- François
Et je pense que c'était ça le plus dur à vivre dans la maladie. En fait, c'était toute la période d'errance de diagnostic où, en fait, certes, on a les douleurs à gérer, ce qui est déjà hyper compliqué au quotidien parce que quand on n'est pas soulagé, on ne peut plus rien faire. Moi, j'ai été toute une période, en fait, avant, je pense, d'être de nouveau soulagé avec les patchs de fentanyl. Je crois que je ne regardais même plus de films, je ne lisais plus de livres, je n'arrivais plus à écrire non plus. Et à partir du moment... où la douleur a commencé à être soulagée, j'ai commencé à refaire des activités.
- Giulietta
Bonjour et bienvenue dans lanomalie, le podcast qui ouvre la discussion sur la maladie et le handicap. Je vous propose aujourd'hui une discussion avec François, un ancien collègue de travail qui a atteint la maladie de Behçet. Il s'agit d'une maladie liée à l'inflammation des vaisseaux sanguins dont les symptômes peuvent être variés. Dans le cas de François, des douleurs insupportables sont apparues alors qu'il avait 21 ans. Commence alors un long parcours d'errance médicale au cours duquel François a dû retourner vivre chez ses parents. interrompe ses études, prendre de la morphine quotidiennement pour calmer ses douleurs et se confronter à un corps douloureux dans lequel il ne se reconnaissait plus. Dans cet épisode, nous revenons avec François sur la période d'errance médicale qu'il a vécue avant que le diagnostic ne soit posé et sur ce que ça représente de tenir bon quand chaque action est un mini combat. Nous parlons aussi de l'après, puisque François a pu bénéficier d'un traitement qui a fait disparaître l'intégralité de ses symptômes. A 24 ans, François a pu reprendre sa vie, ses études et s'épanouir. François évoque avec une joie communicative son retour à la vie entre l'Espagne, le Mexique et la Suède, et sur ce que ces différentes expériences lui ont apporté dans un contexte d'après-maladie. Sur ce, je vous laisse avec la discussion lumineuse que nous avons eue avec François.
Hello François, je suis super touchée d'enregistrer avec toi aujourd'hui. Pour donner rapidement le contexte de cet épisode, il y a à peu près un an, je suis tombée sur un post LinkedIn de toi qui m'a beaucoup marquée. Tu y racontes que tu as réussi à gravir un volcan et que cela n'aurait pas été possible il y a quelques années. Tu évoques alors ton parcours avec la maladie de Behçet. Pour la décrire rapidement, c'est une maladie liée à l'inflammation des vaisseaux sanguins, si je ne me trompe pas, et dont le faisceau de symptômes peut être assez large. Et donc, dans ton cas, c'est principalement de fortes douleurs articulaires qui t'empêchaient de vivre. D'ailleurs, lorsque nous sommes appelés pour préparer cet épisode, tu m'as raconté comment tu te sentais à l'époque. Et une phrase m'a marquée, tu disais « je suis couché au lit et en pleurs parce que c'est un rouleau compresseur qui passe sur mon corps", donc je pense que l'image parle d'elle-même pour traduire la souffrance que tu as vécue à l'époque. Et savoir que tu es passé par là contraste énormément avec la perception que j'avais de toi avant de savoir. Et je pense que beaucoup de personnes ont de toi, puisque je pense qu'on peut te décrire comme un rayon de soleil. Et c'est un euphémisme : le principal souvenir que j'ai de toi et qui me vient en tête, c'est ton rire qui est ultra communicatif et qu'on aura peut-être la chance d'entendre dans cet épisode. Et donc, ce que j'aimerais évoquer avec toi aujourd'hui, c'est justement la douleur et l'errance médicale que tu as vécue pendant deux ans, à peu près. Et le passage aussi vers l'après et le retour à une vie normale, puisque tu as aujourd'hui un traitement qui a fait disparaître la quasi-totalité de tes symptômes, si ce n'est tous. Donc on peut parler de rémission ? Et donc, cette deuxième partie est super intéressante, puisque tu m'as fait part de ta boulimie d'expériences, et j'ai envie d'explorer avec toi aussi cette après-maladie et cette pulsion de vie qu'on peut avoir et qui nous donne envie de vivre à 100 à l'heure. Est-ce que c'est OK pour toi ?
- François
Oui, complètement. Je suis ravi d'être là.
- Giulietta
Bon, je t'ai décrit super rapidement et de mon point de vue de collègue de travail, toi, comment est-ce que tu te décris,François ?
- François
C'est vrai que les personnes ont plutôt tendance à me décrire comme quelqu'un de très positif, de très solaire. En effet, le "rayon de soleil" revient assez souvent. Moi, je me décrirais comme quelqu'un de positif, comme quelqu'un qui est curieux, qui s'intéresse à énormément de choses et en même temps avec beaucoup de paradoxes aussi, en fait, parce que je pense que comme chaque personne, on a des... côtés très solaires et des côtés un petit peu plus aussi intimes et introspectifs. Et je suis quand même aussi quelqu'un qui doute beaucoup, qui me pose beaucoup de questions sur la vie, sur plein de choses. Et voilà, j'ai un peu l'impression des fois d'être en crise existentielle constante, mais ça nous fait avancer sur beaucoup de choses aussi et c'est ce qui rend la vie intéressante.
- Giulietta
Mais c'est intéressant cette description tout en contrastes. Je te ramène à un truc quand même qui est moins joyeux, mais, du coup, si on reprend par le commencement de l'épisode de ta vie qui nous intéresse, est-ce que tu peux revenir sur l'année 2011 et l'arrivée de la maladie de Behçet dans ta vie ?
- François
Ouais, alors en 2011, moi je vivais à Paris depuis trois ans. J'étais en école de théâtre, enfin j'avais fait une école de théâtre et puis j'étais passé au conservatoire et en fac de théâtre. Et donc j'étais dans une année où je m'éclatais pas mal sur le plan études en tout cas. J'étais hyper stimulé, mais j'étais aussi, je pense, un peu au bord du burn-out, parce que je cumulais deux formations, à la fac, au conservatoire. J'avais un boulot à côté pour m'en sortir aussi. Et je pense que je ne m'en rendais pas compte à l'époque, parce que j'étais jeune aussi, j'avais 21 ans. Mais voilà, j'étais pris un peu dans un tourbillon, en fait. Et je pense que quand c'est arrivé, j'étais très, très fatigué aussi. Donc c'est sans doute ce qui a en partie déclenché la maladie. Je pense que j'étais dans un état quand même assez... de faiblesses déjà peut-être un peu amorcées. En 2011, j'avais 21 ans. Les symptômes ont commencé avec une dermatose bulleuse. Je me suis retrouvé un jour avec des petits boutons qui ont percé un petit peu partout. Je suis allé voir le dermatologue qui pensait que c'était une... Une varicelle. Et en fait, ça s'est amplifié en quelques semaines et j'ai commencé à avoir des bulles partout sur moi. Donc j'en avais sur la tête, sur le visage, sur les articulations, les épaules, le dos, etc. Et j'ai été pris en charge aux urgences dermatologiques à Rennes. Et en fait, on m'a diagnostiqué cette dermatose bulleuse, qui est une maladie auto-immune. Donc on ne saura jamais vraiment comment je l'ai déclarée et ce qui a fait que je l'ai déclarée. mais c'était mon propre corps qui s'attaquait lui-même. Et donc, suite à cette apparition de dermatose bulleuse, on m'a donné un traitement qui devait être un antibiotique à prendre sur une durée d'un an. Et au bout de quelques jours de prise de cet antibiotique, j'ai commencé à ressentir des douleurs partout dans mon corps, notamment au niveau des articulations. Et c'était des douleurs qui devenaient insupportables. Donc, j'ai été réhospitalisé, je crois que c'était aux alentours de Noël, cette année-là. Enfin, je me souviens encore, en tout cas... Au réveillon de Noël, j'avais été obligé d'aller me coucher dans un lit chez mon frère parce que j'avais des douleurs qui étaient intenables et je ne savais pas d'où elles venaient. Et je pense que c'est une des premières fois que j'ai expérimenté la douleur que j'allais vivre pendant des années après. Et donc j'ai été repris en charge aux urgences à Rennes, encore aux urgences dermatologiques puisque c'est eux qui s'étaient occupés de mon cas auparavant. Et puis on m'a changé le traitement, on m'a mis sous cortisone. Ça a commencé à aller mieux. Et donc, le traitement de cortisone, je l'avais pour une durée d'un mois à peu près, donc jusqu'à fin janvier, début février. Et début février 2012, j'arrête mon traitement de cortisone. Je repars sur Paris, puisque j'étais revenu en Bretagne chez mes parents à l'époque. Je repars sur Paris, je recommence le petit job étudiant que j'avais, je recommence à aller en cours. Et en fait, là, je me rends compte au bout de quelques jours que ça ne va pas. Les douleurs reviennent, elles sont de plus en plus intenses. Je commence à prendre du Doliprane et à me gaver de Doliprane pour pouvoir y faire face. Sauf qu'en fait, ça devient vraiment trop intense. et je retombe dans une spirale de douleurs qui est ingérable. Donc je suis réhospitalisé une nouvelle fois à Rennes et là on décide de me mettre sous morphine puisque c'est le seul antidouleur qui va me calmer. Donc à l'époque c'était de l'oxycodone et ça va être le début d'une prise de morphine qui va durer trois ans et demi parce que pendant deux ans et demi, la maladie ne sera pas diagnostiquée et on n'arrivera pas à mettre... à mettre le mot sur ce qui m'apporte ces douleurs.
