée de l'imprimerie et de la production en masse de bouquins, en fait, a repensé notre rapport au livre. C'est vrai que maintenant, quand on est dans une production massive, on ne va peut-être pas chercher à avoir une page de garde plus unique. On va vouloir faire de la production industrielle,

  • Speaker #0

    tout à fait. Oui, l'art industriel, ça va dépasser encore plus l'histoire de l'imprimerie. L'imprimerie, du coup, ça nous amène à modifier nos outils, à travailler différemment la marbrure, mais ça restait des papiers originaux. Des tirages uniques. Même si on en faisait des séries, le peigne nous permettait de faire des feuilles qui se ressemblaient. Donc on avait des séries de papiers dont on avait l'impression, à quelques détails près, qu'elles étaient identiques. Et là où l'industrie va essayer d'apporter sa petite touche en essayant de faire évoluer ce domaine, mais ce qui ne va pas fonctionner pour autant, c'est qu'on va partir d'un papier existant, on va le numériser, et on va vouloir en produire des quantités. Sauf que quitte à faire appel à des techniques numériques, Ça ne va pas être intéressant de partir d'un objet existant. C'est pour ça que le métier du graphisme va se développer et qu'on va avoir une toute autre offre. La proposition de page de garde, c'est qu'on va plutôt se pencher sur la mise en page, créer des fonds, des gradés. Vraiment, les papiers marbrés ne vont plus tellement être attractifs parce que justement c'est imprimé et qu'il manque ce petit cachet original au papier. Et même s'il va y avoir des brevets avec des systèmes de bras mécanisés, avec des encres qui se projettent, même s'il y a plein d'alternatives que vont trouver ces industriels, ça ne va pas tellement trouver son public. Et vraiment, ça va être plutôt un illustrateur ou un graphiste qui va créer un motif. Les pages de garde. qu'on voit aujourd'hui, soit c'est un papier uni, on choisit une couleur, hop, ça fait une page de garde, ou alors il y a un motif qui est créé de toute pièce et ça met en avant le travail d'un illustrateur. Aujourd'hui, si on utilise un papier marbré, c'est vraiment plutôt en tant qu'original, on est revenu à ça, même si c'est vrai qu'il y a des éditeurs. Et pour des séries limitées ou du livre d'artiste, on peut me demander un original qu'on va numériser, mais il y aura de toute façon la petite patte du graphiste. En général, sur la page de garde, il y a toujours un petit truc en plus que le papier uniquement. Donc voilà, le papier marbré a sa place aujourd'hui encore, à la fois dans les relures traditionnelles, les relures de création, quand ce sont des originaux, mais on peut aussi les retrouver numérisés, même pour du packaging. Il y a des demandes complètement... auxquelles je ne m'attendais pas dans ce secteur-là et qui sont assez surprenantes et qui appartiennent au monde de l'industrie. Comme quoi, l'artisanat et l'industrie ne sont pas incompatibles. Mais la technique en elle-même ne peut être industrialisée, malheureusement. Ça n'a pas forcément la même portée. Je pense que les industriels, à la limite, ce qu'ils ont fait est ce qu'on voit un petit peu. C'est les objets que vous plongez dans des cuves en volume. Une carrosserie, un casque de moto, un instrument de musique. Mais dans ce cas-là, c'est différent. Ce n'est pas le pigment qu'on fabrique à la main. C'est plutôt des polymères, des pigments souples qui vont épouser la forme de l'objet. Parfois, ça nécessite une cuisson, un temps de séchage. Bref, c'est une toute autre démarche. C'est vrai que moi, le principe de ma cuve, c'est que mon support est plat. Que ce soit du papier, du parchemin, du cuir, je travaille à plat.

  • Speaker #2

    Tu travailles sur du cuir et du parchemin ?

  • Speaker #0

    Oui, ça m'arrive.

  • Speaker #2

    On verra ça dans l'épisode 2. J'ai hâte d'en savoir plus. Moi, je trouve ça passionnant, en vrai. Je voulais quand même qu'on revienne sur quelque chose. Toi et moi, on connaît une personne absolument incroyable qui s'appelle Baris Bekoul, qui malheureusement nous a quittés, mais qui, je pense, en tout cas pour moi, cet épisode, il a un peu un sens d'hommage puisque je n'ai jamais pu avoir l'occasion d'enregistrer Baris. Donc, j'archive ses connaissances à travers toi. Et donc, Baris, sans rentrer dans les détails, mais toi, tu veux le faire, m'avait expliqué que chaque motif du papier marbré, donc lui, il est turc, chaque motif a un nom et également, si je ne me trompe pas, une signification.

  • Speaker #0

    Oui, effectivement, il y a plein de motifs qu'on peut créer avec la marbrure qui portent des noms et qui représentent des éléments. issus souvent de la nature ou en représentation, ou alors le nom du papier, le nom du motif, porte le nom du minéral même parfois, quand c'est indigo. Alors après, il y a pas mal de noms que je ne voudrais pas écorcher, qui sont en turc, que je vais me contenter de nommer en français. Mais effectivement, on va avoir les motifs cailloutés dont je vous parlais. qu'on obtient avec le pinceau. Après, il y a des cailloutés en monochrome, des cailloutés avec plusieurs codes couleurs. Et historiquement, on peut se douter qu'on puisse, en fonction des couleurs utilisées, imaginer à partir de quelle époque, puisqu'il y a une histoire qui va avec la découverte des pigments, donc on est capable de dater un papier ou d'imaginer dans quel contexte il a été fait en fonction des couleurs. Voilà, si on ouvre un livre sur l'histoire des couleurs, Des pigments, des découvertes autour de cela, on en saurait un peu plus et c'est un vaste sujet. Mais c'est passionnant, effectivement, d'aller regarder par code couleur quelles couleurs on associe, pour qui, pourquoi, comment. Est-ce que c'est en fonction de la thématique du livre ? Est-ce que c'est en fonction du propriétaire du livre ? Je parlais des cailloutés, des papiers vraiment bruts. Après, il y a tous les motifs de volutes, les motifs châles. Et là, c'est un terme. Hébru, le motif châle, qui signifie volute. On va avoir tous les motifs qui servent pour la calligraphie, donc ce dont on parlait tout à l'heure, qui est vraiment un domaine dans la marbrure. Le fait d'avoir un décor autour et de la calligraphie au centre. Après, ça peut être calligraphie religieuse ou non. On a les motifs aussi d'escargots, qui peuvent parfois être interprétés comme des motifs, les nids des tourterelles. Ça fait... Un joli motif concentrique, circulaire, qu'on appelle aussi coquille. Il y a les motifs indigos, là où on a l'inspiration du Japon. On a tout ce qui est motifs peignes, les motifs zigzags, qui sont les plus tardifs. C'est tous ces motifs que l'on sait faire à la main avec le mandrin, le petit stylo dont je parlais, mais qui peut aussi être réinterprété par les Italiens, les Allemands, les Anglais, au moyen de peignes. Donc un montant en bois avec plusieurs petits pics. attachés qui permettent de créer ces motifs en zigzag et en peigne très réguliers. Et c'est un objet d'ailleurs qui rappelle vraiment ce mouvement sur les métiers à tisser quand on ramène le tissu à soi. Donc c'est ça, c'est on pose son peigne tout en haut et on le tire délicatement vers soi. Et du coup, tous les cailloux, le motif d'origine, le tout premier que j'ai nommé, le caillouté, en tirant le peigne, ça crée vraiment naturellement un motif hyper beau, hyper raffiné, tout fin, aussi fin qu'un tissu.

  • Speaker #2

    Moi, je trouve ça hyper beau et c'est ce que j'expliquais en introduction de cet épisode. C'est que, en fait, comprendre tout ce qu'il y a derrière ces motifs, c'est aussi comprendre qu'il y a une histoire et qu'ils ont des choses à raconter. Donc, ça permet de mieux comprendre ce qu'on a devant nous. Donc, merci beaucoup, Laurie.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #2

    Et je te dis à très vite pour l'épisode 2.

  • Speaker #0

    Oui, à bientôt.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup pour votre écoute.

  • Speaker #1

    J'espère que ce premier épisode sur l'histoire de la marbrure avec Laurie Archambault, fondatrice de Laurie et les petites mains, relieur et créatrice de Papier Marbré, vous aura plu. Dans le prochain épisode, Laurie nous parlera de son rapport à ses deux métiers, de son combat pour qu'il reste transmis et de son parcours. Vous pouvez continuer de m'aider à faire découvrir les histoires d'artisans au plus grand nombre en mettant une note et en vous abonnant sur votre plateforme de streaming préférée. Comme d'habitude, je publie régulièrement des photos du travail des artisans sur Instagram. Donc n'hésitez pas à vous abonner pour découvrir leur métier en images. Nous sommes toujours heureux de recevoir vos témoignages et vos ressentis sur les épisodes de podcast. Si vous avez envie, vous pouvez nous transmettre un message en nous écrivant à podcast.histoiredartisan.com A bientôt avec une nouvelle histoire.

Description

Dans cet épisode nous accueillons Laurie Archambault, fondatrice de Laurie&LesPetitesMains, relieure et créatrice de papier marbré. On peut aussi appeler le Créateur et la créatrice de papier marbré, marbreur ou marbreuse. Pour la reliure, elle a préféré ajouter un “e” à relieur parce qu’une relieuse, c’est l’outil qu’ils utilisent. 

Dans ce premier épisode, on ne va pas parler d’étymologie des noms de métiers. Je voulais qu’avec Laurie nous vous racontions l’Histoire de la marbrure. Le papier marbré est un papier décoré dont les motifs imitent ceux du marbre ou d'autres roches, et qui est utilisé notamment en reliure. Sa technique de réalisation consiste à faire flotter des pigments sur un liquide légèrement gélifié, puis à produire un motif sur l'eau, et transférer ensuite ce motif sur une feuille de papier. Mais tout cela, Laurie vous le racontera mieux que moi. Belle écoute !

Histoires d’Artisans est l’association qui valorise l’ingénierie des artisans d’art en mettant en avant l’innovation et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d’un univers merveilleux et riche avec lequel collabore Histoires d’Artisans.

Liens de l’épisode : 

Laurie Archambault - Laurie & Les Petites Mains

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Le Carnet des Innovations


Production et réalisation : Lisa Millet

Montage et musiques : Quentin Blic


Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast@histoiresdartisans.com.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans mon atelier.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans Histoire d'artisan. Je suis Lisa Mier et je serai votre guide dans l'exploration de l'artisanat d'art. Histoire d'artisan est l'association qui valorise l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d'un univers merveilleux et riche avec lequel collabore Histoire d'Artisan. Aujourd'hui, nous accueillons Laurie Archambault, fondatrice de Laurie et les petites mains, relieur et créatrice de papier marbré. On peut aussi appeler le créateur et la créatrice de papier marbré marbreur ou marbreuse. Et non, ils ne travaillent pas la pierre. Pour la reliure, elle a préféré ajouter un E à relieur, parce qu'une relieuse, c'est l'outil qu'ils utilisent. Dans ce premier épisode, on ne va pas parler d'étymologie des noms des métiers. Je voulais qu'avec Laurie nous vous racontions l'histoire avec un grand H de la marbrure. Le papier marbré est un papier décoré dont les motifs imitent ceux du marbre ou d'autres roches et qui est utilisé notamment en reliure, d'où le nom. Sa technique de réalisation consiste à faire flotter des pigments sur un liquide légèrement gélifié puis à produire un motif sur l'eau et transférer ensuite ce motif sur une feuille de papier. Mais tout cela, Laurie va vous le raconter mieux que moi. Belle écoute !

  • Speaker #2

    Donc, Laurie, tu es relieur et créatrice de papier marbré. Relieur, on l'écrit avec un E parce que tu es une femme et qu'on y tient. Je te propose, dans ce premier épisode, de plus parler de l'histoire du papier marbré, parce que pour moi, déjà, il y a beaucoup de choses à raconter. On en a un petit peu parlé avant et j'avais un peu des bases avant de venir ici. Et surtout pour moi, c'est un moyen de mieux apprécier cet art et de mieux apprécier les papiers qu'on peut voir. C'est pour ça que je te propose qu'on fasse un focus vraiment papier marbré dans ce premier épisode. Si je ne me trompe pas, cette histoire, elle a commencé en Asie.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Ça a commencé en Asie au 8e siècle. Donc effectivement, on parle de papier sumi nagashi. Sumi qui signifie encre, nagashi qui signifie de l'encre qui flotte en mouvement. Et donc c'est une technique qu'on va situer plutôt au Japon et qui va se développer dans toute l'Asie et qui va arriver en Perse et en Empire Ottoman dès le XVe siècle. Donc c'est suivant la route de la soie qu'on va avoir des échanges techniques, de matériaux, des papiers rapportés et qu'on va nous plutôt utiliser la couleur. Le minéral broyé qu'on va différencier plutôt du végétal, par exemple l'indigo qui est de base végétale qu'on utilise en Asie. On va aussi l'utiliser dans les papiers ottomans, mais on va aussi se tourner davantage vers le minéral pour fabriquer nos couleurs.

  • Speaker #2

    Il y a quel type de minéraux qui sont utilisés ?

