Carole et la spondylarthrite ankylosante - Se révéler cover
Carole et la spondylarthrite ankylosante - Se révéler cover
lanomalie : le podcast qui ouvre la discussion sur la maladie

Carole et la spondylarthrite ankylosante - Se révéler

Carole et la spondylarthrite ankylosante - Se révéler

46min |20/07/2023
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Carole et la spondylarthrite ankylosante - Se révéler cover
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lanomalie : le podcast qui ouvre la discussion sur la maladie

Carole et la spondylarthrite ankylosante - Se révéler

Carole et la spondylarthrite ankylosante - Se révéler

46min |20/07/2023
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Description

La spondylarthrite ankylosante est-elle compatible avec la pratique de sports extrêmes ? La rencontre avec Carole m'a permis de répondre par la positive, à condition de faire attention à ses limites.


Pour ce troisième épisode de lanomalie, je vous propose de rencontrer Carole, qui vit depuis son adolescence avec une spondylarthrite ankylosante. Il s'agit d'une maladie inflammatoire chronique dont les symptômes consistent en des douleurs quotidiennes intenses au niveau des articulations et, de fait, des mouvements limités.

180.000 personnes sont touchées par cette pathologie en France, c’est loin d’être un petit sujet !


Carole est une ancienne collègue à moi : ni elle ni moi n'avions évoqué, lorsque nous travaillions ensemble, nos problèmes de santé respectifs. Je suis donc particulièrement touchée qu'elle m'ait contactée pour échanger sur sa spondylarthrite ankylosante, avec laquelle elle vit depuis l'adolescence.


Avec Carole, nous avons évoqué des sujets structurants sur l’expérience de la maladie :

  • La frustration de ne pas pouvoir réaliser certaines actions, due à la douleur

  • Le fait de se créer une carapace, pour ne pas évoquer sa pathologie ou son handicap

  • Les difficultés induites par une maladie chronique et des symptômes quotidiens

  • La volonté de se dépasser, pour garder le contrôle sur le reste

  • L’importance du sport pour se réapproprier son corps et se vider la tête

  • La difficulté d'évoquer des sujets relatifs à sa santé ou à son handicap, dans un contexte professionnel

  • Le binôme patient / médecin, essentiel pour affronter sereinement les choses

  • La mise en place d'un traitement adapté, qui peut prendre du temps.

Carole se révèle au cours de l’enregistrement, partageant ses colères, sa détermination et sa sensibilité. J’espère que cet épisode vous touchera autant qu’il m’a émue.


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⚡️ lanomalie, c'est le podcast qui ouvre la discussion sur la maladie. Retrouvez chaque mois le parcours d'une personne concernée.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et si on parlait plus ouvertement de la maladie ? Dans l'imaginaire commun, quand la santé va, tout va. Partout on valorise un corps sain, qui tient la route, et dont on souhaite sans cesse repousser les limites. Dès lors, quelle est notre place quand on connaît ponctuellement ou plus durablement la présence de la maladie dans notre vie ? Je suis partie à la rencontre des personnes qui, tout comme moi, vivent en compagnie d'une maladie, car à mon sens, poser des mots sur un sujet encore tabou, ça fait du bien. Pour ce troisième épisode, je vous propose d'écouter le parcours de Carole, première femme à témoigner sur ce podcast! Carole est atteinte d'une spondylarthrite ankylosante. Il s'agit d'une inflammation chronique qui touche les articulations. Cela génère d'importantes douleurs et peut limiter la mobilité des articulations touchées. Cette maladie évolue par poussées qui peuvent causer un gonflement des articulations concernées associées à des douleurs intenses. Au cours de cet épisode, nous avons parlé de la frustration, de la tristesse et de la colère que peut générer la maladie, de la carapace qu'on peut se créer pour faire tout comme tout le monde quand on vit avec un handicap invisible, de l'importance des égards de l'entourage, du binôme patient-médecin et surtout de sa passion pour la samba. Vous l'entendrez, Carole se révèle au cours de l'épisode. D'abord réservée, elle s'ouvre au fur et à mesure jusqu'à dévoiler un tempérament audacieux, drôle et plein de tendresse, cela m'a beaucoup touchée. Il y a un peu d'écho au cours de cette discussion, j'espère que vos petites oreilles n'en prendront pas ombrage et que vous prendrez plaisir à écouter le témoignage de Carole. Je vous souhaite une très bonne écoute.

  • Giulietta

    Bonjour Carole et merci de ta présence avec moi pour l'enregistrement de ce troisième épisode. Comme je l'ai fait pour les autres épisodes, si cela te convient, je vais faire une petite contextualisation afin que les auditeurs et les auditrices en sachent un petit peu plus sur toi. Nous avons travaillé pour la même structure par le passé. A cette époque, j'avais compris que tu étais une personne très sympathique, mais qu'il ne fallait surtout pas t'embêter. De l'eau a coulé sous les ponts jusqu'à ce que je publie un post sur LinkedIn pour parler de ma démarche sur lanomalie. Dans l'heure, j'avais reçu un mail de ta part me proposant d'échanger, si j'en ressentais le besoin. Nous sommes allées prendre un café, et je n'avais pas trop de doutes sur le fait que l'échange serait passionnant. Je n'ai pas été déçue du voyage. C'est pour cette raison que je t'ai proposé d'enregistrer la suite de notre discussion, parce que je suis convaincue qu'elle pourra aider de nombreuses personnes dans leur parcours. Avant de commencer, est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?

  • Carole

    Non. Bonjour, déjà. Ma présentation est parfaite. Pour me présenter, j'ai 48 ans, je suis responsable de gestion dans un cabinet de conseil à Paris. De moi, je peux dire que je suis quelqu'un de passionné par l'art, notamment la musique et la danse. Je suis une personne sensible, très sensible. Je me qualifierais d'épicurienne. J'aime les plaisirs de la vie, j'adore manger, j'adore voyager, j'adore découvrir d'autres cultures. J'aime en particulier la mer et les fonds marins, parce que les fonds, c'est comme une parenthèse en fait dans ma vie. Ma principale caractéristique, c'est que je suis toujours en recherche d'amélioration. C'est-à-dire que si je peux bouger quelque chose et que j'ai la main dessus, alors je vais toujours avancer et puis me donner à fond pour une recherche d'amélioration constante.

  • Giulietta

    Ça ne m'étonne pas du tout. C'est marrant, mais tout comme Thibaut, tu te présentes par les choses que tu apprécies et tes plaisirs. Je trouve ça très joli de dire ça. Sans surprise, tu ne parles pas de ta pathologie.

  • Carole

    Sans surprise, effectivement. C'est quelque chose que je souhaite cacher au maximum.

  • Giulietta

    Et est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Carole

    Oui, je peux en dire plus. C'est une pathologie sur laquelle on a eu du mal à mettre un nom. En fait, c'est une pathologie qui est apparue à mon adolescence, quand j'étais en cinquième, fin de cinquième, début de quatrième. Et ça a commencé par une douleur à une hanche. Et petit à petit, le cartilage de ma hanche s'est dégradé et il a fallu attendre la fin de ma croissance pour me mettre une première prothèse totale. On ne savait pas trop, on n'avait pas diagnostiqué, on m'a parlé de rhumatisme, d'arthrite juvénile chronique, de plein de choses, surtout au moment où la douleur qui était passée du côté droit, puisque la hanche avait été opérée, est passée à gauche, quelques temps ... tout de suite après, hein. Mais le temps qu'elle se dégrade, il a fallu 2-3 ans avant l'opération de la deuxième prothèse de hanche. Et puis les douleurs sont parties dans les genoux, et puis les chevilles, les pieds, les coudes, la mâchoire, la colonne vertébrale, les cervicales, les lombaires. On m'a parlé de polyarthrite, on m'a parlé de spondylarthrite. Aujourd'hui, je pense que c'est une spondylarthrite. On a plus, dans mes statistiques, parlé de spondylarthrite ankylosante.

  • Giulietta

    Donc le diagnostic n'est pas vraiment posé ?

  • Carole

    Ça tourne, ça tourne, c'est compliqué. J'ai du mal à m'identifier dans la spondylarthrite ankylosante parce que ce que je vois... On regarde beaucoup internet, on regarde les autres personnes, comment ça se passe chez eux. J'ai du mal à m'identifier exactement. C'est peut-être une spondylarthrite périphérique, puisqu'elle a touché les grosses articulations (hanches, genoux). Je dirais que j'ai de l'arthrite. Avec une maladie auto-immune, avec toutes ces joyeusetés qui peuvent toucher la peau, avec du psoriasis, qui peuvent toucher les yeux, avec les uvéites, toutes les joyeusetés d'une maladie auto-immune.

  • Giulietta

    Mais même si le... Le nom de ta pathologie n'est pas certain, visiblement le traitement que tu prends fonctionne et te soulage.

  • Carole

    Alors depuis 2012 oui mais avant ça, c'était avant de trouver mon rhumatologue, avec qui je fais équipe aujourd'hui. Et avant lui, je suis passée par des moments très difficiles où j'avais l'impression de ne pas être prise en considération au niveau de la douleur, ou quand j'avais un genou enflé, mais vraiment très très enflé, et en plus on sait que quand le genou est enflé, il s'abîme au niveau du cartilage, donc il y a la peur de la prothèse. À partir du moment où j'avais cette douleur, il me fallait six mois pour avoir un rendez-vous pour une infiltration par exemple. Ce n'est pas humain de laisser attendre les gens dans une douleur comme ça.

  • Giulietta

    J'imagine bien. Oui, carrément. Je bouleverse un peu l'ordre de mes questions, mais je pense qu'il y a des personnes qui peut-être écouteront cet épisode et qui en sont au moment où ils découvrent le fait qu'ils ont une maladie, qu'ils vivent peut-être les symptômes que t'as vécu toi à l'époque. Comment est-ce que t'avais vécu les choses quand tu étais très jeune ? Tu t'es construite en tant que jeune femme, puis en tant que femme, avec cette maladie qui était douloureuse, qui a pris beaucoup de temps, qui a induit des opérations, des hospitalisations, de la douleur, comme tu l'as dit. Quel est le souvenir que tu en as ?

  • Carole

    Très mauvais souvenir. Surtout à l'adolescence. Moi, j'étais une gamine qui adorait courir. J'adorais l'athlétisme. Donc quand ça tombe avec la hanche comme ça, qui ne nous permet plus de faire ce qui nous passionne, c'est le pire qui nous empêche de faire des mouvements. Le commun des mortels fait sans se poser de questions. On ne se construit pas de manière normale. On est bancal. Moi, j'ai eu une vie remplie de frustration. Aujourd'hui, il ne se passe pas un seul jour sans que la maladie revienne à mon bon souvenir. Elle est là, elle ne me quitte pas. Tous les jours, j'y pense. C'est depuis mon adolescence.

  • Giulietta

    Quelle est la place que tu donnes, toi, à ta maladie dans ta vie de tous les jours ?

  • Carole

    C'est mon combat de tous les jours. Tous les jours, je fais en sorte qu'elle arrive à la dernière place. Donc ça passe par plein de choses. C'est pour ça que je pense que je suis une épicurienne et une passionnée, parce que c'est ça qui me permet de... C'est mon moteur pour me la faire oublier. Enfin, oublier. Comme j'ai dit, je ne passe pas une journée sans y penser, puisque ça induit beaucoup de fatigue et de douleur au quotidien. Mais voilà, c'est ça aujourd'hui qui est mon moteur et qui me permet de faire face. Mais on ne se construit pas. C'est une vie remplie de frustrations, parce que même certaines passions, sur lesquelles je suis à fond dedans. Par exemple, la danse, une danse que j'arrive à très bien faire, mais il y a quand même par moments des mouvements qui ne me sont pas accessibles. Et alors ça, c'est une frustration, parce que je ne sais pas que je n'y arriverai pas, c'est que je ne peux pas.

  • Giulietta

    Sur les deux premiers épisodes, on avait un ton qui était relativement bienveillant et un petit peu de bonne humeur en disant "on recompose les choses, o n essaie de s'adapter à son environnement, tout ça. Ça permet de découvrir de nouvelles choses ou de les aborder différemment". Mais en fait, on n'a pas encore évoqué le fait que, parfois, on ne peut pas. Et qu'il faut accepter ou qu'il faut se faire à l'idée, malheureusement, de ne pas pouvoir faire quelque chose. Toi, quel a été ton parcours par rapport à cette frustration ? Est-ce que c'est un sujet avec lequel tu n'arrives pas à composer ? Comment ça se passe ?

  • Carole

    Je gère très mal la frustration. Alors... J'ai essayé de me faire accompagner, mais c'est quelque chose qui génère beaucoup de tristesse en moi. Et je pense que c'est une tristesse qui peut se voir et qui peut mettre les personnes à distance. Ça me rend un petit peu sauvage, ça me rend dure parfois avec certaines personnes. Donc c'est quelque chose vraiment que, aujourd'hui, je ne peux pas dire que je gère ma frustration. Elle est là, elle est bien présente, il faut que je compose avec.

  • Giulietta

    J'aime bien le fait que tu dises composer avec et que tu ne veuilles pas l'enlever. Je trouve que c'est bien aussi d'accepter ses failles. C'est comme ça que tu abordes les choses et c'est normal d'être en colère et d'être frustrée, je trouve ça très bien. Un exemple, moi, dans mon cas, j'ai très peur de faire des IRM. C'est très récent que j'accepte de prendre un petit Lexomil avant d'y aller parce que je voulais me battre contre moi et apprendre à maîtriser ça. Et je m'étais dit, il faut que tu fasses une thérapie. En fait, non, c'est comme ça. Et c'est une partie de ma personnalité qui ne bougera pas. La maladie induit tellement de difficultés au quotidien qu'il faut aussi accepter les choses qu'on ne peut pas modeler.

  • Carole

    Oui, et puis, alors, tu me fais penser, toi, tu as peur des IRM. Quand j'ai eu cette maladie, moi, j'avais peur des aiguilles. Ça a mis du temps, mais j'ai fini par me faire mes piqûres dans le ventre toute seule. Finalement, je ne pensais pas que ça serait possible, parce que vraiment, les aiguilles, une prise de sang, j'y pensais longtemps à l'avance. Mais aujourd'hui, ça va.

  • Giulietta

    Oui, il y a des choses qui bougent, rien n'est figé. Donc là, on est en train de parler de toi. Le souvenir que j'ai de notre cadre professionnel, c'est que tu ne l'évoquais pas, pas en tout cas avec tout le monde. Dans quel cadre tu évoques ce sujet ?

  • Carole

    Alors c'est vrai que je ne l'évoque jamais, sauf quand ça doit influer sur ma sécurité. Ma sécurité physique, ma sécurité aussi psychologique, c'est important aussi, mais surtout physique. Par exemple, s'il y a quelque chose que je ne peux pas faire, je suis obligée de le dire. Moi, je sais ce que je peux faire, ce que je ne peux pas faire, je me connais bien, je suis obligée de le dire. C'est pareil en cours de danse, quand je ne peux pas faire un truc, j'en informe la professeure parmi les autres, ça me met dans une situation où je déteste, mais je le fais. C'est ma sécurité d'abord, en fait. C'est la priorité.

  • Giulietta

    Et ta professeure de danse, elle est au courant de ce que tu as ou elle est juste au courant qu'il y a des choses que tu ne peux pas faire ?

  • Carole

    Alors, au début, dans ma vie, quand j'allais dans mes cours de danse, je prévenais l'enseignant. Et je me suis aperçue que pour certains, on me mettait complètement de côté en se disant "bon, si elle ne fait pas les trucs, peut-être qu'elle gère toute seule". Donc, on ne me corrigeait jamais. Alors que moi, j'ai envie qu'on vienne me voir quand même pour me dire "Tiens, tu pourrais faire ça de telle façon, essaye comme ça". J'ai besoin quand même qu'on me pousse un petit peu pour me faire avancer, qu'on me dise ça, ça, c'est pas bien, parce qu'il y a quand même des choses qui ne sont pas bien et que je peux faire. Il n'y a que moi qui peut dire si je ne peux pas faire les choses. Et donc, aujourd'hui, j'évite de le dire, sauf au moment où je suis au pied du mur et que là, je n'ai pas le choix.

  • Giulietta

    Tu as déjà eu des personnes qui arrivaient à composer avec ça correctement ou tu as toujours été déçue de la manière dont on te mettait un petit peu à part parce qu'on imaginait tes limites ?

  • Carole

    Alors c'est très compliqué, je pense. J'ai un positionnement et je m'en suis aperçue, ça m'a fait réfléchir la dernière fois qu'on s'est vues. En fait, c'est que j'ai un positionnement très compliqué. D'un côté, je fais tout pour rendre ma maladie invisible, et de l'autre, je souffre que certaines personnes ne considèrent pas assez le fait que je sois malade. Qu'elles ne prennent pas en compte que le fait d'avoir mal tout le temps, ça génère de la fatigue. Ne pas prendre ça en compte, ne pas se dire, bon, elle ne dit rien, donc tout va bien. Mais ce n'est pas, non, tout ne va pas bien. Tout ne va pas bien. Je pense que ma famille a oublié que j'étais malade. Ma victoire, c'est que je l'ai rendue super invisible. Tout le monde a l'impression que je suis normale et tout ça. Mais j'aimerais bien qu'à un moment, on me demande comment je vais. Et où j'en suis.

  • Giulietta

    Est-ce que tu arrives à mettre le sujet sur la table ou c'est délicat ?

  • Carole

    Non. Je ne mets pas... Enfin... Je n'y arrive pas.

  • Giulietta

    Je comprends.

  • Carole

    Mais j'aimerais que ça vienne d'eux, qu'ils me demandent vraiment "Comment tu vas ?". Vraiment. Tout simplement.

  • Giulietta

    Oui, je comprends totalement. C'est difficile. Thibault l'exprimait super bien dans le premier épisode. Il est beaucoup plus empathique que moi, par exemple. Et il disait que c'est difficile pour une personne qui n'est pas confrontée à ça de se projeter, de comprendre. Et soit c'est trop d'inquiétude, et là c'est énervant, soit ce n'est pas du tout assez...

  • Carole

    Oui, et on a notre part de responsabilité du coup, puisque moi je fais tout pour être combative, que ce soit invisible, donc j'ai ma part de responsabilité sur le sujet, j'en suis consciente.

  • Giulietta

    D'accord. Tu m'as parlé la dernière fois de toutes tes activités qui n'ont absolument rien de conventionnel. Pour une personne lambda, c'est déjà énorme, mais compte tenu des difficultés que tu peux avoir au quotidien, c'est d'autant plus inspirant. Comment est-ce que tu expliques cette volonté d'être aussi active et un petit peu extrême quand même, il faut le dire ? Est-ce que c'était présent en toi ? Ou ça s'est révélé au fil du temps et sans doute la maladie a joué un rôle ? Ou est-ce que ça fait partie du chemin pour te réapproprier ton corps ?

