- Marie
Et là, ce jour-là, on a tout de suite posé des mots. En fait, je pense que c'est important pour les parents de faire le distinguo : il y a toi, il y a tes besoins d'enfant qui sont normaux et qui sont bien heureux d'être là. C'est super que tu danses, c'est super que tu chantes. Et ce qui me fatigue, ce n'est pas toi, mais c'est la maladie. C'est la maladie qui rend tout compliqué. C'est la maladie qui fait que je ne peux pas t'écouter chanter maintenant. C'est la maladie qui fait que je ne peux pas faire des choses avec toi. Et ça, je pense que c'est important de l'avoir posé. Et je pense que ça lui a fait du bien.
- Giulietta
Bonjour et bienvenue dans lanomalie, le podcast qui ouvre la discussion sur la maladie et le handicap. Cet épisode est un peu spécial, car il s'agit d'une discussion que Marie et moi avons eue trois mois après l'enregistrement de son épisode. Lorsque j'ai fait réécouter l'enregistrement à Marie, elle est revenue vers moi en me disant qu'il manquait quelque chose sur sa fille. Voici ses mots : "Il y a toutefois un élément que je n'ai pas assez souligné, me semble-t-il, et je le regrette. C'est la résilience des enfants face à ce genre d'épreuves et comment ma fille a su tirer profit de ce mode de vie. Elle ne considère pas ce que je fais pour elle comme un acquis ou comme un dû et je trouve ça très précieux". Marie et moi nous entendons très bien et cela me semblait gênant, éthiquement, de publier un contenu si elle l'estimait tronqué. C'est donc avec plaisir que nous nous sommes retrouvées. L'enregistrement s'est fait sans questions préparées de mon côté car j'ai voulu laisser la place à la joie d'enregistrer à nouveau avec Marie. Aussi parce que je ne savais pas vraiment ce qu'elle allait me dire et que c'était difficile, dans ce cadre, de préparer une trame d'entretien. Dans cet épisode essentiel, Marie parle de la résilience et de l'adaptation de sa fille à son état de santé, des incompréhensions qu'elles ont pu avoir. Marie met en effet un point d'honneur à expliquer à sa fille que c'est sa maladie qui parle, et non pas elle, dans les moments de fatigue et de douleur. Enfin, Marie évoque les moments privilégiés qu'elles veillent toutes les deux à conserver. Je vous souhaite une très bonne écoute.
Alors, du coup, on a décidé de se retrouver, je crois, trois mois après l'enregistrement initial, après réécoute de l'épisode qu'on a fait ensemble, puisqu'il y avait un sujet qui te tenait à cœur et que tu avais l'impression d'avoir un peu laissé de côté. C'était la question de, si je ne me trompe pas et si j'exprime correctement les choses, la question de "comment les enfants vivent l'expérience de la maladie ou du handicap de leurs parents et comment toute cette relation se noue ?". Est-ce que tu peux l'expliquer avec tes mots à toi qui seront sans doute plus précis que les miens ?
- Marie
Effectivement, à la réécoute du podcast, j'ai mon côté très perfectionniste qui a ressurgi. Je me suis dit, je n'ai pas pu dire ça et puis ça et puis ça. Mais vraiment, ce qui était important pour moi, en fait, et que j'avais vraiment l'impression d'avoir pas assez détaillé, en fait, je l'ai un peu évoqué dans le précédent podcast, mais peut-être pas assez détaillé à mon goût, la résilience de ma fille face à cette épreuve. Alors effectivement, je pense que ça s'applique à plein d'autres enfants, dans plein d'autres épreuves différentes. Après, l'enregistrement était très long, j'avais déjà dit beaucoup de choses, et puis j'étais aussi beaucoup sous le coup de l'émotion à plein de moments, et voilà. Ça ne s'est pas fait à ce moment-là, mais je te remercie de m'ouvrir à nouveau cet espace de parole, parce que ça me semblait important pour moi, de revenir là-dessus, de revenir sur comment ma fille, comment Emaline, elle a grandi aussi à travers... Et elle grandit encore à travers les épreuves que lui impose la maladie de sa maman. Et quelque part, c'est comme aussi lui faire honneur, en fait, que de parler d'elle aujourd'hui et de tout ce que je peux voir qui grandit en elle et les qualités qui se sont développées et qui ont grandi aussi face à ça.
- Giulietta
Ça me semble être tout à ton honneur de vouloir préciser tout ça. Là, moi, je navigue un peu à vue parce que du coup, la relation parent-enfant, je ne suis franchement pas connaisseuse. Mais est-ce que peut-être, comme première question, tu as observé chez Emaline plusieurs phases, en fait, dans sa compréhension qui t'arrivait et dans son rapport à toi ?