  • Speaker #0

    Il y en a plein. Déjà, il y a toutes les terres naturelles. Si on s'écarte un peu de l'Empire ottoman et qu'on regarde en France, il y a des terres en Bourgogne, en Roussillon. Il faut s'imaginer que sur chaque territoire, on a des terres naturelles. On a aussi des gisements en Pied-de-Lune. Les pierres semi-précieuses permettent de faire du bijou. Forcément, les pierres qui servent en bijou sont un peu trop dures. Ce qui va intéresser le marbreur, c'est plutôt une terre tendre, friable. Même si on a certaines pierres qui sont dures, on peut quand même les transformer en couleurs, en pigments liquides, mais le processus est beaucoup plus long. Donc effectivement, il y a toute une tradition d'ailleurs autour de ça, savoir quelle pierre on peut choisir, et en fonction de sa densité, quelle couleur on va obtenir à la fin. Il y a vraiment des étapes de broyage de la pierre qui sont assez complexes et assez longues. Et pour préparer une couleur, même si elle est déjà réduite sous forme de petits grains en pigment, par exemple si on achète une terre en roussillon, en fait elle va être prête seulement au bout de trois semaines. Le liant qu'on utilise dans les recettes ottomanes, qui est le fiel de bœuf. C'est un acide naturel, et cet acide naturel va aider au broyage de la couleur et créer son unité, puisqu'elle porte le nom de liant, donc elle crée l'unité de la couleur, qui ne sera donc pas mélangeable aux autres. C'est ce qui permet de créer ces jeux de matière et ces superpositions de tâches qui permettent ensuite de créer les motifs. Et donc ce liant, comme c'est un acide, il lui faut trois semaines pour agir. Sur la couleur et que cette couleur puisse à la fois flotter et être imprimée sur le papier ou sur le support, puisqu'il n'y a pas que le papier en soi, on peut imprimer sur de la soie, sur du cuir, du parchemin, tout matériau poreux, mais bien évidemment, les trois quarts du temps, c'est plutôt sur du papier.

  • Speaker #2

    Quel que soit le minéral, ça prend trois semaines ?

  • Speaker #0

    Oui, environ trois semaines au minimum. Et donc pour les pierres plus dures, quand je parlais tout à l'heure des gisements semi-précieux, effectivement, là, il faut beaucoup plus de temps parce que déjà, il faut réduire. C'est son caillou en une terre, quelque chose de très fin, le plus fin possible. Donc on passe par des étapes avec des petits marteaux. On peut broyer avec le pavé de marbre traditionnel sur une plaque de marbre. Et puis ensuite, si le pigment est mis cible à l'eau, on vient faire son mélange sur pierre pour créer la pâte pigmentaire à base d'eau. Et si le pigment n'est pas miscible à l'eau, on va d'abord mettre le fiel de bœuf, ce qui permettra ensuite de rajouter l'eau. Et puis après, dans les compositions, c'est une vraie petite recette, c'est un peu de la cuisine. On a le miel qui est un conservateur naturel, on va rajouter un élément qui permet de bien fixer les bœufs. La couleur sur le support qui est la gomme arabique. Et puis, on peut jouer sur l'intensité de la couleur en fonction de la quantité de pigments. Et le fiel de bœuf, lui, au contraire, va plutôt avoir le pouvoir d'éclaircir la couleur. Et c'est pour ça qu'on attend trois semaines. Trois semaines, c'est le temps pour le fiel de s'évaporer et de rester en quantité suffisante pour que le pigment flotte, mais ne soit pas non plus trop clair. Et donc, la dilution se fait avec de l'eau.

  • Speaker #2

    Et est-ce que ça fait partie du métier de marbreur de faire ces pigments ou est-ce que vous les achetez ?

  • Speaker #0

    Alors, normalement, culturellement, quand on est marbreur, on fabrique non seulement ces pigments, mais on fabrique aussi ces pinceaux. Il y a des pinceaux traditionnels avec des branches de rosier et du crin de cheval. Normalement, c'est une technique qui se transmet de maître à élève dans la marbreur. Donc, c'est quelque chose que j'ai appris à faire et la fabrication des pigments aussi. Donc,

  • Speaker #2

    on est au XVe siècle. Ça a mis sept siècles à passer de l'Asie à l'Empire ottoman. J'imagine que c'est toujours très long à cette époque-là, puisqu'il n'y a pas Internet.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #2

    Et donc au XIVe siècle, ça arrive en Perse. Qu'est-ce qu'on attend de ce matériau ? Qu'est-ce qu'on en fait ? On en fait la même chose qu'en Asie ?

  • Speaker #0

    Alors, à l'origine, en Asie, c'est un support pour la calligraphie, la poésie, la correspondance. C'est vrai que quand ça va arriver en Empire ottoman, on est plutôt sur l'objet peut avoir une fonction. Il est tout autant décoratif qu'en Asie et sa fonction là pour le coup c'est tout ce qui est documents officiels non reproductibles. Donc c'est assez intéressant de voir qu'il y a des commandes de papier qui sont réalisées à l'époque pour ces documents. Et puis c'est aussi donc l'écriture c'est quelque chose qui devient populaire. En tout cas même si tout le monde ne sait pas écrire, il y a des manuscrits qui circulent et ces manuscrits il faut bien les habiller, les protéger. Et donc déjà dans les pages de garde qui gardent les manuscrits, donc qui les protègent, on a l'utilisation de papier marbré.

  • Speaker #2

    La page de garde. C'est à l'intérieur de la couverture ?

  • Speaker #0

    Oui, en fait, quand on ouvre la partie rigide du livre, qui est la couverture, les premières pages sur lesquelles on arrive, c'est ces pages de garde, qui sont à la fois décoratives et qui portent bien leur nom, puisqu'elles gardent l'ouvrage et le protègent.

  • Speaker #2

    Donc là, on n'est pas encore arrivé en Europe, on est toujours dans l'Empire Ottoman. Ça arrive quand à peu près en Europe ?

  • Speaker #0

    En Europe, ça va arriver plutôt à partir du XVIIe siècle. Donc du coup, il va vraiment falloir attendre que les métiers de l'imprimerie se développent. Les feuilles peuvent circuler, il y a des voyages, il y a des expéditions qui sont organisées, il y a des chercheurs, il y a des hommes et des femmes qui mènent des expéditions et qui vont ramener des papiers. Donc les papiers circulent, mais le fait que vraiment ça se développe, ça va plutôt être lié au métier du livre et de l'imprimerie. Il faudra vraiment attendre que ces métiers-là se développent en eux-mêmes pour qu'ensuite le papier occupe une place importante, à savoir, comme on le disait dans les manuscrits tout à l'heure écrits à la main, dans les livres imprimés, ils vont aussi se trouver en page de garde. Je pense que chaque culture a eu sa façon de créer son style. Il y a des peignes italiens, des peignes anglais. Les peignes sont des outils inspirés des outils turcs. Les mandrins qui ressemblent à des petits stylos métalliques avec un manche en bois. Au lieu de dessiner à l'unité les modifs... Comme les livres sortent de presse et sont imprimés à un débit plus important qu'on ne l'avait connu auparavant, le principe du peigne, c'est que ça va permettre de créer un motif en tirant le peigne vers soi en un seul passage. Et donc ça garantit à la fois une régularité, un motif assez petit qui va venir à l'échelle de proportion du livre tel qu'on l'attend, et ça permet de sortir plus de feuilles, d'être un petit peu plus rentable en termes de production de papier à l'époque.

  • Speaker #2

    Ce que tu racontes, c'est qu'on est quand même toujours dans le rapport au livre, et uniquement au livre.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai.

  • Speaker #2

    Donc ça a du sens que tu es les deux métiers, en fait, finalement. Oui, c'est vrai,

  • Speaker #0

    c'est vrai. Les deux sont liés.

  • Speaker #2

    C'est vrai qu'on ne l'a pas expliqué en commençant cet épisode, mais là, on parle de papier comme nous, on le connaît aujourd'hui, qui est quand même un matériau ultra commun. Mais en fait, à l'époque, ça ne l'était pas du tout. Et en revanche, ce que tu me racontais, c'est que nous, en Europe, on avait le parchemin. Et donc, ce rapport au papier, justement, est né en Asie, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Donc en fait, c'est vrai que la première trace des papiers inventés, on se trouvait en Asie. Après, on a quelque chose de plat qui ressemble au papier. C'est un support à plat qui est le papier russe aussi. Donc nous, on est sur du parchemin. En Asie, on a des papiers fabriqués avec ce qu'ils ont sur place, donc des végétaux, des fibres de murier et autres possibilités qu'ils ont pu mettre en place. Et il faut vraiment attendre qu'en même temps que les recettes de la marbrure évoluent, suivant la route de la soie, c'est aussi ces papiers qui vont nous mettre la puce à l'oreille. Donc à la fois les papiers venant d'Asie et aussi la fabrication du papier venant du monde arabe. Et donc nous ça va nous influencer et c'est aussi plus rentable, plus léger, un matériau plus facile à transporter, à relier, à coudre. Ça va vraiment révolutionner le livre d'avoir ce support papier. Et c'est pour ça qu'on va s'y intéresser très fortement à partir du moment où on se rend compte que c'est possible de travailler ce matériau.

  • Speaker #2

    Parce que le parchemin c'est quoi comme matériau ?

  • Speaker #0

    On est en fait sur un matériau animal, c'est comme le cuir. Sauf que c'est une autre façon de tanner et ce ne sont pas les mêmes produits qui sont utilisés.

  • Speaker #2

    Donc oui, un effet beaucoup plus lourd.

  • Speaker #0

    Avec plus de travail aussi finalement sur le matériau.

  • Speaker #2

    Une production plus lourde aussi.

  • Speaker #0

    Oui, plus longue.

  • Speaker #2

    Et donc, tu me racontais qu'il y avait une petite anecdote sur des prisonniers japonais ?

  • Speaker #0

    Alors là, c'est plutôt l'Empire chinois qui a une forte influence, effectivement. Il y a des prisonniers d'origine chinoise qui vont livrer au monde islamique le secret de la fabrication du papier en 751. Donc voilà,

  • Speaker #2

    petite anecdote. Et donc, c'est comme ça qu'il est arrivé, vraiment, le papier.

  • Speaker #0

    Il est arrivé à se développer, à devenir populaire. En fait, on se rend compte que le papier, on peut le colorer, on peut le décorer, le polir. Ce qu'on était capable de faire sur du parchemin, on peut aussi le faire sur le papier. On se rend compte de la richesse de ce matériau et ça va vraiment se populariser parce qu'il est plus facile de produire du papier en quantité.

  • Speaker #2

    Ok, donc là, on a fait la dispersion du papier dans les époques et géographiquement. Tu me parlais aussi du fait que derrière le papier marbré, tu me racontais qu'il y avait quand même tout un art de vivre que c'était... Plus une culture ? Est-ce qu'on peut dire que c'était plus une culture qu'un artisanat ou c'était un artisanat inclus dans une culture ?

  • Speaker #0

    Bonne question.

  • Speaker #2

    Ils se considéraient artisans, les marbreurs ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'ils avaient vraiment une place parce que pour cette histoire de document officiel, il y a quelque chose d'assez solennel, d'assez posé. Maintenant, dans l'évolution de cette technique, je pense que c'est devenu un art populaire par la suite, là où c'était très officiel au départ. Mais je pense aussi que ça dépend là où on se situe, dès qu'on est en province, dans des zones un peu éloignées, ça va être un art de vivre. Parce qu'on n'est pas forcément connu, on n'est pas implanté et on n'est pas au service de quelqu'un. Donc je pense que ça dépend de la position sociale qu'on a et du contexte dans lequel on fait le papier. Mais c'est vrai que ça s'inscrit vraiment dans un art de vivre. C'est vrai qu'au Japon, avec les papiers Suminagashi, les couleurs sont pâles, elles sont assez vagues. C'est très spirituel, ça forme des cercles, des formes très naturelles, assez organiques qu'on retrouve dans la nature. Même quand une goutte d'eau va tomber, ça forme un cercle. On retrouve ce mouvement naturel à travers les papiers. Suminagashi, c'est très beau, c'est très poétique. L'art en Empire ottoman s'appelle l'art hébreu. Donc on dit hébreu et ça signifie l'art des nuages. Donc c'est pareil, c'est très poétique, c'est encore une fois un rappel à la nature, à ce qu'on observe. Et finalement, c'est ce qu'on fait quand on développe une civilisation, on observe ce qui nous entoure. Donc il y a des personnes qui sont plutôt dans la contemplation, il y en a qui sont dans l'action, dans le faire, dans l'écoute. Et donc je pense que le marbreur, c'est quelqu'un qui a à la fois à observer, mais a su aussi développer. développer sa propre façon de recréer ce qu'il observait dans la nature, d'une certaine manière. Et voilà.

  • Speaker #2

    Quand tu m'as parlé d'art de vivre, tu m'as quand même parlé de culture, tu m'as dit qu'ils étaient impliqués dans des spectacles, qu'il y avait tout un univers autour.