  • Carole

    Alors, je ne peux pas dire si c'était présent en moi, puisque c'est une maladie qui s'est déclarée quand j'étais en cinquième, quatrième. Donc je ne sais pas ce qu'aurait été ma vie si je n'avais pas eu cette maladie. Par contre, ce que je sais, c'est que cette maladie, la Spondylarthrite ankylosante, pour moi c'est ça, c'est ce que j'ai entendu. Ankylosante, ça veut dire qu'aujourd'hui, si je ne bouge pas, je m'ankylose. Donc il faut bouger, on a mal, ce n'est pas grave, mais ce qui me sauve aujourd'hui, c'est le fait que je bouge beaucoup. Et ce qui me fait bouger, la seule chose qui me fait bouger, en oubliant un petit peu, en supportant ma douleur, c'est la danse. Je pense que chacun doit trouver une activité, l'activité qui... qui lui fasse, entre guillemets, vriller le cerveau, qui soit suffisamment motivante et stimulante pour oublier tout le reste à côté. Alors pour moi, c'est explorer les fonds marins, snorkeling ou plongée libre. C'est aussi la danse, en particulier la samba. Alors ce qui est drôle, c'est que la samba, c'est quelque chose, une activité qui est axée beaucoup sur les hanches. Des hanches qui vont de droite à gauche. Donc oui, j'ai des prothèses, mais j'arrive à bien bouger mes hanches. Alors je ne fais pas le grand écart, je suis limitée en flexion, en extension, etc. Mais mes hanches, je peux les secouer de gauche à droite facilement. La samba, c'est la fête. Pour moi, qui ai beaucoup de colère, de tristesse aussi en moi, danser la samba et faire une fête, c'est... ben voilà, je... ! Ça me booste. Et ça m'oblige à... Ça m'oblige, pas à faire la fête, mais ça m'oblige à me stimuler. Ça me fait du bien.

  • Giulietta

    Oui, c'est un soin à la fois pour le corps et pour l'esprit.

  • Carole

    Oui, c'est ça.

  • Giulietta

    Alors je sais pas si c'est dans ta personnalité, mais parfois on peut avoir un moment de censure à l'idée de commencer une nouvelle activité. Tu devais avoir à la fois des limites physiques et des limites un peu mentales. Comment tu t'es tournée vers la samba et la danse ?

  • Carole

    La samba, j'en avais fait déjà il y a 20 ans, quand j'étais arrivée sur Paris. C'était la première activité dans laquelle je m'étais inscrite. J'avais toujours voulu faire de la danse, et du coup... Il n'y avait que la samba. J'aimais bien les percussions. Ça nous met dans une espèce de transe. C'est cet état qui permet de ne plus penser à la douleur. Je ne sais pas si les personnes qui vont danser la salsa, par exemple, et qui sont des mordues de salsa, ils remarqueront que lorsqu'ils vont en soirée danser, même s'ils sont enrhumés, ils ont une sinusite, le nez qui coule, etc. Le moment où ils vont danser, le nez ne va plus couler. C'est assez miraculeux, je ne peux pas l'expliquer. Je pense que c'est l'état de transe qui est en nous. Il faut vraiment quelque chose qui place. J'avais essayé la musculation, le sport en salle. C'est trop de douleur. Mon cerveau ne suit pas. Et donc, je ne pense qu'à la douleur. Et ça ne marche pas, du coup.

  • Giulietta

    Et là, actuellement, quand tu danses, tu as un moment où, justement, d'échauffement. Où tu peux avoir tes douleurs qui restent et ensuite ça passe ? Ça se passe comment sur le plan physique ?

  • Carole

    Alors, mes activités sont plutôt le soir. Donc en fait, mes douleurs, c'est plutôt le matin au saut du lit, quand je suis un petit peu engourdie de ne pas avoir bougé toute la nuit. Du coup, dans la journée, ça a le temps de chauffer un petit peu.

  • Giulietta

    D'accord. Je vais poser maintenant la question que j'avais appelée "Moldue". Pour réexpliquer, j'ai demandé à ce que tu proposes à quelqu'un de ton entourage de poser une question qui nous serait adressée à toutes les deux. Et donc la question, c'était "est-ce que c'est la maladie qui t'a fait devenir ce que tu es, ou bien tu aurais de toute façon été ?" et les adjectifs proposés sont "battante", "reloue", "extrême". Quel est ton retour là-dessus ?

  • Carole

    C'est indéniable. Oui, bien sûr, ça m'a rendue... Très combative. En fait, ça m'a obligée, enfin moi, je me mets tellement de pression sur moi, parce que j'ai l'impression d'être un peu... peut-être un peu bancale, c'est-à-dire dans un troupeau de chèvres. Moi, je vais être la chèvre boiteuse. Et du coup, j'ai l'impression de devoir compenser au maximum pour faire oublier. Ça a été compliqué pour moi professionnellement, surtout en démarrant, puisque je n'avais pas trouvé mon médecin qui me permettait de gérer mieux ma maladie. Donc professionnellement, il arrivait des moments où j'avais des crises ou des douleurs qui étaient insupportables. Ça durait dans le temps. et j'étais obligée de... Enfin, je me sentais, moi, obligée, par rapport à mes employeurs, de compenser par plein d'autres choses. Et ça, c'est insupportable, en fait, cette manière de... Alors, c'est bien, je veux dire, ça m'a permis d'évoluer. C'est ça qui, je pense, fait que je me perfectionne tout le temps ou que j'ai tout le temps envie d'apprendre, parce que je compense, en fait. C'est tout le temps de la compensation. C'est usant, aussi.

  • Giulietta

    Oui, c'est ce que j'allais dire, c'est fatigant aussi. Et t'es toujours dans ce rapport-là de vouloir compenser ?

  • Carole

    Toujours. C'est pénible, mais toujours. Parce que je veux pas... J'ai l'impression d'être la chèvre boiteuse du troupeau, en fait. Et de devoir montrer... plein d'autres facettes de moi pour le rendre supportable aux autres.

  • Giulietta

    Est-ce que, du coup, le fait que tout à l'heure, je mentionne la perception que moi j'avais de toi et que je n'avais absolument rien remarqué, ça te rassure ?

  • Carole

    Oui, ça me rassure. En fait, j'ai une vision très dure de moi. Et du coup, je me vois plus sauvage que je ne le suis, je me vois plus méchante que je ne le suis. Et du coup, si quelqu'un arrive à percevoir ce côté un peu sensible et doux, finalement, de moi. J'aime bien. Ça me fait plaisir.

  • Giulietta

    Mais tu es très douce. Je ne sais pas si je garderai ce bout-là, mais sache que Mathieu parlait de toi avec des étoiles dans les yeux quand on était au cabinet.

  • Carole

    C'est vrai ?

  • Giulietta

    Et vraiment, il disait que c'était incroyable d'être avec toi et qu'il rigolait énormément. Donc je pense que c'est à ce moment-là que je me suis dit " Mhh il doit y avoir quelque chose que je n'avais pas vu".

  • Carole

    Oui, on a passé de bons moments. On avait des passions communes, les films de Marvel par exemple !

  • Giulietta

    Moi, pour répondre à cette question, "est-ce que c'est la maladie qui m'a fait devenir ce que je suis ?", je me répète par rapport aux premiers épisodes, mais ça m'a posé les bonnes questions plus tôt. J'étais un petit peu, sans doute, nombriliste, égocentrique. Et ce n'est pas possible de le rester quand on a une maladie, parce qu'à un moment, il faut lâcher prise. Et accepter qu'on a des limites, ça c'est le premier point. Donc ça a accéléré les choses, je présume que c'est un cheminement que j'aurais eu plus tard en vieillissant, mais je me suis posé ces questions-là à 20 ans. Il y a juste une chose, je pense que ça a changé, c'est sur mon rapport au corps, étonnamment. J'ai un rapport assez dur à mon corps, que j'ai jamais vraiment apprécié, et dans lequel je me sentais assez mal. Et en fait, le fait d'avoir cette maladie, je me suis dit qu'il fallait que j'en prenne soin. Et je me suis mise à l'escalade. Et c'est ma manière de me faire du bien et mes médecins m'ont dit que c'était bon pour ma maladie parce que ça fait travailler l'équilibre, le gainage, c'est doux. Et en fait, j'y vais vraiment pour me faire du bien dans mon esprit, mais aussi dans mon corps. Je vois mon corps évoluer et je suis bouleversée de le voir changer. Et ça m'a permis vraiment de recomposer un peu les choses et de me dire "ok, il y a aussi des choses positives qui peuvent venir". Et donc, ça me permet d'apprécier plus facilement mes limites. J'ai des symptômes qui ne sont pas très... Enfin, des petits symptômes, mais par exemple, j'ai un petit symptôme urinaire que je n'assume pas franchement où j'ai envie de faire pipi comme une femme enceinte. Et c'est un peu dur à 29 ans de se dire ça. Et donc, en fait, je me dis "bon mais d'un autre côté, j'arrive à grimper des choses que je n'aurais jamais grimpées auparavant et j'arrive à le faire". Et je suis trop fière de ça. Et donc, ça met de côté un peu ces trucs un peu honteux.

  • Carole

    Est-ce que l'escalade te fait penser à autre chose que ta maladie à ce moment-là ? Est-ce qu'il y a une parenthèse ?

  • Giulietta

    Je n'y pense pas tout le temps, mais en tout cas, je sais pas comment dire, mais quand je sors de là, je m'aime.

  • Carole

    Ah oui, c'est sûr, ça fait du bien, oui. Je comprends ce que tu dis quand tu t'aimes ensuite. La samba, pour moi, c'est pareil. Et c'est aussi la féminité, c'est plein de choses qui sont là et qui sont compliquées parfois.

  • Giulietta

    C'est ce que j'allais dire, c'est quand même une féminité assez exacerbée.

  • Carole

    Oui, c'est la samba de carnaval. Ce n'est pas la samba de couple en danse latine sportive, c'est de la samba de carnaval. C'est Rio avec les strass, les plumes.

  • Giulietta

    C'est trop bien, c'est une autre facette de toi que tu exprimes par ce biais-là. Je prends un peu une autre thématique. Tu as beaucoup parlé de ton binôme, la première fois qu'on s'était vues, avec ton médecin. Et tu as repris ce terme aujourd'hui, l'idée de faire équipe avec ton... C'est un rhumatologue ?

  • Carole

    C'est un rhumatologue, oui.

  • Giulietta

    Est-ce que tu peux nous dire un peu plus l'historique de comment ça s'est passé avec tes précédents médecins ? Et pourquoi lui, c'est le bon ? Et qu'est-ce que ça change d'avoir un médecin qui nous comprend ?

  • Carole

    Ça change tout. Je suis passée par pas mal de rhumatologues, les hôpitaux parisiens, publics. Et ça a été compliqué. Pas toujours, mais à un moment, quand on nous propose un traitement qui est dit révolutionnaire, à l'époque c'était anti-TNF, on m'avait dit que sur les polyarthrites, ça marchait de façon incroyable. Donc on a donné ce traitement, c'était une perfusion par mois, il me semble, en journée à l'hôpital. Et moi, avec ce traitement, ça m'a, entre guillemets, déglingué les poumons, la vessie, ça me donnait des infections urinaires, c'était compliqué. À chaque fois, on devait reporter la perfusion parce que j'avais une pyélonéphrite. Et puis... et puis pourtant, mes genoux continuaient d'enfler. Et à ce moment-là, il m'a dit "ce n'est pas possible, non, non, le traitement, il doit marcher". Enfin, j'ai l'impression de ne pas avoir été entendue.

  • Speaker #0

    Et je voyais qu'à chaque fois, ça me faisait tousser, ça me donnait vraiment beaucoup de désordre. Et pourtant, je continuais d'avoir mal. Donc, alors à quoi bon continuer ? Je veux bien que ça marche sur d'autres personnes, mais il s'avère que pour moi, ce n'était pas le cas. Et je n'ai pas été entendue. Donc, je ne sais plus ce qui s'est passé. Je pense que j'ai dû arrêter d'y aller. J'ai trouvé un rhumatologue en ville. Mais c'est toujours pareil, c'est compliqué. On a des infiltrations, on a des épanchements au niveau des genoux. Il faut attendre avant d'être infiltré, il faut attendre tout le temps. Sachant que quand on a ce genre d'épanchement, ça abîme aussi ce qu'il y a autour, ça abîme l'articulation. Et c'est vrai que ce n'est pas bon de faire des infiltrations tout le temps. C'est vrai qu'il faut les limiter aussi, c'est pas conseillé, mais voilà, ça n'allait pas. Je n'étais pas entendue et puis j'avais l'impression qu'il fallait cocher des cases. Enfin, on ne prenait pas ce que je disais en considération. Je n'avais pas l'impression d'être une personne, mais un cas. C'était compliqué. Et puis, j'ai trouvé ce rhumatologue. Je ne sais pas si je peux dire, mais c'était à l'hôpital américain. À cette époque, la mutuelle, dans le cabinet de conseil, me le permettait. Et là, ça a vraiment tout changé. En fait, c'était une personne humaine. Quand j'allais le voir, il ne me parlait pas seulement de ma maladie. Il me parlait de tout ce qu'il y avait à côté. Et puis, incroyable, il m'a donné son numéro de portable, ça voulait dire que dès que si j'avais un problème, trop de douleur, je pouvais lui envoyer un SMS et il me répondait dans les cinq minutes. Il arrivait à me dégager un rendez-vous pour aller le voir et régler, ne pas me faire attendre, ne pas me faire souffrir des semaines et des semaines. Alors pas forcément en infiltrant, il a un peu essayé d'autres choses aussi de son côté. Mais oui, c'est important d'avoir quelqu'un qui nous écoute, avoir son numéro de téléphone portable et sa confiance dans le fait que je n'allais pas non plus abuser et puis lui envoyer des messages à 4h du matin. Donc voilà, il y a une relation de confiance qui s'installe et c'est hyper important d'être considérée entièrement. Et c'est vrai que, alors on oublie un truc, c'est que les médecins, oui, ils ont fait leurs études. Les rhumatologues sont calés sur les maladies, sur ma pathologie, mais moi je vis avec depuis mon adolescence. Et le fait de vivre avec, je me connais, je la connais ma maladie, je la pratique depuis tellement d'années. Et c'est ça qui est à prendre aussi en considération de leur côté, je pense. Alors aujourd'hui, on a des gens qui sont malades, qui vont tout de suite voir Internet, et puis Internet souvent il y a à boire et à manger dessus , c'est catastrophique. Mais non, là, c'est des années et des années avec ma pathologie.

  • Giulietta

    Et comment est-ce que tu l'as trouvé, ce médecin ? C'était un hasard ? Tu as juste voulu aller consulter dans cet établissement ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai pris le premier, c'était le bon. J'ai eu de la chance.

  • Giulietta

    Et tu as l'impression que dès la première séance, il était déjà très à l'écoute ? Ou c'est une relation que vous avez co-construite ?

  • Speaker #0

    On l'a co-construite. J'ai dit qu'il m'avait donné son numéro de portable, mais peut-être pas tout de suite, en fait. Ça a peut-être été au bout de 3-4 visites avec lui. Mais c'était une marque de confiance que j'ai beaucoup appréciée.

  • Giulietta

    C'est marrant, ça ressemble vraiment à un date, ce que tu racontes. Comme si tu avais eu plein de relations moyennes, et tout d'un coup, c'était le bon qui arrivait. De ce que j'ai entendu, c'était un peu le cas pour pas mal de gens de mon entourage qui vivent avec une maladie, et ça a été mon cas aussi. Il faut se faire confiance. Et si jamais on n'a pas les réponses à ces questions, il faut s'autoriser à avoir quelqu'un d'autre, en fait, et avec un peu de chance, à un moment, on rencontrera quelqu'un qui saura y répondre correctement. Effectivement, je reprends une situation. J'ai eu des cours sur ma maladie il y a un mois, un mois et demi, et j'étais avec d'autres personnes qui ont la même maladie. Il y avait une dame qui a commencé un traitement il y a six mois, qui a des effets secondaires atroces, qui ne sont pas compatibles avec une vie normale. Elle a écrit à son neurologue... Et elle attendait la réponse trois semaines après. Et elle disait "Mais je consulte dans deux semaines". Donc elle s'est dit "Pendant cinq semaines, je vais continuer à vivre avec ces symptômes horribles". Et en fait, elle ne s'autorisait pas à relancer, à appeler le secrétariat. Donc quand il y a une situation grave, des douleurs ou quelque chose comme ça, en fait, il ne faut pas rester...

  • Speaker #0

    Il faut agir. Et puis, moi, j'ai la chance d'avoir le numéro de portable. Mais je crois qu'on devrait tous avoir... Enfin, quand on a une pathologie comme ça, on devrait tous trouver un médecin qui nous fasse suffisamment confiance aussi pour pouvoir échanger de manière plus humaine. Tout simplement.

  • Giulietta

    Ben oui, je suis d'accord avec toi. Et quand on ne s'autorise pas à dire quelque chose à son médecin parce qu'on a peur qu'il nous juge, déjà c'est un peu mal parti.

  • Speaker #0

    Il faut savoir aussi qu'il y a la maladie et ses symptômes, mais il y a aussi ce qu'on ressent de tout ça, mes frustrations, mes colères. Je trouve ça important d'en parler à son médecin aussi. Le rhumatologue, je pense qu'il doit avoir ce rôle. Pas seulement de traiter l'articulation, parce qu'il y a quelque chose autour de cette articulation. En plus, on dit que c'est une maladie psychosomatique. Donc ça veut dire que le stress, la colère, la frustration, tout ça, ça donne des douleurs. Effectivement, dans les grosses périodes de stress, je peux avoir les genoux qui enflent.

  • Giulietta

    Est-ce que tu as d'autres personnes à qui tu parles et qui sont susceptibles de comprendre ? Je ne sais pas si tu es dans une association de patients, si tu es sur des gros Facebook ou des choses comme ça qui pourraient te permettre d'échanger avec des personnes.

  • Speaker #0

    J'avais essayé une association et en fait je pense que c'était plus pour les traitements. En fait non, avant 2012, j'y étais allée aussi parce que j'étais vraiment dans une crise très très sévère qui m'a fait redouter le fait de ne plus pouvoir, d'être vraiment coincée en fait, de ne plus pouvoir faire tout ce que je voulais. Et ça c'était avant d'avoir mon traitement qui me fait du bien aujourd'hui. J'ai cherché de l'aide parce que j'avais besoin. Qu'est-ce que je pouvais faire ? Il y a ma vie qui partait là. Tellement de douleur. J'étais coincée. Même la nuit, je ne dormais pas parce que la douleur me réveillait la nuit. J'avais les articulations en feu, la colonne vertébrale. Je ne pouvais pas tourner la tête. Les coudes, les genoux, les chevilles, il y a tout qui me brûlait.

  • Giulietta

    Et tu avais eu le sentiment que ça t'avait apporté quelque chose ?

