- Bérénice d'Holomea
Bonjour à toutes et à tous, je m'appelle Bérénice, je travaille chez Holomea et je suis passionnée par la bio-inspiration et la manière dont fonctionnent les humains entre eux. Bienvenue sur La Fluence, le podcast qui explore la coopération. Aujourd'hui je suis avec David Viala. ingénieur agronome et cofondateur de l'Oasis Citadine à Montpellier, une ferme collective urbaine à visée pédagogique. C'est un lieu convivial qui donne l'accès à des savoirs partagés autour de la permaculture, de l'agroécologie et qui permet aussi de se reconnecter aux vivants et de valoriser la biodiversité locale. Avant de lancer l'Oasis il y a maintenant plus de 6 ans, David a travaillé pour de grandes entreprises agroalimentaires comme Danone, Pernod Ricard. Ces enquêtes de sens qui l'a poussé à tout quitter pour partir se former à la permaculture en Australie puis a créé l'Oasis. Pour cet épisode, je retrouve David en extérieur, sous la paillote qui se trouve au cœur du jardin. Bonjour David !
- David Viala
Bonjour !
- Bérénice d'Holomea
Bienvenue sur le podcast La Fluence. Merci ! Alors aujourd'hui, tu vas nous parler de ton projet l'Oasis Citadine qui est situé à Montpellier. Et puis on va essayer un petit peu de comprendre ensemble, de décortiquer comment est-ce que vous vous êtes organisé et de comprendre en quoi est-ce que ça a pu influencer votre projet d'une manière ou d'une autre. Est-ce que dans un premier temps, tu pourrais te présenter et nous dire un petit peu qui tu es ?
- David Viala
Ok, donc oui, je m'appelle David Viala et je suis un des cofondateurs d'Oasis Citadine. Avant ça, j'ai fait une formation d'ingénieur en agronomie et après un parcours un peu dans l'agro-alimentaire Je faisais des métiers qui m'intéressaient, mais j'avais du mal à trouver le sens et la finalité de ce que je produisais derrière. J'ai décidé de partir voyager, notamment en Australie, pour me former à la permaculture. Du coup, en revenant en France, j'avais envie de pouvoir transmettre ça. Et donc, j'ai choisi la ville de Montpellier, parce que je suis plutôt de la région parisienne. Et j'ai rencontré les trois autres personnes avec qui on a créé le lieu. Très rapidement, on a eu l'opportunité du terrain sur lequel on est, après la rencontre avec les propriétaires. Et l'aventure, l'association, tout s'est créé très rapidement. Et en deux, trois mois, on ouvrait le lieu au public.
- Bérénice d'Holomea
Tu nous parles d'un lieu, on a cité l'Oasis Citadine. Est-ce que tu peux nous expliquer ce que c'est, quoi ça ressemble ?
- David Viala
Alors effectivement, l'Oasis Citadine, comme son nom l'indique peut-être, c'est un peu un havre de biodiversité au milieu de la ville qui permet justement aux citadins, aux urbains, de pouvoir venir se ressourcer, de pouvoir apprendre aussi plein de choses. Donc au départ, c'est une terre agricole, on est dans un vignoble et on a arraché la moitié des vignes et le terrain qu'on nous prête, il fait à peu près 8000 m². Sur la moitié, on a gardé les vignes. avec lesquels on fait du vin, etc. On s'en occupe avec l'équipe et tous les membres de l'association. Et le reste, on a installé un potager, il y a aussi un poulailler, il y a une paillote qu'on a construite qui permet de manger tous ensemble, de partager plein de moments conviviaux, des événements culturels, etc. Donc il y a plein de petits démonstrateurs au milieu de cet espace. Et c'est vraiment un lieu de ressources, un lieu ressource pour les personnes qui veulent déjà peut-être retrouver plus de sens dans ce qu'elles font. qui sont intéressés souvent par l'écologie ou l'environnement, en tout cas qui sont déjà dans une prise de conscience par rapport à ces sujets-là. Et en fait, ici, ils viennent trouver un accompagnement. Et il y en a qui vont autant apprendre à bricoler, construire des trucs avec des palettes, etc., qu'à faire soi-même sa propre bière, son vin, ou alors planter, faire pousser son alimentation, ou s'occuper des poules, des revues. Il y a vraiment tout un tas de choses à faire ici. Donc, on nous définit parfois comme un tiers-lieu nourricier. Mais nous, on préfère se définir comme une ferme collaborative et on s'inspire beaucoup de l'agroécologie et de la permaculture. Et c'est ça qu'on essaye aussi de transmettre au public.
- Bérénice d'Holomea
Hyper intéressant. En tout cas, c'est un très joli lieu. Effectivement, c'est à deux pas de la ville et pourtant, on dirait qu'on est au milieu de la campagne. Ça, c'est génial. Du coup, ce projet, en quoi est-ce que, selon toi, il contribue à tout ce qui est transition écologique et sociale ? À quoi est-ce que ça contribue plus largement ? C'était quoi la vision, le départ, le rêve fou quand vous avez lancé ce projet-là ?
