- Speaker #0
Ce train part en destination bientôt.
- Speaker #1
Je sais pas.
- Speaker #0
Je sais pas où est la règle gauche. Je viens d'arriver à Sèvres-Rive-Gauche. Et pour me rendre chez Michel Volkovitch, j'ai donc une vingtaine de minutes de marche vers sa maison. C'est sympa, c'est des petits chemins assez verts. Il n'y a pas grand monde, c'est le matin. Il y a plus de 20 ans que ça descend pas mal. Il y a ceux qui partent en voyage et il y a ceux qui se payent une danseuse. De son propre aveu, Michel Volkovitch appartient à cette deuxième catégorie. Et sa danseuse à lui, c'est la maison d'édition qu'il a créée en 2013, le Miel des Anges. Enseignant aujourd'hui retraité, Michel consacre la majeure partie de son temps à traduire et publier des auteurs grecs contemporains, dans l'espoir de les faire connaître au public francophone. Il publie une dizaine de titres par an, en mettant l'accent sur ce qui effraie la plupart des autres éditeurs, la poésie, le théâtre et les nouvelles. Je l'ai rencontré chez lui, dans la vallée de Sèvres, au sud-ouest de Paris. J'avais apporté du miel, évidemment. On s'est installé dans son bureau, qui donne sur l'un des coteaux de la ville, et on a parlé des changements de personnalités qui peuvent s'opérer en nous suivant la langue que l'on parle, et de ces différentes personnalités à lui, qui parlent français, russe, anglais et grec. Il m'a raconté sa rencontre inattendue et salvatrice à l'âge de 30 ans avec la langue grecque, et comment elle lui a permis de se lancer à la fois dans la traduction et dans l'écriture. La traduction et l'écriture, ce sont les deux façons que Michel a trouvé de devenir musicien. Quand il manie les mots, les sonorités, les rythmes, en fait, il ne fait rien d'autre que de la musique. C'est de la musique que vient sa passion pour la poésie. De ça aussi, on a parlé longuement. Bref, autant vous dire qu'on a bien fait danser la danseuse. J'espère que cette conversation avec Michel vous enchantera comme elle m'a enchantée et qu'elle vous donnera envie de nous rejoindre sur la piste. Je suis Margot Grélier et vous écoutez Langue à langue, épisode 3. Miel, tricherie et poésie grecque avec Michel Volkovitch. Langue à langue.
- Speaker #1
A pour Gloss, c'est Gloss. C'est la chambre du chat. Et ici, mon atelier.
- Speaker #0
Merci. Une belle pièce. Avec plusieurs bureaux.
- Speaker #1
Voilà, oui. Donc, vous vous installez où vous voulez.
- Speaker #0
D'accord. Vous vous mettez où généralement pour traduire ? Je me mets là,
- Speaker #1
oui.
- Speaker #0
Et bien, on a qu'à l'histoire là.
- Speaker #1
Cette maison, c'est toute une histoire. Elle a 160 ans et elle n'a connu que deux familles. Et ma famille à moi s'y trouve depuis 1942. J'y suis pratiquement né, j'y ai passé pratiquement toute ma vie et j'y mourrai. Donc, je la connais par cœur, j'ai des souvenirs partout. Elle est remplie essentiellement de... de livres. Cette pièce, nous sommes, elle aussi, à une histoire, puisque la maison a appartenu d'abord à une famille d'artistes, de peintres qui travaillaient à la manufacture de Sèvres à côté. La ville de Sèvres était pleine de peintres partout. Et cette pièce, c'était leur atelier. Donc, il n'y avait pas les murs. C'est une immense pièce mansardée. Et derrière moi... Il y a un grand tableau, une femme nue, une femme à poil, puisque l'artiste Charles à poil, il portait ce nom, il l'a peinte en 1888, il avait donc 27 ans. On peut imaginer qu'il y a eu un lien amoureux entre lui et cette femme. Et le tableau n'a jamais quitté cette maison, elle a été peinte. tableau était peint dans cette maison, dans cette pièce, et elle y est toujours.