  • Speaker #0

    Ça m'a fait du bien de raconter des fois et de voir. On n'est pas tout seul effectivement, ça peut être bien. Aujourd'hui, mon traitement me permet de me débrouiller tant que je peux danser. D'ailleurs, quand on m'a changé mes hanches en 2021, c'était ma crainte de ne pas pouvoir redanser et de devoir dire adieu à tout ça. En fait, c'est même mieux qu'avant, donc ça va.

  • Giulietta

    C'était un sujet qui avait été évoqué, le fait qu'après l'opération des hanches, tu pouvais...

  • Speaker #0

    En fait, des changements de prothèse de hanche, ça peut être un peu compliqué. J'avais toujours lu qu'on avait des moins bons résultats avec une reprise de prothèse que la mise en place de vraies prothèses. En fait, moi, mes prothèses, j'en ai mis en 93 et en 98, je crois. Et elles sont tellement vieilles que même aujourd'hui, avec la nouveauté, les efforts et les progrès qu'il y a eu en médecine, ça me permet quand même d'avoir quelque chose de bien mieux, d'avoir une petite bille en céramique plutôt que le titane. C'est la tête, juste la tête. Mon chirurgien, qui est extraordinaire, a été chercher la dernière bille qui restait en France. La dernière bille compatible avec mes vieilles prothèses. J'ai eu beaucoup de chance de l'avoir parce que j'en avais consulté un autre qui lui voulait tout changer. Lui, il a fait l'effort d'aller chercher ma dernière bille pour me donner ce confort exceptionnel. Il a remplacé une grosse bille. qui me limitait dans les mouvements par une toute petite, qui améliore grandement les choses. Et ça a été ensuite un travail avec un excellent kiné. Dans la douleur, parce que le fait d'être limité dans les mouvements, ça fige les muscles, ça fige les tendons. Et donc, pendant un an, on a tiré dessus pour... C'est douloureux, mais on a bien tiré dessus pour que je puisse récupérer le maximum de mouvements.

  • Giulietta

    Mais tu m'as parlé là spontanément de ton rhumatologue, mais je me souviens maintenant que... En fait, tu as aussi un chirurgien qui est extraordinaire et tu avais vu quelqu'un d'autre qui ne te convenait pas du tout. Et ton kiné, qui est aussi génial.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui. J'ai eu de la chance. Alors le chirurgien, c'est mon rhumatologue qui me l'avait conseillé. Et moi, j'avais été en chercher un que j'avais vu sur Internet, qui avait un site Internet magnifique, très alléchant. Il s'est avéré qu'il était très fort en marketing. Je pense que je ne l'intéressais pas beaucoup. Je pense qu'il préférait... Il s'occupait peut-être de grands sportifs, mais moi il n'avait pas envie de s'embêter à me changer et me mettre juste un truc sympathique. Il voulait tout changer, tout couper, alors que ce n'était vraiment pas nécessaire. Et mon kiné, alors j'ai eu énormément de chance parce que j'ai cherché un kiné proche de mon domicile. Tous les cabinets étaient saturés de monde. Peut-être l'après-Covid, où tout le monde s'est fait opérer, il y avait la queue dans les blocs opératoires, peut-être. Et donc, à ce moment-là, je n'ai pas trouvé de kiné. J'ai dû attendre. En fait, j'aurais pu commencer la kiné en janvier, je l'ai commencée en mars, parce que je ne trouvais personne. Mais en fait, à côté du bureau... par chance, j'ai trouvé. Et c'est le bon. C'est le bon parce qu'il est extraordinaire. C'est quelqu'un qui travaille beaucoup sur la posture, qui prend son temps, c'est un coach. En plus d'un kiné, c'est un coach.

  • Giulietta

    Dans quelle mesure c'est un coach ?

  • Speaker #0

    Il pousse, il pousse toujours. Comme si j'étais une grande sportive, en fait. Il ne fait pas de différence entre le grand sportif à côté et puis moi. Donc il me considère comme n'importe qui, en fait. Et donc, il me fait avancer, il a su gérer ma personnalité, c'est-à-dire qu'il arrive à trouver l'équilibre, à me pousser sans trop me demander. Il connaît ma limite en fait, mieux que moi, et c'est ça qui m'a impressionnée.

  • Giulietta

    Mais ce que tu dis, ça me fait vraiment penser à ce que Thibaut dit dans le premier épisode, sur la notion de pitié, en fait, que ce dépassement de soi, c'est parce que souvent, les personnes ont une réaction qui est maladroite et qui est de la pitié de te mettre dans une catégorie, un petit peu dans une petite bulle, où là, on ne va pas trop la solliciter, on ne va pas trop lui en demander. Je n'ai pas de solution, ni de toute faite par rapport à ça, mais je trouve ça effectivement très triste que... quand on évoque notre état de santé, on nous met dans une case et qu'on ne prenne pas le temps de nous demander, nous, comment on perçoit les choses et qu'on verbalise nos limites, en fait, parce qu'en soi...

  • Speaker #0

    Après, peut-être qu'il y a des personnalités très différentes et mille manières de gérer sa maladie. Et du coup, c'est difficile. Alors, certains voudront qu'on les pousse.

  • Giulietta

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    Et d'autres, à l'inverse, voudront être un petit peu... se faire chouchouter et qu'on fasse attention à eux. C'est difficile de trouver l'équilibre. Et c'est ça tout l'art du... du soignant, tout l'art du kiné, du rhumato, du chirurgien. C'est de trouver l'équilibre et de trouver, comme on le sait, du savoir-être avec le patient.

  • Giulietta

    Je suis entièrement d'accord avec toi. Il y a vraiment toute une relation à animer. Et comme tu le dis si bien, quand on est détendu par rapport à ce qui va se passer, qu'on comprend bien les tenants et les aboutissants, ça débloque. Je reparle d'un autre épisode, mais dans le deuxième épisode qui n'est pas sorti au moment où on enregistre, Albert, qui a un souci aux yeux, expliquait qu'au tout début, il voyait flou au sens littéral et au sens figuré, qu'il ne comprenait pas où il allait et que personne ne savait lui dire et que maintenant qu'on lui a clairement expliqué le protocole et qu'il sait où il va, c'est lui qui adapte son quotidien à ce qui se passe. C'est très important et j'espère... que ça va changer, mais que le personnel soignant aussi intègre cette dimension humaine qui fait que ça marche.

  • Speaker #0

    Ils doivent réaliser qu'ils travaillent avec l'humain. Alors l'humain, c'est complexe, tout le monde est différent, mais quand on travaille avec l'humain, il faut être un peu artiste aussi.

  • Giulietta

    Je suis entièrement d'accord avec toi. Est-ce qu'il y a des points, toi, que tu souhaites évoquer ou des questions que tu as avant que je passe à ma dernière question ?

  • Speaker #0

    Non, je crois que j'ai dit tout ce que j'avais à dire.

  • Giulietta

    Alors, ma dernière question, je me doute que l'exercice n'a pas été facile pour toi. Vu que tu es d'un tempérament relativement discret, et je présume assez pudique, pourquoi est-ce que tu as accepté de parler ?

  • Speaker #0

    C'est pudique qui me fait rire là, parce que pudique, mais en fait ça ne me dérange pas d'aller défiler sur les Champs Elysées avec mes plumes. J'aime bien, je suis tout, et son contraire, j'aime beaucoup. Je n'ai pas accepté d'en parler, en fait j'ai eu envie de t'aider à avancer dans ta maladie, et je me suis dit "tiens pour une fois que cette maladie va me servir à quelque chose". J'ai eu envie de... Voilà, je me suis dit, ça change la donne, en fait, de pouvoir l'utiliser pour rendre service. Pas de rendre service, c'est entre guillemets, mais je ne vis pas ça comme une acceptation de le faire, mais vraiment l'envie de... de te faire avancer sur tes sujets.

  • Giulietta

    C'est trop gentil. C'est marrant parce que j'ai eu un peu le même sentiment. Pour expliquer, on a pris ce café où on a parlé pendant une heure ou une heure et demie et où c'était une conversation fluide et où on s'est dit des choses très personnelles qu'on n'avait pas eu l'occasion d'évoquer dans une vie précédente. Je suis sortie de là et je me suis dit que c'était vraiment bien quand même, mais je n'osais pas te proposer parce que je me suis dit "bon je suis pas sûre que ça passe" puis après j'ai réfléchi et je me suis dit "quand même c'était vraiment très très intéressant, je trouve ça beau si on peut l'enregistrer" et j'avais le le sentiment aussi que en fait tu t'épanouissais vachement dans le fait de parler et là par exemple t'étais pas sûre d'énoncer parfaitement les choses et je trouve que c'est très fluide. J'ai l'impression que chacune, on a fait un bout de chemin.

  • Speaker #0

    Oui, on a fait un bout de chemin, et notamment notre précédente discussion, la première, m'a fait avancer sur mon sujet, m'a fait prendre conscience que j'étais dure avec moi, que j'étais dure aussi avec les autres, qui ne comprennent pas forcément, mais que j'étais dure sur le fait que je voulais rendre invisible cette maladie, et que parfois, il pouvais m'arriver de leur reprocher qu'ils ne soient pas plus doux avec moi, plus vigilants. J'ai réfléchi sur tout ça, j'ai trouvé ça intéressant. Donc merci pour l'échange, ça a été vraiment un partage.

  • Giulietta

    Oui, je suis d'accord avec toi. Et est-ce qu'il y a des choses qui ont changé ? Ou pour l'instant, c'est juste à l'état de concept, et tu as pris conscience de ces choses-là ? Ou est-ce que tu as le sentiment quand même de, par touches, exprimer des petites choses ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est assez nouveau. J'ai l'envie d'être moins invisible. Je ne sais pas. Je ne sais pas si c'est à partir de cette démarche, mais j'ai toujours été discrète, un peu sauvage, parce que j'ai du mal à me dévoiler justement, parce que c'est un secret tout ça, je cache des choses. Et aujourd'hui, je pense qu'en tant que chèvre boiteuse, j'ai bien d'autres qualités, et je suis quelqu'un qui a plein d'activités, plein de passions. et je suis sûre que ça peut intéresser et que je suis intéressante mais bien évidemment j'ai envie d'être moins invisible

  • Giulietta

    C'est trop bien. J'avais une question et je l'ai oubliée parce que tu as parlé de chèvres. Eh bien oui, je ne sais plus. Je réfléchis. Oui, le fait que tu parles autant de chèvres, ça me fait penser : je ne sais pas si tu connais le podcast Les Couilles sur la Table. C'est un podcast qui interroge la place de la masculinité dans l'espace public. Et la personne qui a créé ce podcast s'appelle Victoire Tuaillon. Et en fait, elle avait beaucoup de mal à accepter son corps. Et un jour, elle est partie en Espagne. Elle gardait des chèvres et elle s'est rendue compte qu'il y avait des chèvres qui étaient moins belles que d'autres, certaines qui avaient par exemple des pis plus bas que d'autres, tout ça, et qu'elles s'en foutaient. Et qu'elles interagissaient malgré tout, toutes ensemble, et que ça allait bien. Et donc elle s'est dit qu'elle aussi, elle voulait être une chèvre. Et donc ne pas se concentrer sur ses complexes, mais faire partie de la foule. Bref, ça m'a évoqué ça. Et je me dis, effectivement, les gens peuvent en savoir un peu plus sans te mettre dans une boîte, et c'est une telle richesse tout ce que tu as raconté. J'ai retrouvé ma question entre-temps : tu n'as pas témoigné de manière anonyme et tu as dit plus ou moins le biais par lequel on se connaissait. Par conséquent, peut-être que certaines personnes plus fines que d'autres vont comprendre qui tu étais. Comment tu te positionnes par rapport aux éventuels retours que tu pourrais avoir ?

  • Carole

    Je pense que j'assume complètement ma présence. Donc s'ils ont envie d'en parler avec moi, je suis complètement ouverte. Même si je préfère qu'ils retiennent mes passions, etc. mais je suis aujourd'hui assez ouverte sur le sujet donc pas de soucis.

  • Giulietta

    Un immense merci pour ta présence et pour tout ce que tu as partagé, c'était vraiment génial. Un immense merci à Carole d'avoir eu la gentillesse de témoigner sur lanomalie et d'avoir voulu partager avec vous et avec moi son parcours et son regard sur le monde. J'ai pris beaucoup de plaisir à réécouter les mots de Carole, le recul qu'elle avait sur sa personne et sa volonté d'aborder les choses avec plus de douceur et d'indulgence à l'avenir. Faites-moi confiance, je continuerai à prendre des nouvelles et je vous en ferai part si elle le souhaite. Cet épisode vous a plu ? Vous souhaitez réagir ? Écrivez-moi sur le compte Instagram de lanomalie, le lien est dans la description de cet épisode. Partagez-moi vos retours, qu'ils soient positifs ou plus circonspects, je les lirai avec plaisir. Si vous êtes d'humeur à déplacer des montagnes, vous pouvez attribuer une note et un commentaire au podcast, cela m'aidera beaucoup. Lanomalie est un podcast autoproduit par mes soins, entièrement conçu et imaginé entre Ménilmontant et le canal de l'Ourcq à Paris. Rendez-vous très bientôt pour le prochain épisode. D'ici là, prenez soin de vous.

Description

La spondylarthrite ankylosante est-elle compatible avec la pratique de sports extrêmes ? La rencontre avec Carole m'a permis de répondre par la positive, à condition de faire attention à ses limites.


Pour ce troisième épisode de lanomalie, je vous propose de rencontrer Carole, qui vit depuis son adolescence avec une spondylarthrite ankylosante. Il s'agit d'une maladie inflammatoire chronique dont les symptômes consistent en des douleurs quotidiennes intenses au niveau des articulations et, de fait, des mouvements limités.

180.000 personnes sont touchées par cette pathologie en France, c’est loin d’être un petit sujet !


Carole est une ancienne collègue à moi : ni elle ni moi n'avions évoqué, lorsque nous travaillions ensemble, nos problèmes de santé respectifs. Je suis donc particulièrement touchée qu'elle m'ait contactée pour échanger sur sa spondylarthrite ankylosante, avec laquelle elle vit depuis l'adolescence.


Avec Carole, nous avons évoqué des sujets structurants sur l’expérience de la maladie :

  • La frustration de ne pas pouvoir réaliser certaines actions, due à la douleur

  • Le fait de se créer une carapace, pour ne pas évoquer sa pathologie ou son handicap

  • Les difficultés induites par une maladie chronique et des symptômes quotidiens

  • La volonté de se dépasser, pour garder le contrôle sur le reste

  • L’importance du sport pour se réapproprier son corps et se vider la tête

  • La difficulté d'évoquer des sujets relatifs à sa santé ou à son handicap, dans un contexte professionnel

  • Le binôme patient / médecin, essentiel pour affronter sereinement les choses

  • La mise en place d'un traitement adapté, qui peut prendre du temps.

Carole se révèle au cours de l’enregistrement, partageant ses colères, sa détermination et sa sensibilité. J’espère que cet épisode vous touchera autant qu’il m’a émue.


💜 Vous souhaitez suivre lanomalie sur Instagram, rdv sur @lanomalie.media 


⚡️ lanomalie, c'est le podcast qui ouvre la discussion sur la maladie. Retrouvez chaque mois le parcours d'une personne concernée.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et si on parlait plus ouvertement de la maladie ? Dans l'imaginaire commun, quand la santé va, tout va. Partout on valorise un corps sain, qui tient la route, et dont on souhaite sans cesse repousser les limites. Dès lors, quelle est notre place quand on connaît ponctuellement ou plus durablement la présence de la maladie dans notre vie ? Je suis partie à la rencontre des personnes qui, tout comme moi, vivent en compagnie d'une maladie, car à mon sens, poser des mots sur un sujet encore tabou, ça fait du bien. Pour ce troisième épisode, je vous propose d'écouter le parcours de Carole, première femme à témoigner sur ce podcast! Carole est atteinte d'une spondylarthrite ankylosante. Il s'agit d'une inflammation chronique qui touche les articulations. Cela génère d'importantes douleurs et peut limiter la mobilité des articulations touchées. Cette maladie évolue par poussées qui peuvent causer un gonflement des articulations concernées associées à des douleurs intenses. Au cours de cet épisode, nous avons parlé de la frustration, de la tristesse et de la colère que peut générer la maladie, de la carapace qu'on peut se créer pour faire tout comme tout le monde quand on vit avec un handicap invisible, de l'importance des égards de l'entourage, du binôme patient-médecin et surtout de sa passion pour la samba. Vous l'entendrez, Carole se révèle au cours de l'épisode. D'abord réservée, elle s'ouvre au fur et à mesure jusqu'à dévoiler un tempérament audacieux, drôle et plein de tendresse, cela m'a beaucoup touchée. Il y a un peu d'écho au cours de cette discussion, j'espère que vos petites oreilles n'en prendront pas ombrage et que vous prendrez plaisir à écouter le témoignage de Carole. Je vous souhaite une très bonne écoute.

  • Giulietta

    Bonjour Carole et merci de ta présence avec moi pour l'enregistrement de ce troisième épisode. Comme je l'ai fait pour les autres épisodes, si cela te convient, je vais faire une petite contextualisation afin que les auditeurs et les auditrices en sachent un petit peu plus sur toi. Nous avons travaillé pour la même structure par le passé. A cette époque, j'avais compris que tu étais une personne très sympathique, mais qu'il ne fallait surtout pas t'embêter. De l'eau a coulé sous les ponts jusqu'à ce que je publie un post sur LinkedIn pour parler de ma démarche sur lanomalie. Dans l'heure, j'avais reçu un mail de ta part me proposant d'échanger, si j'en ressentais le besoin. Nous sommes allées prendre un café, et je n'avais pas trop de doutes sur le fait que l'échange serait passionnant. Je n'ai pas été déçue du voyage. C'est pour cette raison que je t'ai proposé d'enregistrer la suite de notre discussion, parce que je suis convaincue qu'elle pourra aider de nombreuses personnes dans leur parcours. Avant de commencer, est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?

  • Carole

    Non. Bonjour, déjà. Ma présentation est parfaite. Pour me présenter, j'ai 48 ans, je suis responsable de gestion dans un cabinet de conseil à Paris. De moi, je peux dire que je suis quelqu'un de passionné par l'art, notamment la musique et la danse. Je suis une personne sensible, très sensible. Je me qualifierais d'épicurienne. J'aime les plaisirs de la vie, j'adore manger, j'adore voyager, j'adore découvrir d'autres cultures. J'aime en particulier la mer et les fonds marins, parce que les fonds, c'est comme une parenthèse en fait dans ma vie. Ma principale caractéristique, c'est que je suis toujours en recherche d'amélioration. C'est-à-dire que si je peux bouger quelque chose et que j'ai la main dessus, alors je vais toujours avancer et puis me donner à fond pour une recherche d'amélioration constante.

  • Giulietta

    Ça ne m'étonne pas du tout. C'est marrant, mais tout comme Thibaut, tu te présentes par les choses que tu apprécies et tes plaisirs. Je trouve ça très joli de dire ça. Sans surprise, tu ne parles pas de ta pathologie.

  • Carole

    Sans surprise, effectivement. C'est quelque chose que je souhaite cacher au maximum.