- David Viala
Je pense que le rêve venait d'un constat un peu commun de nous quatre. Parce qu'on avait tous eu déjà plus ou moins une carrière dans quelque chose. Avec Maxime, tous les deux, on est ingénieurs agronomes. Donc on avait un peu travaillé dans ces domaines-là. Sébastien, il a fait une école de commerce et il travaillait à la banque publique d'investissement. Et Germain, qui était plutôt un couteau suisse, à la fois jardinier et paysagiste, mais il a fait de l'archéologie, de la biologie, il s'est formé à la médecine chinoise. Voilà, un profil assez incroyable. Tous, on avait, dans notre vie en tout cas... quitter les voies qui étaient un peu tracées pour nous pour trouver quelque chose d'autre qui nous corresponde plus, qui ait plus de sens pour nous. Et donc je pense que ce cheminement, cette transition intérieure, c'est quelque chose qui nous animait et comme on l'avait nous-mêmes vécu, on voulait pouvoir créer un lieu qui puisse aussi accompagner ça. Alors au tout départ, nous, Langues d'Attaque, c'était effectivement apprendre à cultiver son alimentation et recréer ce lien entre l'agriculture, les consommateurs, comprendre c'est quoi les enjeux, pourquoi, comment ça marche, tout ça et finalement oui on s'est rendu compte que en faisant ça, les personnes qui venaient ici, elles étaient toutes dans des parcours de transition, que ce soit de santé, par exemple un burn-out, une dépression ou même des maladies parfois, chroniques etc. Ou alors aussi en reconversion professionnelle ou en questionnement, avec en commun déjà cette sensibilisation peut-être à l'enjeu de l'écologie, de l'environnement, en tout cas le constat qu'autour de nous, quand même, ça va pas trop. Et c'est vraiment ça qu'on a voulu accompagner. Au départ, on savait pas trop comment le faire, en fait, parce qu'on n'a aucune formation dans le social ou quoi que ce soit. Nous, c'était vraiment purement technique, et puis surtout d'y aller à l'envie. On fait les choses ensemble, on construit un truc, et là, les gens venaient avec nous, ils mettaient les mains dans la terre, ils prenaient une pioche, etc. Et ils voyaient directement le résultat de leur travail. Et le lieu s'est co-construit comme ça finalement. Et c'est vrai que ça a donné un collectif avec des personnes qui au bout d'un moment se sont envolées aussi. On crée des nouveaux lieux ailleurs où se sont reconvertis, etc. Donc cet aspect, on ne l'avait pas forcément complètement envisagé au départ. Mais c'est vraiment ce qui s'est produit. Et aussi, en faisant ça, on a créé beaucoup de liens sociaux. Finalement, ce champ des possibles, où on peut apprendre à faire plein de trucs, on se rend compte que les gens qui viennent, ils viennent peut-être pour une chose qui les attire. Ah, je ne sais pas jardiner, mais j'aimerais bien apprendre. Et ils commencent par ça, puis on désherbe avec eux, on discute, et puis d'un coup, ils vont nous dire Ah oui, mais en fait, moi je sais réparer la voiture, ou je sais faire des savons. C'est super ça en fait ! Vas-y, on va partager tout ça. Et c'est vrai qu'à travers tous ces échanges, ça crée une forme de communauté où les gens peuvent mutuellement s'entraider. Que ce soit à la fois sur des questionnements tout simples, de se dire, ah bah tiens, ouais, moi j'aimerais bien produire moins de déchets, je suis à fond dans le zéro déchet, ok, super, c'est cool. Ou moi, j'aimerais manger moins de viande, je ne sais pas comment faire. En fait, des questionnements qu'ont les personnes. Et ce qui est intéressant, c'est qu'il n'y a pas vraiment de règle ici sur... de le comportement, à part de bien se comporter avec les gens, mais on n'impose pas d'être soit végétarien ou de pas utiliser ça, de pas utiliser de plastique ou j'en sais rien, enfin, il n'y a pas de règle en fait là-dessus, parce que tout le monde vient avec son vécu, son histoire, on cherche tous à aller quelque part, et en chemin on fait des choix, des compromis et ils sont tous différents pour chacun. C'est ça qui est bien aussi, c'est que les gens arrivent comme ils sont, ils se transforment au fur et à mesure, et entre eux ils cèdent. ils s'aident aussi mutuellement à se transformer. Ça, c'est vrai.
- Bérénice d'Holomea
Oui, en fait, tout le monde est accueilli et chacun peut exprimer son originalité aussi au travers de cet espace, des échanges, des interactions. Et ça se matérialise par un lieu et par des activités, mais c'est aussi du lien humain, en fait, entre les personnes.
- David Viala
Oui, clairement. Et je pense que ça, c'était peut-être un des aspects qu'on avait le moins anticipé. Clairement, en pleine ville, la plupart des gens ne se connaissent pas. Oui. Alors que c'est un tissu très dense, il y a beaucoup de monde en fait, mais il y a peu de liens. Par exemple, les gens ne connaissent pas leurs voisins parce qu'ils n'en ont pas besoin. On vit dans une surabondance énergétique de moyens, de tout, etc. Ce qui fait qu'on n'a pas besoin des autres. Et ici, on a créé un lieu à partir de rien, avec très peu de moyens. Et finalement, ça force l'entraide. Et ça crée ce mouvement-là qui est spontané chez les gens. On pourrait dire oui, être dubitatif et se dire oui, bon non. Les gens vont venir, parce que même sur les récoltes par exemple, tout le jardin est collectif, il n'y a pas de parcelle individuelle, et les gens viennent récolter ce qu'ils ont envie quand ils veulent dans la semaine. On n'est pas là derrière à dire, aujourd'hui vous pouvez prendre que ci, que ça, ou faire des petits paniers pour chacun. Tout le monde se partage et trouve ce qu'il a envie. Et ça se passe très bien. Et au contraire, on a plus de mal à vider le jardin que l'inverse. Souvent, les gens ont cette peur de se dire Ah oui, mais il n'y en a pas qui, quand même, en prennent beaucoup trop et puis ils n'en laissent pas pour les autres. En fait, non, parce que s'ils font ça, la semaine prochaine, quand ils reviennent, il n'y a plus rien. Donc, il n'y a pas rien pour eux non plus, en fait. Donc, ça n'a pas de sens. Et c'est vrai que cette notion de bien commun, c'est quelque chose qu'on a aussi perdu, je pense, dans nos sociétés, dans notre culture. Et ici, on apprend à retrouver aussi ça, quelque part. Comment on vit ensemble, comment on fait les choses ensemble, comment on s'organise ensemble. Et ce n'est pas facile, ce n'est pas du tout inné. Et donc, on a trouvé, on a testé plein de choses ici pour voir comment on peut faire travailler les gens entre eux, avec eux, qu'est-ce qui marche, c'est quoi les bonnes petites recettes, etc. Après, je pense que ça s'adapte à chaque lieu, à chaque collectif. Mais clairement, oui, c'est un travail... tous les jours et c'est aussi beaucoup de créativité pour toujours se renouveler un peu. Parce que les recettes qui marchaient avant, normalement peut-être elles ne marchent plus parce que les personnes qui étaient là, qui faisaient que ça marchait, elles ne sont peut-être plus là et c'est très intéressant.
- Bérénice d'Holomea
Oui, c'est extrêmement vivant en fait. C'est un très beau projet je trouve. Je voudrais comprendre maintenant comment est-ce que vous vous êtes organisé pour créer ça en termes de collectif. Donc au début vous étiez quatre. Puis après, est-ce que tu peux nous expliquer comment ça a grossi ? Puis du coup, est-ce qu'il y a eu des choses qui se sont structurées ? Comment ça a évolué tout au long de... Ça fait combien de temps maintenant ? Quelques années ?
- David Viala
Ça fait six ans. Six ans,
- Bérénice d'Holomea
tout au long de ces... Bon, t'es pas obligé de faire tout l'historique.
