- Natacha Sels
La vie est belle, essaie-la ! le podcast de l'ARSLA, qui met en lumière des personnes confrontées à la SLA et des professionnels engagés.
- Pr Vincent Meininger
Alors là, ça a été le séisme dans l'andernot, parce que personne ne s'y attendait.
- Natacha Sels
C'était pourtant un résultat positif.
- Pr Vincent Meininger
Ah ben c'était le premier jamais obtenu dans la SLA, oui.
- Natacha Sels
Vincent Meininger, l'homme des premières fois. Avant de prendre sa retraite il y a environ dix ans, le professeur Meininger a voué sa vie à la maladie de Charcot, à lui donner un statut et une reconnaissance, à suivre les malades, à réaliser des essais thérapeutiques afin de trouver un remède. C'est l'homme des premières fois, grâce auquel, il existe le Riluzole, seul traitement connu à ce jour permettant d'allonger la vie des patients. C'est à lui aussi que l'on doit l'existence de centres dédiés à la SLA, la création de consultations pluridisciplinaires, ainsi qu'une coordination permettant le suivi des patients une fois rentrés chez eux. Enfin, il est le fondateur de l'ARSLA, qu'il crée en 1985 avec l'un de ses patients, Guy Serra. S'il reste essentiel aujourd'hui de médiatiser cette maladie et de faire progresser la recherche, en rencontrant le professeur, je découvre à quel point la médecine a fait des progrès dans la prise en charge de la SLA, maladie auparavant délaissée par le corps médical. Dans sa maison de Fontenay-aux-Roses, je remonte ce pan d'histoire avec Meininger, comme il se nomme lui-même, à la façon d'autrefois. Et je découvre un homme passionné par le jeu intellectuel, mais surtout profondément attaché aux soins de ses patients, qu'il sait écouter et dont il comprend les angoisses. Monsieur Meininger, je vous laisse vous présenter.
- Pr Vincent Meininger
Donc Vincent Meininger, écoutez j'ai 78 ans, bientôt 79, je suis neurologue, donc j'ai toujours voulu être médecin, dès l'âge de 5 ans, et toujours voulu être neurologue depuis l'âge de 8-9 ans. Donc vous voyez, c'est une vieille vieille histoire.
- Natacha Sels
D'où vient cette vocation ?
- Pr Vincent Meininger
Alors, mon père est médecin. Mon père disait, au moins pour la médecine, il ne fallait pas être un génie. Il fallait juste avoir de la mémoire. Donc voilà, c'est peut-être ça qui m'a conduit à être médecin, je ne sais pas. Mais en même temps, l'empathie, c'est un grand mot. Enfin, j'aime bien m'occuper des gens. J'aime bien... J'aime pas que les gens soient tristes. Et la neurologie faisait partie des grandes spécialités. Enfin, je veux dire, la neurologie était considérée comme la spécialité la plus importante, parce que la plus difficile, soi-disant. Voilà, c'est une spécialité qui demande une démarche intellectuelle que j'aimais bien. Parce que ça c'est la deuxième partie de moi, c'est le jeu intellectuel, essayer de comprendre, pas seulement les autres, mais de comprendre comment ça marche. Et surtout... Essayer de comprendre par moi-même.
- Natacha Sels
Mais vous aviez conscience de la possibilité de ces deux perspectives à 8 ans ?