  • Giulietta

    Et est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Carole

    Oui, je peux en dire plus. C'est une pathologie sur laquelle on a eu du mal à mettre un nom. En fait, c'est une pathologie qui est apparue à mon adolescence, quand j'étais en cinquième, fin de cinquième, début de quatrième. Et ça a commencé par une douleur à une hanche. Et petit à petit, le cartilage de ma hanche s'est dégradé et il a fallu attendre la fin de ma croissance pour me mettre une première prothèse totale. On ne savait pas trop, on n'avait pas diagnostiqué, on m'a parlé de rhumatisme, d'arthrite juvénile chronique, de plein de choses, surtout au moment où la douleur qui était passée du côté droit, puisque la hanche avait été opérée, est passée à gauche, quelques temps ... tout de suite après, hein. Mais le temps qu'elle se dégrade, il a fallu 2-3 ans avant l'opération de la deuxième prothèse de hanche. Et puis les douleurs sont parties dans les genoux, et puis les chevilles, les pieds, les coudes, la mâchoire, la colonne vertébrale, les cervicales, les lombaires. On m'a parlé de polyarthrite, on m'a parlé de spondylarthrite. Aujourd'hui, je pense que c'est une spondylarthrite. On a plus, dans mes statistiques, parlé de spondylarthrite ankylosante.

  • Giulietta

    Donc le diagnostic n'est pas vraiment posé ?

  • Carole

    Ça tourne, ça tourne, c'est compliqué. J'ai du mal à m'identifier dans la spondylarthrite ankylosante parce que ce que je vois... On regarde beaucoup internet, on regarde les autres personnes, comment ça se passe chez eux. J'ai du mal à m'identifier exactement. C'est peut-être une spondylarthrite périphérique, puisqu'elle a touché les grosses articulations (hanches, genoux). Je dirais que j'ai de l'arthrite. Avec une maladie auto-immune, avec toutes ces joyeusetés qui peuvent toucher la peau, avec du psoriasis, qui peuvent toucher les yeux, avec les uvéites, toutes les joyeusetés d'une maladie auto-immune.

  • Giulietta

    Mais même si le... Le nom de ta pathologie n'est pas certain, visiblement le traitement que tu prends fonctionne et te soulage.

  • Carole

    Alors depuis 2012 oui mais avant ça, c'était avant de trouver mon rhumatologue, avec qui je fais équipe aujourd'hui. Et avant lui, je suis passée par des moments très difficiles où j'avais l'impression de ne pas être prise en considération au niveau de la douleur, ou quand j'avais un genou enflé, mais vraiment très très enflé, et en plus on sait que quand le genou est enflé, il s'abîme au niveau du cartilage, donc il y a la peur de la prothèse. À partir du moment où j'avais cette douleur, il me fallait six mois pour avoir un rendez-vous pour une infiltration par exemple. Ce n'est pas humain de laisser attendre les gens dans une douleur comme ça.

  • Giulietta

    J'imagine bien. Oui, carrément. Je bouleverse un peu l'ordre de mes questions, mais je pense qu'il y a des personnes qui peut-être écouteront cet épisode et qui en sont au moment où ils découvrent le fait qu'ils ont une maladie, qu'ils vivent peut-être les symptômes que t'as vécu toi à l'époque. Comment est-ce que t'avais vécu les choses quand tu étais très jeune ? Tu t'es construite en tant que jeune femme, puis en tant que femme, avec cette maladie qui était douloureuse, qui a pris beaucoup de temps, qui a induit des opérations, des hospitalisations, de la douleur, comme tu l'as dit. Quel est le souvenir que tu en as ?

  • Carole

    Très mauvais souvenir. Surtout à l'adolescence. Moi, j'étais une gamine qui adorait courir. J'adorais l'athlétisme. Donc quand ça tombe avec la hanche comme ça, qui ne nous permet plus de faire ce qui nous passionne, c'est le pire qui nous empêche de faire des mouvements. Le commun des mortels fait sans se poser de questions. On ne se construit pas de manière normale. On est bancal. Moi, j'ai eu une vie remplie de frustration. Aujourd'hui, il ne se passe pas un seul jour sans que la maladie revienne à mon bon souvenir. Elle est là, elle ne me quitte pas. Tous les jours, j'y pense. C'est depuis mon adolescence.

  • Giulietta

    Quelle est la place que tu donnes, toi, à ta maladie dans ta vie de tous les jours ?

  • Carole

    C'est mon combat de tous les jours. Tous les jours, je fais en sorte qu'elle arrive à la dernière place. Donc ça passe par plein de choses. C'est pour ça que je pense que je suis une épicurienne et une passionnée, parce que c'est ça qui me permet de... C'est mon moteur pour me la faire oublier. Enfin, oublier. Comme j'ai dit, je ne passe pas une journée sans y penser, puisque ça induit beaucoup de fatigue et de douleur au quotidien. Mais voilà, c'est ça aujourd'hui qui est mon moteur et qui me permet de faire face. Mais on ne se construit pas. C'est une vie remplie de frustrations, parce que même certaines passions, sur lesquelles je suis à fond dedans. Par exemple, la danse, une danse que j'arrive à très bien faire, mais il y a quand même par moments des mouvements qui ne me sont pas accessibles. Et alors ça, c'est une frustration, parce que je ne sais pas que je n'y arriverai pas, c'est que je ne peux pas.

  • Giulietta

    Sur les deux premiers épisodes, on avait un ton qui était relativement bienveillant et un petit peu de bonne humeur en disant "on recompose les choses, o n essaie de s'adapter à son environnement, tout ça. Ça permet de découvrir de nouvelles choses ou de les aborder différemment". Mais en fait, on n'a pas encore évoqué le fait que, parfois, on ne peut pas. Et qu'il faut accepter ou qu'il faut se faire à l'idée, malheureusement, de ne pas pouvoir faire quelque chose. Toi, quel a été ton parcours par rapport à cette frustration ? Est-ce que c'est un sujet avec lequel tu n'arrives pas à composer ? Comment ça se passe ?

  • Carole

    Je gère très mal la frustration. Alors... J'ai essayé de me faire accompagner, mais c'est quelque chose qui génère beaucoup de tristesse en moi. Et je pense que c'est une tristesse qui peut se voir et qui peut mettre les personnes à distance. Ça me rend un petit peu sauvage, ça me rend dure parfois avec certaines personnes. Donc c'est quelque chose vraiment que, aujourd'hui, je ne peux pas dire que je gère ma frustration. Elle est là, elle est bien présente, il faut que je compose avec.

  • Giulietta

    J'aime bien le fait que tu dises composer avec et que tu ne veuilles pas l'enlever. Je trouve que c'est bien aussi d'accepter ses failles. C'est comme ça que tu abordes les choses et c'est normal d'être en colère et d'être frustrée, je trouve ça très bien. Un exemple, moi, dans mon cas, j'ai très peur de faire des IRM. C'est très récent que j'accepte de prendre un petit Lexomil avant d'y aller parce que je voulais me battre contre moi et apprendre à maîtriser ça. Et je m'étais dit, il faut que tu fasses une thérapie. En fait, non, c'est comme ça. Et c'est une partie de ma personnalité qui ne bougera pas. La maladie induit tellement de difficultés au quotidien qu'il faut aussi accepter les choses qu'on ne peut pas modeler.

  • Carole

    Oui, et puis, alors, tu me fais penser, toi, tu as peur des IRM. Quand j'ai eu cette maladie, moi, j'avais peur des aiguilles. Ça a mis du temps, mais j'ai fini par me faire mes piqûres dans le ventre toute seule. Finalement, je ne pensais pas que ça serait possible, parce que vraiment, les aiguilles, une prise de sang, j'y pensais longtemps à l'avance. Mais aujourd'hui, ça va.

  • Giulietta

    Oui, il y a des choses qui bougent, rien n'est figé. Donc là, on est en train de parler de toi. Le souvenir que j'ai de notre cadre professionnel, c'est que tu ne l'évoquais pas, pas en tout cas avec tout le monde. Dans quel cadre tu évoques ce sujet ?

  • Carole

    Alors c'est vrai que je ne l'évoque jamais, sauf quand ça doit influer sur ma sécurité. Ma sécurité physique, ma sécurité aussi psychologique, c'est important aussi, mais surtout physique. Par exemple, s'il y a quelque chose que je ne peux pas faire, je suis obligée de le dire. Moi, je sais ce que je peux faire, ce que je ne peux pas faire, je me connais bien, je suis obligée de le dire. C'est pareil en cours de danse, quand je ne peux pas faire un truc, j'en informe la professeure parmi les autres, ça me met dans une situation où je déteste, mais je le fais. C'est ma sécurité d'abord, en fait. C'est la priorité.

  • Giulietta

    Et ta professeure de danse, elle est au courant de ce que tu as ou elle est juste au courant qu'il y a des choses que tu ne peux pas faire ?

  • Carole

    Alors, au début, dans ma vie, quand j'allais dans mes cours de danse, je prévenais l'enseignant. Et je me suis aperçue que pour certains, on me mettait complètement de côté en se disant "bon, si elle ne fait pas les trucs, peut-être qu'elle gère toute seule". Donc, on ne me corrigeait jamais. Alors que moi, j'ai envie qu'on vienne me voir quand même pour me dire "Tiens, tu pourrais faire ça de telle façon, essaye comme ça". J'ai besoin quand même qu'on me pousse un petit peu pour me faire avancer, qu'on me dise ça, ça, c'est pas bien, parce qu'il y a quand même des choses qui ne sont pas bien et que je peux faire. Il n'y a que moi qui peut dire si je ne peux pas faire les choses. Et donc, aujourd'hui, j'évite de le dire, sauf au moment où je suis au pied du mur et que là, je n'ai pas le choix.

  • Giulietta

    Tu as déjà eu des personnes qui arrivaient à composer avec ça correctement ou tu as toujours été déçue de la manière dont on te mettait un petit peu à part parce qu'on imaginait tes limites ?

  • Carole

    Alors c'est très compliqué, je pense. J'ai un positionnement et je m'en suis aperçue, ça m'a fait réfléchir la dernière fois qu'on s'est vues. En fait, c'est que j'ai un positionnement très compliqué. D'un côté, je fais tout pour rendre ma maladie invisible, et de l'autre, je souffre que certaines personnes ne considèrent pas assez le fait que je sois malade. Qu'elles ne prennent pas en compte que le fait d'avoir mal tout le temps, ça génère de la fatigue. Ne pas prendre ça en compte, ne pas se dire, bon, elle ne dit rien, donc tout va bien. Mais ce n'est pas, non, tout ne va pas bien. Tout ne va pas bien. Je pense que ma famille a oublié que j'étais malade. Ma victoire, c'est que je l'ai rendue super invisible. Tout le monde a l'impression que je suis normale et tout ça. Mais j'aimerais bien qu'à un moment, on me demande comment je vais. Et où j'en suis.

  • Giulietta

    Est-ce que tu arrives à mettre le sujet sur la table ou c'est délicat ?

  • Carole

    Non. Je ne mets pas... Enfin... Je n'y arrive pas.

  • Giulietta

    Je comprends.

  • Carole

    Mais j'aimerais que ça vienne d'eux, qu'ils me demandent vraiment "Comment tu vas ?". Vraiment. Tout simplement.

  • Giulietta

    Oui, je comprends totalement. C'est difficile. Thibault l'exprimait super bien dans le premier épisode. Il est beaucoup plus empathique que moi, par exemple. Et il disait que c'est difficile pour une personne qui n'est pas confrontée à ça de se projeter, de comprendre. Et soit c'est trop d'inquiétude, et là c'est énervant, soit ce n'est pas du tout assez...

  • Carole

    Oui, et on a notre part de responsabilité du coup, puisque moi je fais tout pour être combative, que ce soit invisible, donc j'ai ma part de responsabilité sur le sujet, j'en suis consciente.

  • Giulietta

    D'accord. Tu m'as parlé la dernière fois de toutes tes activités qui n'ont absolument rien de conventionnel. Pour une personne lambda, c'est déjà énorme, mais compte tenu des difficultés que tu peux avoir au quotidien, c'est d'autant plus inspirant. Comment est-ce que tu expliques cette volonté d'être aussi active et un petit peu extrême quand même, il faut le dire ? Est-ce que c'était présent en toi ? Ou ça s'est révélé au fil du temps et sans doute la maladie a joué un rôle ? Ou est-ce que ça fait partie du chemin pour te réapproprier ton corps ?

  • Carole

    Alors, je ne peux pas dire si c'était présent en moi, puisque c'est une maladie qui s'est déclarée quand j'étais en cinquième, quatrième. Donc je ne sais pas ce qu'aurait été ma vie si je n'avais pas eu cette maladie. Par contre, ce que je sais, c'est que cette maladie, la Spondylarthrite ankylosante, pour moi c'est ça, c'est ce que j'ai entendu. Ankylosante, ça veut dire qu'aujourd'hui, si je ne bouge pas, je m'ankylose. Donc il faut bouger, on a mal, ce n'est pas grave, mais ce qui me sauve aujourd'hui, c'est le fait que je bouge beaucoup. Et ce qui me fait bouger, la seule chose qui me fait bouger, en oubliant un petit peu, en supportant ma douleur, c'est la danse. Je pense que chacun doit trouver une activité, l'activité qui... qui lui fasse, entre guillemets, vriller le cerveau, qui soit suffisamment motivante et stimulante pour oublier tout le reste à côté. Alors pour moi, c'est explorer les fonds marins, snorkeling ou plongée libre. C'est aussi la danse, en particulier la samba. Alors ce qui est drôle, c'est que la samba, c'est quelque chose, une activité qui est axée beaucoup sur les hanches. Des hanches qui vont de droite à gauche. Donc oui, j'ai des prothèses, mais j'arrive à bien bouger mes hanches. Alors je ne fais pas le grand écart, je suis limitée en flexion, en extension, etc. Mais mes hanches, je peux les secouer de gauche à droite facilement. La samba, c'est la fête. Pour moi, qui ai beaucoup de colère, de tristesse aussi en moi, danser la samba et faire une fête, c'est... ben voilà, je... ! Ça me booste. Et ça m'oblige à... Ça m'oblige, pas à faire la fête, mais ça m'oblige à me stimuler. Ça me fait du bien.

  • Giulietta

    Oui, c'est un soin à la fois pour le corps et pour l'esprit.

  • Carole

    Oui, c'est ça.

  • Giulietta

    Alors je sais pas si c'est dans ta personnalité, mais parfois on peut avoir un moment de censure à l'idée de commencer une nouvelle activité. Tu devais avoir à la fois des limites physiques et des limites un peu mentales. Comment tu t'es tournée vers la samba et la danse ?

  • Carole

    La samba, j'en avais fait déjà il y a 20 ans, quand j'étais arrivée sur Paris. C'était la première activité dans laquelle je m'étais inscrite. J'avais toujours voulu faire de la danse, et du coup... Il n'y avait que la samba. J'aimais bien les percussions. Ça nous met dans une espèce de transe. C'est cet état qui permet de ne plus penser à la douleur. Je ne sais pas si les personnes qui vont danser la salsa, par exemple, et qui sont des mordues de salsa, ils remarqueront que lorsqu'ils vont en soirée danser, même s'ils sont enrhumés, ils ont une sinusite, le nez qui coule, etc. Le moment où ils vont danser, le nez ne va plus couler. C'est assez miraculeux, je ne peux pas l'expliquer. Je pense que c'est l'état de transe qui est en nous. Il faut vraiment quelque chose qui place. J'avais essayé la musculation, le sport en salle. C'est trop de douleur. Mon cerveau ne suit pas. Et donc, je ne pense qu'à la douleur. Et ça ne marche pas, du coup.

  • Giulietta

    Et là, actuellement, quand tu danses, tu as un moment où, justement, d'échauffement. Où tu peux avoir tes douleurs qui restent et ensuite ça passe ? Ça se passe comment sur le plan physique ?

  • Carole

    Alors, mes activités sont plutôt le soir. Donc en fait, mes douleurs, c'est plutôt le matin au saut du lit, quand je suis un petit peu engourdie de ne pas avoir bougé toute la nuit. Du coup, dans la journée, ça a le temps de chauffer un petit peu.

  • Giulietta

    D'accord. Je vais poser maintenant la question que j'avais appelée "Moldue". Pour réexpliquer, j'ai demandé à ce que tu proposes à quelqu'un de ton entourage de poser une question qui nous serait adressée à toutes les deux. Et donc la question, c'était "est-ce que c'est la maladie qui t'a fait devenir ce que tu es, ou bien tu aurais de toute façon été ?" et les adjectifs proposés sont "battante", "reloue", "extrême". Quel est ton retour là-dessus ?

  • Carole

    C'est indéniable. Oui, bien sûr, ça m'a rendue... Très combative. En fait, ça m'a obligée, enfin moi, je me mets tellement de pression sur moi, parce que j'ai l'impression d'être un peu... peut-être un peu bancale, c'est-à-dire dans un troupeau de chèvres. Moi, je vais être la chèvre boiteuse. Et du coup, j'ai l'impression de devoir compenser au maximum pour faire oublier. Ça a été compliqué pour moi professionnellement, surtout en démarrant, puisque je n'avais pas trouvé mon médecin qui me permettait de gérer mieux ma maladie. Donc professionnellement, il arrivait des moments où j'avais des crises ou des douleurs qui étaient insupportables. Ça durait dans le temps. et j'étais obligée de... Enfin, je me sentais, moi, obligée, par rapport à mes employeurs, de compenser par plein d'autres choses. Et ça, c'est insupportable, en fait, cette manière de... Alors, c'est bien, je veux dire, ça m'a permis d'évoluer. C'est ça qui, je pense, fait que je me perfectionne tout le temps ou que j'ai tout le temps envie d'apprendre, parce que je compense, en fait. C'est tout le temps de la compensation. C'est usant, aussi.

  • Giulietta

    Oui, c'est ce que j'allais dire, c'est fatigant aussi. Et t'es toujours dans ce rapport-là de vouloir compenser ?

  • Carole

    Toujours. C'est pénible, mais toujours. Parce que je veux pas... J'ai l'impression d'être la chèvre boiteuse du troupeau, en fait. Et de devoir montrer... plein d'autres facettes de moi pour le rendre supportable aux autres.

  • Giulietta

    Est-ce que, du coup, le fait que tout à l'heure, je mentionne la perception que moi j'avais de toi et que je n'avais absolument rien remarqué, ça te rassure ?

  • Carole

    Oui, ça me rassure. En fait, j'ai une vision très dure de moi. Et du coup, je me vois plus sauvage que je ne le suis, je me vois plus méchante que je ne le suis. Et du coup, si quelqu'un arrive à percevoir ce côté un peu sensible et doux, finalement, de moi. J'aime bien. Ça me fait plaisir.

  • Giulietta

    Mais tu es très douce. Je ne sais pas si je garderai ce bout-là, mais sache que Mathieu parlait de toi avec des étoiles dans les yeux quand on était au cabinet.

  • Carole

    C'est vrai ?