- Marie
Oui et ça, ça m'est venu il y a quelques jours. Depuis qu'on a dit qu'on allait faire cet enregistrement, je pense à certaines choses. Et il y a quelque chose qui m'est revenu du début de la maladie et qui m'a semblé très important de redire ici. En fait, en début de maladie, on naviguait un peu à vue toutes les deux. On ne savait pas trop ce qui m'arrivait. On ne savait pas que ça allait durer aussi longtemps. On était plus aussi dans la survie parce que c'était vraiment très fort les premiers moments, les premiers symptômes. Donc c'est un peu au jour le jour et beaucoup de restrictions sont arrivées d'un coup, beaucoup de renoncements, beaucoup de limites sont arrivées. Et notamment ma capacité à... à supporter, on va dire entre guillemets, supporter le bruit, supporter la vie en fait, la vie d'un enfant. Elle avait 7 ans à l'époque, c'est une enfant qui est joyeuse, qui aime chanter, qui aime bouger, qui aime danser. Et beaucoup, souvent je disais "arrête, arrête s'il te plaît, arrête, arrête, arrête, arrête". Alors je ne sais pas à quel moment c'est arrivé, mais un jour, de tristesse, elle m'a dit "en fait, je te fatigue. Et ce serait plus simple si je n'étais pas là". Alors ça, ça m'a touchée en plein cœur. Et je pense que c'est sûrement une phase que vivent beaucoup d'enfants. C'est la culpabilité, en fait. Eux aussi, ils portent de la culpabilité face à ça. Parce qu'ils voient bien qu'on est fatigué. Et que la moindre chose ajoute à notre fatigue ou à nos douleurs. Quand on est dans des maladies chroniques, tout est difficile, en fait. Et élever un enfant, déjà, c'est pas simple. Quand on est malade chronique, c'est encore moins simple. Et en fait, elle avait saisi ça de cet endroit où, waouh, c'est dur. Et je rajoute une charge à maman, en fait. Et là, ce jour-là, on a tout de suite posé des mots. Et en fait, je pense que c'est important pour les parents de faire le distinguo : en fait, il y a toi, il y a tes besoins d'enfant qui sont normaux et qui sont... bien heureux d'être là. C'est super que tu danses, c'est super que tu chantes. Et ce qui me fatigue, c'est pas toi, mais c'est la maladie en fait. Et c'est la maladie qui rend tout compliqué. C'est la maladie qui fait que je peux pas t'écouter chanter maintenant, c'est la maladie qui fait que je peux pas faire des choses avec toi. Et ça, je pense que c'est important de l'avoir posé. Et je pense que ça lui a fait du bien. Elle me l'a plus jamais redit de cette façon-là. Et depuis, je fais très attention quand je dois lui dire... que ce sont des moments critiques, que je suis fatiguée, je vais le dire comme ça. Je vais dire, "attention, ce soir, la maladie, elle est plus présente que d'habitude. Attention, ce soir, je vais avoir mes capacités limitées parce que j'ai beaucoup de douleurs".
- Giulietta
J'imagine bien, elle, ce qu'elle a dû ressentir ou peut-être que toi, dans ta tête, c'était évident que ce n'était pas elle le problème et que ce n'était pas elle qui était incommodante. Tant que ce n'est pas dit, je pense que ce n'est pas évident pour l'autre, surtout pour un enfant. Et le deuxième point, mais ça, visiblement, ça ne te concernait pas, c'est que parfois, en tant que personne malade, on a du mal à faire le distinguo entre notre être, nous, et la maladie, en fait. Et justement, c'est un des aspects importants de la maladie, c'est que ce n'est pas totalement nous qui nous exprimons, mais que nos capacités, elles, sont parfois restreintes par notre état de santé. Et du coup, peut-être qu'il y a aussi certains parents qui vont énormément culpabiliser de ressentir un peu cet... comment dire, cet agacement ou cette incapacité à être présent à 100%. Encore une fois, ça a l'air important de se dire que ce n'est pas soi, mais malheureusement, en fait, nos capacités sont limitées à l'instant T.
- Marie
Oui, on avait évoqué dans le premier podcast la différence entre soi et la maladie. Et le livre que j'avais évoqué également, "Ma maman a une maladie invisible" c'est pareil, ça nous avait aidé à faire... à détacher la maladie de moi, de la maman, et détacher la maladie aussi de notre duo, en fait, maman-enfant. C'est un élément qui fait partie de notre duo maintenant, qui fait partie de notre vie. Ce n'est pas nous, ce n'est pas moi, ce n'est pas elle. C'est la faute de la maladie, quand il y a des limitations.
- Giulietta
Oui, c'est déjà un cheminement qui n'est pas facile à faire quand on est responsable de soi-même, seul. Mais je présume que quand on est parent, ça doit être d'autant plus difficile. Et du coup, après ce moment un petit peu critique où Emaline n'avait pas trop compris qu'elle n'avait rien fait de mal, qu'est-ce qui s'est passé ? Comment est-ce qu'elle a appris à interagir avec ton état de santé ?
- Marie
Oui, alors après, très rapidement, et je me faisais la réflexion en préparant cet échange, je pense qu'elle a sûrement plus vite réagi, elle s'est plus vite adaptée à la situation que moi. Moi, j'étais quand même, enfin là, je suis encore parfois, enfin non, je crois que je le suis plus, mais j'étais beaucoup dans le déni et dans l'amoindrissement aussi, dans le "ça va passer". Les enfants, ils sont dans le présent, en fait. Là, moi, je me projetais toujours dans "il va falloir que ça aille". Elle, c'est dans le présent. Aujourd'hui, ça ne va pas, ça ne va pas en faire avec ce qui est là. Je ne sais même pas si elle se projette avec une maman qui pourrait être un jour à nouveau bien. Je ne sais même pas si elle a des souvenirs de quand ça allait bien. Sûrement parce qu'il doit y en avoir quelques-uns, mais je crois qu'ils ont cette force, les enfants, d'être vraiment là dans le présent et de faire avec ce qui est là. Ce qui était là au début, comme je le disais dans le précédent podcast, ça a été qu'elle a dû beaucoup s'autonomiser. Elle a dû grandir un peu plus vite à certains endroits. Elle s'est intégrée de façon pleine et entière dans le quotidien. Elle est très présente dans le quotidien. Et ça