- Giulietta
Et un des points qui m'a beaucoup marquée sur ce que tu disais, c'est sur ton expérience de la douleur et la mauvaise prise en charge de celle-ci. Tu as consulté notamment au centre anti-douleurs de Rennes. Et en fait, ce qu'on t'a proposé n'était pas du tout adapté à la manière dont ton corps réagissait et au fait que tu t'accoutumais aussi à ton traitement.
- François
Bah ouais, parce qu'en fait, l'oxycodone, le problème, c'est que, comme tous les opioïdes ou opiacés, je ne sais pas comment on dit... Mais c'est un médicament où il faut régulièrement augmenter les doses pour pouvoir continuer à calmer la douleur. Pour une équivalence, j'ai commencé à 5 picogrammes. Je crois que c'est picogrammes. J'ai terminé à 130. Je crois que la dose maximum qu'on puisse filer, c'est 300, quelque chose comme ça. Donc oui, c'était assez intense. Et en effet, au début, je prenais de l'oxycodone qui était à prendre sous la langue. Donc la diffusion était immédiate et ça me soulageait pas mal. Sauf que c'était 6 à 8 prises par jour, donc c'est quand même assez contraignant. Et on m'avait donné du coup au centre antidouleur de Rennes, ou à l'hôpital, je ne me souviens plus, un oxycodone, donc la même molécule, mais à libération prolongée. Donc en fait, je prenais un médicament toutes les 12 heures, donc deux fois par jour, et la couche était censée se dégrader petit à petit au long des 12 heures dans mon corps pour pouvoir avoir ce soulagement permanent. Sauf que moi à l'époque j'avais aussi des problèmes de digestion puisque beaucoup de choses étaient liées et ça entraînait une dégradation de mon état général. Donc forcément j'en suis arrivé à l'époque où j'étais... Pas hyper gros, je n'ai jamais été très gros, je pèse 50 kg à peu près, même aujourd'hui. Mais à l'époque, j'étais tombé à 40 kg. Et voilà, en fait, j'ai toujours bien mangé, sauf que les apports nutritionnels n'arrivaient pas à passer et à se stabiliser dans mon corps. Et du coup, je digérais à une vitesse très anormale aussi. Et donc, ce médicament, je m'étais rendu compte que je le retrouvais dans mes selles 2-3 heures après de l'avoir pris. Et que du coup, je passais après 9 heures. sans apport de morphine dans mon corps et ça m'entraînait des manques et des sensations de sevrage. Et forcément, les douleurs revenaient à côté, donc je devais cumuler tout ça. Je me souviens de moments où j'étais dans mon lit, dans un état de tremblement, à attendre l'heure à laquelle j'allais pouvoir reprendre la morphine. En général, je la décalais d'une ou deux heures chaque jour. Donc j'arrivais à la fin du mois chez le pharmacien. Et mon ordonnance était terminée, et comme c'est des ordonnances hyper spéciales, hyper contrôlées, on galérait à pouvoir me redonner des médicaments parce qu'on pensait que j'en prenais trop, etc. Et donc quand j'en avais parlé au centre antidouleur de Rennes, ils m'avaient dit qu'il y avait d'autres formes qui existaient, notamment le fentanyl, qu'on peut prendre en patch en fait, donc c'est un patch que tu colles sur ton épaule ou sur ton dos, et qui a une libération en fait prolongée de 72 heures, donc beaucoup moins contraignante en plus. Et ce patch, on n'avait pas voulu me le donner à l'époque parce qu'on m'avait dit que c'était réservé aux personnes avec des maladies du type cancer ou à des personnes en phase terminale de maladie. Et moi, ce qui m'a hyper surpris, c'est qu'en 2013, donc ça faisait déjà quasiment deux ans que je traînais toutes ces douleurs, on a déménagé à Nice avec mes parents, puisque j'étais rentré chez eux à l'époque. Et j'ai consulté, il me fallait un nouveau médecin traiteur là-bas, donc j'ai consulté un médecin homéopathe et généraliste qui m'a tout de suite donné une ordonnance de fentanyl en patch pour pouvoir me soulager. Et là, ça a été le début déjà d'un renouveau, puisque pour la première fois depuis deux ans, j'ai été soulagé de mes douleurs et j'ai pu recommencer à faire des trucs hyper lambda, mais du type juste aller passer un midi au restaurant avec mes parents ou juste aller voir un film un après-midi et pouvoir prendre le bus pendant 20 minutes pour pouvoir le faire. C'est des choses dont j'étais incapable, en fait, à l'époque, au point où on était arrivé, au stade où on était arrivé, ma maladie.
- Giulietta
Oui, justement, j'aimerais bien qu'on revienne là-dessus. Donc, à un moment, on a échangé pour préparer cet entretien et tu m'as dit, je reste debout parce que je suis vivant, c'est automatique. Pour décrire aussi cet état où tu étais peut-être un peu hors de toi, pardon, à cause de la douleur, est-ce que tu peux expliquer concrètement à quoi ressemblait ton quotidien à l'époque ?
- François
À l'époque, j'étais rentré chez mes parents, du coup, puisque je ne pouvais plus... Déjà, je me gérais tout seul, j'avais plus non plus aucune source de revenus. Et mon quotidien à l'époque, c'était juste survivre. Je me levais le matin, j'allais faire une toilette. À l'époque, je ne prenais même plus de douche, je me lavais au gant de toilette parce que c'était trop compliqué de monter dans une baignoire ou de faire quoi que ce soit. C'était trop énergivore. Donc en fait, je me lavais au gant de toilette. Et je me souviens que tous les matins, je me regardais dans la glace et je pleurais. pétri de douleur parce que je ne savais pas ce que j'avais et quand ça allait s'arrêter et si ça allait s'arrêter un jour surtout. Et je pense que c'était ça le plus dur à vivre dans la maladie. En fait, c'était toute la période d'errance de diagnostic où certes, on a les douleurs à gérer, ce qui est déjà hyper compliqué au quotidien parce que quand on n'est pas soulagé, on ne peut plus rien faire. Moi, j'ai été toute une période, en fait, avant, je pense, d'être de nouveau soulagé avec les patchs de fentanyl. Je crois que je regardais même plus de films, je lisais plus de livres, j'arrivais plus à écrire non plus, je crois que j'écoutais quasiment plus de musique non plus. Et à partir du moment où la douleur a commencé à être soulagée, j'ai commencé à refaire des activités. Avant ça, tout le temps, entre deux, j'ai vraiment été dans une période où le but c'était de se lever le matin et de survivre aux douleurs pendant la journée. Donc je savais que quand je prenais mon cachet, j'avais 2-3 heures de soulagement. J'en profitais pour dormir, pour me reposer, parce que forcément, je ne pouvais pas dormir quand j'avais des douleurs. Donc mon sommeil était devenu complètement chaotique aussi. En fait, je ne faisais plus de vraies nuits. Je me levais en plein milieu de la nuit et je pleurais tellement j'avais mal. Mes parents étaient obligés de venir voir ce qui se passait. Ils se réveillaient toutes les nuits parce que c'était insoutenable. Et du coup, mon quotidien, c'était juste de rester dans mon lit. et d'attendre que la journée se passe, et d'attendre les heures où j'allais pouvoir être soulagé. Et du coup, je jonglais entre l'oxycodone à l'époque, qui ne me soulageait pas complètement, et le doliprane pour pallier à ce manque de soulagement. Enfin, à tel point que j'étais arrivé à prendre six doliprane par jour, alors que... C'est quatre ! Ouais, c'est quatre maximum, mais encore, on dit souvent trois même. Et voilà, donc à chaque fois que je me retrouvais en fait dans des instances hospitalières et que je leur disais que j'étais arrivé à 6 doliprane par jour, on disait non mais c'est pas possible en fait, je préfère encore vous augmenter la morphine. Sauf qu'à l'époque, comme on voulait pas me mettre sous patch non plus, bah en fait c'était le serpent qui se mordait la queue quoi. Et du coup voilà, donc j'avais quand même la chance à l'époque d'être revenu sur Rennes chez mes parents et d'avoir quelques amis qui passaient me voir de temps en temps, ce qui fait que j'ai jamais été complètement désociabilisé. et voilà j'ai eu deux ou trois amis assez proches qui ont vraiment... qui passaient au moins une fois par semaine et avec qui on discutait un peu, avec qui... Alors on allait se balader, c'était un bien grand mot parce que on allait au bout de la rue, on revenait et ça nous prenait une demi-heure. Mais voilà, quand j'y repense aujourd'hui, je me dis que j'ai quand même toujours eu la chance de continuer à être entouré et je crois que ça m'a quand même sauvé pour une partie parce que je pense qu'il y a des gens qui se retrouvent vraiment complètement isolés en fait. Voilà, puisqu'à l'époque, j'avais complètement lâché mes études aussi, je ne pouvais pas, j'avais pas l'énergie ni la possibilité, en fait, physique tout court, de pouvoir continuer à étudier. Oui,
- Giulietta
c'est un sujet qui est revenu quand on a échangé, c'est le fait que tes parents étaient là et d'une manière admirable. Est-ce que tu sais comment ils ont vécu les choses ? Parce que ça doit être très difficile de voir son enfant souffrir. Souffrir, même intolérable en fait, ça t'a impacté fortement toi ? Est-ce que ça a impacté tes parents ? Est-ce qu'ils t'en ont parlé ? Ils t'ont expliqué eux ce qu'ils ont ressenti ?
