- Natacha Sels
La vie est belle, essaie-la !, le podcast de l'ARSLA, qui met en lumière des personnes confrontées à la SLA et des professionnels engagés.
- Michel Perozzo
Quand on a su que j'étais malade, j'ai été baigné dans un torrent d'amour. J'ai beaucoup de chance.
- Natacha Sels
Michel Perozzo, vivre avec la maladie, partie 2. Dans ce second épisode, nous retrouvons Michel Perozzo, son épouse Véronique, Karel, une de ses auxiliaires de vie. Et Christophe, un ami de longue date. C'est parti pour une conversation à quatre voix.
- Christophe
Je suis Christophe Bonatti, je connais Michel depuis l'école d'ingénieur, donc ça fait maintenant 35 ans, un truc comme ça.
- Natacha Sels
Est-ce que tu pourrais me décrire Michel ?
- Christophe
Il y a plusieurs Michel, enfin dans le temps. Donc c'était un gars, enfin c'était Michel, jeune étudiant, sérieux, sympa, drôle, c'est un gars modeste, intelligent, gentil, enfin voilà, j'ai que des louanges. Et là je parle du avant, parce qu'à la limite après, c'est-à-dire maintenant, depuis quelques années, depuis qu'il est malade, c'est encore mieux. Avant, c'était un gars bien, mais parmi d'autres. Et maintenant, c'est quelqu'un de très exceptionnel. Enfin, de vivre ce qu'il vit, ce qu'ils vivent, au pluriel, comme ça. Et moi, je suis un parmi une dizaine d'amis qui, sans se le dire, je pense que tout le monde l'admire.
- Natacha Sels
Qu'est-ce que vous admirez le plus chez lui, aujourd'hui ?
- Christophe
D'abord, il ne s'est jamais plaint. je crois savoir qu'un petit fond de colère ça c'est sûr il ya eu mais ça se sent pas, enfin michel son mot d'ordre il a dit il a écrit vivre vivre vivre et de fait il vit. Il continue d'apprécier les gens, d'apprécier la vie. Il reste un père, je pense, je connais les enfants évidemment, tout à fait un père, y compris avec autorité, enfin, autorité qu'on a encore quand les enfants ont 30 ans ou un truc comme ça. mMis quand même, en tout cas de l'influence, et un couple, il fait des cadeaux à Véro, il s'occupe d'elle, etc. Il est capable d'être emmerdant avec elle, on le sait, parce que de temps en temps, on voit un petit peu de température monter, mais... Enfin voilà, ça reste... vivant quoi je peux comment dire on voit pas malade, on voit Michel on lui parle on sait que la réponse va pas venir comme ça mais elle viendra tôt ou tard par un mail par un message par voilà on sait même que c'est une ressource parce que temps en temps à table on rigole on dit les demander à google on demande à Michel qui a une mémoire absolument dingue il ya quelques mois je suis venu une après-midi donc on a passé peut-être trois quatre heures donc évidemment il n'y a pas c'est pas du ping pong mais en fait on a une discussion je pense qu'il ya moins de d'échecs dans une discussion avec quelqu'un qui répond comme ça. Et oui, j'avais des questions à poser, j'ai eu mes réponses dans l'après-midi, j'ai eu quelques questions, comment va son fils au Japon, il m'a montré des trucs. Oui, il y a un dialogue, il n'est pas absent, il n'est pas distant, il est là.
- Michel Perozzo
Je n'ai pas trop de problèmes avec la tétraplégie, je ne me suis jamais vu comme un handicapé, et encore moins comme un handicapé lourd.
- Natacha Sels
Je demande à Karel quel regard elle porte sur Michel.
- Karel
Ah, monsieur Perozzo ? Pour une personne qui est pleine de vie, une personne positive, mais surtout une personne battante. Je peux dire que ça c'est le mot.
- Natacha Sels
Est-ce que vivre avec la maladie, c'est un combat ou c'est une acceptation ?