- David Viala
Non, ça va aller assez vite quand même. Ouais, effectivement. Donc, quand on a commencé, on était les quatre cofondateurs, complètement survoltés. Voilà, nous, on était comme des enfants. On nous donnait un terrain de jeu. Voilà. Donc, on était... tout le temps là, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, etc. On n'arrêtait pas. Et les gens venaient nous aider, nous donner des coups de main. C'était sous forme de chantier participatif, mais même pas organisé parfois. C'était juste spontané. Et petit à petit, au bout de, je dirais, un mois ou deux, on a commencé à se dire OK, on pourrait peut-être proposer vraiment une offre autour de ça Et donc, heureusement, Sébastien était là parce que lui, il avait cette vision un peu de l'économie sociale et solidaire. Très rapidement, il a pensé à un modèle économique, comment on pourrait avoir un système d'abonnement où les adhérents pourraient devenir membres actifs et qui leur donneraient accès à tout un tas de savoirs, les récoltes, etc. Le collectif s'est créé au départ un peu comme ça, sur des gens qui étaient motivés, qui s'engageaient. Il y avait un engagement principalement financier, parce qu'après, sur le temps de présence, on ne se demandait pas. mais avec l'énergie qu'il y avait, ils venaient forcément nous aider, ils apprenaient beaucoup. Et donc petit à petit, le collectif grossissait comme ça. Mais on était quand même dans une dynamique où tous les quatre, on était un peu la locomotive, et les gens suivaient. Ce qui est OK, parce qu'en fait, dans un premier temps, quand c'est la fondation, il faut tout lancer, c'est bien d'avoir des gens qui savent un peu où il faut aller, et hop, ça avance vite. Mais très rapidement, les gens étaient là depuis quelques mois, et ils avaient envie de s'impliquer un peu plus. Et donc là, on a dû commencer à se poser des questions. OK, tiens, qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est-ce qu'on peut leur demander de faire ? Comment ils peuvent s'impliquer ? Parce que c'est quand même assez technique sur certains trucs. Et donc, on a commencé à réfléchir comment on pourrait mieux organiser les activités dans le jardin pour que les gens deviennent un peu plus autonomes. Et donc, on a commencé à travailler un peu des ateliers, des formations dans ce sens-là. On utilise des outils, par exemple, dans le jardin, des drapeaux. Des drapeaux de couleurs. Donc là, en ce moment, il y a plein de petits drapeaux bleus dans le jardin. c'est parce qu'on a fait un semis ou qu'on a planté des jeunes plantules il y a quelques temps. Et donc pendant une semaine ou deux, ça indique qu'il faut venir arroser le matin ou le soir, quand on est là et qu'on passe, pour que le semis puisse bien prendre. Et sans qu'on ait besoin de l'écrire quelque part et qu'on ait à le cocher ou quoi, etc. Et donc tous les drapeaux, il y a plusieurs couleurs qui veulent dire quelque chose. Un drapeau rouge, c'est peut-être préparer une planche de culture. Un drapeau vert, ça va être récolté, des choses comme ça. Et si on veut savoir un peu plus à quoi ça correspond, sur le tableau, on va voir écrit, effectivement, sur telle planche, on peut faire ça. Donc ça, c'est plein d'outils qu'on a commencé à utiliser. Petit à petit, on s'est mis à utiliser un outil de collaboration professionnel, vraiment très corporel, qui s'appelle Slack. Alors à l'origine, je crois que c'est plutôt pour l'informatique, un peu, ou ce genre de domaine. Mais nous, ça nous a permis, tous les quatre, d'un coup, parce qu'on s'envoyait tellement de mails et de trucs partout, il y avait tellement de dossiers à suivre dans tous les sens. On avait l'impression de refaire notre ancienne vie. Donc en fait, ce n'est pas ce qu'on voulait faire. Donc on s'est dit, OK, on va tester cet outil. Et là, en fait, effectivement, avoir toutes ces chaînes, ces thématiques et ces trucs, plus avoir de mail, retrouver les choses, c'était super. Et au bout d'un moment, on s'est dit qu'on pourrait peut-être utiliser ça aussi avec le collectif. Avoir plusieurs niveaux, avoir des chaînes privées où nous, on s'organise sur l'arrière-cuisine. Et le reste, avec des chaînes où on peut donner à la fois de l'information, mais donner des rendez-vous, etc. Et que ce soit plus clair pour que les gens puissent suivre tout ce qui se passe. Parce que c'est vrai que c'est un peu un lieu ruche, où il y a plein d'activités qui se passent tout le temps. Et c'est dur de suivre tout ce qu'on fait. Au début, quand on partageait le programme, on faisait des SMS. Donc on envoyait des SMS à chaque personne. Bon, très vite, les 140 caractères, c'était plus suffisant. Et en faisant ça, on s'est rendu compte que ce système de chaîne thématique, ça ressemblait à un système de gouvernance qui s'appelle l'holacratie. Ce système de cercle. Et on s'est dit, peut-être que de façon organique, on fonctionnait un peu comme ça. On s'est dit, on pourrait s'inspirer de ce modèle-là, qui permettrait à la fois de fonctionner de façon un peu plus autonome, indépendante sur chacun des domaines. Parce que... comme on touche à plein d'activités différentes, tout le collectif n'a pas besoin de statuer sur telle recette de bière qu'on va faire cette semaine ou qu'est-ce qu'on va mettre dans le jardin à tel endroit. Et donc, on a commencé à faire des chaînes thématiques comme ça. Ce qui était intéressant pour nous, c'est que s'il y avait des activités qui disparaissaient parce qu'il n'y avait plus personne motivée ou que ce n'était pas forcément intéressant, ce n'est pas grave, en fait, ce cercle peut disparaître et être réactivé quand on veut. Et ça, ça nous a permis aussi de comprendre comment on pouvait mieux impliquer les gens. parce qu'ils trouvaient d'un coup des domaines ah ouais mais moi j'adore le bricolage et tout ok bah super, du coup mets-toi sur la chaîne bricolage et puis là si t'as des idées, tu peux les proposer et puis tu vois, s'il y a des gens qui sont motivés, vous le faites ensemble et ça a permetté aux gens de prendre des initiatives et que ça reste aussi quand même quelque part cadré sans que tout le monde se mette à faire tout et n'importe quoi parce que là, du coup, après ça devient compliqué
- Bérénice d'Holomea
Dès le départ, en fait ce que tu me disais précédemment c'est que vous, à tous les quatre les fondateurs, vous aviez euh... mis beaucoup d'énergie au départ pour lancer, on va dire, l'activité. Et au moment où tu parles de l'holocratie, etc., c'est un moment où vous aviez aussi envie d'autonomiser le plus de personnes possible, c'est bien ça. Et pas forcément de rester, on va dire, seulement vous quatre à être suivis. Il y avait cette envie de partage, d'autonomie, etc. C'est ça.
- David Viala
Oui, je pense parce que... Alors, c'est aussi parce que derrière cette idée-là, quand on a créé le projet, tous les quatre, on s'est dit... En fait, parce qu'on a un comoda. donc une mise à disposition qui est de 5 ans. Donc pour nous, c'était un peu un objectif. On s'est dit, dans 5 ans, on veut que le lieu tourne et qu'en gros, pour nous, un succès, ce serait que tous les 4, on puisse partir du projet. Qu'il n'y ait plus besoin d'avoir les cofondateurs pour que le lieu fonctionne. Ça, c'était, je pense, d'un point de vue éthique. C'était de se dire, ça franchit un peu de l'effet gourou qui existe dans beaucoup de lieux et qui est malsain, quoi. Ça crée des dynamiques de pouvoir qui ne nous intéressaient pas à nous. Donc ça, c'est personnel, en tout cas. Et on s'est dit, on veut tendre à ça. Comment on fait pour y arriver ? Parce qu'on ne va pas pouvoir se retirer nous comme ça d'un coup, sans que ça chancelle trop. Oui,
- Bérénice d'Holomea
bien sûr.