- François
Ah oui, clairement. Je pense qu'on avait une communication qui était assez ouverte à l'époque. Ma mère a complètement stoppé son activité, quasiment complètement stoppé son activité quand j'ai dû revenir à la maison. Parce qu'entre les visites à l'hôpital, les visites chez pas mal de professionnels de santé aussi, parce qu'on cherchait par tous les moyens aussi. comment m'en sortir, puisque le milieu hospitalier n'arrivait pas à mettre le doigt sur la maladie que je pouvais avoir. Mes parents, c'est des gens qui ont toujours été assez ouverts à toutes les médecines alternatives. Donc, j'ai été suivi pendant toute cette période par différents praticiens dans différentes disciplines. Je voyais des ostéopathes régulièrement, des chiropracticiens, j'ai vu des énergéticiens, des magnétiseurs. Bon, voilà, et je pense que ça a quand même pallié le manque. Je dirais que ça m'a permis quand même de continuer à un minimum à survivre, en fait, à côté des traitements que je prenais, qui étaient inefficaces à l'époque. Comment ils l'ont vécu ? Je pense qu'ils étaient aussi démunis que moi, en fait. Et je me rends compte de la chance que j'ai eue de les avoir, en fait, à cette période-là. Parce que quand je repense à tout ça, je me dis que s'ils n'avaient pas été là, je ne sais pas si je serais encore là aujourd'hui. Ils m'ont complètement pris en charge financièrement, matériellement et je dirais psychologiquement aussi. Parce que je me suis retrouvé quand même dans un cercle familial qui m'a permis d'être dans une situation sécurisée. Mon père travaillait encore à l'époque. je pense que financièrement ça a été très compliqué pour eux aussi de... de boucler les fins de mois à cette époque. Et on avait énormément de dépenses qui étaient liées à ma maladie, puisqu'il y avait énormément de soins qui n'étaient pas remboursés. Donc mon père a été à la retraite assez tôt, puisqu'il travaillait à la SNCF. Mais il a retravaillé ensuite pour des boîtes privées, pour pouvoir subvenir à mes besoins aussi. Et ma mère est sophrothérapeute et numérologue. Et elle a mis de côté son activité, pour pouvoir s'occuper de moi à temps quasiment plein. Et oui, de ce côté-là, j'ai eu de la chance d'avoir des parents qui ont pu être présents. Et je pense que psychologiquement, ça a été aussi dur, voire peut-être plus dur pour eux. Parce que je pense qu'il y a ce sentiment d'impuissance quand on est proche et aidant. Et qu'en plus, on ne sait pas de quoi souffre la personne dont on prend soin. C'est quelque chose de... Je pense que c'est ça le plus difficile à accepter. De se dire, on fait tout pour essayer de le sauver. Mais on ne sait pas. Ma mère avait dit à une de mes amies un jour, bien après que tout ça soit passé, une fois que j'avais été diagnostiquée, elle lui avait dit « Je te remercie d'être passé aussi souvent, parce que c'était très compliqué pour nous à l'époque. » Et elle lui avait dit « On voyait François aller se coucher le soir et on ne savait pas si on allait le retrouver vivant le lendemain. » Et ça, ça m'avait énormément marqué. En fait, ça nous a amené à avoir des discussions. auquel je n'aurais jamais pensé parler avec mes parents. Et surtout dans ce sens-là, la logique des choses fait que ce sont plutôt les enfants qui voient leurs parents s'aménuiser et avoir des problèmes de santé avec le temps et qui doivent du coup prendre soin d'eux. Là, c'était complètement l'inverse. Et moi, je me souviens avoir dit à ma mère un jour dans la voiture, quand elle m'emmenait à un rendez-vous médical, je lui ai dit écoute, si un jour je deviens un légume, vous n'essayez pas de me garder en vie et vous me débranchez. Et elle m'en a reparlé après. Et à l'époque, je crois que je ne me suis pas rendu compte de l'impact que ces mots pouvaient avoir sur elle. Mais je pense que ça l'a... Ça l'a complètement marqué. Mais à l'époque, moi, c'était quelque chose que j'avais besoin de lui dire, en fait. Parce qu'on était arrivé à un tel point de non-retour que je ne voulais pas me retrouver à un stade, en fait, où je savais que ça ne servait plus à rien de continuer à espérer.
- Giulietta
J'ai posé une question un peu désagréable. Et du coup, je mets un trigger warning sur les questions de suicide. Mais quand tes parents disaient qu'ils ne savaient pas s'ils allaient te retrouver le lendemain, c'était... Parce que tu n'aurais pas tenu le coup physiquement ou parce qu'ils avaient peur que tu mettes fin à tes jours ?
- François
Non, c'est parce que je n'aurais pas tenu le coup physiquement. Pour moi, la question du suicide, elle ne s'est pas posée pendant toute la durée de ma maladie. Tant que je tenais le coup, je tenais le coup en fait. Et j'ai quand même toujours eu en fait cet infime espoir. Alors je ne sais pas d'où il venait. J'ai quand même toujours gardé en fait une petite partie de moi qui disait il y a peut-être quelque chose quand même. Un jour, tu vas peut-être savoir quand même ce qui t'arrive. Et un jour, tu vas peut-être... pouvoir revivre normalement. Dans le passé, j'avais déjà surmonté quelques épreuves, notamment avec des épisodes dépressifs quand j'étais adolescent. Et je m'étais rendu compte que je pouvais me sortir de ces épisodes et que je pouvais trouver la vie très belle aussi après et vivre des expériences assez extraordinaires aussi. Et du coup, je pense que je me suis rattaché à ces moments de vie assez intense et que je me suis toujours dit, bon, on continue à aller de l'avant quoi qu'il arrive et on verra ce qui se passe.
- Giulietta
Sur le fait que tu aies gardé espoir et que tu es continué à te projeter vers un mieux, c'est d'autant plus impressionnant que justement à cette époque-là, côté médical, tu n'avais pas de réponse particulièrement adaptée. On ne savait pas ce que tu avais. Je pense qu'ils ont tâtonné. Est-ce qu'il y a des éventualités qui ont été évoquées, des potentiels diagnostics ? Tu te rappelles un petit peu de...
- François
Alors, je crois qu'on m'avait parlé de spondylarthrite ankylosante parce que les symptômes étaient quand même assez similaires. sauf qu'en fait on retrouvait pas toutes les les tous les symptômes associés à cette maladie dans mes résultats. Et donc, on est arrivé aussi assez rapidement dans une spirale sans fin, en fait, d'examens à passer continuellement et sans résultat concluant. En fait, un jour, j'ai une proche qui travaille dans le milieu médical, une amie proche de ma mère, qui nous a dit que ça commençait à s'apparenter à du... Comment on dit ?