aussi par rapport au mot, j'ai très rapidement fait attention à ne pas lui dire "aide-moi, aide-moi, il faut que tu m'aides" parce que je n'avais pas envie qu'elle se sente avec un rôle d'aidant justement, avec un rôle de suppléant, avec l'idée que si elle n'était pas là, ça n'allait pas fonctionner. Donc, je ne lui dis pas "aide-moi". Je lui dis "fais ta part. Moi, j'ai fait la cuisine, toi, tu mets la table. Moi, j'ai fait la vaisselle, toi, tu la ranges". J'espère que par ce petit jeu de langage, je fais moins peser sur elle quelque chose. Alors bien sûr, le fait que j'ai été malade, que je le sois encore, ça fait qu'elle participe plus que d'autres enfants. On a très vite partagé certaines tâches. Plus vite peut-être que si je n'avais pas été malade. Elle a rapidement appris à faire du ménage, elle a rapidement appris à faire des repas, à faire la vaisselle, quand je ne pouvais pas tout faire. Et maintenant, elle grandit. Ça fait déjà quatre ans que je suis malade. Et bien, elle grandit. Ses responsabilités grandissent avec elle aussi. Et on a créé des petits rituels autour de ça. Le matin, avant de partir, c'est elle qui fait la vaisselle du petit-déjeuner. Le soir, quand elle rentre, elle vide et elle nettoie sa gamelle du repas de midi. Le mercredi, elle sait qu'elle doit laver la salle de bain et vider les poubelles, par exemple. Et puis, le mercredi matin, on fait les repas ensemble, en fait. Comme ça, on a des repas pour deux ou trois jours d'avance. Bon, voilà, c'est des choses que peut-être je n'aurais pas demandées à cette hauteur-là, si je n'avais pas été malade. Mais ça s'est imposé. Et par rapport à la résilience dont je parlais tout à l'heure, je vois bien que, de fait, elle a acquis des... Elle a acquis une certaine autonomie, une grande débrouillardise. Elle a aussi une vision plus large de ce qu'est un quotidien. Peut-être que d'autres enfants, elle ne va pas quitter la pièce si la table du repas n'est pas débarrassée complètement, que la vaisselle n'est pas finie. Alors qu'il y a plein d'enfants de son âge, même plus âgés, qui vont juste prendre leur assiette, la poser dans l'évier et puis voilà. Et tout le reste, c'est les parents qui gèrent parce que ça se fait comme ça. Mais je peux voir ça d'elle, quand je suis en comparaison avec d'autres enfants, quand je suis dans d'autres familles, je me rends compte qu'en fait, la mienne, elle a acquis quelque chose de l'ordre du fonctionnement de la maison. Il y a des choses qui sont devenues évidentes pour elle. De la même façon que quand on est chez des amis, elle va proposer son aide. Elle va dire à mon amie qui prépare quelque chose pour le repas, elle va dire, "est-ce que tu as besoin d'aide ? Est-ce que tu peux faire quelque chose ?" J'ai remarqué ça d'elle, oui. Elle est peut-être moins auto-centrée sur ses petits plaisirs, rien qu'à elle, sur sa petite vie, rien qu'à elle. Elle a une vision plus large.
- Giulietta
Moi, j'ai une question, mais je projette sans doute beaucoup à la fois, plutôt de ce que je connais. Comme je te l'ai dit tout à l'heure, j'ai une petite sœur qui a deux ans de plus que ta fille. Et donc, je projette ses réactions sur la situation que tu décris. Donc, ma petite sœur reproche actuellement à mes parents de l'avoir eue trop tard et qu'ils sont trop vieux. Donc, elle est en colère contre eux parce qu'ils sont trop âgés et qu'ils ne sont pas fun. Et donc, je voulais savoir si ta fille, à un moment, a eu ce moment qui est humain, mais un peu ingrat, de t'adresser des reproches ou d'être en colère.
- Marie
Oui. Alors, et c'est là où je vois qu'il y a quand même, malgré des responsabilités qu'elle a pu prendre, peut-être un peu trop tôt, elle reste quand même une enfant avec un développement classique, on va dire. Et oui, bien sûr, elle va me reprocher de ne pas être fun, de ne pas être assez rigolote, de ne pas être, je ne sais pas, plein de choses qu'on peut reprocher à ses parents à cet âge-là. Mais elle ne me le reproche pas au niveau de la maladie. Oui, des fois, ça lui pèse. Évidemment, des fois, elle voudrait qu'on puisse faire des choses que je ne peux pas faire, mais elle me le reproche jamais. Elle va me reprocher mon rôle de maman qu'elle va trouver trop maternante. Voilà, parce qu'il faut qu'elle se couche tôt, parce qu'elle va à l'école, parce que voilà, des trucs classiques. Mais elle ne m'a jamais reproché la maladie, oui. Et ça, je trouve que c'est une grande... Alors, je ne sais pas si c'est une grande qualité de sa part, mais en tout cas, c'est important pour moi parce que ça n'aurait que rajouté à ma culpabilité. À travers ça, je vois aussi qu'elle a une grande capacité... Enfin... Je la trouve vraiment dans le non-jugement par rapport à mes capacités du moment. Je crois qu'elle a compris que je faisais de mon mieux à chaque instant, et que ce mieux, des fois, il frôle le zéro, il frôle pas grand-chose. Mais que c'est mon mieux du moment. Et que je donne tout ce que j'ai, que je ne peux pas donner plus. Par exemple, aussi, des fois, cette maladie, elle est imprévisible, et parfois, je vais avoir des petits moments, je vais avoir des fenêtres, pas des fenêtres de vrai répit, mais... Mais parfois, je vais pouvoir avoir une soirée où je vais veiller un peu tard, où je vais pouvoir même danser, ou des fois, je vais pouvoir faire un trajet un peu plus long en voiture. Mais pour autant, deux jours après, je ne vais pas pouvoir faire un truc hyper simple. Et ça, elle ne me l'a jamais reproché. Elle ne m'a jamais dit "Ouais, il y a deux jours, tu faisais ça, et puis aujourd'hui, tu ne veux même pas m'amener au parc ou je ne sais pas quoi". Je crois qu'elle a bien compris qu'en fait, c'était imprévisible et que je n'avais aucune prise là-dessus et qu'elle n'en plus, en fait, de fait. Elle n'a pas de prise là-dessus. Je crois qu'elle avait compris avant moi qu'en fait, que je ne pouvais pas lutter et que ça ne servait à rien de lutter et qu'il fallait juste faire avec ce qui était là.