- Pr Vincent Meininger
Non, je ne l'avais pas rationalisé comme ça, j'avais envie. Je trouvais que c'était... intéressant. Mon père avait fait son internat à Paris et dans son entourage, il y avait un certain nombre de neurologues. Moi, j'écoutais beaucoup leurs discussions ou ce qu'ils pouvaient se dire. C'est un peu là-dessus que ça s'est construit petit à petit. Mon premier cours, j'ai un souvenir absolument terrible. M. Gassène, le grand pape de la neurologie à ce moment-là, dit un jour, Meininger, Euh... La personne qui fait l'enseignement de neuroanatomie ne reste pas. Donc, c'est vous qui allez la remplacer et ça commence la semaine prochaine. Bon, ça a été un peu raide pour moi. Mais l'enseignement m'a beaucoup appris sur les rapports humains ou de savoir intéresser des gens. Donc, ça a été une très, très bonne expérience pour moi. J'étais en partie à ce moment-là le matin à la Salpêtrière. Je faisais mon activité clinique à la Salpêtrière. Je devais avoir 26 ans, 27 ans. Je faisais par exemple des consultations le matin où je voyais 24, 25 malades de neurologie. Où il fallait... Essayez de comprendre vite et le mieux possible et écoutez les gens. Parce que ce n'est pas facile de donner le sentiment que vous écoutez bien les gens dans des temps qui sont assez courts, mais il faut savoir le faire. Mais j'ai commencé à m'intéresser au fond, pas complètement par hasard, mais à la sclérose latérale amyotrophique.
- Natacha Sels
C'est là que j'avais envie de vous poser la question. Vous aviez déjà une histoire avec cette maladie ou vous la rencontrez à ce moment-là en tant que neurologue ?
- Pr Vincent Meininger
Non, non, en 82. En 82, enfin j'avais une histoire. J'avais l'histoire que tous les neurologues connaissaient, qui était l'histoire des neurologues habituellement, qui était de dire, oh c'est une maladie terrible, c'est atroce. Bon, je n'aime pas ce genre de qualificatif quand on est médecin, ce n'est pas notre rôle, ce n'est pas à nous d'avoir des états d'âme de ce type. Si on est soi-même angoissé, alors là, pour le malade, c'est foutu. Il faut considérer que c'est effectivement une maladie difficile, mais qui, au fond, justifie peut-être qu'on s'y intéresse. Et puis, donc, en 82, j'ai eu à m'occuper d'une patiente pour laquelle j'avais... plus qu'une relation affective. Je veux dire, c'est quelqu'un que j'aimais vraiment beaucoup. Elle était une femme incroyable, vraiment, et qui a vraiment affronté sa maladie de façon incroyable. C'est-à-dire ? Elle avait vraiment une présence... On pouvait parler beaucoup, elle était très intelligente. avec un mari vraiment aussi... une grande personnalité. C'était vraiment un couple très très impressionnant pour lequel j'ai eu beaucoup d'affection et je l'ai accompagné jusqu'au bout. Je l'ai aidé à moins souffrir. J'apprenais un peu les choses petit à petit et ça m'avait vraiment beaucoup marqué. Et à ce moment-là, je me suis dit, mais au fond, ces malades ne sont pas du tout pris en charge. Et puis, il y avait ce côté que je ne supportais pas. Pour vous dire, le discours qu'on m'avait tenu, moi, à la Salpêtrière, c'était, il ne faut surtout jamais en parler, jaimais donner le diagnostic, le mieux c'est de dire que ça va guérir, mais qu'ils reviennent six mois après, comme ça ils ne reviendront pas parce qu'ils seront morts. Et ce n'est pas le genre de truc que j'aimais faire du tout. Et donc je me suis dit que ce n'était pas normal, qu'il y avait quelque chose à faire. Donc la première chose c'était peut-être de savoir annoncer un diagnostic, de savoir dire des choses. La deuxième c'était de savoir dire qu'on ne savait pas. Ce que personne n'aime faire, mais qui est vrai, donc d'apprendre à dire qu'on ne sait pas. Ses limites. Donc, j'ai commencé à faire un embryon de centre où j'avais réussi à intéresser un kiné, une orthophoniste, même une diététicienne, puisqu'on avait un service diététique à l'Hôtel-Dieu. Et j'avais quelques lits aussi qu'on me prêtait. Et donc, j'avais commencé à mettre en place, dès 1983, 83, 84, des consultations multidisciplinaires, déjà, c'était les premières, où le kiné venait donner son avis, l'orthophoniste aussi, bref. Donc...