- Speaker #0
Il y a des livres, bien sûr, et tout un tas de choses qui lui rappellent sa vie et les gens qu'il a aimés. Des photos et des dessins d'enfants, dont un qui le représente en Superman, et des bibelots, beaucoup de bibelots posés sur les étagères, comme cette collection de réveils et de montres, clin d'œil aux origines suisses de sa mère, ou ce bouclier mérovingien fabriqué par son père, avec des armoiries inventées à partir de leur nom de famille, Volkovitch. En russe, ça veut dire fils de loup Petit, Michel parlait français avec ses parents et russe avec ses grands-parents paternels. C'est à ce bilinguisme originel qu'il doit son goût pour les langues. Il découvre l'anglais à l'école et en fait son métier. Toute sa vie, il l'enseignera au lycée. Mais son grand amour, c'est le grec.
- Speaker #1
Je n'ai aucun lien avec la Grèce, a priori. Ni familial, ni affectif. L'Antiquité m'inspire. respect un peu distant. Je n'aime pas la mer, je n'aime pas le soleil. Bref, c'était mal barré. Mais j'ai décidé, à 30 ans justement, d'aller quand même en Grèce, à Pâques, mais pas à Athènes, tout ça, en Crète, pour avoir chaud, parce que j'avais peu d'étroits. à Pâques 77, Pâques 78 je crois, et donc je me suis dit Pâques 79 on aura bien chaud et avant d'aller en Crète j'ai appris par coeur la méthode Assimil et en arrivant là-bas il y a eu un déclic c'est à dire que je m'entendais avec les gens, ils étaient émus par mon effort linguistique c'est là que tout a démarré Et je me suis mis à apprendre la langue comme un forcené. J'ai commencé à traduire trois ans plus tard. En fait, il n'y avait pas de mystère. Je pense que j'avais besoin de cette nouvelle langue parce qu'on est différent selon la langue qu'on parle. Et apprendre une nouvelle langue, c'est un peu une renaissance. J'étais un peu bloqué peut-être dans mon moi français ou anglais. J'avais toujours ce besoin d'écrire, ce besoin de vivre de façon un peu plus libre, un peu plus large. Justement, la Grèce était bien pour ça, parce que c'est un pays quand même assez spontané. J'étais un peu british, un peu coincé. la Grèce m'a un peu ouvert.
- Speaker #0
Si Michel n'a jamais traduit de russe, c'est que pour lui, le russe était plutôt lié à un milieu familial conservateur, un peu étouffant et poussiéreux, dont il souhaitait s'extraire. Quant à l'anglais, c'est pour d'autres raisons qu'il n'en a jamais traduit. Des raisons linguistiques.
- Speaker #1
L'anglais est d'une rapidité foudroyante. Donc, moi qui suis obsédé par le rythme, la concision, tout ça, je suis toujours largué face à l'anglais. ça va trop vite. Et en même temps, c'est une langue extrêmement nerveuse, vive. Et le français, lui, c'est une langue sérieuse, fine, mais pas très rythmée. L'accent tombe toujours sur la fin des mots et donc sur la fin des phrases. C'est une pleine étale. On a 14 sons vocaliques différents. Le français c'est une espèce de chatoiement en demi-teinte, alors que l'anglais est donc plus rythmé, plus coloré. Alors ça c'est surtout valable pour le grec. Le grec a cinq sons vocaliques seulement. A, E, I, O, U.
- Speaker #0
Donc les voyelles en fait.
- Speaker #1
Oui, mais elle n'a pas tous les voyelles. Il n'y a pas U, il n'y a pas E, il y a O, mais il n'y a pas O. Il y a E, il n'y a pas E, etc. Donc ça donne des couleurs plus vives, plus franches. Et donc la musique n'est pas pareille. Le français est l'une des langues les plus différentes des autres. Une langue un peu à part. Donc, en me traduisant de l'anglais, j'étais très malheureux. Et tenez, un exemple, le mot et en anglais, and, and, and ça rebondit. L'anglais, c'est du trampoline. Et en grec, et se dit ké ké ké ké C'est une petite percussion qui, à chaque fois, relance la langue. En français, et Et c'est un gros mollasson. Alors, et a d'autres vertus, c'est-à-dire qu'il sert à... calmer la phrase, allier des membres de phrases entre eux. Très bien, mais ce n'est pas la même chose, c'est le contraire. Donc c'est ça la difficulté de la traduction, c'est jouer un morceau de musique avec un instrument différent qui ne réagit pas de la même façon. Donc entre l'anglais et le français, grosse incompatibilité, gros handicap. Donc je n'ai pas insisté.