- Giulietta
Mais je crois que c'est un peu le propre des enfants. Moi, quand j'étais petite, ma maman me disait, plutôt quand j'étais ado, tout ça, elle me disait qu'un enfant, c'était très élastique, entre guillemets, que ça s'adapte. Moi, mes parents se sont séparés avant ma naissance. Ma mère m'a élevée seule pendant... Pendant 13-14 ans, et quand j'étais toute petite, elle me levait très tôt pour pouvoir aller travailler, elle me déposait chez mes grands-parents et elle me récupérait tard le soir pour me ramener à la maison et donc elle culpabilisait beaucoup, bien évidemment. Et en fait, elle s'est rendue compte que je n'étais pas malheureuse, que j'étais très heureuse des temps passés avec elle. Et donc, elle avait toujours cette phrase de me dire qu'un enfant, c'est élastique, ça s'adapte tant qu'il y a de l'amour. Je pense que c'est aussi lié au... au fait où ta fille et les enfants en général n'ont pas d'idée préconçue de ce que ça doit être que la relation parentale, alors que toi, en fait, tu t'adresses des injonctions, tu aimerais faire quelque chose et tu aimerais faire du mieux que tu peux et tu as une idée de ce que c'est le mieux et ça doit être super dur, en fait, de ne pas y arriver alors que, je pense qu'elle, elle prend ce qu'il y a, et ce qu'il y a, c'est que tu es là et que tu l'aimes, en fait.
- Marie
Tu as raison là-dessus. Il y a deux choses, il y a leur capacité d'adaptation qui est très importante. Et puis, ce que me dit aussi souvent ma thérapeute, c'est que l'important, ce n'est pas le faire, mais c'est l'être. Et là, en l'occurrence, dans la relation à l'enfant, l'important, c'est le lien qu'on crée, l'amour qu'on peut donner, effectivement. Et là-dessus, je n'ai pas de soucis à me faire. Je sais à quel point je peux l'aimer et à quel point je peux lui faire passer que je l'aime. Et puis, je veille aussi beaucoup à préserver le lien qu'on a, en fait. Effectivement, je veille beaucoup à préserver le lien qu'on a, même dans cette épreuve-là. Et peut-être même qu'il est différent, il a sûrement été transformé, de fait. Mais peut-être aussi que ça nous rapproche à certains endroits. De traverser une épreuve ensemble, on vit toutes les deux. Je veux dire, c'est la seule personne qui peut voir vraiment la réalité de mon quotidien. Elle voit les pires moments, elle voit les meilleurs, elle voit tous les efforts que je développe, les montagnes que je déplace à mon petit niveau. Et oui, c'est vraiment la personne la plus… enfin, c'est souvent nos enfants les plus proches de ce qu'on vit. Et c'est vrai que cette capacité d'adaptation, ils l'ont tous. Et comme tu dis, je pense qu'elle est… qu'elle est amortie par l'amour qu'on peut leur porter, par l'attention qu'on peut porter à leurs besoins aussi évidemment, et tout le prendre soin qui... C'est pas parce qu'ils ont une grande capacité d'adaptation qu'il faut faire n'importe quoi. Moi j'ai... Bon, ben oui, évidemment que sa capacité d'adaptation, dans ce contexte-là, Emaline a été grandement sollicitée. Au-delà de la capacité d'adaptation, je crois que ça aussi permet de développer quelque chose de l'ordre de... On va toujours s'en sortir. Quoi qu'il arrive. Un des exemples les plus frappants, c'est par exemple, moi la voiture c'est compliqué. Donc quand on doit aller voir la famille dans le temps, c'est très loin. Donc on sait toujours à quelle heure on va partir, ou à peu près, mais on ne sait jamais à quelle heure on va arriver, ou même si on va arriver le jour même, ou si je ne vais pas être obligée de dormir sur place au milieu de la route pour pouvoir repartir le lendemain. Et ça au début c'était trop déstabilisant pour elle, je me rappelle. C'était oui mais voilà, quand est-ce qu'on va arriver ? Et puis au fur et à mesure, c'est pas grave, on ne sait pas. Mais on y arrivera, mais on ne sait pas quand. Et en fait on va faire ce qui est là. Et maintenant, je vois ça d'elle, qu'elle peut se dire, c'est pas grave, ça va aller, on va s'en sortir.
- Giulietta
Oui, il y a deux points sur lesquels j'ai envie de réagir. Alors, comme je te l'ai dit tout à l'heure, donc mon père est bipolaire et en ce moment, il est dans une phase où il est en phase maniaque. Et ça me fait justement faire le lien avec ce que tu dis entre le être et le faire. C'est que c'est un moment où, bien évidemment, il n'est plus rationnel, il est dans son monde à lui. Donc il est moins présent en tant que parent, il est incapable de l'être. Et après, soit je pourrais dire, en fait, c'est un moment en soi et je ne lui en tiens pas rigueur. Et il y a un épisode que j'enregistrais avec Tévy qui parle de sa bipolarité, où elle dit "à ce moment-là, ce n'était pas moi". Et je pense qu'effectivement, son entourage ne lui en tient pas rigueur parce que le reste du temps, elle est au top. Et que c'est sa maladie qui parle. Sauf que moi, mon père, il n'a pas trop été là. sur plein de points et qu'il y a eu des petits sujets sur lesquels il n'a pas été là. Dans ce moment-là, il est malade et donc j'essaie de ne pas le juger parce que sa maladie s'exprime. Et d'un autre côté, je n'ai pas envie de plonger pour l'aider et pour le soulager parce que le reste du temps, il n'a pas été parfaitement en phase avec son rôle de parent. En tant qu'enfant qui a côtoyé la maladie, bien évidemment qu'à 30 ans, je n'ai pas envie d'en vouloir à mon parent de vivre avec une pathologie psy. En revanche, dans les moments où sa maladie ne s'exprimait pas, je peux lui en vouloir de ce qu'il n'a pas fait correctement. Et donc, je pense que ça s'adapte aussi à une situation pour une maladie physique ou une situation de handicap. En fait, tant que tu es présent et que tu remplis ton rôle de parent, après, effectivement, tu ne peux pas faire les mêmes choses. Et d'un autre côté, il y a plein de parents qui sont valides et qui ne remplissent pas correctement leur rôle de parents. Donc voilà, ça, c'était le premier point. Je ne doute pas que ta fille est extraordinaire et tout, et qu'elle est exceptionnelle. Et d'un autre côté, je pense que tu récoltes également les fruits du fait que tu as mis en place une communication qui est saine avec Emaline, où vous communiquez, vous parlez, et tu lui donnes aussi la possibilité d'avoir un comportement qui est vertueux, en fait. Une des choses les plus difficiles, c'est de ne pas comprendre. Et donc, en lui expliquant, etc., tu lui donnes aussi les clés pour mieux interagir avec toi. Je n'enlève aucun de ses mérites, bien évidemment.