- Giulietta
Acharnement.
- François
Ouais, que ça commençait à s'apparenter à de l'acharnement thérapeutique. Et je pense qu'on en avait déjà un petit peu conscience, mais qu'on ne l'avait pas verbalisé. C'est-à-dire que je pense que je suis passé à peu près par tous les examens possibles et inimaginables qu'on puisse expérimenter dans le cadre hospitalier. J'ai eu des ponctions lombaires, des ponctions osseuses, des PET scans, des scintigraphies osseuses, des trucs avec des électrodes, enfin voilà. J'avais des débits lancers en gain hyper régulier aussi. Et en fait, suite à ces examens, on ne retrouvait rien. Et le problème, c'est qu'on voulait me faire revenir à l'hôpital tous les trois mois, tous les six mois, pour pouvoir faire exactement les mêmes examens au cas où on trouverait quelque chose. Mais en fait, je ne savais même pas ce qu'on cherchait. Et je pense que le secteur hospitalier ne savait pas non plus ce qu'on cherchait. Puis j'ai eu des expériences assez désagréables aussi, où en fait, c'est un peu le cas du service. On n'a jamais vu ça. Donc, t'as trois médecins différents qui passent dans ta chambre dans la journée, qui te reposent exactement les mêmes questions. Et puis, on fait défiler les internes aussi, parce que c'est un cas qu'ils ne vivront peut-être jamais autrement dans leur vie. Et du coup, les internes reviennent te poser des questions aussi après. J'ai eu le droit à des questions aussi assez déplacées, on va dire, sur ma vie intime, parce que je suis gay. Et en fait, on a pu me poser des questions sur ma sexualité, sur des choses qui n'avaient pas de rapport, en fait, avec... avec les symptômes que j'avais et la condition que j'avais à l'époque. Et voilà, à un moment, avec mes parents, on en a discuté, on a décidé de mettre un stop à tout ça, parce qu'on m'a même demandé de venir faire des examens dans certains services hospitaliers, donc de jour, à certains moments. Et moi, j'avais refusé d'y aller, puisque j'étais dans un état complètement épuisé à l'époque. Et je me souviens avoir eu au téléphone une interne qui avait mis l'examen en place. Et en fait, elle ne m'avait même pas dit de quel examen il s'agissait. Donc j'avais dû la rappeler pour lui demander de quoi il s'agit pour cet examen-là. Parce que je ne sais même pas, vous m'avez communiqué que vous vouliez me voir à tel endroit, à telle heure. Et elle m'avait dit, en fait, c'est pour faire une ponction osseuse. Sauf que je devais rentrer chez moi dans la journée. Et une ponction osseuse, c'est quand même quelque chose. J'en ai eu deux. Et à chaque fois, tu restes allongé pendant plusieurs jours et ça te détruit vraiment. On te prélève de l'os dans le dos. Ce n'est pas anodin comme examen. Je pense qu'on en était arrivé à un stade où les médecins ne savaient pas ce qu'ils cherchaient, s'ils allaient trouver quoi que ce soit. Et on a décidé de prendre un peu de distance avec le milieu hospitalier, parce qu'on voyait que ça ne menait à rien, et que ça me fatiguait plus qu'autre chose, en fait, de devoir refaire tous ces examens hyper-invasifs tous les trois mois, plutôt que d'aller voir ailleurs, en fait, et d'essayer de trouver ailleurs la solution au problème.
- Giulietta
Ce que tu avais décrit, c'était quelque chose d'assez violent sur le plan symbolique, parce que... Tu n'avais pas toujours les mêmes interlocuteurs, on te reposait sans cesse les mêmes questions. Tu ne savais pas pourquoi on t'a posé d'autres. Tu m'avais décrit une conversation avec ton père aussi, où il était assez étonné de ce qu'on te demandait.
- François
J'avais eu un rendez-vous en médecine interne avec un médecin qui est censé regrouper toutes les spécialités pour pouvoir faire le lien entre elles et détecter des possibles maladies assez rares. Et moi, à l'époque, je demandais toujours à être accompagné d'un de mes parents pendant les rendez-vous médicaux, parce que je voulais toujours qu'il y ait un témoin avec moi. surtout au stade où ça était arrivé en fait. Et avec ce médecin-là, ce qu'on s'était dit avec mon père après le rendez-vous, c'est qu'on avait eu l'impression de repasser le bac en fait. Il nous a posé, je pense, une cinquantaine de questions, mais alors en les décochant comme s'il avait un flingue à la main. Et c'était hyper froid, la conversation était hyper factuelle en fait. sans prendre du tout en compte le ressenti émotionnel que tu pouvais avoir, ce qui se passait dans ta vie quand même depuis un an ou deux. Et l'interrogatoire terminé, il nous dit « bon bah on se revoit dans un mois pour les résultats » . Et un mois plus tard, je me pointe donc au rendez-vous qu'il m'avait donné dans un autre service hospitalier. Et en fait, c'était son interne qui était là, lui n'était pas présent, et on m'a refait une ponction osseuse ce jour-là. parce que les résultats n'étaient toujours pas concluants et qu'on voulait toujours voir plus loin ce qui pouvait éventuellement... S'il y avait quelque chose d'autre qui pouvait amener à un diagnostic.
- Giulietta
Sur la violence du monde médical, je pense que c'est difficile de s'en rendre compte quand on ne le vit pas. C'est vraiment super important, je pense, de se faire accompagner toujours quand on passe des examens ou quand on a des rendez-vous, tout ça. Moi, le souvenir que... Enfin, en fait, je n'ai pas de souvenir de l'époque où j'ai eu mon diagnostic. Je pense que mon cerveau a fait un blackout, et en tant que personne malade, quand tu vis avec de la douleur ou des symptômes assez intrusifs, je pense que c'est difficile de pouvoir tenir un échange, de pouvoir répondre à des questions, de pouvoir comprendre ce qu'on te dit. Donc c'est vraiment un bon truc de...
- François
Oui, de ne pas être orienté non plus, parce que je pense qu'il y a des biais qui peuvent être faits assez facilement. Et oui, c'est compliqué quand on subit une telle douleur, de rester neutre et objectif par rapport à... Moi, une question qui m'a aussi souvent interpellé, c'est vous la situez à combien, votre douleur, sur une échelle de 0 à 10 ? En fait, je ne savais jamais quoi répondre. Parce que tu es en moment de crise, est-ce que tu commences à te soulager ? Est-ce que par rapport à ce que tu as vécu dans ta vie, c'est une douleur qui est horrible ou qui est au final assez supportable ? C'est tellement subjectif comme question, en fait, que je ne savais jamais quoi répondre à cette question.
- Giulietta
Et comment est-ce que ça s'est passé du coup, une fois que vous avez décidé un peu de prendre vos distances avec le monde hospitalier ?