- David Viala
Et c'est vrai qu'au fur et à mesure du projet, il y a une personne qui est partie, après une deuxième. Moi, aujourd'hui, je suis le dernier des cofondateurs. Donc, quelque part, on a réussi à tendre vers cet objectif-là. Et c'est vrai que c'était... pour nous quelque chose d'important parce qu'on disait que si notre modèle, on veut pouvoir le répliquer ailleurs, qu'il y ait d'autres oasis qui se créent sur ce même principe ailleurs, etc., il faut que ce modèle puisse fonctionner tout seul. Parce que si à ce moment-là, il y a toujours des personnes super motivées mais qui restent tout le temps là, ça crée un attachement à un lieu qui est un peu compliqué parce qu'on vit dans une époque où on a tous envie de changement. Donc c'est vrai qu'au bout d'un certain nombre d'années, on a envie de faire autre chose. Et donc, ça serait dommage que tout s'effondre parce qu'une personne s'en va. Donc, c'est vrai que cette mentalité-là nous a toujours poussé à nous poser des questions de comment on pourrait faire pour impliquer le collectif, le rendre le plus autonome possible. Et après, ça nous a amené aussi à des déboires. Et donc, c'est vrai que ce facteur humain, il fait partie intégrante de ces projets-là. Et c'est à la fois fascinant parce qu'en collectif, on arrive à faire des choses qu'on n'arrivait pas à faire tout seul. Mais il y a aussi des aspects plus durs auxquels on n'est pas forcément préparé, parce qu'on n'apprend pas à travailler ensemble, à vivre ensemble. En tout cas, on fait croire que c'est ce qu'on fait dans nos entreprises, etc. Mais pas vraiment, en fait. Il y a toujours des rapports, des enjeux de pouvoir. Et c'est vrai que souvent, ces tendances-là vont réémerger d'une façon ou d'une autre. Et on a réussi à traverser plusieurs crises, voilà. Et à chaque fois, on apprend de ça. Mais c'est vrai qu'on n'est jamais préparé face à ça, même si on se forme, qu'on se fait accompagner, qu'on essaie de faire tous les documents pour cadrer, etc. Il y a toujours des choses qu'on n'a pas prévues qui arrivent. Et c'est vrai que c'est intéressant. C'est vraiment les moments où on est confronté à la solidité de ce qu'on a construit.
- Bérénice d'Holomea
Est-ce que tu peux nous raconter une des crises ou une des difficultés ? Et surtout, qu'est-ce qui a fait que vous vous en êtes rendu compte ? Comment vous avez réussi peut-être à en sortir ? Et peut-être si tu as des apprentissages à tirer de ça, qu'est-ce que ça a permis par la suite ?
- David Viala
Il y a eu deux... De grosses crises quand même. Il y en a eu une première, ça a été le départ de Sébastien, qui était un des cofondateurs. Parce qu'il y a eu un moment où le lieu, ça devait faire déjà 3 ans, 3-4 ans, je ne sais plus. Donc le lieu ne fonctionnait quand même pas trop mal. Et donc se poser la question du développement. Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? Est-ce qu'on se développe ou est-ce qu'on ne se développe pas ? Sébastien, c'est un développeur. Il adore créer des projets et tout, il est trop fort à ça. Et l'Oasis en est vraiment le résultat. Et donc, lui, son envie, je pense, c'était de continuer à développer des nouvelles Oasis, à créer un réseau. Voilà, et il était assez ambitieux. Et je pense que ça a fait peur au collectif, que ce soit à la fois dans le bureau, le conseil d'administration, même l'équipe. Après, c'est normal, le changement, ça fait toujours un peu peur, etc. Mais au final, plus on avait ces discussions et plus on avançait, plus on se rendait compte que... pourquoi ça ne marchait pas, pourquoi on n'arrivait pas à faire rentrer dans le projet l'idée qu'il avait de ce développement, c'est que ce n'était pas les mêmes raisons d'être. On s'est rendu compte que c'était un autre projet. Il y avait une raison d'être qui était différente de celle qui était l'Oasis actuellement. Et c'est vraiment à partir de ce moment où on a pu comprendre ça, le clarifier et se dire, en fait, ok, c'est ça le souci. Ce n'est pas que ce qu'il veut faire, ce n'est pas bien ou ça ne va pas. C'est qu'en fait, c'est autre chose. Et qu'aujourd'hui, c'est autre chose, il ne rentre pas dans le projet, il ne va pas au même endroit. Et une fois qu'on a pu vraiment comprendre ça, ça a été beaucoup plus simple. Parce que du coup, lui, il a pris la décision de dire, bah oui, ok. Donc du coup, c'est pas grave, en fait, je vais faire mon projet parce que je veux aller vers là-bas, etc. Et donc ça, c'était une première crise pour nous qui a permis de clarifier quel était notre projet. Qu'est-ce que c'était l'Oasis ? C'est quoi notre raison d'être ? pour éviter à l'avenir qu'on ait ce genre de quiproquos. C'est-à-dire quelqu'un qui rejoint le collectif, peut-être il est venu, il a vu un jardin, etc. Et lui, il s'est dit, en fait, trop bien, je vais pouvoir venir chaque semaine faire récupérer mon panier de légumes. Ce n'est pas le projet, ce n'est pas du tout le truc. Donc finalement, on a dit, OK, c'est quoi notre raison d'être ? Et alors maintenant, tu peux regarder derrière toi. Mais voilà, notre vision, notre charte éthique, elle est affichée sous la paillote. Donc tu ne peux pas la rater. Enfin, tu peux, mais en gros, c'est là, c'est écrit sur la porte. Et ça, c'est important pour nous parce qu'on s'est dit, à l'avenir, si on veut éviter ce genre de quiproquos, il faut juste être plus clair.