- Marie
Non, non, bien sûr. Bon, et puis moi, je suis mal placée. Je suis sa maman, donc, évidemment, elle est top... formidable pour moi. Ce n'est pas objectif. Mais non, c'est vrai ce que tu dis. Je pense que la communication est très importante. Et aussi, tout... Après, ça, c'est aussi ma déformation professionnelle. Je suis éducatrice de jeunes enfants et tout le travail autour des émotions, de la gestion des émotions, de l'acceptation, l'accueil de ce qui est là, de la colère des enfants, tout ça. Bon, voilà, de fait, évidemment, je l'ai fait aussi avec Emeline et c'est peut-être ce qui lui a permis de traverser tout ça. Par rapport à ta... à ta première réflexion, je voulais aussi rebondir sur... Enfin, ça m'a amenée à autre chose où... Je ne sais plus comment le rattacher à ce que tu disais, mais ce que tu disais dans les manquements qu'il y avait eu par rapport à ton papa. Effectivement, là, Emaline, elle sent bien que je suis là, que je suis présente. Et certainement que ça lui permet d'accepter que parfois je ne le sois pas, au moins de façon différente, quand la maladie est trop là. Et ce qui m'a touchée d'elle, de temps en temps, ça me touche beaucoup, c'est qu'elle mesure à quel point le quotidien, ou des choses qui sont anodines pour d'autres parents, peuvent me demander beaucoup d'efforts. C'est normal qu'elle le mesure, parce qu'elle est là au quotidien, elle le voit, et puis je lui explique, effectivement, je mets des mots dessus. Mais par exemple, elle va avoir des réflexes : quand je vais faire une lessive, elle va dire "Ah, merci, tu as fait une lessive, mon pull est propre" Ou le soir, si elle rentre et que j'ai changé le drap du lit "Ah ben merci, je vais dormir dans des draps tout propres, c'est génial, merci maman". Moi c'est des choses, à 11 ans, je ne me rappelle pas avoir remercié ma mère pour avoir fait une lessive. C'était des choses, et beaucoup d'enfants, effectivement c'est notre boulot d'adultes, c'est notre boulot de parents, que de leur donner un toit, de leur donner à manger, qu'ils aient des vêtements propres sur le dos, et tout ce qu'il faut pour pouvoir aller à l'école, et évidemment c'est de ma responsabilité. Mais en même temps, que l'enfant puisse reconnaître que ce n'est pas un dû en fait. C'est un dû sans l'être. Alors quelque part, comme tu disais, il y a des gens valides, ils donnent moins aussi pour d'autres raisons, qui leur sont propres. Et puis pour des difficultés des fois de parentalité. Mais ça m'a beaucoup touchée qu'elle puisse avoir cette reconnaissance-là. Et puis des fois, elle va même le dire avec ses mots à elle. "Ah ben tu sais... Ah ben la maman de untel, la maman de untel, ben voilà, pas de patience. Alors que toi, tu es malade et tu ne cries pas comme ça". Et pourtant, c'est plus dur. Je me dis, en fait, elle mesure à quel point je fais des efforts pour le quotidien, juste pour le minimum. Et je trouve que c'est d'une grande maturité en fait de sa part. Je pense que ça, c'est une maturité qu'elle a développée de par un contexte dans lequel elle vit. Il y avait un autre jour, une autre phrase qu'elle m'a dit, où je me suis dit waouh ! En fait, elle a des réflexions, des fois d'adulte. Des fois, je vais la chercher le soir à l'école, c'est compliqué. Alors, on a nos codes. Tu vois, je lui ai appris, je chiffre la douleur, je chiffre la fatigue, tu sais, sur une échelle de 0 à 10, pour lui dire où c'est que j'en suis, quand ça monte, quand ça redescend, enfin voilà. Et des fois, je vais la récupérer le soir, je lui dis "Bon, tu sais, ce soir, c'est compliqué. Je suis déjà à 8, ça va être compliqué ce soir". Une fois, elle m'a fait la réflexion, elle m'a dit "Ouais, bon, c'est pas grave. De toute façon, on a un repas de prêt ce soir. On va manger ça, ça et ça. On pourra aller se coucher tôt, ça va, c'est cool". Et je me suis dit "Wow, à 11 ans, elle sait qu'est-ce qu'on va manger ce soir en fait ? Alors que... c'est pas son job en fait" mais quelque part ce n'est pas ce que je lui demandais parce que moi de mon côté j'avais déjà réfléchi à ça en me disant "bon, c'est bon on a de quoi manger on va faire ça, on va faire simple ce soir" mais que elle soit au même endroit que moi qu'elle puisse avoir cette même réflexion ça m'a montré à quel point elle a gagné de la maturité en fait après
- Giulietta
Ce qui m'a rassurée tout à l'heure, c'est que tu as dit que ta fille t'adressait quand même des reproches en tant que maman parce que j'étais un peu, j'allais dire terrorisée, le mot est grand, mais je me disais "mince, il ne faudrait pas non plus que ta fille, tu vois, devienne un espèce de Pygmalion à te soutenir, à te porter, et qu'elle en oublie ce qui fait le propre de l'enfance, quoi, de ne pas avoir conscience de tous les enjeux, etc". Et justement, le fait que parfois elle soit injuste, parfois elle soit en colère parce qu'il faut se coucher tôt tout ça, ça veut dire que quand même, elle a gardé, je ne sais pas, une espèce de... forme d'innocence, qui est super touchante et elle est très juste visiblement dans les reproches qu'elle t'adresse où elle tape pas là où ça fait mal mais qu'elle continue quand même à piquer un peu