- Michel Perozzo
Un peu des deux. Je suis en guerre contre la SLA, mais gagner quelques batailles me suffit. J'ai accepté la maladie, je vis avec, ça me va.
- Natacha Sels
Alors je me demandais quelle était ta journée type Michel, mais comme tu es déjà en train de travailler à nous chercher quelque chose sur le net, peut-être que tu vas pouvoir répondre Véronique.
- Véronique Perozzo
Donc le... La journée type, c'est à 8h du matin, l'auxiliaire qui a passé la nuit auprès de Michel s'en va. Donc elle vient me réveiller. Michel du coup reste dans son lit. En général, il est à la radio, France Info. Et à 9h, l'auxiliaire de jour arrive. On attend le binôme avec l'aide soignante de l'HAD. Donc l'HAD, l'hospitalisation à domicile. Donc à deux, entre 9h et 9h30. Elle mobilise Michel de son lit en le mettant sur sa chaise de douche. Une fois que la douche est faite, il y a quelques petits soins. Ensuite, il faut l'habiller. Ce n'est pas simple d'abord parce qu'il n'a plus d'appui du tout, nulle part. Au niveau des jambes, c'est difficile de passer le pantalon. Et puis, il faut toujours faire attention au tuyau qui le relie à son respirateur.
- Natacha Sels
Et aussi à ne pas lui faire mal, je suppose ?
- Véronique Perozzo
Bien sûr. Alors, il n'y a pas de douleur tellement dans cette maladie, à part l'inconfort du tuyau qui vient trop tirer sur sa canule. Et là, c'est compliqué. Donc, une fois qu'il est habillé, elle le transfère avec l'aide d'un lève-personne, c'est une machine qui permet, avec une sangle que l'on passe derrière le dos de Michel et sous ses cuisses, de le soulever. Et puis en fait Michel passe la journée sur son fauteuil. Ensuite on finit quelques soins de respiration, on lui donne des médicaments par la GPE, la gastrostomie, on met en route son alimentation, donc en fait il a deux poches d'alimentation qui passent par la GPE, une le matin et puis une que je viens de mettre en route à 6 heures et puis on installe sa tablette et puis en général le matin il y a le passage d'une kiné quatre fois par semaine, d'un infirmier ou d'une infirmière trois fois par semaine et une orthophoniste une fois par semaine. Donc les matinées sont quand même bien cadencées et en général on reste à la maison. Et puis l'après-midi, soit il fait beau, comme l'été où on pouvait sortir facilement, on va soit se balader, soit faire des courses, soit on va chez des amis, ce qui est le cas par exemple samedi ou qui a été le cas le week-end où on va tout simplement profiter de la forêt à Saint-Germain.
- Natacha Sels
Et pour se balader, il est indispensable d'être deux à maîtriser les aspects techniques.
- Karel
Et là, il fallait apprendre à manipuler la chaise roulante de M. Perozzo. Et comme vous l'avez vu, elle est impressionnante.
- Natacha Sels
Oui, elle est impressionnante.
- Karel
Elle est impressionnante et ça passe dans tous les terrains. Parce que parfois, on peut faire les balades en fôret.
- Natacha Sels
Mais comment vous allez jusqu'à la forêt ?
- Karel
Généralement, on prend la voiture.
- Natacha Sels
Vous conduisez ?
- Karel
Non, c'est madame Perozzo. Ils ont leur voiture qui est adaptée, ils font des voyages. Et à part ça, on fait Saint-Germain, toutes les boutiques de Saint-Germain et tout ça. De temps en temps, on part au marché, on prend un pot ensemble, parfois au restaurant, on mange le midi.
- Natacha Sels
Ah oui, c'est actif en fait.
- Karel
C'est trop actif, en fait, c'est ça. Ce sont des personnes qui sont trop actives. Bon, Mme Perozzo, moi je l'appelle Speedy Gonzales. Elle n'arrête jamais. C'est une personne 10.
- Natacha Sels
C'est une personne ?
- Karel
Une personne qu'on peut lui donner une note de 10 sur 10.
