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Papillon, néologismes et chef-d'œuvre brésilien

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46min |03/12/2024
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46min |03/12/2024
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Description

Mathieu Dosse me reçoit chez lui, à Charenton, en banlieue sud-est de Paris, tout près de chez Marie Vrinat-Nikolov, que vous avez entendue dans l’épisode 2. Français par son père et brésilien par sa mère, Mathieu traduit le portugais du Brésil depuis une dizaine d’années.

Dans la petite cuisine jaune de son appartement, il m’a parlé de l’argot des favelas de Rio, de la plasticité de la langue brésilienne, de sa rencontre avec l’écriture du grand écrivain João Guimarães Rosa et des défis qu’elle pose aux traducteurs.

Mathieu m’a d’ailleurs lu un extrait de l’une de ses nouvelles, d’abord en VO puis en VF, pour vous permettre d’apprécier la beauté de sa langue si particulière, et les complexités de sa traduction. Cette nouvelle s’appelle « Mon oncle le jaguar » et elle est extraite du recueil Mon oncle le jaguar & autres histoires, publié en 2016 aux éditions Chandeigne.

Mathieu est un amoureux des livres, des mots et de la traduction. J’espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à l’écouter, et que cet épisode vous fera voyager au Brésil, des collines de Rio aux forêts luxuriantes du sertão !

 

➡️ Retrouvez tous les textes lus dans le podcast (en VO et VF) sur languealangue.com et sur les réseaux sociaux (@languealangue sur Instagram). Soutenez-nous en nous laissant des étoiles et un commentaire, et surtout, parlez-en autour de vous !

 

Langue à Langue est un podcast de Margot Grellier

Musique et graphisme : Studio Pile

Montage/mixage : Nathan Luyé de La Cabine Rouge


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Oui, bonjour Mathieu, c'est Margot.

  • Speaker #1

    Bonjour, à tout de suite.

  • Speaker #0

    C'est magnifique de voir un seul texte en plusieurs langues. C'est un texte qui voyage d'une langue à l'autre. C'est comme un oiseau qui saute d'une branche à l'autre. Et en même temps, le texte original est comme le tronc de l'arbre, et chaque livre est une branche dans ce même arbre. C'est dans ces mots que le poète libanais Issa Maqlouf parlait de traduction. C'était sur France Culture, en décembre 2013, dans l'émission Ça rime à quoi ? Et ces mots, ils me font penser à Mathieu Doss, le traducteur du portugais que vous allez entendre dans cet épisode. Mathieu est français par son père et brésilien par sa mère. Il traduit le portugais du Brésil depuis une dizaine d'années, mais avant, il a étudié la littérature comparée. Il s'est spécialisé dans l'œuvre du grand écrivain brésilien Joao Guimaraes Rosa et dans l'étude de ses différentes traductions, un peu comme l'oiseau qui saute de branche en branche sur l'arbre d'Isamaclouf, si vous me suivez. J'ai eu la chance de passer quelques heures avec lui en mars dernier, dans la cuisine de son appartement. Mathieu vit à Charenton avec sa femme et sa fille, en banlieue sud-est de Paris, à deux pas d'ailleurs de chez Marie-Vrina Nikoloff, la traductrice du bulgare que j'avais rencontrée pour le deuxième épisode de Langue à langue. Ensemble, on a discuté de l'argot des favelas de Rio, de la plasticité de la langue brésilienne, de l'amour de Mathieu pour les livres et des changements dans sa façon de lire depuis qu'il est devenu traducteur. On a parlé aussi de sa rencontre avec la langue si particulière de Guimaraes Rosa et des défis qu'elle pose au traducteur. Vous l'entendrez, Mathieu est passionné. Il aurait pu parler des heures encore. J'espère que cette passion vous cueillera, vous aussi, et qu'elle vous transportera un peu au Brésil le temps d'un épisode. Je suis Margot Grellier et vous écoutez Langue à langue, épisode 5, Papillon, néologisme et chefs-d'œuvre brésiliens avec

  • Speaker #1

    Mathieu Doss. Langue

  • Speaker #0

    à langue.

  • Speaker #1

    Lingua lingua. bonjour merci beaucoup de m'accueillir bonjour enchanté flambeau mal à la main oui d'accord là on est dans la cuisine parce que c'est le seul endroit où on peut fermer une porte dans cet appartement ce qu'on a même pas de temps macho à la chambre de ma fille où il ya une porte est ici Donc c'est une cuisine jaune avec un frigo gris qui fait un peu de bruit. Et il y a un café qui est préparé. Et on est au huitième étage dans un immeuble de Charenton. Vous avez vu la vue qu'on a ? C'est un immeuble qui nous permet d'avoir une vue assez panoramique sur tout Charenton et un peu Paris. Les tours qu'on voit là-bas,

  • Speaker #0

    c'est

  • Speaker #1

    Montreuil. Là-bas, c'est Montreuil. Là-bas, c'est le zoo de Vincennes. La grande... On appelle ça... L'autre jour, je cherchais un mot pour décrire ça. C'est pas évident, parce qu'en portugais, il y a un mot, on appelle ça une pierre, une pèdre. Mais là, je cherchais le mot pour ça, et je cherche encore. Le grand truc, cette grande butte, je sais pas comment on appelle ça, qui est au zoo de Vincennes et qui a été construite artificiellement, c'est pas du tout naturel, ça a été construit pour... pour abriter les... Le rocher. Le rocher, voilà. Le rocher, le rocher. Mais à Rio, il y a plein de grandes favelas. Elles sont sur des buttes. Pour l'instant, je n'ai pas trouvé d'autres mots. Mais on appelle ça mort. Et Rio est plein comme ça de rochers qui sortent de l'eau, d'autres dans les montagnes. Donc, en fait, le seul mot qui est vraiment... qui décrit ça en français, c'est un mot des Antilles, parce qu'aux Antilles, il y a ça aussi. C'est le mot morne. Mais personne ne connaît, alors c'est un peu le mot épicé, c'est très intérieur. Là, je cherchais un mot très courant dans mon langage. Donc là,

  • Speaker #0

    vous n'avez pas entendu par but.

  • Speaker #1

    Pour l'instant, j'ai gardé but, parce que codine, ça donne l'idée d'une codine verdoyante. Ce n'est pas du tout ça, c'est vraiment une croissance du sol qui monte.

  • Speaker #0

    Quand je l'ai rencontré, Mathieu était en plein dans la traduction d'un roman de Giovanni Martins, un jeune auteur originaire des favelas de Rio, dont les livres ont énormément de succès au Brésil aujourd'hui. Dans ses livres, justement, Giovanni Martins reprend le langage très particulier des favelas, ce qui, évidemment, pour Mathieu, représente un vrai défi de traduction.

  • Speaker #1

    Il fallait faire une équivalence parce que ce n'est pas une vraie équivalence. Je ne pense pas qu'il y ait une équivalence entre le parler des favelas et celui des banlieues françaises. C'est pas vraiment la même chose, mais comme il y a plein de points communs quand même, il y a plein de choses qui sont... En fait, on retrouve des... Ils écoutent la même musique, ils s'intéressent aux mêmes choses. Et donc j'ai transcrit ça dans un français de la banlieue de Paris, mais mélangé avec le passé simple, mélangé avec un langage assez soutenu, ce qu'il fait en portugais, donc ça donne un effet assez… Je ne sais pas si ça va marquer ou pas, mais pour l'instant, je n'ai jamais pris autant de plaisir à traduire un livre, je crois. C'est vraiment… C'est assez passionnant de mélanger l'argot le plus… Vraiment, je cherche des mots vraiment que je ne connais pas. Il y a des dictionnaires d'argot des banlieues, et j'essaie vraiment de trouver des mots qui ne sont pas connus, pas juste des mots qu'on connaît aujourd'hui comme… Je ne sais pas qui fait, je l'emploie bien sûr, mais qui fait le Somme. Alors avoir le Somme, je n'ai pas osé l'utiliser, mais peut-être j'ai le de faire. Il y a des mots que ma fille ramène de l'école. Ce sont des mots qui sont passés dans le langage courant. Mais de trouver des mots vraiment rares et que je ne connaissais pas. Et mélanger ça avec un langage tenu. Ce qui est dur à faire, c'est qu'il ne faut pas que ça soit trop caricatural. Et là, c'est trouver le juste milieu entre un texte qui se prête à une lecture. en fait orale quand même il ya beaucoup d'oralité mais qui sont pas caricatural c'est ça qui est dur comme et puis tout le monde tout le monde de la drogue aussi c'est pas évident à traduire parce qu'il parle beaucoup de fin c'est un livre lui le cannabis en particulier la bce à marconi c'est c'est omniprésent dans le livre c'est ça pour toutes les pages il en parle il ya une fascination pour ça il fallait donc il faut traduire ça aussi en français ce qui Ça demande de connaître un peu le milieu. Donc je fais des reflets, j'ai des amis, de temps en temps, j'appelle des amis, je dis mais comment on dit, je suis en train de chercher, comment on dit un point de deal ? Et je suis sûr qu'il y a un autre mot. Alors il y a le mot charbon Le mot charbon c'est employé par les trafiquants, parce qu'ils vont au charbon, c'est là où ils vont gagner de l'argent. Donc ils emploient le mot charbon J'ai discuté avec des amis qui s'y connaissent un peu. Et voilà, j'ai cherché dans les dictionnaires, passé du temps sur Internet, écouté des choses. chansons, voir des films, lire des livres et tout ça fait qu'au bout d'un moment on trouve quelque chose. Et de toute façon il faut que ça soit littéraire, c'est pas juste trouver... Quand il écrit en portugais en tout cas, Martins, il a un plaisir d'écrire, à parler de sa favela... C'est rare de voir autant de plaisir, même si c'est un monde assez dur. Ils parlent aussi de la difficulté même de manger. Parfois, ils n'ont pas d'argent même pour acheter un hamburger ou quoi que ce soit. Mais il y a un plaisir à écrire. Il faut rendre ce plaisir-là en français, dans un français très rapide, très facile à lire, mais en même temps avec plein de petits mots comme ça, de temps en temps, qui viennent perturber la lecture pour qu'ils ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    À ce vocabulaire issu de l'argot, Mathieu mêle des tournures plus soutenues et du passé simple. Un mélange inattendu qui lui permet de se rapprocher de l'effet produit par la langue de Giovanni Martins.

  • Speaker #1

    En discutant, il est venu à Paris, Giovanni Martins, et on s'est rencontrés. Et on parlait de comment il écrivait. Il m'a dit, mais je fais ça parfois, j'écris dans un langage neutre, enregistré, normal. Et puis, de temps en temps, je mets un mot. de la banlieue, de la favela, comme ça, en plein milieu. Je lui dis Ah oui, d'accord. Et en le lisant, je dis Oui, voilà, c'est ça qu'il fait, en fait. Quand c'est des dialogues, là, c'est complètement oral, donc il n'y a pas de mots sous-nus. Mais quand il écrit... Et puis même, en fait, c'est ce qui marche le mieux en français. Je me suis rendu compte, le passé... Je ne sais pas si d'autres traducteurs vous ont parlé de ça, mais le champ entre passé simple et passé composé, pour moi, c'est... Parfois, je suis au milieu du livre et je me dis, mais il faut tout refaire au passé composé, ou tout refaire au passé simple. Et en fait, maintenant, je mélange les deux, j'arrive à le faire parce que je me suis un peu... Voilà, j'ai de la bouteille, comme on dit, et je sais mélanger. Donc je mélange les deux, mais comme Camus, Albert Camus, le fait de... en étranger, il s'est écrit au passé composé, mais dans un temps, il met du passé simple aussi. En fait, les auteurs français se permettent de faire ça. Je me dis, si les auteurs se permettent de faire ça, pourquoi est-ce qu'on ne se permettrait pas aussi de le faire comme on est traducteur ? Il n'y a pas de passé simple, de passé composé en portugais, mais il y a un registre neutre, soutenu, neutre. Et c'est ce registre-là que j'essaie de reproduire. J'ai fait des essais avant de commencer à traduire. Je ne sais pas si vous voyez. Qu'est-ce qui marche le mieux ? Qu'est-ce qui rend la langue la plus lisible ? Mais pas dans le sens facile, pas dans le sens de lecture facile, mais dans le sens de ce qui fait pétiller la langue. C'est ça que je cherche, c'est comment rendre la langue la plus pétillante possible au français.

  • Speaker #0

    Quand il traduit, Mathieu aime se replonger dans la langue de certains auteurs pour s'en inspirer et alimenter sa propre écriture. Parfois ça marche, parfois moins, ça fait partie de son processus de traduction. Comme beaucoup de traducteurs, Mathieu est un très grand lecteur, mais son rapport à la lecture a pas mal évolué depuis qu'il traduit.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si c'est votre cas, mais j'avais un peu cette idée qu'il fallait finir les livres. Donc, quand je disais, je disais non, je commence un livre, je vais le finir, je vais aller jusqu'au bout, parce que c'est un engagement. Et maintenant, je n'ai plus le temps de faire ça, donc je lis des livres. Quand j'aime, je vais jusqu'au bout, mais parfois, je dis juste 50 pages et c'est suffisant pour ce que j'ai. J'ai un peu perdu cette... Je n'ai plus le temps de faire la sélection de temps, je n'ai plus le temps de lire tout. Mais il faut aussi, je pense, donner un peu de temps aux livres qu'on lit. Ça, c'est quelque chose que je... Je soutiens, il faut vraiment... On ne peut pas abandonner un livre au bout de trois pages. Je ne sais pas si c'est pas bien. Je pense qu'il faut vraiment essayer de se donner un peu de temps au livre, de donner le temps à l'habituation, à ce qu'on comprenne, même si le livre n'est pas bien. Après, il ne faut pas se forcer non plus, parce que ça ne sert à rien de dire... Je me souviens de l'expérience que j'avais eue avec Ulysse, que j'avais eue avec Ulysse de Joyce. J'avais essayé de le lire dans une première traduction. C'était difficile, je ne comprenais pas ce qui se passait. Et après, je me suis dit, non, mais bon, j'ai laissé tomber. Puis je l'ai relu dans une nouvelle traduction, dont Tiffaine Samoyaud, ma directrice de thèse, elle avait traduit deux épisodes, je crois. et là ça a été passionnant c'était une des plus grandes lectures que j'ai eues j'ai adoré ce livre mais cette idée du temps à l'habituation je pense que c'est vraiment important de donner un peu de

  • Speaker #0

    temps à un livre qu'on ouvre Est-ce que vous pensez aussi qu'il y a des rendez-vous avec des livres ? Par exemple, la première fois que vous avez essayé de lire le livre,

  • Speaker #1

    ce n'était pas le moment. Oui, tout à fait. Je pense que dans notre vie de lecteur, il y a des moments où... Et puis après, peut-être qu'il y a des auteurs... Moi, je n'ose plus lire Nabokov. Par exemple, j'ai lu Hadda quand j'avais 20 ans. C'était un tel choc. Moi, ça a été un des plus grands chocs que j'ai eu en littérature. Je suis incapable d'ouvrir le livre. Je l'ai dans ma bibliothèque et je ne veux pas l'ouvrir. Je n'ose pas l'ouvrir, en fait. Parce que j'ai eu déjà Nabokov. Ça a été un auteur qui me passionnait quand j'avais 20 ans. Et peut-être que maintenant... le rendez-vous il est passé aussi ça a été un rendez-vous et si je l'avais découvert maintenant peut-être que j'aurais pas eu je dis ça parce que je sais qu'il y a des amis qui disent non mais moi j'aime pas Nabokov je comprends pas, j'aime pas du tout et je dis bon peut-être que le rendez-vous a été manqué tout simplement et qu'il y aura pas d'autres chances et après il y a des auteurs que je sais pas si c'est votre cas mais il y a des auteurs que moi je relis c'est Borgès par exemple c'est un des auteurs que je peux relire depuis que j'ai 20 ans je le relis régulièrement et j'ai toujours autant de plaisir à le lire... Je connais tout, mais il vieillit bien avec moi.

  • Speaker #0

    Avec les livres, il y a les rendez-vous passés, les rendez-vous manqués, les rendez-vous réguliers, et puis il y a les compagnons d'une vie, ceux qu'on rencontre une fois et qu'on ne lâche plus, ceux dont la langue provoque un étonnement permanent. Pour Mathieu, ce compagnon d'une vie, c'est Diadorim en français, c'est l'unique roman de Joao Guimaraes Rosa, l'un des plus grands écrivains brésiliens du XXe siècle. Mathieu y a consacré sa thèse et une grande partie de son travail de traducteur. Et pourtant, entre Guimaraes Rosa et lui, ça n'avait pas si bien commencé.

  • Speaker #1

    Je devais avoir 20 ans. Et ma tante m'avait tendu un livre en disant, ah ça c'est magnifique, c'est la grande littérature brésilienne, il y avait un buzz sur la couverture, je me souviens. Et j'ai lu quelques lignes, j'ai dit mais c'est pas possible, on peut pas faire comme ça, c'est du... je n'aime pas du tout. Je l'ai mis de côté, mais vraiment... avec un mépris incroyable, j'ai mis ce livre de côté. Je ne l'ai pas lu pendant un an et puis un jour j'étais vraiment littéralement enfermé dans un appartement où je ne pouvais pas sortir. Et j'étais tout seul et j'ai cherché dans les livres que je voulais lire et j'ai trouvé un livre de Game of Thrones. Et j'ai dit Tiens, peut-être qu'on va essayer là Et là, ça a été un coup de foudre. Enfin, un coup de foudre, non, parce que coup de foudre, c'est quand on rencontre parfois, mais ça a été un émerveillement. Et après, quand j'ai lu son grand roman, ça a été... Moi, je l'ai lu... J'ai jamais lu un livre aussi vite que ça. Donc voilà, pour la rencontre, ça a été... Mais ce que je vous décris, c'est très courant au Brésil. Tout le monde va dire la même chose. Clarice Lispector, qui est la grande écrivain de l'autre, grand écrivain brésilien, il y a Guilherme Assoise et Clarice Lispector pour le XXème. Après il y a Georges Hamad aussi, il y en a d'autres, il y a des grands poètes, mais il y a ces deux-là qui sont très grands. Elle disait, quand elle écrit à un écrivain brésilien... qui n'est pas du tout connu en France, Sabine, Fernande Sabine. Elle lui écrit, mais je suis en train de lire un roman qui s'appelle Grande et certaine vérité de Cédrine. Je comprends, je suis tellement aïri, j'ai peur de tant l'aimer. Elle écrit des phrases comme ça. C'est un effet très courant, en fait.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez me décrire un petit peu son projet littéraire ou sa langue ? Qu'est-ce qui est si particulier dans son livre ?

  • Speaker #1

    En fait, ce qu'il fait... C'est qu'il va prendre le langage du Minas Gerais, de l'état du Minas Gerais, qui est un état central assez rural, c'est le centre du Brésil, c'est vraiment le centre du Brésil, très rural, donc il y a encore beaucoup de grandes fazendas, il y a beaucoup de végétation sauvage encore. Il va prendre cette langue-là et il va en faire une nouvelle langue. formé à partir de cette langue. Donc en fait il va créer des néologismes, il va utiliser beaucoup d'archaïsmes qui sont pas du Minas Gerais, il va employer des archaïsmes dans la langue portugaise, des mots vieux qu'on ne peut plus du tout. Il va chercher les régionalismes aussi, parce qu'il a parcouru le Sertan, on appelle cette région le Sertan, c'est un des mots pour comprendre. Le Sertan ça peut être ailleurs aussi mais bon, je vais pas compliquer, c'est le disant et c'est le Sertan pour lui.

  • Speaker #0

    C'est l'art que vous donnez à la fin de l'an plus petit ?

  • Speaker #1

    Oui, voilà. Le pays ? Voilà, c'est un peu ça, c'est l'ARP. Donc il va dans le certain à Dodane et il va recueillir toutes les histoires. Il avait des cahiers, des cahiers avec des mots. Donc il y a une grande recherche aussi. Et puis il est né dans cet endroit, c'était un génie. C'était ce qu'on appellerait aujourd'hui un surdoué, parce qu'à 10 ans, je suis allé dans son village à 10 ans, il parlait déjà le français, il parlait plein de langues. Il était dans un tout petit village, c'est qu'il faut comprendre, dans un village rural du Brésil, on n'a pas accès à ça. Et puis ce n'était pas un fils de fazaine des roses, il habitait une petite maisonnette, c'était un milieu tout à fait normal, ni pauvre, ni riche. Mais voilà, son écriture, c'est ça, c'est ce mélange de... de portugais, de Minas, qui est transformé dans une langue complètement nouvelle, rythmiquement impeccable, et puis il a une connaissance de tous les mythes européens, donc il convoque les mythes de manière parfois cachée, parfois un peu plus évidente, et tout ça va faire que c'est une langue qui... qui n'a pas son pareil et qui n'existe pas en portugais. Là, ça a donné lieu à ce recueil, à ce lexique de 8000 mots. Il n'y a pas que les mots, il y a les mots. Les mots sont passionnants, mais c'est sa manière de construire, sa rythmique, sa manière de mettre des mots qu'on connaît, mais dans un autre... C'est dur à décrire.

  • Speaker #0

    Dans des expressions qui ne sont pas idiomatiques.

  • Speaker #1

    Voilà, exactement. Il n'emploie jamais d'expression idiomatique. Il n'en plaît jamais ça, jamais. Mais il en crée. Donc il y a des expressions, par exemple, à un moment donné, dans un de ses textes, il parle d'un diplomate, lui il était diplomate aussi, d'un diplomate qui est exilé dans la ville. dans la Cordillère des Andes, et qui souffre le Ausha. Ausha, c'est un mot espagnol pour décrire le mal des hauteurs. C'est quand on est pris de... On ne peut pas respirer à cause de la haute altitude. ce diplomate, il va passer une période, à un moment, il pleure tout le temps, il ne sait pas pourquoi il pleure, il passe une crise existentielle très très forte. Et à un moment, il dit en portugais, je vous le dis en portugais, il dit o so fri asas Et littéralement en français, c'est j'ai souffert les ailes J'ai cherché, j'ai dit mais qu'est-ce qu'il y a ? Et puis il est mort, l'auteur, donc je ne peux plus le demander. Alors j'ai, avec des groupes de recherche à l'époque, on cherchait, il y avait des groupes sur internet, donc j'ai demandé de l'aide et je vais aller le chercher et personne ne savait exactement. Alors je me suis dit, qu'est-ce qu'il peut vouloir dire ? Qu'est-ce que c'est souffler les ailes ? En fait, j'ai pensé au papillon. Quand il est chenille, il va devenir papillon. On peut imaginer que c'est une transmutation de l'être. Il parle de ça dans sa nouvelle. C'est l'être qui va passer dans un autre état. Il était quelque chose, il va devenir... Donc peut-être que souffler les ailes, c'est ça. C'est la chenille qui devient papillon, en fait. Jusque-là, il ne devient pas papillon, mais souffler... Donc c'est une souffrance. les ailes, je les gardais telles quelles. Ça veut dire ça, pour moi en tout cas. Ça veut dire quelque chose, ça veut dire qu'on passe d'un état à un autre. Et donc, quand j'ai un sens pour moi, je le garde et je le traduis comme ça. Il faut trouver un sens, sinon, pas traduire comme ça, juste, sinon ça ne veut rien dire. Parfois ça veut rien dire, mais essayez toujours de comprendre quelque chose avant. Après, pas pour traduire que ce soit simple en français, que ce soit aussi énigmatique en français.

  • Speaker #0

    Pour vous plonger dans la langue si particulière de Guimaraes Rosa, pour vous permettre d'en ressentir le souffle et la créativité, mais aussi de comprendre les problèmes que cette langue pose au traducteur, Je vous propose d'écouter Mathieu nous lire l'un de ses textes, d'abord dans sa version originale, en portugais, puis dans sa version traduite, en français. Si vous souhaitez l'avoir sous les yeux pendant que Mathieu le lit, puis pendant qu'il le commente, vous pourrez le trouver en VO et en VF sur le site du podcast, langalang.com. Ce texte est extrait de la nouvelle Mon oncle le jaguar une nouvelle que Mathieu a traduite en 2016 pour les éditions Ausha.