- Bérénice d'Holomea
C'est sûr que dans un collectif, ce n'est pas facile parce qu'à la fois, on est tous des individus avec des ambitions et des envies qui sont propres à chacun, ce qui est tout à fait normal. Et à la fois, quand on forme un collectif, ce n'est pas juste pour le plaisir de se retrouver, c'est aussi pour faire des choses ensemble. Et par la même occasion, on se retrouve, c'est génial, on crée des liens, on rencontre des gens, c'est super. Mais globalement... les collectifs se créent autour d'une activité ou d'un but commun. Et c'est vrai que s'il n'est pas clarifié, du coup, dès qu'on a une crise, une perturbation ou quelque chose, c'est plus difficile de s'ancrer à nouveau sur le projet. Forcément, ça déstabilise. Et du coup, c'est extrêmement important d'avoir cette vision en tête et surtout qu'elle soit partagée à tout le monde. Et je pense qu'aussi dans les... Dans les structures où peut-être il y a... où c'est très pyramidal, des fois la vision, elle est à un seul niveau de cette pyramide. Et en fait, plus on est loin de ce niveau-là, plus on a du mal à se rendre compte de ce à quoi on contribue. Et donc, s'il y a une crise, on ne comprend plus ce qu'on fait là. Oui,
- David Viala
complètement. C'est vrai que nous, notre raison d'être, finalement, on l'a construite à postériori. Parce que quand nous, on a récupéré le terrain, on est partis, on savait où on voulait aller, nous. A 4, on ne se posait pas de questions, c'était assez clair, donc on y allait. Après, effectivement, plus tu as de gens qui arrivent, qui n'étaient pas forcément là au départ, ils ne savent pas trop où ils voulaient aller. Et c'est vrai que je pense que tant que tu as cet effet un peu fondateur, on n'ose pas trop questionner. Mais c'est vrai qu'il y avait de moins en moins de fondateurs, donc peut-être que ça laissait un peu plus de place aussi à des questionnements. Et je pense qu'en fait aussi les raisons d'être et les visions doivent être révisées. Parce que le monde autour de nous, il change, parce que... Les gens qui font partie de l'aventure, elles changent aussi. Donc, il faut accepter ça aussi, que rien n'est figé. C'est difficile, des fois, quand on est là depuis le début, d'accepter ça et de se dire... Mais c'est vrai qu'une fois que nous, on avait compris ça, on s'est dit que c'est effectivement important de bien l'écrire, la raison d'être, et de se dire que c'est quelque chose qu'on va peut-être réviser tous les 3, 5 ans, j'en sais rien, mais qui peut servir un peu d'axe pendant quelques temps pour savoir où on va. Et parce que ça permet de limiter aussi les questionnements, de savoir qui a tort, qui a raison. Ce qui est un des problèmes qu'on a eu à un moment, je pense, où par exemple, on a... On était tellement à fond dans le collectif, on s'est dit Ouais, c'est trop bien Il y avait le bureau, alors on avait déjà six personnes au bureau, on avait doublé tous les postes. Un homme et une femme à chaque poste, c'était trop bien, on était contents. Il y avait quatre personnes dans l'équipe salariée, plus les stagiaires, tout ça, etc. Et puis le conseil d'administration, qui était assez restreint, il y avait peut-être trois, quatre personnes, mais qui était un peu fantôme. Et puis on s'est dit Mais non, en fait, c'est trop bien qu'il y ait plein de membres qui sont motivés, qui sont là depuis longtemps, ils voudraient s'impliquer dans la gouvernance, ok Allez, on ouvre le conseil d'administration et là, on s'est retrouvé avec 12 personnes d'un coup. Donc 12 personnes plus le bureau, plus... En gros, on était une vingtaine pour un collectif de peut-être 60 ou 70 personnes. Ça fait beaucoup de monde pour décider. Et du coup, voilà, ça a créé des espèces de guéguerres de... Bah ouais, mais en fait, moi, je voudrais qu'on aille là. Ah ouais, moi, je voudrais qu'on aille là. Et en fait, du coup, on perdait complètement l'axe de là où on voulait aller, etc. Et ça, ça nous a pas mal déstabilisé. Ça a créé beaucoup de mal-être aussi. Parce que du coup, l'équipe salariée se retrouvait avec finalement une équipe dirigeante de bénévoles qui font partie de l'association, qui n'étaient pas d'accord sur où ils voulaient aller. Et donc, dans les missions de ce qu'on fait au quotidien et tout, forcément, il y en avait qui avaient toujours à redire. Et donc, il y a eu des comportements vraiment toxiques et même du harcèlement, en fait. Donc, ça allait assez loin. Donc on voit qu'il y a quand même beaucoup de choses encore à clarifier dans notre société sur les rapports humains. Mais au final, ça, ça nous a permis de nous rendre compte que diriger un bateau, c'est bien quand il n'y a pas trop de capitaines. Et donc, on a réduit la voilure sur le conseil d'administration. Et aujourd'hui, on fonctionne avec un bureau beaucoup plus restreint qui travaille main dans la main avec l'équipe opérationnelle, mais qui permet d'être beaucoup plus réactif, beaucoup plus efficace aussi. et finalement qui a une dimension beaucoup plus adaptée par rapport à ce qu'on fait nous. Donc voilà, c'est intéressant aussi. On est passé par une phase d'euphorie du collectif. Oula, le collectif c'est bien, mais une petite dose aussi.
- Bérénice d'Holomea
Ouais, mais en fait c'est intéressant parce que je pense que intuitivement, vous avez voulu mettre en place des choses qui essaient justement de ne pas reproduire ce qu'on peut retrouver dans le monde industriel. avec lequel on a grandi, dans lequel on a évolué, etc. Et au moment où vous avez ouvert à plus de personnes, chacun avec ses propres biais et ses propres limites, ses propres blocages, ses propres... C'est normal, on a tous des défauts et des choses comme ça. Peut-être qu'en collectif, on se laisse réemporter par ces modèles-là collectifs qu'on a eus avant. Je pense que c'est vraiment pas facile de faire marche arrière, ni même de détecter que ça va pas. Et je pense qu'il y a beaucoup de projets à impact, de projets de transition, de projets très vertueux pour la transition, etc. Mais où il y a un côté un petit peu sacrificiel parce que je travaille pour la bonne cause, alors c'est OK de se faire harceler, etc. Non. Et c'est intéressant, je trouve, de voir que dans votre cas, vous êtes allé jusqu'à un moment où ça n'allait plus. J'aimerais bien comprendre ce qui vous a peut-être permis de rebasculer. Comment ça s'est fait ?
- David Viala
Pour moi, ce qui est important de comprendre, c'est que le collectif, ce n'est pas quelque chose d'inné, et que ça demande vraiment d'apprentissage, et qu'il y ait une forme de maturité personnelle pour chaque individu, pour être capable de travailler dans une forme de nous. De ne plus penser vraiment individuel dans un collectif, mais vraiment penser nous. Et ça, ça demande vraiment un travail intérieur. C'est déjà de connaissance de soi, etc., de comment on fonctionne, et aussi de savoir être souverain, parce que ce fonctionnement collectif en nous peut être efficace que si on est souverain. C'est-à-dire, par exemple, on parle au je, on est capable de s'exprimer quand il y a quelque chose qui ne va pas, et ça, c'est des difficultés que beaucoup de personnes peuvent rencontrer. À l'inverse, il y a d'autres personnes qui n'ont aucun problème pour dire ce qui ne va pas, etc. Très souvent, c'est ceux qui ne font pas non plus. Donc, ça ne fait pas avancer le schmilblick. Et c'est vrai que quand on a un collectif qui est composé d'un individu, avant de pouvoir vraiment parler d'un nous, il faut vraiment que tout le monde puisse être mis à niveau. Et je pense que ça, c'est très long, en fait. Ce n'est pas facile à faire. Ça prend du temps, soi-même, pour s'éduquer à ça et prendre le temps de le faire. Et effectivement, à chaque fois qu'il y a des nouvelles personnes qui arrivent, ça déstabilise aussi, en fait, le collectif. Et je pense que ça, c'est quelque chose que j'ai compris a posteriori. En me disant, quand on a ouvert le collectif, ce qu'on a créé, c'est une déstabilisation de quelque chose qui fonctionnait déjà un peu.