  • Giulietta

    Et vraiment, il disait que c'était incroyable d'être avec toi et qu'il rigolait énormément. Donc je pense que c'est à ce moment-là que je me suis dit " Mhh il doit y avoir quelque chose que je n'avais pas vu".

  • Carole

    Oui, on a passé de bons moments. On avait des passions communes, les films de Marvel par exemple !

  • Giulietta

    Moi, pour répondre à cette question, "est-ce que c'est la maladie qui m'a fait devenir ce que je suis ?", je me répète par rapport aux premiers épisodes, mais ça m'a posé les bonnes questions plus tôt. J'étais un petit peu, sans doute, nombriliste, égocentrique. Et ce n'est pas possible de le rester quand on a une maladie, parce qu'à un moment, il faut lâcher prise. Et accepter qu'on a des limites, ça c'est le premier point. Donc ça a accéléré les choses, je présume que c'est un cheminement que j'aurais eu plus tard en vieillissant, mais je me suis posé ces questions-là à 20 ans. Il y a juste une chose, je pense que ça a changé, c'est sur mon rapport au corps, étonnamment. J'ai un rapport assez dur à mon corps, que j'ai jamais vraiment apprécié, et dans lequel je me sentais assez mal. Et en fait, le fait d'avoir cette maladie, je me suis dit qu'il fallait que j'en prenne soin. Et je me suis mise à l'escalade. Et c'est ma manière de me faire du bien et mes médecins m'ont dit que c'était bon pour ma maladie parce que ça fait travailler l'équilibre, le gainage, c'est doux. Et en fait, j'y vais vraiment pour me faire du bien dans mon esprit, mais aussi dans mon corps. Je vois mon corps évoluer et je suis bouleversée de le voir changer. Et ça m'a permis vraiment de recomposer un peu les choses et de me dire "ok, il y a aussi des choses positives qui peuvent venir". Et donc, ça me permet d'apprécier plus facilement mes limites. J'ai des symptômes qui ne sont pas très... Enfin, des petits symptômes, mais par exemple, j'ai un petit symptôme urinaire que je n'assume pas franchement où j'ai envie de faire pipi comme une femme enceinte. Et c'est un peu dur à 29 ans de se dire ça. Et donc, en fait, je me dis "bon mais d'un autre côté, j'arrive à grimper des choses que je n'aurais jamais grimpées auparavant et j'arrive à le faire". Et je suis trop fière de ça. Et donc, ça met de côté un peu ces trucs un peu honteux.

  • Carole

    Est-ce que l'escalade te fait penser à autre chose que ta maladie à ce moment-là ? Est-ce qu'il y a une parenthèse ?

  • Giulietta

    Je n'y pense pas tout le temps, mais en tout cas, je sais pas comment dire, mais quand je sors de là, je m'aime.

  • Carole

    Ah oui, c'est sûr, ça fait du bien, oui. Je comprends ce que tu dis quand tu t'aimes ensuite. La samba, pour moi, c'est pareil. Et c'est aussi la féminité, c'est plein de choses qui sont là et qui sont compliquées parfois.

  • Giulietta

    C'est ce que j'allais dire, c'est quand même une féminité assez exacerbée.

  • Carole

    Oui, c'est la samba de carnaval. Ce n'est pas la samba de couple en danse latine sportive, c'est de la samba de carnaval. C'est Rio avec les strass, les plumes.

  • Giulietta

    C'est trop bien, c'est une autre facette de toi que tu exprimes par ce biais-là. Je prends un peu une autre thématique. Tu as beaucoup parlé de ton binôme, la première fois qu'on s'était vues, avec ton médecin. Et tu as repris ce terme aujourd'hui, l'idée de faire équipe avec ton... C'est un rhumatologue ?

  • Carole

    C'est un rhumatologue, oui.

  • Giulietta

    Est-ce que tu peux nous dire un peu plus l'historique de comment ça s'est passé avec tes précédents médecins ? Et pourquoi lui, c'est le bon ? Et qu'est-ce que ça change d'avoir un médecin qui nous comprend ?

  • Carole

    Ça change tout. Je suis passée par pas mal de rhumatologues, les hôpitaux parisiens, publics. Et ça a été compliqué. Pas toujours, mais à un moment, quand on nous propose un traitement qui est dit révolutionnaire, à l'époque c'était anti-TNF, on m'avait dit que sur les polyarthrites, ça marchait de façon incroyable. Donc on a donné ce traitement, c'était une perfusion par mois, il me semble, en journée à l'hôpital. Et moi, avec ce traitement, ça m'a, entre guillemets, déglingué les poumons, la vessie, ça me donnait des infections urinaires, c'était compliqué. À chaque fois, on devait reporter la perfusion parce que j'avais une pyélonéphrite. Et puis... et puis pourtant, mes genoux continuaient d'enfler. Et à ce moment-là, il m'a dit "ce n'est pas possible, non, non, le traitement, il doit marcher". Enfin, j'ai l'impression de ne pas avoir été entendue.

  • Speaker #0

    Et je voyais qu'à chaque fois, ça me faisait tousser, ça me donnait vraiment beaucoup de désordre. Et pourtant, je continuais d'avoir mal. Donc, alors à quoi bon continuer ? Je veux bien que ça marche sur d'autres personnes, mais il s'avère que pour moi, ce n'était pas le cas. Et je n'ai pas été entendue. Donc, je ne sais plus ce qui s'est passé. Je pense que j'ai dû arrêter d'y aller. J'ai trouvé un rhumatologue en ville. Mais c'est toujours pareil, c'est compliqué. On a des infiltrations, on a des épanchements au niveau des genoux. Il faut attendre avant d'être infiltré, il faut attendre tout le temps. Sachant que quand on a ce genre d'épanchement, ça abîme aussi ce qu'il y a autour, ça abîme l'articulation. Et c'est vrai que ce n'est pas bon de faire des infiltrations tout le temps. C'est vrai qu'il faut les limiter aussi, c'est pas conseillé, mais voilà, ça n'allait pas. Je n'étais pas entendue et puis j'avais l'impression qu'il fallait cocher des cases. Enfin, on ne prenait pas ce que je disais en considération. Je n'avais pas l'impression d'être une personne, mais un cas. C'était compliqué. Et puis, j'ai trouvé ce rhumatologue. Je ne sais pas si je peux dire, mais c'était à l'hôpital américain. À cette époque, la mutuelle, dans le cabinet de conseil, me le permettait. Et là, ça a vraiment tout changé. En fait, c'était une personne humaine. Quand j'allais le voir, il ne me parlait pas seulement de ma maladie. Il me parlait de tout ce qu'il y avait à côté. Et puis, incroyable, il m'a donné son numéro de portable, ça voulait dire que dès que si j'avais un problème, trop de douleur, je pouvais lui envoyer un SMS et il me répondait dans les cinq minutes. Il arrivait à me dégager un rendez-vous pour aller le voir et régler, ne pas me faire attendre, ne pas me faire souffrir des semaines et des semaines. Alors pas forcément en infiltrant, il a un peu essayé d'autres choses aussi de son côté. Mais oui, c'est important d'avoir quelqu'un qui nous écoute, avoir son numéro de téléphone portable et sa confiance dans le fait que je n'allais pas non plus abuser et puis lui envoyer des messages à 4h du matin. Donc voilà, il y a une relation de confiance qui s'installe et c'est hyper important d'être considérée entièrement. Et c'est vrai que, alors on oublie un truc, c'est que les médecins, oui, ils ont fait leurs études. Les rhumatologues sont calés sur les maladies, sur ma pathologie, mais moi je vis avec depuis mon adolescence. Et le fait de vivre avec, je me connais, je la connais ma maladie, je la pratique depuis tellement d'années. Et c'est ça qui est à prendre aussi en considération de leur côté, je pense. Alors aujourd'hui, on a des gens qui sont malades, qui vont tout de suite voir Internet, et puis Internet souvent il y a à boire et à manger dessus , c'est catastrophique. Mais non, là, c'est des années et des années avec ma pathologie.

  • Giulietta

    Et comment est-ce que tu l'as trouvé, ce médecin ? C'était un hasard ? Tu as juste voulu aller consulter dans cet établissement ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai pris le premier, c'était le bon. J'ai eu de la chance.

  • Giulietta

    Et tu as l'impression que dès la première séance, il était déjà très à l'écoute ? Ou c'est une relation que vous avez co-construite ?

  • Speaker #0

    On l'a co-construite. J'ai dit qu'il m'avait donné son numéro de portable, mais peut-être pas tout de suite, en fait. Ça a peut-être été au bout de 3-4 visites avec lui. Mais c'était une marque de confiance que j'ai beaucoup appréciée.

  • Giulietta

    C'est marrant, ça ressemble vraiment à un date, ce que tu racontes. Comme si tu avais eu plein de relations moyennes, et tout d'un coup, c'était le bon qui arrivait. De ce que j'ai entendu, c'était un peu le cas pour pas mal de gens de mon entourage qui vivent avec une maladie, et ça a été mon cas aussi. Il faut se faire confiance. Et si jamais on n'a pas les réponses à ces questions, il faut s'autoriser à avoir quelqu'un d'autre, en fait, et avec un peu de chance, à un moment, on rencontrera quelqu'un qui saura y répondre correctement. Effectivement, je reprends une situation. J'ai eu des cours sur ma maladie il y a un mois, un mois et demi, et j'étais avec d'autres personnes qui ont la même maladie. Il y avait une dame qui a commencé un traitement il y a six mois, qui a des effets secondaires atroces, qui ne sont pas compatibles avec une vie normale. Elle a écrit à son neurologue... Et elle attendait la réponse trois semaines après. Et elle disait "Mais je consulte dans deux semaines". Donc elle s'est dit "Pendant cinq semaines, je vais continuer à vivre avec ces symptômes horribles". Et en fait, elle ne s'autorisait pas à relancer, à appeler le secrétariat. Donc quand il y a une situation grave, des douleurs ou quelque chose comme ça, en fait, il ne faut pas rester...

  • Speaker #0

    Il faut agir. Et puis, moi, j'ai la chance d'avoir le numéro de portable. Mais je crois qu'on devrait tous avoir... Enfin, quand on a une pathologie comme ça, on devrait tous trouver un médecin qui nous fasse suffisamment confiance aussi pour pouvoir échanger de manière plus humaine. Tout simplement.

  • Giulietta

    Ben oui, je suis d'accord avec toi. Et quand on ne s'autorise pas à dire quelque chose à son médecin parce qu'on a peur qu'il nous juge, déjà c'est un peu mal parti.

  • Speaker #0

    Il faut savoir aussi qu'il y a la maladie et ses symptômes, mais il y a aussi ce qu'on ressent de tout ça, mes frustrations, mes colères. Je trouve ça important d'en parler à son médecin aussi. Le rhumatologue, je pense qu'il doit avoir ce rôle. Pas seulement de traiter l'articulation, parce qu'il y a quelque chose autour de cette articulation. En plus, on dit que c'est une maladie psychosomatique. Donc ça veut dire que le stress, la colère, la frustration, tout ça, ça donne des douleurs. Effectivement, dans les grosses périodes de stress, je peux avoir les genoux qui enflent.

  • Giulietta

    Est-ce que tu as d'autres personnes à qui tu parles et qui sont susceptibles de comprendre ? Je ne sais pas si tu es dans une association de patients, si tu es sur des gros Facebook ou des choses comme ça qui pourraient te permettre d'échanger avec des personnes.

  • Speaker #0

    J'avais essayé une association et en fait je pense que c'était plus pour les traitements. En fait non, avant 2012, j'y étais allée aussi parce que j'étais vraiment dans une crise très très sévère qui m'a fait redouter le fait de ne plus pouvoir, d'être vraiment coincée en fait, de ne plus pouvoir faire tout ce que je voulais. Et ça c'était avant d'avoir mon traitement qui me fait du bien aujourd'hui. J'ai cherché de l'aide parce que j'avais besoin. Qu'est-ce que je pouvais faire ? Il y a ma vie qui partait là. Tellement de douleur. J'étais coincée. Même la nuit, je ne dormais pas parce que la douleur me réveillait la nuit. J'avais les articulations en feu, la colonne vertébrale. Je ne pouvais pas tourner la tête. Les coudes, les genoux, les chevilles, il y a tout qui me brûlait.

  • Giulietta

    Et tu avais eu le sentiment que ça t'avait apporté quelque chose ?

  • Speaker #0

    Ça m'a fait du bien de raconter des fois et de voir. On n'est pas tout seul effectivement, ça peut être bien. Aujourd'hui, mon traitement me permet de me débrouiller tant que je peux danser. D'ailleurs, quand on m'a changé mes hanches en 2021, c'était ma crainte de ne pas pouvoir redanser et de devoir dire adieu à tout ça. En fait, c'est même mieux qu'avant, donc ça va.

  • Giulietta

    C'était un sujet qui avait été évoqué, le fait qu'après l'opération des hanches, tu pouvais...

  • Speaker #0

    En fait, des changements de prothèse de hanche, ça peut être un peu compliqué. J'avais toujours lu qu'on avait des moins bons résultats avec une reprise de prothèse que la mise en place de vraies prothèses. En fait, moi, mes prothèses, j'en ai mis en 93 et en 98, je crois. Et elles sont tellement vieilles que même aujourd'hui, avec la nouveauté, les efforts et les progrès qu'il y a eu en médecine, ça me permet quand même d'avoir quelque chose de bien mieux, d'avoir une petite bille en céramique plutôt que le titane. C'est la tête, juste la tête. Mon chirurgien, qui est extraordinaire, a été chercher la dernière bille qui restait en France. La dernière bille compatible avec mes vieilles prothèses. J'ai eu beaucoup de chance de l'avoir parce que j'en avais consulté un autre qui lui voulait tout changer. Lui, il a fait l'effort d'aller chercher ma dernière bille pour me donner ce confort exceptionnel. Il a remplacé une grosse bille. qui me limitait dans les mouvements par une toute petite, qui améliore grandement les choses. Et ça a été ensuite un travail avec un excellent kiné. Dans la douleur, parce que le fait d'être limité dans les mouvements, ça fige les muscles, ça fige les tendons. Et donc, pendant un an, on a tiré dessus pour... C'est douloureux, mais on a bien tiré dessus pour que je puisse récupérer le maximum de mouvements.

  • Giulietta

    Mais tu m'as parlé là spontanément de ton rhumatologue, mais je me souviens maintenant que... En fait, tu as aussi un chirurgien qui est extraordinaire et tu avais vu quelqu'un d'autre qui ne te convenait pas du tout. Et ton kiné, qui est aussi génial.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui. J'ai eu de la chance. Alors le chirurgien, c'est mon rhumatologue qui me l'avait conseillé. Et moi, j'avais été en chercher un que j'avais vu sur Internet, qui avait un site Internet magnifique, très alléchant. Il s'est avéré qu'il était très fort en marketing. Je pense que je ne l'intéressais pas beaucoup. Je pense qu'il préférait... Il s'occupait peut-être de grands sportifs, mais moi il n'avait pas envie de s'embêter à me changer et me mettre juste un truc sympathique. Il voulait tout changer, tout couper, alors que ce n'était vraiment pas nécessaire. Et mon kiné, alors j'ai eu énormément de chance parce que j'ai cherché un kiné proche de mon domicile. Tous les cabinets étaient saturés de monde. Peut-être l'après-Covid, où tout le monde s'est fait opérer, il y avait la queue dans les blocs opératoires, peut-être. Et donc, à ce moment-là, je n'ai pas trouvé de kiné. J'ai dû attendre. En fait, j'aurais pu commencer la kiné en janvier, je l'ai commencée en mars, parce que je ne trouvais personne. Mais en fait, à côté du bureau... par chance, j'ai trouvé. Et c'est le bon. C'est le bon parce qu'il est extraordinaire. C'est quelqu'un qui travaille beaucoup sur la posture, qui prend son temps, c'est un coach. En plus d'un kiné, c'est un coach.

  • Giulietta

    Dans quelle mesure c'est un coach ?

  • Speaker #0

    Il pousse, il pousse toujours. Comme si j'étais une grande sportive, en fait. Il ne fait pas de différence entre le grand sportif à côté et puis moi. Donc il me considère comme n'importe qui, en fait. Et donc, il me fait avancer, il a su gérer ma personnalité, c'est-à-dire qu'il arrive à trouver l'équilibre, à me pousser sans trop me demander. Il connaît ma limite en fait, mieux que moi, et c'est ça qui m'a impressionnée.

  • Giulietta

    Mais ce que tu dis, ça me fait vraiment penser à ce que Thibaut dit dans le premier épisode, sur la notion de pitié, en fait, que ce dépassement de soi, c'est parce que souvent, les personnes ont une réaction qui est maladroite et qui est de la pitié de te mettre dans une catégorie, un petit peu dans une petite bulle, où là, on ne va pas trop la solliciter, on ne va pas trop lui en demander. Je n'ai pas de solution, ni de toute faite par rapport à ça, mais je trouve ça effectivement très triste que... quand on évoque notre état de santé, on nous met dans une case et qu'on ne prenne pas le temps de nous demander, nous, comment on perçoit les choses et qu'on verbalise nos limites, en fait, parce qu'en soi...

  • Speaker #0

    Après, peut-être qu'il y a des personnalités très différentes et mille manières de gérer sa maladie. Et du coup, c'est difficile. Alors, certains voudront qu'on les pousse.

  • Giulietta

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    Et d'autres, à l'inverse, voudront être un petit peu... se faire chouchouter et qu'on fasse attention à eux. C'est difficile de trouver l'équilibre. Et c'est ça tout l'art du... du soignant, tout l'art du kiné, du rhumato, du chirurgien. C'est de trouver l'équilibre et de trouver, comme on le sait, du savoir-être avec le patient.

  • Giulietta

    Je suis entièrement d'accord avec toi. Il y a vraiment toute une relation à animer. Et comme tu le dis si bien, quand on est détendu par rapport à ce qui va se passer, qu'on comprend bien les tenants et les aboutissants, ça débloque. Je reparle d'un autre épisode, mais dans le deuxième épisode qui n'est pas sorti au moment où on enregistre, Albert, qui a un souci aux yeux, expliquait qu'au tout début, il voyait flou au sens littéral et au sens figuré, qu'il ne comprenait pas où il allait et que personne ne savait lui dire et que maintenant qu'on lui a clairement expliqué le protocole et qu'il sait où il va, c'est lui qui adapte son quotidien à ce qui se passe. C'est très important et j'espère... que ça va changer, mais que le personnel soignant aussi intègre cette dimension humaine qui fait que ça marche.

  • Speaker #0

    Ils doivent réaliser qu'ils travaillent avec l'humain. Alors l'humain, c'est complexe, tout le monde est différent, mais quand on travaille avec l'humain, il faut être un peu artiste aussi.

  • Giulietta

    Je suis entièrement d'accord avec toi. Est-ce qu'il y a des points, toi, que tu souhaites évoquer ou des questions que tu as avant que je passe à ma dernière question ?

  • Speaker #0

    Non, je crois que j'ai dit tout ce que j'avais à dire.