- Speaker #0
L'une des questions que j'ai envie de creuser à travers ce podcast, c'est la porosité entre langue et culture. Et par culture, j'entends la manière de penser, d'agir et de communiquer, propre à une collectivité. J'ai envie de comprendre à quel point une langue, ses sonorités, son vocabulaire, sa syntaxe, peut refléter une culture et dire quelque chose de ses locuteurs. Pour vous donner un exemple concret, l'anglais. Michel nous a dit que c'était une langue extrêmement concise. Et c'est vrai que pour créer de nouveaux mots en anglais, il suffit souvent de coller plusieurs mots ensemble. Par exemple, pour dire boîte aux lettres, au lieu d'utiliser une préposition, comme en français, boîte aux lettres, l'anglais va dire mailbox. Pareil, effet de serre, en anglais se dit greenhouse effect. Il y a dans la langue anglaise une efficacité qui explique peut-être en partie son succès à l'heure du capitalisme et de la mondialisation.
- Speaker #1
Dans quelle mesure la langue grecque reflète le côté spontané et passionné des habitants ? Ce serait difficile à dire, mais on pourrait y arriver. On pourrait dire par exemple que c'est voyelle. en couleurs très pures, très franches, très marquées, ça a quelque chose d'un peu brutal, tranchant. Pour moi, la Grèce est un pays brutal, c'est sûr. Quand on les vit un peu... Ça peut être rude. Ils sont très extrovertis. Il y a toujours des exceptions. Ils s'expriment beaucoup plus, avec plus de violence. Ils vont vous dire plus facilement celui-là, je vais le tuer des choses comme ça. Même si ça se dit aussi ici. Disons qu'il y a quand même une différence. Et on peut rattacher la complexité syntaxique que la... précision syntaxique du français d'un esprit généralement cartésien, mesuré, raisonnable, avec mille exceptions, mais enfin, en gros, c'est ça, quand même.
- Speaker #0
Si la langue est modelée par une certaine vision du monde, le risque, quand on traduit, c'est de faire dévier légèrement le sens, justement parce qu'on s'adresse à des lecteurs différents qui n'ont pas les mêmes références et qui peuvent interpréter différemment certaines situations ou certains propos. Et dans ce cas, Jusqu'où le traducteur peut-il aller pour modifier le texte et éviter ces glissements de sens ?
- Speaker #1
C'est une question très délicate. Je pourrais citer par exemple les polars que j'ai traduits de Marcaris, je continue d'ailleurs, où... On vit vraiment la Grèce d'aujourd'hui, au quotidien. Un grec va dire moi et ma femme par exemple. C'est révélateur d'un certain machisme. Mais en même temps, des gens qui ne sont pas du tout machos vont le dire, entraînés par l'habitude. Donc, moi, quand je traduis... il faudra que je détermine si il faut faire apparaître le machisme du personnage, donc je garde moi et ma femme, ou si je dois corriger pour être plus juste. Cet homme, sa femme, il la considère comme inégale, simplement il s'est laissé entraîner par le langage. Donc à ce moment-là, je mettrai ma femme et moi. Et c'est délicat. Le problème que j'ai eu avec les correctrices du Seuil, par ailleurs, excellente, très respectueuse à mon travail, c'est le tutoiement. Le grec tutoie plus facilement. Et il peut passer du tu au vous très facilement aussi.