- Bérénice d'Holomea
Et voilà. Mais en plus, c'est long. C'est des véritables connaissances. En réalité, c'est comme le développement personnel. En fait, sur le collectif, c'est la même chose. On le fait intuitivement et c'est normal. Mais il y a des véritables connaissances sur le fonctionnement des collectifs. Et donc, comme tu dis, c'est des apprentissages, c'est du temps, c'est long. Et surtout, souvent, le facteur humain et le facteur collectif, c'est l'angle aveugle. Donc on ne le considère même pas. Et donc c'est aussi pour ça que ça prend beaucoup de temps. Je pense que là, j'ai l'impression que ton analyse avec du recul, il y a un bon recul qui est pris sur votre fonctionnement collectif et sur comment est-ce que vous avez pu un petit peu déstabiliser, puis peut-être restabiliser derrière. Mais souvent, dans beaucoup d'organisations, on n'en a pas conscience non plus que ça existe.
- David Viala
Après, je pense que nous, notre projet est par nature humain. Parce qu'on est une ferme collaborative, donc avec la collaboration au centre. Mais autant, effectivement, se mettre tous d'accord pour construire une mare ou désherber une planche. En fait, ça va, c'est facile, c'est des petits projets, donc on trouve vite des solutions. Il n'y a pas trop d'enjeux. Mais dès qu'il y a des enjeux économiques, des enjeux de ressources humaines, parce que c'est ça, c'est que maintenant, nous, on a quatre salariés dans l'association. Donc forcément, il y a une forme de pression par rapport aux personnes qui vont diriger ce groupe, qui fassent partie du bureau, du cours d'administration. Donc qu'est-ce qu'on fait de cette responsabilité, etc. ? Est-ce qu'on a été éduqué, formé pour la gérer ? C'est tout ça que ça pose comme question, en fait. Et c'est vrai que moi, j'ai le sentiment en tout cas que tu l'as dit tout à l'heure, on voulait faire quelque chose qui soit différent de ce qu'on voyait autour du monde dans lequel on évoluait avant, corporate ou autre, etc. Et finalement, dans un petit groupe, sans y faire attention, si vraiment on ne fait pas attention, on recrée les mêmes dynamiques dans la société, mais en plus concentré. Et du coup, je pense que c'est ça qu'on a un peu subi. Il y a des choses qui se faisaient dans le dos, des choses qui n'étaient pas dites, des formes de manipulation comme il peut y en avoir tout le temps, etc. Mais qui, au final, ont donné lieu à de la vraie souffrance parmi des salariés. Et ça, en fait, c'est clairement aux antipodes de ce qu'on voulait faire. Donc ça, moi, ça a été un gros choc parce que je ne l'ai vraiment pas vu venir. Ça s'est fait petit à petit, etc. Et quand vraiment c'est sorti, et c'est sorti notamment parce qu'une personne qui était concernée a dû carrément écrire une lettre, dire bon bah écoutez, en fait là je suis mis du harcèlement, je suis obligé de l'écrire en noir sur blanc parce que personne ne m'entend j'ai l'impression. Et donc ça, ça a été un peu choquant de se dire, ah mais mince, j'étais où ? Qu'est-ce que je faisais à ce moment-là ? C'est vrai qu'on est souvent pris dans nos activités, et comme tu dis, c'est un peu l'angle mort des fois, l'humain. Et peut-être qu'aussi, je pense qu'on n'a pas tous la facilité à partager nos difficultés, nos souffrances, etc. Et je pense que ce qui a provoqué la résolution, ça a été un moment de se dire, c'est le bureau qui a pris la décision et les coprésidentes de dire, non mais en fait, c'est pas ça qu'on veut, le projet c'est pas ça du tout, on veut pas ça, donc on arrête tout, là on fait n'importe quoi. Donc c'est fini, le conseil d'administration, toutes ces réunions un peu en huis clos, bizarres, on sait pas quoi, on arrête tout ça, en fait ça n'a aucun sens. On ne brasse que de l'air, on crée de la souffrance, on arrête tout ça. L'équipe opérationnelle qui est là tous les jours et qui fait fonctionner le lieu, parce que pendant tout ce temps-là, toutes les activités étaient en continuité, les gens étaient accueillis. Pour les membres du collectif, à l'extérieur, ils ne voyaient rien, il ne se passait rien. En fait, ça qui est fou. Donc on était vraiment dans une espèce de truc complètement un peu à deux têtes. Et donc on s'est dit non, non, ce n'est pas ça qu'on veut. Il faut qu'on revienne à plus de simplicité, des rapports plus simples entre les personnes. Et de se dire, finalement, on n'est que dans un magnifique espace, qu'un jardin où on veut partager des connaissances et faire des choses ensemble. Tranquille ! Mais c'est vrai que... On voit que naturellement, on peut avoir tendance à remettre des enjeux là où il ne devrait pas forcément y en avoir. Et voilà, des dynamiques de pouvoir, de trucs complètement déliants qui peuvent arriver. Donc ça, ça a été une période assez dure pour nous. Parce que derrière, je pense qu'au-delà de la résolution technique du conflit, c'est de se dire qu'est-ce qu'on fait de cette souffrance ? Comment on la gère ? Comment on la répare ? Et ça aussi, ça a été un deuxième moment. Ça a été de regarder tout ça et se dire, qu'est-ce qui s'est passé ? Comment on en est arrivé là ? Comment on fait aujourd'hui pour réparer cette souffrance ? Ça, c'est très difficile. Parce que quand le mal est fait, c'est compliqué. On ne peut pas dire simplement, ah ben désolé. Et je pense que nous, ça a été de passer aussi par un moment d'une fois que... le bureau et puis l'équipe, etc. On a vraiment compris quel était le nœud du problème. On a rédigé des documents de résolution de cofflis, de ce qu'on peut faire, dans quel cas, c'est quoi. Et ça, on l'a partagé à l'AG, donc à l'Assemblée Générale, quelques-unes fois par an. Et on a dit les choses, on a expliqué ce qui s'était passé, que les gens n'avaient pas forcément vu. Et puis il y a eu aussi une reconnaissance. de se dire, en amerdé, pardon, désolé que ce soit passé comme ça, et surtout pour les personnes qui en ont souffert, même si c'était déjà trop tard. C'est vrai que ça aussi, c'est quelque chose qu'on ne voit jamais dans les organisations, comment on répare derrière, parce qu'on apprend, on ne sait pas toujours tout bien faire, et des fois, il y a des problèmes qui peuvent survenir, mais ok. D'accord, on peut reconnaître ses torts et tout ça, mais après, qu'est-ce qu'on fait ?