- Natacha Sels
Vous aviez conscience à ce moment-là déjà que la diététique avait une importance pour cette maladie ?
- Pr Vincent Meininger
Ah ben comme ils maigrissaient, oui, ça m'intéressait simplement. Par exemple, ce que j'ai très vite compris aussi, c'est que c'est pas normal de maigrir parce qu'on a les muscles qui fondent, puisque ça n'a rien à voir. Et donc je me suis dit, mais c'est une maladie qui traîne des ondits qui sont faux. Il y avait des patients qui maigrissaient beaucoup et qui ne perdaient pas de poids, d'autres qui perdaient du poids et qui ne maigrissaient pas. Et donc, c'est qu'il y avait plein de choses comme ça. Je me suis aperçu qu'il y avait des tas de symptômes que personne ne prenait en compte, les douleurs, la raideur. Donc, tous ces problèmes-là, petit à petit, je les ai abordés. Il y avait très peu de choses dans la littérature sur la manière de prendre en charge, puisque au fond, les neurologues, ça pose un diagnostic, et puis ensuite, ça ne met pas les mains dans le cambouis. D'ailleurs, je n'avais pas une très bonne réputation pour ça, parce que je n'étais pas un vrai universitaire, je n'étais pas un vrai neurologue. C'est horrible, je mettais les mains dans le cambouis, c'est-à-dire que je m'occupais des gens. J'étais l'un des premiers neurologues à dire qu'il fallait, si on voulait comprendre une maladie, il faut suivre les gens régulièrement. Et donc petit à petit, j'étais amené à suivre. Je voyais les gens tous les trois, quatre mois. Je faisais des prélèvements sanguins réguliers qui m'ont servi ensuite d'ailleurs à posteriori. Et j'avais une espèce de banque de données que j'avais déjà constituée. Et finalement, on m'adressait les patients parce qu'au fond... Les neurologues, ils n'avaient pas envie de s'en charger, qu'il y avait une espèce de doudingue à l'Hôtel-Dieu qui s'en occupait. Et donc, le plus simple, c'était de s'en débarrasser. Comme ça, au moins, eux n'avaient pas à s'en occuper.
- Natacha Sels
Donc, si je vous comprends bien, à l'époque, dans les années 80, l'état des lieux par rapport à cette maladie, c'est qu'il n'existait rien. C'était zéro. Et qu'on ne recevait même pas les patients.
- Pr Vincent Meininger
Ah, c'était zéro. C'était zéro, on ne disait rien aux patients, on prenait la famille dans le couloir, on leur disait, ne vous inquiétez pas, il va mourir rapidement, ça va être terrible, mais on ne peut rien faire. Alors, d'abord ça crée une relation entre le patient et la famille, qui est totalement invivable.
- Natacha Sels
Alors vous êtes en fait l'homme des premières fois, c'est-à-dire que le premier, enfin le Riluzole, donc le premier traitement, le premier centre de la SLA, et puis aussi l'association L'ARSLA ou l'ARSLA, c'est vous qui la créée ? C'est moi qui l'ai créée. À quel manque ça répondait, cette association ?
- Pr Vincent Meininger
Le besoin pour les malades de se réunir. de se renseigner, de comprendre. Et j'aimais beaucoup Guy Serra qui venait me voir tous les trois mois, venait de Lorraine, et donc il voulait créer. Et il a appelé ARS parce qu'en fait il voulait créer comme pour l'ARC. Donc il a mis ARS au lieu d'ARC, toujours par rapport au cancer.
- Natacha Sels
Alors, première banque de données, premier traitement avec la recherche, première association, et si j'ai bien compris, vous avez créé le centre.