  • Speaker #0

    Il y a quelque chose d'assez festif, dans le sens où toutes ces couleurs qu'on retrouve en empire ottoman, ça va vraiment se démarquer. Que ça rappelle aussi toute la richesse textile qu'on avait à l'époque, avec de grands motifs. En fait, les motifs qu'on retrouve sur papier sont clairement liés aussi à ce qu'on peut retrouver dans les métiers du textile, donc à savoir des grandes fleurs assez stylisées. On a quelque chose d'assez moderne, étonnamment, dans les papiers les plus anciens, parce qu'il y a des couleurs bien délimitées, avec des couleurs franches. Des couleurs naturelles mais franches. Du coup, c'est un peu une fête. C'est un peu la fête des couleurs. Le fait de devoir frapper sur sa main pour que les couleurs se répartissent à la surface de la cuve, ça rappelle un rythme. En général, quand on prend le pinceau et qu'on commence à poser son fond caillouté, il ne faut pas arrêter de frapper sur sa main. Et donc forcément, ça va s'accompagner de musique, donc de musiciens, de chants. Il peut y avoir des personnes qui dansent automatiquement aussi. Il y a le marbreur qui fait le papier, mais il peut y avoir aussi un public autour, en tout cas qui regarde, qui observe, qui contemple. Et il y a ceux qui font de la musique. Il y a quelque chose aussi de méditatif. Ce n'est pas forcément tout le temps. Il y a deux visions du marbreur. Il y a le marbreur qui participe à ce regroupement de personnes un peu festif. Et il y a aussi un peu le marbreur qui fait son œuvre en solitaire, de manière un peu méditative. Le marbreur de tous les jours, il n'a pas nécessairement de la musique. Il peut faire ses papiers et avoir son rythme intérieur en frappant sur sa main sans avoir besoin de cette musique et de ses grandes fêtes. Donc je pense qu'il y a deux façons de faire de la marbreur finalement.

  • Speaker #2

    Oui, surtout que ce que tu expliquais, c'est que ça a évolué dans le temps, mais initialement, il y avait quand même des artisans qui marbreurent. pour des documents officiels. Et tu me racontais que ces artisans marbreurs qui produisaient les documents officiels étaient mandatés. J'imagine qu'il n'y en avait pas 400, il n'y en avait que quelques-uns. Et j'imagine que du coup, la cérémonie n'était pas du tout la même quand c'était avec les artisans mandatés et quand c'était avec plus informels.

  • Speaker #0

    Un peu comme ça peut se passer, je ne sais pas, lors d'événements, il y a quelque chose à fêter dans un village ou autre. Voilà, si on sait qu'il y a quelqu'un qui pratique... Cette technique, c'est vraiment une façon de créer le regroupement autour de quelque chose de festif, de convivial. En tout cas, c'est vrai que la cuve, c'est un endroit sur lequel on veut se pencher, on veut voir. Après, là, on peut rentrer dans un rapport à la philosophie et tout ça, mais l'eau, les couleurs, c'est très beau. Il y a quelque chose de l'ordre de la contemplation et en même temps, c'est joyeux. C'est un bel adage pour se retrouver. Culturellement, oui, c'est pour ça que ça va devenir un art populaire. C'est qu'il y a quelque chose autour de ça qui fonctionne bien. Pour le coup, le monde occidental, quand ça va être repris, il y a une très grande qualité dans les papiers. Ils vont essayer de retrouver ces couleurs et cette richesse, mais ce sera peut-être un peu moins le cas dans nos ateliers en Occident. C'est plutôt de par les recettes qu'on va se différencier et qu'il va y avoir quelque chose de culturel dans la marbre. C'est à travers les compositions et la façon dont on va se... réapproprier cet art, ce qui n'empêche pas de se mettre un petit fond musical, qu'on fasse de la marbre à l'italienne, ou dans tous les cas, ça peut s'accompagner de musique, mais ce geste au pinceau est bien particulier, cette façon de déposer la couleur, il est vraiment propre à cette culture-là, alors que voilà, on peut se retrouver à déposer des couleurs avec une pipette aujourd'hui, en France, en Allemagne, en Italie, on n'a pas forcément ce pinceau, ce pinceau est unique.

  • Speaker #2

    Justement, si je rebondis sur le thème du pinceau, tu m'expliquais aussi que... Avec le déplacement géographique, finalement, outre les couleurs qui ont évolué puisqu'on s'adapte à l'environnement qu'on a, il y a aussi les pinceaux qui ont évolué entre l'Asie et l'Empire ottoman.

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Les pinceaux suminagashi japonais sont des pinceaux étonnamment très bombés à la base du pinceau. On est sur des poils de chèvre très fins, très soyeux. d'un blanc, d'une jolie couleur blanche. Et en fait, quand on trempe ce pinceau bombé, le bout du pinceau est extrêmement fin, aussi fin qu'une aiguille quasiment. Et donc, ça va permettre de déposer les cercles à la surface de l'eau, suivant cette technique. Donc effectivement, ça nous donne des indices. Quand on voit un manche avec un poil de chèvre, enfin plusieurs poils de chèvre pour créer le pinceau, on se demande ce qu'on pourrait trouver chez soi. Et donc, c'est pour ça qu'on va se retrouver avec des branches de rosier assez robustes. Et c'est plutôt le crin de chevel qui sera utilisé. Et voilà, il y a des pinceaux plus courts pour faire des petites projections, des pinceaux plus épais. Et là, c'est plus du tout où on pose délicatement le pinceau, c'est on frappe sur sa main. Et donc, quand ce ne sont pas les recettes de couleurs, effectivement, ce sont les pinceaux aussi qui peuvent nous apporter quelque chose de très différent. Et donc, les motifs sur le papier, on les distingue très bien. C'est une approche très contrastée avec les papiers japonais.

  • Speaker #2

    Et donc, j'imagine que c'est une technique qui a un peu disparu avec le temps, puisque tu me racontais justement que l'arrivée de l'imprimerie et de la production en masse de bouquins, en fait, a repensé notre rapport au livre. C'est vrai que maintenant, quand on est dans une production massive, on ne va peut-être pas chercher à avoir une page de garde plus unique. On va vouloir faire de la production industrielle,

  • Speaker #0

    tout à fait. Oui, l'art industriel, ça va dépasser encore plus l'histoire de l'imprimerie. L'imprimerie, du coup, ça nous amène à modifier nos outils, à travailler différemment la marbrure, mais ça restait des papiers originaux. Des tirages uniques. Même si on en faisait des séries, le peigne nous permettait de faire des feuilles qui se ressemblaient. Donc on avait des séries de papiers dont on avait l'impression, à quelques détails près, qu'elles étaient identiques. Et là où l'industrie va essayer d'apporter sa petite touche en essayant de faire évoluer ce domaine, mais ce qui ne va pas fonctionner pour autant, c'est qu'on va partir d'un papier existant, on va le numériser, et on va vouloir en produire des quantités. Sauf que quitte à faire appel à des techniques numériques, Ça ne va pas être intéressant de partir d'un objet existant. C'est pour ça que le métier du graphisme va se développer et qu'on va avoir une toute autre offre. La proposition de page de garde, c'est qu'on va plutôt se pencher sur la mise en page, créer des fonds, des gradés. Vraiment, les papiers marbrés ne vont plus tellement être attractifs parce que justement c'est imprimé et qu'il manque ce petit cachet original au papier. Et même s'il va y avoir des brevets avec des systèmes de bras mécanisés, avec des encres qui se projettent, même s'il y a plein d'alternatives que vont trouver ces industriels, ça ne va pas tellement trouver son public. Et vraiment, ça va être plutôt un illustrateur ou un graphiste qui va créer un motif. Les pages de garde. qu'on voit aujourd'hui, soit c'est un papier uni, on choisit une couleur, hop, ça fait une page de garde, ou alors il y a un motif qui est créé de toute pièce et ça met en avant le travail d'un illustrateur. Aujourd'hui, si on utilise un papier marbré, c'est vraiment plutôt en tant qu'original, on est revenu à ça, même si c'est vrai qu'il y a des éditeurs. Et pour des séries limitées ou du livre d'artiste, on peut me demander un original qu'on va numériser, mais il y aura de toute façon la petite patte du graphiste. En général, sur la page de garde, il y a toujours un petit truc en plus que le papier uniquement. Donc voilà, le papier marbré a sa place aujourd'hui encore, à la fois dans les relures traditionnelles, les relures de création, quand ce sont des originaux, mais on peut aussi les retrouver numérisés, même pour du packaging. Il y a des demandes complètement... auxquelles je ne m'attendais pas dans ce secteur-là et qui sont assez surprenantes et qui appartiennent au monde de l'industrie. Comme quoi, l'artisanat et l'industrie ne sont pas incompatibles. Mais la technique en elle-même ne peut être industrialisée, malheureusement. Ça n'a pas forcément la même portée. Je pense que les industriels, à la limite, ce qu'ils ont fait est ce qu'on voit un petit peu. C'est les objets que vous plongez dans des cuves en volume. Une carrosserie, un casque de moto, un instrument de musique. Mais dans ce cas-là, c'est différent. Ce n'est pas le pigment qu'on fabrique à la main. C'est plutôt des polymères, des pigments souples qui vont épouser la forme de l'objet. Parfois, ça nécessite une cuisson, un temps de séchage. Bref, c'est une toute autre démarche. C'est vrai que moi, le principe de ma cuve, c'est que mon support est plat. Que ce soit du papier, du parchemin, du cuir, je travaille à plat.

  • Speaker #2

    Tu travailles sur du cuir et du parchemin ?

  • Speaker #0

    Oui, ça m'arrive.

  • Speaker #2

    On verra ça dans l'épisode 2. J'ai hâte d'en savoir plus. Moi, je trouve ça passionnant, en vrai. Je voulais quand même qu'on revienne sur quelque chose. Toi et moi, on connaît une personne absolument incroyable qui s'appelle Baris Bekoul, qui malheureusement nous a quittés, mais qui, je pense, en tout cas pour moi, cet épisode, il a un peu un sens d'hommage puisque je n'ai jamais pu avoir l'occasion d'enregistrer Baris. Donc, j'archive ses connaissances à travers toi. Et donc, Baris, sans rentrer dans les détails, mais toi, tu veux le faire, m'avait expliqué que chaque motif du papier marbré, donc lui, il est turc, chaque motif a un nom et également, si je ne me trompe pas, une signification.

  • Speaker #0

    Oui, effectivement, il y a plein de motifs qu'on peut créer avec la marbrure qui portent des noms et qui représentent des éléments. issus souvent de la nature ou en représentation, ou alors le nom du papier, le nom du motif, porte le nom du minéral même parfois, quand c'est indigo. Alors après, il y a pas mal de noms que je ne voudrais pas écorcher, qui sont en turc, que je vais me contenter de nommer en français. Mais effectivement, on va avoir les motifs cailloutés dont je vous parlais. qu'on obtient avec le pinceau. Après, il y a des cailloutés en monochrome, des cailloutés avec plusieurs codes couleurs. Et historiquement, on peut se douter qu'on puisse, en fonction des couleurs utilisées, imaginer à partir de quelle époque, puisqu'il y a une histoire qui va avec la découverte des pigments, donc on est capable de dater un papier ou d'imaginer dans quel contexte il a été fait en fonction des couleurs. Voilà, si on ouvre un livre sur l'histoire des couleurs, Des pigments, des découvertes autour de cela, on en saurait un peu plus et c'est un vaste sujet. Mais c'est passionnant, effectivement, d'aller regarder par code couleur quelles couleurs on associe, pour qui, pourquoi, comment. Est-ce que c'est en fonction de la thématique du livre ? Est-ce que c'est en fonction du propriétaire du livre ? Je parlais des cailloutés, des papiers vraiment bruts. Après, il y a tous les motifs de volutes, les motifs châles. Et là, c'est un terme. Hébru, le motif châle, qui signifie volute. On va avoir tous les motifs qui servent pour la calligraphie, donc ce dont on parlait tout à l'heure, qui est vraiment un domaine dans la marbrure. Le fait d'avoir un décor autour et de la calligraphie au centre. Après, ça peut être calligraphie religieuse ou non. On a les motifs aussi d'escargots, qui peuvent parfois être interprétés comme des motifs, les nids des tourterelles. Ça fait... Un joli motif concentrique, circulaire, qu'on appelle aussi coquille. Il y a les motifs indigos, là où on a l'inspiration du Japon. On a tout ce qui est motifs peignes, les motifs zigzags, qui sont les plus tardifs. C'est tous ces motifs que l'on sait faire à la main avec le mandrin, le petit stylo dont je parlais, mais qui peut aussi être réinterprété par les Italiens, les Allemands, les Anglais, au moyen de peignes. Donc un montant en bois avec plusieurs petits pics. attachés qui permettent de créer ces motifs en zigzag et en peigne très réguliers. Et c'est un objet d'ailleurs qui rappelle vraiment ce mouvement sur les métiers à tisser quand on ramène le tissu à soi. Donc c'est ça, c'est on pose son peigne tout en haut et on le tire délicatement vers soi. Et du coup, tous les cailloux, le motif d'origine, le tout premier que j'ai nommé, le caillouté, en tirant le peigne, ça crée vraiment naturellement un motif hyper beau, hyper raffiné, tout fin, aussi fin qu'un tissu.