  • Speaker #1

    Il y a deux semaines, j'étais dans un colloque et on m'avait demandé de lire un extrait de cette nouvelle. Et je n'avais pas compris qu'il fallait lire en portugais, donc je suis arrivé sur place. Et j'avais le texte, je me suis dit ah bon, je vais le lire Je ne l'avais jamais lu. Et en fait, il s'est passé un truc très bizarre. Je ne pouvais pas le lire avec mon accent brésilien normal. Je le lisais avec un accent du Mina, je ne sais pas, de la campagne de São Paulo. et qui est très dur à ne pas... Pour moi, j'étais obligé de le faire comme ça. Alors, s'il y a des auditeurs voisiniens qui m'écoutent, ils vont dire, mais il vient... Comme on ne m'a pas entendu parler en portugais, on ne sait pas quel est mon accent. Mais ce n'est pas mon accent. Ce n'est pas ma façon de parler. Je l'ai fait, et en fait, le texte appelle ça. C'est pour ça que je dis que c'est un texte oral, en portugais, en tout cas. Il appelle cette façon de parler, je crois. Hum hum, et Orsin, elles savent que je suis de leur peuple. La première que je vois dans Maté, c'est Maria Maria. J'ai dormi dans le champ, ici, près, à la bord d'un feu que j'ai fait. À la nuit, je dormais. Elle est venue. Elle m'a réveillé, elle me sentait. J'ai vu un beau oeil, un oeil jaune, avec des peines noires qui bouillent bien, à la don de cette lumière. Je me suis dit que j'étais mort. Je ne pouvais rien faire. Elle m'a senti, elle sentait, ses pattes suspendues. Je pensais que j'étais en train de me réveiller. Aruku était pire, sapoté, bâti de la forêt. J'ai entendu toute ma vie. Je ne me suis pas touché. C'était un endroit mignon, paisible, je me suis laissé dans un petit chien. Le feu avait cuit, mais il était encore chaud comme un bourreau. Elle est arrivée, elle m'a effrayé, elle me regardait. Ses yeux m'attendaient l'un sur l'autre, les yeux se lumièrent, ping-ping. L'œil est brusque, pointu, elle nous fait des bruits de bouche. Tu n'as mais non. Il y a beaucoup de temps, elle ne faisait rien aussi. Après, elle m'a mis une zone sur mon peau, avec beaucoup de finesse. Je me suis pensé. Maintenant, je suis mort. Parce qu'elle a vu que mon cœur était là. Mais elle se calquait de la main, avec une main, en me foussant avec l'autre, de sa socle. Elle voulait m'éteindre. Je me suis dit, Oh, c'était une oise. Elle aimait moi, je me suis dit. J'ai ouvert les yeux, et elle m'a mis un peu de finesse. Je suis tombé. Je disais doucement, Eh, Maria Maria, je veux te chercher ensemble, Maria Maria. Elle s'est rassurée et s'est fait mouiller. Et elle me disait, J'en gagne, hein, j'en gagne. Si oui, elles savent que je suis l'un des leurs. La première que j'ai vue que j'ai pas tuée, ça a été Maria Marie. J'ai dormi dans la forêt, près d'ici, à côté d'un petit feu que j'ai fait. Au petit matin, je dormais. Elle est venue. Elle m'a réveillé. Elle me ferait. J'ai vu ses beaux yeux, un œil jaune, avec des tachettes noires, qui boubouillonnaient bon dans cette lumière. Alors j'ai fait semblant d'être mort. Je pouvais rien faire. Elle m'a flairé, Renif l'a flairé, une main en suspens, j'ai cru qu'elle cherchait mon cou. L'oroukoué, la piolée, le crapoué, tela, tela, les bêtes de la forêt, et moi qui écoutais tout ce temps. J'ai pas bougé. C'était un endroit tout doux, agréable, moi couché sur le romarin. Le feu s'était éteint, mais il y avait encore la chaleur des cendres. Elle s'est même frottée contre moi, elle me regardait. Ses yeux se rapprochaient l'un de l'autre, des yeux qui brillaient goutte-goutte, un œil sauvage, pointu, fixe, elle vous le plante, elle veut sorceler. Elle ne le détourne plus. Pendant un moment, elle n'a rien fait non plus. Ensuite, elle a posé sa grosse main sur ma poitrine, tout légèrement. J'ai pensé. Maintenant, j'étais mort. Parce qu'elle a vu que mon cœur était là. Mais elle a pillé doucement, avec une seule main, pendant que l'autre me tapotait en sossoque. Elle voulait me réveiller. Hé hé, j'ai compris. Une once qui était une once, que je lui plaisais, j'ai compris. J'ai ouvert les yeux, je l'ai regardé bien en face. J'ai dit tout bas, hé Maria Maria, c'est pas sage ça, Maria Maria. Elle a ronronné en appréciation. Elle s'est encore frottée contre moi. Miam, miam. Ça a été écrit, on ne sait pas quand ça a été publié, c'est une nouvelle posthume, mais il y a des chercheurs qui l'ont trouvé, donc on ne sait pas vraiment la date d'écriture. Et ça c'est important en fait la date d'écriture, parce que moi je pense qu'elle a été écrite avant son grand roman, Diadorim. Et qu'en fait c'est un travail, c'est le même processus, c'est-à-dire dans Diadorim et dans Mon oncle le jaguar, la nouvelle, c'est quelqu'un... Un homme, dans Diadorime c'est un paysan, là c'est un chasseur, un mi-indien, un mi-blanc, qui reçoit un homme de la ville, ou un homme plus cultivé, ou un homme plus riche, peu importe, qui est un peu le narrateur qu'on dirait en français, mais c'est un peu une grande oreille qui écoute et qui dit rien. Et donc il va parler, il va raconter sa vie. Donc c'est le même processus, mais sauf que dans la nouvelle Le Jaguar, Guillaume-René Strauss, il a cherché l'oralité, donc il a travaillé autour de l'oralité, mais c'est pas encore, c'est pas dans Diadorum, ça va être beaucoup plus accentué tout ça, mais c'est important, donc je l'ai traduite un peu pour me faire la main un peu aussi. Et ça raconte, c'est un métis d'Indien qui reçoit chez lui un homme qui est blanc, on ne sait pas grand-chose, mais qui a un pistolet sur lui. On ne sait pas ce qu'il vient faire là, mais on peut se poser des questions sur ça. C'est un peu Thésée, un peu qui veut tuer le Minotaur, on peut le lire comme ça, c'est un peu le Minotaur cette histoire aussi. Et donc ce chasseur raconte qu'il chassait des onces, donc c'est des jaguars. C'est le mot que j'ai trouvé suite à un autre traducteur qui avait déjà traduit cette nouvelle par Ons. Et donc, il va tuer des jaguars et puis il va le regretter. Et il va avoir une liaison amoureuse avec une Ons, avec une jaguar. C'est cette partie-là que j'ai eue, où il est couché et que l'Ons vient le visiter. Et après, il va vraiment avoir une relation charnelle avec elle. Ce qui rappelle une autre nouvelle de Balzac, qui s'appelle Une passion dans le désert. C'est un militaire qui a une liaison. avec une panthère dans le désert d'Afrique. Je ne sais pas s'il avait lu cette nouvelle-là, mais c'est tout à fait possible qu'il l'ait lue. En tout cas, la rencontre entre le chasseur et l'once, et entre le militaire et la panthère, c'est très très proche. C'est assez étonnant, en fait. Et à la fin de la nouvelle de Balzac, il y a une phrase qui pourrait être de Guillaume Aestroise, j'espère que je vais m'en souvenir comme ça, mais c'est la dernière phrase de la nouvelle, il dit Le désert, c'est Dieu sans les hommes Et en fait, ça on dirait une phrase de Guillaume Aestroise, parce qu'il en fait plein des phrases comme ça. C'est tout à fait… donc il y a un rapport entre les deux. Pour moi, c'est deux très belles nouvelles.

  • Speaker #0

    À la lecture de cet extrait de Mon oncle le jaguar vous avez sans doute été marqués, comme moi, par ce flot continu du monologue et par ses mots étranges et ses drôles de répétition. Boubouillonné bon, flairé, reniflé, flairé, et t'es là, t'es là. Ça, c'est à qui M. Srosan rentre dans sa langue vraiment. Qu'est-ce qu'il va faire ? Il va chercher le toupie. Le toupie, c'est une langue parlée par les Indiens. Une des langues parlées par plein de langues qui visitent au Brésil. Mais qui était un peu la langue qui était utilisée par tout le monde pour le toupie. Pour les Indiens, ils se parlaient en toupie, un peu comme la langue francaise qui était utilisée pour tout le monde, pour qu'on puisse se comprendre. avant le portugais ou pendant le portugais. Donc c'était le toupie qu'il emploie. Donc il va employer le toupie, il va mettre des mots de toupie dans son texte, mais pas seulement, il va aussi utiliser une des spécificités du toupie, qui est de doubler les mots. Porin, porang, ça veut dire bon, bon, beau, bon. C'est le même mot beau et bon à la fin. Et donc il va utiliser ça dans son texte. Et là, on en a un exemple là, quand il va dire boubouillonnet, il dit boubouillande, bon. Ça n'existe pas en portugais. Boubouillard, je sais pas. Donc j'ai mis Boubouillonnais, bon. Voilà, j'ai gardé exactement. C'était pas dur à traduire, d'ailleurs. Mais c'est cette idée de la double... Je répète deux fois la même chose. Et en fait, c'est une sorte de dédoublement aussi dans ce livre. Parce que le chasseur... parce que je ne vous ai pas dit, le chasseur il va après tomber amoureux d'une once, il va lui-même devenir une once et il va tuer des gens. En fait il va faire le contraire, avant il tuait des jaguars et après il va commencer à tuer des gens en les mangeant, en buvant leur sang et dans un état de trance où il y a un dédoublement complet. Donc Gumanespa il emploie une langue pour écrire son texte vous voyez c'est très très c'est jamais gratuit en fait ce qu'il écrit il y a toujours un rapport à la langue qui est très fort. Mieux. euh... Non, sinon, pour Rosa, quand il y a des... En fait, ce que je fais, je pense que tous les traducteurs font la même chose, sauf peut-être les très jeunes traducteurs, on ne sait pas qu'on peut faire ça. Mais en fait, quand il y a un néologisme, je ne vais pas forcément traduire le néologisme par un néologisme. Parfois, je vais mettre un archaïsme ou un régionalisme, ou un mot simple. Mais ailleurs, quand il y a un mot qui est peut-être simple, un mot normal, là, je vais employer un néologisme, un archaïsme, un régionalisme, ou un mot un peu différent. désuet. L'idée, c'est qu'en fait, on traduit des textes. C'est-à-dire qu'on ne traduit pas mot à mot. Ce n'est pas un document administratif. L'idée, c'est de traduire même pas les paragraphes, mais un texte en entier. On peut jouer avec ça. le fait beaucoup ça. J'essaye toujours quand même de trouver, parce que c'est le plaisir du traducteur, j'essaye de trouver quand il emploie un archaïsme, j'essaye de trouver un archaïsme et le premier mot de Diadorime ça fait combien de... 15-20 ans que je le cherche. Mais si je ne trouve pas, je mettrais un néologisme à ce moment-là. Vous voyez, c'était Umberto Eco dans un très beau livre qui s'appelle Dire presque la même chose qui dit ça, alors il dit, voilà, il faut qu'on puisse trouver... L'important, voilà, c'est d'équilibrer.

  • Speaker #1

    On l'a vu, Guimaraes Rosa joue avec la langue. Il crée des mots nouveaux, il transforme la syntaxe, il ouvre de nouveaux espaces pour le langage. Et je me suis demandé à quel point cette plasticité était facilitée par la langue portugaise elle-même.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas dit ça du portugais, mais le brésilien en particulier, c'est une langue qui est encore en formation, c'est-à-dire qu'elle accepte. On n'est pas gêné au Brésil d'entendre des mots qu'on ne connaît pas, déjà parce que le pays est grand, donc on a l'habitude d'entendre des mots d'autres régions. On est habitué, il y a comme ça une malhabilité. D'ailleurs, quand on est entre Brésiliens et les Français, ils peuvent dire mais comment on dit ça ? Demandez ça à un groupe de Brésiliens, vous allez voir que chacun va dire mais je ne suis pas sûr qu'on puisse le dire, est-ce qu'on le dit ? C'est des discussions sur est-ce qu'on traduit ça comme ça ? Est-ce qu'on peut dire ça comme ça ? Alors certains vont dire oui, dans ma région, on peut le dire, mais je ne suis pas sûr que ça soit correct. Parce qu'il y a ça, ou cette idée que la langue n'est pas correcte. Donc le Brésilien est plastique. C'est une langue malléable. Mais Greza, il va accentuer ça d'une manière... Et puis il va en faire de la littérature, c'est ça aussi. Mais c'est vrai que c'est... C'est quelque chose qui est dans la langue. Et dans le Minas, en plus, on a l'habitude de créer des... Il y a un peu cette idée qu'on peut créer des mots pour décrire des choses nouvelles, parce que la langue portugaise, quand elle est au Brésil, il faut décrire, il faut parler de tous les oiseaux qu'on voit. Et alors, il y a les noms... scientifiques, mais il y a aussi les noms que le peuple emploie. Les gens, il faut qu'ils décrivent. Il y en a plein, il y a plein d'oiseaux, il y a plein d'animaux différents, donc il faut décrire tout ça. Le peuple, je veux dire la langue populaire doit le décrire. Et donc il y a plein de mots pour dire, voilà, comme le fournier en français, c'est le gondobar, ou c'est un oiseau qui construit sa petite maison. avec de la boue, comme ça. Ils appellent Jean, c'est Jean, Jean de la boue. Voilà, c'est vrai, il y a des mots, et tous les oiseaux ont des noms populaires qui décrivent un peu ce qu'ils font, comme le pivert, qui est pica-pau, celui qui pique le bois. Et Guillaume Moïse-Poise, il va utiliser ces noms d'oiseaux, il va en mettre plein. Et quand il écrivait à ses traducteurs, parce que c'était quelqu'un qui était très attentif aux traductions et très conscient de ce qu'on pouvait traduire son texte, il dit mais ne cherchez pas le mot scientifique, cherchez à donner le mot d'expression. Qu'est-ce qui va sonner pour le lecteur ?

  • Speaker #1

    Comment traduire les noms d'animaux, d'arbres ou de fleurs ? dont la littérature brésilienne regorge et qui n'existe pas en France. C'est une question intéressante parce que, pour reprendre l'exemple des oiseaux, si le nom de l'oiseau n'est pas évocateur en soi, et que pourtant cet oiseau est très populaire au Brésil, est-ce qu'il faut quand même laisser son nom original dans la traduction, quitte à ce qu'il n'évoque rien, voire à ce qu'il sonne exotique pour le lecteur francophone ? On crée alors un léger décalage par rapport au texte original. Une autre solution serait de trouver l'équivalent en France de cet oiseau populaire au Brésil, le merle par exemple. Mais dans ce cas, est-ce qu'on n'appauvrit pas un peu le texte ? On touche ici du doigt la question des intraduisibles culturels. C'est ce qui pose le plus de problèmes à Mathieu quand il traduit.

  • Speaker #0

    Dans les familles populaires au Brésil, on a l'habitude, que ce soit dans le certain ou dans les favelas, c'est peu importe, mais dans les familles plus populaires, plus modestes, disons d'un milieu modeste, on vouvoie ses parents. C'est normal. On vouvoie donc sa mère, son père. Au Brésil, le vouvoiement n'est pas exactement le même qu'en français. On se tutoie toujours au Brésil entre les gens, mais il y a une forme de vouvoiement qui est un mouvement de respect qu'on va utiliser d'une classe sociale inférieure à une classe sociale supérieure, par exemple. mais aussi des enfants dans les familles modestes aux parents. Le problème c'est qu'en français, les enfants qui veulent voir leurs parents, c'est au contraire, c'est les classes, c'est des gens très aisés qui font ça, des très grands bourgeois qui vont... Et donc, là je me retrouve devant quelque chose, je ne sais pas comment faire, parce que soit je traduis, soit ils se tutoient leur mère, les personnages. Et on perd beaucoup, on perd ce respect. Et en plus, il en parle du texte de Salamère, il l'appelle même Donna. Donna, c'est Madame, un peu. Et elle se plaint, elle dit, mais j'ai même pas 50 ans, pourquoi tu m'appelles Donna, son fils ? Donc, il parle de ça. aussi le vouvoiement. Et pour l'instant je le fais vouvoyer. Alors c'est un truc très étrange en français, mais peut-être que le lecteur français va se dire bon là c'est une étrangeté, mais il va comprendre que voilà on peut pas tout transposer. Ça pour l'instant c'est quelque chose que j'essaie de trouver. Il faudra bien trouver une solution, mais c'est difficile.

  • Speaker #1

    L'une des choses décisives dans le choix de Mathieu de devenir traducteur, c'est d'abord la découverte de Joao Guimaraes Rosa, mais ensuite, et surtout, la découverte de ses traductions en français. Il m'explique qu'il n'y retrouve pas sans Guimaraes Rosa. Aujourd'hui, les droits de diadorime en français ne sont pas disponibles. Alors en attendant, Mathieu le traduit pour son plaisir.

  • Speaker #0

    Ce qui s'est passé avec diadorime, c'est que ça a été traduit une première fois dans les années 60 par un traducteur. qui a transformé Ausha, le narrateur, en un paysan français. Et donc, juste avec des mots, sans aucun néologisme, juste il avait fait ça. Et donc, ça donne un effet très étrange, même pour les lecteurs brésiliens, de voir en français, parce que ce n'est pas la même chose. Moi, je n'ai jamais traduit le paysan par le... Mais bon, je comprends, c'est juste... Je comprends ce qu'il a fait, mais c'est très bizarre. Et donc la traductrice, Marie-Vonne Lapouche-Petorini, quand elle a traduit ça dans les années 90, je comprends parfaitement qu'elle ait eu envie de faire ça, elle s'est dit, non, non, il faut le traduire dans un langage beaucoup plus... soutenu, avec du passé simple, il faut faire le contraire en fait de ce qu'il a fait, dans un langage plus neutre, et je comprends parfaitement qu'elle ait fait ça, et c'était le moment de le faire. Et maintenant je pense que le moment c'est de faire une autre chose encore. de faire à la fois l'oralité, et ça, c'est dur, et aussi le langage faux. De mélanger les deux pour en faire une langue qui va être un peu... C'est pour ça que j'ai dit que... Ça ne veut pas dire que la traduction va annuler l'autre, c'est juste que ça sera différent. C'est très triste d'ailleurs quand les traductions annulent celles qui disparaissent, parce que j'aime bien, moi j'adore. J'adore comparer les traductions entre elles aussi, même quand je ne connais pas très bien la langue originale. C'est bien quand il y a plusieurs traductions qui vivent en même temps. Ma thèse a été de comparer toutes les traductions de Rosa dans toutes les langues. En fait, c'est un texte qui se prête à des traductions complètement différentes. Mais vraiment, j'ai même le titre, je vais vous donner le titre du roman, je ne vais pas donner tous les titres, mais il y a ceux qui ont traduit Guern-de-Sertang. C'est le grand sartan. Le mot verrez est presque intraduisible, mais on a traduit souvent en danstor, en norvégien, enfin voilà. Le grand sartan, dans d'autres langues, en espagnol c'est grand sartan. Il y a ceux qui ont traduit l'histoire d'amour entre Riobardo et son frère d'âme. c'est le fait français très romantique donc on ne s'appartient à doris c'est diadori c'est le nom de l'amour de du narrateur c'est un homme qui va là ils sont à omis sont tous les deux amoureux et c'est des bandits donc ils peuvent pas peuvent pas s'avouer leur amour aux yeux des autres, c'est impossible. C'est dans le milieu du banditisme dans le certain. Ils ne peuvent pas. C'est impossible. Deux hommes ne peuvent pas s'aimer. Ils ne peuvent pas se l'avouer l'un à l'autre parce que ils ne peuvent pas se l'avouer à eux-mêmes. C'est ça qui est fort dans le texte. C'est un amour complètement inavouable mais qui existe. Et donc les Français ont traduit ça par Théodore. Il y a ceux qui ont traduit ça par Le Diable dans la rue parce que c'est une histoire aussi de pacte avec le diable. C'est un fausse brésilienne un peu cette histoire aussi. et donc il y a la traduction danoise je crois c'est le diable dans la rue et c'est un mot qui est dans le texte aussi donc vous voyez le diable, l'amour, le certain et puis il y a la traduction suédoise qui est complètement il s'est donné c'est une traduction très libre comme ça très étrange par rapport à ce qu'on prend de l'original il a traduit ça, les aventures du bandit Riobaud la vie est dangereuse mon seigneur les aventures du bandit Riobaud donc Donc c'est encore autre chose, c'est une histoire d'aventure d'un bandit, et la vie est dangereuse, c'est aussi une phrase qui revient dans le texte comme un leitmotiv. En fait, les traductions, elles ont une durée de vie aussi. Donc je pense qu'il faut retraduire tous les 25 ans. Et je vois pas de mal à ça. Et si on lit Baudelaire aujourd'hui, le traducteur de Pau, c'est parce que c'était Baudelaire. Même si sa traduction est très belle, c'est aussi parce qu'on est en... on aime lire Baudelaire. Ce n'est pas qu'elle est immortelle en soi. C'est une grande question s'ils sont mortels ou pas. Moi, je pense que ça ne me gêne pas du tout que tous les 25-30 ans, qu'on ait envie de retraduire un texte.

  • Speaker #1

    Et vous-même, vous avez déjà eu envie de reprendre des traductions que vous avez faites ?

  • Speaker #0

    C'est bon. Là, en lisant ça, j'ai envie de changer des choses, et je me dis pourquoi j'ai fait ça comme ça. Mais en fait, il faut arrêter un moment. En fait, ce texte-là, il a été, je ne sais pas si vous savez, mais il a été au programme de la Grègue. de lettres modernes. Et donc, ça s'est vendu un petit peu. Il y a eu pas mal de demandes. L'éditeur m'a demandé au moment du deuxième tirage est-ce que je voulais changer quelque chose. Donc, j'ai tout relu. Et j'ai changé des petites... Cette nouvelle-là, particulièrement, j'ai changé des choses. dans d'autres. Parfois c'est des toutes petites coquilles qu'il y avait, ça arrive toujours. Parfois j'ai changé un petit peu. Et après une troisième fois encore, il m'a demandé, j'ai encore à changer. Et après maintenant je crois qu'il va me demander plus. S'il y a une quatrième édition, il va plus me demander parce que ça demande. C'est pas évident de changer, mais j'ai envie de changer tout le temps en fait. Je me demande si les auteurs n'ont pas la même chose. Parce que le texte de Guillaume Maestroza, par exemple, comme d'autres auteurs, il est Il a repris son texte plusieurs fois, donc j'ai plusieurs versions de son texte. Parfois, il y a des arbres au puriel, parfois c'est un arbre. Il dit je tirais sur un arbre et dans un autre texte, c'est je tirais sur des arbres Alors pourquoi est-ce qu'il… Maintenant, il y a aussi des petites différences. Et Rosa, il a quelque chose de particulier. C'est qu'il y avait des coquilles, évidemment, comme dans tous les textes, il y a des coquilles parfois. Et lui, parfois, il aimait bien, il acceptait la coquille. C'est-à-dire qu'il disait parfois, il disait, tiens, la coquille, moi je la laisse comme ça. Il laissait une coquille dans le texte exprès. Donc c'est un truc, parce que sinon, on n'a pas l'habitude, on corrige, mais voilà.

  • Speaker #1

    J'espère que ce voyage au Brésil vous a plu. Si c'est le cas, n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire sur votre plateforme d'écoute et à partager l'épisode autour de vous. C'était donc le cinquième épisode de Langue à Langue, avec le traducteur du portugais Mathieu Doss. Je le remercie infiniment de s'être prêté au jeu de l'interview et d'avoir accepté de commenter l'une de ses traductions. dont je vous rappelle le titre. Il s'agit de la nouvelle Mon oncle le jaguar de Joao Guimaraes Rosa, parue dans le recueil Mon oncle le jaguar et autres histoires, en 2016, aux éditions Chandegne. Vous pouvez retrouver les extraits en portugais et en français sur le site langalang.com. Langa Lang est un podcast de Margot Grillier, c'est moi. L'identité sonore et graphique sont signés Studio Pile. et le montage-mixage a été réalisé par Nathan Luyer de La Cabine Rouge. Le podcast entre maintenant dans une petite pause hivernale, mais on se retrouve dans quelques mois pour de nouveaux épisodes, pour continuer à voyager à travers les langues et les littératures du monde avec les traducteurs et les traductrices. D'ici là, n'hésitez pas à suivre les pages Facebook et Instagram du podcast pour ne manquer aucune actualité, et bien sûr, abonnez-vous sur votre plateforme préférée Laissez-nous des étoiles et parlez-en à tout le monde autour de vous. A bientôt et comme on dit en portugais, até a próxima !

Chapters

  • Introduction

    00:00

  • Générique

    02:21

  • Mathieu m’accueille chez lui

    02:50

  • Du zoo de Vincennes aux favelas de Rio

    03:40

  • Traduire l’argot des favelas

    05:01

  • Mélanger argot et langage soutenu

    08:23

  • Rapport de Mathieu à la lecture

    10:31

  • Rencontre de Mathieu avec l’écriture de Guimarães Rosa

    13:43

  • Projet littéraire de Guimarães Rosa

    15:58

  • Lecture en portugais

    22:06

  • Lecture en français

    24:20

  • Résumé de « Mon oncle le jaguar »

    26:27

  • Néologismes et traduction

    29:23

  • Plasticité de la langue brésilienne

    32:50

  • Intraduisibles culturels : vouvoiement et classes sociales

    35:26

  • (Re)traduire Diadorim

    37:54

  • Conclusion

    44:11

Description

Mathieu Dosse me reçoit chez lui, à Charenton, en banlieue sud-est de Paris, tout près de chez Marie Vrinat-Nikolov, que vous avez entendue dans l’épisode 2. Français par son père et brésilien par sa mère, Mathieu traduit le portugais du Brésil depuis une dizaine d’années.