- Natacha Sels
Ah ! 10 sur 10 pour Mme Perozzo.
- Karel
Sur 10, vraiment.
- Natacha Sels
Dans ces 8 mois, qu'est-ce que vous avez appris de plus important ?
- Karel
De plus important ? Je savais que j'étais patiente, mais je ne savais pas vraiment jusqu'à quel niveau.
- Natacha Sels
Donc en fait, votre patience et votre calme sont vos atouts pour travailler dans ces conditions-là.
- Karel
Exactement, je dirais que oui. Quand on est deux personnes qui sont calmes, ça se passe trop bien. Le calme, ça veut dire vraiment de prendre du temps, de ne pas sauter les étapes. Parce que quand une étape est sautée, ça nous fait perdre... Parce que M. Perozzo, je voulais vous dire, c'est une personne qui a beaucoup de caractère, qui sait ce qu'il veut, et les choses doivent être bien faites. On pourrait même dire qu'il est un peu maniaque. Les choses doivent être bien faites et dans un ordre... C'est pour ça que je dis qu'être calme, c'est important, en fait. Être concentré, comme ça, ça évite de faire des erreurs qui vont faire qu'on va perdre un temps et que monsieur en plus il sera fatigué.
- Natacha Sels
En fait pour vous c'est un exemple.
- Karel
C'est un exemple. Exactement.
- Natacha Sels
Il est inspirant.
- Karel
Trop. Beaucoup.Vraiment. Oui, oui, oui.
- Natacha Sels
Alors qu'est-ce que vous faisiez ensemble avant la maladie et qu'est-ce qu'aujourd'hui vous faites ensemble ?
- Christophe
Je vais dire la même chose donc évidemment c'est pas vrai mais ouais, enfin, je vois même plus la frontière, en fait, entre avant et après.
- Natacha Sels
Quand ça arrive comme ça à un ami relativement proche, une situation aussi extrême, on va dire, est-ce que ça résonne jusqu'à soi ?
- Christophe
Oui. Mais pour le coup, Michel a une façon de la vivre qui la dédramatise, parce que ce n'est pas le mot, mais qui fait qu'il vit avec, et donc nous, on vit avec.
- Natacha Sels
C'est que finalement, il aide à vivre sa maladie.
- Christophe
Oui, absolument. Oui, très clairement. Oui, parce qu'on n'est jamais gêné. Parce que c'est tragique. C'est vraiment ça, oui. Mais, ouais.
- Natacha Sels
Qu'est-ce que c'est pour toi, tragique ?
- Christophe
Je ne sais pas comment dire, le malheur en grand, un truc qui vous tombe dessus, injuste, encore une fois, injuste au sens où ce n'est absolument pas mérité, ça casse la vie complètement, en tout cas la trajectoire de la vie telle qu'elle était, même si justement il y en a une autre, mais quand même. Ca pourrait fabriquer du malheur énormément. Et en fait, justement, un des trucs extraordinaires, c'est que ça... Chez eux, c'est que les enfants gardent leur vie, sont de bonne humeur, rigolent, ils rigolent avec eux, Véro continue d'avoir une vie quand même. Ouais, le tragique, c'est... C'est normal, en fait. Parce qu'il y en a un petit peu partout, du tragique. Parfois, il y a des vis sans ça mais la normalité, c'est plutôt ça.
- Natacha Sels
Mais on a l'impression, dans ce que tu dis, que finalement, c'est lui qui a entraîné tout le monde dans un sens positif, en disant, bon, on ne s'arrête pas là.
- Christophe
Moi, je pense qu'il a rendu les autres autour de lui meilleurs. Il est acteur, il est vraiment acteur. Lui ou eux, parce que c'est un package.
- Michel Perozzo
Je suis dépendant, mais je ne me vois pas comme une personne dépendante. C'est très important pour moi. J'ai ma tablette et je suis libre de faire ce que je veux.
- Natacha Sels
Et donc à partir de cette tablette,
- Véronique Perozzo
Il peut tout faire, répondre à des mails,
- Natacha Sels
organiser des fêtes d'anniversaire.