- François
La suite de l'histoire, c'est qu'à cette époque, on vivait en Bretagne avec mes parents et on a rencontré un premier médecin qui travaillait en micronutrition qui m'a fait passer déjà un bilan assez approfondi pour voir un petit peu toutes les carences nutritionnelles que je pouvais avoir puisque mon état de santé se dégradait de jour en jour et que ça entraînait d'énormes carences qui entraînaient aussi derrière les douleurs, la perte de poids, etc. Donc j'ai consulté un premier médecin sur Saint-Malo qui m'a prescrit tout un traitement en micronutrition pour déjà pallier un petit peu aux carences que j'avais à l'époque, mais sans émettre de diagnostic. Donc à l'époque, j'étais toujours en errance de diagnostic. Je voyais des ostéopathes régulièrement, des chiropracticiens, des personnes. Je voyais un magnétiseur à l'époque qui a réussi à me soulager de mes douleurs, partiellement et ponctuellement. Donc c'était quand même une grosse aide. Et ça m'a offert quelques moments de répit qui ont été quand même assez bienvenus. Et à l'époque, mon père arrivait à l'âge de la retraite. Il était déjà en déplacement à l'époque, toute la semaine. Et ma mère avait mis son activité de côté. Et un souhait de mes parents pour leur retraite, c'était de partir vivre au soleil. Et donc, ils en avaient parlé avec les médecins qui me suivaient, notamment ce médecin qui travaillait en micronutrition. Lui leur avait dit que de toute façon, étant donné ma condition de santé, le soleil ne pouvait que me faire du bien. Et voilà, il nous a plutôt encouragé à prendre cette décision. Au mois d'octobre 2013, on a déménagé à Nice et là, ça a commencé à être le début du soulagement. Moi, je l'ai vraiment vécu comme une renaissance, en fait, cette période. Déjà, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, c'est à partir de cette période-là où j'ai été mis sous patch de fin de l'année et où j'ai commencé à pouvoir refaire des choses dans ma vie. Juste quelques petites activités qui paraissent complètement anodines, mais qui permettent de socialement pouvoir se réintégrer un petit peu. J'ai pu reprendre mes études aussi, à distance. A l'époque, j'avais validé une première année de fac d'espagnol avant d'étudier le théâtre. Et du coup, j'ai repris en deuxième année de fac d'espagnol avec quelqu'un qui me prenait mes notes. Et ça m'a permis de me réinsérer dans un projet de vie un petit peu aussi. Et puis, du coup, à l'époque, j'allais chercher mes médicaments dans une pharmacie de quartier qui était assez ouverte sur pas mal de traitements alternatifs et notamment sur la micronutrition et qui m'a conseillé d'aller voir un médecin qui vivait dans le quartier aussi et qui travaillait en micronutrition. C'est un médecin qui est homéopathe à la base, enfin généraliste à la base, mais qui a étudié pas mal de disciplines et qui s'est formé notamment à l'homéopathie, à l'ostéopathie. à l'acupuncture et à la micronutrition. Et la micronutrition, c'est vraiment la discipline qu'il développait le plus dans son cabinet. Je l'appelle au mois de novembre pour prendre rendez-vous, trois mois d'attente. Donc j'ai mon rendez-vous au mois de février. Donc voilà, entre-temps, j'ai continué à vivre comme je pouvais en commençant à être soulagé. Donc c'était quand même déjà une première étape. Et donc, je rencontre ce médecin avec mon père Au mois de février, on attend trois heures dans sa salle d'attente. J'avais pris une bonne dose de mort, finalement. J'étais content parce que... Parce qu'au moins, j'étais soulagé, je pouvais rester sur une chaise, ce qui aurait été clairement impossible six mois auparavant. Je ne sais vraiment pas comment j'aurais fait.
- Giulietta
N'attendez pas cette phrase du bon moment.
- François
Donc, je me rendrais compte après, en fait, pourquoi il avait trois heures de retard. Parce que déjà, on passait en fin de journée. Et qu'en fait, je pense que les patients qui venaient le consulter... C'était pour beaucoup des patients, dans la même situation que moi en fait, des patients dont les pathologies ne sont pas détectées dans le milieu hospitalier ou qui cumulent des pathologies qui demandent un suivi spécifique et qui demandent d'aller au-delà des traitements normaux, allopathiques je crois. On dit allopathiques, je ne sais pas. Pas du tout. Des traitements conventionnels. Et du coup, je suis reçu par ce médecin en fin de journée qui me pose beaucoup de questions sur mon parcours, mais déjà dans une approche hyper bienveillante qui s'intéresse à mon état émotionnel, comment je me sens, comment j'ai vécu ces deux dernières années aussi. Il passe un coup de fil au médecin micronutritionniste qui m'avait suivi en Bretagne. Il lui demande des précisions sur les examens et les analyses que ce médecin m'avait déjà fait passer. Et je ressors de là avec un bilan sanguin à envoyer en Belgique pour faire une analyse vraiment approfondie sur tout un bilan micronutritionnel. À l'époque, c'était quand même 300 euros le bilan non remboursé. C'est là aussi que je me rends compte de la chance que j'avais d'être chez mes parents et de pouvoir financièrement me payer ce type d'examen. Parce que sans ce type d'examen, je pense qu'on n'aurait pas trouvé ce que j'avais. Donc il me fait passer tout cet examen approfondi au niveau micronutritionnel. C'est assez spécifique, on doit faire la prise de sang avec une infirmière qui vient chez vous, après on garde ça au frigo, on envoie ça par un service spécial qui récupère un genre de mini-glacière, et à côté, il me fait faire une prise de sang pour détecter le gène HLA-B51, l'allèle du gène HLA-B51, et voir si je suis porteur de cette allèle. Et il me dit qu'on se revoit dans trois mois, puisqu'il avait trois mois d'attente. Donc je prends mon mal en patience, mais on sort du cabinet avec mon père. Et là, on se dit, je pense qu'on a trouvé le bon médecin. Enfin vraiment, on n'était pas tombé sur quelqu'un qui nous avait paru aussi expert et aussi sûr de lui. Et aussi avancé, on va dire, dans ce qu'il nous proposait en termes d'examen et en termes de recherche. Je retourne le voir au mois de mai. C'était le 19 mai, je me souviens, et j'ai toujours gardé la date en mémoire. Et je rentre dans son cabinet et donc il me dit « Bon, j'ai reçu tes analyses. » Et il me dit « C'est bon, dans six mois, t'en es sorti. » Et là, je pleure, mais l'émotion est remontée. Je crois que pour la première fois, je pleure, mais c'est des larmes de bonheur, de soulagement. Je n'ai pas revécu, je crois, d'émotions aussi intenses dans ma vie depuis...
- Giulietta
Quelqu'un t'a su ?
- François
que quand j'ai su, en fait, quand on m'a dit tout va être OK, quoi. Ça va aller.
- Giulietta
Et t'as fait confiance directement ? Parce que t'as quand même été pas mal déçu avant.
- François
Ouais, mais là, franchement, j'ai fait confiance directement. Et je sentais que c'était OK, quoi. Et qu'il savait ce qu'il me disait. Et c'était la première fois, en fait, que quelqu'un me disait aussi « Je sais ce que t'as et tu vas t'en sortir » . Moi, ce qui m'avait aussi touché ces dernières années, c'est que... La plupart du temps, les médecins que je voyais ou les autres praticiens que je voyais restaient plutôt confiants et essayaient de me dire « bon, ça ira, tu vas t'en sortir, etc. » Sauf que je me souviens être sorti du cabinet un jour de mon chiro-practicien. Ce jour-là, il m'avait dit « j'espère vraiment qu'on va trouver ce que vous avez » . Et je crois que moi, j'ai reçu ça comme une grosse claque. j'ai pas vu ça comme une certitude j'ai vu ça comme un doute et à partir de ce moment là je me suis dit je sais pas si un jour on trouvera vraiment ce que j'ai et donc le fait que ce médecin m'annonce que oui on avait trouvé ce que j'avais et que oui j'allais m'en sortir je crois qu'il y avait déjà 50% du chemin de guérison qui a été fait en fait en 5 minutes en fait pour cette discussion et donc il m'annonce que je suis bien porteur du gène HLA B51 qui est précurseur dans 95% des cas des personnes qui ont la maladie de B7. Et la maladie de B7, elle est assez compliquée à diagnostiquer parce qu'en fait, pour rentrer dans le spectre, on va dire, de cette maladie, il y a toute une liste de symptômes qui est établie et il faut cumuler trois symptômes sur cette liste, plus la présence de ce gène HLA-B51, pour pouvoir être situé en fait comme porteur de la maladie de B7. Les symptômes que j'avais, c'était les douleurs articulaires qui, elles, étaient très visibles, du coup très palpables. Mais les deux autres symptômes, il était beaucoup moins. En fait, c'était des aftes dans la bouche, mais qui n'étaient pas permanents. En plus, j'en ai de temps en temps dans l'année, mais ce n'est pas hyper régulé non plus. Et des uvéites. Donc en fait, les uvéites, c'est des petits vaisseaux sanguins qui pètent dans les yeux. Et ça, je me suis rendu compte de temps en temps, quand j'étais hyper fatigué, que j'avais des vaisseaux qui pétaient dans les yeux, mais je ne savais pas d'où ça venait. et jamais je m'étais dit que ça pouvait avoir... un rapport avec le diagnostic qui aurait pu être émis sur ma maladie. Et donc, à partir de ce moment-là, il me dit aussi que mon état général, donc la dégradation de mon état général, est en grosse partie due à la carence que j'ai en coenzyme Q10 qui entraîne en fait toute la dégradation de mon état de santé. Donc la perte de poids, la fatigue, les douleurs, etc. Et donc, il m'explique... qu'il va me donner un traitement en micronutrition pour pouvoir pallier à ce manque de Q10 et que petit à petit, en ingurgitant du Q10 tous les jours, mes récepteurs à Q10 vont se rouvrir naturellement et que mon corps va naturellement réabsorber la dose de Q10 qui lui est nécessaire pour fonctionner de manière normale. Et donc il me dit que d'ici six mois, normalement, je suis remis sur pied. C'était un petit peu optimiste. Je suis resté quand même encore un an sous morphine. J'ai vraiment diminué à petite dose, palier par palier, jusqu'à arrêter complètement l'été suivant, en 2014. Non pardon, j'ai été diagnostiqué en 2014, donc j'ai arrêté la morphine en 2015. Et entre-temps, je commençais à récupérer de l'énergie, du muscle, du poids, et à me remettre une condition physique qui me permettait d'aller mieux et de pallier aux douleurs aussi. Donc oui, j'ai eu tout ce traitement en micronutrition qui m'a permis de récupérer un état général stable. Et la chance que j'ai aussi aujourd'hui, c'est d'avoir été diagnostiqué par un médecin qui travaille en micronutrition. qui a pu aussi sourcer la cause du problème et traiter la cause du problème, et non pas seulement les symptômes. Parce que pour avoir été un peu curieux, je suis allé voir notamment des groupes sur Facebook de personnes qui sont atteintes de cette maladie. Et en fait, il y en a beaucoup qui galèrent avec leur traitement, parce que le traitement qui est donné pour ce type de maladie, c'est un traitement qui est plutôt symptomatique, donc qui va traiter les symptômes. Je pense qu'il y a une bonne partie des personnes qui sont atteintes de cette maladie qui ne connaissent pas vraiment la cause de la douleur, qui n'ont peut-être jamais fait d'examen micronutritionnel et qui pourraient peut-être s'en sortir via ce biais. Donc la chance que j'ai aujourd'hui, c'est de ne pas avoir de traitement lourd. Je continue à prendre un traitement en micronutrition tous les jours. Il plaît à une activité sportive normale. Je fais de la natation une fois par semaine, je bouge à vélo, je marche pas mal. Mon corps fonctionne. Aujourd'hui, je suis en pleine santé, voire en meilleure santé physique, en fait, que certains trentenaires de mon âge qui commencent à éprouver des douleurs de dos, d'épaule, de... Voilà !