  • Speaker #2

    Moi, je trouve ça hyper beau et c'est ce que j'expliquais en introduction de cet épisode. C'est que, en fait, comprendre tout ce qu'il y a derrière ces motifs, c'est aussi comprendre qu'il y a une histoire et qu'ils ont des choses à raconter. Donc, ça permet de mieux comprendre ce qu'on a devant nous. Donc, merci beaucoup, Laurie.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #2

    Et je te dis à très vite pour l'épisode 2.

  • Speaker #0

    Oui, à bientôt.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup pour votre écoute.

  • Speaker #1

    J'espère que ce premier épisode sur l'histoire de la marbrure avec Laurie Archambault, fondatrice de Laurie et les petites mains, relieur et créatrice de Papier Marbré, vous aura plu. Dans le prochain épisode, Laurie nous parlera de son rapport à ses deux métiers, de son combat pour qu'il reste transmis et de son parcours. Vous pouvez continuer de m'aider à faire découvrir les histoires d'artisans au plus grand nombre en mettant une note et en vous abonnant sur votre plateforme de streaming préférée. Comme d'habitude, je publie régulièrement des photos du travail des artisans sur Instagram. Donc n'hésitez pas à vous abonner pour découvrir leur métier en images. Nous sommes toujours heureux de recevoir vos témoignages et vos ressentis sur les épisodes de podcast. Si vous avez envie, vous pouvez nous transmettre un message en nous écrivant à podcast.histoiredartisan.com A bientôt avec une nouvelle histoire.

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Description

Dans cet épisode nous accueillons Laurie Archambault, fondatrice de Laurie&LesPetitesMains, relieure et créatrice de papier marbré. On peut aussi appeler le Créateur et la créatrice de papier marbré, marbreur ou marbreuse. Pour la reliure, elle a préféré ajouter un “e” à relieur parce qu’une relieuse, c’est l’outil qu’ils utilisent. 

Dans ce premier épisode, on ne va pas parler d’étymologie des noms de métiers. Je voulais qu’avec Laurie nous vous racontions l’Histoire de la marbrure. Le papier marbré est un papier décoré dont les motifs imitent ceux du marbre ou d'autres roches, et qui est utilisé notamment en reliure. Sa technique de réalisation consiste à faire flotter des pigments sur un liquide légèrement gélifié, puis à produire un motif sur l'eau, et transférer ensuite ce motif sur une feuille de papier. Mais tout cela, Laurie vous le racontera mieux que moi. Belle écoute !

Histoires d’Artisans est l’association qui valorise l’ingénierie des artisans d’art en mettant en avant l’innovation et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d’un univers merveilleux et riche avec lequel collabore Histoires d’Artisans.

Liens de l’épisode : 

Laurie Archambault - Laurie & Les Petites Mains

Site internet

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Histoires d’Artisans

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Le Carnet des Innovations


Production et réalisation : Lisa Millet

Montage et musiques : Quentin Blic


Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast@histoiresdartisans.com.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans mon atelier.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans Histoire d'artisan. Je suis Lisa Mier et je serai votre guide dans l'exploration de l'artisanat d'art. Histoire d'artisan est l'association qui valorise l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d'un univers merveilleux et riche avec lequel collabore Histoire d'Artisan. Aujourd'hui, nous accueillons Laurie Archambault, fondatrice de Laurie et les petites mains, relieur et créatrice de papier marbré. On peut aussi appeler le créateur et la créatrice de papier marbré marbreur ou marbreuse. Et non, ils ne travaillent pas la pierre. Pour la reliure, elle a préféré ajouter un E à relieur, parce qu'une relieuse, c'est l'outil qu'ils utilisent. Dans ce premier épisode, on ne va pas parler d'étymologie des noms des métiers. Je voulais qu'avec Laurie nous vous racontions l'histoire avec un grand H de la marbrure. Le papier marbré est un papier décoré dont les motifs imitent ceux du marbre ou d'autres roches et qui est utilisé notamment en reliure, d'où le nom. Sa technique de réalisation consiste à faire flotter des pigments sur un liquide légèrement gélifié puis à produire un motif sur l'eau et transférer ensuite ce motif sur une feuille de papier. Mais tout cela, Laurie va vous le raconter mieux que moi. Belle écoute !

  • Speaker #2

    Donc, Laurie, tu es relieur et créatrice de papier marbré. Relieur, on l'écrit avec un E parce que tu es une femme et qu'on y tient. Je te propose, dans ce premier épisode, de plus parler de l'histoire du papier marbré, parce que pour moi, déjà, il y a beaucoup de choses à raconter. On en a un petit peu parlé avant et j'avais un peu des bases avant de venir ici. Et surtout pour moi, c'est un moyen de mieux apprécier cet art et de mieux apprécier les papiers qu'on peut voir. C'est pour ça que je te propose qu'on fasse un focus vraiment papier marbré dans ce premier épisode. Si je ne me trompe pas, cette histoire, elle a commencé en Asie.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Ça a commencé en Asie au 8e siècle. Donc effectivement, on parle de papier sumi nagashi. Sumi qui signifie encre, nagashi qui signifie de l'encre qui flotte en mouvement. Et donc c'est une technique qu'on va situer plutôt au Japon et qui va se développer dans toute l'Asie et qui va arriver en Perse et en Empire Ottoman dès le XVe siècle. Donc c'est suivant la route de la soie qu'on va avoir des échanges techniques, de matériaux, des papiers rapportés et qu'on va nous plutôt utiliser la couleur. Le minéral broyé qu'on va différencier plutôt du végétal, par exemple l'indigo qui est de base végétale qu'on utilise en Asie. On va aussi l'utiliser dans les papiers ottomans, mais on va aussi se tourner davantage vers le minéral pour fabriquer nos couleurs.

  • Speaker #2

    Il y a quel type de minéraux qui sont utilisés ?

  • Speaker #0

    Il y en a plein. Déjà, il y a toutes les terres naturelles. Si on s'écarte un peu de l'Empire ottoman et qu'on regarde en France, il y a des terres en Bourgogne, en Roussillon. Il faut s'imaginer que sur chaque territoire, on a des terres naturelles. On a aussi des gisements en Pied-de-Lune. Les pierres semi-précieuses permettent de faire du bijou. Forcément, les pierres qui servent en bijou sont un peu trop dures. Ce qui va intéresser le marbreur, c'est plutôt une terre tendre, friable. Même si on a certaines pierres qui sont dures, on peut quand même les transformer en couleurs, en pigments liquides, mais le processus est beaucoup plus long. Donc effectivement, il y a toute une tradition d'ailleurs autour de ça, savoir quelle pierre on peut choisir, et en fonction de sa densité, quelle couleur on va obtenir à la fin. Il y a vraiment des étapes de broyage de la pierre qui sont assez complexes et assez longues. Et pour préparer une couleur, même si elle est déjà réduite sous forme de petits grains en pigment, par exemple si on achète une terre en roussillon, en fait elle va être prête seulement au bout de trois semaines. Le liant qu'on utilise dans les recettes ottomanes, qui est le fiel de bœuf. C'est un acide naturel, et cet acide naturel va aider au broyage de la couleur et créer son unité, puisqu'elle porte le nom de liant, donc elle crée l'unité de la couleur, qui ne sera donc pas mélangeable aux autres. C'est ce qui permet de créer ces jeux de matière et ces superpositions de tâches qui permettent ensuite de créer les motifs. Et donc ce liant, comme c'est un acide, il lui faut trois semaines pour agir. Sur la couleur et que cette couleur puisse à la fois flotter et être imprimée sur le papier ou sur le support, puisqu'il n'y a pas que le papier en soi, on peut imprimer sur de la soie, sur du cuir, du parchemin, tout matériau poreux, mais bien évidemment, les trois quarts du temps, c'est plutôt sur du papier.

  • Speaker #2

    Quel que soit le minéral, ça prend trois semaines ?

  • Speaker #0

    Oui, environ trois semaines au minimum. Et donc pour les pierres plus dures, quand je parlais tout à l'heure des gisements semi-précieux, effectivement, là, il faut beaucoup plus de temps parce que déjà, il faut réduire. C'est son caillou en une terre, quelque chose de très fin, le plus fin possible. Donc on passe par des étapes avec des petits marteaux. On peut broyer avec le pavé de marbre traditionnel sur une plaque de marbre. Et puis ensuite, si le pigment est mis cible à l'eau, on vient faire son mélange sur pierre pour créer la pâte pigmentaire à base d'eau. Et si le pigment n'est pas miscible à l'eau, on va d'abord mettre le fiel de bœuf, ce qui permettra ensuite de rajouter l'eau. Et puis après, dans les compositions, c'est une vraie petite recette, c'est un peu de la cuisine. On a le miel qui est un conservateur naturel, on va rajouter un élément qui permet de bien fixer les bœufs. La couleur sur le support qui est la gomme arabique. Et puis, on peut jouer sur l'intensité de la couleur en fonction de la quantité de pigments. Et le fiel de bœuf, lui, au contraire, va plutôt avoir le pouvoir d'éclaircir la couleur. Et c'est pour ça qu'on attend trois semaines. Trois semaines, c'est le temps pour le fiel de s'évaporer et de rester en quantité suffisante pour que le pigment flotte, mais ne soit pas non plus trop clair. Et donc, la dilution se fait avec de l'eau.

  • Speaker #2

    Et est-ce que ça fait partie du métier de marbreur de faire ces pigments ou est-ce que vous les achetez ?

  • Speaker #0

    Alors, normalement, culturellement, quand on est marbreur, on fabrique non seulement ces pigments, mais on fabrique aussi ces pinceaux. Il y a des pinceaux traditionnels avec des branches de rosier et du crin de cheval. Normalement, c'est une technique qui se transmet de maître à élève dans la marbreur. Donc, c'est quelque chose que j'ai appris à faire et la fabrication des pigments aussi. Donc,

  • Speaker #2

    on est au XVe siècle. Ça a mis sept siècles à passer de l'Asie à l'Empire ottoman. J'imagine que c'est toujours très long à cette époque-là, puisqu'il n'y a pas Internet.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #2

    Et donc au XIVe siècle, ça arrive en Perse. Qu'est-ce qu'on attend de ce matériau ? Qu'est-ce qu'on en fait ? On en fait la même chose qu'en Asie ?

  • Speaker #0

    Alors, à l'origine, en Asie, c'est un support pour la calligraphie, la poésie, la correspondance. C'est vrai que quand ça va arriver en Empire ottoman, on est plutôt sur l'objet peut avoir une fonction. Il est tout autant décoratif qu'en Asie et sa fonction là pour le coup c'est tout ce qui est documents officiels non reproductibles. Donc c'est assez intéressant de voir qu'il y a des commandes de papier qui sont réalisées à l'époque pour ces documents. Et puis c'est aussi donc l'écriture c'est quelque chose qui devient populaire. En tout cas même si tout le monde ne sait pas écrire, il y a des manuscrits qui circulent et ces manuscrits il faut bien les habiller, les protéger. Et donc déjà dans les pages de garde qui gardent les manuscrits, donc qui les protègent, on a l'utilisation de papier marbré.

  • Speaker #2

    La page de garde. C'est à l'intérieur de la couverture ?

  • Speaker #0

    Oui, en fait, quand on ouvre la partie rigide du livre, qui est la couverture, les premières pages sur lesquelles on arrive, c'est ces pages de garde, qui sont à la fois décoratives et qui portent bien leur nom, puisqu'elles gardent l'ouvrage et le protègent.

  • Speaker #2

    Donc là, on n'est pas encore arrivé en Europe, on est toujours dans l'Empire Ottoman. Ça arrive quand à peu près en Europe ?

  • Speaker #0

    En Europe, ça va arriver plutôt à partir du XVIIe siècle. Donc du coup, il va vraiment falloir attendre que les métiers de l'imprimerie se développent. Les feuilles peuvent circuler, il y a des voyages, il y a des expéditions qui sont organisées, il y a des chercheurs, il y a des hommes et des femmes qui mènent des expéditions et qui vont ramener des papiers. Donc les papiers circulent, mais le fait que vraiment ça se développe, ça va plutôt être lié au métier du livre et de l'imprimerie. Il faudra vraiment attendre que ces métiers-là se développent en eux-mêmes pour qu'ensuite le papier occupe une place importante, à savoir, comme on le disait dans les manuscrits tout à l'heure écrits à la main, dans les livres imprimés, ils vont aussi se trouver en page de garde. Je pense que chaque culture a eu sa façon de créer son style. Il y a des peignes italiens, des peignes anglais. Les peignes sont des outils inspirés des outils turcs. Les mandrins qui ressemblent à des petits stylos métalliques avec un manche en bois. Au lieu de dessiner à l'unité les modifs... Comme les livres sortent de presse et sont imprimés à un débit plus important qu'on ne l'avait connu auparavant, le principe du peigne, c'est que ça va permettre de créer un motif en tirant le peigne vers soi en un seul passage. Et donc ça garantit à la fois une régularité, un motif assez petit qui va venir à l'échelle de proportion du livre tel qu'on l'attend, et ça permet de sortir plus de feuilles, d'être un petit peu plus rentable en termes de production de papier à l'époque.