Dans la petite cuisine jaune de son appartement, il m’a parlé de l’argot des favelas de Rio, de la plasticité de la langue brésilienne, de sa rencontre avec l’écriture du grand écrivain João Guimarães Rosa et des défis qu’elle pose aux traducteurs.

Mathieu m’a d’ailleurs lu un extrait de l’une de ses nouvelles, d’abord en VO puis en VF, pour vous permettre d’apprécier la beauté de sa langue si particulière, et les complexités de sa traduction. Cette nouvelle s’appelle « Mon oncle le jaguar » et elle est extraite du recueil Mon oncle le jaguar & autres histoires, publié en 2016 aux éditions Chandeigne.

Mathieu est un amoureux des livres, des mots et de la traduction. J’espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à l’écouter, et que cet épisode vous fera voyager au Brésil, des collines de Rio aux forêts luxuriantes du sertão !

 

➡️ Retrouvez tous les textes lus dans le podcast (en VO et VF) sur languealangue.com et sur les réseaux sociaux (@languealangue sur Instagram). Soutenez-nous en nous laissant des étoiles et un commentaire, et surtout, parlez-en autour de vous !

 

Langue à Langue est un podcast de Margot Grellier

Musique et graphisme : Studio Pile

Montage/mixage : Nathan Luyé de La Cabine Rouge


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Oui, bonjour Mathieu, c'est Margot.

  • Speaker #1

    Bonjour, à tout de suite.

  • Speaker #0

    C'est magnifique de voir un seul texte en plusieurs langues. C'est un texte qui voyage d'une langue à l'autre. C'est comme un oiseau qui saute d'une branche à l'autre. Et en même temps, le texte original est comme le tronc de l'arbre, et chaque livre est une branche dans ce même arbre. C'est dans ces mots que le poète libanais Issa Maqlouf parlait de traduction. C'était sur France Culture, en décembre 2013, dans l'émission Ça rime à quoi ? Et ces mots, ils me font penser à Mathieu Doss, le traducteur du portugais que vous allez entendre dans cet épisode. Mathieu est français par son père et brésilien par sa mère. Il traduit le portugais du Brésil depuis une dizaine d'années, mais avant, il a étudié la littérature comparée. Il s'est spécialisé dans l'œuvre du grand écrivain brésilien Joao Guimaraes Rosa et dans l'étude de ses différentes traductions, un peu comme l'oiseau qui saute de branche en branche sur l'arbre d'Isamaclouf, si vous me suivez. J'ai eu la chance de passer quelques heures avec lui en mars dernier, dans la cuisine de son appartement. Mathieu vit à Charenton avec sa femme et sa fille, en banlieue sud-est de Paris, à deux pas d'ailleurs de chez Marie-Vrina Nikoloff, la traductrice du bulgare que j'avais rencontrée pour le deuxième épisode de Langue à langue. Ensemble, on a discuté de l'argot des favelas de Rio, de la plasticité de la langue brésilienne, de l'amour de Mathieu pour les livres et des changements dans sa façon de lire depuis qu'il est devenu traducteur. On a parlé aussi de sa rencontre avec la langue si particulière de Guimaraes Rosa et des défis qu'elle pose au traducteur. Vous l'entendrez, Mathieu est passionné. Il aurait pu parler des heures encore. J'espère que cette passion vous cueillera, vous aussi, et qu'elle vous transportera un peu au Brésil le temps d'un épisode. Je suis Margot Grellier et vous écoutez Langue à langue, épisode 5, Papillon, néologisme et chefs-d'œuvre brésiliens avec

  • Speaker #1

    Mathieu Doss. Langue

  • Speaker #0

    à langue.

  • Speaker #1

    Lingua lingua. bonjour merci beaucoup de m'accueillir bonjour enchanté flambeau mal à la main oui d'accord là on est dans la cuisine parce que c'est le seul endroit où on peut fermer une porte dans cet appartement ce qu'on a même pas de temps macho à la chambre de ma fille où il ya une porte est ici Donc c'est une cuisine jaune avec un frigo gris qui fait un peu de bruit. Et il y a un café qui est préparé. Et on est au huitième étage dans un immeuble de Charenton. Vous avez vu la vue qu'on a ? C'est un immeuble qui nous permet d'avoir une vue assez panoramique sur tout Charenton et un peu Paris. Les tours qu'on voit là-bas,

  • Speaker #0

    c'est

  • Speaker #1

    Montreuil. Là-bas, c'est Montreuil. Là-bas, c'est le zoo de Vincennes. La grande... On appelle ça... L'autre jour, je cherchais un mot pour décrire ça. C'est pas évident, parce qu'en portugais, il y a un mot, on appelle ça une pierre, une pèdre. Mais là, je cherchais le mot pour ça, et je cherche encore. Le grand truc, cette grande butte, je sais pas comment on appelle ça, qui est au zoo de Vincennes et qui a été construite artificiellement, c'est pas du tout naturel, ça a été construit pour... pour abriter les... Le rocher. Le rocher, voilà. Le rocher, le rocher. Mais à Rio, il y a plein de grandes favelas. Elles sont sur des buttes. Pour l'instant, je n'ai pas trouvé d'autres mots. Mais on appelle ça mort. Et Rio est plein comme ça de rochers qui sortent de l'eau, d'autres dans les montagnes. Donc, en fait, le seul mot qui est vraiment... qui décrit ça en français, c'est un mot des Antilles, parce qu'aux Antilles, il y a ça aussi. C'est le mot morne. Mais personne ne connaît, alors c'est un peu le mot épicé, c'est très intérieur. Là, je cherchais un mot très courant dans mon langage. Donc là,

  • Speaker #0

    vous n'avez pas entendu par but.

  • Speaker #1

    Pour l'instant, j'ai gardé but, parce que codine, ça donne l'idée d'une codine verdoyante. Ce n'est pas du tout ça, c'est vraiment une croissance du sol qui monte.

  • Speaker #0

    Quand je l'ai rencontré, Mathieu était en plein dans la traduction d'un roman de Giovanni Martins, un jeune auteur originaire des favelas de Rio, dont les livres ont énormément de succès au Brésil aujourd'hui. Dans ses livres, justement, Giovanni Martins reprend le langage très particulier des favelas, ce qui, évidemment, pour Mathieu, représente un vrai défi de traduction.

  • Speaker #1

    Il fallait faire une équivalence parce que ce n'est pas une vraie équivalence. Je ne pense pas qu'il y ait une équivalence entre le parler des favelas et celui des banlieues françaises. C'est pas vraiment la même chose, mais comme il y a plein de points communs quand même, il y a plein de choses qui sont... En fait, on retrouve des... Ils écoutent la même musique, ils s'intéressent aux mêmes choses. Et donc j'ai transcrit ça dans un français de la banlieue de Paris, mais mélangé avec le passé simple, mélangé avec un langage assez soutenu, ce qu'il fait en portugais, donc ça donne un effet assez… Je ne sais pas si ça va marquer ou pas, mais pour l'instant, je n'ai jamais pris autant de plaisir à traduire un livre, je crois. C'est vraiment… C'est assez passionnant de mélanger l'argot le plus… Vraiment, je cherche des mots vraiment que je ne connais pas. Il y a des dictionnaires d'argot des banlieues, et j'essaie vraiment de trouver des mots qui ne sont pas connus, pas juste des mots qu'on connaît aujourd'hui comme… Je ne sais pas qui fait, je l'emploie bien sûr, mais qui fait le Somme. Alors avoir le Somme, je n'ai pas osé l'utiliser, mais peut-être j'ai le de faire. Il y a des mots que ma fille ramène de l'école. Ce sont des mots qui sont passés dans le langage courant. Mais de trouver des mots vraiment rares et que je ne connaissais pas. Et mélanger ça avec un langage tenu. Ce qui est dur à faire, c'est qu'il ne faut pas que ça soit trop caricatural. Et là, c'est trouver le juste milieu entre un texte qui se prête à une lecture. en fait orale quand même il ya beaucoup d'oralité mais qui sont pas caricatural c'est ça qui est dur comme et puis tout le monde tout le monde de la drogue aussi c'est pas évident à traduire parce qu'il parle beaucoup de fin c'est un livre lui le cannabis en particulier la bce à marconi c'est c'est omniprésent dans le livre c'est ça pour toutes les pages il en parle il ya une fascination pour ça il fallait donc il faut traduire ça aussi en français ce qui Ça demande de connaître un peu le milieu. Donc je fais des reflets, j'ai des amis, de temps en temps, j'appelle des amis, je dis mais comment on dit, je suis en train de chercher, comment on dit un point de deal ? Et je suis sûr qu'il y a un autre mot. Alors il y a le mot charbon Le mot charbon c'est employé par les trafiquants, parce qu'ils vont au charbon, c'est là où ils vont gagner de l'argent. Donc ils emploient le mot charbon J'ai discuté avec des amis qui s'y connaissent un peu. Et voilà, j'ai cherché dans les dictionnaires, passé du temps sur Internet, écouté des choses. chansons, voir des films, lire des livres et tout ça fait qu'au bout d'un moment on trouve quelque chose. Et de toute façon il faut que ça soit littéraire, c'est pas juste trouver... Quand il écrit en portugais en tout cas, Martins, il a un plaisir d'écrire, à parler de sa favela... C'est rare de voir autant de plaisir, même si c'est un monde assez dur. Ils parlent aussi de la difficulté même de manger. Parfois, ils n'ont pas d'argent même pour acheter un hamburger ou quoi que ce soit. Mais il y a un plaisir à écrire. Il faut rendre ce plaisir-là en français, dans un français très rapide, très facile à lire, mais en même temps avec plein de petits mots comme ça, de temps en temps, qui viennent perturber la lecture pour qu'ils ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    À ce vocabulaire issu de l'argot, Mathieu mêle des tournures plus soutenues et du passé simple. Un mélange inattendu qui lui permet de se rapprocher de l'effet produit par la langue de Giovanni Martins.

  • Speaker #1

    En discutant, il est venu à Paris, Giovanni Martins, et on s'est rencontrés. Et on parlait de comment il écrivait. Il m'a dit, mais je fais ça parfois, j'écris dans un langage neutre, enregistré, normal. Et puis, de temps en temps, je mets un mot. de la banlieue, de la favela, comme ça, en plein milieu. Je lui dis Ah oui, d'accord. Et en le lisant, je dis Oui, voilà, c'est ça qu'il fait, en fait. Quand c'est des dialogues, là, c'est complètement oral, donc il n'y a pas de mots sous-nus. Mais quand il écrit... Et puis même, en fait, c'est ce qui marche le mieux en français. Je me suis rendu compte, le passé... Je ne sais pas si d'autres traducteurs vous ont parlé de ça, mais le champ entre passé simple et passé composé, pour moi, c'est... Parfois, je suis au milieu du livre et je me dis, mais il faut tout refaire au passé composé, ou tout refaire au passé simple. Et en fait, maintenant, je mélange les deux, j'arrive à le faire parce que je me suis un peu... Voilà, j'ai de la bouteille, comme on dit, et je sais mélanger. Donc je mélange les deux, mais comme Camus, Albert Camus, le fait de... en étranger, il s'est écrit au passé composé, mais dans un temps, il met du passé simple aussi. En fait, les auteurs français se permettent de faire ça. Je me dis, si les auteurs se permettent de faire ça, pourquoi est-ce qu'on ne se permettrait pas aussi de le faire comme on est traducteur ? Il n'y a pas de passé simple, de passé composé en portugais, mais il y a un registre neutre, soutenu, neutre. Et c'est ce registre-là que j'essaie de reproduire. J'ai fait des essais avant de commencer à traduire. Je ne sais pas si vous voyez. Qu'est-ce qui marche le mieux ? Qu'est-ce qui rend la langue la plus lisible ? Mais pas dans le sens facile, pas dans le sens de lecture facile, mais dans le sens de ce qui fait pétiller la langue. C'est ça que je cherche, c'est comment rendre la langue la plus pétillante possible au français.

  • Speaker #0

    Quand il traduit, Mathieu aime se replonger dans la langue de certains auteurs pour s'en inspirer et alimenter sa propre écriture. Parfois ça marche, parfois moins, ça fait partie de son processus de traduction. Comme beaucoup de traducteurs, Mathieu est un très grand lecteur, mais son rapport à la lecture a pas mal évolué depuis qu'il traduit.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si c'est votre cas, mais j'avais un peu cette idée qu'il fallait finir les livres. Donc, quand je disais, je disais non, je commence un livre, je vais le finir, je vais aller jusqu'au bout, parce que c'est un engagement. Et maintenant, je n'ai plus le temps de faire ça, donc je lis des livres. Quand j'aime, je vais jusqu'au bout, mais parfois, je dis juste 50 pages et c'est suffisant pour ce que j'ai. J'ai un peu perdu cette... Je n'ai plus le temps de faire la sélection de temps, je n'ai plus le temps de lire tout. Mais il faut aussi, je pense, donner un peu de temps aux livres qu'on lit. Ça, c'est quelque chose que je... Je soutiens, il faut vraiment... On ne peut pas abandonner un livre au bout de trois pages. Je ne sais pas si c'est pas bien. Je pense qu'il faut vraiment essayer de se donner un peu de temps au livre, de donner le temps à l'habituation, à ce qu'on comprenne, même si le livre n'est pas bien. Après, il ne faut pas se forcer non plus, parce que ça ne sert à rien de dire... Je me souviens de l'expérience que j'avais eue avec Ulysse, que j'avais eue avec Ulysse de Joyce. J'avais essayé de le lire dans une première traduction. C'était difficile, je ne comprenais pas ce qui se passait. Et après, je me suis dit, non, mais bon, j'ai laissé tomber. Puis je l'ai relu dans une nouvelle traduction, dont Tiffaine Samoyaud, ma directrice de thèse, elle avait traduit deux épisodes, je crois. et là ça a été passionnant c'était une des plus grandes lectures que j'ai eues j'ai adoré ce livre mais cette idée du temps à l'habituation je pense que c'est vraiment important de donner un peu de

  • Speaker #0

    temps à un livre qu'on ouvre Est-ce que vous pensez aussi qu'il y a des rendez-vous avec des livres ? Par exemple, la première fois que vous avez essayé de lire le livre,

  • Speaker #1

    ce n'était pas le moment. Oui, tout à fait. Je pense que dans notre vie de lecteur, il y a des moments où... Et puis après, peut-être qu'il y a des auteurs... Moi, je n'ose plus lire Nabokov. Par exemple, j'ai lu Hadda quand j'avais 20 ans. C'était un tel choc. Moi, ça a été un des plus grands chocs que j'ai eu en littérature. Je suis incapable d'ouvrir le livre. Je l'ai dans ma bibliothèque et je ne veux pas l'ouvrir. Je n'ose pas l'ouvrir, en fait. Parce que j'ai eu déjà Nabokov. Ça a été un auteur qui me passionnait quand j'avais 20 ans. Et peut-être que maintenant... le rendez-vous il est passé aussi ça a été un rendez-vous et si je l'avais découvert maintenant peut-être que j'aurais pas eu je dis ça parce que je sais qu'il y a des amis qui disent non mais moi j'aime pas Nabokov je comprends pas, j'aime pas du tout et je dis bon peut-être que le rendez-vous a été manqué tout simplement et qu'il y aura pas d'autres chances et après il y a des auteurs que je sais pas si c'est votre cas mais il y a des auteurs que moi je relis c'est Borgès par exemple c'est un des auteurs que je peux relire depuis que j'ai 20 ans je le relis régulièrement et j'ai toujours autant de plaisir à le lire... Je connais tout, mais il vieillit bien avec moi.

  • Speaker #0

    Avec les livres, il y a les rendez-vous passés, les rendez-vous manqués, les rendez-vous réguliers, et puis il y a les compagnons d'une vie, ceux qu'on rencontre une fois et qu'on ne lâche plus, ceux dont la langue provoque un étonnement permanent. Pour Mathieu, ce compagnon d'une vie, c'est Diadorim en français, c'est l'unique roman de Joao Guimaraes Rosa, l'un des plus grands écrivains brésiliens du XXe siècle. Mathieu y a consacré sa thèse et une grande partie de son travail de traducteur. Et pourtant, entre Guimaraes Rosa et lui, ça n'avait pas si bien commencé.

  • Speaker #1

    Je devais avoir 20 ans. Et ma tante m'avait tendu un livre en disant, ah ça c'est magnifique, c'est la grande littérature brésilienne, il y avait un buzz sur la couverture, je me souviens. Et j'ai lu quelques lignes, j'ai dit mais c'est pas possible, on peut pas faire comme ça, c'est du... je n'aime pas du tout. Je l'ai mis de côté, mais vraiment... avec un mépris incroyable, j'ai mis ce livre de côté. Je ne l'ai pas lu pendant un an et puis un jour j'étais vraiment littéralement enfermé dans un appartement où je ne pouvais pas sortir. Et j'étais tout seul et j'ai cherché dans les livres que je voulais lire et j'ai trouvé un livre de Game of Thrones. Et j'ai dit Tiens, peut-être qu'on va essayer là Et là, ça a été un coup de foudre. Enfin, un coup de foudre, non, parce que coup de foudre, c'est quand on rencontre parfois, mais ça a été un émerveillement. Et après, quand j'ai lu son grand roman, ça a été... Moi, je l'ai lu... J'ai jamais lu un livre aussi vite que ça. Donc voilà, pour la rencontre, ça a été... Mais ce que je vous décris, c'est très courant au Brésil. Tout le monde va dire la même chose. Clarice Lispector, qui est la grande écrivain de l'autre, grand écrivain brésilien, il y a Guilherme Assoise et Clarice Lispector pour le XXème. Après il y a Georges Hamad aussi, il y en a d'autres, il y a des grands poètes, mais il y a ces deux-là qui sont très grands. Elle disait, quand elle écrit à un écrivain brésilien... qui n'est pas du tout connu en France, Sabine, Fernande Sabine. Elle lui écrit, mais je suis en train de lire un roman qui s'appelle Grande et certaine vérité de Cédrine. Je comprends, je suis tellement aïri, j'ai peur de tant l'aimer. Elle écrit des phrases comme ça. C'est un effet très courant, en fait.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez me décrire un petit peu son projet littéraire ou sa langue ? Qu'est-ce qui est si particulier dans son livre ?

  • Speaker #1

    En fait, ce qu'il fait... C'est qu'il va prendre le langage du Minas Gerais, de l'état du Minas Gerais, qui est un état central assez rural, c'est le centre du Brésil, c'est vraiment le centre du Brésil, très rural, donc il y a encore beaucoup de grandes fazendas, il y a beaucoup de végétation sauvage encore. Il va prendre cette langue-là et il va en faire une nouvelle langue. formé à partir de cette langue. Donc en fait il va créer des néologismes, il va utiliser beaucoup d'archaïsmes qui sont pas du Minas Gerais, il va employer des archaïsmes dans la langue portugaise, des mots vieux qu'on ne peut plus du tout. Il va chercher les régionalismes aussi, parce qu'il a parcouru le Sertan, on appelle cette région le Sertan, c'est un des mots pour comprendre. Le Sertan ça peut être ailleurs aussi mais bon, je vais pas compliquer, c'est le disant et c'est le Sertan pour lui.

  • Speaker #0

    C'est l'art que vous donnez à la fin de l'an plus petit ?

  • Speaker #1

    Oui, voilà. Le pays ? Voilà, c'est un peu ça, c'est l'ARP. Donc il va dans le certain à Dodane et il va recueillir toutes les histoires. Il avait des cahiers, des cahiers avec des mots. Donc il y a une grande recherche aussi. Et puis il est né dans cet endroit, c'était un génie. C'était ce qu'on appellerait aujourd'hui un surdoué, parce qu'à 10 ans, je suis allé dans son village à 10 ans, il parlait déjà le français, il parlait plein de langues. Il était dans un tout petit village, c'est qu'il faut comprendre, dans un village rural du Brésil, on n'a pas accès à ça. Et puis ce n'était pas un fils de fazaine des roses, il habitait une petite maisonnette, c'était un milieu tout à fait normal, ni pauvre, ni riche. Mais voilà, son écriture, c'est ça, c'est ce mélange de... de portugais, de Minas, qui est transformé dans une langue complètement nouvelle, rythmiquement impeccable, et puis il a une connaissance de tous les mythes européens, donc il convoque les mythes de manière parfois cachée, parfois un peu plus évidente, et tout ça va faire que c'est une langue qui... qui n'a pas son pareil et qui n'existe pas en portugais. Là, ça a donné lieu à ce recueil, à ce lexique de 8000 mots. Il n'y a pas que les mots, il y a les mots. Les mots sont passionnants, mais c'est sa manière de construire, sa rythmique, sa manière de mettre des mots qu'on connaît, mais dans un autre... C'est dur à décrire.

  • Speaker #0

    Dans des expressions qui ne sont pas idiomatiques.

  • Speaker #1

    Voilà, exactement. Il n'emploie jamais d'expression idiomatique. Il n'en plaît jamais ça, jamais. Mais il en crée. Donc il y a des expressions, par exemple, à un moment donné, dans un de ses textes, il parle d'un diplomate, lui il était diplomate aussi, d'un diplomate qui est exilé dans la ville. dans la Cordillère des Andes, et qui souffre le Ausha. Ausha, c'est un mot espagnol pour décrire le mal des hauteurs. C'est quand on est pris de... On ne peut pas respirer à cause de la haute altitude. ce diplomate, il va passer une période, à un moment, il pleure tout le temps, il ne sait pas pourquoi il pleure, il passe une crise existentielle très très forte. Et à un moment, il dit en portugais, je vous le dis en portugais, il dit o so fri asas Et littéralement en français, c'est j'ai souffert les ailes J'ai cherché, j'ai dit mais qu'est-ce qu'il y a ? Et puis il est mort, l'auteur, donc je ne peux plus le demander. Alors j'ai, avec des groupes de recherche à l'époque, on cherchait, il y avait des groupes sur internet, donc j'ai demandé de l'aide et je vais aller le chercher et personne ne savait exactement. Alors je me suis dit, qu'est-ce qu'il peut vouloir dire ? Qu'est-ce que c'est souffler les ailes ? En fait, j'ai pensé au papillon. Quand il est chenille, il va devenir papillon. On peut imaginer que c'est une transmutation de l'être. Il parle de ça dans sa nouvelle. C'est l'être qui va passer dans un autre état. Il était quelque chose, il va devenir... Donc peut-être que souffler les ailes, c'est ça. C'est la chenille qui devient papillon, en fait. Jusque-là, il ne devient pas papillon, mais souffler... Donc c'est une souffrance. les ailes, je les gardais telles quelles. Ça veut dire ça, pour moi en tout cas. Ça veut dire quelque chose, ça veut dire qu'on passe d'un état à un autre. Et donc, quand j'ai un sens pour moi, je le garde et je le traduis comme ça. Il faut trouver un sens, sinon, pas traduire comme ça, juste, sinon ça ne veut rien dire. Parfois ça veut rien dire, mais essayez toujours de comprendre quelque chose avant. Après, pas pour traduire que ce soit simple en français, que ce soit aussi énigmatique en français.

  • Speaker #0

    Pour vous plonger dans la langue si particulière de Guimaraes Rosa, pour vous permettre d'en ressentir le souffle et la créativité, mais aussi de comprendre les problèmes que cette langue pose au traducteur, Je vous propose d'écouter Mathieu nous lire l'un de ses textes, d'abord dans sa version originale, en portugais, puis dans sa version traduite, en français. Si vous souhaitez l'avoir sous les yeux pendant que Mathieu le lit, puis pendant qu'il le commente, vous pourrez le trouver en VO et en VF sur le site du podcast, langalang.com. Ce texte est extrait de la nouvelle Mon oncle le jaguar une nouvelle que Mathieu a traduite en 2016 pour les éditions Ausha.