- Speaker #0
Déjà, c'est intéressant de savoir,
- Speaker #1
il y a un vous en grec. Il y a un vous, il y a un tu. Et ils en jouent différemment de nous. Alors, les correctrices me demandent, qu'est-ce qu'on en fait de ça ? Je leur dis, si le commissaire tutoie l'accusé, personne qui l'a arrêté, je préfère qu'on le garde, parce que c'est un trait de civilisation, ça ne marque pas son mépris, c'est comme ça. Et si on passe du tu au vous, je sais que ça choque votre cartésianisme, mais je préfère qu'on le garde aussi, pour montrer justement que les Grecs ne sont pas cartésiens. Donc c'est un trait de civilisation, là, et bon, je pense qu'il faut le garder. Maintenant, c'est au coup par coup. Et il est bon de se reposer la question chaque fois qu'il y a un passage du Tu-Ou-Vous. Il faut à chaque fois essayer de sentir ce qui se passe. Essayer toujours de donner du texte une image la plus fidèle possible. Ce n'est pas la fidélité, ce n'est pas le mot-à-mot, c'est l'esprit. La difficulté essentielle en passant du grec au français, c'est la diglossie du grec moderne. À savoir qu'il y a deux états de la langue actuellement. Il y a la langue démotique, celle que tout le monde parle, et puis la langue savante ou langue pure. qui a été très longtemps la langue officielle. Cette langue savante, elle a été imposée par les lettrés, essentiellement au 18e, 19e siècle. Et donc, quand on est arrivé au 20e siècle, jusque après la dictature, la fin de la dictature, c'est-à-dire en 75, jusqu'en 75, la langue officielle était cette langue savante, donc les journaux étaient écrits dans cette langue. et l'enseignement se faisait dans cette langue. C'est-à-dire que les Grecs de mon âge parlaient une langue et on apprenait une autre dans les cours de français. Leur grammaire, c'était en langue savante.
- Speaker #0
C'est très différent les deux ?
- Speaker #1
C'est-à-dire qu'en fait, c'est surtout lexical. Chaque mot a deux versions. la syntaxe est un peu plus compliquée, c'est-à-dire qu'en langue savante, on a gardé des tournures avec le génitif qui n'existe plus en langue démotique. Mais quand on n'a pas appris cette langue, on a du mal. Et alors, le problème pour un traducteur, c'est que dans les textes d'aujourd'hui, encore, il y a des passages en langue savante. Alors, il y a une difficulté de compréhension, mais ça, avec un peu d'apprentissage, on y arrive. Il y a une difficulté pour rendre cette différence. Parce que le français, lui, c'est comme un piano face à un orgue qui a plusieurs registres, plusieurs jeux, deux claviers déjà. Comment faire ? C'est là évidemment que ça devient passionnant, parce qu'on peut jouer sur le lexique, mais pas toujours. Par exemple, en français, on a raid et roide des choses comme ça, mais c'est très ponctuel. Donc, en faisant sentir qu'il se passe quelque chose, qu'il y a quelque chose d'archaïque, alors ça peut être une syntaxe un peu plus embrouillée, ça peut être des… des imparfaits du subjonctif, des formes un peu vieilles. Et on peut jouer aussi sur les rythmes. Par exemple, prendre des rythmes un peu plus carrés, un Alexandrin caché, ce qu'on appelle un ver blanc, glissé, qui va donner quelque chose d'un peu solennel, un peu pompeux. Et c'est toutes ces petites tricheries qui font le charme de la traduction.
- Speaker #0
Oui,
- Speaker #1
c'est ce que vous appelez les tricheries heureuses. Les tricheries heureuses, on n'arrête pas de tricher. Si on compare une traduction, surtout une bonne traduction, et l'original, on s'aperçoit que le traducteur, il a toujours légèrement modifié pour que ça passe, parce que ça ne passe jamais tel quel. Donc, on ne traduit pas des mots, on ne traduit même pas des phrases. on traduit des émotions, on traduit des sensations. Ce qui fait qu'on est obligé de modifier, de trahir apparemment pour être plus fidèle. Alors là, il y a des exemples. très très très simple et très parlant. J'ai une consoeur qui traduit du portugais et qui trouve une montre religieuse dans un texte. La montre religieuse en portugais n'a pas le même sens qu'en français. C'est vraiment une femme qui prie, ce n'est pas la prédatrice. Donc pour rendre les faits, elle a traduit la montre religieuse par la coccinelle, la bête à bon dieu. Évidemment, elle s'est fait taper sur les doigts par un prof de fac.
- Speaker #0
Il n'avait pas saisi.
- Speaker #1
Il n'avait pas saisi. Mais la traduction, c'est ça tout le temps. On est dans la bête à bandieux.