  • Giulietta

    Alors, ma dernière question, je me doute que l'exercice n'a pas été facile pour toi. Vu que tu es d'un tempérament relativement discret, et je présume assez pudique, pourquoi est-ce que tu as accepté de parler ?

  • Speaker #0

    C'est pudique qui me fait rire là, parce que pudique, mais en fait ça ne me dérange pas d'aller défiler sur les Champs Elysées avec mes plumes. J'aime bien, je suis tout, et son contraire, j'aime beaucoup. Je n'ai pas accepté d'en parler, en fait j'ai eu envie de t'aider à avancer dans ta maladie, et je me suis dit "tiens pour une fois que cette maladie va me servir à quelque chose". J'ai eu envie de... Voilà, je me suis dit, ça change la donne, en fait, de pouvoir l'utiliser pour rendre service. Pas de rendre service, c'est entre guillemets, mais je ne vis pas ça comme une acceptation de le faire, mais vraiment l'envie de... de te faire avancer sur tes sujets.

  • Giulietta

    C'est trop gentil. C'est marrant parce que j'ai eu un peu le même sentiment. Pour expliquer, on a pris ce café où on a parlé pendant une heure ou une heure et demie et où c'était une conversation fluide et où on s'est dit des choses très personnelles qu'on n'avait pas eu l'occasion d'évoquer dans une vie précédente. Je suis sortie de là et je me suis dit que c'était vraiment bien quand même, mais je n'osais pas te proposer parce que je me suis dit "bon je suis pas sûre que ça passe" puis après j'ai réfléchi et je me suis dit "quand même c'était vraiment très très intéressant, je trouve ça beau si on peut l'enregistrer" et j'avais le le sentiment aussi que en fait tu t'épanouissais vachement dans le fait de parler et là par exemple t'étais pas sûre d'énoncer parfaitement les choses et je trouve que c'est très fluide. J'ai l'impression que chacune, on a fait un bout de chemin.

  • Speaker #0

    Oui, on a fait un bout de chemin, et notamment notre précédente discussion, la première, m'a fait avancer sur mon sujet, m'a fait prendre conscience que j'étais dure avec moi, que j'étais dure aussi avec les autres, qui ne comprennent pas forcément, mais que j'étais dure sur le fait que je voulais rendre invisible cette maladie, et que parfois, il pouvais m'arriver de leur reprocher qu'ils ne soient pas plus doux avec moi, plus vigilants. J'ai réfléchi sur tout ça, j'ai trouvé ça intéressant. Donc merci pour l'échange, ça a été vraiment un partage.

  • Giulietta

    Oui, je suis d'accord avec toi. Et est-ce qu'il y a des choses qui ont changé ? Ou pour l'instant, c'est juste à l'état de concept, et tu as pris conscience de ces choses-là ? Ou est-ce que tu as le sentiment quand même de, par touches, exprimer des petites choses ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est assez nouveau. J'ai l'envie d'être moins invisible. Je ne sais pas. Je ne sais pas si c'est à partir de cette démarche, mais j'ai toujours été discrète, un peu sauvage, parce que j'ai du mal à me dévoiler justement, parce que c'est un secret tout ça, je cache des choses. Et aujourd'hui, je pense qu'en tant que chèvre boiteuse, j'ai bien d'autres qualités, et je suis quelqu'un qui a plein d'activités, plein de passions. et je suis sûre que ça peut intéresser et que je suis intéressante mais bien évidemment j'ai envie d'être moins invisible

  • Giulietta

    C'est trop bien. J'avais une question et je l'ai oubliée parce que tu as parlé de chèvres. Eh bien oui, je ne sais plus. Je réfléchis. Oui, le fait que tu parles autant de chèvres, ça me fait penser : je ne sais pas si tu connais le podcast Les Couilles sur la Table. C'est un podcast qui interroge la place de la masculinité dans l'espace public. Et la personne qui a créé ce podcast s'appelle Victoire Tuaillon. Et en fait, elle avait beaucoup de mal à accepter son corps. Et un jour, elle est partie en Espagne. Elle gardait des chèvres et elle s'est rendue compte qu'il y avait des chèvres qui étaient moins belles que d'autres, certaines qui avaient par exemple des pis plus bas que d'autres, tout ça, et qu'elles s'en foutaient. Et qu'elles interagissaient malgré tout, toutes ensemble, et que ça allait bien. Et donc elle s'est dit qu'elle aussi, elle voulait être une chèvre. Et donc ne pas se concentrer sur ses complexes, mais faire partie de la foule. Bref, ça m'a évoqué ça. Et je me dis, effectivement, les gens peuvent en savoir un peu plus sans te mettre dans une boîte, et c'est une telle richesse tout ce que tu as raconté. J'ai retrouvé ma question entre-temps : tu n'as pas témoigné de manière anonyme et tu as dit plus ou moins le biais par lequel on se connaissait. Par conséquent, peut-être que certaines personnes plus fines que d'autres vont comprendre qui tu étais. Comment tu te positionnes par rapport aux éventuels retours que tu pourrais avoir ?

  • Carole

    Je pense que j'assume complètement ma présence. Donc s'ils ont envie d'en parler avec moi, je suis complètement ouverte. Même si je préfère qu'ils retiennent mes passions, etc. mais je suis aujourd'hui assez ouverte sur le sujet donc pas de soucis.

  • Giulietta

    Un immense merci pour ta présence et pour tout ce que tu as partagé, c'était vraiment génial. Un immense merci à Carole d'avoir eu la gentillesse de témoigner sur lanomalie et d'avoir voulu partager avec vous et avec moi son parcours et son regard sur le monde. J'ai pris beaucoup de plaisir à réécouter les mots de Carole, le recul qu'elle avait sur sa personne et sa volonté d'aborder les choses avec plus de douceur et d'indulgence à l'avenir. Faites-moi confiance, je continuerai à prendre des nouvelles et je vous en ferai part si elle le souhaite. Cet épisode vous a plu ? Vous souhaitez réagir ? Écrivez-moi sur le compte Instagram de lanomalie, le lien est dans la description de cet épisode. Partagez-moi vos retours, qu'ils soient positifs ou plus circonspects, je les lirai avec plaisir. Si vous êtes d'humeur à déplacer des montagnes, vous pouvez attribuer une note et un commentaire au podcast, cela m'aidera beaucoup. Lanomalie est un podcast autoproduit par mes soins, entièrement conçu et imaginé entre Ménilmontant et le canal de l'Ourcq à Paris. Rendez-vous très bientôt pour le prochain épisode. D'ici là, prenez soin de vous.

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Description

La spondylarthrite ankylosante est-elle compatible avec la pratique de sports extrêmes ? La rencontre avec Carole m'a permis de répondre par la positive, à condition de faire attention à ses limites.


Pour ce troisième épisode de lanomalie, je vous propose de rencontrer Carole, qui vit depuis son adolescence avec une spondylarthrite ankylosante. Il s'agit d'une maladie inflammatoire chronique dont les symptômes consistent en des douleurs quotidiennes intenses au niveau des articulations et, de fait, des mouvements limités.

180.000 personnes sont touchées par cette pathologie en France, c’est loin d’être un petit sujet !


Carole est une ancienne collègue à moi : ni elle ni moi n'avions évoqué, lorsque nous travaillions ensemble, nos problèmes de santé respectifs. Je suis donc particulièrement touchée qu'elle m'ait contactée pour échanger sur sa spondylarthrite ankylosante, avec laquelle elle vit depuis l'adolescence.


Avec Carole, nous avons évoqué des sujets structurants sur l’expérience de la maladie :

  • La frustration de ne pas pouvoir réaliser certaines actions, due à la douleur

  • Le fait de se créer une carapace, pour ne pas évoquer sa pathologie ou son handicap

  • Les difficultés induites par une maladie chronique et des symptômes quotidiens

  • La volonté de se dépasser, pour garder le contrôle sur le reste

  • L’importance du sport pour se réapproprier son corps et se vider la tête

  • La difficulté d'évoquer des sujets relatifs à sa santé ou à son handicap, dans un contexte professionnel

  • Le binôme patient / médecin, essentiel pour affronter sereinement les choses

  • La mise en place d'un traitement adapté, qui peut prendre du temps.

Carole se révèle au cours de l’enregistrement, partageant ses colères, sa détermination et sa sensibilité. J’espère que cet épisode vous touchera autant qu’il m’a émue.


💜 Vous souhaitez suivre lanomalie sur Instagram, rdv sur @lanomalie.media 


⚡️ lanomalie, c'est le podcast qui ouvre la discussion sur la maladie. Retrouvez chaque mois le parcours d'une personne concernée.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et si on parlait plus ouvertement de la maladie ? Dans l'imaginaire commun, quand la santé va, tout va. Partout on valorise un corps sain, qui tient la route, et dont on souhaite sans cesse repousser les limites. Dès lors, quelle est notre place quand on connaît ponctuellement ou plus durablement la présence de la maladie dans notre vie ? Je suis partie à la rencontre des personnes qui, tout comme moi, vivent en compagnie d'une maladie, car à mon sens, poser des mots sur un sujet encore tabou, ça fait du bien. Pour ce troisième épisode, je vous propose d'écouter le parcours de Carole, première femme à témoigner sur ce podcast! Carole est atteinte d'une spondylarthrite ankylosante. Il s'agit d'une inflammation chronique qui touche les articulations. Cela génère d'importantes douleurs et peut limiter la mobilité des articulations touchées. Cette maladie évolue par poussées qui peuvent causer un gonflement des articulations concernées associées à des douleurs intenses. Au cours de cet épisode, nous avons parlé de la frustration, de la tristesse et de la colère que peut générer la maladie, de la carapace qu'on peut se créer pour faire tout comme tout le monde quand on vit avec un handicap invisible, de l'importance des égards de l'entourage, du binôme patient-médecin et surtout de sa passion pour la samba. Vous l'entendrez, Carole se révèle au cours de l'épisode. D'abord réservée, elle s'ouvre au fur et à mesure jusqu'à dévoiler un tempérament audacieux, drôle et plein de tendresse, cela m'a beaucoup touchée. Il y a un peu d'écho au cours de cette discussion, j'espère que vos petites oreilles n'en prendront pas ombrage et que vous prendrez plaisir à écouter le témoignage de Carole. Je vous souhaite une très bonne écoute.

  • Giulietta

    Bonjour Carole et merci de ta présence avec moi pour l'enregistrement de ce troisième épisode. Comme je l'ai fait pour les autres épisodes, si cela te convient, je vais faire une petite contextualisation afin que les auditeurs et les auditrices en sachent un petit peu plus sur toi. Nous avons travaillé pour la même structure par le passé. A cette époque, j'avais compris que tu étais une personne très sympathique, mais qu'il ne fallait surtout pas t'embêter. De l'eau a coulé sous les ponts jusqu'à ce que je publie un post sur LinkedIn pour parler de ma démarche sur lanomalie. Dans l'heure, j'avais reçu un mail de ta part me proposant d'échanger, si j'en ressentais le besoin. Nous sommes allées prendre un café, et je n'avais pas trop de doutes sur le fait que l'échange serait passionnant. Je n'ai pas été déçue du voyage. C'est pour cette raison que je t'ai proposé d'enregistrer la suite de notre discussion, parce que je suis convaincue qu'elle pourra aider de nombreuses personnes dans leur parcours. Avant de commencer, est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?

  • Carole

    Non. Bonjour, déjà. Ma présentation est parfaite. Pour me présenter, j'ai 48 ans, je suis responsable de gestion dans un cabinet de conseil à Paris. De moi, je peux dire que je suis quelqu'un de passionné par l'art, notamment la musique et la danse. Je suis une personne sensible, très sensible. Je me qualifierais d'épicurienne. J'aime les plaisirs de la vie, j'adore manger, j'adore voyager, j'adore découvrir d'autres cultures. J'aime en particulier la mer et les fonds marins, parce que les fonds, c'est comme une parenthèse en fait dans ma vie. Ma principale caractéristique, c'est que je suis toujours en recherche d'amélioration. C'est-à-dire que si je peux bouger quelque chose et que j'ai la main dessus, alors je vais toujours avancer et puis me donner à fond pour une recherche d'amélioration constante.

  • Giulietta

    Ça ne m'étonne pas du tout. C'est marrant, mais tout comme Thibaut, tu te présentes par les choses que tu apprécies et tes plaisirs. Je trouve ça très joli de dire ça. Sans surprise, tu ne parles pas de ta pathologie.

  • Carole

    Sans surprise, effectivement. C'est quelque chose que je souhaite cacher au maximum.

  • Giulietta

    Et est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Carole

    Oui, je peux en dire plus. C'est une pathologie sur laquelle on a eu du mal à mettre un nom. En fait, c'est une pathologie qui est apparue à mon adolescence, quand j'étais en cinquième, fin de cinquième, début de quatrième. Et ça a commencé par une douleur à une hanche. Et petit à petit, le cartilage de ma hanche s'est dégradé et il a fallu attendre la fin de ma croissance pour me mettre une première prothèse totale. On ne savait pas trop, on n'avait pas diagnostiqué, on m'a parlé de rhumatisme, d'arthrite juvénile chronique, de plein de choses, surtout au moment où la douleur qui était passée du côté droit, puisque la hanche avait été opérée, est passée à gauche, quelques temps ... tout de suite après, hein. Mais le temps qu'elle se dégrade, il a fallu 2-3 ans avant l'opération de la deuxième prothèse de hanche. Et puis les douleurs sont parties dans les genoux, et puis les chevilles, les pieds, les coudes, la mâchoire, la colonne vertébrale, les cervicales, les lombaires. On m'a parlé de polyarthrite, on m'a parlé de spondylarthrite. Aujourd'hui, je pense que c'est une spondylarthrite. On a plus, dans mes statistiques, parlé de spondylarthrite ankylosante.

  • Giulietta

    Donc le diagnostic n'est pas vraiment posé ?

  • Carole

    Ça tourne, ça tourne, c'est compliqué. J'ai du mal à m'identifier dans la spondylarthrite ankylosante parce que ce que je vois... On regarde beaucoup internet, on regarde les autres personnes, comment ça se passe chez eux. J'ai du mal à m'identifier exactement. C'est peut-être une spondylarthrite périphérique, puisqu'elle a touché les grosses articulations (hanches, genoux). Je dirais que j'ai de l'arthrite. Avec une maladie auto-immune, avec toutes ces joyeusetés qui peuvent toucher la peau, avec du psoriasis, qui peuvent toucher les yeux, avec les uvéites, toutes les joyeusetés d'une maladie auto-immune.

  • Giulietta

    Mais même si le... Le nom de ta pathologie n'est pas certain, visiblement le traitement que tu prends fonctionne et te soulage.

  • Carole

    Alors depuis 2012 oui mais avant ça, c'était avant de trouver mon rhumatologue, avec qui je fais équipe aujourd'hui. Et avant lui, je suis passée par des moments très difficiles où j'avais l'impression de ne pas être prise en considération au niveau de la douleur, ou quand j'avais un genou enflé, mais vraiment très très enflé, et en plus on sait que quand le genou est enflé, il s'abîme au niveau du cartilage, donc il y a la peur de la prothèse. À partir du moment où j'avais cette douleur, il me fallait six mois pour avoir un rendez-vous pour une infiltration par exemple. Ce n'est pas humain de laisser attendre les gens dans une douleur comme ça.

  • Giulietta

    J'imagine bien. Oui, carrément. Je bouleverse un peu l'ordre de mes questions, mais je pense qu'il y a des personnes qui peut-être écouteront cet épisode et qui en sont au moment où ils découvrent le fait qu'ils ont une maladie, qu'ils vivent peut-être les symptômes que t'as vécu toi à l'époque. Comment est-ce que t'avais vécu les choses quand tu étais très jeune ? Tu t'es construite en tant que jeune femme, puis en tant que femme, avec cette maladie qui était douloureuse, qui a pris beaucoup de temps, qui a induit des opérations, des hospitalisations, de la douleur, comme tu l'as dit. Quel est le souvenir que tu en as ?

  • Carole

    Très mauvais souvenir. Surtout à l'adolescence. Moi, j'étais une gamine qui adorait courir. J'adorais l'athlétisme. Donc quand ça tombe avec la hanche comme ça, qui ne nous permet plus de faire ce qui nous passionne, c'est le pire qui nous empêche de faire des mouvements. Le commun des mortels fait sans se poser de questions. On ne se construit pas de manière normale. On est bancal. Moi, j'ai eu une vie remplie de frustration. Aujourd'hui, il ne se passe pas un seul jour sans que la maladie revienne à mon bon souvenir. Elle est là, elle ne me quitte pas. Tous les jours, j'y pense. C'est depuis mon adolescence.

  • Giulietta

    Quelle est la place que tu donnes, toi, à ta maladie dans ta vie de tous les jours ?

  • Carole

    C'est mon combat de tous les jours. Tous les jours, je fais en sorte qu'elle arrive à la dernière place. Donc ça passe par plein de choses. C'est pour ça que je pense que je suis une épicurienne et une passionnée, parce que c'est ça qui me permet de... C'est mon moteur pour me la faire oublier. Enfin, oublier. Comme j'ai dit, je ne passe pas une journée sans y penser, puisque ça induit beaucoup de fatigue et de douleur au quotidien. Mais voilà, c'est ça aujourd'hui qui est mon moteur et qui me permet de faire face. Mais on ne se construit pas. C'est une vie remplie de frustrations, parce que même certaines passions, sur lesquelles je suis à fond dedans. Par exemple, la danse, une danse que j'arrive à très bien faire, mais il y a quand même par moments des mouvements qui ne me sont pas accessibles. Et alors ça, c'est une frustration, parce que je ne sais pas que je n'y arriverai pas, c'est que je ne peux pas.

  • Giulietta

    Sur les deux premiers épisodes, on avait un ton qui était relativement bienveillant et un petit peu de bonne humeur en disant "on recompose les choses, o n essaie de s'adapter à son environnement, tout ça. Ça permet de découvrir de nouvelles choses ou de les aborder différemment". Mais en fait, on n'a pas encore évoqué le fait que, parfois, on ne peut pas. Et qu'il faut accepter ou qu'il faut se faire à l'idée, malheureusement, de ne pas pouvoir faire quelque chose. Toi, quel a été ton parcours par rapport à cette frustration ? Est-ce que c'est un sujet avec lequel tu n'arrives pas à composer ? Comment ça se passe ?

  • Carole

    Je gère très mal la frustration. Alors... J'ai essayé de me faire accompagner, mais c'est quelque chose qui génère beaucoup de tristesse en moi. Et je pense que c'est une tristesse qui peut se voir et qui peut mettre les personnes à distance. Ça me rend un petit peu sauvage, ça me rend dure parfois avec certaines personnes. Donc c'est quelque chose vraiment que, aujourd'hui, je ne peux pas dire que je gère ma frustration. Elle est là, elle est bien présente, il faut que je compose avec.