- Véronique Perozzo
Par exemple, en douce, dans mon dos, il a accès aux mails, à WhatsApp, à Facebook, à Amazon. Il commande des vêtements, il commande des soupes. Il commande des cadeaux pour ses enfants, il commande du rhum qu'il va offrir à son neveu, il commande un mug anglais qu'il va offrir à sa soeur. Donc il peut tout acheter.
- Michel Perozzo
Même si je suis cloué sur mon fauteuil, je ne me sens pas prisonnier de mon corps. Je pense que la dimension sociale est très importante, voire capitale. Depuis environ deux ans, il y a eu un grand changement physique chez moi. Ma mâchoire tombe et on a l'impression que je fais la gueule tout le temps. Ça me demande beaucoup d'énergie de la fermer et d'esquisser un sourire. C'est un vrai problème que j'ai aujourd'hui et je ne sais pas s'il faut que je dise à tout le monde, avant de commencer, ou pas. Mais, c'est pour moi, un vrai problème, je ne veux pas perdre le lien social, qui est tellement important pour moi.
- Natacha Sels
Tu dis que tu n'arrivais plus à sourire, en tout cas, moi je te vois sourire tout le temps. Alors, toi qu'est-ce que tu t'es dit au moment où le diagnostic est tombé ? J'imagine qu'on ne peut pas appréhender d'un coup toutes les possibilités et conséquences que ça va engendrer, mais je me demande qu'est-ce qui se passe dans la tête quand on n'est pas la personne qui est malade, mais qu'on reçoit en même temps ce diagnostic.
- Véronique Perozzo
J'avoue que je ne me souviens plus très très bien, parce que ça va faire dix ans maintenant, mais je crois que je me suis précipitée sur Internet, même si je savais que ce n'était pas ce qu'il fallait faire. Parce que je ne connaissais pas cette maladie. Donc, évidemment, quand on va sur Internet, ce n'est pas très rigolo. Donc, on ne pense qu'à la mort. En tout cas, moi, je pensais à la mort du matin jusqu'au soir. Donc, une grosse angoisse de me dire combien de temps on a devant nous. Qu'est-ce qu'on fait de ce peu de temps qui nous reste ? On arrive à vivre quand même. Et puis la mort était présente dans ma pensée en permanence. Je voyais la maladie qui avançait. Et donc, voilà, je pensais à cette maladie en permanence.
- Natacha Sels
Est-ce que vous pouviez en parler ensemble ?
- Véronique Perozzo
Je ne crois pas qu'on ait parlé de la mort ensemble. Mais je pense que notre angoisse de ce qui nous tombait dessus, on en a parlé. Je ne sais pas si on a posé des mots dessus. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que ça nous a rapprochés comme jamais. On était mariés depuis déjà 20 et quelques années. On n'était pas un jeune couple, mais on a... Je crois qu'il y a une autre histoire d'amour qui s'est recrée à ce moment-là. On s'est resserrés. On a été soudés comme jamais, proches l'un de l'autre comme jamais. Et puis, il m'a... tellement tiré vers le haut avec sa volonté de vivre que je l'ai suivi, sans me poser de questions. Sans me poser de questions, ça me fait dire petit à petit, oui, je me laissais moi aussi guidée par la maladie dans notre vie. Et je voulais être là le plus possible pour vivre avec lui au mieux l'adaptation de notre vie par rapport à ce que la maladie allait nous prendre.
- Christophe
Il y a quelques années, 4-5 ans peut-être, ils se sont remariés. Ils ont fait une fête comme s'ils se remariaient et moi j'ai fait le monsieur le maire, enfin j'ai joué le monsieur le maire, Michel était déjà en fauteuil, il parlait plus je pense. Bah ça c'était magnifique.
- Natacha Sels
Michel, si tu devais décrire en un ou deux mots ta femme, qu'est-ce que tu dirais d'elle ?