- Marie
Ça c'est une de mes c'est un de mes points de vigilance. Effectivement, ça peut être une de mes craintes parfois, de me dire "oh, elle prend peut-être beaucoup plus en charge que d'autres enfants certaines choses, à quel point... à quel point ça ne va pas la faire grandir trop vite, à quel point elle ne va pas avoir la sensation de ne pas avoir eu d'enfance et tout ça". Et c'est ce que je te disais il y a quelques mois, ça peut parfois me faire élever pas mal de culpabilité par rapport à ça. Et là où je me rassure, c'est dans des endroits, comme tu viens de décrire, comme je te l'ai dit, où elle va quand même être juste une enfant qui veut à tout prix un téléphone portable, qui va faire des pieds et des mains pour... pour des bagatelles. Et je crois que je veille aussi beaucoup à préserver encore plus des endroits que je juge ou que je pense comme étant des endroits vraiment d'enfance et d'innocence. Par exemple, si je reviens sur l'histoire du portable, moi dans mon idée j'ai envie de reculer ce moment-là le plus possible. pour que ça laisse de la place à autre chose, que ça laisse de la place à toutes les lectures qu'elle est en train de faire, à tous les petits bricolages, à tous les jeux qu'elle peut aller explorer dehors avec la copine, avec la voisine. Voilà, essayer de lui préserver de l'enfance là où c'est encore possible. Il y a des endroits où je n'ai pas eu le choix en fait, et où je n'ai pas eu le choix elle non plus, mais il y a des endroits où il y a encore le choix. Et du coup, j'essaie de. De la même façon que dans le quotidien, de par cette maladie qui m'oblige à beaucoup de repos, on peut avoir moins de temps fort, enfin de temps fun. Quand on est en rythme scolaire, les mercredis, il faut vraiment que je me repose à la maison. Je ne peux pas en plus l'amener à droite, à gauche, chez les copines, en centre de loisirs, je n'en sais rien. Par exemple, c'est pareil, le soir après l'école, on rentre. On rentre, on se pose parce que là j'en avais déjà plein pour moi mais du coup j'essaye pendant les vacances de contrebalancer : il y a moins d'obligations pendant les vacances, je peux dormir un peu plus longtemps, je peux me lever quand ça me va mieux, il n'y a pas la route pour aller à l'école, il n'y a pas toute la gestion du quotidien parce qu'en plus j'ai un camion donc on est beaucoup dans le camion, il y a moins de ménage, moins de choses à faire et du coup tout ce temps là cet espace qui n'est pas mangé par le quotidien, je vais en profiter pour le remplir avec du rigolo, avec du fun, avec allez, on va découvrir un truc, on va faire quelque chose qu'on ne peut pas faire d'habitude. Et je sais que les moments de vacances, ils sont vraiment primordiaux pour toutes les deux. Parce que ça nous fait comme un temps de respiration, en fait, au milieu de cette maladie.
- Giulietta
Ça fait un temps de vacances pour toi et pour elle, en fait.
- Marie
Ah oui.
- Giulietta
Est-ce qu'il y a d'autres sujets que tu voulais brosser par rapport à ta relation avec Emaline ?
- Marie
Il y avait deux ou trois réflexions que je n'étais faite et que je trouvais intéressantes de partager. Alors c'est un peu ce que tu disais tout à l'heure, de l'inné ou de l'acquis, je ne sais pas quelles sont les qualités qu'elle avait déjà, et celles qui sont développées grâce au contexte, tu vois, on ne saura jamais. En tout cas, oui, je peux mesurer à quel point... à quel point elle comme moi on a appris à faire avec ce qui est là en fait et à résilier là dessus. Alors, il a fallu beaucoup renoncer et j'en ai beaucoup parlé dans le premier podcast de tous les renoncements : alors déjà moi personnellement, par rapport à mes limites physiques, par rapport à mes projets, par rapport à plein de choses. Elle, par rapport à aussi à des choses qu'on aurait pu faire ensemble, auxquelles je peux pas accéder aujourd'hui et en fait il y a du renoncement mais ya renoncer et réinventer. Je me rends compte avec le premier podcast et avec le recul tu vois de ces trois mois, à quel point, oui, j'ai renoncé mais en même temps j'ai réinventé et elle aussi. Par exemple les loisirs, effectivement, on va plus faire de la rando, on va plus faire des choses hyper physiques, mais par contre il y aura peut-être plus de créativité, il y aura peut-être plus de petites choses qu'on va faire avec les mères en ce moment... Il a envie que je lui apprenne à broder. Il y a peut-être plus de temps de lecture, plus de temps de contemplation dans la nature. Par exemple, par rapport aux invitations des copines. Je ne peux pas inviter tout un week-end deux copines. Mais on va inviter une copine, une journée ou une nuit. C'est