  • Giulietta

    J'aime bien le fait que tu dises composer avec et que tu ne veuilles pas l'enlever. Je trouve que c'est bien aussi d'accepter ses failles. C'est comme ça que tu abordes les choses et c'est normal d'être en colère et d'être frustrée, je trouve ça très bien. Un exemple, moi, dans mon cas, j'ai très peur de faire des IRM. C'est très récent que j'accepte de prendre un petit Lexomil avant d'y aller parce que je voulais me battre contre moi et apprendre à maîtriser ça. Et je m'étais dit, il faut que tu fasses une thérapie. En fait, non, c'est comme ça. Et c'est une partie de ma personnalité qui ne bougera pas. La maladie induit tellement de difficultés au quotidien qu'il faut aussi accepter les choses qu'on ne peut pas modeler.

  • Carole

    Oui, et puis, alors, tu me fais penser, toi, tu as peur des IRM. Quand j'ai eu cette maladie, moi, j'avais peur des aiguilles. Ça a mis du temps, mais j'ai fini par me faire mes piqûres dans le ventre toute seule. Finalement, je ne pensais pas que ça serait possible, parce que vraiment, les aiguilles, une prise de sang, j'y pensais longtemps à l'avance. Mais aujourd'hui, ça va.

  • Giulietta

    Oui, il y a des choses qui bougent, rien n'est figé. Donc là, on est en train de parler de toi. Le souvenir que j'ai de notre cadre professionnel, c'est que tu ne l'évoquais pas, pas en tout cas avec tout le monde. Dans quel cadre tu évoques ce sujet ?

  • Carole

    Alors c'est vrai que je ne l'évoque jamais, sauf quand ça doit influer sur ma sécurité. Ma sécurité physique, ma sécurité aussi psychologique, c'est important aussi, mais surtout physique. Par exemple, s'il y a quelque chose que je ne peux pas faire, je suis obligée de le dire. Moi, je sais ce que je peux faire, ce que je ne peux pas faire, je me connais bien, je suis obligée de le dire. C'est pareil en cours de danse, quand je ne peux pas faire un truc, j'en informe la professeure parmi les autres, ça me met dans une situation où je déteste, mais je le fais. C'est ma sécurité d'abord, en fait. C'est la priorité.

  • Giulietta

    Et ta professeure de danse, elle est au courant de ce que tu as ou elle est juste au courant qu'il y a des choses que tu ne peux pas faire ?

  • Carole

    Alors, au début, dans ma vie, quand j'allais dans mes cours de danse, je prévenais l'enseignant. Et je me suis aperçue que pour certains, on me mettait complètement de côté en se disant "bon, si elle ne fait pas les trucs, peut-être qu'elle gère toute seule". Donc, on ne me corrigeait jamais. Alors que moi, j'ai envie qu'on vienne me voir quand même pour me dire "Tiens, tu pourrais faire ça de telle façon, essaye comme ça". J'ai besoin quand même qu'on me pousse un petit peu pour me faire avancer, qu'on me dise ça, ça, c'est pas bien, parce qu'il y a quand même des choses qui ne sont pas bien et que je peux faire. Il n'y a que moi qui peut dire si je ne peux pas faire les choses. Et donc, aujourd'hui, j'évite de le dire, sauf au moment où je suis au pied du mur et que là, je n'ai pas le choix.

  • Giulietta

    Tu as déjà eu des personnes qui arrivaient à composer avec ça correctement ou tu as toujours été déçue de la manière dont on te mettait un petit peu à part parce qu'on imaginait tes limites ?

  • Carole

    Alors c'est très compliqué, je pense. J'ai un positionnement et je m'en suis aperçue, ça m'a fait réfléchir la dernière fois qu'on s'est vues. En fait, c'est que j'ai un positionnement très compliqué. D'un côté, je fais tout pour rendre ma maladie invisible, et de l'autre, je souffre que certaines personnes ne considèrent pas assez le fait que je sois malade. Qu'elles ne prennent pas en compte que le fait d'avoir mal tout le temps, ça génère de la fatigue. Ne pas prendre ça en compte, ne pas se dire, bon, elle ne dit rien, donc tout va bien. Mais ce n'est pas, non, tout ne va pas bien. Tout ne va pas bien. Je pense que ma famille a oublié que j'étais malade. Ma victoire, c'est que je l'ai rendue super invisible. Tout le monde a l'impression que je suis normale et tout ça. Mais j'aimerais bien qu'à un moment, on me demande comment je vais. Et où j'en suis.

  • Giulietta

    Est-ce que tu arrives à mettre le sujet sur la table ou c'est délicat ?

  • Carole

    Non. Je ne mets pas... Enfin... Je n'y arrive pas.

  • Giulietta

    Je comprends.

  • Carole

    Mais j'aimerais que ça vienne d'eux, qu'ils me demandent vraiment "Comment tu vas ?". Vraiment. Tout simplement.

  • Giulietta

    Oui, je comprends totalement. C'est difficile. Thibault l'exprimait super bien dans le premier épisode. Il est beaucoup plus empathique que moi, par exemple. Et il disait que c'est difficile pour une personne qui n'est pas confrontée à ça de se projeter, de comprendre. Et soit c'est trop d'inquiétude, et là c'est énervant, soit ce n'est pas du tout assez...

  • Carole

    Oui, et on a notre part de responsabilité du coup, puisque moi je fais tout pour être combative, que ce soit invisible, donc j'ai ma part de responsabilité sur le sujet, j'en suis consciente.

  • Giulietta

    D'accord. Tu m'as parlé la dernière fois de toutes tes activités qui n'ont absolument rien de conventionnel. Pour une personne lambda, c'est déjà énorme, mais compte tenu des difficultés que tu peux avoir au quotidien, c'est d'autant plus inspirant. Comment est-ce que tu expliques cette volonté d'être aussi active et un petit peu extrême quand même, il faut le dire ? Est-ce que c'était présent en toi ? Ou ça s'est révélé au fil du temps et sans doute la maladie a joué un rôle ? Ou est-ce que ça fait partie du chemin pour te réapproprier ton corps ?

  • Carole

    Alors, je ne peux pas dire si c'était présent en moi, puisque c'est une maladie qui s'est déclarée quand j'étais en cinquième, quatrième. Donc je ne sais pas ce qu'aurait été ma vie si je n'avais pas eu cette maladie. Par contre, ce que je sais, c'est que cette maladie, la Spondylarthrite ankylosante, pour moi c'est ça, c'est ce que j'ai entendu. Ankylosante, ça veut dire qu'aujourd'hui, si je ne bouge pas, je m'ankylose. Donc il faut bouger, on a mal, ce n'est pas grave, mais ce qui me sauve aujourd'hui, c'est le fait que je bouge beaucoup. Et ce qui me fait bouger, la seule chose qui me fait bouger, en oubliant un petit peu, en supportant ma douleur, c'est la danse. Je pense que chacun doit trouver une activité, l'activité qui... qui lui fasse, entre guillemets, vriller le cerveau, qui soit suffisamment motivante et stimulante pour oublier tout le reste à côté. Alors pour moi, c'est explorer les fonds marins, snorkeling ou plongée libre. C'est aussi la danse, en particulier la samba. Alors ce qui est drôle, c'est que la samba, c'est quelque chose, une activité qui est axée beaucoup sur les hanches. Des hanches qui vont de droite à gauche. Donc oui, j'ai des prothèses, mais j'arrive à bien bouger mes hanches. Alors je ne fais pas le grand écart, je suis limitée en flexion, en extension, etc. Mais mes hanches, je peux les secouer de gauche à droite facilement. La samba, c'est la fête. Pour moi, qui ai beaucoup de colère, de tristesse aussi en moi, danser la samba et faire une fête, c'est... ben voilà, je... ! Ça me booste. Et ça m'oblige à... Ça m'oblige, pas à faire la fête, mais ça m'oblige à me stimuler. Ça me fait du bien.

  • Giulietta

    Oui, c'est un soin à la fois pour le corps et pour l'esprit.

  • Carole

    Oui, c'est ça.

  • Giulietta

    Alors je sais pas si c'est dans ta personnalité, mais parfois on peut avoir un moment de censure à l'idée de commencer une nouvelle activité. Tu devais avoir à la fois des limites physiques et des limites un peu mentales. Comment tu t'es tournée vers la samba et la danse ?

  • Carole

    La samba, j'en avais fait déjà il y a 20 ans, quand j'étais arrivée sur Paris. C'était la première activité dans laquelle je m'étais inscrite. J'avais toujours voulu faire de la danse, et du coup... Il n'y avait que la samba. J'aimais bien les percussions. Ça nous met dans une espèce de transe. C'est cet état qui permet de ne plus penser à la douleur. Je ne sais pas si les personnes qui vont danser la salsa, par exemple, et qui sont des mordues de salsa, ils remarqueront que lorsqu'ils vont en soirée danser, même s'ils sont enrhumés, ils ont une sinusite, le nez qui coule, etc. Le moment où ils vont danser, le nez ne va plus couler. C'est assez miraculeux, je ne peux pas l'expliquer. Je pense que c'est l'état de transe qui est en nous. Il faut vraiment quelque chose qui place. J'avais essayé la musculation, le sport en salle. C'est trop de douleur. Mon cerveau ne suit pas. Et donc, je ne pense qu'à la douleur. Et ça ne marche pas, du coup.

  • Giulietta

    Et là, actuellement, quand tu danses, tu as un moment où, justement, d'échauffement. Où tu peux avoir tes douleurs qui restent et ensuite ça passe ? Ça se passe comment sur le plan physique ?

  • Carole

    Alors, mes activités sont plutôt le soir. Donc en fait, mes douleurs, c'est plutôt le matin au saut du lit, quand je suis un petit peu engourdie de ne pas avoir bougé toute la nuit. Du coup, dans la journée, ça a le temps de chauffer un petit peu.

  • Giulietta

    D'accord. Je vais poser maintenant la question que j'avais appelée "Moldue". Pour réexpliquer, j'ai demandé à ce que tu proposes à quelqu'un de ton entourage de poser une question qui nous serait adressée à toutes les deux. Et donc la question, c'était "est-ce que c'est la maladie qui t'a fait devenir ce que tu es, ou bien tu aurais de toute façon été ?" et les adjectifs proposés sont "battante", "reloue", "extrême". Quel est ton retour là-dessus ?

  • Carole

    C'est indéniable. Oui, bien sûr, ça m'a rendue... Très combative. En fait, ça m'a obligée, enfin moi, je me mets tellement de pression sur moi, parce que j'ai l'impression d'être un peu... peut-être un peu bancale, c'est-à-dire dans un troupeau de chèvres. Moi, je vais être la chèvre boiteuse. Et du coup, j'ai l'impression de devoir compenser au maximum pour faire oublier. Ça a été compliqué pour moi professionnellement, surtout en démarrant, puisque je n'avais pas trouvé mon médecin qui me permettait de gérer mieux ma maladie. Donc professionnellement, il arrivait des moments où j'avais des crises ou des douleurs qui étaient insupportables. Ça durait dans le temps. et j'étais obligée de... Enfin, je me sentais, moi, obligée, par rapport à mes employeurs, de compenser par plein d'autres choses. Et ça, c'est insupportable, en fait, cette manière de... Alors, c'est bien, je veux dire, ça m'a permis d'évoluer. C'est ça qui, je pense, fait que je me perfectionne tout le temps ou que j'ai tout le temps envie d'apprendre, parce que je compense, en fait. C'est tout le temps de la compensation. C'est usant, aussi.

  • Giulietta

    Oui, c'est ce que j'allais dire, c'est fatigant aussi. Et t'es toujours dans ce rapport-là de vouloir compenser ?

  • Carole

    Toujours. C'est pénible, mais toujours. Parce que je veux pas... J'ai l'impression d'être la chèvre boiteuse du troupeau, en fait. Et de devoir montrer... plein d'autres facettes de moi pour le rendre supportable aux autres.

  • Giulietta

    Est-ce que, du coup, le fait que tout à l'heure, je mentionne la perception que moi j'avais de toi et que je n'avais absolument rien remarqué, ça te rassure ?

  • Carole

    Oui, ça me rassure. En fait, j'ai une vision très dure de moi. Et du coup, je me vois plus sauvage que je ne le suis, je me vois plus méchante que je ne le suis. Et du coup, si quelqu'un arrive à percevoir ce côté un peu sensible et doux, finalement, de moi. J'aime bien. Ça me fait plaisir.

  • Giulietta

    Mais tu es très douce. Je ne sais pas si je garderai ce bout-là, mais sache que Mathieu parlait de toi avec des étoiles dans les yeux quand on était au cabinet.

  • Carole

    C'est vrai ?

  • Giulietta

    Et vraiment, il disait que c'était incroyable d'être avec toi et qu'il rigolait énormément. Donc je pense que c'est à ce moment-là que je me suis dit " Mhh il doit y avoir quelque chose que je n'avais pas vu".

  • Carole

    Oui, on a passé de bons moments. On avait des passions communes, les films de Marvel par exemple !

  • Giulietta

    Moi, pour répondre à cette question, "est-ce que c'est la maladie qui m'a fait devenir ce que je suis ?", je me répète par rapport aux premiers épisodes, mais ça m'a posé les bonnes questions plus tôt. J'étais un petit peu, sans doute, nombriliste, égocentrique. Et ce n'est pas possible de le rester quand on a une maladie, parce qu'à un moment, il faut lâcher prise. Et accepter qu'on a des limites, ça c'est le premier point. Donc ça a accéléré les choses, je présume que c'est un cheminement que j'aurais eu plus tard en vieillissant, mais je me suis posé ces questions-là à 20 ans. Il y a juste une chose, je pense que ça a changé, c'est sur mon rapport au corps, étonnamment. J'ai un rapport assez dur à mon corps, que j'ai jamais vraiment apprécié, et dans lequel je me sentais assez mal. Et en fait, le fait d'avoir cette maladie, je me suis dit qu'il fallait que j'en prenne soin. Et je me suis mise à l'escalade. Et c'est ma manière de me faire du bien et mes médecins m'ont dit que c'était bon pour ma maladie parce que ça fait travailler l'équilibre, le gainage, c'est doux. Et en fait, j'y vais vraiment pour me faire du bien dans mon esprit, mais aussi dans mon corps. Je vois mon corps évoluer et je suis bouleversée de le voir changer. Et ça m'a permis vraiment de recomposer un peu les choses et de me dire "ok, il y a aussi des choses positives qui peuvent venir". Et donc, ça me permet d'apprécier plus facilement mes limites. J'ai des symptômes qui ne sont pas très... Enfin, des petits symptômes, mais par exemple, j'ai un petit symptôme urinaire que je n'assume pas franchement où j'ai envie de faire pipi comme une femme enceinte. Et c'est un peu dur à 29 ans de se dire ça. Et donc, en fait, je me dis "bon mais d'un autre côté, j'arrive à grimper des choses que je n'aurais jamais grimpées auparavant et j'arrive à le faire". Et je suis trop fière de ça. Et donc, ça met de côté un peu ces trucs un peu honteux.

  • Carole

    Est-ce que l'escalade te fait penser à autre chose que ta maladie à ce moment-là ? Est-ce qu'il y a une parenthèse ?

  • Giulietta

    Je n'y pense pas tout le temps, mais en tout cas, je sais pas comment dire, mais quand je sors de là, je m'aime.

  • Carole

    Ah oui, c'est sûr, ça fait du bien, oui. Je comprends ce que tu dis quand tu t'aimes ensuite. La samba, pour moi, c'est pareil. Et c'est aussi la féminité, c'est plein de choses qui sont là et qui sont compliquées parfois.

  • Giulietta

    C'est ce que j'allais dire, c'est quand même une féminité assez exacerbée.

  • Carole

    Oui, c'est la samba de carnaval. Ce n'est pas la samba de couple en danse latine sportive, c'est de la samba de carnaval. C'est Rio avec les strass, les plumes.

  • Giulietta

    C'est trop bien, c'est une autre facette de toi que tu exprimes par ce biais-là. Je prends un peu une autre thématique. Tu as beaucoup parlé de ton binôme, la première fois qu'on s'était vues, avec ton médecin. Et tu as repris ce terme aujourd'hui, l'idée de faire équipe avec ton... C'est un rhumatologue ?

  • Carole

    C'est un rhumatologue, oui.

  • Giulietta

    Est-ce que tu peux nous dire un peu plus l'historique de comment ça s'est passé avec tes précédents médecins ? Et pourquoi lui, c'est le bon ? Et qu'est-ce que ça change d'avoir un médecin qui nous comprend ?

  • Carole

    Ça change tout. Je suis passée par pas mal de rhumatologues, les hôpitaux parisiens, publics. Et ça a été compliqué. Pas toujours, mais à un moment, quand on nous propose un traitement qui est dit révolutionnaire, à l'époque c'était anti-TNF, on m'avait dit que sur les polyarthrites, ça marchait de façon incroyable. Donc on a donné ce traitement, c'était une perfusion par mois, il me semble, en journée à l'hôpital. Et moi, avec ce traitement, ça m'a, entre guillemets, déglingué les poumons, la vessie, ça me donnait des infections urinaires, c'était compliqué. À chaque fois, on devait reporter la perfusion parce que j'avais une pyélonéphrite. Et puis... et puis pourtant, mes genoux continuaient d'enfler. Et à ce moment-là, il m'a dit "ce n'est pas possible, non, non, le traitement, il doit marcher". Enfin, j'ai l'impression de ne pas avoir été entendue.

  • Speaker #0

    Et je voyais qu'à chaque fois, ça me faisait tousser, ça me donnait vraiment beaucoup de désordre. Et pourtant, je continuais d'avoir mal. Donc, alors à quoi bon continuer ? Je veux bien que ça marche sur d'autres personnes, mais il s'avère que pour moi, ce n'était pas le cas. Et je n'ai pas été entendue. Donc, je ne sais plus ce qui s'est passé. Je pense que j'ai dû arrêter d'y aller. J'ai trouvé un rhumatologue en ville. Mais c'est toujours pareil, c'est compliqué. On a des infiltrations, on a des épanchements au niveau des genoux. Il faut attendre avant d'être infiltré, il faut attendre tout le temps. Sachant que quand on a ce genre d'épanchement, ça abîme aussi ce qu'il y a autour, ça abîme l'articulation. Et c'est vrai que ce n'est pas bon de faire des infiltrations tout le temps. C'est vrai qu'il faut les limiter aussi, c'est pas conseillé, mais voilà, ça n'allait pas. Je n'étais pas entendue et puis j'avais l'impression qu'il fallait cocher des cases. Enfin, on ne prenait pas ce que je disais en considération. Je n'avais pas l'impression d'être une personne, mais un cas. C'était compliqué. Et puis, j'ai trouvé ce rhumatologue. Je ne sais pas si je peux dire, mais c'était à l'hôpital américain. À cette époque, la mutuelle, dans le cabinet de conseil, me le permettait. Et là, ça a vraiment tout changé. En fait, c'était une personne humaine. Quand j'allais le voir, il ne me parlait pas seulement de ma maladie. Il me parlait de tout ce qu'il y avait à côté. Et puis, incroyable, il m'a donné son numéro de portable, ça voulait dire que dès que si j'avais un problème, trop de douleur, je pouvais lui envoyer un SMS et il me répondait dans les cinq minutes. Il arrivait à me dégager un rendez-vous pour aller le voir et régler, ne pas me faire attendre, ne pas me faire souffrir des semaines et des semaines. Alors pas forcément en infiltrant, il a un peu essayé d'autres choses aussi de son côté. Mais oui, c'est important d'avoir quelqu'un qui nous écoute, avoir son numéro de téléphone portable et sa confiance dans le fait que je n'allais pas non plus abuser et puis lui envoyer des messages à 4h du matin. Donc voilà, il y a une relation de confiance qui s'installe et c'est hyper important d'être considérée entièrement. Et c'est vrai que, alors on oublie un truc, c'est que les médecins, oui, ils ont fait leurs études. Les rhumatologues sont calés sur les maladies, sur ma pathologie, mais moi je vis avec depuis mon adolescence. Et le fait de vivre avec, je me connais, je la connais ma maladie, je la pratique depuis tellement d'années. Et c'est ça qui est à prendre aussi en considération de leur côté, je pense. Alors aujourd'hui, on a des gens qui sont malades, qui vont tout de suite voir Internet, et puis Internet souvent il y a à boire et à manger dessus , c'est catastrophique. Mais non, là, c'est des années et des années avec ma pathologie.