- Speaker #0
Un jour, une amie de Michel lui envoie une nouvelle, écrite par un auteur grec contemporain. Michel est tellement envoûté par ce texte qu'il le traduit, puis réussit à le faire publier dans Le Monde. C'est le début de sa carrière, une carrière qu'il a toujours menée à côté de son métier de prof d'anglais. Depuis 40 ans, Michel traduit des romans, du théâtre et surtout de la poésie. Il dit que la poésie, c'est le langage en habit de fête. C'est là que les sonorités sont les plus riches et que la gymnastique de la traduction devient véritablement acrobatique. Il a d'ailleurs longtemps enseigné la traduction des vers. à l'université Paris 7 aux élèves du master de traduction littéraire.
- Speaker #1
Alors on pourrait se dire Quoi ça va servir ? Moi je ne vais jamais traduire des vers, je vais traduire la prose. Mais non, qui peut le plus peut le moins. Donc quand on a bien compris comment ça se passe dans les vers, on sent mieux les rythmes de la prose aussi. Donc je commençais par leur faire par exemple corriger des vers faux. Je leur donnais des vers qui étaient trafiqués. Il fallait reconnaître le vers qui ne sonnait pas bien, une syllabe en trop, ou pas assez. Et à force, on espère que l'oreille va se former et qu'on va trouver les bons rythmes. Un autre exercice, le compte à rebours. Je leur donne un alexandrin, 12 syllabes, et il faut le réécrire en 11 syllabes. Mais en l'abîmant, il n'est pas possible. Alors, où est-ce qu'on va couper ? Dans le premier hémistiche ou le second ? Je peux vous raconter plus en détail parce que c'est marrant. Je leur dis d'abord, je vais vous aider. Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là. Pour l'abîmer le moins possible, vous allez toucher au premier hémistiche ou au second ? Alors, on a diverses réponses. Finalement, quelqu'un donne la bonne réponse. Je vais abîmer le premier parce qu'il vaut toujours mieux bien terminer. Il vaut mieux mal commencer et bien terminer que bien commencer et se casser la gueule à la fin. Excellent. C'est un principe de base en traduction, en écriture. Le meilleur pour la fin. Surtout en français. Parce que dans d'autres langues, c'est différent, parce que l'accentuation change. En français, on est tellement habitué à mettre l'accent à la fin que c'est valable pour le mot, pour la phrase, pour un livre entier. Ah, très bien, très bien. Et ensuite, je leur dis, bon, maintenant vous avez compris, je vais vous donner un autre exemple. Sois sage, oh ma douleur, et tiens-toi plus tranquille. Alors évidemment, docilement, ils essayent d'abîmer le premier hémistiche, et puis évidemment, c'est raté. Et très souvent, il y en a un qui dit moi, je vais toucher au second Je dis ah bon, tu as désobéi ? Eh bien, tu as bien fait ! J'aurais tendu un piège, bien sûr, parce qu'il y a toujours une exception. C'est ça qu'il faut aussi leur apprendre. Sois sage, oh ma douleur c'est le moment fort du vers. C'est là où il y a la musique la plus belle. Sois sage, oh ma douleur avec sa douceur. Et tiens-toi plus tranquille c'est un petit peu plus impératif, les consonnes sont un peu plus martelées. Et puis, on peut... plus facilement l'abîmer. Soit ça, je me douleure. Alors là, quelqu'un dit, tiens-toi tranquille. Parce que je leur ai dit précédemment que je n'aimais pas et. J'en dis, oui, c'est possible. Puis là, il y a quelqu'un qui dit, oui, moi, je garderais bien et. Et tiens-toi tranquille. Il dit, ah bon, pourquoi ? Parce que... on est là dans une logique de douceur, ce vers c'est une espèce de massage verbal, on aplanit et donc le et il sert de liant, il est doux. Tu dis bravo. C'est passionnant. Et c'est comme ça qu'on apprend.
- Speaker #0
Michel traduit de la poésie pour plusieurs éditeurs avant de fonder sa maison d'édition en 2013, Le Miel des Anges. Derrière ce nom, il y a un roman, de Vangelis Adzianidis, que Michel a traduit en 2004. pour les éditions Albain Michel.