que des choses comme ça qu'on est obligées de... Je voudrais trouver un autre mot que "réinventer", mais c'est ça, de remanier par rapport à ce qui est possible aujourd'hui. Je parlais des sorties, que je ne pouvais pas accompagner, par exemple, dans l'école d'Emaline, je ne peux pas accompagner de sortie, mais du coup, je vais être là pour faire une heure ou deux heures de ménage quand c'est nécessaire. Ou je vais faire des gâteaux pour les fêtes, pour participer aux fêtes. De la même façon que j'ai dû réinventer ma parentalité, elle s'adapte à ça, en fait. Elle s'adapte à ce qui est possible, à ce que je peux donner. Et c'est par rapport à l'adolescence aussi. Une amie m'a dit, mais l'adolescence, ça n'existe pas dans toutes les cultures. Et ça m'a fait réfléchir par rapport à ça, où tu vois comment dans d'autres cultures, en fait, l'enfant, il grandit. Et au fur et à mesure qu'il grandit, il a ses responsabilités qui grandissent et sa place au sein de la famille et au sein de la communauté qui grandit. On lui donne de plus en plus de devoirs. En fait, il a de plus en plus de droits, de plus en plus de libertés parce qu'il grandit, il devient un adulte. Mais il a aussi de plus en plus de devoirs vis-à-vis de sa famille, vis-à-vis de sa culture, de sa société, en fait. Et nous, on est dans une société où j'ai l'impression que les ados, ils sont vachement repliés sur eux-mêmes, et sur leur groupe, et sur leurs besoins très personnels en fait, leur petit plaisir personnel, le dernier téléphone à la mode, le dernier truc. Et en fait, je me dis "mais comment on accompagne nos enfants vers l'âge adulte si déjà petit à petit on leur donne pas de plus en plus de responsabilités quand ils grandissent ?". Et par rapport à cette culpabilité que je pouvais avoir de peut-être des fois trop demander à Emaline, ou de l'avoir fait grandir un peu vite à cause de la maladie. Un jour, ma mère m'a dit, et à juste titre, elle m'a dit "tu n'aurais pas été malade, tu l'aurais élevée comme ça, Emaline. Avec cette idée de, tu ne m'aides pas, tu participes. Parce que tu vis ici, alors tu participes". Et c'est vrai. Je l'aurais fait. Je ne l'aurais peut-être pas fait de la même façon. Mais en fait, moi, ça me tient à cœur qu'elle soit autonome, qu'elle soit dégourdie, qu'elle soit ouverte aux autres, qu'elle soit compatissante, qu'elle collabore, en fait, dans le cercle dans lequel elle vit, en fait. Et je pense que la maladie, elle a juste accéléré un peu le processus. En fait, je pense que ça fait partie de mes valeurs et que ça a juste été un peu plus poussé.
- Giulietta
Ce qui est positif, mais... Enfin, le fait que tu sois restée cohérente. Après, sans doute qu'elle aurait un peu plus traîné la patte si tu n'avais pas été malade et si tu lui disais de débarrasser la table. Voilà, elle ne se serait pas exécutée avec autant de... de détermination, mais oui, c'est chouette que tu sois restée cohérente, effectivement, avec les principes d'éducation que tu aurais appliqués si la maladie n'avait pas été là.
- Marie
Oui, c'est très vrai ce que tu dis. Elle l'aurait fait sûrement de moins bon cœur. Je pense qu'il y a aussi ce côté-là. Quand on voit quelqu'un qu'on aime en difficulté, on a ce plaisir à aider, en fait. C'est devenu une évidence pour elle de participer pleinement à la vie.
- Giulietta
Est-ce que pour terminer, tu te sens à l'aise ? Alors là, on sort du sujet de la relation avec ta fille, mais tu m'avais... Donc, quand tu as écouté l'épisode, tu m'as dit que tu avais mis du temps à revenir vers moi parce que ce n'était pas facile ce que l'épisode te renvoyait de toi. Est-ce que tu te sens à l'aise d'en parler ou pas ?
- Marie
Oui. Oui, oui, oui. Alors, je m'en rends compte. Là, oui, tout... tous ces échanges qu'on a tous les deux et puis quand tu m'as envoyé ce premier podcast là à quel point en fait le plus difficile pour moi ça n'allait pas être l'enregistrement, ça allait être le partage, ça allait être le fait qu'on puisse entendre toute la réalité de mon quotidien, toute ma vulnérabilité là-dedans. J'étais beaucoup émotionnée dans le premier podcast même si je suis vraiment claire avec ça, vraiment ok avec les émotions qui traversent, qui sont humaines. Je me suis rendue compte que ce n'était pas facile pour moi de l'entendre et surtout de le partager. Alors le partager avec des gens que je ne connais pas, quelque part, ce n'est pas si difficile. Mais le partager avec des gens que je connais, ça l'est beaucoup plus. Et en même temps, c'est un vrai défi que je me lance qu'une fois que ce sera sorti, mis en boîte, propre, de donner le lien à ma famille, à mes amis, collègues, parce que ça fait partie de mon travail, de mon cheminement vers l'acceptation de cette maladie, de là où j'en suis, de qui je suis aujourd'hui, que ça fait partie aussi de pourquoi je fais ça, le témoignage, la mise en visibilité de quelque chose qui ne se voit pas.