- Pr Vincent Meininger
Oui, mais en 1990 aussi, j'avais créé le groupe français des maladies du motoneurone que j'ai dirigé jusqu'à ce que je parte, enfin, assez longtemps, puisque je m'occupais aussi du conseil scientifique de l'association, je m'occupais du centre SLA, et puis j'en ai rajouté une couche, parce qu'après le deuxième essai thérapeutique, j'ai créé le groupe européen, qui avait mis en place avec Nigel Leigh qui était à Londres.
- Natacha Sels
Et qui avait pour but alors ?
- Pr Vincent Meininger
Pareil, de nous fédérer pour échanger, là c'était à viser plus scientifique, c'était vraiment pour des échanges scientifiques. Le groupe français des maladies du motoneurone, c'était aussi pour des échanges entre... les gens qui s'occupaient de SLA, je pense que c'est très important d'impliquer les paramédicaux, notamment kinés, infirmières.
- Natacha Sels
Oui, donc en fait, au début que vous arrivez dans cette profession, finalement, il n'y a personne qui voulait s'en occuper. Et là, ce que vous avez vraiment cherché à faire, c'est de faire du lien, fédérer toutes les personnes qui s'occupaient de SLA et surtout qu'on s'occupe, qu'on en parle. Voilà.
- Pr Vincent Meininger
Et donc on a commencé à mettre en place tout ce qui était annonce du diagnostic, prise en charge. C'était un gros travail de défrichage, très compliqué. Et puis par ailleurs, il y avait eu la réunion de l'ALS Corial. En 1990, ces années-là, ça a été vraiment très important. On a défini les premiers critères diagnostiques. Qu'on soit tous d'accord sur les diagnostics, parce que les gens n'étaient pas toujours d'accord. Pour savoir qu'est-ce qu'on entend par SLA. Ce qui n'est pas toujours très simple.
- Natacha Sels
Vous, qu'est-ce que vous pensez avoir apporté à la maladie, aux malades plutôt ?
- Pr Vincent Meininger
Ça c'est de l'individu. Moi j'ai apporté, je crois que j'ai surtout essayé d'apporter, je m'occupe de vous, je vous entends, je serai là si ça ne va pas. Ce que j'ai essayé de faire le plus souvent, mais qui n'est pas toujours très facile.
- Natacha Sels
Non. Et quelles sont les compétences d'après vous, humaines, qu'il faut avoir pour savoir écouter ?
- Pr Vincent Meininger
Aimer les autres. L'empathie. De dire... Mais en même temps, ne pas se mettre à la place. On n'est pas à la place des malades. Mais par contre, on est là pour être avec lui, ce qui est une autre question. J'ai fait 22 ans d'analyse pour essayer justement de comprendre cette relation d'être à ma place. Il faut être à sa place et en même temps être là. Je n'ai jamais essayé de me préserver. Peut-être que ça m'a coûté beaucoup, parce que malheureusement maintenant j'ai des problèmes de santé importants. Mais je n'ai jamais calculé mon temps. Vous savez, globalement, on peut considérer que pratiquement, j'étais là en permanence. On pouvait m'appeler, on pouvait me demander. Je répondais, y compris quand... Je n'ai jamais su ce que c'était que vraiment des vacances. C'est pas mon truc, parce que je suis fait comme ça. Je dis pas qu'il faut être comme ça, parce que je suis comme ça. Chacun, ça c'est une névrose. Bon, on n'est pas obligé d'avoir tous les mêmes névroses. Mais les titres que j'ai eus, en fait ça me servait à pouvoir faire ce que je voulais. Et notamment, un truc que je détestais, c'est qu'on me dit ce qu'il faut faire. Ça je n'aime pas du tout. J'ai toujours été comme ça, donc bon ben, peut-être que j'ai tort. En tout cas, ça m'a permis toujours de me dire, ne crois pas ce qu'on te dit, ou ce qui paraît comme ça, évident, et essaye de réfléchir et de penser par toi-même. Dans la SLA c'était... Les évidences me paraissaient... n'étaient pas des évidences.
- Natacha Sels
C'est vous qui avez créé un réseau de soins ?