  • Speaker #1

    Il y a deux semaines, j'étais dans un colloque et on m'avait demandé de lire un extrait de cette nouvelle. Et je n'avais pas compris qu'il fallait lire en portugais, donc je suis arrivé sur place. Et j'avais le texte, je me suis dit ah bon, je vais le lire Je ne l'avais jamais lu. Et en fait, il s'est passé un truc très bizarre. Je ne pouvais pas le lire avec mon accent brésilien normal. Je le lisais avec un accent du Mina, je ne sais pas, de la campagne de São Paulo. et qui est très dur à ne pas... Pour moi, j'étais obligé de le faire comme ça. Alors, s'il y a des auditeurs voisiniens qui m'écoutent, ils vont dire, mais il vient... Comme on ne m'a pas entendu parler en portugais, on ne sait pas quel est mon accent. Mais ce n'est pas mon accent. Ce n'est pas ma façon de parler. Je l'ai fait, et en fait, le texte appelle ça. C'est pour ça que je dis que c'est un texte oral, en portugais, en tout cas. Il appelle cette façon de parler, je crois. Hum hum, et Orsin, elles savent que je suis de leur peuple. La première que je vois dans Maté, c'est Maria Maria. J'ai dormi dans le champ, ici, près, à la bord d'un feu que j'ai fait. À la nuit, je dormais. Elle est venue. Elle m'a réveillé, elle me sentait. J'ai vu un beau oeil, un oeil jaune, avec des peines noires qui bouillent bien, à la don de cette lumière. Je me suis dit que j'étais mort. Je ne pouvais rien faire. Elle m'a senti, elle sentait, ses pattes suspendues. Je pensais que j'étais en train de me réveiller. Aruku était pire, sapoté, bâti de la forêt. J'ai entendu toute ma vie. Je ne me suis pas touché. C'était un endroit mignon, paisible, je me suis laissé dans un petit chien. Le feu avait cuit, mais il était encore chaud comme un bourreau. Elle est arrivée, elle m'a effrayé, elle me regardait. Ses yeux m'attendaient l'un sur l'autre, les yeux se lumièrent, ping-ping. L'œil est brusque, pointu, elle nous fait des bruits de bouche. Tu n'as mais non. Il y a beaucoup de temps, elle ne faisait rien aussi. Après, elle m'a mis une zone sur mon peau, avec beaucoup de finesse. Je me suis pensé. Maintenant, je suis mort. Parce qu'elle a vu que mon cœur était là. Mais elle se calquait de la main, avec une main, en me foussant avec l'autre, de sa socle. Elle voulait m'éteindre. Je me suis dit, Oh, c'était une oise. Elle aimait moi, je me suis dit. J'ai ouvert les yeux, et elle m'a mis un peu de finesse. Je suis tombé. Je disais doucement, Eh, Maria Maria, je veux te chercher ensemble, Maria Maria. Elle s'est rassurée et s'est fait mouiller. Et elle me disait, J'en gagne, hein, j'en gagne. Si oui, elles savent que je suis l'un des leurs. La première que j'ai vue que j'ai pas tuée, ça a été Maria Marie. J'ai dormi dans la forêt, près d'ici, à côté d'un petit feu que j'ai fait. Au petit matin, je dormais. Elle est venue. Elle m'a réveillé. Elle me ferait. J'ai vu ses beaux yeux, un œil jaune, avec des tachettes noires, qui boubouillonnaient bon dans cette lumière. Alors j'ai fait semblant d'être mort. Je pouvais rien faire. Elle m'a flairé, Renif l'a flairé, une main en suspens, j'ai cru qu'elle cherchait mon cou. L'oroukoué, la piolée, le crapoué, tela, tela, les bêtes de la forêt, et moi qui écoutais tout ce temps. J'ai pas bougé. C'était un endroit tout doux, agréable, moi couché sur le romarin. Le feu s'était éteint, mais il y avait encore la chaleur des cendres. Elle s'est même frottée contre moi, elle me regardait. Ses yeux se rapprochaient l'un de l'autre, des yeux qui brillaient goutte-goutte, un œil sauvage, pointu, fixe, elle vous le plante, elle veut sorceler. Elle ne le détourne plus. Pendant un moment, elle n'a rien fait non plus. Ensuite, elle a posé sa grosse main sur ma poitrine, tout légèrement. J'ai pensé. Maintenant, j'étais mort. Parce qu'elle a vu que mon cœur était là. Mais elle a pillé doucement, avec une seule main, pendant que l'autre me tapotait en sossoque. Elle voulait me réveiller. Hé hé, j'ai compris. Une once qui était une once, que je lui plaisais, j'ai compris. J'ai ouvert les yeux, je l'ai regardé bien en face. J'ai dit tout bas, hé Maria Maria, c'est pas sage ça, Maria Maria. Elle a ronronné en appréciation. Elle s'est encore frottée contre moi. Miam, miam. Ça a été écrit, on ne sait pas quand ça a été publié, c'est une nouvelle posthume, mais il y a des chercheurs qui l'ont trouvé, donc on ne sait pas vraiment la date d'écriture. Et ça c'est important en fait la date d'écriture, parce que moi je pense qu'elle a été écrite avant son grand roman, Diadorim. Et qu'en fait c'est un travail, c'est le même processus, c'est-à-dire dans Diadorim et dans Mon oncle le jaguar, la nouvelle, c'est quelqu'un... Un homme, dans Diadorime c'est un paysan, là c'est un chasseur, un mi-indien, un mi-blanc, qui reçoit un homme de la ville, ou un homme plus cultivé, ou un homme plus riche, peu importe, qui est un peu le narrateur qu'on dirait en français, mais c'est un peu une grande oreille qui écoute et qui dit rien. Et donc il va parler, il va raconter sa vie. Donc c'est le même processus, mais sauf que dans la nouvelle Le Jaguar, Guillaume-René Strauss, il a cherché l'oralité, donc il a travaillé autour de l'oralité, mais c'est pas encore, c'est pas dans Diadorum, ça va être beaucoup plus accentué tout ça, mais c'est important, donc je l'ai traduite un peu pour me faire la main un peu aussi. Et ça raconte, c'est un métis d'Indien qui reçoit chez lui un homme qui est blanc, on ne sait pas grand-chose, mais qui a un pistolet sur lui. On ne sait pas ce qu'il vient faire là, mais on peut se poser des questions sur ça. C'est un peu Thésée, un peu qui veut tuer le Minotaur, on peut le lire comme ça, c'est un peu le Minotaur cette histoire aussi. Et donc ce chasseur raconte qu'il chassait des onces, donc c'est des jaguars. C'est le mot que j'ai trouvé suite à un autre traducteur qui avait déjà traduit cette nouvelle par Ons. Et donc, il va tuer des jaguars et puis il va le regretter. Et il va avoir une liaison amoureuse avec une Ons, avec une jaguar. C'est cette partie-là que j'ai eue, où il est couché et que l'Ons vient le visiter. Et après, il va vraiment avoir une relation charnelle avec elle. Ce qui rappelle une autre nouvelle de Balzac, qui s'appelle Une passion dans le désert. C'est un militaire qui a une liaison. avec une panthère dans le désert d'Afrique. Je ne sais pas s'il avait lu cette nouvelle-là, mais c'est tout à fait possible qu'il l'ait lue. En tout cas, la rencontre entre le chasseur et l'once, et entre le militaire et la panthère, c'est très très proche. C'est assez étonnant, en fait. Et à la fin de la nouvelle de Balzac, il y a une phrase qui pourrait être de Guillaume Aestroise, j'espère que je vais m'en souvenir comme ça, mais c'est la dernière phrase de la nouvelle, il dit Le désert, c'est Dieu sans les hommes Et en fait, ça on dirait une phrase de Guillaume Aestroise, parce qu'il en fait plein des phrases comme ça. C'est tout à fait… donc il y a un rapport entre les deux. Pour moi, c'est deux très belles nouvelles.

  • Speaker #0

    À la lecture de cet extrait de Mon oncle le jaguar vous avez sans doute été marqués, comme moi, par ce flot continu du monologue et par ses mots étranges et ses drôles de répétition. Boubouillonné bon, flairé, reniflé, flairé, et t'es là, t'es là. Ça, c'est à qui M. Srosan rentre dans sa langue vraiment. Qu'est-ce qu'il va faire ? Il va chercher le toupie. Le toupie, c'est une langue parlée par les Indiens. Une des langues parlées par plein de langues qui visitent au Brésil. Mais qui était un peu la langue qui était utilisée par tout le monde pour le toupie. Pour les Indiens, ils se parlaient en toupie, un peu comme la langue francaise qui était utilisée pour tout le monde, pour qu'on puisse se comprendre. avant le portugais ou pendant le portugais. Donc c'était le toupie qu'il emploie. Donc il va employer le toupie, il va mettre des mots de toupie dans son texte, mais pas seulement, il va aussi utiliser une des spécificités du toupie, qui est de doubler les mots. Porin, porang, ça veut dire bon, bon, beau, bon. C'est le même mot beau et bon à la fin. Et donc il va utiliser ça dans son texte. Et là, on en a un exemple là, quand il va dire boubouillonnet, il dit boubouillande, bon. Ça n'existe pas en portugais. Boubouillard, je sais pas. Donc j'ai mis Boubouillonnais, bon. Voilà, j'ai gardé exactement. C'était pas dur à traduire, d'ailleurs. Mais c'est cette idée de la double... Je répète deux fois la même chose. Et en fait, c'est une sorte de dédoublement aussi dans ce livre. Parce que le chasseur... parce que je ne vous ai pas dit, le chasseur il va après tomber amoureux d'une once, il va lui-même devenir une once et il va tuer des gens. En fait il va faire le contraire, avant il tuait des jaguars et après il va commencer à tuer des gens en les mangeant, en buvant leur sang et dans un état de trance où il y a un dédoublement complet. Donc Gumanespa il emploie une langue pour écrire son texte vous voyez c'est très très c'est jamais gratuit en fait ce qu'il écrit il y a toujours un rapport à la langue qui est très fort. Mieux. euh... Non, sinon, pour Rosa, quand il y a des... En fait, ce que je fais, je pense que tous les traducteurs font la même chose, sauf peut-être les très jeunes traducteurs, on ne sait pas qu'on peut faire ça. Mais en fait, quand il y a un néologisme, je ne vais pas forcément traduire le néologisme par un néologisme. Parfois, je vais mettre un archaïsme ou un régionalisme, ou un mot simple. Mais ailleurs, quand il y a un mot qui est peut-être simple, un mot normal, là, je vais employer un néologisme, un archaïsme, un régionalisme, ou un mot un peu différent. désuet. L'idée, c'est qu'en fait, on traduit des textes. C'est-à-dire qu'on ne traduit pas mot à mot. Ce n'est pas un document administratif. L'idée, c'est de traduire même pas les paragraphes, mais un texte en entier. On peut jouer avec ça. le fait beaucoup ça. J'essaye toujours quand même de trouver, parce que c'est le plaisir du traducteur, j'essaye de trouver quand il emploie un archaïsme, j'essaye de trouver un archaïsme et le premier mot de Diadorime ça fait combien de... 15-20 ans que je le cherche. Mais si je ne trouve pas, je mettrais un néologisme à ce moment-là. Vous voyez, c'était Umberto Eco dans un très beau livre qui s'appelle Dire presque la même chose qui dit ça, alors il dit, voilà, il faut qu'on puisse trouver... L'important, voilà, c'est d'équilibrer.

  • Speaker #1

    On l'a vu, Guimaraes Rosa joue avec la langue. Il crée des mots nouveaux, il transforme la syntaxe, il ouvre de nouveaux espaces pour le langage. Et je me suis demandé à quel point cette plasticité était facilitée par la langue portugaise elle-même.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas dit ça du portugais, mais le brésilien en particulier, c'est une langue qui est encore en formation, c'est-à-dire qu'elle accepte. On n'est pas gêné au Brésil d'entendre des mots qu'on ne connaît pas, déjà parce que le pays est grand, donc on a l'habitude d'entendre des mots d'autres régions. On est habitué, il y a comme ça une malhabilité. D'ailleurs, quand on est entre Brésiliens et les Français, ils peuvent dire mais comment on dit ça ? Demandez ça à un groupe de Brésiliens, vous allez voir que chacun va dire mais je ne suis pas sûr qu'on puisse le dire, est-ce qu'on le dit ? C'est des discussions sur est-ce qu'on traduit ça comme ça ? Est-ce qu'on peut dire ça comme ça ? Alors certains vont dire oui, dans ma région, on peut le dire, mais je ne suis pas sûr que ça soit correct. Parce qu'il y a ça, ou cette idée que la langue n'est pas correcte. Donc le Brésilien est plastique. C'est une langue malléable. Mais Greza, il va accentuer ça d'une manière... Et puis il va en faire de la littérature, c'est ça aussi. Mais c'est vrai que c'est... C'est quelque chose qui est dans la langue. Et dans le Minas, en plus, on a l'habitude de créer des... Il y a un peu cette idée qu'on peut créer des mots pour décrire des choses nouvelles, parce que la langue portugaise, quand elle est au Brésil, il faut décrire, il faut parler de tous les oiseaux qu'on voit. Et alors, il y a les noms... scientifiques, mais il y a aussi les noms que le peuple emploie. Les gens, il faut qu'ils décrivent. Il y en a plein, il y a plein d'oiseaux, il y a plein d'animaux différents, donc il faut décrire tout ça. Le peuple, je veux dire la langue populaire doit le décrire. Et donc il y a plein de mots pour dire, voilà, comme le fournier en français, c'est le gondobar, ou c'est un oiseau qui construit sa petite maison. avec de la boue, comme ça. Ils appellent Jean, c'est Jean, Jean de la boue. Voilà, c'est vrai, il y a des mots, et tous les oiseaux ont des noms populaires qui décrivent un peu ce qu'ils font, comme le pivert, qui est pica-pau, celui qui pique le bois. Et Guillaume Moïse-Poise, il va utiliser ces noms d'oiseaux, il va en mettre plein. Et quand il écrivait à ses traducteurs, parce que c'était quelqu'un qui était très attentif aux traductions et très conscient de ce qu'on pouvait traduire son texte, il dit mais ne cherchez pas le mot scientifique, cherchez à donner le mot d'expression. Qu'est-ce qui va sonner pour le lecteur ?

  • Speaker #1

    Comment traduire les noms d'animaux, d'arbres ou de fleurs ? dont la littérature brésilienne regorge et qui n'existe pas en France. C'est une question intéressante parce que, pour reprendre l'exemple des oiseaux, si le nom de l'oiseau n'est pas évocateur en soi, et que pourtant cet oiseau est très populaire au Brésil, est-ce qu'il faut quand même laisser son nom original dans la traduction, quitte à ce qu'il n'évoque rien, voire à ce qu'il sonne exotique pour le lecteur francophone ? On crée alors un léger décalage par rapport au texte original. Une autre solution serait de trouver l'équivalent en France de cet oiseau populaire au Brésil, le merle par exemple. Mais dans ce cas, est-ce qu'on n'appauvrit pas un peu le texte ? On touche ici du doigt la question des intraduisibles culturels. C'est ce qui pose le plus de problèmes à Mathieu quand il traduit.

  • Speaker #0

    Dans les familles populaires au Brésil, on a l'habitude, que ce soit dans le certain ou dans les favelas, c'est peu importe, mais dans les familles plus populaires, plus modestes, disons d'un milieu modeste, on vouvoie ses parents. C'est normal. On vouvoie donc sa mère, son père. Au Brésil, le vouvoiement n'est pas exactement le même qu'en français. On se tutoie toujours au Brésil entre les gens, mais il y a une forme de vouvoiement qui est un mouvement de respect qu'on va utiliser d'une classe sociale inférieure à une classe sociale supérieure, par exemple. mais aussi des enfants dans les familles modestes aux parents. Le problème c'est qu'en français, les enfants qui veulent voir leurs parents, c'est au contraire, c'est les classes, c'est des gens très aisés qui font ça, des très grands bourgeois qui vont... Et donc, là je me retrouve devant quelque chose, je ne sais pas comment faire, parce que soit je traduis, soit ils se tutoient leur mère, les personnages. Et on perd beaucoup, on perd ce respect. Et en plus, il en parle du texte de Salamère, il l'appelle même Donna. Donna, c'est Madame, un peu. Et elle se plaint, elle dit, mais j'ai même pas 50 ans, pourquoi tu m'appelles Donna, son fils ? Donc, il parle de ça. aussi le vouvoiement. Et pour l'instant je le fais vouvoyer. Alors c'est un truc très étrange en français, mais peut-être que le lecteur français va se dire bon là c'est une étrangeté, mais il va comprendre que voilà on peut pas tout transposer. Ça pour l'instant c'est quelque chose que j'essaie de trouver. Il faudra bien trouver une solution, mais c'est difficile.

  • Speaker #1

    L'une des choses décisives dans le choix de Mathieu de devenir traducteur, c'est d'abord la découverte de Joao Guimaraes Rosa, mais ensuite, et surtout, la découverte de ses traductions en français. Il m'explique qu'il n'y retrouve pas sans Guimaraes Rosa. Aujourd'hui, les droits de diadorime en français ne sont pas disponibles. Alors en attendant, Mathieu le traduit pour son plaisir.

  • Speaker #0

    Ce qui s'est passé avec diadorime, c'est que ça a été traduit une première fois dans les années 60 par un traducteur. qui a transformé Ausha, le narrateur, en un paysan français. Et donc, juste avec des mots, sans aucun néologisme, juste il avait fait ça. Et donc, ça donne un effet très étrange, même pour les lecteurs brésiliens, de voir en français, parce que ce n'est pas la même chose. Moi, je n'ai jamais traduit le paysan par le... Mais bon, je comprends, c'est juste... Je comprends ce qu'il a fait, mais c'est très bizarre. Et donc la traductrice, Marie-Vonne Lapouche-Petorini, quand elle a traduit ça dans les années 90, je comprends parfaitement qu'elle ait eu envie de faire ça, elle s'est dit, non, non, il faut le traduire dans un langage beaucoup plus... soutenu, avec du passé simple, il faut faire le contraire en fait de ce qu'il a fait, dans un langage plus neutre, et je comprends parfaitement qu'elle ait fait ça, et c'était le moment de le faire. Et maintenant je pense que le moment c'est de faire une autre chose encore. de faire à la fois l'oralité, et ça, c'est dur, et aussi le langage faux. De mélanger les deux pour en faire une langue qui va être un peu... C'est pour ça que j'ai dit que... Ça ne veut pas dire que la traduction va annuler l'autre, c'est juste que ça sera différent. C'est très triste d'ailleurs quand les traductions annulent celles qui disparaissent, parce que j'aime bien, moi j'adore. J'adore comparer les traductions entre elles aussi, même quand je ne connais pas très bien la langue originale. C'est bien quand il y a plusieurs traductions qui vivent en même temps. Ma thèse a été de comparer toutes les traductions de Rosa dans toutes les langues. En fait, c'est un texte qui se prête à des traductions complètement différentes. Mais vraiment, j'ai même le titre, je vais vous donner le titre du roman, je ne vais pas donner tous les titres, mais il y a ceux qui ont traduit Guern-de-Sertang. C'est le grand sartan. Le mot verrez est presque intraduisible, mais on a traduit souvent en danstor, en norvégien, enfin voilà. Le grand sartan, dans d'autres langues, en espagnol c'est grand sartan. Il y a ceux qui ont traduit l'histoire d'amour entre Riobardo et son frère d'âme. c'est le fait français très romantique donc on ne s'appartient à doris c'est diadori c'est le nom de l'amour de du narrateur c'est un homme qui va là ils sont à omis sont tous les deux amoureux et c'est des bandits donc ils peuvent pas peuvent pas s'avouer leur amour aux yeux des autres, c'est impossible. C'est dans le milieu du banditisme dans le certain. Ils ne peuvent pas. C'est impossible. Deux hommes ne peuvent pas s'aimer. Ils ne peuvent pas se l'avouer l'un à l'autre parce que ils ne peuvent pas se l'avouer à eux-mêmes. C'est ça qui est fort dans le texte. C'est un amour complètement inavouable mais qui existe. Et donc les Français ont traduit ça par Théodore. Il y a ceux qui ont traduit ça par Le Diable dans la rue parce que c'est une histoire aussi de pacte avec le diable. C'est un fausse brésilienne un peu cette histoire aussi. et donc il y a la traduction danoise je crois c'est le diable dans la rue et c'est un mot qui est dans le texte aussi donc vous voyez le diable, l'amour, le certain et puis il y a la traduction suédoise qui est complètement il s'est donné c'est une traduction très libre comme ça très étrange par rapport à ce qu'on prend de l'original il a traduit ça, les aventures du bandit Riobaud la vie est dangereuse mon seigneur les aventures du bandit Riobaud donc Donc c'est encore autre chose, c'est une histoire d'aventure d'un bandit, et la vie est dangereuse, c'est aussi une phrase qui revient dans le texte comme un leitmotiv. En fait, les traductions, elles ont une durée de vie aussi. Donc je pense qu'il faut retraduire tous les 25 ans. Et je vois pas de mal à ça. Et si on lit Baudelaire aujourd'hui, le traducteur de Pau, c'est parce que c'était Baudelaire. Même si sa traduction est très belle, c'est aussi parce qu'on est en... on aime lire Baudelaire. Ce n'est pas qu'elle est immortelle en soi. C'est une grande question s'ils sont mortels ou pas. Moi, je pense que ça ne me gêne pas du tout que tous les 25-30 ans, qu'on ait envie de retraduire un texte.

  • Speaker #1

    Et vous-même, vous avez déjà eu envie de reprendre des traductions que vous avez faites ?

  • Speaker #0

    C'est bon. Là, en lisant ça, j'ai envie de changer des choses, et je me dis pourquoi j'ai fait ça comme ça. Mais en fait, il faut arrêter un moment. En fait, ce texte-là, il a été, je ne sais pas si vous savez, mais il a été au programme de la Grègue. de lettres modernes. Et donc, ça s'est vendu un petit peu. Il y a eu pas mal de demandes. L'éditeur m'a demandé au moment du deuxième tirage est-ce que je voulais changer quelque chose. Donc, j'ai tout relu. Et j'ai changé des petites... Cette nouvelle-là, particulièrement, j'ai changé des choses. dans d'autres. Parfois c'est des toutes petites coquilles qu'il y avait, ça arrive toujours. Parfois j'ai changé un petit peu. Et après une troisième fois encore, il m'a demandé, j'ai encore à changer. Et après maintenant je crois qu'il va me demander plus. S'il y a une quatrième édition, il va plus me demander parce que ça demande. C'est pas évident de changer, mais j'ai envie de changer tout le temps en fait. Je me demande si les auteurs n'ont pas la même chose. Parce que le texte de Guillaume Maestroza, par exemple, comme d'autres auteurs, il est Il a repris son texte plusieurs fois, donc j'ai plusieurs versions de son texte. Parfois, il y a des arbres au puriel, parfois c'est un arbre. Il dit je tirais sur un arbre et dans un autre texte, c'est je tirais sur des arbres Alors pourquoi est-ce qu'il… Maintenant, il y a aussi des petites différences. Et Rosa, il a quelque chose de particulier. C'est qu'il y avait des coquilles, évidemment, comme dans tous les textes, il y a des coquilles parfois. Et lui, parfois, il aimait bien, il acceptait la coquille. C'est-à-dire qu'il disait parfois, il disait, tiens, la coquille, moi je la laisse comme ça. Il laissait une coquille dans le texte exprès. Donc c'est un truc, parce que sinon, on n'a pas l'habitude, on corrige, mais voilà.

  • Speaker #1

    J'espère que ce voyage au Brésil vous a plu. Si c'est le cas, n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire sur votre plateforme d'écoute et à partager l'épisode autour de vous. C'était donc le cinquième épisode de Langue à Langue, avec le traducteur du portugais Mathieu Doss. Je le remercie infiniment de s'être prêté au jeu de l'interview et d'avoir accepté de commenter l'une de ses traductions. dont je vous rappelle le titre. Il s'agit de la nouvelle Mon oncle le jaguar de Joao Guimaraes Rosa, parue dans le recueil Mon oncle le jaguar et autres histoires, en 2016, aux éditions Chandegne. Vous pouvez retrouver les extraits en portugais et en français sur le site langalang.com. Langa Lang est un podcast de Margot Grillier, c'est moi. L'identité sonore et graphique sont signés Studio Pile. et le montage-mixage a été réalisé par Nathan Luyer de La Cabine Rouge. Le podcast entre maintenant dans une petite pause hivernale, mais on se retrouve dans quelques mois pour de nouveaux épisodes, pour continuer à voyager à travers les langues et les littératures du monde avec les traducteurs et les traductrices. D'ici là, n'hésitez pas à suivre les pages Facebook et Instagram du podcast pour ne manquer aucune actualité, et bien sûr, abonnez-vous sur votre plateforme préférée Laissez-nous des étoiles et parlez-en à tout le monde autour de vous. A bientôt et comme on dit en portugais, até a próxima !

Chapters

  • Introduction

    00:00

  • Générique

    02:21

  • Mathieu m’accueille chez lui

    02:50

  • Du zoo de Vincennes aux favelas de Rio

    03:40

  • Traduire l’argot des favelas

    05:01

  • Mélanger argot et langage soutenu

    08:23

  • Rapport de Mathieu à la lecture

    10:31

  • Rencontre de Mathieu avec l’écriture de Guimarães Rosa

    13:43

  • Projet littéraire de Guimarães Rosa

    15:58

  • Lecture en portugais

    22:06

  • Lecture en français

    24:20

  • Résumé de « Mon oncle le jaguar »

    26:27

  • Néologismes et traduction

    29:23

  • Plasticité de la langue brésilienne

    32:50

  • Intraduisibles culturels : vouvoiement et classes sociales

    35:26

  • (Re)traduire Diadorim

    37:54

  • Conclusion

    44:11

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Description

Mathieu Dosse me reçoit chez lui, à Charenton, en banlieue sud-est de Paris, tout près de chez Marie Vrinat-Nikolov, que vous avez entendue dans l’épisode 2. Français par son père et brésilien par sa mère, Mathieu traduit le portugais du Brésil depuis une dizaine d’années.