- Michel Perozzo
Elle est très belle, courageuse et résiliente. Mais je pense qu'elle n'a pas gagné en patience.
- Natacha Sels
Qu'est-ce que tu... Je te vois faire la grimace.
- Véronique Perozzo
Justement, moi je trouve que... Ma patience est souvent mise à rude épreuve et je travaille dessus. Donc je pensais que j'aurais eu un petit compliment là-dessus. Non, peut-être que oui, c'est son ressenti. Je ne suis pas suffisamment patiente. Mais parfois c'est dur. C'est dur de l'être.
- Michel Perozzo
Je ne suis pas un cadeau.
- Natacha Sels
Comment s'est passé le moment où tu as décidé, Michel, de faire la trachéotomie ? Il y a un moment où on se dit, bon, il faut passer le cap. Et puis ça doit être quand même une réflexion, une décision à prendre, quelque chose qui peut faire peur.
- Véronique Perozzo
Peut-être répondre d'abord et puis Michel te répondra peut-être après. C'est un sujet qu'on avait évoqué très tôt dans le début de l'histoire de la maladie avec le neurologue. Mais voilà, juste pour se renseigner, c'est quoi une trachéotomie en gros ? Sans aller plus loin, en se disant on le fera. je pense que Michel n'avait pas décidé encore à ce moment-là, quand on a posé la question au neurologue, je le ferais, je ne le ferais pas. Le jour où ça s'est fait, Michel était en réanimation, à la Pitié. Et donc il a été intubé une première fois. Les médecins ont essayé de l'extuber, ça a à peu près marché. Mais c'est vite, il a de nouveau été obligé d'être réintubé une deuxième fois. Et là, les médecins m'ont dit, c'est maintenant, il faut prendre la décision maintenant. Donc moi j'ai dit, cette décision ne m'appartient pas, elle appartient à Michel, donc il faut lui poser la question. Donc ils ont profité d'un moment où Michel n'était pas sédaté et à peu près réveillé, pour lui dire, est-ce que vous la voulez cette trachéotomie ? Et donc le neurologue et l'hypnomologue lui ont posé la question deux fois, je pense. Il a répondu avec ses yeux oui, et donc là, ça s'est fait dans la minute qui a suivi, parce que de toute façon c'était ça où ça devenait très très compliqué.
- Natacha Sels
Je sais que Michel est en train d'écrire en même temps.
- Michel Perozzo
C'est dit qu'il y avait un stade où il fallait y passer. Le neurologue a dit, le moment est venu. J'ai dit, ok.
- Natacha Sels
Est-ce que tu te prépares ou est-ce que tu penses à la mort ?
- Michel Perozzo
J'ai une peur panique de la mort. C'est pour ça que j'ai choisi de faire une trachéotomie. Il y a cinq ans, je n'étais pas prêt à partir.
- Christophe
Au début, j'ai tenté, enfin j'ai tenté, je ne sais plus, d'avoir un tout petit bout de discussion un peu spirituelle, et non, j'ai senti que ça, il y a un rejet complet de... Il avait. Je ne sais pas où il en est aujourd'hui, j'ai pas réessayé, puis la peur n'empêche pas le courage.
- Natacha Sels
Il y a des sages qui ont dit j'ai peur, juste avant de passer de l'autre côté.
- Christophe
Oui, bien sûr, à commencer par le Christ. Donc oui, bien sûr, la peur c'est... Et rien de plus naturel, ouais.
- Michel Perozzo
Je ne suis pas très croyant, et la maladie a plutôt fait disparaître ce qui restait de foi en moi. Nous avons été accompagnés par une psychologue tout de suite, après le diagnostic. On venait tous les deux, c'était des moments forts. Quand j'ai perdu la parole, je préparais mes textes, à l'avance et j'essayais de répondre aux questions en direct, avec la tablette. C'était très frustrant de ne pas pouvoir être assez précis dans mes réponses, j'ai décidé d'arrêter. Je pense que je peux m'en passer aujourd'hui, même si c'est une belle expérience.