- Giulietta
Ouais, justement, j'aimerais bien qu'on aborde ton retour à la vie, entre guillemets. Je pense que des personnes qui sont assez extérieures à une expérience comme celle que tu as pu vivre peuvent penser que... Donc du coup, tu as eu un diagnostic et que tout est fini et hop, ça repart comme avant. Et pas du tout, en fait, il y a une espèce de contre-coup, etc. Toi, tu as eu une boulimie d'expérience. Il y a certaines personnes qui peuvent vivre des états dépressifs. Moi, je me rappelle que j'avais rencontré quelqu'un qui, après une leucémie, a fait une dépression, en fait, quand il est sorti de l'hôpital. Donc, c'est des périodes qui sont tout aussi délicates que la période de maladie en tant que telle. Donc, comment ça s'est passé, ton retour à la vie et l'après ?
- François
Alors, je dirais que ça s'est fait par palier. J'ai un peu eu l'impression de devoir reprendre une deuxième indépendance, puisque j'étais revenu chez mes parents, j'avais plus de ressources économiques, etc. Donc à partir du moment où j'ai été diagnostiqué, j'ai validé ma deuxième année de licence d'espagnol à distance, avec une preneuse de notes, et j'ai recommencé à aller en cours ponctuellement une fois ou deux par semaine pour des cours d'oral que je ne pouvais pas suivre à distance. Donc ça, ça a été très... L'évolution s'est faite de manière très...
- Giulietta
Progressive.
- François
Oui, très progressive. Et ma troisième année de fac, j'avais demandé aux médecins de l'université si je pouvais avoir une chambre universitaire, en fait, pour pouvoir reprendre un petit peu mon indépendance, repartir de chez mes parents et au moins la semaine, pouvoir avoir une vie sociale étudiante et être tranquille aussi pour pouvoir, en fait... préparer mes cours, mes examens, etc. Et donc, j'ai eu la chance d'avoir une chambre de CTU qui m'a été attribuée sur le campus de Nice, plein sud, avec vue sur mer et sur la baie des anges. Et je me suis dit que c'était un beau retour à mon indépendance. Je l'ai vraiment vécu comme une année transitoire qui a été assez douce. Et voilà, qui m'a vraiment permis aussi de retrouver de l'intérêt pour quelque chose, pour des sujets, pour... de remettre en place aussi des projets. C'est-à-dire que moi, quand j'ai repris la fac d'espagnol à l'époque à distance, c'était plutôt histoire de déjà m'occuper, parce que je n'avais pas grand-chose à faire de mes journées et que je commençais à être soulagé par mes douleurs. Et puis surtout d'avoir un statut social aussi. Et je ne vais pas mentir, notamment parce que mon père travaillait à la SNCF et que sans être étudiant, je perdais l'avantage du train gratuit. Oh là là ! Donc, être inscrit comme étudiant, ça me permettait de temps en temps de pouvoir retourner voir des amis sur Paris pour un week-end ou ma famille en Bretagne sans avoir à débourser 200 balles le billet train-verson. Mais voilà, une trêve de plaisanterie, ça m'a permis quand même, en reprenant les études, de pouvoir me reprojeter aussi sur une vie future. Et du coup, j'ai fait cette troisième année de fac en présentiel. Et puis, moi, ce que j'ai toujours eu envie de faire, en fait, c'est de partir à l'étranger. Mais ça l'a toujours été dans ma vie. Depuis le lycée, j'avais envie de partir vivre ailleurs. J'ai toujours été passionné de langue, de l'anglais comme de la langue espagnole. Et le moment de la maladie, pour moi, ça a aussi été un moment où, comme je n'avais rien à faire, j'ai regardé énormément de films parce que j'adore aussi tout ce qui est cinéma. Et tous ces films, j'ai essayé de les regarder en anglais, sous-titrés anglais. Donc j'ai pas mal en fait. profiter entre guillemets de ce temps là pour pouvoir approfondir ma pratique des langues. Et un des objectifs que je m'étais fixé c'était de devenir trilingue avant 30 ans, à partir du moment où ça commençait à aller mieux. A l'époque en troisième année de fac, j'avais plutôt envie de partir dans un pays anglophone puisque je maîtrisais déjà la langue espagnole et que j'avais envie d'approfondir la langue anglaise. Et donc oui ce que je m'étais dit en étant malade c'est que je me souviens d'un jour où il me semble que j'étais toujours toujours pas diagnostiqués à l'époque. Et je m'étais dit si je pouvais faire quelque chose de ma vie, si tout allait bien demain, qu'est-ce que je ferais ? Et ce qui m'était venu à l'esprit, c'était je prends un billet d'avion et je pars voyager. Et du coup, j'ai eu cette opportunité-là de pouvoir partir comme assistant de langue après ma licence. Et en fait, je voulais partir dans un pays anglophone, sauf que comme j'étudiais l'espagnol, je ne pouvais pas postuler dans un pays anglophone. Donc, j'ai choisi de postuler en Espagne. Et entre-temps, je me souviens d'une conversation avec ma sœur qui m'avait dit tu sais après tout ce que t'as vécu je pense que Tu mérites bien d'aller passer une année au soleil et de profiter de cette année-là. Et ça m'avait vraiment mis un déclic et je m'étais dit, ça ne va pas être une année de perdu de toute façon. Je suis parti en Espagne une année, j'ai eu beaucoup de chance parce que je me suis retrouvé en colocation avec un gars anglais qui venait de Manchester. Et donc j'ai parlé anglais toute l'année. Il est devenu un de mes meilleurs amis depuis et du coup ça a été une année qui a été hyper transformatrice pour moi. Et puis voilà, en fait, je pense que ça y est, l'énergie était repartie et j'avais besoin de revivre, je pense, des expériences hors du commun. En fait, après avoir passé toutes ces années au fond d'un lit à ne rien vivre du tout. Moi, j'ai eu l'impression qu'en fait, on m'a arraché à ma jeunesse. J'avais 21 ans quand c'est arrivé tout ça. Donc, je commençais tout juste à découvrir, en fait, à me découvrir moi-même et puis à découvrir aussi tout ce qu'on découvre à 21 ans. la vie sociale, les sorties, ma sexualité aussi. Donc, c'est un peu comme si on m'avait arraché à cette jeunesse. Et du coup, oui, j'ai eu cette envie de vivre énormément d'expériences. Alors, tu l'as très bien dit quand on s'est parlé avant d'enregistrer ce podcast, tu as parlé de pulsions de vie et je ne l'avais jamais vu comme ça. Mais en effet, je pense que ça... Ça équivaut à une pulsion de vie. Et là, je fais une parenthèse, mais pendant cette première année en Espagne, je me suis fait tatouer sur le bras.
- Giulietta
Celui-là ?