Dans la petite cuisine jaune de son appartement, il m’a parlé de l’argot des favelas de Rio, de la plasticité de la langue brésilienne, de sa rencontre avec l’écriture du grand écrivain João Guimarães Rosa et des défis qu’elle pose aux traducteurs.

Mathieu m’a d’ailleurs lu un extrait de l’une de ses nouvelles, d’abord en VO puis en VF, pour vous permettre d’apprécier la beauté de sa langue si particulière, et les complexités de sa traduction. Cette nouvelle s’appelle « Mon oncle le jaguar » et elle est extraite du recueil Mon oncle le jaguar & autres histoires, publié en 2016 aux éditions Chandeigne.

Mathieu est un amoureux des livres, des mots et de la traduction. J’espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à l’écouter, et que cet épisode vous fera voyager au Brésil, des collines de Rio aux forêts luxuriantes du sertão !

 

➡️ Retrouvez tous les textes lus dans le podcast (en VO et VF) sur languealangue.com et sur les réseaux sociaux (@languealangue sur Instagram). Soutenez-nous en nous laissant des étoiles et un commentaire, et surtout, parlez-en autour de vous !

 

Langue à Langue est un podcast de Margot Grellier

Musique et graphisme : Studio Pile

Montage/mixage : Nathan Luyé de La Cabine Rouge


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Oui, bonjour Mathieu, c'est Margot.

  • Speaker #1

    Bonjour, à tout de suite.

  • Speaker #0

    C'est magnifique de voir un seul texte en plusieurs langues. C'est un texte qui voyage d'une langue à l'autre. C'est comme un oiseau qui saute d'une branche à l'autre. Et en même temps, le texte original est comme le tronc de l'arbre, et chaque livre est une branche dans ce même arbre. C'est dans ces mots que le poète libanais Issa Maqlouf parlait de traduction. C'était sur France Culture, en décembre 2013, dans l'émission Ça rime à quoi ? Et ces mots, ils me font penser à Mathieu Doss, le traducteur du portugais que vous allez entendre dans cet épisode. Mathieu est français par son père et brésilien par sa mère. Il traduit le portugais du Brésil depuis une dizaine d'années, mais avant, il a étudié la littérature comparée. Il s'est spécialisé dans l'œuvre du grand écrivain brésilien Joao Guimaraes Rosa et dans l'étude de ses différentes traductions, un peu comme l'oiseau qui saute de branche en branche sur l'arbre d'Isamaclouf, si vous me suivez. J'ai eu la chance de passer quelques heures avec lui en mars dernier, dans la cuisine de son appartement. Mathieu vit à Charenton avec sa femme et sa fille, en banlieue sud-est de Paris, à deux pas d'ailleurs de chez Marie-Vrina Nikoloff, la traductrice du bulgare que j'avais rencontrée pour le deuxième épisode de Langue à langue. Ensemble, on a discuté de l'argot des favelas de Rio, de la plasticité de la langue brésilienne, de l'amour de Mathieu pour les livres et des changements dans sa façon de lire depuis qu'il est devenu traducteur. On a parlé aussi de sa rencontre avec la langue si particulière de Guimaraes Rosa et des défis qu'elle pose au traducteur. Vous l'entendrez, Mathieu est passionné. Il aurait pu parler des heures encore. J'espère que cette passion vous cueillera, vous aussi, et qu'elle vous transportera un peu au Brésil le temps d'un épisode. Je suis Margot Grellier et vous écoutez Langue à langue, épisode 5, Papillon, néologisme et chefs-d'œuvre brésiliens avec

  • Speaker #1

    Mathieu Doss. Langue

  • Speaker #0

    à langue.

  • Speaker #1

    Lingua lingua. bonjour merci beaucoup de m'accueillir bonjour enchanté flambeau mal à la main oui d'accord là on est dans la cuisine parce que c'est le seul endroit où on peut fermer une porte dans cet appartement ce qu'on a même pas de temps macho à la chambre de ma fille où il ya une porte est ici Donc c'est une cuisine jaune avec un frigo gris qui fait un peu de bruit. Et il y a un café qui est préparé. Et on est au huitième étage dans un immeuble de Charenton. Vous avez vu la vue qu'on a ? C'est un immeuble qui nous permet d'avoir une vue assez panoramique sur tout Charenton et un peu Paris. Les tours qu'on voit là-bas,

  • Speaker #0

    c'est

  • Speaker #1

    Montreuil. Là-bas, c'est Montreuil. Là-bas, c'est le zoo de Vincennes. La grande... On appelle ça... L'autre jour, je cherchais un mot pour décrire ça. C'est pas évident, parce qu'en portugais, il y a un mot, on appelle ça une pierre, une pèdre. Mais là, je cherchais le mot pour ça, et je cherche encore. Le grand truc, cette grande butte, je sais pas comment on appelle ça, qui est au zoo de Vincennes et qui a été construite artificiellement, c'est pas du tout naturel, ça a été construit pour... pour abriter les... Le rocher. Le rocher, voilà. Le rocher, le rocher. Mais à Rio, il y a plein de grandes favelas. Elles sont sur des buttes. Pour l'instant, je n'ai pas trouvé d'autres mots. Mais on appelle ça mort. Et Rio est plein comme ça de rochers qui sortent de l'eau, d'autres dans les montagnes. Donc, en fait, le seul mot qui est vraiment... qui décrit ça en français, c'est un mot des Antilles, parce qu'aux Antilles, il y a ça aussi. C'est le mot morne. Mais personne ne connaît, alors c'est un peu le mot épicé, c'est très intérieur. Là, je cherchais un mot très courant dans mon langage. Donc là,

  • Speaker #0

    vous n'avez pas entendu par but.

  • Speaker #1

    Pour l'instant, j'ai gardé but, parce que codine, ça donne l'idée d'une codine verdoyante. Ce n'est pas du tout ça, c'est vraiment une croissance du sol qui monte.

  • Speaker #0

    Quand je l'ai rencontré, Mathieu était en plein dans la traduction d'un roman de Giovanni Martins, un jeune auteur originaire des favelas de Rio, dont les livres ont énormément de succès au Brésil aujourd'hui. Dans ses livres, justement, Giovanni Martins reprend le langage très particulier des favelas, ce qui, évidemment, pour Mathieu, représente un vrai défi de traduction.

  • Speaker #1

    Il fallait faire une équivalence parce que ce n'est pas une vraie équivalence. Je ne pense pas qu'il y ait une équivalence entre le parler des favelas et celui des banlieues françaises. C'est pas vraiment la même chose, mais comme il y a plein de points communs quand même, il y a plein de choses qui sont... En fait, on retrouve des... Ils écoutent la même musique, ils s'intéressent aux mêmes choses. Et donc j'ai transcrit ça dans un français de la banlieue de Paris, mais mélangé avec le passé simple, mélangé avec un langage assez soutenu, ce qu'il fait en portugais, donc ça donne un effet assez… Je ne sais pas si ça va marquer ou pas, mais pour l'instant, je n'ai jamais pris autant de plaisir à traduire un livre, je crois. C'est vraiment… C'est assez passionnant de mélanger l'argot le plus… Vraiment, je cherche des mots vraiment que je ne connais pas. Il y a des dictionnaires d'argot des banlieues, et j'essaie vraiment de trouver des mots qui ne sont pas connus, pas juste des mots qu'on connaît aujourd'hui comme… Je ne sais pas qui fait, je l'emploie bien sûr, mais qui fait le Somme. Alors avoir le Somme, je n'ai pas osé l'utiliser, mais peut-être j'ai le de faire. Il y a des mots que ma fille ramène de l'école. Ce sont des mots qui sont passés dans le langage courant. Mais de trouver des mots vraiment rares et que je ne connaissais pas. Et mélanger ça avec un langage tenu. Ce qui est dur à faire, c'est qu'il ne faut pas que ça soit trop caricatural. Et là, c'est trouver le juste milieu entre un texte qui se prête à une lecture. en fait orale quand même il ya beaucoup d'oralité mais qui sont pas caricatural c'est ça qui est dur comme et puis tout le monde tout le monde de la drogue aussi c'est pas évident à traduire parce qu'il parle beaucoup de fin c'est un livre lui le cannabis en particulier la bce à marconi c'est c'est omniprésent dans le livre c'est ça pour toutes les pages il en parle il ya une fascination pour ça il fallait donc il faut traduire ça aussi en français ce qui Ça demande de connaître un peu le milieu. Donc je fais des reflets, j'ai des amis, de temps en temps, j'appelle des amis, je dis mais comment on dit, je suis en train de chercher, comment on dit un point de deal ? Et je suis sûr qu'il y a un autre mot. Alors il y a le mot charbon Le mot charbon c'est employé par les trafiquants, parce qu'ils vont au charbon, c'est là où ils vont gagner de l'argent. Donc ils emploient le mot charbon J'ai discuté avec des amis qui s'y connaissent un peu. Et voilà, j'ai cherché dans les dictionnaires, passé du temps sur Internet, écouté des choses. chansons, voir des films, lire des livres et tout ça fait qu'au bout d'un moment on trouve quelque chose. Et de toute façon il faut que ça soit littéraire, c'est pas juste trouver... Quand il écrit en portugais en tout cas, Martins, il a un plaisir d'écrire, à parler de sa favela... C'est rare de voir autant de plaisir, même si c'est un monde assez dur. Ils parlent aussi de la difficulté même de manger. Parfois, ils n'ont pas d'argent même pour acheter un hamburger ou quoi que ce soit. Mais il y a un plaisir à écrire. Il faut rendre ce plaisir-là en français, dans un français très rapide, très facile à lire, mais en même temps avec plein de petits mots comme ça, de temps en temps, qui viennent perturber la lecture pour qu'ils ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    À ce vocabulaire issu de l'argot, Mathieu mêle des tournures plus soutenues et du passé simple. Un mélange inattendu qui lui permet de se rapprocher de l'effet produit par la langue de Giovanni Martins.

  • Speaker #1

    En discutant, il est venu à Paris, Giovanni Martins, et on s'est rencontrés. Et on parlait de comment il écrivait. Il m'a dit, mais je fais ça parfois, j'écris dans un langage neutre, enregistré, normal. Et puis, de temps en temps, je mets un mot. de la banlieue, de la favela, comme ça, en plein milieu. Je lui dis Ah oui, d'accord. Et en le lisant, je dis Oui, voilà, c'est ça qu'il fait, en fait. Quand c'est des dialogues, là, c'est complètement oral, donc il n'y a pas de mots sous-nus. Mais quand il écrit... Et puis même, en fait, c'est ce qui marche le mieux en français. Je me suis rendu compte, le passé... Je ne sais pas si d'autres traducteurs vous ont parlé de ça, mais le champ entre passé simple et passé composé, pour moi, c'est... Parfois, je suis au milieu du livre et je me dis, mais il faut tout refaire au passé composé, ou tout refaire au passé simple. Et en fait, maintenant, je mélange les deux, j'arrive à le faire parce que je me suis un peu... Voilà, j'ai de la bouteille, comme on dit, et je sais mélanger. Donc je mélange les deux, mais comme Camus, Albert Camus, le fait de... en étranger, il s'est écrit au passé composé, mais dans un temps, il met du passé simple aussi. En fait, les auteurs français se permettent de faire ça. Je me dis, si les auteurs se permettent de faire ça, pourquoi est-ce qu'on ne se permettrait pas aussi de le faire comme on est traducteur ? Il n'y a pas de passé simple, de passé composé en portugais, mais il y a un registre neutre, soutenu, neutre. Et c'est ce registre-là que j'essaie de reproduire. J'ai fait des essais avant de commencer à traduire. Je ne sais pas si vous voyez. Qu'est-ce qui marche le mieux ? Qu'est-ce qui rend la langue la plus lisible ? Mais pas dans le sens facile, pas dans le sens de lecture facile, mais dans le sens de ce qui fait pétiller la langue. C'est ça que je cherche, c'est comment rendre la langue la plus pétillante possible au français.

  • Speaker #0

    Quand il traduit, Mathieu aime se replonger dans la langue de certains auteurs pour s'en inspirer et alimenter sa propre écriture. Parfois ça marche, parfois moins, ça fait partie de son processus de traduction. Comme beaucoup de traducteurs, Mathieu est un très grand lecteur, mais son rapport à la lecture a pas mal évolué depuis qu'il traduit.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si c'est votre cas, mais j'avais un peu cette idée qu'il fallait finir les livres. Donc, quand je disais, je disais non, je commence un livre, je vais le finir, je vais aller jusqu'au bout, parce que c'est un engagement. Et maintenant, je n'ai plus le temps de faire ça, donc je lis des livres. Quand j'aime, je vais jusqu'au bout, mais parfois, je dis juste 50 pages et c'est suffisant pour ce que j'ai. J'ai un peu perdu cette... Je n'ai plus le temps de faire la sélection de temps, je n'ai plus le temps de lire tout. Mais il faut aussi, je pense, donner un peu de temps aux livres qu'on lit. Ça, c'est quelque chose que je... Je soutiens, il faut vraiment... On ne peut pas abandonner un livre au bout de trois pages. Je ne sais pas si c'est pas bien. Je pense qu'il faut vraiment essayer de se donner un peu de temps au livre, de donner le temps à l'habituation, à ce qu'on comprenne, même si le livre n'est pas bien. Après, il ne faut pas se forcer non plus, parce que ça ne sert à rien de dire... Je me souviens de l'expérience que j'avais eue avec Ulysse, que j'avais eue avec Ulysse de Joyce. J'avais essayé de le lire dans une première traduction. C'était difficile, je ne comprenais pas ce qui se passait. Et après, je me suis dit, non, mais bon, j'ai laissé tomber. Puis je l'ai relu dans une nouvelle traduction, dont Tiffaine Samoyaud, ma directrice de thèse, elle avait traduit deux épisodes, je crois. et là ça a été passionnant c'était une des plus grandes lectures que j'ai eues j'ai adoré ce livre mais cette idée du temps à l'habituation je pense que c'est vraiment important de donner un peu de

  • Speaker #0

    temps à un livre qu'on ouvre Est-ce que vous pensez aussi qu'il y a des rendez-vous avec des livres ? Par exemple, la première fois que vous avez essayé de lire le livre,

  • Speaker #1

    ce n'était pas le moment. Oui, tout à fait. Je pense que dans notre vie de lecteur, il y a des moments où... Et puis après, peut-être qu'il y a des auteurs... Moi, je n'ose plus lire Nabokov. Par exemple, j'ai lu Hadda quand j'avais 20 ans. C'était un tel choc. Moi, ça a été un des plus grands chocs que j'ai eu en littérature. Je suis incapable d'ouvrir le livre. Je l'ai dans ma bibliothèque et je ne veux pas l'ouvrir. Je n'ose pas l'ouvrir, en fait. Parce que j'ai eu déjà Nabokov. Ça a été un auteur qui me passionnait quand j'avais 20 ans. Et peut-être que maintenant... le rendez-vous il est passé aussi ça a été un rendez-vous et si je l'avais découvert maintenant peut-être que j'aurais pas eu je dis ça parce que je sais qu'il y a des amis qui disent non mais moi j'aime pas Nabokov je comprends pas, j'aime pas du tout et je dis bon peut-être que le rendez-vous a été manqué tout simplement et qu'il y aura pas d'autres chances et après il y a des auteurs que je sais pas si c'est votre cas mais il y a des auteurs que moi je relis c'est Borgès par exemple c'est un des auteurs que je peux relire depuis que j'ai 20 ans je le relis régulièrement et j'ai toujours autant de plaisir à le lire... Je connais tout, mais il vieillit bien avec moi.

  • Speaker #0

    Avec les livres, il y a les rendez-vous passés, les rendez-vous manqués, les rendez-vous réguliers, et puis il y a les compagnons d'une vie, ceux qu'on rencontre une fois et qu'on ne lâche plus, ceux dont la langue provoque un étonnement permanent. Pour Mathieu, ce compagnon d'une vie, c'est Diadorim en français, c'est l'unique roman de Joao Guimaraes Rosa, l'un des plus grands écrivains brésiliens du XXe siècle. Mathieu y a consacré sa thèse et une grande partie de son travail de traducteur. Et pourtant, entre Guimaraes Rosa et lui, ça n'avait pas si bien commencé.

  • Speaker #1

    Je devais avoir 20 ans. Et ma tante m'avait tendu un livre en disant, ah ça c'est magnifique, c'est la grande littérature brésilienne, il y avait un buzz sur la couverture, je me souviens. Et j'ai lu quelques lignes, j'ai dit mais c'est pas possible, on peut pas faire comme ça, c'est du... je n'aime pas du tout. Je l'ai mis de côté, mais vraiment... avec un mépris incroyable, j'ai mis ce livre de côté. Je ne l'ai pas lu pendant un an et puis un jour j'étais vraiment littéralement enfermé dans un appartement où je ne pouvais pas sortir. Et j'étais tout seul et j'ai cherché dans les livres que je voulais lire et j'ai trouvé un livre de Game of Thrones. Et j'ai dit Tiens, peut-être qu'on va essayer là Et là, ça a été un coup de foudre. Enfin, un coup de foudre, non, parce que coup de foudre, c'est quand on rencontre parfois, mais ça a été un émerveillement. Et après, quand j'ai lu son grand roman, ça a été... Moi, je l'ai lu... J'ai jamais lu un livre aussi vite que ça. Donc voilà, pour la rencontre, ça a été... Mais ce que je vous décris, c'est très courant au Brésil. Tout le monde va dire la même chose. Clarice Lispector, qui est la grande écrivain de l'autre, grand écrivain brésilien, il y a Guilherme Assoise et Clarice Lispector pour le XXème. Après il y a Georges Hamad aussi, il y en a d'autres, il y a des grands poètes, mais il y a ces deux-là qui sont très grands. Elle disait, quand elle écrit à un écrivain brésilien... qui n'est pas du tout connu en France, Sabine, Fernande Sabine. Elle lui écrit, mais je suis en train de lire un roman qui s'appelle Grande et certaine vérité de Cédrine. Je comprends, je suis tellement aïri, j'ai peur de tant l'aimer. Elle écrit des phrases comme ça. C'est un effet très courant, en fait.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez me décrire un petit peu son projet littéraire ou sa langue ? Qu'est-ce qui est si particulier dans son livre ?

  • Speaker #1

    En fait, ce qu'il fait... C'est qu'il va prendre le langage du Minas Gerais, de l'état du Minas Gerais, qui est un état central assez rural, c'est le centre du Brésil, c'est vraiment le centre du Brésil, très rural, donc il y a encore beaucoup de grandes fazendas, il y a beaucoup de végétation sauvage encore. Il va prendre cette langue-là et il va en faire une nouvelle langue. formé à partir de cette langue. Donc en fait il va créer des néologismes, il va utiliser beaucoup d'archaïsmes qui sont pas du Minas Gerais, il va employer des archaïsmes dans la langue portugaise, des mots vieux qu'on ne peut plus du tout. Il va chercher les régionalismes aussi, parce qu'il a parcouru le Sertan, on appelle cette région le Sertan, c'est un des mots pour comprendre. Le Sertan ça peut être ailleurs aussi mais bon, je vais pas compliquer, c'est le disant et c'est le Sertan pour lui.

  • Speaker #0

    C'est l'art que vous donnez à la fin de l'an plus petit ?

  • Speaker #1

    Oui, voilà. Le pays ? Voilà, c'est un peu ça, c'est l'ARP. Donc il va dans le certain à Dodane et il va recueillir toutes les histoires. Il avait des cahiers, des cahiers avec des mots. Donc il y a une grande recherche aussi. Et puis il est né dans cet endroit, c'était un génie. C'était ce qu'on appellerait aujourd'hui un surdoué, parce qu'à 10 ans, je suis allé dans son village à 10 ans, il parlait déjà le français, il parlait plein de langues. Il était dans un tout petit village, c'est qu'il faut comprendre, dans un village rural du Brésil, on n'a pas accès à ça. Et puis ce n'était pas un fils de fazaine des roses, il habitait une petite maisonnette, c'était un milieu tout à fait normal, ni pauvre, ni riche. Mais voilà, son écriture, c'est ça, c'est ce mélange de... de portugais, de Minas, qui est transformé dans une langue complètement nouvelle, rythmiquement impeccable, et puis il a une connaissance de tous les mythes européens, donc il convoque les mythes de manière parfois cachée, parfois un peu plus évidente, et tout ça va faire que c'est une langue qui... qui n'a pas son pareil et qui n'existe pas en portugais. Là, ça a donné lieu à ce recueil, à ce lexique de 8000 mots. Il n'y a pas que les mots, il y a les mots. Les mots sont passionnants, mais c'est sa manière de construire, sa rythmique, sa manière de mettre des mots qu'on connaît, mais dans un autre... C'est dur à décrire.

  • Speaker #0

    Dans des expressions qui ne sont pas idiomatiques.

  • Speaker #1

    Voilà, exactement. Il n'emploie jamais d'expression idiomatique. Il n'en plaît jamais ça, jamais. Mais il en crée. Donc il y a des expressions, par exemple, à un moment donné, dans un de ses textes, il parle d'un diplomate, lui il était diplomate aussi, d'un diplomate qui est exilé dans la ville. dans la Cordillère des Andes, et qui souffre le Ausha. Ausha, c'est un mot espagnol pour décrire le mal des hauteurs. C'est quand on est pris de... On ne peut pas respirer à cause de la haute altitude. ce diplomate, il va passer une période, à un moment, il pleure tout le temps, il ne sait pas pourquoi il pleure, il passe une crise existentielle très très forte. Et à un moment, il dit en portugais, je vous le dis en portugais, il dit o so fri asas Et littéralement en français, c'est j'ai souffert les ailes J'ai cherché, j'ai dit mais qu'est-ce qu'il y a ? Et puis il est mort, l'auteur, donc je ne peux plus le demander. Alors j'ai, avec des groupes de recherche à l'époque, on cherchait, il y avait des groupes sur internet, donc j'ai demandé de l'aide et je vais aller le chercher et personne ne savait exactement. Alors je me suis dit, qu'est-ce qu'il peut vouloir dire ? Qu'est-ce que c'est souffler les ailes ? En fait, j'ai pensé au papillon. Quand il est chenille, il va devenir papillon. On peut imaginer que c'est une transmutation de l'être. Il parle de ça dans sa nouvelle. C'est l'être qui va passer dans un autre état. Il était quelque chose, il va devenir... Donc peut-être que souffler les ailes, c'est ça. C'est la chenille qui devient papillon, en fait. Jusque-là, il ne devient pas papillon, mais souffler... Donc c'est une souffrance. les ailes, je les gardais telles quelles. Ça veut dire ça, pour moi en tout cas. Ça veut dire quelque chose, ça veut dire qu'on passe d'un état à un autre. Et donc, quand j'ai un sens pour moi, je le garde et je le traduis comme ça. Il faut trouver un sens, sinon, pas traduire comme ça, juste, sinon ça ne veut rien dire. Parfois ça veut rien dire, mais essayez toujours de comprendre quelque chose avant. Après, pas pour traduire que ce soit simple en français, que ce soit aussi énigmatique en français.

  • Speaker #0

    Pour vous plonger dans la langue si particulière de Guimaraes Rosa, pour vous permettre d'en ressentir le souffle et la créativité, mais aussi de comprendre les problèmes que cette langue pose au traducteur, Je vous propose d'écouter Mathieu nous lire l'un de ses textes, d'abord dans sa version originale, en portugais, puis dans sa version traduite, en français. Si vous souhaitez l'avoir sous les yeux pendant que Mathieu le lit, puis pendant qu'il le commente, vous pourrez le trouver en VO et en VF sur le site du podcast, langalang.com. Ce texte est extrait de la nouvelle Mon oncle le jaguar une nouvelle que Mathieu a traduite en 2016 pour les éditions Ausha.