- Pr Vincent Meininger
Oui, la dernière chose que j'ai créée, c'était effectivement en 2006. C'était la dernière étape. Donc j'avais créé les centres. Dans les centres, on avait décidé du fait que les mains devenaient une souris trois mois, ce qui n'est plus du tout respecté. Je me suis aperçu qu'au fond... On voyait les malades tous les trois mois, mais qu'on ne savait pas ce qui se passait pendant les trois mois. On avait une espèce de blanc complet, où les malades étaient un peu à l'abandon finalement. En tout cas, on ne savait pas ce qui se passait. Pour éviter ce manque, j'avais d'abord créé des infirmières coordonnatrices, qui ensuite sont... ont été mises en place dans les centres. Et puis, ça m'a paru pas complètement répondre à toute la question. Et donc, on a mis en place ce réseau, qui est le réseau SLA Île-de-France, avec... des coordonnatrices. En fait, ce qui crée l'angoisse dans la SLA, c'est « je ne sais pas » . « Je ne connais pas, et si je ne connais pas, ça m'angoisse » . Parce qu'il y a tout ce qu'on raconte autour de cette maladie, donc c'est forcément un truc très angoissant. Et donc elles sont là beaucoup pour créer ce lien, c'est-à-dire quand le malade sort, en fonction de ce qui est dit, on va prévenir ou avoir des échanges avec les libéraux ou les structures de territoire et puis il va y avoir aussi toute une activité très importante que de considérer important avant ce qu'on en faisait du temps du centre c'était une activité de formation c'est à dire former les professionnels et leur expliquer ce que c'était que la SLA.
- Natacha Sels
Alors ces infirmières coordinatrices elles sont situées dans les centres ou dans les hôpitaux comment ça se passe ?
- Pr Vincent Meininger
Celles qui existent dans les centres oui pour nous elles sont à la salpêtrière. Donc il y en a quatre. Elles vont à la demande du neurologue et des médecins. Elles interviennent le plus souvent sur appel du patient, de la famille ou, je vous dis, des libéraux.
- Natacha Sels
Donc leur rôle, c'est de rester en contact avec le patient et de répondre aux questions et aux angoisses.
- Pr Vincent Meininger
Oui.
- Natacha Sels
Et puis aussi...
- Pr Vincent Meininger
Il y a quand même 700 malades. Oui. 700 malades pour 4 coordinatrices. C'est ça la question. L'hôpital parle un certain langage que nous on comprend, mais les libéraux pas forcément, le malade il n'a pas forcément compris. Donc tout ça il faut essayer d'écouter, de faire le lien, de comprendre ce qui se passe et de rassurer et d'expliquer.
- Natacha Sels
Je crois savoir que vous êtes aussi beaucoup impliqué dans la recherche.