- François
Ouais, c'est celui-ci, là. Et le tatouage que j'ai décidé de faire, c'est les derniers vers du poème Liberté de Paul Éloard. Du coup, je les ai traduits en espagnol et je l'ai écrit en espagnol puisqu'à cette époque, j'étais en Espagne. Ces vers, en fait, ils ont eu un impact aussi sur ma vie qui a été assez retentissant. et qui je pense a aussi un peu drive la suite, l'après en fait, maladie. Puisque je suis tombé par hasard en fait sur ce poème après que le diagnostic a été fait. Et les derniers vers du poème ils disent « Sur la santé revenue, sur le risque disparu, sur l'espoir sans souvenir, j'écris ton nom, et par le pouvoir d'un mot, je recommence ma vie, je suis né pour te connaître, pour te nommer Liberté. » Et je crois que moi ça m'a énormément marqué en fait. Et ce que j'ai ressenti, je crois, c'est ce besoin de liberté avant tout. J'ai eu l'impression d'avoir été emprisonné pendant 3-4 ans de ma vie et que là, il fallait juste que j'ouvre mes ailes et que je parte découvrir le monde. Et du coup, je suis parti en Espagne cette première année après ma licence. J'ai commencé à m'intéresser de plus en plus aussi à tout ce qui était culture queer et notamment parce que je développais mon identité aussi dans cette vibe-là. Et je suis revenu du coup à Bordeaux pour suivre un master en études sur le genre. Et puis très vite, j'ai eu cette pulsion de repartir et je voulais encore repartir dans un pays hispanophone. Et du coup, je suis reparti pendant ma deuxième année de master par le même programme d'assistant de langue que j'avais fait en Espagne, mais cette fois au Mexique. Et j'en ai profité pendant cette année au Mexique, en fait, pour faire des recherches sur le mouvement des drag queens à Mexico. Donc voilà, toujours des trucs de plus en plus extravagants, mais qui me portaient, en fait, qui m'ont porté dans... Dans ma renaissance, je crois. Et à l'époque, je me disais, tout est possible. En fait, tu peux tout perdre. Si tu en as vraiment l'envie et avec les moyens que tu as. Et voilà, c'est sûr que ces années à l'étranger, ce n'est pas des années où je roulais sur l'or. Mais j'ai réussi à partir via des programmes qui étaient financés où en fait, j'ai pu découvrir le monde. J'ai pu découvrir d'autres cultures. J'ai pu me faire des amis aussi un peu partout avec des... Des milieux sociaux différents, des traditions différentes. Ça m'a ouvert sur énormément de choses. Et voilà, une fois revenu en France, ce n'était pas terminé. J'ai bouclé ce master, j'ai soutenu. Et puis, très vite, s'est posée la question de mon insertion professionnelle, puisque je suis arrivé à un stade de ma vie où j'avais 28 ans, je n'avais pas vraiment d'expérience pro d'acquis, puisque la maladie, en fait. Donc je me suis demandé qu'est-ce que je vais pouvoir faire en fait pour pouvoir trouver un job et m'épanouir aussi dans ce que je fais. Et à cette époque, en plus, le master que j'avais fait, alors c'était hyper intéressant d'un point de vue intellectuel et théorique, mais je n'avais pas du tout de côté pratique dans cette formation. Donc je suis revenu en France après le Mexique et j'ai recherché le moyen de partir à l'étranger, mais cette fois-ci en pouvant acquérir un minimum d'expérience pro. Et du coup, je suis parti en Suède, donc complètement différent, un univers... beaucoup plus hostile que le Mexique. Mais j'avais trouvé un service volontaire européen à faire là-bas sur une durée d'un an, sur les thématiques d'inclusion et diversité dans le monde du travail. Petite ONG, en fait, qui aidait les personnes étrangères en recherche d'emploi à s'insérer sur le marché de l'emploi en Suède. Et du coup, j'ai passé toute l'année 2020 là-bas. Donc, moi, je n'ai pas connu le confinement, le Covid, etc.
- Giulietta
C'est parti de notre échange.
- François
Mais oui, parce qu'en Suède, il n'y a pas eu de confinement, il n'y a pas eu de port de masque. Et je continue à aller boire des bières avec des potes en terrasse. C'est bon, par moins de degrés, mais... Mais voilà, donc il y a eu cette pulsion de vie, je crois, jusqu'à ce retour en France, en fait, en 2021, où j'ai commencé à chercher un travail. et à me réinsérer, on va dire, dans la société de manière un petit peu plus normative. Et du coup, je suis arrivé chez Article 1, puisque j'avais déjà travaillé sur les thématiques de mentorat en Suède, et qu'il y a pas mal de choses qui se sont croisées à cette époque, notamment le fait que ma première responsable chez Article 1, c'était une personne qui venait du Mexique et qui avait étudié... Un doctorat en études de genre.
- Giulietta
Oh là là !
- François
Et du coup, quand on a passé l'entretien ensemble, c'est vrai qu'il y a pas mal de points qui ont collé. Qui ont matché. Qui ont matché. Et voilà, j'ai travaillé trois ans chez Article 1, une association du coup où on s'est rencontrés, puisque tu t'es intervenu aussi, et tu interviens toujours dans le cadre de cette association. Et c'est une expérience qui a été aussi hyper enrichissante d'un point de vue humain.
- Giulietta
Et est-ce que tu... Bon déjà, super parcours, c'est trop joli ce que tu racontes et tout. Est-ce que tes parents ont été inquiets ou super contents ? Quel a été leur retour ? Je suis en train de projeter, moi, mes parents et notamment ma mère, peut-être qu'il est fragile, il va partir loin, est-ce qu'il prend soin de lui, tout ça ? Est-ce que tu te rappelles de leur regard à eux ?
- François
Alors non, je pense qu'eux, ils m'ont toujours poussé à reprendre mon indépendance, sans me mettre à la porte, bien sûr. Mais ils m'ont toujours... Je pense que ça les rendait heureux de me revoir partir et de me revoir reprendre goût à la vie et remettre des projets en place et m'épanouir aussi dans ces projets. Donc, je pense qu'émotionnellement, oui, ça a été dur de me voir partir, peut-être. Sur le coup, ma mère m'a dit que le jour où je suis parti au Mexique, elle m'avait accompagné à la gare avec mon père et j'ai pris le train. Et puis... Ils sont repartis, chacun de leur côté, parce que ma mère a éprouvé ce besoin de revenir seule à la maison. Elle est revenue à pied et elle a pleuré pendant tout le parcours. Elle m'en a reparlé après, elle m'a dit « je ne te l'avais jamais dit, parce que voilà ! »
- Giulietta
Tu devais être trop content de partir, elle ne pouvait pas te faire culpabiliser.
- François
Moi, j'étais hyper content. Mais après, en fait, c'est assez... Je pense qu'elle a accueilli ses émotions au moment où elle devait les accueillir, mais qu'après... Elle a toujours été aussi, et mon père aussi, ils ont toujours été dans cet esprit de bienveillance. Et justement, je pense que ça les épanouissait plus tôt, et ça les soulageait de me voir partir comme ça. Je sais, ça me fait penser à quelque chose, parce que mes parents, ils avaient un genre de poème aussi qui était affiché dans l'escalier quand j'étais petit, et ça disait quelque chose comme « Vous donnez à vos enfants des racines, Mais il faut savoir aussi leur donner des ailes pour qu'ils puissent s'envoler ou quelque chose comme ça. Et je pense que c'est un peu l'état d'esprit de mes parents. Ils ont toujours su être là et pu être... Ils ont toujours su être là pour nous quand on en avait besoin. Mais ils ont toujours su aussi nous laisser partir. Et ils l'ont fait avec plaisir à chaque fois.
- Giulietta
Trop fort ! Attends, j'ai deux dernières questions. Quel est ton regard maintenant sur la maladie de B7 ? Comment est-ce que tu te positionnes par rapport à elle ? Parce qu'elle est toujours là, malgré tout, donc elle fait toujours partie de toi. Ce n'est pas comme, peut-être, certaines maladies qui peuvent être ponctuelles et nous affecter. Comment tu te positionnes par rapport à ça ? Est-ce que tu t'en poses la question, déjà ?