  • Speaker #1

    Il y a deux semaines, j'étais dans un colloque et on m'avait demandé de lire un extrait de cette nouvelle. Et je n'avais pas compris qu'il fallait lire en portugais, donc je suis arrivé sur place. Et j'avais le texte, je me suis dit ah bon, je vais le lire Je ne l'avais jamais lu. Et en fait, il s'est passé un truc très bizarre. Je ne pouvais pas le lire avec mon accent brésilien normal. Je le lisais avec un accent du Mina, je ne sais pas, de la campagne de São Paulo. et qui est très dur à ne pas... Pour moi, j'étais obligé de le faire comme ça. Alors, s'il y a des auditeurs voisiniens qui m'écoutent, ils vont dire, mais il vient... Comme on ne m'a pas entendu parler en portugais, on ne sait pas quel est mon accent. Mais ce n'est pas mon accent. Ce n'est pas ma façon de parler. Je l'ai fait, et en fait, le texte appelle ça. C'est pour ça que je dis que c'est un texte oral, en portugais, en tout cas. Il appelle cette façon de parler, je crois. Hum hum, et Orsin, elles savent que je suis de leur peuple. La première que je vois dans Maté, c'est Maria Maria. J'ai dormi dans le champ, ici, près, à la bord d'un feu que j'ai fait. À la nuit, je dormais. Elle est venue. Elle m'a réveillé, elle me sentait. J'ai vu un beau oeil, un oeil jaune, avec des peines noires qui bouillent bien, à la don de cette lumière. Je me suis dit que j'étais mort. Je ne pouvais rien faire. Elle m'a senti, elle sentait, ses pattes suspendues. Je pensais que j'étais en train de me réveiller. Aruku était pire, sapoté, bâti de la forêt. J'ai entendu toute ma vie. Je ne me suis pas touché. C'était un endroit mignon, paisible, je me suis laissé dans un petit chien. Le feu avait cuit, mais il était encore chaud comme un bourreau. Elle est arrivée, elle m'a effrayé, elle me regardait. Ses yeux m'attendaient l'un sur l'autre, les yeux se lumièrent, ping-ping. L'œil est brusque, pointu, elle nous fait des bruits de bouche. Tu n'as mais non. Il y a beaucoup de temps, elle ne faisait rien aussi. Après, elle m'a mis une zone sur mon peau, avec beaucoup de finesse. Je me suis pensé. Maintenant, je suis mort. Parce qu'elle a vu que mon cœur était là. Mais elle se calquait de la main, avec une main, en me foussant avec l'autre, de sa socle. Elle voulait m'éteindre. Je me suis dit, Oh, c'était une oise. Elle aimait moi, je me suis dit. J'ai ouvert les yeux, et elle m'a mis un peu de finesse. Je suis tombé. Je disais doucement, Eh, Maria Maria, je veux te chercher ensemble, Maria Maria. Elle s'est rassurée et s'est fait mouiller. Et elle me disait, J'en gagne, hein, j'en gagne. Si oui, elles savent que je suis l'un des leurs. La première que j'ai vue que j'ai pas tuée, ça a été Maria Marie. J'ai dormi dans la forêt, près d'ici, à côté d'un petit feu que j'ai fait. Au petit matin, je dormais. Elle est venue. Elle m'a réveillé. Elle me ferait. J'ai vu ses beaux yeux, un œil jaune, avec des tachettes noires, qui boubouillonnaient bon dans cette lumière. Alors j'ai fait semblant d'être mort. Je pouvais rien faire. Elle m'a flairé, Renif l'a flairé, une main en suspens, j'ai cru qu'elle cherchait mon cou. L'oroukoué, la piolée, le crapoué, tela, tela, les bêtes de la forêt, et moi qui écoutais tout ce temps. J'ai pas bougé. C'était un endroit tout doux, agréable, moi couché sur le romarin. Le feu s'était éteint, mais il y avait encore la chaleur des cendres. Elle s'est même frottée contre moi, elle me regardait. Ses yeux se rapprochaient l'un de l'autre, des yeux qui brillaient goutte-goutte, un œil sauvage, pointu, fixe, elle vous le plante, elle veut sorceler. Elle ne le détourne plus. Pendant un moment, elle n'a rien fait non plus. Ensuite, elle a posé sa grosse main sur ma poitrine, tout légèrement. J'ai pensé. Maintenant, j'étais mort. Parce qu'elle a vu que mon cœur était là. Mais elle a pillé doucement, avec une seule main, pendant que l'autre me tapotait en sossoque. Elle voulait me réveiller. Hé hé, j'ai compris. Une once qui était une once, que je lui plaisais, j'ai compris. J'ai ouvert les yeux, je l'ai regardé bien en face. J'ai dit tout bas, hé Maria Maria, c'est pas sage ça, Maria Maria. Elle a ronronné en appréciation. Elle s'est encore frottée contre moi. Miam, miam. Ça a été écrit, on ne sait pas quand ça a été publié, c'est une nouvelle posthume, mais il y a des chercheurs qui l'ont trouvé, donc on ne sait pas vraiment la date d'écriture. Et ça c'est important en fait la date d'écriture, parce que moi je pense qu'elle a été écrite avant son grand roman, Diadorim. Et qu'en fait c'est un travail, c'est le même processus, c'est-à-dire dans Diadorim et dans Mon oncle le jaguar, la nouvelle, c'est quelqu'un... Un homme, dans Diadorime c'est un paysan, là c'est un chasseur, un mi-indien, un mi-blanc, qui reçoit un homme de la ville, ou un homme plus cultivé, ou un homme plus riche, peu importe, qui est un peu le narrateur qu'on dirait en français, mais c'est un peu une grande oreille qui écoute et qui dit rien. Et donc il va parler, il va raconter sa vie. Donc c'est le même processus, mais sauf que dans la nouvelle Le Jaguar, Guillaume-René Strauss, il a cherché l'oralité, donc il a travaillé autour de l'oralité, mais c'est pas encore, c'est pas dans Diadorum, ça va être beaucoup plus accentué tout ça, mais c'est important, donc je l'ai traduite un peu pour me faire la main un peu aussi. Et ça raconte, c'est un métis d'Indien qui reçoit chez lui un homme qui est blanc, on ne sait pas grand-chose, mais qui a un pistolet sur lui. On ne sait pas ce qu'il vient faire là, mais on peut se poser des questions sur ça. C'est un peu Thésée, un peu qui veut tuer le Minotaur, on peut le lire comme ça, c'est un peu le Minotaur cette histoire aussi. Et donc ce chasseur raconte qu'il chassait des onces, donc c'est des jaguars. C'est le mot que j'ai trouvé suite à un autre traducteur qui avait déjà traduit cette nouvelle par Ons. Et donc, il va tuer des jaguars et puis il va le regretter. Et il va avoir une liaison amoureuse avec une Ons, avec une jaguar. C'est cette partie-là que j'ai eue, où il est couché et que l'Ons vient le visiter. Et après, il va vraiment avoir une relation charnelle avec elle. Ce qui rappelle une autre nouvelle de Balzac, qui s'appelle Une passion dans le désert. C'est un militaire qui a une liaison. avec une panthère dans le désert d'Afrique. Je ne sais pas s'il avait lu cette nouvelle-là, mais c'est tout à fait possible qu'il l'ait lue. En tout cas, la rencontre entre le chasseur et l'once, et entre le militaire et la panthère, c'est très très proche. C'est assez étonnant, en fait. Et à la fin de la nouvelle de Balzac, il y a une phrase qui pourrait être de Guillaume Aestroise, j'espère que je vais m'en souvenir comme ça, mais c'est la dernière phrase de la nouvelle, il dit Le désert, c'est Dieu sans les hommes Et en fait, ça on dirait une phrase de Guillaume Aestroise, parce qu'il en fait plein des phrases comme ça. C'est tout à fait… donc il y a un rapport entre les deux. Pour moi, c'est deux très belles nouvelles.

  • Speaker #0

    À la lecture de cet extrait de Mon oncle le jaguar vous avez sans doute été marqués, comme moi, par ce flot continu du monologue et par ses mots étranges et ses drôles de répétition. Boubouillonné bon, flairé, reniflé, flairé, et t'es là, t'es là. Ça, c'est à qui M. Srosan rentre dans sa langue vraiment. Qu'est-ce qu'il va faire ? Il va chercher le toupie. Le toupie, c'est une langue parlée par les Indiens. Une des langues parlées par plein de langues qui visitent au Brésil. Mais qui était un peu la langue qui était utilisée par tout le monde pour le toupie. Pour les Indiens, ils se parlaient en toupie, un peu comme la langue francaise qui était utilisée pour tout le monde, pour qu'on puisse se comprendre. avant le portugais ou pendant le portugais. Donc c'était le toupie qu'il emploie. Donc il va employer le toupie, il va mettre des mots de toupie dans son texte, mais pas seulement, il va aussi utiliser une des spécificités du toupie, qui est de doubler les mots. Porin, porang, ça veut dire bon, bon, beau, bon. C'est le même mot beau et bon à la fin. Et donc il va utiliser ça dans son texte. Et là, on en a un exemple là, quand il va dire boubouillonnet, il dit boubouillande, bon. Ça n'existe pas en portugais. Boubouillard, je sais pas. Donc j'ai mis Boubouillonnais, bon. Voilà, j'ai gardé exactement. C'était pas dur à traduire, d'ailleurs. Mais c'est cette idée de la double... Je répète deux fois la même chose. Et en fait, c'est une sorte de dédoublement aussi dans ce livre. Parce que le chasseur... parce que je ne vous ai pas dit, le chasseur il va après tomber amoureux d'une once, il va lui-même devenir une once et il va tuer des gens. En fait il va faire le contraire, avant il tuait des jaguars et après il va commencer à tuer des gens en les mangeant, en buvant leur sang et dans un état de trance où il y a un dédoublement complet. Donc Gumanespa il emploie une langue pour écrire son texte vous voyez c'est très très c'est jamais gratuit en fait ce qu'il écrit il y a toujours un rapport à la langue qui est très fort. Mieux. euh... Non, sinon, pour Rosa, quand il y a des... En fait, ce que je fais, je pense que tous les traducteurs font la même chose, sauf peut-être les très jeunes traducteurs, on ne sait pas qu'on peut faire ça. Mais en fait, quand il y a un néologisme, je ne vais pas forcément traduire le néologisme par un néologisme. Parfois, je vais mettre un archaïsme ou un régionalisme, ou un mot simple. Mais ailleurs, quand il y a un mot qui est peut-être simple, un mot normal, là, je vais employer un néologisme, un archaïsme, un régionalisme, ou un mot un peu différent. désuet. L'idée, c'est qu'en fait, on traduit des textes. C'est-à-dire qu'on ne traduit pas mot à mot. Ce n'est pas un document administratif. L'idée, c'est de traduire même pas les paragraphes, mais un texte en entier. On peut jouer avec ça. le fait beaucoup ça. J'essaye toujours quand même de trouver, parce que c'est le plaisir du traducteur, j'essaye de trouver quand il emploie un archaïsme, j'essaye de trouver un archaïsme et le premier mot de Diadorime ça fait combien de... 15-20 ans que je le cherche. Mais si je ne trouve pas, je mettrais un néologisme à ce moment-là. Vous voyez, c'était Umberto Eco dans un très beau livre qui s'appelle Dire presque la même chose qui dit ça, alors il dit, voilà, il faut qu'on puisse trouver... L'important, voilà, c'est d'équilibrer.

  • Speaker #1

    On l'a vu, Guimaraes Rosa joue avec la langue. Il crée des mots nouveaux, il transforme la syntaxe, il ouvre de nouveaux espaces pour le langage. Et je me suis demandé à quel point cette plasticité était facilitée par la langue portugaise elle-même.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas dit ça du portugais, mais le brésilien en particulier, c'est une langue qui est encore en formation, c'est-à-dire qu'elle accepte. On n'est pas gêné au Brésil d'entendre des mots qu'on ne connaît pas, déjà parce que le pays est grand, donc on a l'habitude d'entendre des mots d'autres régions. On est habitué, il y a comme ça une malhabilité. D'ailleurs, quand on est entre Brésiliens et les Français, ils peuvent dire mais comment on dit ça ? Demandez ça à un groupe de Brésiliens, vous allez voir que chacun va dire mais je ne suis pas sûr qu'on puisse le dire, est-ce qu'on le dit ? C'est des discussions sur est-ce qu'on traduit ça comme ça ? Est-ce qu'on peut dire ça comme ça ? Alors certains vont dire oui, dans ma région, on peut le dire, mais je ne suis pas sûr que ça soit correct. Parce qu'il y a ça, ou cette idée que la langue n'est pas correcte. Donc le Brésilien est plastique. C'est une langue malléable. Mais Greza, il va accentuer ça d'une manière... Et puis il va en faire de la littérature, c'est ça aussi. Mais c'est vrai que c'est... C'est quelque chose qui est dans la langue. Et dans le Minas, en plus, on a l'habitude de créer des... Il y a un peu cette idée qu'on peut créer des mots pour décrire des choses nouvelles, parce que la langue portugaise, quand elle est au Brésil, il faut décrire, il faut parler de tous les oiseaux qu'on voit. Et alors, il y a les noms... scientifiques, mais il y a aussi les noms que le peuple emploie. Les gens, il faut qu'ils décrivent. Il y en a plein, il y a plein d'oiseaux, il y a plein d'animaux différents, donc il faut décrire tout ça. Le peuple, je veux dire la langue populaire doit le décrire. Et donc il y a plein de mots pour dire, voilà, comme le fournier en français, c'est le gondobar, ou c'est un oiseau qui construit sa petite maison. avec de la boue, comme ça. Ils appellent Jean, c'est Jean, Jean de la boue. Voilà, c'est vrai, il y a des mots, et tous les oiseaux ont des noms populaires qui décrivent un peu ce qu'ils font, comme le pivert, qui est pica-pau, celui qui pique le bois. Et Guillaume Moïse-Poise, il va utiliser ces noms d'oiseaux, il va en mettre plein. Et quand il écrivait à ses traducteurs, parce que c'était quelqu'un qui était très attentif aux traductions et très conscient de ce qu'on pouvait traduire son texte, il dit mais ne cherchez pas le mot scientifique, cherchez à donner le mot d'expression. Qu'est-ce qui va sonner pour le lecteur ?

  • Speaker #1

    Comment traduire les noms d'animaux, d'arbres ou de fleurs ? dont la littérature brésilienne regorge et qui n'existe pas en France. C'est une question intéressante parce que, pour reprendre l'exemple des oiseaux, si le nom de l'oiseau n'est pas évocateur en soi, et que pourtant cet oiseau est très populaire au Brésil, est-ce qu'il faut quand même laisser son nom original dans la traduction, quitte à ce qu'il n'évoque rien, voire à ce qu'il sonne exotique pour le lecteur francophone ? On crée alors un léger décalage par rapport au texte original. Une autre solution serait de trouver l'équivalent en France de cet oiseau populaire au Brésil, le merle par exemple. Mais dans ce cas, est-ce qu'on n'appauvrit pas un peu le texte ? On touche ici du doigt la question des intraduisibles culturels. C'est ce qui pose le plus de problèmes à Mathieu quand il traduit.

  • Speaker #0

    Dans les familles populaires au Brésil, on a l'habitude, que ce soit dans le certain ou dans les favelas, c'est peu importe, mais dans les familles plus populaires, plus modestes, disons d'un milieu modeste, on vouvoie ses parents. C'est normal. On vouvoie donc sa mère, son père. Au Brésil, le vouvoiement n'est pas exactement le même qu'en français. On se tutoie toujours au Brésil entre les gens, mais il y a une forme de vouvoiement qui est un mouvement de respect qu'on va utiliser d'une classe sociale inférieure à une classe sociale supérieure, par exemple. mais aussi des enfants dans les familles modestes aux parents. Le problème c'est qu'en français, les enfants qui veulent voir leurs parents, c'est au contraire, c'est les classes, c'est des gens très aisés qui font ça, des très grands bourgeois qui vont... Et donc, là je me retrouve devant quelque chose, je ne sais pas comment faire, parce que soit je traduis, soit ils se tutoient leur mère, les personnages. Et on perd beaucoup, on perd ce respect. Et en plus, il en parle du texte de Salamère, il l'appelle même Donna. Donna, c'est Madame, un peu. Et elle se plaint, elle dit, mais j'ai même pas 50 ans, pourquoi tu m'appelles Donna, son fils ? Donc, il parle de ça. aussi le vouvoiement. Et pour l'instant je le fais vouvoyer. Alors c'est un truc très étrange en français, mais peut-être que le lecteur français va se dire bon là c'est une étrangeté, mais il va comprendre que voilà on peut pas tout transposer. Ça pour l'instant c'est quelque chose que j'essaie de trouver. Il faudra bien trouver une solution, mais c'est difficile.

  • Speaker #1

    L'une des choses décisives dans le choix de Mathieu de devenir traducteur, c'est d'abord la découverte de Joao Guimaraes Rosa, mais ensuite, et surtout, la découverte de ses traductions en français. Il m'explique qu'il n'y retrouve pas sans Guimaraes Rosa. Aujourd'hui, les droits de diadorime en français ne sont pas disponibles. Alors en attendant, Mathieu le traduit pour son plaisir.

  • Speaker #0

    Ce qui s'est passé avec diadorime, c'est que ça a été traduit une première fois dans les années 60 par un traducteur. qui a transformé Ausha, le narrateur, en un paysan français. Et donc, juste avec des mots, sans aucun néologisme, juste il avait fait ça. Et donc, ça donne un effet très étrange, même pour les lecteurs brésiliens, de voir en français, parce que ce n'est pas la même chose. Moi, je n'ai jamais traduit le paysan par le... Mais bon, je comprends, c'est juste... Je comprends ce qu'il a fait, mais c'est très bizarre. Et donc la traductrice, Marie-Vonne Lapouche-Petorini, quand elle a traduit ça dans les années 90, je comprends parfaitement qu'elle ait eu envie de faire ça, elle s'est dit, non, non, il faut le traduire dans un langage beaucoup plus... soutenu, avec du passé simple, il faut faire le contraire en fait de ce qu'il a fait, dans un langage plus neutre, et je comprends parfaitement qu'elle ait fait ça, et c'était le moment de le faire. Et maintenant je pense que le moment c'est de faire une autre chose encore. de faire à la fois l'oralité, et ça, c'est dur, et aussi le langage faux. De mélanger les deux pour en faire une langue qui va être un peu... C'est pour ça que j'ai dit que... Ça ne veut pas dire que la traduction va annuler l'autre, c'est juste que ça sera différent. C'est très triste d'ailleurs quand les traductions annulent celles qui disparaissent, parce que j'aime bien, moi j'adore. J'adore comparer les traductions entre elles aussi, même quand je ne connais pas très bien la langue originale. C'est bien quand il y a plusieurs traductions qui vivent en même temps. Ma thèse a été de comparer toutes les traductions de Rosa dans toutes les langues. En fait, c'est un texte qui se prête à des traductions complètement différentes. Mais vraiment, j'ai même le titre, je vais vous donner le titre du roman, je ne vais pas donner tous les titres, mais il y a ceux qui ont traduit Guern-de-Sertang. C'est le grand sartan. Le mot verrez est presque intraduisible, mais on a traduit souvent en danstor, en norvégien, enfin voilà. Le grand sartan, dans d'autres langues, en espagnol c'est grand sartan. Il y a ceux qui ont traduit l'histoire d'amour entre Riobardo et son frère d'âme. c'est le fait français très romantique donc on ne s'appartient à doris c'est diadori c'est le nom de l'amour de du narrateur c'est un homme qui va là ils sont à omis sont tous les deux amoureux et c'est des bandits donc ils peuvent pas peuvent pas s'avouer leur amour aux yeux des autres, c'est impossible. C'est dans le milieu du banditisme dans le certain. Ils ne peuvent pas. C'est impossible. Deux hommes ne peuvent pas s'aimer. Ils ne peuvent pas se l'avouer l'un à l'autre parce que ils ne peuvent pas se l'avouer à eux-mêmes. C'est ça qui est fort dans le texte. C'est un amour complètement inavouable mais qui existe. Et donc les Français ont traduit ça par Théodore. Il y a ceux qui ont traduit ça par Le Diable dans la rue parce que c'est une histoire aussi de pacte avec le diable. C'est un fausse brésilienne un peu cette histoire aussi. et donc il y a la traduction danoise je crois c'est le diable dans la rue et c'est un mot qui est dans le texte aussi donc vous voyez le diable, l'amour, le certain et puis il y a la traduction suédoise qui est complètement il s'est donné c'est une traduction très libre comme ça très étrange par rapport à ce qu'on prend de l'original il a traduit ça, les aventures du bandit Riobaud la vie est dangereuse mon seigneur les aventures du bandit Riobaud donc Donc c'est encore autre chose, c'est une histoire d'aventure d'un bandit, et la vie est dangereuse, c'est aussi une phrase qui revient dans le texte comme un leitmotiv. En fait, les traductions, elles ont une durée de vie aussi. Donc je pense qu'il faut retraduire tous les 25 ans. Et je vois pas de mal à ça. Et si on lit Baudelaire aujourd'hui, le traducteur de Pau, c'est parce que c'était Baudelaire. Même si sa traduction est très belle, c'est aussi parce qu'on est en... on aime lire Baudelaire. Ce n'est pas qu'elle est immortelle en soi. C'est une grande question s'ils sont mortels ou pas. Moi, je pense que ça ne me gêne pas du tout que tous les 25-30 ans, qu'on ait envie de retraduire un texte.

  • Speaker #1

    Et vous-même, vous avez déjà eu envie de reprendre des traductions que vous avez faites ?

  • Speaker #0

    C'est bon. Là, en lisant ça, j'ai envie de changer des choses, et je me dis pourquoi j'ai fait ça comme ça. Mais en fait, il faut arrêter un moment. En fait, ce texte-là, il a été, je ne sais pas si vous savez, mais il a été au programme de la Grègue. de lettres modernes. Et donc, ça s'est vendu un petit peu. Il y a eu pas mal de demandes. L'éditeur m'a demandé au moment du deuxième tirage est-ce que je voulais changer quelque chose. Donc, j'ai tout relu. Et j'ai changé des petites... Cette nouvelle-là, particulièrement, j'ai changé des choses. dans d'autres. Parfois c'est des toutes petites coquilles qu'il y avait, ça arrive toujours. Parfois j'ai changé un petit peu. Et après une troisième fois encore, il m'a demandé, j'ai encore à changer. Et après maintenant je crois qu'il va me demander plus. S'il y a une quatrième édition, il va plus me demander parce que ça demande. C'est pas évident de changer, mais j'ai envie de changer tout le temps en fait. Je me demande si les auteurs n'ont pas la même chose. Parce que le texte de Guillaume Maestroza, par exemple, comme d'autres auteurs, il est Il a repris son texte plusieurs fois, donc j'ai plusieurs versions de son texte. Parfois, il y a des arbres au puriel, parfois c'est un arbre. Il dit je tirais sur un arbre et dans un autre texte, c'est je tirais sur des arbres Alors pourquoi est-ce qu'il… Maintenant, il y a aussi des petites différences. Et Rosa, il a quelque chose de particulier. C'est qu'il y avait des coquilles, évidemment, comme dans tous les textes, il y a des coquilles parfois. Et lui, parfois, il aimait bien, il acceptait la coquille. C'est-à-dire qu'il disait parfois, il disait, tiens, la coquille, moi je la laisse comme ça. Il laissait une coquille dans le texte exprès. Donc c'est un truc, parce que sinon, on n'a pas l'habitude, on corrige, mais voilà.

  • Speaker #1

    J'espère que ce voyage au Brésil vous a plu. Si c'est le cas, n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire sur votre plateforme d'écoute et à partager l'épisode autour de vous. C'était donc le cinquième épisode de Langue à Langue, avec le traducteur du portugais Mathieu Doss. Je le remercie infiniment de s'être prêté au jeu de l'interview et d'avoir accepté de commenter l'une de ses traductions. dont je vous rappelle le titre. Il s'agit de la nouvelle Mon oncle le jaguar de Joao Guimaraes Rosa, parue dans le recueil Mon oncle le jaguar et autres histoires, en 2016, aux éditions Chandegne. Vous pouvez retrouver les extraits en portugais et en français sur le site langalang.com. Langa Lang est un podcast de Margot Grillier, c'est moi. L'identité sonore et graphique sont signés Studio Pile. et le montage-mixage a été réalisé par Nathan Luyer de La Cabine Rouge. Le podcast entre maintenant dans une petite pause hivernale, mais on se retrouve dans quelques mois pour de nouveaux épisodes, pour continuer à voyager à travers les langues et les littératures du monde avec les traducteurs et les traductrices. D'ici là, n'hésitez pas à suivre les pages Facebook et Instagram du podcast pour ne manquer aucune actualité, et bien sûr, abonnez-vous sur votre plateforme préférée Laissez-nous des étoiles et parlez-en à tout le monde autour de vous. A bientôt et comme on dit en portugais, até a próxima !

Chapters

  • Introduction

    00:00

  • Générique

    02:21

  • Mathieu m’accueille chez lui

    02:50

  • Du zoo de Vincennes aux favelas de Rio

    03:40

  • Traduire l’argot des favelas

    05:01

  • Mélanger argot et langage soutenu

    08:23

  • Rapport de Mathieu à la lecture

    10:31

  • Rencontre de Mathieu avec l’écriture de Guimarães Rosa

    13:43

  • Projet littéraire de Guimarães Rosa

    15:58

  • Lecture en portugais

    22:06

  • Lecture en français

    24:20

  • Résumé de « Mon oncle le jaguar »

    26:27

  • Néologismes et traduction

    29:23

  • Plasticité de la langue brésilienne

    32:50

  • Intraduisibles culturels : vouvoiement et classes sociales

    35:26

  • (Re)traduire Diadorim

    37:54

  • Conclusion

    44:11

Description

Mathieu Dosse me reçoit chez lui, à Charenton, en banlieue sud-est de Paris, tout près de chez Marie Vrinat-Nikolov, que vous avez entendue dans l’épisode 2. Français par son père et brésilien par sa mère, Mathieu traduit le portugais du Brésil depuis une dizaine d’années.