- Natacha Sels
Comment on fait pour, quand on n'est pas malade, et qu'on vit cette situation, pour avoir des territoires à soi ? Parce que j'imagine que c'est nécessaire.
- Véronique Perozzo
C'est compliqué, parce qu'on se fait largement absorber par la maladie, engloutir par la maladie. Et ça, merci à ma psychologue, merci à tous mes amis, merci à même Michel. de me dire protège-toi, préserve-toi, prends du temps pour toi. Donc j'essaye, d'une façon je dirais un peu plus légère que des grandes journées ou des vacances, me préserver quand même du temps pour moi dans la semaine. Moi je fais du yoga, donc ça je continue à le faire. J'essaye d'aller marcher en forêt, puisque j'aime beaucoup aller marcher, faire un peu de marche rapide. J'essaye de me remettre autant que possible à la natation. Ce sont des toutes petites parenthèses. Après, pour avoir plus de temps, plus de répit, c'est beaucoup plus compliqué.
- Natacha Sels
Quelle est ta plus grande joie chaque jour ?
- Michel Perozzo
Me réveiller.
- Natacha Sels
Quels sont vos petits moments ensemble favoris ?
- Véronique Perozzo
On est ensemble entre 17h et 22h et aujourd'hui, le dimanche, on n'a pas d'auxiliaire volontairement pour nous, pour nous aider, donc on est ensemble. Moi j'aime bien les fins de journée parce que, ben voilà, on se retrouve tous les deux à la maison, il n'y a plus de professionnels de santé, il n'y a plus d'auxiliaire. Mais malheureusement, c'est là où c'est difficile de trouver à 100% du plaisir dans ces moments-là. Quand Michel a besoin d'une aspiration, quand il a besoin de quelque chose, je suis la seule à le faire. Et parfois, je n'ai pas envie parce qu'il est 21h30 ou 22h ou 20h30 et que j'ai envie juste d'un petit moment tranquille autour d'un dîner ou on regarde un film ou d'une petite conversation avec lui. Et Badaboum, en plein milieu de tous ces moments-là, plaisir simple mais agréable, eh bien, la maladie nous rappelle à l'ordre et il faut faire une aspiration et il faut faire des gestes liés à la maladie.
- Natacha Sels
Qu'est-ce que c'est une aspiration, en fait ? Comment ça fonctionne ?
- Véronique Perozzo
Alors, du fait que Michel a une trachéotomie, en fait, il n'est plus capable d'avaler sa salive ni de la recracher. Et dans les maladies neurodégénératives, en général, la salivation, les sécrétions salivaires sont très importantes. Donc il faut pouvoir, comme chez le dentiste, aspirer la salive qui se trouve dans la bouche, mais pas que dans la bouche, il faut aussi aller l'aspirer un peu plus loin, dans la trachée. Et donc on fait une aspiration avec une sonde que l'on passe à travers le cathéter, qui est donc relié à son respirateur, et il faut aller le soulager parce que les sécrétions salivaires peuvent créer des bouchons qui empêchent Michel de respirer confortablement.
- Natacha Sels
Ça, c'est quelque chose qu'il faut faire systématiquement ou de temps en temps quand il y a une saturation ?
- Véronique Perozzo
Ça se fait à n'importe quel moment et personne ne peut savoir quand ni à quelle fréquence. Mais c'est pour ça qu'on a besoin d'être accompagné, enfin Michel a toujours besoin d'être accompagné, du fait de sa trachéotomie. D'abord parce que la machine peut biper, parce que le cathéter peut se défaire. Et s'il a effectivement un bouchon salivaire qui se crée, là il faut aller tout de suite le soulager et on ne peut pas savoir quand. Donc il y a des nuits où il y a zéro aspiration, il y a des nuits où il y a trois aspirations et dans la journée il peut y en avoir trois, quatre, dix, personne ne le sait.