- Pr Vincent Meininger
J'ai commencé en 1986 à faire le premier essai thérapeutique. J'ai commencé à m'intéresser à la méthodologie des essais thérapeutiques dans la SLA. Et je me suis aperçu qu'il y avait au fond un espèce de biais qui me paraissait bizarre. On s'intéressait juste à la force musculaire. Et ça ne me paraissait pas être forcément le critère le meilleur et le plus facile à évaluer, parce qu'il fallait des machineries, et quand ça ne faisait pas d'effet au bout de trois mois, ben basta, on considérait que ça n'avait pas d'intérêt. Et je m'étais dit, au fond, on est dans la même problématique que le cancer au début. C'est-à-dire que c'est des gens qui sont évolutifs, qui vont mourir, et notamment j'avais discuté avec... Un autre pharmacologue, Gilbert Bensimon, c'était l'été, il habitait Villejuif, il avait un jardin, moi j'étais dans Paris, c'était pas terrible. On avait parlé un peu des essais dans la SLA, on avait discuté de la méthodologie, donc des essais thérapeutiques dans le cancer, et notamment le fait que le critère d'évaluation, c'était la mort. C'est-à-dire, on déplace ou pas, on allonge ou pas la durée de vie. Donc on s'était dit, au fond, faisons la même chose dans la SLA, c'est-à-dire qu'on va abandonner la piste fonctionnelle. Et on va se tourner vers l'étude, vers l'effet sur l'allongement ou non de la durée de vie. Personne ne l'avait jamais fait. Il y a quand même eu cette hypothèse un peu nouvelle à l'époque. L'hypothèse, c'était qu'il y a une hyper excitabilité. des motoneurones et que c'était le glutamate qui en était responsable. Le Riluzole était considéré comme un anti-glutamate. Et c'était à l'époque Rhône-Poulenc qui a dit, on parlait d'une molécule un peu qui ne leur appartenait pas, qu'ils avaient racheté à un autre labo qui était un anti-glutamate. Donc ils l'avaient développé pour tenter de le développer comme anti-épileptique. Elle n'avait pas marché, elle était un peu dans le placard, et ils étaient en train de se dire, on va abandonner ce machin, ça n'a pas d'intérêt. Alors, nous, on leur a dit, écoutez, on pourrait peut-être monter, on pourrait faire un essai préliminaire avec l'antiglutamate. Petite note, en fait, c'était le Riluzole, et donc, on a été voir les gens de chez Rhône-Poulenc. Et on a suggéré et proposé de l'essai thérapeutique, mais là, c'était par contre, c'est la première fois qu'un essai thérapeutique dans la SLA incluait plus de 100 malades. Il fallait donc déjà respecter les règles de l'essai thérapeutique, qui sont très particulières. Vous savez, l'essai thérapeutique, je dis toujours, c'est une espèce de pari que vous faites. Vous pariez que sur un critère, et pas d'autre, un critère, qu'on appelle le critère principal, vous allez gagner tant. On a commencé cette essai thérapeutique, je crois que c'était en 88-89. et on avait une durée d'un an. Ce qui était déjà la première fois aussi qu'on proposait quand même une durée longue sous placebo. Ce qui n'est pas facile à faire accepter aux malades. Parce que les malades ne sont pas toujours très... Ben ils sont angoissés. Donc, mais à l'époque... Je dirais que c'était plus facile et plus souple. C'était important. C'était vraiment le début. Les malades étaient de bonne volonté. Parce que je sais bien que dans les essais thérapeutiques, j'ai des patients qui ont plutôt bien réagi. J'ai eu le même problème avec le xaliprodène de Sanofi, où manifestement on a été positif, c'est sûr, sur un groupe de malades, particuliers, pas complètement isolés, mais qui est... Et pour l'essayer, la totalité de l'essai, où il y avait quand même près de 1000 malades, il était négatif. Et donc ça a été totalement abandonné. Ça a été un énorme investissement. Ça a été trois ans d'investissement et beaucoup, beaucoup d'argent. Alors là, vraiment. Et au bout, pour dire, non, on va abandonner, alors que... On a vu chez un certain nombre de malades un effet respiratoire clair. Donc on a fait cet essai, premier essai thérapeutique. Ça a été... Personne n'y croyait. Moi, tous les investigateurs m'appelaient en me disant « Ton truc, c'est une vraie saloperie, les malades s'aggravent, je suis sûr, avec le produit. » C'est clair. Et puis, pas de chance. En fait, oui. On a été la première fois dans un essai thérapeutique dans la SLA qu'on avait une différence. Il y avait une différence entre le groupe traité et non traité.
- Natacha Sels
Alors, une fois qu'on a établi ce genre de résultat, qu'est-ce qu'on fait ?
- Pr Vincent Meininger
Alors là, ça a été le séisme dans l'Anderno. Parce que d'abord, Rhône-Poulenc qui était très ennuyé, parce qu'il ne s'y attendait pas du tout. Personne ne s'y attendait.
- Natacha Sels
C'était pourtant un résultat positif.