- Giulietta
Moi, j'ai trouvé ça très beau ce que tu me racontais. Donc voilà. Mais si je peux te partager le retour que ma mère a eu quand j'ai commencé à travailler sur le podcast et qui peut-être sera le retour de tes proches. Donc moi, pendant sept ans, j'ai décidé que je n'étais pas malade et donc j'ai stoppé tout mon suivi, etc. parce que c'était inacceptable pour moi et que je préférais ne rien avoir. Et ma mère a respecté ça avec une sagesse immense. Et je pense qu'elle s'est morfondue pendant ces 7 ans. Ça a dû être très dur de savoir que je n'étais pas suivie, que peut-être ma maladie pouvait évoluer et qu'en fait, elle s'est dit qu'il ne fallait pas me poser de questions parce que j'allais me braquer. Donc, je suis impressionnée de sa connaissance de moi. Et du coup... Quand j'ai lancé le podcast, je lui ai envoyé, moi je m'étais dit "flemme, elle saura pas". Je ne sais pas comment dire, je lui ai envoyé par honnêteté intellectuelle parce que je me suis dit "je ne veux pas qu'elle le découvre par hasard". Et d'un autre côté, je n'attendais pas vraiment de retour de sa part parce que je savais que ça allait être émouvant et que je n'avais pas envie d'être émue. Et en fait, elle m'a surtout dit que ça lui avait fait beaucoup de bien parce qu'elle se rendait compte que j'étais en paix avec moi et que ça l'avait beaucoup soulagée. de voir qu'en fait, maintenant, j'étais apte à en parler. Alors, dans le podcast, je ne sais pas, moi, j'interview des gens. Et peut-être que, du coup, tes proches vont découvrir des choses difficiles. Peut-être qu'ils les ont remarquées, ces choses difficiles que tu ne leur as pas dites. Et peut-être qu'ils vont se dire, "ah ouais, ça y est, elle le dit, quoi".
- Marie
Oui, je crois qu'il y a une certaine part aussi d'honnêteté dans l'idée que, mais aussi... Si je suis capable de partager ça avec des inconnus, j'ai aussi envie d'être capable de le partager aux gens, mes proches, qui sont en plus... C'est vraiment à eux de savoir ce que je vis, en fait. Je pense que si, je ne sais pas, une cousine à moi ou une amie vivait quelque chose d'aussi intense et qu'elle ne m'en donnait que des petits bouts, oui, je trouverais ça dommage, en fait. Donc, oui, il y a un peu de ça de me dire... je vais leur offrir toute mon authenticité. Et certainement que ce sera difficile pour certaines personnes d'entendre des choses qui ne sont pas faciles. Mais en même temps, comme tu le dis, c'est aussi montrer qu'au-delà des choses difficiles, j'ai pu rebondir ou je rebondis, et ma vie aussi, elle rebondit à sa façon. Et voilà, il y a... qu'il y a de la force, même dans la vulnérabilité.
- Giulietta
Oui, c'est marrant, je ne t'ai pas encore transmis le nom de l'épisode, donc je pense qu'on va faire deux épisodes à part, parce que là, ça fait une heure qu'on enregistre, et je trouve que tu as dit plein de choses intéressantes, donc tu vas vraiment être la star de ce podcast. Et justement, le premier épisode, je voulais l'appeler "Trouver la force" parce que c'est vraiment ce qui m'a marquée de ton récit. Tu n'es pas dans une affirmation exacerbée de la force, mais tu... En tout cas, ma perception de ton récit, c'était une espèce de détermination à toute épreuve qui va lentement, mais tu ne lâches rien. Tu continues et tu avances, etc. Et donc, pour moi, c'est de la force. Et donc, je trouve ça beau que tu le dises là aussi, parce qu'effectivement, c'est ce que j'ai ressenti. Oui,
- Marie
merci pour ton retour. Je trouve que c'était une très bonne analyse, une analyse très fine, en fait. Tu m'as aussi dit... Je veux dire, on n'a pas eu beaucoup d'échanges, mais dans les retours que tu me fais, je trouve les mots justes, que ça tombe bien, même les questions que tu poses et tout. J'ai beaucoup de plaisir à faire tout ça avec toi. Cet endroit où, quand on s'autorise enfin à poser nos limites, à l'autre, à dire là, je ne peux plus, j'arrête c'est aussi offrir à l'autre, et donc en l'occurrence à ma fille, la possibilité de lui dire… qu'elle me dise aussi, "là, j'ai pas envie, je suis fatiguée ou je préfère bouger ou je vais faire autre chose". C'est aussi un cadeau qu'on fait à l'autre quand on s'accepte comme vulnérable et quand on s'offre comme vulnérable. C'est aussi offrir à l'autre la possibilité de l'être.
- Giulietta
J'espère que la voix douce de Marie vous aura porté à réfléchir et qu'elle vous aura apaisé si vous posez des questions sur la parentalité et que votre santé défaille Un grand merci à Marie de partager, toujours avec beaucoup de délicatesse et de lumière, ses réflexions. Je me permets d'ajouter une réflexion plus personnelle à tout ça. La question qui traverse cet épisode, c'est celle d'être là, dans un contexte où la santé ne tient plus. Comment est-ce qu'en tant que personne malade ou bien en situation de handicap, je peux être présent vis-à-vis des gens que j'aime si mes capacités sont limitées ? Comme le dit très justement Marie, il y a le faire et l'être. Parfois, on ne peut pas faire des choses compte tenu de sa santé, mais ce qui compte à mon sens, c'est de savoir qu'on peut compter sur son parent, qu'on peut avoir confiance. Et je crois que la maladie ou le handicap n'entrave pas complètement la fiabilité ou l'oreille attentive dont on peut faire preuve vis-à-vis de son enfant. C'est juste que ces éléments s'expriment d'une manière différente de celle que l'on pourrait souhaiter en tant que parent, et ça me sent bloqué. Ce qui compte, c'est d'être là. Avant de vous laisser, quelques mots sur l'anomalie. L'anomalie est un podcast autoproduit par mes soins, dans lequel je mets toute mon énergie et mon amour. Le meilleur des soutiens est de donner votre avis sur votre plateforme d'écoute préférée, en notant l'épisode ou bien en mettant un petit commentaire. Cela contribue à rendre le podcast plus visible. Vous pouvez aussi m'écrire sur Instagram, sur le compte lanomalie.media. Je suis toujours ravie de vous lire et d'avoir vos retours. Rendez-vous dans 15 jours pour le prochain épisode si j'arrive à tenir la cadence. Prenez soin de vous.