- Speaker #1
Ce n'est pas moi qui ai trouvé le titre, j'aurais bien voulu. Une histoire folle, avec du miel dedans, beaucoup. Et quand il a fallu trouver un nom pour ma maison d'édition, j'ai pensé au Miel des Anges. Donc j'ai piqué ce titre qui, pour moi, évoquait bien mon travail de traducteur. Parce que... Le miel, on comprend tout de suite, c'est précieux, c'est savoureux. Et l'ange, en fait, ça a l'air un peu prétentieux, mais un ange, c'est un serviteur, un messager. L'auteur étant Dieu, le traducteur, c'est l'ange, le messager de Dieu, qui apporte le texte à d'autres personnes. En même temps, ça sonne bien, quoi. C'est deux mots assez... assez positif quand même. L'image est favorable.
- Speaker #0
C'est dans un recueil publié au Miel des Anges que Michel a choisi le texte qu'il va nous lire maintenant, d'abord en grec, puis dans sa traduction en français. Si vous souhaitez avoir le texte sous les yeux pendant que Michel le lit et le commente, vous pouvez le trouver en VO et en VF sur le site langalang.com ou sur les pages Facebook et Instagram du podcast.
- Speaker #1
J'ai choisi un poème qui est en même temps une chanson, mais je ne fais pas de différence entre l'un et l'autre. Une chanson pour moi c'est un poème, j'adore les chansons, et j'en ai beaucoup beaucoup traduit. C'est tiré d'un recueil de chansons officiellement d'Odyssée à Sélitis, qui est l'un des deux prix Nobel grecs du XXe siècle, donc une star dans son pays, un poète qui est... connu pour son attachement à la Grèce que nous connaissons le mieux, c'est-à-dire la Grèce solaire, les îles, la mer, le soleil, les femmes, l'amour. Parce que ça existe aussi, il y a énormément d'autres choses en Grèce, mais cette Grèce-là existe, ce n'est pas simplement un cliché pour touristes. C'est une Grèce qu'il a absolument magnifiée. Il l'évoque de façon admirable, mais en même temps il y a pas mal d'autres choses chez Littis. L'un de ses plus beaux poèmes, Les élégies d'Oxopetra c'est un recueil imprégné de romantisme allemand et de mélancolie. Donc, ce poème chanson. Les roues, le couteau, son pédale. J'ai trouvé sa zone, j'ai trouvé à un côté une pierre visible qui ressemblait à des dents.
- Speaker #0
Je les ai reçues les unes par les autres et je les ai gardées. Et je lui ai dit, Où est-elle ? Où est-elle ? Je l'ai sous-déclatée. Je l'ai vue passer par les vagues. L'autre jour, par les mémoires. La troisième nuit, j'ai perdu ses rêves. Dans les ciels, sonne ses lumières. Donc c'est l'histoire d'une femme cycliste que le poète cherche. Il ne la voit plus, mais il retrouve ses traces, son panier, divers objets du vélo. Elle a disparu. Et puis à la fin, il la voit passer au-dessus des vagues, passer au-dessus du cimetière. Et il voit ses phares s'allumer, donc les étoiles. Et en fait, c'est un poème funèbre, puisque cette femme, on devine qu'elle est morte. Et alors, en français, ça donne En bord de mer, j'ai marché sur la piste Que parcourait tous les jours la cycliste J'ai retrouvé les fruits de son panier Le bracelet tombé de son poignet J'ai retrouvé sa sonnette, son châle Sa roue avant, son guidon, sa pédale, et aussi sa ceinture, et une pierre, telle une larme on voyait au travers. J'ai ramassé son fourbi pêle-mêle et me disais Où est-elle ? Où est-elle ? Un autre jour, je l'ai vue à vélo, qui passait sur la mer sans toucher l'eau, puis, à la nuit tombante au cimetière, j'ai vu au ciel s'allumer ses lumières. donc je l'ai traduit en décasyllabes, ce qui correspond à peu près au rythme grec, mais pas exactement, le nom de syllabe n'est pas tout à fait le même, avec des rimes, ça rime par deux, ce sont une série de dystiques. Et je choisis toujours ce poème pour mes exercices d'une part parce que je le trouve splendide dans sa simplicité absolue, cette mort et en même temps cette transfiguration c'est merveilleux d'une certaine façon et en fait il y a quelque chose qui est parti à la traduction c'est d'une autre version que dans laquelle je rétablis, j'ai traduit par un autre jour. Et en fait, c'est dans l'original le troisième jour. Troisième jour, allusion à la résurrection du Christ, évidemment. Donc, dans une autre version, c'est deux jours après, puisque du vendredi au dimanche, il y a deux jours. Malheureusement, je n'ai pas pu placer le troisième jour, qui aurait été plus explicite. Mais ça pourrait être deux jours après, je l'ai vu à vélo.