Dans la petite cuisine jaune de son appartement, il m’a parlé de l’argot des favelas de Rio, de la plasticité de la langue brésilienne, de sa rencontre avec l’écriture du grand écrivain João Guimarães Rosa et des défis qu’elle pose aux traducteurs.

Mathieu m’a d’ailleurs lu un extrait de l’une de ses nouvelles, d’abord en VO puis en VF, pour vous permettre d’apprécier la beauté de sa langue si particulière, et les complexités de sa traduction. Cette nouvelle s’appelle « Mon oncle le jaguar » et elle est extraite du recueil Mon oncle le jaguar & autres histoires, publié en 2016 aux éditions Chandeigne.

Mathieu est un amoureux des livres, des mots et de la traduction. J’espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à l’écouter, et que cet épisode vous fera voyager au Brésil, des collines de Rio aux forêts luxuriantes du sertão !

 

➡️ Retrouvez tous les textes lus dans le podcast (en VO et VF) sur languealangue.com et sur les réseaux sociaux (@languealangue sur Instagram). Soutenez-nous en nous laissant des étoiles et un commentaire, et surtout, parlez-en autour de vous !

 

Langue à Langue est un podcast de Margot Grellier

Musique et graphisme : Studio Pile

Montage/mixage : Nathan Luyé de La Cabine Rouge


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Oui, bonjour Mathieu, c'est Margot.

  • Speaker #1

    Bonjour, à tout de suite.

  • Speaker #0

    C'est magnifique de voir un seul texte en plusieurs langues. C'est un texte qui voyage d'une langue à l'autre. C'est comme un oiseau qui saute d'une branche à l'autre. Et en même temps, le texte original est comme le tronc de l'arbre, et chaque livre est une branche dans ce même arbre. C'est dans ces mots que le poète libanais Issa Maqlouf parlait de traduction. C'était sur France Culture, en décembre 2013, dans l'émission Ça rime à quoi ? Et ces mots, ils me font penser à Mathieu Doss, le traducteur du portugais que vous allez entendre dans cet épisode. Mathieu est français par son père et brésilien par sa mère. Il traduit le portugais du Brésil depuis une dizaine d'années, mais avant, il a étudié la littérature comparée. Il s'est spécialisé dans l'œuvre du grand écrivain brésilien Joao Guimaraes Rosa et dans l'étude de ses différentes traductions, un peu comme l'oiseau qui saute de branche en branche sur l'arbre d'Isamaclouf, si vous me suivez. J'ai eu la chance de passer quelques heures avec lui en mars dernier, dans la cuisine de son appartement. Mathieu vit à Charenton avec sa femme et sa fille, en banlieue sud-est de Paris, à deux pas d'ailleurs de chez Marie-Vrina Nikoloff, la traductrice du bulgare que j'avais rencontrée pour le deuxième épisode de Langue à langue. Ensemble, on a discuté de l'argot des favelas de Rio, de la plasticité de la langue brésilienne, de l'amour de Mathieu pour les livres et des changements dans sa façon de lire depuis qu'il est devenu traducteur. On a parlé aussi de sa rencontre avec la langue si particulière de Guimaraes Rosa et des défis qu'elle pose au traducteur. Vous l'entendrez, Mathieu est passionné. Il aurait pu parler des heures encore. J'espère que cette passion vous cueillera, vous aussi, et qu'elle vous transportera un peu au Brésil le temps d'un épisode. Je suis Margot Grellier et vous écoutez Langue à langue, épisode 5, Papillon, néologisme et chefs-d'œuvre brésiliens avec

  • Speaker #1

    Mathieu Doss. Langue

  • Speaker #0

    à langue.

  • Speaker #1

    Lingua lingua. bonjour merci beaucoup de m'accueillir bonjour enchanté flambeau mal à la main oui d'accord là on est dans la cuisine parce que c'est le seul endroit où on peut fermer une porte dans cet appartement ce qu'on a même pas de temps macho à la chambre de ma fille où il ya une porte est ici Donc c'est une cuisine jaune avec un frigo gris qui fait un peu de bruit. Et il y a un café qui est préparé. Et on est au huitième étage dans un immeuble de Charenton. Vous avez vu la vue qu'on a ? C'est un immeuble qui nous permet d'avoir une vue assez panoramique sur tout Charenton et un peu Paris. Les tours qu'on voit là-bas,

  • Speaker #0

    c'est

  • Speaker #1

    Montreuil. Là-bas, c'est Montreuil. Là-bas, c'est le zoo de Vincennes. La grande... On appelle ça... L'autre jour, je cherchais un mot pour décrire ça. C'est pas évident, parce qu'en portugais, il y a un mot, on appelle ça une pierre, une pèdre. Mais là, je cherchais le mot pour ça, et je cherche encore. Le grand truc, cette grande butte, je sais pas comment on appelle ça, qui est au zoo de Vincennes et qui a été construite artificiellement, c'est pas du tout naturel, ça a été construit pour... pour abriter les... Le rocher. Le rocher, voilà. Le rocher, le rocher. Mais à Rio, il y a plein de grandes favelas. Elles sont sur des buttes. Pour l'instant, je n'ai pas trouvé d'autres mots. Mais on appelle ça mort. Et Rio est plein comme ça de rochers qui sortent de l'eau, d'autres dans les montagnes. Donc, en fait, le seul mot qui est vraiment... qui décrit ça en français, c'est un mot des Antilles, parce qu'aux Antilles, il y a ça aussi. C'est le mot morne. Mais personne ne connaît, alors c'est un peu le mot épicé, c'est très intérieur. Là, je cherchais un mot très courant dans mon langage. Donc là,

  • Speaker #0

    vous n'avez pas entendu par but.

  • Speaker #1

    Pour l'instant, j'ai gardé but, parce que codine, ça donne l'idée d'une codine verdoyante. Ce n'est pas du tout ça, c'est vraiment une croissance du sol qui monte.

  • Speaker #0

    Quand je l'ai rencontré, Mathieu était en plein dans la traduction d'un roman de Giovanni Martins, un jeune auteur originaire des favelas de Rio, dont les livres ont énormément de succès au Brésil aujourd'hui. Dans ses livres, justement, Giovanni Martins reprend le langage très particulier des favelas, ce qui, évidemment, pour Mathieu, représente un vrai défi de traduction.

  • Speaker #1

    Il fallait faire une équivalence parce que ce n'est pas une vraie équivalence. Je ne pense pas qu'il y ait une équivalence entre le parler des favelas et celui des banlieues françaises. C'est pas vraiment la même chose, mais comme il y a plein de points communs quand même, il y a plein de choses qui sont... En fait, on retrouve des... Ils écoutent la même musique, ils s'intéressent aux mêmes choses. Et donc j'ai transcrit ça dans un français de la banlieue de Paris, mais mélangé avec le passé simple, mélangé avec un langage assez soutenu, ce qu'il fait en portugais, donc ça donne un effet assez… Je ne sais pas si ça va marquer ou pas, mais pour l'instant, je n'ai jamais pris autant de plaisir à traduire un livre, je crois. C'est vraiment… C'est assez passionnant de mélanger l'argot le plus… Vraiment, je cherche des mots vraiment que je ne connais pas. Il y a des dictionnaires d'argot des banlieues, et j'essaie vraiment de trouver des mots qui ne sont pas connus, pas juste des mots qu'on connaît aujourd'hui comme… Je ne sais pas qui fait, je l'emploie bien sûr, mais qui fait le Somme. Alors avoir le Somme, je n'ai pas osé l'utiliser, mais peut-être j'ai le de faire. Il y a des mots que ma fille ramène de l'école. Ce sont des mots qui sont passés dans le langage courant. Mais de trouver des mots vraiment rares et que je ne connaissais pas. Et mélanger ça avec un langage tenu. Ce qui est dur à faire, c'est qu'il ne faut pas que ça soit trop caricatural. Et là, c'est trouver le juste milieu entre un texte qui se prête à une lecture. en fait orale quand même il ya beaucoup d'oralité mais qui sont pas caricatural c'est ça qui est dur comme et puis tout le monde tout le monde de la drogue aussi c'est pas évident à traduire parce qu'il parle beaucoup de fin c'est un livre lui le cannabis en particulier la bce à marconi c'est c'est omniprésent dans le livre c'est ça pour toutes les pages il en parle il ya une fascination pour ça il fallait donc il faut traduire ça aussi en français ce qui Ça demande de connaître un peu le milieu. Donc je fais des reflets, j'ai des amis, de temps en temps, j'appelle des amis, je dis mais comment on dit, je suis en train de chercher, comment on dit un point de deal ? Et je suis sûr qu'il y a un autre mot. Alors il y a le mot charbon Le mot charbon c'est employé par les trafiquants, parce qu'ils vont au charbon, c'est là où ils vont gagner de l'argent. Donc ils emploient le mot charbon J'ai discuté avec des amis qui s'y connaissent un peu. Et voilà, j'ai cherché dans les dictionnaires, passé du temps sur Internet, écouté des choses. chansons, voir des films, lire des livres et tout ça fait qu'au bout d'un moment on trouve quelque chose. Et de toute façon il faut que ça soit littéraire, c'est pas juste trouver... Quand il écrit en portugais en tout cas, Martins, il a un plaisir d'écrire, à parler de sa favela... C'est rare de voir autant de plaisir, même si c'est un monde assez dur. Ils parlent aussi de la difficulté même de manger. Parfois, ils n'ont pas d'argent même pour acheter un hamburger ou quoi que ce soit. Mais il y a un plaisir à écrire. Il faut rendre ce plaisir-là en français, dans un français très rapide, très facile à lire, mais en même temps avec plein de petits mots comme ça, de temps en temps, qui viennent perturber la lecture pour qu'ils ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    À ce vocabulaire issu de l'argot, Mathieu mêle des tournures plus soutenues et du passé simple. Un mélange inattendu qui lui permet de se rapprocher de l'effet produit par la langue de Giovanni Martins.

  • Speaker #1

    En discutant, il est venu à Paris, Giovanni Martins, et on s'est rencontrés. Et on parlait de comment il écrivait. Il m'a dit, mais je fais ça parfois, j'écris dans un langage neutre, enregistré, normal. Et puis, de temps en temps, je mets un mot. de la banlieue, de la favela, comme ça, en plein milieu. Je lui dis Ah oui, d'accord. Et en le lisant, je dis Oui, voilà, c'est ça qu'il fait, en fait. Quand c'est des dialogues, là, c'est complètement oral, donc il n'y a pas de mots sous-nus. Mais quand il écrit... Et puis même, en fait, c'est ce qui marche le mieux en français. Je me suis rendu compte, le passé... Je ne sais pas si d'autres traducteurs vous ont parlé de ça, mais le champ entre passé simple et passé composé, pour moi, c'est... Parfois, je suis au milieu du livre et je me dis, mais il faut tout refaire au passé composé, ou tout refaire au passé simple. Et en fait, maintenant, je mélange les deux, j'arrive à le faire parce que je me suis un peu... Voilà, j'ai de la bouteille, comme on dit, et je sais mélanger. Donc je mélange les deux, mais comme Camus, Albert Camus, le fait de... en étranger, il s'est écrit au passé composé, mais dans un temps, il met du passé simple aussi. En fait, les auteurs français se permettent de faire ça. Je me dis, si les auteurs se permettent de faire ça, pourquoi est-ce qu'on ne se permettrait pas aussi de le faire comme on est traducteur ? Il n'y a pas de passé simple, de passé composé en portugais, mais il y a un registre neutre, soutenu, neutre. Et c'est ce registre-là que j'essaie de reproduire. J'ai fait des essais avant de commencer à traduire. Je ne sais pas si vous voyez. Qu'est-ce qui marche le mieux ? Qu'est-ce qui rend la langue la plus lisible ? Mais pas dans le sens facile, pas dans le sens de lecture facile, mais dans le sens de ce qui fait pétiller la langue. C'est ça que je cherche, c'est comment rendre la langue la plus pétillante possible au français.

  • Speaker #0

    Quand il traduit, Mathieu aime se replonger dans la langue de certains auteurs pour s'en inspirer et alimenter sa propre écriture. Parfois ça marche, parfois moins, ça fait partie de son processus de traduction. Comme beaucoup de traducteurs, Mathieu est un très grand lecteur, mais son rapport à la lecture a pas mal évolué depuis qu'il traduit.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si c'est votre cas, mais j'avais un peu cette idée qu'il fallait finir les livres. Donc, quand je disais, je disais non, je commence un livre, je vais le finir, je vais aller jusqu'au bout, parce que c'est un engagement. Et maintenant, je n'ai plus le temps de faire ça, donc je lis des livres. Quand j'aime, je vais jusqu'au bout, mais parfois, je dis juste 50 pages et c'est suffisant pour ce que j'ai. J'ai un peu perdu cette... Je n'ai plus le temps de faire la sélection de temps, je n'ai plus le temps de lire tout. Mais il faut aussi, je pense, donner un peu de temps aux livres qu'on lit. Ça, c'est quelque chose que je... Je soutiens, il faut vraiment... On ne peut pas abandonner un livre au bout de trois pages. Je ne sais pas si c'est pas bien. Je pense qu'il faut vraiment essayer de se donner un peu de temps au livre, de donner le temps à l'habituation, à ce qu'on comprenne, même si le livre n'est pas bien. Après, il ne faut pas se forcer non plus, parce que ça ne sert à rien de dire... Je me souviens de l'expérience que j'avais eue avec Ulysse, que j'avais eue avec Ulysse de Joyce. J'avais essayé de le lire dans une première traduction. C'était difficile, je ne comprenais pas ce qui se passait. Et après, je me suis dit, non, mais bon, j'ai laissé tomber. Puis je l'ai relu dans une nouvelle traduction, dont Tiffaine Samoyaud, ma directrice de thèse, elle avait traduit deux épisodes, je crois. et là ça a été passionnant c'était une des plus grandes lectures que j'ai eues j'ai adoré ce livre mais cette idée du temps à l'habituation je pense que c'est vraiment important de donner un peu de

  • Speaker #0

    temps à un livre qu'on ouvre Est-ce que vous pensez aussi qu'il y a des rendez-vous avec des livres ? Par exemple, la première fois que vous avez essayé de lire le livre,

  • Speaker #1

    ce n'était pas le moment. Oui, tout à fait. Je pense que dans notre vie de lecteur, il y a des moments où... Et puis après, peut-être qu'il y a des auteurs... Moi, je n'ose plus lire Nabokov. Par exemple, j'ai lu Hadda quand j'avais 20 ans. C'était un tel choc. Moi, ça a été un des plus grands chocs que j'ai eu en littérature. Je suis incapable d'ouvrir le livre. Je l'ai dans ma bibliothèque et je ne veux pas l'ouvrir. Je n'ose pas l'ouvrir, en fait. Parce que j'ai eu déjà Nabokov. Ça a été un auteur qui me passionnait quand j'avais 20 ans. Et peut-être que maintenant... le rendez-vous il est passé aussi ça a été un rendez-vous et si je l'avais découvert maintenant peut-être que j'aurais pas eu je dis ça parce que je sais qu'il y a des amis qui disent non mais moi j'aime pas Nabokov je comprends pas, j'aime pas du tout et je dis bon peut-être que le rendez-vous a été manqué tout simplement et qu'il y aura pas d'autres chances et après il y a des auteurs que je sais pas si c'est votre cas mais il y a des auteurs que moi je relis c'est Borgès par exemple c'est un des auteurs que je peux relire depuis que j'ai 20 ans je le relis régulièrement et j'ai toujours autant de plaisir à le lire... Je connais tout, mais il vieillit bien avec moi.

  • Speaker #0

    Avec les livres, il y a les rendez-vous passés, les rendez-vous manqués, les rendez-vous réguliers, et puis il y a les compagnons d'une vie, ceux qu'on rencontre une fois et qu'on ne lâche plus, ceux dont la langue provoque un étonnement permanent. Pour Mathieu, ce compagnon d'une vie, c'est Diadorim en français, c'est l'unique roman de Joao Guimaraes Rosa, l'un des plus grands écrivains brésiliens du XXe siècle. Mathieu y a consacré sa thèse et une grande partie de son travail de traducteur. Et pourtant, entre Guimaraes Rosa et lui, ça n'avait pas si bien commencé.

  • Speaker #1

    Je devais avoir 20 ans. Et ma tante m'avait tendu un livre en disant, ah ça c'est magnifique, c'est la grande littérature brésilienne, il y avait un buzz sur la couverture, je me souviens. Et j'ai lu quelques lignes, j'ai dit mais c'est pas possible, on peut pas faire comme ça, c'est du... je n'aime pas du tout. Je l'ai mis de côté, mais vraiment... avec un mépris incroyable, j'ai mis ce livre de côté. Je ne l'ai pas lu pendant un an et puis un jour j'étais vraiment littéralement enfermé dans un appartement où je ne pouvais pas sortir. Et j'étais tout seul et j'ai cherché dans les livres que je voulais lire et j'ai trouvé un livre de Game of Thrones. Et j'ai dit Tiens, peut-être qu'on va essayer là Et là, ça a été un coup de foudre. Enfin, un coup de foudre, non, parce que coup de foudre, c'est quand on rencontre parfois, mais ça a été un émerveillement. Et après, quand j'ai lu son grand roman, ça a été... Moi, je l'ai lu... J'ai jamais lu un livre aussi vite que ça. Donc voilà, pour la rencontre, ça a été... Mais ce que je vous décris, c'est très courant au Brésil. Tout le monde va dire la même chose. Clarice Lispector, qui est la grande écrivain de l'autre, grand écrivain brésilien, il y a Guilherme Assoise et Clarice Lispector pour le XXème. Après il y a Georges Hamad aussi, il y en a d'autres, il y a des grands poètes, mais il y a ces deux-là qui sont très grands. Elle disait, quand elle écrit à un écrivain brésilien... qui n'est pas du tout connu en France, Sabine, Fernande Sabine. Elle lui écrit, mais je suis en train de lire un roman qui s'appelle Grande et certaine vérité de Cédrine. Je comprends, je suis tellement aïri, j'ai peur de tant l'aimer. Elle écrit des phrases comme ça. C'est un effet très courant, en fait.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez me décrire un petit peu son projet littéraire ou sa langue ? Qu'est-ce qui est si particulier dans son livre ?

  • Speaker #1

    En fait, ce qu'il fait... C'est qu'il va prendre le langage du Minas Gerais, de l'état du Minas Gerais, qui est un état central assez rural, c'est le centre du Brésil, c'est vraiment le centre du Brésil, très rural, donc il y a encore beaucoup de grandes fazendas, il y a beaucoup de végétation sauvage encore. Il va prendre cette langue-là et il va en faire une nouvelle langue. formé à partir de cette langue. Donc en fait il va créer des néologismes, il va utiliser beaucoup d'archaïsmes qui sont pas du Minas Gerais, il va employer des archaïsmes dans la langue portugaise, des mots vieux qu'on ne peut plus du tout. Il va chercher les régionalismes aussi, parce qu'il a parcouru le Sertan, on appelle cette région le Sertan, c'est un des mots pour comprendre. Le Sertan ça peut être ailleurs aussi mais bon, je vais pas compliquer, c'est le disant et c'est le Sertan pour lui.

  • Speaker #0

    C'est l'art que vous donnez à la fin de l'an plus petit ?

  • Speaker #1

    Oui, voilà. Le pays ? Voilà, c'est un peu ça, c'est l'ARP. Donc il va dans le certain à Dodane et il va recueillir toutes les histoires. Il avait des cahiers, des cahiers avec des mots. Donc il y a une grande recherche aussi. Et puis il est né dans cet endroit, c'était un génie. C'était ce qu'on appellerait aujourd'hui un surdoué, parce qu'à 10 ans, je suis allé dans son village à 10 ans, il parlait déjà le français, il parlait plein de langues. Il était dans un tout petit village, c'est qu'il faut comprendre, dans un village rural du Brésil, on n'a pas accès à ça. Et puis ce n'était pas un fils de fazaine des roses, il habitait une petite maisonnette, c'était un milieu tout à fait normal, ni pauvre, ni riche. Mais voilà, son écriture, c'est ça, c'est ce mélange de... de portugais, de Minas, qui est transformé dans une langue complètement nouvelle, rythmiquement impeccable, et puis il a une connaissance de tous les mythes européens, donc il convoque les mythes de manière parfois cachée, parfois un peu plus évidente, et tout ça va faire que c'est une langue qui... qui n'a pas son pareil et qui n'existe pas en portugais. Là, ça a donné lieu à ce recueil, à ce lexique de 8000 mots. Il n'y a pas que les mots, il y a les mots. Les mots sont passionnants, mais c'est sa manière de construire, sa rythmique, sa manière de mettre des mots qu'on connaît, mais dans un autre... C'est dur à décrire.

  • Speaker #0

    Dans des expressions qui ne sont pas idiomatiques.

  • Speaker #1

    Voilà, exactement. Il n'emploie jamais d'expression idiomatique. Il n'en plaît jamais ça, jamais. Mais il en crée. Donc il y a des expressions, par exemple, à un moment donné, dans un de ses textes, il parle d'un diplomate, lui il était diplomate aussi, d'un diplomate qui est exilé dans la ville. dans la Cordillère des Andes, et qui souffre le Ausha. Ausha, c'est un mot espagnol pour décrire le mal des hauteurs. C'est quand on est pris de... On ne peut pas respirer à cause de la haute altitude. ce diplomate, il va passer une période, à un moment, il pleure tout le temps, il ne sait pas pourquoi il pleure, il passe une crise existentielle très très forte. Et à un moment, il dit en portugais, je vous le dis en portugais, il dit o so fri asas Et littéralement en français, c'est j'ai souffert les ailes J'ai cherché, j'ai dit mais qu'est-ce qu'il y a ? Et puis il est mort, l'auteur, donc je ne peux plus le demander. Alors j'ai, avec des groupes de recherche à l'époque, on cherchait, il y avait des groupes sur internet, donc j'ai demandé de l'aide et je vais aller le chercher et personne ne savait exactement. Alors je me suis dit, qu'est-ce qu'il peut vouloir dire ? Qu'est-ce que c'est souffler les ailes ? En fait, j'ai pensé au papillon. Quand il est chenille, il va devenir papillon. On peut imaginer que c'est une transmutation de l'être. Il parle de ça dans sa nouvelle. C'est l'être qui va passer dans un autre état. Il était quelque chose, il va devenir... Donc peut-être que souffler les ailes, c'est ça. C'est la chenille qui devient papillon, en fait. Jusque-là, il ne devient pas papillon, mais souffler... Donc c'est une souffrance. les ailes, je les gardais telles quelles. Ça veut dire ça, pour moi en tout cas. Ça veut dire quelque chose, ça veut dire qu'on passe d'un état à un autre. Et donc, quand j'ai un sens pour moi, je le garde et je le traduis comme ça. Il faut trouver un sens, sinon, pas traduire comme ça, juste, sinon ça ne veut rien dire. Parfois ça veut rien dire, mais essayez toujours de comprendre quelque chose avant. Après, pas pour traduire que ce soit simple en français, que ce soit aussi énigmatique en français.

  • Speaker #0

    Pour vous plonger dans la langue si particulière de Guimaraes Rosa, pour vous permettre d'en ressentir le souffle et la créativité, mais aussi de comprendre les problèmes que cette langue pose au traducteur, Je vous propose d'écouter Mathieu nous lire l'un de ses textes, d'abord dans sa version originale, en portugais, puis dans sa version traduite, en français. Si vous souhaitez l'avoir sous les yeux pendant que Mathieu le lit, puis pendant qu'il le commente, vous pourrez le trouver en VO et en VF sur le site du podcast, langalang.com. Ce texte est extrait de la nouvelle Mon oncle le jaguar une nouvelle que Mathieu a traduite en 2016 pour les éditions Ausha.