- Michel Perozzo
Quand je me suis réveillé, après la trachéotomie, je me suis dit que le temps qui me resterait serait dédié aux autres malades. C'est mon combat aujourd'hui. J'ai voulu mettre la lumière sur la problématique du tourisme pour les malades de l'ARSLA, et plus généralement les handicapés. Cette année, nous avons décidé de parler de la problématique de l'habillement pour les malades. Dès qu'on est dans un fauteuil, on commence par porter du XXL, les vêtements sont moches et il y a un marché de vêtements adaptés mais ils sont souvent chers. Il faut penser à des solutions pratiques pour les aides, pour les aidants et agréables à porter.
- Véronique Perozzo
Oui, alors on a fait... Une très belle action de sensibilisation dans un grand lycée à Paris, le lycée Carnot à Paris, dans le 17ème, où on avait deux classes, deux secondes, donc c'était à peu près 90 élèves avec leurs professeurs. Et pendant deux heures, en fait, on les a sensibilisés à la maladie, à travers des témoignages de malades, à travers une petite vidéo qu'on avait enregistrée du neurologue de Michel, qui le suit à l'appétit pour parler de la maladie, d'un point de vue médical et scientifique. et puis on les a mis, ces élèves, en situation en leur disant c'est facile de comprendre que c'est difficile quand on est handicapé de s'habiller, mais vous allez le vivre. Donc, essayez de boutonner une chemise avec une seule main. Essayez de lasser vos chaussures sans utiliser la pince du pouce et de l'index. Essayez de jouer le malade et deux autres les aidants et d'enfiler un pantalon pour une personne qui ne tient pas debout. Donc, ça a été très parlant. Ça n'a pas duré très longtemps, mais ça a été très impactant pour eux.
- Natacha Sels
Rien de tel que de le vivre pour le sentir.
- Véronique Perozzo
Absolument. Et après, on leur a demandé, ce qui tient à cœur à Michel, de mettre du fun et de la couleur dans le quotidien des malades. Donc, on avait préparé des bandeaux de maintien de tête comme Michel a. Et puis, on leur a dit, mettez du fun et de la couleur, écrivez ce que vous voulez. On leur avait donné des t-shirts blancs aussi qu'ils ont customisés pour qu'on a remis à des malades. Un des malades, lui, porte une très grosse mineur parce qu'il a des problèmes au niveau de cervicale. Et donc, il nous avait dit d'ailleurs, j'aimerais bien que ma Minerve, elle est tellement imposante qu'elle envoie un message. Donc, on avait dit à ces jeunes, allez-y, écrivez tout ce que vous voulez dessus. Donc, là aussi, ils ont mis du fun et de la couleur. Et puis, on leur a montré, nous, à la fin, des solutions d'habillement avec des stylistes qui nous ont accompagnés en amont. Donc, il y avait un vêtement, par exemple, pour Lenny qui porte cette Minerve, mais qui ne peut plus utiliser ses bras. Il aime beaucoup... de porter des chemises. Donc, on a réutilisé ses chemises. On a utilisé, en fait, des vêtements qu'il aime bien. On a fait de l'upcycling, comme on dit. Et plutôt que d'avoir à le boutonner, à la place des boutons, on a mis des boutons aimantés. Donc en fait, c'est très simple à mettre et à enlever. Sur ses pantalons, qu'il aime beaucoup aussi, on a déplacé la hauteur de ses poches pour les mettre à la hauteur de ses mains qui maintenant sont tombantes, puisqu'il ne peut plus plier les bras. Mais il peut encore utiliser un peu la dextérité de ses doigts. Donc les poches sont plus basses et il peut aller attraper son téléphone ou sa carte bleue.
- Natacha Sels
Et là, je vois qu'effectivement, Michel, tu as toujours un bandeau qui te tient la tête et qui est aux couleurs du Japon. C'est assez classe quand même.
- Michel Perozzo
Pour moi, sortir en ville est un acte militant. Je veux qu'on me voit. Casser l'hypocrisie d'être là, mais de ne pas être vu.