- François
Oui, alors, je pense que j'ai une relation qui est apaisée, aujourd'hui, par rapport à la maladie. Parce que j'ai la chance d'aller bien et qu'aujourd'hui, ça a quasiment plus d'impact sur ma vie. Mais ça a été un parcours assez... Déjà, j'ai eu du mal à la nommer, cette maladie. Parce que même si on m'a dit dès le départ que j'étais dans le spectre de B7, ça reste un spectre. Donc en fait, ce n'est pas quelque chose de tout noir et tout blanc. Donc quand on me demandait ou quand j'en arrivais à expliquer aux gens à certaines périodes, et notamment après mon diagnostic, Quand je devais expliquer aux gens ce que je disais, je ne leur disais pas « j'ai la maladie de B7 » . Je leur disais « j'ai une maladie rare, un état de santé qui fait que j'ai un problème de santé lié à de l'inflammation dans mon corps » . Mais je ne mettais pas le doigt sur la maladie de B7. Et je pense que ça fait peut-être 3-4 ans maintenant que... que je la nomme. Et je crois que la nommer, ça m'a peut-être permis aussi de l'accueillir et de me dire, oui, elle fait partie de moi. Et de l'intérioriser plutôt que de la voir comme quelque chose d'à côté, dont on se protégerait ou qu'on ne souhaiterait pas intégrer à sa vie. Donc oui, aujourd'hui, je me sens plutôt apaisé par rapport à ça. Et je suis plutôt aussi en recherche d'apaisement. On en a parlé un petit peu pendant la préparation de ce podcast. Après cette grosse pulsion de vie que j'ai eue, après cette recherche d'expériences hors du commun, de sensations fortes, là aujourd'hui, je ressens un besoin d'équilibre plutôt. Et le besoin de revenir à des valeurs, peut-être beaucoup plus simples, de la vie de tous les jours, de la vie quotidienne. du partage, du lien social qu'on a avec ses amis, avec sa famille, avec les personnes qu'on aime, avec ses relations amoureuses, etc.
- Giulietta
Tu m'as dit que je suis dans un mood équilibre et apaisement.
- François
Exactement, ouais. Mais parce que je suis en pleine année de transition et que je sors d'une année d'introspection sur le plan professionnel et personnel. Et du coup, de toute façon, c'est le parcours d'une vie. On passe notre vie à lâcher des schémas, des traumas, des choses qui nous limitent pour pouvoir toujours aller vers un mieux-être. Et de temps en temps, on est obligé un petit peu de vivre des choses un peu extrêmes. J'aime pas trop ce mot, mais d'être un petit peu dans un déséquilibre pour pouvoir derrière retrouver cet équilibre au final. Et pas se dire non plus... Je suis passé à côté de quelque chose où j'ai des regrets ou des frustrations par rapport à certaines choses. Je pense que c'est important d'essayer de vivre au maximum ce qu'on a envie de vivre, tout en sachant qu'il y a toujours des choses qu'on ne pourra pas faire et qu'on ne pourra pas expérimenter. Et c'est un peu là-dessus qu'aujourd'hui, je recherche cet équilibre, parce que ça me frustre quand même de ne pas pouvoir faire tout ce que j'ai envie de faire.
- Giulietta
C'est quoi que tu as envie de faire et que tu ne peux pas faire ?
- François
Je ne sais pas, j'ai... J'ai plein de projets et aucun non plus de vraiment défini en ce moment. Donc voilà. Mais j'ai envie de continuer à voyager. J'ai envie de faire un saut en parapente. J'ai envie de découvrir plein de choses dans ma vie professionnelle aussi. J'ai envie de m'épanouir sur le plan intellectuel, de laisser plus se développer ma créativité aussi en ce moment, de... m'investir davantage aussi dans mes relations sentimentales, amoureuses, dans mes relations amicales aussi. Voilà, plein de choses dont on prend conscience, je pense. Un certain tournant de sa vie qu'on appelle la trentaine.
- Giulietta
Ouais, ou pas que. Après avoir vécu un moment intense comme ça, moi, ce n'est pas lié à la maladie. Je ne sais pas si je garderais ce bout-là, c'est plus perso, mais j'ai eu une année compliquée et c'est à ce moment-là que j'ai décidé de partir voyager, d'abord de quitter Paris et ensuite de m'installer en Italie. Et je pense que, alors moi, mon extrême à moi, ça a été être monacale, éviter le contact social. Et en fait, j'arrive à un moment où, pareil, je me pose les mêmes questions, de dire, bon... « Ok, t'as fait ton travail d'introspection et t'as réfléchi à ta manière sur ce que t'étais. » Puis maintenant, il faut peut-être essayer de nourrir ce que t'as autour de toi. Et ça passe aussi par des concessions. Tu ne peux pas passer ta vie dans un train avec un sac à dos. Enfin, tu peux. Mais du coup, effectivement, les relations que tu nourris n'ont pas la même forme que si t'habites dans une ville et si t'établis et si tu te poses.
- François
Oui, je pense que c'est un petit peu la conclusion à laquelle j'arrive aujourd'hui. Et après avoir revoyagé un petit peu, puisque cette histoire de volcan, c'était cet hiver où je suis parti revoyager pendant deux mois. Et je crois que c'est un voyage qui m'a fait du bien, parce qu'après toutes ces expériences à l'étranger, je crois que mon retour en France, je l'ai un peu vécu comme une frustration. Et comme la fin d'une vie faite d'imprévus, de nouvelles choses à construire, de nouvelles personnes à rencontrer à droite à gauche, etc. Et je crois que j'avais besoin de repartir. pour assouvir cette soif d'ailleurs. Mais que là, en repartant dans une autre dimension, dans un autre contexte, parce que les fois précédentes où j'étais parti à l'étranger, c'était vraiment pour m'installer sur de la longue durée, sur plusieurs mois d'affilée. Là, repartir, juste voyager en mode sac à dos pendant deux mois, je crois que je suis revenu en France apaisé, dégagé de cette frustration et avec en effet l'envie de nourrir. ce que j'ai en fait dans ma vie quotidienne ici au jour le jour et de vraiment construire quelque chose aussi de durable dans l'endroit où je suis, avec les personnes où je suis et dans ce que je fais.
- Giulietta
C'est un move qui n'est pas facile. Tu as l'impression d'abandonner beaucoup de liberté. Et d'un côté, c'est tellement enrichissant aussi de nourrir des relations. Ma dernière question, mais qui, je pense, est extrêmement ardue. S'il y avait une morale de l'histoire ou quelque chose, tu serais un petit contenu à emporter avec soi. Par rapport à ton histoire, ce serait quoi ? Qu'est-ce que t'aimerais qu'on retienne, s'il fallait résumer ?
- François
S'il y a deux mots qui me viennent à l'esprit, c'est la foi et l'inspiration. Le fait de toujours croire que quelque chose est possible. Je pense que c'est vraiment ce qui m'a permis d'aller de l'avant. Et l'inspiration, parce que être inspiré, c'est se sentir en vie, je trouve. C'est ce qui fait que... qu'on met des projets en place, qu'on se passionne pour quelque chose, qu'on trouve du goût à vivre et à faire des choses.
- Speaker #2
La foi et l'inspiration, quelle fin de discussion. Un immense merci à François d'être venu se confier à mon micro. Comme pour chacun des épisodes, je me sens très touchée du partage qui a été fait durant cette petite heure d'enregistrement. Parce que le récit de François est solaire, et aussi, surtout, parce que je suis émue qu'il m'ait fait confiance. S'il y a quelque chose à retenir de cette discussion, selon moi, c'est l'humanité de François, dans la description de moments de vie aussi compliqués. La douceur qu'il a envers lui-même, la présence de sa famille et de ses amis tout au long de son parcours, la vulnérabilité qu'il exprime et qu'il n'est pas toujours facile de partager, et surtout, sa force qui lui a permis de tenir bon. Cette humanité contraste malheureusement avec la prise en charge dont il a bénéficié dans son parcours. Je pense que je me répète au fil des épisodes, mais s'il y a une morale de l'histoire, c'est qu'il ne faut pas hésiter à consulter différents spécialistes avant de trouver la personne avec laquelle on se sent en confiance. Quelques mots sur l'anomalie avant de vous laisser. L'anomalie est un podcast autoproduit sur lequel je travaille en solo. Mon but est de mettre en valeur la parole de personnes vivant avec une maladie ou un handicap. Si vous avez aimé cet épisode et que vous souhaitez me soutenir dans cette démarche, il y a des milliers de petites actions que vous pouvez réaliser pour rendre l'anomalie encore plus visible. En parler autour de vous tout d'abord, mais aussi vous abonner au podcast sur votre plateforme d'écoute préférée, mettre une note ou bien un commentaire. Cela prend quelques secondes et cela fait toute la différence. Trêve de bavardage, je vous donne rendez-vous dans 15 jours pour le prochain épisode. D'ici là, prenez soin de vous.