- Pr Vincent Meininger
Ah ben c'était le premier jamais obtenu dans la SLA, oui. Et puis surtout, il a fallu le présenter aux États-Unis. Et je peux vous dire qu'ils nous attendaient au canon. C'est moi qui suis allé présenter. J'étais très angoissé à l'époque. C'était en 91, 1990 par là, à l'American Academy. On avait réservé une salle pour nous. Elle était bondée. J'avais eu quand même un coach pendant trois jours pour m'aider. Et puis, j'ai fait mon topo et là, ça a été... Oh ! Il y en a un ou deux qui ont vraiment cherché à me descendre. Gravement, là. Et que j'ai renvoyé gravement dans les cordes. Et ça, les Américains aiment bien. C'est leur grande propriété, notamment..., à l'époque, il était... qui s'occupait beaucoup de la SLA à New York, et qui, après, est devenue très... Enfin, qui m'aimait bien, quoi. C'était histoire de dire, c'est quand même pas un petit Frenchie qui va quand même nous montrer la vie.
- Natacha Sels
Qu'est-ce que ça faisait comme effet ? C'est-à-dire que ça...
- Pr Vincent Meininger
Oui, oui. C'est même sur le plan fonctionnel. Il y avait surtout un ralentissement de la durée de survie. Ça, c'était clair. Et donc on a publié... la grande revue, qui était New England Journal of Medicine, le résultat de l'essai. Le gros effet qu'a eu, franchement, l'effet très favorable de l'essai Riluzole, ça a quand même contribué beaucoup à fédérer les gens qui s'occupaient de l'essai-là. Mais en tout cas, on a décidé à ce moment-là de faire un deuxième essai. Parce que ça, c'était ce qu'on appelle une phase 2. Il n'y avait pas un nombre de malades, et de toute façon, il faut toujours deux essais. Donc on a fait une phase... trois, avec 800 ou près de 900 malades, notamment des malades aux Etats-Unis. Avec ce gros problème des Américains, c'est qu'ils n'ont pas beaucoup de malades par centre, donc ils multiplient les centres, ce que j'aime pas beaucoup, parce que ça entraîne beaucoup de variations, d'évaluations. Les gens ne pratiquent pas toujours les évaluations de la même manière, contrairement à ce qu'on pense. Et donc, on a fait cet essai avec les Américains, et là, il y a eu Bref, ça a été assez compliqué parce que Rhône-Poulenc, qui a été un peu pressé de voir les choses aboutir, ils ont décidé d'arrêter l'essai plus tôt que prévu. Et on est passé, on a été assez limite. Et c'est de là qu'est née cette fameuse différence de trois mois. Ce qui est né, soit disant, il n'y avait que trois mois de différence. Bon, et donc ça ne servait à rien. Or, on s'est tapé. J'ai aperçu que tous les centres ont ensuite été, dans d'autres études, montré qu'on pouvait avoir jusqu'à 18 mois de longuement de survie. Il faut vous rendre compte que l'effet a été tellement important au niveau international que pour le deuxième essai, thérapeutiques, où il fallait voir les malades tous les trois mois. J'avais des malades qui venaient des Etats-Unis tous les trois mois. J'avais des malades chiniens, des malades chinois qui venaient tous les trois mois pour être dans l'essai thérapeutique même s'il y avait un placebo. Et donc, il y a des malades. Moi, je me souviens d'un patient adorable qui venait des Etats-Unis tous les trois mois. Donc on a fini le deuxième essai en 1994, qui s'est révélé aussi positif. Et finalement, la Food and Drug Administration, qui est celle qui décide en premier lieu, a décidé d'accepter et d'une autorisation de mise sur le marché. Ça a été vraiment un grand, grand moment.
- Natacha Sels
C'est une belle victoire.