- Speaker #1
Pourquoi vous n'avez pas pu passer le troisième jour ?
- Speaker #0
Le troisième jour, j'avais une syllabe de seconde.
- Speaker #1
Mais on ne pourrait pas faire l'élision du e Je ne m'autorise pas.
- Speaker #0
Alors, la règle du jeu, quand on traduit de la poésie, elle varie selon les textes. On ne respecte pratiquement jamais toutes les règles de la versification classique. Mais dans ce recueil, j'ai choisi... de préserver la règle de le muet prononcé. Bon, ce n'est pas trop grave non plus, deux jours après, tant pis. De toute façon, même en grec, l'allusion n'est pas vraiment très voyante, flagrante. Et puis, quand on analyse la traduction, c'est intéressant aussi parce qu'il y a certains passages où ça vient tout seul. Sa roue avant, son guidon, sa pédale. Dans l'original, c'est les roues, le guidon, la pédale. Bon, ce n'est pas grave du tout. Ça ne change rien, évidemment, ce changement-là. Mais alors, j'ai eu beaucoup de mal avec les quatre derniers vers où il a fallu que je déplace les éléments. pour arriver à tout faire caser. Et puis, il fallait que ça arrive en plus.
- Speaker #1
Par exemple, vous pouvez nous les relire, les quatre vers en grec,
- Speaker #0
les quatre derniers là ? Je peux vous donner le mot à mot ? des quatre derniers vers, ça donne la troisième nuit, dans le troisième jour, la nuit est tombée, j'ai perdu ses traces, dans les cieux se sont allumées ses phares. Donc les phares sont devenus lumière et j'ai réintroduit le cimetière pour rimer avec lumière. alors qu'il n'est pas présent dans ces deux derniers vers. Il y a juste les tombes dans le vers précédent, et j'ai rajouté, parce qu'il fallait faire rimer vélo et l'eau, et le vélo n'est pas présent dans le grec, et l'eau non plus d'ailleurs. Ben oui, c'est le genre de... d'acrobaties qui sont parfois nécessaires.
- Speaker #1
Odysseas et Lytis a 60 ans quand il publie L'ère d'Eros, le recueil dont est extrait La Cycliste. Il est reconnu en Grèce et à l'étranger pour ses grands poèmes lyriques très sérieux. Alors, ces petites chansons qui font penser à des comptines pour enfants, ça désarçonne un peu la critique. La réception en France est assez froide. Je me suis demandé à quel point ça pouvait être lié au rapport qu'entretiennent les Français avec la poésie et à quel point il est différent de celui des Grecs.
- Speaker #0
Je pense que le Français, d'une manière générale, malgré la richesse de sa poésie, n'a pas la tête poétique. On est trop rationnel. On réagit toujours... de façon logique, le roman ça nous convient bien, les romans et les essais. Le grec, lui, il est dans le spontané, la passion, les textes brefs, plutôt brefs, ils sont très forts pour la nouvelle, et la poésie c'est justement l'expression direct, passionné, ça leur vient naturellement. Je vois des amis grecs qui ne sont pas poètes, qui ne publient pas, mais qui de temps en temps écrivent de la poésie. Ils peuvent se faire des déclarations d'amour en poème. Ce qui, quand même, est devenu rare ici. Je n'ai pas d'amis français qui écrivent de la poésie, ou du moins qui l'admettent. Dans l'adolescence, peut-être. Mais après, non. Alors qu'en Grèce, ça arrive.
- Speaker #1
C'est étrange, parce que, en tout cas, ce que vous disiez sur le français, qui est très minutieux, précis... Ça irait bien justement avec une forme courte qui un peu magnifie le détail, la précision.