- Véronique Perozzo
De temps en temps, oui, je croise le regard des gens. Et il y a toutes sortes de regards chez les uns et chez les autres. Alors souvent un regard gêné, ça peut être un regard compatissant. Et puis j'aime bien raconter aussi cette histoire, on était à Paris, on allait au Trocadéro voir une expo, et on était sur le trottoir, moi je conduisais le fauteuil de Michel, et puis on a en face de nous une famille, donc le père, la mère, et puis trois enfants en bas âge, je dirais entre 7 et 8 ans ou 9 ans. Puis je vois ces trois petits gamins qui regardent Michel, mais droit dans les yeux. Puis je pensais qu'ils allaient se dire, t'as vu, il est branché de partout, il a un tuyau par-ci, un autre par-là. Et en fait, non, il y en a un, il a donné un petit coup de coude comme ça à son frère ou son copain, j'en sais rien. Mais t'as vu, t'as vu, il a le manteau de Naruto, c'est trop cool. Et voilà, ça j'adore. Et je pense que Michel aussi, il aime bien ces réactions-là. parce que Oui, il faut le voir, il est là, différent, certes, mais on est tous différents quelque part, on a tous nos différences. Quand on voit quelqu'un en fauteuil, le réflexe, les gens parlent plus fort. Et donc, X fois, moi je leur ai dit, non mais il vous entend très bien, il n'est pas sourd, il est juste paralysé, mais il n'est pas sourd. Et du coup, Maxime, notre fils aîné, il en avait tellement marre de ça qu'il a fait un t-shirt où il y a marqué « affaune, mais pas sourd » .
- Natacha Sels
Voilà. Alors... Je crois que tu es vice-président de l'ARSLA et membre du conseil scientifique et je me demandais quel était le rôle qu'avait un vice-président.
- Michel Perozzo
Je suis malade, c'est important de proposer un angle de vue différent quand il faut décider pour financer un projet de recherche ou bien pour valider une orientation stratégique de l'association. Depuis le mois de juin, c'est un président qui est également un malade qui est à la tête de l'association.
- Natacha Sels
Tu représentes les malades ? Qu'est-ce que tu voudrais dire en leur nom ?
- Michel Perozzo
J'ai envie de partager ce que je sais sur la maladie, d'aider les autres malades. La SLA ça n'est pas la fin de tout, en tout cas, ça ne devrait pas l'être. Bien sûr, nous sommes malades et de plus en plus handicapés au fil du temps. mais nous avons un corps qui peut encore marcher, et un cerveau intact. Utilisons ces ressources pour être autre chose que des malades et contribuer à notre société. J'ai été bluffé de voir qu'au Japon, il y a un café, où les commandes sont prises par des robots, mais la personne qui vous parle est en fait un malade Charcot qui est en chez lui. Il y a forcément des opportunités qu'il faut trouver mais qui pourraient permettre à nous, malades, de trouver une occupation.
"Alors je proclame les Jeux paralympiques de Paris 2024 ouverts !"
- Natacha Sels
Michel me dit avoir été également impressionné et touché par la cérémonie d'ouverture des Jeux paralympiques et notamment par Molly Burke, une athlète anglaise aveugle, dont le témoignage est tellement proche de ce qu'il vit tous les jours qu'il me propose de l'écouter pour clôturer cet entretien. J'aimais la mode, le maquillage, la coiffure,j'aime la décoration d'intérieur, l'art et les tatouages. J'aime toutes les formes de créativité et d'expression de soi. Quand je suis devenue aveugle, j'ai eu l'impression que tout le monde me traitait différemment. Les gens que je croisais au café ou dans la rue parlaient à ma mère ou à mon père plutôt qu'à mes. Ils agissaient comme si j'étais stupide ou ne pouvais pas comprendre. Et je pense que c'est important de montrer au monde à quel point je suis normale, d'humaniser les handicaps. Nous sommes comme vous, nous vivons juste nos vies différemment. Et il n'y a pas de mal à ça. Restez à l'écoute de notre podcast La Vie est Belle, essaie-la !(SLA) et abonnez-vous sur votre plateforme préférée.