  • Speaker #2

    Ce que tu racontes, c'est qu'on est quand même toujours dans le rapport au livre, et uniquement au livre.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai.

  • Speaker #2

    Donc ça a du sens que tu es les deux métiers, en fait, finalement. Oui, c'est vrai,

  • Speaker #0

    c'est vrai. Les deux sont liés.

  • Speaker #2

    C'est vrai qu'on ne l'a pas expliqué en commençant cet épisode, mais là, on parle de papier comme nous, on le connaît aujourd'hui, qui est quand même un matériau ultra commun. Mais en fait, à l'époque, ça ne l'était pas du tout. Et en revanche, ce que tu me racontais, c'est que nous, en Europe, on avait le parchemin. Et donc, ce rapport au papier, justement, est né en Asie, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Donc en fait, c'est vrai que la première trace des papiers inventés, on se trouvait en Asie. Après, on a quelque chose de plat qui ressemble au papier. C'est un support à plat qui est le papier russe aussi. Donc nous, on est sur du parchemin. En Asie, on a des papiers fabriqués avec ce qu'ils ont sur place, donc des végétaux, des fibres de murier et autres possibilités qu'ils ont pu mettre en place. Et il faut vraiment attendre qu'en même temps que les recettes de la marbrure évoluent, suivant la route de la soie, c'est aussi ces papiers qui vont nous mettre la puce à l'oreille. Donc à la fois les papiers venant d'Asie et aussi la fabrication du papier venant du monde arabe. Et donc nous ça va nous influencer et c'est aussi plus rentable, plus léger, un matériau plus facile à transporter, à relier, à coudre. Ça va vraiment révolutionner le livre d'avoir ce support papier. Et c'est pour ça qu'on va s'y intéresser très fortement à partir du moment où on se rend compte que c'est possible de travailler ce matériau.

  • Speaker #2

    Parce que le parchemin c'est quoi comme matériau ?

  • Speaker #0

    On est en fait sur un matériau animal, c'est comme le cuir. Sauf que c'est une autre façon de tanner et ce ne sont pas les mêmes produits qui sont utilisés.

  • Speaker #2

    Donc oui, un effet beaucoup plus lourd.

  • Speaker #0

    Avec plus de travail aussi finalement sur le matériau.

  • Speaker #2

    Une production plus lourde aussi.

  • Speaker #0

    Oui, plus longue.

  • Speaker #2

    Et donc, tu me racontais qu'il y avait une petite anecdote sur des prisonniers japonais ?

  • Speaker #0

    Alors là, c'est plutôt l'Empire chinois qui a une forte influence, effectivement. Il y a des prisonniers d'origine chinoise qui vont livrer au monde islamique le secret de la fabrication du papier en 751. Donc voilà,

  • Speaker #2

    petite anecdote. Et donc, c'est comme ça qu'il est arrivé, vraiment, le papier.

  • Speaker #0

    Il est arrivé à se développer, à devenir populaire. En fait, on se rend compte que le papier, on peut le colorer, on peut le décorer, le polir. Ce qu'on était capable de faire sur du parchemin, on peut aussi le faire sur le papier. On se rend compte de la richesse de ce matériau et ça va vraiment se populariser parce qu'il est plus facile de produire du papier en quantité.

  • Speaker #2

    Ok, donc là, on a fait la dispersion du papier dans les époques et géographiquement. Tu me parlais aussi du fait que derrière le papier marbré, tu me racontais qu'il y avait quand même tout un art de vivre que c'était... Plus une culture ? Est-ce qu'on peut dire que c'était plus une culture qu'un artisanat ou c'était un artisanat inclus dans une culture ?

  • Speaker #0

    Bonne question.

  • Speaker #2

    Ils se considéraient artisans, les marbreurs ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'ils avaient vraiment une place parce que pour cette histoire de document officiel, il y a quelque chose d'assez solennel, d'assez posé. Maintenant, dans l'évolution de cette technique, je pense que c'est devenu un art populaire par la suite, là où c'était très officiel au départ. Mais je pense aussi que ça dépend là où on se situe, dès qu'on est en province, dans des zones un peu éloignées, ça va être un art de vivre. Parce qu'on n'est pas forcément connu, on n'est pas implanté et on n'est pas au service de quelqu'un. Donc je pense que ça dépend de la position sociale qu'on a et du contexte dans lequel on fait le papier. Mais c'est vrai que ça s'inscrit vraiment dans un art de vivre. C'est vrai qu'au Japon, avec les papiers Suminagashi, les couleurs sont pâles, elles sont assez vagues. C'est très spirituel, ça forme des cercles, des formes très naturelles, assez organiques qu'on retrouve dans la nature. Même quand une goutte d'eau va tomber, ça forme un cercle. On retrouve ce mouvement naturel à travers les papiers. Suminagashi, c'est très beau, c'est très poétique. L'art en Empire ottoman s'appelle l'art hébreu. Donc on dit hébreu et ça signifie l'art des nuages. Donc c'est pareil, c'est très poétique, c'est encore une fois un rappel à la nature, à ce qu'on observe. Et finalement, c'est ce qu'on fait quand on développe une civilisation, on observe ce qui nous entoure. Donc il y a des personnes qui sont plutôt dans la contemplation, il y en a qui sont dans l'action, dans le faire, dans l'écoute. Et donc je pense que le marbreur, c'est quelqu'un qui a à la fois à observer, mais a su aussi développer. développer sa propre façon de recréer ce qu'il observait dans la nature, d'une certaine manière. Et voilà.

  • Speaker #2

    Quand tu m'as parlé d'art de vivre, tu m'as quand même parlé de culture, tu m'as dit qu'ils étaient impliqués dans des spectacles, qu'il y avait tout un univers autour.

  • Speaker #0

    Il y a quelque chose d'assez festif, dans le sens où toutes ces couleurs qu'on retrouve en empire ottoman, ça va vraiment se démarquer. Que ça rappelle aussi toute la richesse textile qu'on avait à l'époque, avec de grands motifs. En fait, les motifs qu'on retrouve sur papier sont clairement liés aussi à ce qu'on peut retrouver dans les métiers du textile, donc à savoir des grandes fleurs assez stylisées. On a quelque chose d'assez moderne, étonnamment, dans les papiers les plus anciens, parce qu'il y a des couleurs bien délimitées, avec des couleurs franches. Des couleurs naturelles mais franches. Du coup, c'est un peu une fête. C'est un peu la fête des couleurs. Le fait de devoir frapper sur sa main pour que les couleurs se répartissent à la surface de la cuve, ça rappelle un rythme. En général, quand on prend le pinceau et qu'on commence à poser son fond caillouté, il ne faut pas arrêter de frapper sur sa main. Et donc forcément, ça va s'accompagner de musique, donc de musiciens, de chants. Il peut y avoir des personnes qui dansent automatiquement aussi. Il y a le marbreur qui fait le papier, mais il peut y avoir aussi un public autour, en tout cas qui regarde, qui observe, qui contemple. Et il y a ceux qui font de la musique. Il y a quelque chose aussi de méditatif. Ce n'est pas forcément tout le temps. Il y a deux visions du marbreur. Il y a le marbreur qui participe à ce regroupement de personnes un peu festif. Et il y a aussi un peu le marbreur qui fait son œuvre en solitaire, de manière un peu méditative. Le marbreur de tous les jours, il n'a pas nécessairement de la musique. Il peut faire ses papiers et avoir son rythme intérieur en frappant sur sa main sans avoir besoin de cette musique et de ses grandes fêtes. Donc je pense qu'il y a deux façons de faire de la marbreur finalement.

  • Speaker #2

    Oui, surtout que ce que tu expliquais, c'est que ça a évolué dans le temps, mais initialement, il y avait quand même des artisans qui marbreurent. pour des documents officiels. Et tu me racontais que ces artisans marbreurs qui produisaient les documents officiels étaient mandatés. J'imagine qu'il n'y en avait pas 400, il n'y en avait que quelques-uns. Et j'imagine que du coup, la cérémonie n'était pas du tout la même quand c'était avec les artisans mandatés et quand c'était avec plus informels.

  • Speaker #0

    Un peu comme ça peut se passer, je ne sais pas, lors d'événements, il y a quelque chose à fêter dans un village ou autre. Voilà, si on sait qu'il y a quelqu'un qui pratique... Cette technique, c'est vraiment une façon de créer le regroupement autour de quelque chose de festif, de convivial. En tout cas, c'est vrai que la cuve, c'est un endroit sur lequel on veut se pencher, on veut voir. Après, là, on peut rentrer dans un rapport à la philosophie et tout ça, mais l'eau, les couleurs, c'est très beau. Il y a quelque chose de l'ordre de la contemplation et en même temps, c'est joyeux. C'est un bel adage pour se retrouver. Culturellement, oui, c'est pour ça que ça va devenir un art populaire. C'est qu'il y a quelque chose autour de ça qui fonctionne bien. Pour le coup, le monde occidental, quand ça va être repris, il y a une très grande qualité dans les papiers. Ils vont essayer de retrouver ces couleurs et cette richesse, mais ce sera peut-être un peu moins le cas dans nos ateliers en Occident. C'est plutôt de par les recettes qu'on va se différencier et qu'il va y avoir quelque chose de culturel dans la marbre. C'est à travers les compositions et la façon dont on va se... réapproprier cet art, ce qui n'empêche pas de se mettre un petit fond musical, qu'on fasse de la marbre à l'italienne, ou dans tous les cas, ça peut s'accompagner de musique, mais ce geste au pinceau est bien particulier, cette façon de déposer la couleur, il est vraiment propre à cette culture-là, alors que voilà, on peut se retrouver à déposer des couleurs avec une pipette aujourd'hui, en France, en Allemagne, en Italie, on n'a pas forcément ce pinceau, ce pinceau est unique.

  • Speaker #2

    Justement, si je rebondis sur le thème du pinceau, tu m'expliquais aussi que... Avec le déplacement géographique, finalement, outre les couleurs qui ont évolué puisqu'on s'adapte à l'environnement qu'on a, il y a aussi les pinceaux qui ont évolué entre l'Asie et l'Empire ottoman.

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Les pinceaux suminagashi japonais sont des pinceaux étonnamment très bombés à la base du pinceau. On est sur des poils de chèvre très fins, très soyeux. d'un blanc, d'une jolie couleur blanche. Et en fait, quand on trempe ce pinceau bombé, le bout du pinceau est extrêmement fin, aussi fin qu'une aiguille quasiment. Et donc, ça va permettre de déposer les cercles à la surface de l'eau, suivant cette technique. Donc effectivement, ça nous donne des indices. Quand on voit un manche avec un poil de chèvre, enfin plusieurs poils de chèvre pour créer le pinceau, on se demande ce qu'on pourrait trouver chez soi. Et donc, c'est pour ça qu'on va se retrouver avec des branches de rosier assez robustes. Et c'est plutôt le crin de chevel qui sera utilisé. Et voilà, il y a des pinceaux plus courts pour faire des petites projections, des pinceaux plus épais. Et là, c'est plus du tout où on pose délicatement le pinceau, c'est on frappe sur sa main. Et donc, quand ce ne sont pas les recettes de couleurs, effectivement, ce sont les pinceaux aussi qui peuvent nous apporter quelque chose de très différent. Et donc, les motifs sur le papier, on les distingue très bien. C'est une approche très contrastée avec les papiers japonais.