- Bérénice d'Holomea
Effectivement, de pouvoir dire pardon, là, on s'est trompé je pense que c'est un niveau de maturité aussi, collective, et même individuelle, d'être dans la reconnaissance et dans la volonté de reconstruire un collectif qui se porte bien après. Et je pense qu'effectivement, comme tu le disais tout à l'heure, dans la nature de ce projet qui est basé sur des gens qui fonctionnent ensemble, c'est essentiel de faire en sorte pour que le projet vive, de cultiver ça. J'aimerais que dans toutes les entreprises, ce soit ça. Et je pense qu'on a perdu dans certains endroits la boussole. Et au lieu de se dire, on est un groupe d'humains et on se rassemble pour vendre tel produit, ça devient le produit. Et en fait, j'ai l'impression de se dire, on est des humains, on est tous là pour réaliser le même. Même objectif, contribuer à la même chose. Il y a des endroits où c'est un peu dilué. Oui,
- David Viala
moi, je pense aussi, ce que tu dis, ça me fait écho à une chose, c'est qu'ici, il y a un peu une des phrases qu'on dit souvent, c'est que si tu as une bonne idée, c'est à toi de la porter. C'est une façon de responsabiliser les gens par rapport à leurs actions et de ce qu'ils ont envie de faire. Parce qu'on peut avoir plein de bonnes idées et les balancer comme ça et dire, il faudrait faire ça. Oui, il n'y a qu'à Faucon, ça, il y en a plein. OK. Ici, justement, c'est possible. Si tu as envie de faire quelque chose, tu es super motivé, tu peux le faire. Tu peux demander aux gens. Et puis si le projet a un super accueil, on t'accompagne et on fait ce truc-là. Et je pense que c'est un peu ça aussi qu'on a perdu dans nos grandes organisations, mais même aussi un peu chez nous. C'est que plus, quelque part, il y a de cadres, de législation, etc. Plus ça déresponsabilise, en fait. Et que dès qu'il y a un problème, on s'en remet à un texte de loi ou un truc comme ça, etc. Et finalement, la responsabilité individuelle des personnes entre elles, on l'oublie en fait. Alors qu'au départ, très souvent, c'est juste une personne avec une autre. On arriverait à se mettre autour d'une table avec quelqu'un, à discuter des problèmes, hop, à résoudre le conflit. On pourrait repartir sur des bonnes bases très facilement.
- Bérénice d'Holomea
Est-ce que tu dirais que si on revient maintenant sur les activités opérationnelles, est-ce que le fait d'avoir une organisation telle qu'elle est aujourd'hui, ça a pu... améliorer, influencer positivement ou négativement les activités ? Qu'est-ce que ça a apporté le fait d'être comme ça sur concrètement le projet ?
- David Viala
Je pense que déjà, ça a permis de faire plus de choses, je pense. Parce qu'au départ, on était quatre. Aujourd'hui, on est quatre salariés. Mais bon, si on ne faisait qu'un 35 heures, et c'est ce qu'on essaye, on tend vraiment, on essaye de tendre vers ces 35 heures, c'est très difficile dans l'associatif, on le sait. mais parce que pour nous c'est important de dire qu'il faut aussi respecter ça, on se rend compte que oui, très vite, on n'a pas le temps de faire tout ce qu'on... pourrait faire avec notre association. Et donc, le fait qu'il y ait des relais qui puissent être pris sur certains sujets, sur certains événements, etc. Finalement, ça permet au collectif de pouvoir avoir plus d'impact, de faire plus de choses, et en même temps, de garder une forme de souplesse. C'est-à-dire que si là, il n'y a plus de personnes pour faire ces choses-là, ce n'est pas grave, on ne les fait plus. Parce que le modèle est suffisamment résilient, il y a suffisamment d'activités différentes pour qu'on puisse fonctionner sans telle ou telle activité. Parce que le but de cette association, c'est de rester dans une forme de promotion, de sensibilisation de l'agroécologie, de la permaculture, etc. On a généré une activité économique et c'est super, mais il faut arriver à jongler avec les deux. C'est-à-dire, comment on maintient cette activité économique ? pour pouvoir payer les gens qui font les choses concrètement, mais aussi comment on épuise pas ces personnes-là, avec le contexte qui est autour de nous, qui change. Donc voilà, cette agilité, je pense qu'on l'a obtenue par ce mode de fonctionnement, et c'est quelque chose qu'on réfléchit régulièrement. En fait, tous les six mois, on se repose la question, est-ce que là, ce qu'on propose nous aujourd'hui, c'est toujours adapté ? pourquoi il y a peut-être moins de monde qui vient là-dessus, etc. Ah bah ok, en fait, on change la formule, on fait autre chose. Et puis, bah tiens, peut-être qu'on pourrait plus solliciter le collectif sur telles activités parce qu'en fait, on voit qu'il y en a, ça leur plaît. Et puis, ça nous soulage pour faire peut-être autre chose et ainsi de suite.
- Bérénice d'Holomea
La réflexivité, c'est une des clés du fonctionnement collectif. Tu vois, c'est ce que tu dis. Quand on se regarde travailler, quand on prend un temps de recul, c'est pas forcément obligé d'y passer quatre jours, mais on prend un temps de recul, on se dit, comment on travaille ensemble ? Ah, ça, ça marche bien, ça, ça marche moins bien. Et bim, résilience, adaptabilité, tout ce que tu viens de citer, je trouve que c'est essentiel. Peut-être une dernière question. Avant, tu travaillais dans des grands groupes chez Danone, c'est ça ? J'aimerais bien comprendre, par rapport aux anciens fonctionnements que tu as pu vivre et aux fonctionnements que tu as mis en place ici, en plus en tant que cofondateur, qu'est-ce qui t'a servi ? Quels sont les apprentissages que tu as tirés de ce monde très industriel ? Même si ça ne veut pas dire que tout est mauvais. Qu'est-ce que tu as pu ramener du monde industriel dans cette nouvelle manière de s'organiser ?