- Speaker #0
Oui, mais notre minutie, elle sert à agencer de grandes machines complexes. Il y a aussi des explications historico-sociologiques. Le roman... est née dans une société bourgeoise organisée. La poésie, elle est plus primitive. Et la Grèce n'a pas eu la Renaissance, n'a pas eu de révolution industrielle, tout ça, jusqu'à très peu de temps, c'était un pays... paysans, avec très peu d'élite. Donc, la voix du peuple, ça a été la poésie. Les chants populaires dont je vous parle ont été la seule forme littéraire pendant des siècles. Et ça reste très vivace. Puis moi, j'ai quelques exemples comme ça de la vie quotidienne. Je vois, par exemple, j'ai rendez-vous avec... Kiki Dimoula, qui a été la grande voix poétique de ces dernières années, elle est morte maintenant. J'ai rendez-vous avec elle au Grand Hôtel du Centre d'Athènes. Elle arrive, on va travailler dans le... dans l'un des salons, et il y a une employée de l'hôtel qui s'approche d'elle et qui dit Madame Dimoula, on aurait tellement ému de voir ici, est-ce que je peux vous serrer la main ? Vous imaginez maintenant, par exemple, Yves Bonnefoy dans un grand hôtel parisien salué par le personnel, non ? Bien sûr. Et une autre fois... Je déjeune au restaurant et il y a l'un des serveurs qui voit que j'avais un livre de poésie. Il me dit Tu lis de la poésie ? Je lui dis Oui, j'en traduis, mais attends. Il va derrière le comptoir, il sort un cahier et me dit Tiens, ça c'est les poèmes que moi j'écris, lis. C'est une fréquentation quasi quotidienne. Voilà. Ils ont ça dans le sang. La poésie, c'est leur langue maternelle.
- Speaker #1
C'était le troisième épisode de Langue à langue. Et je remercie infiniment Michel Volkovitch d'y avoir ouvert une si belle fenêtre sur la langue et la poésie grecque. Je vous rappelle qu'ensemble, nous nous sommes penchés sur La Cycliste, un poème d'Odyssée Asselitis, issu du recueil L'Ère des Rosses, paru au Miel des Anges en 2018. Vous pouvez retrouver ce poème en grec et en français sur le site langalang.com ou sur les pages Facebook et Instagram du podcast. Langa Lang est un podcast de Margot Grélier, c'est moi. L'identité sonore et graphique sont signées Studio Pile. et le montage-mixage a été réalisé par Nathan Luyer de La Cabine Rouge. Pour nous soutenir, il n'y a rien de mieux que de vous abonner au podcast, de lui donner 5 étoiles et de laisser un petit commentaire, tout ça sur votre plateforme d'écoute préférée. Vous pouvez aussi nous suivre sur Facebook et sur Instagram, et bien sûr, n'oubliez pas d'en parler autour de vous. Je vous donne rendez-vous dans 3 semaines pour parler non pas d'une, mais de 4 langues, des langues extrêmement proches, qui revendiquent pourtant leur différence, et cela à cause de l'histoire de leur région. Le bosnien, le croate, le monténégrin et le serbe. Un épisode qui s'annonce passionnant avec la traductrice Chloé Billon. Au revoir, ou comme on dit en grec, adiosas.
- Speaker #0
Et donc là, c'est l'entrepôt du Miel des Anges. Ah oui. Donc, théâtre, poésie, prose. Ah oui. Alors, qu'est-ce que je pourrais donner ? Je vais vous donner de la prose. Je vais vous donner un peu de poésie aussi. Voilà, je suis bien installé, enfin, de la place. Alors ça, c'est Elitis, le fameux. Et je vais vous donner Vajenas aussi. Vajenas, aucun succès. Il y a des petites personnes qui l'achètent. Je ne veux pas exister. Alors, Vajenas, c'est un type qui a mon âge. J'aime beaucoup et en particulier, il y a des poèmes en vers qui sont drôles et brillants. Merci. C'est plutôt moi qui remercie, à la mesure où vous allez les lire quand même. Je dis toujours, au début, je pensais vendre le livre. Maintenant, j'en suis à les donner. En espérant qu'on les lira. Et bientôt, je paierai les gens qui les lisent. On n'en est pas là. Désolé.