  • Speaker #2

    Et donc, j'imagine que c'est une technique qui a un peu disparu avec le temps, puisque tu me racontais justement que l'arrivée de l'imprimerie et de la production en masse de bouquins, en fait, a repensé notre rapport au livre. C'est vrai que maintenant, quand on est dans une production massive, on ne va peut-être pas chercher à avoir une page de garde plus unique. On va vouloir faire de la production industrielle,

  • Speaker #0

    tout à fait. Oui, l'art industriel, ça va dépasser encore plus l'histoire de l'imprimerie. L'imprimerie, du coup, ça nous amène à modifier nos outils, à travailler différemment la marbrure, mais ça restait des papiers originaux. Des tirages uniques. Même si on en faisait des séries, le peigne nous permettait de faire des feuilles qui se ressemblaient. Donc on avait des séries de papiers dont on avait l'impression, à quelques détails près, qu'elles étaient identiques. Et là où l'industrie va essayer d'apporter sa petite touche en essayant de faire évoluer ce domaine, mais ce qui ne va pas fonctionner pour autant, c'est qu'on va partir d'un papier existant, on va le numériser, et on va vouloir en produire des quantités. Sauf que quitte à faire appel à des techniques numériques, Ça ne va pas être intéressant de partir d'un objet existant. C'est pour ça que le métier du graphisme va se développer et qu'on va avoir une toute autre offre. La proposition de page de garde, c'est qu'on va plutôt se pencher sur la mise en page, créer des fonds, des gradés. Vraiment, les papiers marbrés ne vont plus tellement être attractifs parce que justement c'est imprimé et qu'il manque ce petit cachet original au papier. Et même s'il va y avoir des brevets avec des systèmes de bras mécanisés, avec des encres qui se projettent, même s'il y a plein d'alternatives que vont trouver ces industriels, ça ne va pas tellement trouver son public. Et vraiment, ça va être plutôt un illustrateur ou un graphiste qui va créer un motif. Les pages de garde. qu'on voit aujourd'hui, soit c'est un papier uni, on choisit une couleur, hop, ça fait une page de garde, ou alors il y a un motif qui est créé de toute pièce et ça met en avant le travail d'un illustrateur. Aujourd'hui, si on utilise un papier marbré, c'est vraiment plutôt en tant qu'original, on est revenu à ça, même si c'est vrai qu'il y a des éditeurs. Et pour des séries limitées ou du livre d'artiste, on peut me demander un original qu'on va numériser, mais il y aura de toute façon la petite patte du graphiste. En général, sur la page de garde, il y a toujours un petit truc en plus que le papier uniquement. Donc voilà, le papier marbré a sa place aujourd'hui encore, à la fois dans les relures traditionnelles, les relures de création, quand ce sont des originaux, mais on peut aussi les retrouver numérisés, même pour du packaging. Il y a des demandes complètement... auxquelles je ne m'attendais pas dans ce secteur-là et qui sont assez surprenantes et qui appartiennent au monde de l'industrie. Comme quoi, l'artisanat et l'industrie ne sont pas incompatibles. Mais la technique en elle-même ne peut être industrialisée, malheureusement. Ça n'a pas forcément la même portée. Je pense que les industriels, à la limite, ce qu'ils ont fait est ce qu'on voit un petit peu. C'est les objets que vous plongez dans des cuves en volume. Une carrosserie, un casque de moto, un instrument de musique. Mais dans ce cas-là, c'est différent. Ce n'est pas le pigment qu'on fabrique à la main. C'est plutôt des polymères, des pigments souples qui vont épouser la forme de l'objet. Parfois, ça nécessite une cuisson, un temps de séchage. Bref, c'est une toute autre démarche. C'est vrai que moi, le principe de ma cuve, c'est que mon support est plat. Que ce soit du papier, du parchemin, du cuir, je travaille à plat.

  • Speaker #2

    Tu travailles sur du cuir et du parchemin ?

  • Speaker #0

    Oui, ça m'arrive.

  • Speaker #2

    On verra ça dans l'épisode 2. J'ai hâte d'en savoir plus. Moi, je trouve ça passionnant, en vrai. Je voulais quand même qu'on revienne sur quelque chose. Toi et moi, on connaît une personne absolument incroyable qui s'appelle Baris Bekoul, qui malheureusement nous a quittés, mais qui, je pense, en tout cas pour moi, cet épisode, il a un peu un sens d'hommage puisque je n'ai jamais pu avoir l'occasion d'enregistrer Baris. Donc, j'archive ses connaissances à travers toi. Et donc, Baris, sans rentrer dans les détails, mais toi, tu veux le faire, m'avait expliqué que chaque motif du papier marbré, donc lui, il est turc, chaque motif a un nom et également, si je ne me trompe pas, une signification.

  • Speaker #0

    Oui, effectivement, il y a plein de motifs qu'on peut créer avec la marbrure qui portent des noms et qui représentent des éléments. issus souvent de la nature ou en représentation, ou alors le nom du papier, le nom du motif, porte le nom du minéral même parfois, quand c'est indigo. Alors après, il y a pas mal de noms que je ne voudrais pas écorcher, qui sont en turc, que je vais me contenter de nommer en français. Mais effectivement, on va avoir les motifs cailloutés dont je vous parlais. qu'on obtient avec le pinceau. Après, il y a des cailloutés en monochrome, des cailloutés avec plusieurs codes couleurs. Et historiquement, on peut se douter qu'on puisse, en fonction des couleurs utilisées, imaginer à partir de quelle époque, puisqu'il y a une histoire qui va avec la découverte des pigments, donc on est capable de dater un papier ou d'imaginer dans quel contexte il a été fait en fonction des couleurs. Voilà, si on ouvre un livre sur l'histoire des couleurs, Des pigments, des découvertes autour de cela, on en saurait un peu plus et c'est un vaste sujet. Mais c'est passionnant, effectivement, d'aller regarder par code couleur quelles couleurs on associe, pour qui, pourquoi, comment. Est-ce que c'est en fonction de la thématique du livre ? Est-ce que c'est en fonction du propriétaire du livre ? Je parlais des cailloutés, des papiers vraiment bruts. Après, il y a tous les motifs de volutes, les motifs châles. Et là, c'est un terme. Hébru, le motif châle, qui signifie volute. On va avoir tous les motifs qui servent pour la calligraphie, donc ce dont on parlait tout à l'heure, qui est vraiment un domaine dans la marbrure. Le fait d'avoir un décor autour et de la calligraphie au centre. Après, ça peut être calligraphie religieuse ou non. On a les motifs aussi d'escargots, qui peuvent parfois être interprétés comme des motifs, les nids des tourterelles. Ça fait... Un joli motif concentrique, circulaire, qu'on appelle aussi coquille. Il y a les motifs indigos, là où on a l'inspiration du Japon. On a tout ce qui est motifs peignes, les motifs zigzags, qui sont les plus tardifs. C'est tous ces motifs que l'on sait faire à la main avec le mandrin, le petit stylo dont je parlais, mais qui peut aussi être réinterprété par les Italiens, les Allemands, les Anglais, au moyen de peignes. Donc un montant en bois avec plusieurs petits pics. attachés qui permettent de créer ces motifs en zigzag et en peigne très réguliers. Et c'est un objet d'ailleurs qui rappelle vraiment ce mouvement sur les métiers à tisser quand on ramène le tissu à soi. Donc c'est ça, c'est on pose son peigne tout en haut et on le tire délicatement vers soi. Et du coup, tous les cailloux, le motif d'origine, le tout premier que j'ai nommé, le caillouté, en tirant le peigne, ça crée vraiment naturellement un motif hyper beau, hyper raffiné, tout fin, aussi fin qu'un tissu.

  • Speaker #2

    Moi, je trouve ça hyper beau et c'est ce que j'expliquais en introduction de cet épisode. C'est que, en fait, comprendre tout ce qu'il y a derrière ces motifs, c'est aussi comprendre qu'il y a une histoire et qu'ils ont des choses à raconter. Donc, ça permet de mieux comprendre ce qu'on a devant nous. Donc, merci beaucoup, Laurie.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #2

    Et je te dis à très vite pour l'épisode 2.

  • Speaker #0

    Oui, à bientôt.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup pour votre écoute.

  • Speaker #1

    J'espère que ce premier épisode sur l'histoire de la marbrure avec Laurie Archambault, fondatrice de Laurie et les petites mains, relieur et créatrice de Papier Marbré, vous aura plu. Dans le prochain épisode, Laurie nous parlera de son rapport à ses deux métiers, de son combat pour qu'il reste transmis et de son parcours. Vous pouvez continuer de m'aider à faire découvrir les histoires d'artisans au plus grand nombre en mettant une note et en vous abonnant sur votre plateforme de streaming préférée. Comme d'habitude, je publie régulièrement des photos du travail des artisans sur Instagram. Donc n'hésitez pas à vous abonner pour découvrir leur métier en images. Nous sommes toujours heureux de recevoir vos témoignages et vos ressentis sur les épisodes de podcast. Si vous avez envie, vous pouvez nous transmettre un message en nous écrivant à podcast.histoiredartisan.com A bientôt avec une nouvelle histoire.

Description

Dans cet épisode nous accueillons Laurie Archambault, fondatrice de Laurie&LesPetitesMains, relieure et créatrice de papier marbré. On peut aussi appeler le Créateur et la créatrice de papier marbré, marbreur ou marbreuse. Pour la reliure, elle a préféré ajouter un “e” à relieur parce qu’une relieuse, c’est l’outil qu’ils utilisent. 

Dans ce premier épisode, on ne va pas parler d’étymologie des noms de métiers. Je voulais qu’avec Laurie nous vous racontions l’Histoire de la marbrure. Le papier marbré est un papier décoré dont les motifs imitent ceux du marbre ou d'autres roches, et qui est utilisé notamment en reliure. Sa technique de réalisation consiste à faire flotter des pigments sur un liquide légèrement gélifié, puis à produire un motif sur l'eau, et transférer ensuite ce motif sur une feuille de papier. Mais tout cela, Laurie vous le racontera mieux que moi. Belle écoute !

Histoires d’Artisans est l’association qui valorise l’ingénierie des artisans d’art en mettant en avant l’innovation et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d’un univers merveilleux et riche avec lequel collabore Histoires d’Artisans.

Liens de l’épisode : 

Laurie Archambault - Laurie & Les Petites Mains

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Le Carnet des Innovations


Production et réalisation : Lisa Millet

Montage et musiques : Quentin Blic


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans mon atelier.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans Histoire d'artisan. Je suis Lisa Mier et je serai votre guide dans l'exploration de l'artisanat d'art. Histoire d'artisan est l'association qui valorise l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d'un univers merveilleux et riche avec lequel collabore Histoire d'Artisan. Aujourd'hui, nous accueillons Laurie Archambault, fondatrice de Laurie et les petites mains, relieur et créatrice de papier marbré. On peut aussi appeler le créateur et la créatrice de papier marbré marbreur ou marbreuse. Et non, ils ne travaillent pas la pierre. Pour la reliure, elle a préféré ajouter un E à relieur, parce qu'une relieuse, c'est l'outil qu'ils utilisent. Dans ce premier épisode, on ne va pas parler d'étymologie des noms des métiers. Je voulais qu'avec Laurie nous vous racontions l'histoire avec un grand H de la marbrure. Le papier marbré est un papier décoré dont les motifs imitent ceux du marbre ou d'autres roches et qui est utilisé notamment en reliure, d'où le nom. Sa technique de réalisation consiste à faire flotter des pigments sur un liquide légèrement gélifié puis à produire un motif sur l'eau et transférer ensuite ce motif sur une feuille de papier. Mais tout cela, Laurie va vous le raconter mieux que moi. Belle écoute !

  • Speaker #2

    Donc, Laurie, tu es relieur et créatrice de papier marbré. Relieur, on l'écrit avec un E parce que tu es une femme et qu'on y tient. Je te propose, dans ce premier épisode, de plus parler de l'histoire du papier marbré, parce que pour moi, déjà, il y a beaucoup de choses à raconter. On en a un petit peu parlé avant et j'avais un peu des bases avant de venir ici. Et surtout pour moi, c'est un moyen de mieux apprécier cet art et de mieux apprécier les papiers qu'on peut voir. C'est pour ça que je te propose qu'on fasse un focus vraiment papier marbré dans ce premier épisode. Si je ne me trompe pas, cette histoire, elle a commencé en Asie.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Ça a commencé en Asie au 8e siècle. Donc effectivement, on parle de papier sumi nagashi. Sumi qui signifie encre, nagashi qui signifie de l'encre qui flotte en mouvement. Et donc c'est une technique qu'on va situer plutôt au Japon et qui va se développer dans toute l'Asie et qui va arriver en Perse et en Empire Ottoman dès le XVe siècle. Donc c'est suivant la route de la soie qu'on va avoir des échanges techniques, de matériaux, des papiers rapportés et qu'on va nous plutôt utiliser la couleur. Le minéral broyé qu'on va différencier plutôt du végétal, par exemple l'indigo qui est de base végétale qu'on utilise en Asie. On va aussi l'utiliser dans les papiers ottomans, mais on va aussi se tourner davantage vers le minéral pour fabriquer nos couleurs.

  • Speaker #2

    Il y a quel type de minéraux qui sont utilisés ?

  • Speaker #0

    Il y en a plein. Déjà, il y a toutes les terres naturelles. Si on s'écarte un peu de l'Empire ottoman et qu'on regarde en France, il y a des terres en Bourgogne, en Roussillon. Il faut s'imaginer que sur chaque territoire, on a des terres naturelles. On a aussi des gisements en Pied-de-Lune. Les pierres semi-précieuses permettent de faire du bijou. Forcément, les pierres qui servent en bijou sont un peu trop dures. Ce qui va intéresser le marbreur, c'est plutôt une terre tendre, friable. Même si on a certaines pierres qui sont dures, on peut quand même les transformer en couleurs, en pigments liquides, mais le processus est beaucoup plus long. Donc effectivement, il y a toute une tradition d'ailleurs autour de ça, savoir quelle pierre on peut choisir, et en fonction de sa densité, quelle couleur on va obtenir à la fin. Il y a vraiment des étapes de broyage de la pierre qui sont assez complexes et assez longues. Et pour préparer une couleur, même si elle est déjà réduite sous forme de petits grains en pigment, par exemple si on achète une terre en roussillon, en fait elle va être prête seulement au bout de trois semaines. Le liant qu'on utilise dans les recettes ottomanes, qui est le fiel de bœuf. C'est un acide naturel, et cet acide naturel va aider au broyage de la couleur et créer son unité, puisqu'elle porte le nom de liant, donc elle crée l'unité de la couleur, qui ne sera donc pas mélangeable aux autres. C'est ce qui permet de créer ces jeux de matière et ces superpositions de tâches qui permettent ensuite de créer les motifs. Et donc ce liant, comme c'est un acide, il lui faut trois semaines pour agir. Sur la couleur et que cette couleur puisse à la fois flotter et être imprimée sur le papier ou sur le support, puisqu'il n'y a pas que le papier en soi, on peut imprimer sur de la soie, sur du cuir, du parchemin, tout matériau poreux, mais bien évidemment, les trois quarts du temps, c'est plutôt sur du papier.