- Pr Vincent Meininger
Oui, mais qui a été prise par les États-Unis après. Parce qu'après, ils ont tous dit que c'était eux qui l'avaient trouvé. Mais ce n'est pas grave. Mais je vous assure. En plus, c'est vrai. Parce que c'est eux qui ont fait tous les articles qu'il y avait après pour faire des synthèses ou autre. C'était eux qui signaient.
- Natacha Sels
Ce n'est pas breveté ?
- Pr Vincent Meininger
C'était breveté par Rhône-Poulenc. Ah oui, c'est ça. Ah moi, je n'ai pas touché un ronds la dedans. Mais rien du tout. En fait, à l'époque, il faut voir qu'il y avait deux centres au monde. Au monde, je dis, vraiment. Il y avait Paris et San Francisco, avec Forbes Norris. Et Paris avait obtenu, grâce à l'association L'ARSLA, qui est une reconnaissance officielle. Et donc en 1990, avec le directeur de l'hôtel-dieu avec qui j'entendais... très très bien qu'il y ait Gérard Vincent, il y a eu l'assistance publique a été d'accord pour créer officiellement ce centre. Donc il y a eu la création officielle en 1990 du centre SLA Paris. Donc on est devenu vraiment un centre SLA.
- Natacha Sels
Pourquoi cette patience pour la SLA plutôt qu'une autre maladie ? Qu'est-ce qui vous a attiré vers cette maladie-là ?
- Pr Vincent Meininger
Aujourd'hui, j'aime pas J'aime pas les gens laissés à l'abandon en médecine. Enfin, j'ai pas fait ma médecine pour raconter des trucs qui sont faux. Et donc, je trouvais que c'était une maladie assez emblématique du non-dit. Du non-dit, du mal-dit, du... Et au fond, de la violence médicale par angoisse. et que ça non, c'est pas ça qu'on doit faire en médecine. J'ai passé ma vie à essayer d'apprendre, même maintenant à l'encontre des comptes, j'ai recommencé à faire des études.
- Natacha Sels
De quoi ?
- Pr Vincent Meininger
C'est de l'hébreu bibilique.
- Natacha Sels
Qu'est-ce qui vous passionne là-dedans ?
- Pr Vincent Meininger
Parce que c'est difficile. Voilà. Là aussi, c'est pareil. On vous fourgue des traductions, et puis c'est pas ce que vous lisez, en fait. Au fond, c'est pas de chercher la vérité, je crois que ça n'existe pas. Ce qui est très intéressant, c'est que c'est ouvert à toutes les interprétations. De même que c'est pas un texte fermé. justement grâce à ça. Et c'est pareil pour la SLA, c'est pas une maladie fermée, c'est une maladie où il faut justement ne jamais être dans la routine.
- Natacha Sels
Pour ouvrir encore d'autres portes ?
- Pr Vincent Meininger
Oui, pour se reposer des questions. Parce que si on ne se pose plus de questions, ben... On sert à rien.
- Natacha Sels
Est-ce qu'en dehors de cette maladie, vous aviez d'autres passions ?
- Pr Vincent Meininger
Non, j'ai toujours une forte passion sur la médecine. C'est pour ça que j'ai décidé, encore une fois il y a dix ans, de me dire... Bon, ça va, t'as beaucoup donné. J'ai fait, je vous dis, une bonne trentaine d'essais thérapeutiques. Aucun n'était positif en dehors du Réductec. Vous savez, je voyais 60 malades par semaine. pendant toute l'année j'étais j'étais au moins connu pour ça comme celui qui avait vu le plus de malades au monde c'est vrai je crois que j'ai dû voir un peu plus de 6000 malades et oui c'est vrai qu'à un moment c'est un peu violent quand même c'est un peu difficile et donc J'ai décidé de passer la main.
- Natacha Sels
Et à vous, qu'est-ce que ça vous a appris, ce long cheminement avec la SLA et avec les malades ? Alors je dis appris ou apporté ?
- Pr Vincent Meininger
Ca a apporté un certain sens à ma vie.
- Natacha Sels
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