  • Speaker #1

    Il y a deux semaines, j'étais dans un colloque et on m'avait demandé de lire un extrait de cette nouvelle. Et je n'avais pas compris qu'il fallait lire en portugais, donc je suis arrivé sur place. Et j'avais le texte, je me suis dit ah bon, je vais le lire Je ne l'avais jamais lu. Et en fait, il s'est passé un truc très bizarre. Je ne pouvais pas le lire avec mon accent brésilien normal. Je le lisais avec un accent du Mina, je ne sais pas, de la campagne de São Paulo. et qui est très dur à ne pas... Pour moi, j'étais obligé de le faire comme ça. Alors, s'il y a des auditeurs voisiniens qui m'écoutent, ils vont dire, mais il vient... Comme on ne m'a pas entendu parler en portugais, on ne sait pas quel est mon accent. Mais ce n'est pas mon accent. Ce n'est pas ma façon de parler. Je l'ai fait, et en fait, le texte appelle ça. C'est pour ça que je dis que c'est un texte oral, en portugais, en tout cas. Il appelle cette façon de parler, je crois. Hum hum, et Orsin, elles savent que je suis de leur peuple. La première que je vois dans Maté, c'est Maria Maria. J'ai dormi dans le champ, ici, près, à la bord d'un feu que j'ai fait. À la nuit, je dormais. Elle est venue. Elle m'a réveillé, elle me sentait. J'ai vu un beau oeil, un oeil jaune, avec des peines noires qui bouillent bien, à la don de cette lumière. Je me suis dit que j'étais mort. Je ne pouvais rien faire. Elle m'a senti, elle sentait, ses pattes suspendues. Je pensais que j'étais en train de me réveiller. Aruku était pire, sapoté, bâti de la forêt. J'ai entendu toute ma vie. Je ne me suis pas touché. C'était un endroit mignon, paisible, je me suis laissé dans un petit chien. Le feu avait cuit, mais il était encore chaud comme un bourreau. Elle est arrivée, elle m'a effrayé, elle me regardait. Ses yeux m'attendaient l'un sur l'autre, les yeux se lumièrent, ping-ping. L'œil est brusque, pointu, elle nous fait des bruits de bouche. Tu n'as mais non. Il y a beaucoup de temps, elle ne faisait rien aussi. Après, elle m'a mis une zone sur mon peau, avec beaucoup de finesse. Je me suis pensé. Maintenant, je suis mort. Parce qu'elle a vu que mon cœur était là. Mais elle se calquait de la main, avec une main, en me foussant avec l'autre, de sa socle. Elle voulait m'éteindre. Je me suis dit, Oh, c'était une oise. Elle aimait moi, je me suis dit. J'ai ouvert les yeux, et elle m'a mis un peu de finesse. Je suis tombé. Je disais doucement, Eh, Maria Maria, je veux te chercher ensemble, Maria Maria. Elle s'est rassurée et s'est fait mouiller. Et elle me disait, J'en gagne, hein, j'en gagne. Si oui, elles savent que je suis l'un des leurs. La première que j'ai vue que j'ai pas tuée, ça a été Maria Marie. J'ai dormi dans la forêt, près d'ici, à côté d'un petit feu que j'ai fait. Au petit matin, je dormais. Elle est venue. Elle m'a réveillé. Elle me ferait. J'ai vu ses beaux yeux, un œil jaune, avec des tachettes noires, qui boubouillonnaient bon dans cette lumière. Alors j'ai fait semblant d'être mort. Je pouvais rien faire. Elle m'a flairé, Renif l'a flairé, une main en suspens, j'ai cru qu'elle cherchait mon cou. L'oroukoué, la piolée, le crapoué, tela, tela, les bêtes de la forêt, et moi qui écoutais tout ce temps. J'ai pas bougé. C'était un endroit tout doux, agréable, moi couché sur le romarin. Le feu s'était éteint, mais il y avait encore la chaleur des cendres. Elle s'est même frottée contre moi, elle me regardait. Ses yeux se rapprochaient l'un de l'autre, des yeux qui brillaient goutte-goutte, un œil sauvage, pointu, fixe, elle vous le plante, elle veut sorceler. Elle ne le détourne plus. Pendant un moment, elle n'a rien fait non plus. Ensuite, elle a posé sa grosse main sur ma poitrine, tout légèrement. J'ai pensé. Maintenant, j'étais mort. Parce qu'elle a vu que mon cœur était là. Mais elle a pillé doucement, avec une seule main, pendant que l'autre me tapotait en sossoque. Elle voulait me réveiller. Hé hé, j'ai compris. Une once qui était une once, que je lui plaisais, j'ai compris. J'ai ouvert les yeux, je l'ai regardé bien en face. J'ai dit tout bas, hé Maria Maria, c'est pas sage ça, Maria Maria. Elle a ronronné en appréciation. Elle s'est encore frottée contre moi. Miam, miam. Ça a été écrit, on ne sait pas quand ça a été publié, c'est une nouvelle posthume, mais il y a des chercheurs qui l'ont trouvé, donc on ne sait pas vraiment la date d'écriture. Et ça c'est important en fait la date d'écriture, parce que moi je pense qu'elle a été écrite avant son grand roman, Diadorim. Et qu'en fait c'est un travail, c'est le même processus, c'est-à-dire dans Diadorim et dans Mon oncle le jaguar, la nouvelle, c'est quelqu'un... Un homme, dans Diadorime c'est un paysan, là c'est un chasseur, un mi-indien, un mi-blanc, qui reçoit un homme de la ville, ou un homme plus cultivé, ou un homme plus riche, peu importe, qui est un peu le narrateur qu'on dirait en français, mais c'est un peu une grande oreille qui écoute et qui dit rien. Et donc il va parler, il va raconter sa vie. Donc c'est le même processus, mais sauf que dans la nouvelle Le Jaguar, Guillaume-René Strauss, il a cherché l'oralité, donc il a travaillé autour de l'oralité, mais c'est pas encore, c'est pas dans Diadorum, ça va être beaucoup plus accentué tout ça, mais c'est important, donc je l'ai traduite un peu pour me faire la main un peu aussi. Et ça raconte, c'est un métis d'Indien qui reçoit chez lui un homme qui est blanc, on ne sait pas grand-chose, mais qui a un pistolet sur lui. On ne sait pas ce qu'il vient faire là, mais on peut se poser des questions sur ça. C'est un peu Thésée, un peu qui veut tuer le Minotaur, on peut le lire comme ça, c'est un peu le Minotaur cette histoire aussi. Et donc ce chasseur raconte qu'il chassait des onces, donc c'est des jaguars. C'est le mot que j'ai trouvé suite à un autre traducteur qui avait déjà traduit cette nouvelle par Ons. Et donc, il va tuer des jaguars et puis il va le regretter. Et il va avoir une liaison amoureuse avec une Ons, avec une jaguar. C'est cette partie-là que j'ai eue, où il est couché et que l'Ons vient le visiter. Et après, il va vraiment avoir une relation charnelle avec elle. Ce qui rappelle une autre nouvelle de Balzac, qui s'appelle Une passion dans le désert. C'est un militaire qui a une liaison. avec une panthère dans le désert d'Afrique. Je ne sais pas s'il avait lu cette nouvelle-là, mais c'est tout à fait possible qu'il l'ait lue. En tout cas, la rencontre entre le chasseur et l'once, et entre le militaire et la panthère, c'est très très proche. C'est assez étonnant, en fait. Et à la fin de la nouvelle de Balzac, il y a une phrase qui pourrait être de Guillaume Aestroise, j'espère que je vais m'en souvenir comme ça, mais c'est la dernière phrase de la nouvelle, il dit Le désert, c'est Dieu sans les hommes Et en fait, ça on dirait une phrase de Guillaume Aestroise, parce qu'il en fait plein des phrases comme ça. C'est tout à fait… donc il y a un rapport entre les deux. Pour moi, c'est deux très belles nouvelles.

  • Speaker #0

    À la lecture de cet extrait de Mon oncle le jaguar vous avez sans doute été marqués, comme moi, par ce flot continu du monologue et par ses mots étranges et ses drôles de répétition. Boubouillonné bon, flairé, reniflé, flairé, et t'es là, t'es là. Ça, c'est à qui M. Srosan rentre dans sa langue vraiment. Qu'est-ce qu'il va faire ? Il va chercher le toupie. Le toupie, c'est une langue parlée par les Indiens. Une des langues parlées par plein de langues qui visitent au Brésil. Mais qui était un peu la langue qui était utilisée par tout le monde pour le toupie. Pour les Indiens, ils se parlaient en toupie, un peu comme la langue francaise qui était utilisée pour tout le monde, pour qu'on puisse se comprendre. avant le portugais ou pendant le portugais. Donc c'était le toupie qu'il emploie. Donc il va employer le toupie, il va mettre des mots de toupie dans son texte, mais pas seulement, il va aussi utiliser une des spécificités du toupie, qui est de doubler les mots. Porin, porang, ça veut dire bon, bon, beau, bon. C'est le même mot beau et bon à la fin. Et donc il va utiliser ça dans son texte. Et là, on en a un exemple là, quand il va dire boubouillonnet, il dit boubouillande, bon. Ça n'existe pas en portugais. Boubouillard, je sais pas. Donc j'ai mis Boubouillonnais, bon. Voilà, j'ai gardé exactement. C'était pas dur à traduire, d'ailleurs. Mais c'est cette idée de la double... Je répète deux fois la même chose. Et en fait, c'est une sorte de dédoublement aussi dans ce livre. Parce que le chasseur... parce que je ne vous ai pas dit, le chasseur il va après tomber amoureux d'une once, il va lui-même devenir une once et il va tuer des gens. En fait il va faire le contraire, avant il tuait des jaguars et après il va commencer à tuer des gens en les mangeant, en buvant leur sang et dans un état de trance où il y a un dédoublement complet. Donc Gumanespa il emploie une langue pour écrire son texte vous voyez c'est très très c'est jamais gratuit en fait ce qu'il écrit il y a toujours un rapport à la langue qui est très fort. Mieux. euh... Non, sinon, pour Rosa, quand il y a des... En fait, ce que je fais, je pense que tous les traducteurs font la même chose, sauf peut-être les très jeunes traducteurs, on ne sait pas qu'on peut faire ça. Mais en fait, quand il y a un néologisme, je ne vais pas forcément traduire le néologisme par un néologisme. Parfois, je vais mettre un archaïsme ou un régionalisme, ou un mot simple. Mais ailleurs, quand il y a un mot qui est peut-être simple, un mot normal, là, je vais employer un néologisme, un archaïsme, un régionalisme, ou un mot un peu différent. désuet. L'idée, c'est qu'en fait, on traduit des textes. C'est-à-dire qu'on ne traduit pas mot à mot. Ce n'est pas un document administratif. L'idée, c'est de traduire même pas les paragraphes, mais un texte en entier. On peut jouer avec ça. le fait beaucoup ça. J'essaye toujours quand même de trouver, parce que c'est le plaisir du traducteur, j'essaye de trouver quand il emploie un archaïsme, j'essaye de trouver un archaïsme et le premier mot de Diadorime ça fait combien de... 15-20 ans que je le cherche. Mais si je ne trouve pas, je mettrais un néologisme à ce moment-là. Vous voyez, c'était Umberto Eco dans un très beau livre qui s'appelle Dire presque la même chose qui dit ça, alors il dit, voilà, il faut qu'on puisse trouver... L'important, voilà, c'est d'équilibrer.

  • Speaker #1

    On l'a vu, Guimaraes Rosa joue avec la langue. Il crée des mots nouveaux, il transforme la syntaxe, il ouvre de nouveaux espaces pour le langage. Et je me suis demandé à quel point cette plasticité était facilitée par la langue portugaise elle-même.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas dit ça du portugais, mais le brésilien en particulier, c'est une langue qui est encore en formation, c'est-à-dire qu'elle accepte. On n'est pas gêné au Brésil d'entendre des mots qu'on ne connaît pas, déjà parce que le pays est grand, donc on a l'habitude d'entendre des mots d'autres régions. On est habitué, il y a comme ça une malhabilité. D'ailleurs, quand on est entre Brésiliens et les Français, ils peuvent dire mais comment on dit ça ? Demandez ça à un groupe de Brésiliens, vous allez voir que chacun va dire mais je ne suis pas sûr qu'on puisse le dire, est-ce qu'on le dit ? C'est des discussions sur est-ce qu'on traduit ça comme ça ? Est-ce qu'on peut dire ça comme ça ? Alors certains vont dire oui, dans ma région, on peut le dire, mais je ne suis pas sûr que ça soit correct. Parce qu'il y a ça, ou cette idée que la langue n'est pas correcte. Donc le Brésilien est plastique. C'est une langue malléable. Mais Greza, il va accentuer ça d'une manière... Et puis il va en faire de la littérature, c'est ça aussi. Mais c'est vrai que c'est... C'est quelque chose qui est dans la langue. Et dans le Minas, en plus, on a l'habitude de créer des... Il y a un peu cette idée qu'on peut créer des mots pour décrire des choses nouvelles, parce que la langue portugaise, quand elle est au Brésil, il faut décrire, il faut parler de tous les oiseaux qu'on voit. Et alors, il y a les noms... scientifiques, mais il y a aussi les noms que le peuple emploie. Les gens, il faut qu'ils décrivent. Il y en a plein, il y a plein d'oiseaux, il y a plein d'animaux différents, donc il faut décrire tout ça. Le peuple, je veux dire la langue populaire doit le décrire. Et donc il y a plein de mots pour dire, voilà, comme le fournier en français, c'est le gondobar, ou c'est un oiseau qui construit sa petite maison. avec de la boue, comme ça. Ils appellent Jean, c'est Jean, Jean de la boue. Voilà, c'est vrai, il y a des mots, et tous les oiseaux ont des noms populaires qui décrivent un peu ce qu'ils font, comme le pivert, qui est pica-pau, celui qui pique le bois. Et Guillaume Moïse-Poise, il va utiliser ces noms d'oiseaux, il va en mettre plein. Et quand il écrivait à ses traducteurs, parce que c'était quelqu'un qui était très attentif aux traductions et très conscient de ce qu'on pouvait traduire son texte, il dit mais ne cherchez pas le mot scientifique, cherchez à donner le mot d'expression. Qu'est-ce qui va sonner pour le lecteur ?

  • Speaker #1

    Comment traduire les noms d'animaux, d'arbres ou de fleurs ? dont la littérature brésilienne regorge et qui n'existe pas en France. C'est une question intéressante parce que, pour reprendre l'exemple des oiseaux, si le nom de l'oiseau n'est pas évocateur en soi, et que pourtant cet oiseau est très populaire au Brésil, est-ce qu'il faut quand même laisser son nom original dans la traduction, quitte à ce qu'il n'évoque rien, voire à ce qu'il sonne exotique pour le lecteur francophone ? On crée alors un léger décalage par rapport au texte original. Une autre solution serait de trouver l'équivalent en France de cet oiseau populaire au Brésil, le merle par exemple. Mais dans ce cas, est-ce qu'on n'appauvrit pas un peu le texte ? On touche ici du doigt la question des intraduisibles culturels. C'est ce qui pose le plus de problèmes à Mathieu quand il traduit.

  • Speaker #0

    Dans les familles populaires au Brésil, on a l'habitude, que ce soit dans le certain ou dans les favelas, c'est peu importe, mais dans les familles plus populaires, plus modestes, disons d'un milieu modeste, on vouvoie ses parents. C'est normal. On vouvoie donc sa mère, son père. Au Brésil, le vouvoiement n'est pas exactement le même qu'en français. On se tutoie toujours au Brésil entre les gens, mais il y a une forme de vouvoiement qui est un mouvement de respect qu'on va utiliser d'une classe sociale inférieure à une classe sociale supérieure, par exemple. mais aussi des enfants dans les familles modestes aux parents. Le problème c'est qu'en français, les enfants qui veulent voir leurs parents, c'est au contraire, c'est les classes, c'est des gens très aisés qui font ça, des très grands bourgeois qui vont... Et donc, là je me retrouve devant quelque chose, je ne sais pas comment faire, parce que soit je traduis, soit ils se tutoient leur mère, les personnages. Et on perd beaucoup, on perd ce respect. Et en plus, il en parle du texte de Salamère, il l'appelle même Donna. Donna, c'est Madame, un peu. Et elle se plaint, elle dit, mais j'ai même pas 50 ans, pourquoi tu m'appelles Donna, son fils ? Donc, il parle de ça. aussi le vouvoiement. Et pour l'instant je le fais vouvoyer. Alors c'est un truc très étrange en français, mais peut-être que le lecteur français va se dire bon là c'est une étrangeté, mais il va comprendre que voilà on peut pas tout transposer. Ça pour l'instant c'est quelque chose que j'essaie de trouver. Il faudra bien trouver une solution, mais c'est difficile.

  • Speaker #1

    L'une des choses décisives dans le choix de Mathieu de devenir traducteur, c'est d'abord la découverte de Joao Guimaraes Rosa, mais ensuite, et surtout, la découverte de ses traductions en français. Il m'explique qu'il n'y retrouve pas sans Guimaraes Rosa. Aujourd'hui, les droits de diadorime en français ne sont pas disponibles. Alors en attendant, Mathieu le traduit pour son plaisir.

  • Speaker #0

    Ce qui s'est passé avec diadorime, c'est que ça a été traduit une première fois dans les années 60 par un traducteur. qui a transformé Ausha, le narrateur, en un paysan français. Et donc, juste avec des mots, sans aucun néologisme, juste il avait fait ça. Et donc, ça donne un effet très étrange, même pour les lecteurs brésiliens, de voir en français, parce que ce n'est pas la même chose. Moi, je n'ai jamais traduit le paysan par le... Mais bon, je comprends, c'est juste... Je comprends ce qu'il a fait, mais c'est très bizarre. Et donc la traductrice, Marie-Vonne Lapouche-Petorini, quand elle a traduit ça dans les années 90, je comprends parfaitement qu'elle ait eu envie de faire ça, elle s'est dit, non, non, il faut le traduire dans un langage beaucoup plus... soutenu, avec du passé simple, il faut faire le contraire en fait de ce qu'il a fait, dans un langage plus neutre, et je comprends parfaitement qu'elle ait fait ça, et c'était le moment de le faire. Et maintenant je pense que le moment c'est de faire une autre chose encore. de faire à la fois l'oralité, et ça, c'est dur, et aussi le langage faux. De mélanger les deux pour en faire une langue qui va être un peu... C'est pour ça que j'ai dit que... Ça ne veut pas dire que la traduction va annuler l'autre, c'est juste que ça sera différent. C'est très triste d'ailleurs quand les traductions annulent celles qui disparaissent, parce que j'aime bien, moi j'adore. J'adore comparer les traductions entre elles aussi, même quand je ne connais pas très bien la langue originale. C'est bien quand il y a plusieurs traductions qui vivent en même temps. Ma thèse a été de comparer toutes les traductions de Rosa dans toutes les langues. En fait, c'est un texte qui se prête à des traductions complètement différentes. Mais vraiment, j'ai même le titre, je vais vous donner le titre du roman, je ne vais pas donner tous les titres, mais il y a ceux qui ont traduit Guern-de-Sertang. C'est le grand sartan. Le mot verrez est presque intraduisible, mais on a traduit souvent en danstor, en norvégien, enfin voilà. Le grand sartan, dans d'autres langues, en espagnol c'est grand sartan. Il y a ceux qui ont traduit l'histoire d'amour entre Riobardo et son frère d'âme. c'est le fait français très romantique donc on ne s'appartient à doris c'est diadori c'est le nom de l'amour de du narrateur c'est un homme qui va là ils sont à omis sont tous les deux amoureux et c'est des bandits donc ils peuvent pas peuvent pas s'avouer leur amour aux yeux des autres, c'est impossible. C'est dans le milieu du banditisme dans le certain. Ils ne peuvent pas. C'est impossible. Deux hommes ne peuvent pas s'aimer. Ils ne peuvent pas se l'avouer l'un à l'autre parce que ils ne peuvent pas se l'avouer à eux-mêmes. C'est ça qui est fort dans le texte. C'est un amour complètement inavouable mais qui existe. Et donc les Français ont traduit ça par Théodore. Il y a ceux qui ont traduit ça par Le Diable dans la rue parce que c'est une histoire aussi de pacte avec le diable. C'est un fausse brésilienne un peu cette histoire aussi. et donc il y a la traduction danoise je crois c'est le diable dans la rue et c'est un mot qui est dans le texte aussi donc vous voyez le diable, l'amour, le certain et puis il y a la traduction suédoise qui est complètement il s'est donné c'est une traduction très libre comme ça très étrange par rapport à ce qu'on prend de l'original il a traduit ça, les aventures du bandit Riobaud la vie est dangereuse mon seigneur les aventures du bandit Riobaud donc Donc c'est encore autre chose, c'est une histoire d'aventure d'un bandit, et la vie est dangereuse, c'est aussi une phrase qui revient dans le texte comme un leitmotiv. En fait, les traductions, elles ont une durée de vie aussi. Donc je pense qu'il faut retraduire tous les 25 ans. Et je vois pas de mal à ça. Et si on lit Baudelaire aujourd'hui, le traducteur de Pau, c'est parce que c'était Baudelaire. Même si sa traduction est très belle, c'est aussi parce qu'on est en... on aime lire Baudelaire. Ce n'est pas qu'elle est immortelle en soi. C'est une grande question s'ils sont mortels ou pas. Moi, je pense que ça ne me gêne pas du tout que tous les 25-30 ans, qu'on ait envie de retraduire un texte.

  • Speaker #1

    Et vous-même, vous avez déjà eu envie de reprendre des traductions que vous avez faites ?

  • Speaker #0

    C'est bon. Là, en lisant ça, j'ai envie de changer des choses, et je me dis pourquoi j'ai fait ça comme ça. Mais en fait, il faut arrêter un moment. En fait, ce texte-là, il a été, je ne sais pas si vous savez, mais il a été au programme de la Grègue. de lettres modernes. Et donc, ça s'est vendu un petit peu. Il y a eu pas mal de demandes. L'éditeur m'a demandé au moment du deuxième tirage est-ce que je voulais changer quelque chose. Donc, j'ai tout relu. Et j'ai changé des petites... Cette nouvelle-là, particulièrement, j'ai changé des choses. dans d'autres. Parfois c'est des toutes petites coquilles qu'il y avait, ça arrive toujours. Parfois j'ai changé un petit peu. Et après une troisième fois encore, il m'a demandé, j'ai encore à changer. Et après maintenant je crois qu'il va me demander plus. S'il y a une quatrième édition, il va plus me demander parce que ça demande. C'est pas évident de changer, mais j'ai envie de changer tout le temps en fait. Je me demande si les auteurs n'ont pas la même chose. Parce que le texte de Guillaume Maestroza, par exemple, comme d'autres auteurs, il est Il a repris son texte plusieurs fois, donc j'ai plusieurs versions de son texte. Parfois, il y a des arbres au puriel, parfois c'est un arbre. Il dit je tirais sur un arbre et dans un autre texte, c'est je tirais sur des arbres Alors pourquoi est-ce qu'il… Maintenant, il y a aussi des petites différences. Et Rosa, il a quelque chose de particulier. C'est qu'il y avait des coquilles, évidemment, comme dans tous les textes, il y a des coquilles parfois. Et lui, parfois, il aimait bien, il acceptait la coquille. C'est-à-dire qu'il disait parfois, il disait, tiens, la coquille, moi je la laisse comme ça. Il laissait une coquille dans le texte exprès. Donc c'est un truc, parce que sinon, on n'a pas l'habitude, on corrige, mais voilà.

  • Speaker #1

    J'espère que ce voyage au Brésil vous a plu. Si c'est le cas, n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire sur votre plateforme d'écoute et à partager l'épisode autour de vous. C'était donc le cinquième épisode de Langue à Langue, avec le traducteur du portugais Mathieu Doss. Je le remercie infiniment de s'être prêté au jeu de l'interview et d'avoir accepté de commenter l'une de ses traductions. dont je vous rappelle le titre. Il s'agit de la nouvelle Mon oncle le jaguar de Joao Guimaraes Rosa, parue dans le recueil Mon oncle le jaguar et autres histoires, en 2016, aux éditions Chandegne. Vous pouvez retrouver les extraits en portugais et en français sur le site langalang.com. Langa Lang est un podcast de Margot Grillier, c'est moi. L'identité sonore et graphique sont signés Studio Pile. et le montage-mixage a été réalisé par Nathan Luyer de La Cabine Rouge. Le podcast entre maintenant dans une petite pause hivernale, mais on se retrouve dans quelques mois pour de nouveaux épisodes, pour continuer à voyager à travers les langues et les littératures du monde avec les traducteurs et les traductrices. D'ici là, n'hésitez pas à suivre les pages Facebook et Instagram du podcast pour ne manquer aucune actualité, et bien sûr, abonnez-vous sur votre plateforme préférée Laissez-nous des étoiles et parlez-en à tout le monde autour de vous. A bientôt et comme on dit en portugais, até a próxima !

Chapters

  • Introduction

    00:00

  • Générique

    02:21

  • Mathieu m’accueille chez lui

    02:50

  • Du zoo de Vincennes aux favelas de Rio

    03:40

  • Traduire l’argot des favelas

    05:01

  • Mélanger argot et langage soutenu

    08:23

  • Rapport de Mathieu à la lecture

    10:31

  • Rencontre de Mathieu avec l’écriture de Guimarães Rosa

    13:43

  • Projet littéraire de Guimarães Rosa

    15:58

  • Lecture en portugais

    22:06

  • Lecture en français

    24:20

  • Résumé de « Mon oncle le jaguar »

    26:27

  • Néologismes et traduction

    29:23

  • Plasticité de la langue brésilienne

    32:50

  • Intraduisibles culturels : vouvoiement et classes sociales

    35:26

  • (Re)traduire Diadorim

    37:54

  • Conclusion

    44:11

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