  • Speaker #2

    Quel que soit le minéral, ça prend trois semaines ?

  • Speaker #0

    Oui, environ trois semaines au minimum. Et donc pour les pierres plus dures, quand je parlais tout à l'heure des gisements semi-précieux, effectivement, là, il faut beaucoup plus de temps parce que déjà, il faut réduire. C'est son caillou en une terre, quelque chose de très fin, le plus fin possible. Donc on passe par des étapes avec des petits marteaux. On peut broyer avec le pavé de marbre traditionnel sur une plaque de marbre. Et puis ensuite, si le pigment est mis cible à l'eau, on vient faire son mélange sur pierre pour créer la pâte pigmentaire à base d'eau. Et si le pigment n'est pas miscible à l'eau, on va d'abord mettre le fiel de bœuf, ce qui permettra ensuite de rajouter l'eau. Et puis après, dans les compositions, c'est une vraie petite recette, c'est un peu de la cuisine. On a le miel qui est un conservateur naturel, on va rajouter un élément qui permet de bien fixer les bœufs. La couleur sur le support qui est la gomme arabique. Et puis, on peut jouer sur l'intensité de la couleur en fonction de la quantité de pigments. Et le fiel de bœuf, lui, au contraire, va plutôt avoir le pouvoir d'éclaircir la couleur. Et c'est pour ça qu'on attend trois semaines. Trois semaines, c'est le temps pour le fiel de s'évaporer et de rester en quantité suffisante pour que le pigment flotte, mais ne soit pas non plus trop clair. Et donc, la dilution se fait avec de l'eau.

  • Speaker #2

    Et est-ce que ça fait partie du métier de marbreur de faire ces pigments ou est-ce que vous les achetez ?

  • Speaker #0

    Alors, normalement, culturellement, quand on est marbreur, on fabrique non seulement ces pigments, mais on fabrique aussi ces pinceaux. Il y a des pinceaux traditionnels avec des branches de rosier et du crin de cheval. Normalement, c'est une technique qui se transmet de maître à élève dans la marbreur. Donc, c'est quelque chose que j'ai appris à faire et la fabrication des pigments aussi. Donc,

  • Speaker #2

    on est au XVe siècle. Ça a mis sept siècles à passer de l'Asie à l'Empire ottoman. J'imagine que c'est toujours très long à cette époque-là, puisqu'il n'y a pas Internet.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #2

    Et donc au XIVe siècle, ça arrive en Perse. Qu'est-ce qu'on attend de ce matériau ? Qu'est-ce qu'on en fait ? On en fait la même chose qu'en Asie ?

  • Speaker #0

    Alors, à l'origine, en Asie, c'est un support pour la calligraphie, la poésie, la correspondance. C'est vrai que quand ça va arriver en Empire ottoman, on est plutôt sur l'objet peut avoir une fonction. Il est tout autant décoratif qu'en Asie et sa fonction là pour le coup c'est tout ce qui est documents officiels non reproductibles. Donc c'est assez intéressant de voir qu'il y a des commandes de papier qui sont réalisées à l'époque pour ces documents. Et puis c'est aussi donc l'écriture c'est quelque chose qui devient populaire. En tout cas même si tout le monde ne sait pas écrire, il y a des manuscrits qui circulent et ces manuscrits il faut bien les habiller, les protéger. Et donc déjà dans les pages de garde qui gardent les manuscrits, donc qui les protègent, on a l'utilisation de papier marbré.

  • Speaker #2

    La page de garde. C'est à l'intérieur de la couverture ?

  • Speaker #0

    Oui, en fait, quand on ouvre la partie rigide du livre, qui est la couverture, les premières pages sur lesquelles on arrive, c'est ces pages de garde, qui sont à la fois décoratives et qui portent bien leur nom, puisqu'elles gardent l'ouvrage et le protègent.

  • Speaker #2

    Donc là, on n'est pas encore arrivé en Europe, on est toujours dans l'Empire Ottoman. Ça arrive quand à peu près en Europe ?

  • Speaker #0

    En Europe, ça va arriver plutôt à partir du XVIIe siècle. Donc du coup, il va vraiment falloir attendre que les métiers de l'imprimerie se développent. Les feuilles peuvent circuler, il y a des voyages, il y a des expéditions qui sont organisées, il y a des chercheurs, il y a des hommes et des femmes qui mènent des expéditions et qui vont ramener des papiers. Donc les papiers circulent, mais le fait que vraiment ça se développe, ça va plutôt être lié au métier du livre et de l'imprimerie. Il faudra vraiment attendre que ces métiers-là se développent en eux-mêmes pour qu'ensuite le papier occupe une place importante, à savoir, comme on le disait dans les manuscrits tout à l'heure écrits à la main, dans les livres imprimés, ils vont aussi se trouver en page de garde. Je pense que chaque culture a eu sa façon de créer son style. Il y a des peignes italiens, des peignes anglais. Les peignes sont des outils inspirés des outils turcs. Les mandrins qui ressemblent à des petits stylos métalliques avec un manche en bois. Au lieu de dessiner à l'unité les modifs... Comme les livres sortent de presse et sont imprimés à un débit plus important qu'on ne l'avait connu auparavant, le principe du peigne, c'est que ça va permettre de créer un motif en tirant le peigne vers soi en un seul passage. Et donc ça garantit à la fois une régularité, un motif assez petit qui va venir à l'échelle de proportion du livre tel qu'on l'attend, et ça permet de sortir plus de feuilles, d'être un petit peu plus rentable en termes de production de papier à l'époque.

  • Speaker #2

    Ce que tu racontes, c'est qu'on est quand même toujours dans le rapport au livre, et uniquement au livre.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai.

  • Speaker #2

    Donc ça a du sens que tu es les deux métiers, en fait, finalement. Oui, c'est vrai,

  • Speaker #0

    c'est vrai. Les deux sont liés.

  • Speaker #2

    C'est vrai qu'on ne l'a pas expliqué en commençant cet épisode, mais là, on parle de papier comme nous, on le connaît aujourd'hui, qui est quand même un matériau ultra commun. Mais en fait, à l'époque, ça ne l'était pas du tout. Et en revanche, ce que tu me racontais, c'est que nous, en Europe, on avait le parchemin. Et donc, ce rapport au papier, justement, est né en Asie, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Donc en fait, c'est vrai que la première trace des papiers inventés, on se trouvait en Asie. Après, on a quelque chose de plat qui ressemble au papier. C'est un support à plat qui est le papier russe aussi. Donc nous, on est sur du parchemin. En Asie, on a des papiers fabriqués avec ce qu'ils ont sur place, donc des végétaux, des fibres de murier et autres possibilités qu'ils ont pu mettre en place. Et il faut vraiment attendre qu'en même temps que les recettes de la marbrure évoluent, suivant la route de la soie, c'est aussi ces papiers qui vont nous mettre la puce à l'oreille. Donc à la fois les papiers venant d'Asie et aussi la fabrication du papier venant du monde arabe. Et donc nous ça va nous influencer et c'est aussi plus rentable, plus léger, un matériau plus facile à transporter, à relier, à coudre. Ça va vraiment révolutionner le livre d'avoir ce support papier. Et c'est pour ça qu'on va s'y intéresser très fortement à partir du moment où on se rend compte que c'est possible de travailler ce matériau.

  • Speaker #2

    Parce que le parchemin c'est quoi comme matériau ?

  • Speaker #0

    On est en fait sur un matériau animal, c'est comme le cuir. Sauf que c'est une autre façon de tanner et ce ne sont pas les mêmes produits qui sont utilisés.

  • Speaker #2

    Donc oui, un effet beaucoup plus lourd.

  • Speaker #0

    Avec plus de travail aussi finalement sur le matériau.

  • Speaker #2

    Une production plus lourde aussi.

  • Speaker #0

    Oui, plus longue.

  • Speaker #2

    Et donc, tu me racontais qu'il y avait une petite anecdote sur des prisonniers japonais ?

  • Speaker #0

    Alors là, c'est plutôt l'Empire chinois qui a une forte influence, effectivement. Il y a des prisonniers d'origine chinoise qui vont livrer au monde islamique le secret de la fabrication du papier en 751. Donc voilà,

  • Speaker #2

    petite anecdote. Et donc, c'est comme ça qu'il est arrivé, vraiment, le papier.

  • Speaker #0

    Il est arrivé à se développer, à devenir populaire. En fait, on se rend compte que le papier, on peut le colorer, on peut le décorer, le polir. Ce qu'on était capable de faire sur du parchemin, on peut aussi le faire sur le papier. On se rend compte de la richesse de ce matériau et ça va vraiment se populariser parce qu'il est plus facile de produire du papier en quantité.

  • Speaker #2

    Ok, donc là, on a fait la dispersion du papier dans les époques et géographiquement. Tu me parlais aussi du fait que derrière le papier marbré, tu me racontais qu'il y avait quand même tout un art de vivre que c'était... Plus une culture ? Est-ce qu'on peut dire que c'était plus une culture qu'un artisanat ou c'était un artisanat inclus dans une culture ?

  • Speaker #0

    Bonne question.

  • Speaker #2

    Ils se considéraient artisans, les marbreurs ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'ils avaient vraiment une place parce que pour cette histoire de document officiel, il y a quelque chose d'assez solennel, d'assez posé. Maintenant, dans l'évolution de cette technique, je pense que c'est devenu un art populaire par la suite, là où c'était très officiel au départ. Mais je pense aussi que ça dépend là où on se situe, dès qu'on est en province, dans des zones un peu éloignées, ça va être un art de vivre. Parce qu'on n'est pas forcément connu, on n'est pas implanté et on n'est pas au service de quelqu'un. Donc je pense que ça dépend de la position sociale qu'on a et du contexte dans lequel on fait le papier. Mais c'est vrai que ça s'inscrit vraiment dans un art de vivre. C'est vrai qu'au Japon, avec les papiers Suminagashi, les couleurs sont pâles, elles sont assez vagues. C'est très spirituel, ça forme des cercles, des formes très naturelles, assez organiques qu'on retrouve dans la nature. Même quand une goutte d'eau va tomber, ça forme un cercle. On retrouve ce mouvement naturel à travers les papiers. Suminagashi, c'est très beau, c'est très poétique. L'art en Empire ottoman s'appelle l'art hébreu. Donc on dit hébreu et ça signifie l'art des nuages. Donc c'est pareil, c'est très poétique, c'est encore une fois un rappel à la nature, à ce qu'on observe. Et finalement, c'est ce qu'on fait quand on développe une civilisation, on observe ce qui nous entoure. Donc il y a des personnes qui sont plutôt dans la contemplation, il y en a qui sont dans l'action, dans le faire, dans l'écoute. Et donc je pense que le marbreur, c'est quelqu'un qui a à la fois à observer, mais a su aussi développer. développer sa propre façon de recréer ce qu'il observait dans la nature, d'une certaine manière. Et voilà.

  • Speaker #2

    Quand tu m'as parlé d'art de vivre, tu m'as quand même parlé de culture, tu m'as dit qu'ils étaient impliqués dans des spectacles, qu'il y avait tout un univers autour.

  • Speaker #0

    Il y a quelque chose d'assez festif, dans le sens où toutes ces couleurs qu'on retrouve en empire ottoman, ça va vraiment se démarquer. Que ça rappelle aussi toute la richesse textile qu'on avait à l'époque, avec de grands motifs. En fait, les motifs qu'on retrouve sur papier sont clairement liés aussi à ce qu'on peut retrouver dans les métiers du textile, donc à savoir des grandes fleurs assez stylisées. On a quelque chose d'assez moderne, étonnamment, dans les papiers les plus anciens, parce qu'il y a des couleurs bien délimitées, avec des couleurs franches. Des couleurs naturelles mais franches. Du coup, c'est un peu une fête. C'est un peu la fête des couleurs. Le fait de devoir frapper sur sa main pour que les couleurs se répartissent à la surface de la cuve, ça rappelle un rythme. En général, quand on prend le pinceau et qu'on commence à poser son fond caillouté, il ne faut pas arrêter de frapper sur sa main. Et donc forcément, ça va s'accompagner de musique, donc de musiciens, de chants. Il peut y avoir des personnes qui dansent automatiquement aussi. Il y a le marbreur qui fait le papier, mais il peut y avoir aussi un public autour, en tout cas qui regarde, qui observe, qui contemple. Et il y a ceux qui font de la musique. Il y a quelque chose aussi de méditatif. Ce n'est pas forcément tout le temps. Il y a deux visions du marbreur. Il y a le marbreur qui participe à ce regroupement de personnes un peu festif. Et il y a aussi un peu le marbreur qui fait son œuvre en solitaire, de manière un peu méditative. Le marbreur de tous les jours, il n'a pas nécessairement de la musique. Il peut faire ses papiers et avoir son rythme intérieur en frappant sur sa main sans avoir besoin de cette musique et de ses grandes fêtes. Donc je pense qu'il y a deux façons de faire de la marbreur finalement.