- David Viala
Je pense que d'avoir des outils ou des façons de fonctionner assez efficaces, ça c'est des choses que j'ai trouvées en étant dans ces grandes entreprises. Parce que c'est vrai qu'on peut avoir souvent tendance à voir le monde corporel comme quelque chose de très négatif, surtout dans les milieux un peu alternatifs. Mais c'est vrai que la façon de s'organiser... et très très efficace quand même. Et ça passe par plein de choses, mais notamment souvent un cadre qui est assez clair, de qui fait quoi, comment, etc. Moi qui, pour moi, était un peu trop restrictif, j'avais vraiment l'impression d'être dans une boîte, à l'intérieur d'une boîte, faire le fameux truc quoi. Alors que j'aime déployer plein de compétences, je suis un peu un touche-à-tout, et donc me demander de faire qu'une seule chose, et ne pas m'autoriser à faire autre chose, c'était très contraignant. Mais ceci étant, je trouvais que c'était efficace parce qu'à chaque fois qu'on avait besoin de quelque chose pour trouver un interlocuteur en face, etc., c'était vraiment facilité par l'organisation même. Moi, je sais que toutes ces méthodes-là de travail, même aussi sur les réunions, de faire une réunion qui soit bien cadrée, avec un ordre du jour, etc., en fait, moi, je fais le constat. Quand je travaille avec d'autres associations partout, des fois, j'arrive à des réunions où je me dis que c'est bien, compliqué, je sais que ça va être long il n'y a rien, il n'y a rien de préparé ça part, tout le monde raconte sa life insupportable, on a l'impression de perdre son temps etc. Et c'est vrai que ça, moi j'ai gardé ça par exemple une réunion qui est bien structurée, on arrive, on sait pourquoi on est là, on y a réfléchi en amont tac tac tac, c'est efficace tout le monde est content. Et je trouve qu'il y a une forme de respect aussi du temps des autres, etc. Donc ça c'est des choses que nous on a gardé finalement et qu'on a mis en place ici et nous Donc, par exemple, nous, l'équipe opérationnelle, on a une réunion par semaine. C'est le mardi matin. Notre compte rendu, notre truc, notre feuille de route, elle est très claire. On commence par une météo des émotions, etc. Pour chacun comprendre où on est, etc. On voit les répercussions des tâches, ce qu'il y avait à faire de la dernière réunion, où ça en est, qu'est-ce qui a avancé ou pas. Peut-être qu'on aurait parti, qui le fait, etc. Et après, on partage tout ce qui s'est passé dans la semaine, les prises de contact qu'on a eues, les nouveaux trucs qui arrivent, etc. Et on fait du tri. Et en fait, c'est super efficace. Ça nous tient peut-être deux heures. Et après, on ne touche quasiment plus à l'ordi de la semaine. C'est quand même le rêve. Donc, je trouve que ça, ces méthodes-là, si je n'avais pas été dans des grandes entreprises... je les aurais pas vu et j'aurais pas pensé forcément je serais dit ah c'est chiant parce qu'on a souvent cette tendance là aussi dès qu'on essaye de cadrer les choses de mettre à plat etc il y a plein de personnes en tout cas je pense dans le milieu alternatif qui ont du mal un peu avec ça et qui trouvent ça peut-être trop contraignant ou restrictif alors que je trouve que derrière en fait ça clarifie et ça permet d'avoir parfois plus de potentiel parce que notamment ce que je constate c'est que Des fois, on se dit Ah ouais, je vais faire ça. Ah bah ça, je veux bien le faire. Mais en fait, au bout d'un moment, on a dit oui, mais à plein de trucs. On a beaucoup de personnes qui aiment dire oui et qui ne savent pas très bien dire non. Et du coup, au bout d'un moment, on voit bien que ça n'avance pas. Donc c'est OK, il n'y a pas de problème. On dit Bah attends, c'est quelqu'un d'autre qui va le reprendre, c'est pas grave. Puis si ça a pris deux semaines de retard, on s'en fout. Voilà, ce n'est pas vital. Mais je pense que cet exercice-là, il est facilité quand il y a une forme de cadre. Donc ouais, moi, je garde plein d'enseignements, en tout cas, notamment Excel, que j'utilise toujours.
- Bérénice d'Holomea
L'outil magique. Voilà. Eh bien, merci beaucoup pour ce partage. C'était hyper intéressant. Le projet aussi, l'angle collectif et comment tout est lié, en fait, tout est systémique. Donc, merci beaucoup.
- David Viala
Merci à toi. Merci d'être venue à l'Oasis. Voilà, au moins, voir ce cadre magnifique. J'espère que ces échanges profiteront à certains.
- Bérénice d'Holomea
Le collectif de l'Oasis est né de l'envie de diffuser des connaissances sur les pratiques d'agroécologie et de permaculture. Il met en avant chaque individu, ses questionnements, ses envies, ses forces, et fait vivre des expériences de partage. Cette envie est un élément central du collectif, à la fois pour se lancer dans de nouvelles activités, mais aussi pour leur maintien. Elles sont organisées par cercles qui rassemblent plusieurs personnes motivées par une idée ou un projet. Si les envies changent ou que le contexte évolue, alors les cercles se modifient. Et cela permet à l'OASIS d'être à la fois résiliente et aussi aux membres du collectif de mettre l'énergie là où leurs envies les dirigent. La coopération est essentielle pour mener des projets complexes de transition. Néanmoins, il y a des... conditions qui sont nécessaires à sa mise en place pour qu'elle se concrétise. Plus on implique des personnes dans la prise de décision, dans la gouvernance, etc., plus on va introduire de la perturbation et les biais cognitifs de chacun. Chaque personne reproduit plus ou moins inconsciemment des anciens fonctionnements qui sont ancrés en elle. Et en fonction des personnes et du coup de la présence des conditions de coopération, en fait on peut dire que chaque collectif a comme un niveau de maturité. Et pour faire évoluer ce niveau de maturité, le but est de changer de comportement collectivement. Et ça, c'est pas quelque chose qui est forcément facile à faire, instinctivement en tout cas. Et en fait, tout comme le développement personnel, le développement de la maturité du collectif, le développement du collectif, ça demande de la pratique, des connaissances et surtout du temps. Une fois les crises traversées, le fonctionnement collectif de l'Oasis s'est retrouvé renforcé, avec la raison d'être qui a été clarifiée et la gouvernance collective qui a été équilibrée. Et cela a permis... à l'Oasis de mener plus d'activités, d'être plus résiliente face au changement de contexte. Enfin, j'aimerais terminer cet épisode en apportant un peu de nuance. La coopération, c'est un changement de paradigme à bien des égards et pour autant, tout n'est pas à jeter et nous pouvons nous servir de ce que nous avons appris jusqu'à maintenant pour réaliser nos projets. L'enjeu est de trouver un compromis entre les apprentissages des fonctionnements qui sont issus de la révolution industrielle et entre les pratiques de coopération qui sont nécessaires dans le contexte de transition. Pour reprendre l'exemple de David, poser un cadre permet d'être très efficace dans les conditions qui sont données, mais quand le contexte change, on a plutôt besoin d'être résilient et adaptable. D'où l'enjeu de trouver cet équilibre entre ces deux fonctions qui sont finalement contradictoires. Retrouvez les épisodes de la Fluence une fois par mois, ils forment un recueil de témoignages, de vécus, liées aux transformations des fonctionnements collectifs qui vous permettra d'avoir des clés pour faire évoluer à votre échelle votre environnement professionnel. Pour ne rater aucun épisode et pour faire grandir ce podcast, vous pouvez en parler autour de vous ou vous abonner sur votre plateforme d'écoute préférée et nous laisser des étoiles si vous nous écoutez depuis Spotify ou Apple Podcast. Merci pour votre écoute et à bientôt pour un nouvel épisode de La Fluence.