  • Speaker #2

    Oui, surtout que ce que tu expliquais, c'est que ça a évolué dans le temps, mais initialement, il y avait quand même des artisans qui marbreurent. pour des documents officiels. Et tu me racontais que ces artisans marbreurs qui produisaient les documents officiels étaient mandatés. J'imagine qu'il n'y en avait pas 400, il n'y en avait que quelques-uns. Et j'imagine que du coup, la cérémonie n'était pas du tout la même quand c'était avec les artisans mandatés et quand c'était avec plus informels.

  • Speaker #0

    Un peu comme ça peut se passer, je ne sais pas, lors d'événements, il y a quelque chose à fêter dans un village ou autre. Voilà, si on sait qu'il y a quelqu'un qui pratique... Cette technique, c'est vraiment une façon de créer le regroupement autour de quelque chose de festif, de convivial. En tout cas, c'est vrai que la cuve, c'est un endroit sur lequel on veut se pencher, on veut voir. Après, là, on peut rentrer dans un rapport à la philosophie et tout ça, mais l'eau, les couleurs, c'est très beau. Il y a quelque chose de l'ordre de la contemplation et en même temps, c'est joyeux. C'est un bel adage pour se retrouver. Culturellement, oui, c'est pour ça que ça va devenir un art populaire. C'est qu'il y a quelque chose autour de ça qui fonctionne bien. Pour le coup, le monde occidental, quand ça va être repris, il y a une très grande qualité dans les papiers. Ils vont essayer de retrouver ces couleurs et cette richesse, mais ce sera peut-être un peu moins le cas dans nos ateliers en Occident. C'est plutôt de par les recettes qu'on va se différencier et qu'il va y avoir quelque chose de culturel dans la marbre. C'est à travers les compositions et la façon dont on va se... réapproprier cet art, ce qui n'empêche pas de se mettre un petit fond musical, qu'on fasse de la marbre à l'italienne, ou dans tous les cas, ça peut s'accompagner de musique, mais ce geste au pinceau est bien particulier, cette façon de déposer la couleur, il est vraiment propre à cette culture-là, alors que voilà, on peut se retrouver à déposer des couleurs avec une pipette aujourd'hui, en France, en Allemagne, en Italie, on n'a pas forcément ce pinceau, ce pinceau est unique.

  • Speaker #2

    Justement, si je rebondis sur le thème du pinceau, tu m'expliquais aussi que... Avec le déplacement géographique, finalement, outre les couleurs qui ont évolué puisqu'on s'adapte à l'environnement qu'on a, il y a aussi les pinceaux qui ont évolué entre l'Asie et l'Empire ottoman.

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Les pinceaux suminagashi japonais sont des pinceaux étonnamment très bombés à la base du pinceau. On est sur des poils de chèvre très fins, très soyeux. d'un blanc, d'une jolie couleur blanche. Et en fait, quand on trempe ce pinceau bombé, le bout du pinceau est extrêmement fin, aussi fin qu'une aiguille quasiment. Et donc, ça va permettre de déposer les cercles à la surface de l'eau, suivant cette technique. Donc effectivement, ça nous donne des indices. Quand on voit un manche avec un poil de chèvre, enfin plusieurs poils de chèvre pour créer le pinceau, on se demande ce qu'on pourrait trouver chez soi. Et donc, c'est pour ça qu'on va se retrouver avec des branches de rosier assez robustes. Et c'est plutôt le crin de chevel qui sera utilisé. Et voilà, il y a des pinceaux plus courts pour faire des petites projections, des pinceaux plus épais. Et là, c'est plus du tout où on pose délicatement le pinceau, c'est on frappe sur sa main. Et donc, quand ce ne sont pas les recettes de couleurs, effectivement, ce sont les pinceaux aussi qui peuvent nous apporter quelque chose de très différent. Et donc, les motifs sur le papier, on les distingue très bien. C'est une approche très contrastée avec les papiers japonais.

  • Speaker #2

    Et donc, j'imagine que c'est une technique qui a un peu disparu avec le temps, puisque tu me racontais justement que l'arrivée de l'imprimerie et de la production en masse de bouquins, en fait, a repensé notre rapport au livre. C'est vrai que maintenant, quand on est dans une production massive, on ne va peut-être pas chercher à avoir une page de garde plus unique. On va vouloir faire de la production industrielle,

  • Speaker #0

    tout à fait. Oui, l'art industriel, ça va dépasser encore plus l'histoire de l'imprimerie. L'imprimerie, du coup, ça nous amène à modifier nos outils, à travailler différemment la marbrure, mais ça restait des papiers originaux. Des tirages uniques. Même si on en faisait des séries, le peigne nous permettait de faire des feuilles qui se ressemblaient. Donc on avait des séries de papiers dont on avait l'impression, à quelques détails près, qu'elles étaient identiques. Et là où l'industrie va essayer d'apporter sa petite touche en essayant de faire évoluer ce domaine, mais ce qui ne va pas fonctionner pour autant, c'est qu'on va partir d'un papier existant, on va le numériser, et on va vouloir en produire des quantités. Sauf que quitte à faire appel à des techniques numériques, Ça ne va pas être intéressant de partir d'un objet existant. C'est pour ça que le métier du graphisme va se développer et qu'on va avoir une toute autre offre. La proposition de page de garde, c'est qu'on va plutôt se pencher sur la mise en page, créer des fonds, des gradés. Vraiment, les papiers marbrés ne vont plus tellement être attractifs parce que justement c'est imprimé et qu'il manque ce petit cachet original au papier. Et même s'il va y avoir des brevets avec des systèmes de bras mécanisés, avec des encres qui se projettent, même s'il y a plein d'alternatives que vont trouver ces industriels, ça ne va pas tellement trouver son public. Et vraiment, ça va être plutôt un illustrateur ou un graphiste qui va créer un motif. Les pages de garde. qu'on voit aujourd'hui, soit c'est un papier uni, on choisit une couleur, hop, ça fait une page de garde, ou alors il y a un motif qui est créé de toute pièce et ça met en avant le travail d'un illustrateur. Aujourd'hui, si on utilise un papier marbré, c'est vraiment plutôt en tant qu'original, on est revenu à ça, même si c'est vrai qu'il y a des éditeurs. Et pour des séries limitées ou du livre d'artiste, on peut me demander un original qu'on va numériser, mais il y aura de toute façon la petite patte du graphiste. En général, sur la page de garde, il y a toujours un petit truc en plus que le papier uniquement. Donc voilà, le papier marbré a sa place aujourd'hui encore, à la fois dans les relures traditionnelles, les relures de création, quand ce sont des originaux, mais on peut aussi les retrouver numérisés, même pour du packaging. Il y a des demandes complètement... auxquelles je ne m'attendais pas dans ce secteur-là et qui sont assez surprenantes et qui appartiennent au monde de l'industrie. Comme quoi, l'artisanat et l'industrie ne sont pas incompatibles. Mais la technique en elle-même ne peut être industrialisée, malheureusement. Ça n'a pas forcément la même portée. Je pense que les industriels, à la limite, ce qu'ils ont fait est ce qu'on voit un petit peu. C'est les objets que vous plongez dans des cuves en volume. Une carrosserie, un casque de moto, un instrument de musique. Mais dans ce cas-là, c'est différent. Ce n'est pas le pigment qu'on fabrique à la main. C'est plutôt des polymères, des pigments souples qui vont épouser la forme de l'objet. Parfois, ça nécessite une cuisson, un temps de séchage. Bref, c'est une toute autre démarche. C'est vrai que moi, le principe de ma cuve, c'est que mon support est plat. Que ce soit du papier, du parchemin, du cuir, je travaille à plat.

  • Speaker #2

    Tu travailles sur du cuir et du parchemin ?

  • Speaker #0

    Oui, ça m'arrive.

  • Speaker #2

    On verra ça dans l'épisode 2. J'ai hâte d'en savoir plus. Moi, je trouve ça passionnant, en vrai. Je voulais quand même qu'on revienne sur quelque chose. Toi et moi, on connaît une personne absolument incroyable qui s'appelle Baris Bekoul, qui malheureusement nous a quittés, mais qui, je pense, en tout cas pour moi, cet épisode, il a un peu un sens d'hommage puisque je n'ai jamais pu avoir l'occasion d'enregistrer Baris. Donc, j'archive ses connaissances à travers toi. Et donc, Baris, sans rentrer dans les détails, mais toi, tu veux le faire, m'avait expliqué que chaque motif du papier marbré, donc lui, il est turc, chaque motif a un nom et également, si je ne me trompe pas, une signification.

  • Speaker #0

    Oui, effectivement, il y a plein de motifs qu'on peut créer avec la marbrure qui portent des noms et qui représentent des éléments. issus souvent de la nature ou en représentation, ou alors le nom du papier, le nom du motif, porte le nom du minéral même parfois, quand c'est indigo. Alors après, il y a pas mal de noms que je ne voudrais pas écorcher, qui sont en turc, que je vais me contenter de nommer en français. Mais effectivement, on va avoir les motifs cailloutés dont je vous parlais. qu'on obtient avec le pinceau. Après, il y a des cailloutés en monochrome, des cailloutés avec plusieurs codes couleurs. Et historiquement, on peut se douter qu'on puisse, en fonction des couleurs utilisées, imaginer à partir de quelle époque, puisqu'il y a une histoire qui va avec la découverte des pigments, donc on est capable de dater un papier ou d'imaginer dans quel contexte il a été fait en fonction des couleurs. Voilà, si on ouvre un livre sur l'histoire des couleurs, Des pigments, des découvertes autour de cela, on en saurait un peu plus et c'est un vaste sujet. Mais c'est passionnant, effectivement, d'aller regarder par code couleur quelles couleurs on associe, pour qui, pourquoi, comment. Est-ce que c'est en fonction de la thématique du livre ? Est-ce que c'est en fonction du propriétaire du livre ? Je parlais des cailloutés, des papiers vraiment bruts. Après, il y a tous les motifs de volutes, les motifs châles. Et là, c'est un terme. Hébru, le motif châle, qui signifie volute. On va avoir tous les motifs qui servent pour la calligraphie, donc ce dont on parlait tout à l'heure, qui est vraiment un domaine dans la marbrure. Le fait d'avoir un décor autour et de la calligraphie au centre. Après, ça peut être calligraphie religieuse ou non. On a les motifs aussi d'escargots, qui peuvent parfois être interprétés comme des motifs, les nids des tourterelles. Ça fait... Un joli motif concentrique, circulaire, qu'on appelle aussi coquille. Il y a les motifs indigos, là où on a l'inspiration du Japon. On a tout ce qui est motifs peignes, les motifs zigzags, qui sont les plus tardifs. C'est tous ces motifs que l'on sait faire à la main avec le mandrin, le petit stylo dont je parlais, mais qui peut aussi être réinterprété par les Italiens, les Allemands, les Anglais, au moyen de peignes. Donc un montant en bois avec plusieurs petits pics. attachés qui permettent de créer ces motifs en zigzag et en peigne très réguliers. Et c'est un objet d'ailleurs qui rappelle vraiment ce mouvement sur les métiers à tisser quand on ramène le tissu à soi. Donc c'est ça, c'est on pose son peigne tout en haut et on le tire délicatement vers soi. Et du coup, tous les cailloux, le motif d'origine, le tout premier que j'ai nommé, le caillouté, en tirant le peigne, ça crée vraiment naturellement un motif hyper beau, hyper raffiné, tout fin, aussi fin qu'un tissu.

  • Speaker #2

    Moi, je trouve ça hyper beau et c'est ce que j'expliquais en introduction de cet épisode. C'est que, en fait, comprendre tout ce qu'il y a derrière ces motifs, c'est aussi comprendre qu'il y a une histoire et qu'ils ont des choses à raconter. Donc, ça permet de mieux comprendre ce qu'on a devant nous. Donc, merci beaucoup, Laurie.

  • Speaker #0

    Merci à toi.

  • Speaker #2

    Et je te dis à très vite pour l'épisode 2.

  • Speaker #0

    Oui, à bientôt.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup pour votre écoute.

  • Speaker #1

    J'espère que ce premier épisode sur l'histoire de la marbrure avec Laurie Archambault, fondatrice de Laurie et les petites mains, relieur et créatrice de Papier Marbré, vous aura plu. Dans le prochain épisode, Laurie nous parlera de son rapport à ses deux métiers, de son combat pour qu'il reste transmis et de son parcours. Vous pouvez continuer de m'aider à faire découvrir les histoires d'artisans au plus grand nombre en mettant une note et en vous abonnant sur votre plateforme de streaming préférée. Comme d'habitude, je publie régulièrement des photos du travail des artisans sur Instagram. Donc n'hésitez pas à vous abonner pour découvrir leur métier en images. Nous sommes toujours heureux de recevoir vos témoignages et vos ressentis sur les épisodes de podcast. Si vous avez envie, vous pouvez nous transmettre un message en nous écrivant à podcast.histoiredartisan.com A bientôt avec une nouvelle histoire.

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