  • Giulietta

    Et comment est-ce que tu l'as trouvé, ce médecin ? C'était un hasard ? Tu as juste voulu aller consulter dans cet établissement ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai pris le premier, c'était le bon. J'ai eu de la chance.

  • Giulietta

    Et tu as l'impression que dès la première séance, il était déjà très à l'écoute ? Ou c'est une relation que vous avez co-construite ?

  • Speaker #0

    On l'a co-construite. J'ai dit qu'il m'avait donné son numéro de portable, mais peut-être pas tout de suite, en fait. Ça a peut-être été au bout de 3-4 visites avec lui. Mais c'était une marque de confiance que j'ai beaucoup appréciée.

  • Giulietta

    C'est marrant, ça ressemble vraiment à un date, ce que tu racontes. Comme si tu avais eu plein de relations moyennes, et tout d'un coup, c'était le bon qui arrivait. De ce que j'ai entendu, c'était un peu le cas pour pas mal de gens de mon entourage qui vivent avec une maladie, et ça a été mon cas aussi. Il faut se faire confiance. Et si jamais on n'a pas les réponses à ces questions, il faut s'autoriser à avoir quelqu'un d'autre, en fait, et avec un peu de chance, à un moment, on rencontrera quelqu'un qui saura y répondre correctement. Effectivement, je reprends une situation. J'ai eu des cours sur ma maladie il y a un mois, un mois et demi, et j'étais avec d'autres personnes qui ont la même maladie. Il y avait une dame qui a commencé un traitement il y a six mois, qui a des effets secondaires atroces, qui ne sont pas compatibles avec une vie normale. Elle a écrit à son neurologue... Et elle attendait la réponse trois semaines après. Et elle disait "Mais je consulte dans deux semaines". Donc elle s'est dit "Pendant cinq semaines, je vais continuer à vivre avec ces symptômes horribles". Et en fait, elle ne s'autorisait pas à relancer, à appeler le secrétariat. Donc quand il y a une situation grave, des douleurs ou quelque chose comme ça, en fait, il ne faut pas rester...

  • Speaker #0

    Il faut agir. Et puis, moi, j'ai la chance d'avoir le numéro de portable. Mais je crois qu'on devrait tous avoir... Enfin, quand on a une pathologie comme ça, on devrait tous trouver un médecin qui nous fasse suffisamment confiance aussi pour pouvoir échanger de manière plus humaine. Tout simplement.

  • Giulietta

    Ben oui, je suis d'accord avec toi. Et quand on ne s'autorise pas à dire quelque chose à son médecin parce qu'on a peur qu'il nous juge, déjà c'est un peu mal parti.

  • Speaker #0

    Il faut savoir aussi qu'il y a la maladie et ses symptômes, mais il y a aussi ce qu'on ressent de tout ça, mes frustrations, mes colères. Je trouve ça important d'en parler à son médecin aussi. Le rhumatologue, je pense qu'il doit avoir ce rôle. Pas seulement de traiter l'articulation, parce qu'il y a quelque chose autour de cette articulation. En plus, on dit que c'est une maladie psychosomatique. Donc ça veut dire que le stress, la colère, la frustration, tout ça, ça donne des douleurs. Effectivement, dans les grosses périodes de stress, je peux avoir les genoux qui enflent.

  • Giulietta

    Est-ce que tu as d'autres personnes à qui tu parles et qui sont susceptibles de comprendre ? Je ne sais pas si tu es dans une association de patients, si tu es sur des gros Facebook ou des choses comme ça qui pourraient te permettre d'échanger avec des personnes.

  • Speaker #0

    J'avais essayé une association et en fait je pense que c'était plus pour les traitements. En fait non, avant 2012, j'y étais allée aussi parce que j'étais vraiment dans une crise très très sévère qui m'a fait redouter le fait de ne plus pouvoir, d'être vraiment coincée en fait, de ne plus pouvoir faire tout ce que je voulais. Et ça c'était avant d'avoir mon traitement qui me fait du bien aujourd'hui. J'ai cherché de l'aide parce que j'avais besoin. Qu'est-ce que je pouvais faire ? Il y a ma vie qui partait là. Tellement de douleur. J'étais coincée. Même la nuit, je ne dormais pas parce que la douleur me réveillait la nuit. J'avais les articulations en feu, la colonne vertébrale. Je ne pouvais pas tourner la tête. Les coudes, les genoux, les chevilles, il y a tout qui me brûlait.

  • Giulietta

    Et tu avais eu le sentiment que ça t'avait apporté quelque chose ?

  • Speaker #0

    Ça m'a fait du bien de raconter des fois et de voir. On n'est pas tout seul effectivement, ça peut être bien. Aujourd'hui, mon traitement me permet de me débrouiller tant que je peux danser. D'ailleurs, quand on m'a changé mes hanches en 2021, c'était ma crainte de ne pas pouvoir redanser et de devoir dire adieu à tout ça. En fait, c'est même mieux qu'avant, donc ça va.

  • Giulietta

    C'était un sujet qui avait été évoqué, le fait qu'après l'opération des hanches, tu pouvais...

  • Speaker #0

    En fait, des changements de prothèse de hanche, ça peut être un peu compliqué. J'avais toujours lu qu'on avait des moins bons résultats avec une reprise de prothèse que la mise en place de vraies prothèses. En fait, moi, mes prothèses, j'en ai mis en 93 et en 98, je crois. Et elles sont tellement vieilles que même aujourd'hui, avec la nouveauté, les efforts et les progrès qu'il y a eu en médecine, ça me permet quand même d'avoir quelque chose de bien mieux, d'avoir une petite bille en céramique plutôt que le titane. C'est la tête, juste la tête. Mon chirurgien, qui est extraordinaire, a été chercher la dernière bille qui restait en France. La dernière bille compatible avec mes vieilles prothèses. J'ai eu beaucoup de chance de l'avoir parce que j'en avais consulté un autre qui lui voulait tout changer. Lui, il a fait l'effort d'aller chercher ma dernière bille pour me donner ce confort exceptionnel. Il a remplacé une grosse bille. qui me limitait dans les mouvements par une toute petite, qui améliore grandement les choses. Et ça a été ensuite un travail avec un excellent kiné. Dans la douleur, parce que le fait d'être limité dans les mouvements, ça fige les muscles, ça fige les tendons. Et donc, pendant un an, on a tiré dessus pour... C'est douloureux, mais on a bien tiré dessus pour que je puisse récupérer le maximum de mouvements.

  • Giulietta

    Mais tu m'as parlé là spontanément de ton rhumatologue, mais je me souviens maintenant que... En fait, tu as aussi un chirurgien qui est extraordinaire et tu avais vu quelqu'un d'autre qui ne te convenait pas du tout. Et ton kiné, qui est aussi génial.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui. J'ai eu de la chance. Alors le chirurgien, c'est mon rhumatologue qui me l'avait conseillé. Et moi, j'avais été en chercher un que j'avais vu sur Internet, qui avait un site Internet magnifique, très alléchant. Il s'est avéré qu'il était très fort en marketing. Je pense que je ne l'intéressais pas beaucoup. Je pense qu'il préférait... Il s'occupait peut-être de grands sportifs, mais moi il n'avait pas envie de s'embêter à me changer et me mettre juste un truc sympathique. Il voulait tout changer, tout couper, alors que ce n'était vraiment pas nécessaire. Et mon kiné, alors j'ai eu énormément de chance parce que j'ai cherché un kiné proche de mon domicile. Tous les cabinets étaient saturés de monde. Peut-être l'après-Covid, où tout le monde s'est fait opérer, il y avait la queue dans les blocs opératoires, peut-être. Et donc, à ce moment-là, je n'ai pas trouvé de kiné. J'ai dû attendre. En fait, j'aurais pu commencer la kiné en janvier, je l'ai commencée en mars, parce que je ne trouvais personne. Mais en fait, à côté du bureau... par chance, j'ai trouvé. Et c'est le bon. C'est le bon parce qu'il est extraordinaire. C'est quelqu'un qui travaille beaucoup sur la posture, qui prend son temps, c'est un coach. En plus d'un kiné, c'est un coach.

  • Giulietta

    Dans quelle mesure c'est un coach ?

  • Speaker #0

    Il pousse, il pousse toujours. Comme si j'étais une grande sportive, en fait. Il ne fait pas de différence entre le grand sportif à côté et puis moi. Donc il me considère comme n'importe qui, en fait. Et donc, il me fait avancer, il a su gérer ma personnalité, c'est-à-dire qu'il arrive à trouver l'équilibre, à me pousser sans trop me demander. Il connaît ma limite en fait, mieux que moi, et c'est ça qui m'a impressionnée.

  • Giulietta

    Mais ce que tu dis, ça me fait vraiment penser à ce que Thibaut dit dans le premier épisode, sur la notion de pitié, en fait, que ce dépassement de soi, c'est parce que souvent, les personnes ont une réaction qui est maladroite et qui est de la pitié de te mettre dans une catégorie, un petit peu dans une petite bulle, où là, on ne va pas trop la solliciter, on ne va pas trop lui en demander. Je n'ai pas de solution, ni de toute faite par rapport à ça, mais je trouve ça effectivement très triste que... quand on évoque notre état de santé, on nous met dans une case et qu'on ne prenne pas le temps de nous demander, nous, comment on perçoit les choses et qu'on verbalise nos limites, en fait, parce qu'en soi...

  • Speaker #0

    Après, peut-être qu'il y a des personnalités très différentes et mille manières de gérer sa maladie. Et du coup, c'est difficile. Alors, certains voudront qu'on les pousse.

  • Giulietta

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    Et d'autres, à l'inverse, voudront être un petit peu... se faire chouchouter et qu'on fasse attention à eux. C'est difficile de trouver l'équilibre. Et c'est ça tout l'art du... du soignant, tout l'art du kiné, du rhumato, du chirurgien. C'est de trouver l'équilibre et de trouver, comme on le sait, du savoir-être avec le patient.

  • Giulietta

    Je suis entièrement d'accord avec toi. Il y a vraiment toute une relation à animer. Et comme tu le dis si bien, quand on est détendu par rapport à ce qui va se passer, qu'on comprend bien les tenants et les aboutissants, ça débloque. Je reparle d'un autre épisode, mais dans le deuxième épisode qui n'est pas sorti au moment où on enregistre, Albert, qui a un souci aux yeux, expliquait qu'au tout début, il voyait flou au sens littéral et au sens figuré, qu'il ne comprenait pas où il allait et que personne ne savait lui dire et que maintenant qu'on lui a clairement expliqué le protocole et qu'il sait où il va, c'est lui qui adapte son quotidien à ce qui se passe. C'est très important et j'espère... que ça va changer, mais que le personnel soignant aussi intègre cette dimension humaine qui fait que ça marche.

  • Speaker #0

    Ils doivent réaliser qu'ils travaillent avec l'humain. Alors l'humain, c'est complexe, tout le monde est différent, mais quand on travaille avec l'humain, il faut être un peu artiste aussi.

  • Giulietta

    Je suis entièrement d'accord avec toi. Est-ce qu'il y a des points, toi, que tu souhaites évoquer ou des questions que tu as avant que je passe à ma dernière question ?

  • Speaker #0

    Non, je crois que j'ai dit tout ce que j'avais à dire.

  • Giulietta

    Alors, ma dernière question, je me doute que l'exercice n'a pas été facile pour toi. Vu que tu es d'un tempérament relativement discret, et je présume assez pudique, pourquoi est-ce que tu as accepté de parler ?

  • Speaker #0

    C'est pudique qui me fait rire là, parce que pudique, mais en fait ça ne me dérange pas d'aller défiler sur les Champs Elysées avec mes plumes. J'aime bien, je suis tout, et son contraire, j'aime beaucoup. Je n'ai pas accepté d'en parler, en fait j'ai eu envie de t'aider à avancer dans ta maladie, et je me suis dit "tiens pour une fois que cette maladie va me servir à quelque chose". J'ai eu envie de... Voilà, je me suis dit, ça change la donne, en fait, de pouvoir l'utiliser pour rendre service. Pas de rendre service, c'est entre guillemets, mais je ne vis pas ça comme une acceptation de le faire, mais vraiment l'envie de... de te faire avancer sur tes sujets.

  • Giulietta

    C'est trop gentil. C'est marrant parce que j'ai eu un peu le même sentiment. Pour expliquer, on a pris ce café où on a parlé pendant une heure ou une heure et demie et où c'était une conversation fluide et où on s'est dit des choses très personnelles qu'on n'avait pas eu l'occasion d'évoquer dans une vie précédente. Je suis sortie de là et je me suis dit que c'était vraiment bien quand même, mais je n'osais pas te proposer parce que je me suis dit "bon je suis pas sûre que ça passe" puis après j'ai réfléchi et je me suis dit "quand même c'était vraiment très très intéressant, je trouve ça beau si on peut l'enregistrer" et j'avais le le sentiment aussi que en fait tu t'épanouissais vachement dans le fait de parler et là par exemple t'étais pas sûre d'énoncer parfaitement les choses et je trouve que c'est très fluide. J'ai l'impression que chacune, on a fait un bout de chemin.

  • Speaker #0

    Oui, on a fait un bout de chemin, et notamment notre précédente discussion, la première, m'a fait avancer sur mon sujet, m'a fait prendre conscience que j'étais dure avec moi, que j'étais dure aussi avec les autres, qui ne comprennent pas forcément, mais que j'étais dure sur le fait que je voulais rendre invisible cette maladie, et que parfois, il pouvais m'arriver de leur reprocher qu'ils ne soient pas plus doux avec moi, plus vigilants. J'ai réfléchi sur tout ça, j'ai trouvé ça intéressant. Donc merci pour l'échange, ça a été vraiment un partage.

  • Giulietta

    Oui, je suis d'accord avec toi. Et est-ce qu'il y a des choses qui ont changé ? Ou pour l'instant, c'est juste à l'état de concept, et tu as pris conscience de ces choses-là ? Ou est-ce que tu as le sentiment quand même de, par touches, exprimer des petites choses ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est assez nouveau. J'ai l'envie d'être moins invisible. Je ne sais pas. Je ne sais pas si c'est à partir de cette démarche, mais j'ai toujours été discrète, un peu sauvage, parce que j'ai du mal à me dévoiler justement, parce que c'est un secret tout ça, je cache des choses. Et aujourd'hui, je pense qu'en tant que chèvre boiteuse, j'ai bien d'autres qualités, et je suis quelqu'un qui a plein d'activités, plein de passions. et je suis sûre que ça peut intéresser et que je suis intéressante mais bien évidemment j'ai envie d'être moins invisible

  • Giulietta

    C'est trop bien. J'avais une question et je l'ai oubliée parce que tu as parlé de chèvres. Eh bien oui, je ne sais plus. Je réfléchis. Oui, le fait que tu parles autant de chèvres, ça me fait penser : je ne sais pas si tu connais le podcast Les Couilles sur la Table. C'est un podcast qui interroge la place de la masculinité dans l'espace public. Et la personne qui a créé ce podcast s'appelle Victoire Tuaillon. Et en fait, elle avait beaucoup de mal à accepter son corps. Et un jour, elle est partie en Espagne. Elle gardait des chèvres et elle s'est rendue compte qu'il y avait des chèvres qui étaient moins belles que d'autres, certaines qui avaient par exemple des pis plus bas que d'autres, tout ça, et qu'elles s'en foutaient. Et qu'elles interagissaient malgré tout, toutes ensemble, et que ça allait bien. Et donc elle s'est dit qu'elle aussi, elle voulait être une chèvre. Et donc ne pas se concentrer sur ses complexes, mais faire partie de la foule. Bref, ça m'a évoqué ça. Et je me dis, effectivement, les gens peuvent en savoir un peu plus sans te mettre dans une boîte, et c'est une telle richesse tout ce que tu as raconté. J'ai retrouvé ma question entre-temps : tu n'as pas témoigné de manière anonyme et tu as dit plus ou moins le biais par lequel on se connaissait. Par conséquent, peut-être que certaines personnes plus fines que d'autres vont comprendre qui tu étais. Comment tu te positionnes par rapport aux éventuels retours que tu pourrais avoir ?

  • Carole

    Je pense que j'assume complètement ma présence. Donc s'ils ont envie d'en parler avec moi, je suis complètement ouverte. Même si je préfère qu'ils retiennent mes passions, etc. mais je suis aujourd'hui assez ouverte sur le sujet donc pas de soucis.

  • Giulietta

    Un immense merci pour ta présence et pour tout ce que tu as partagé, c'était vraiment génial. Un immense merci à Carole d'avoir eu la gentillesse de témoigner sur lanomalie et d'avoir voulu partager avec vous et avec moi son parcours et son regard sur le monde. J'ai pris beaucoup de plaisir à réécouter les mots de Carole, le recul qu'elle avait sur sa personne et sa volonté d'aborder les choses avec plus de douceur et d'indulgence à l'avenir. Faites-moi confiance, je continuerai à prendre des nouvelles et je vous en ferai part si elle le souhaite. Cet épisode vous a plu ? Vous souhaitez réagir ? Écrivez-moi sur le compte Instagram de lanomalie, le lien est dans la description de cet épisode. Partagez-moi vos retours, qu'ils soient positifs ou plus circonspects, je les lirai avec plaisir. Si vous êtes d'humeur à déplacer des montagnes, vous pouvez attribuer une note et un commentaire au podcast, cela m'aidera beaucoup. Lanomalie est un podcast autoproduit par mes soins, entièrement conçu et imaginé entre Ménilmontant et le canal de l'Ourcq à Paris. Rendez-vous très bientôt pour le prochain épisode. D'ici là, prenez soin de vous.

Description

La spondylarthrite ankylosante est-elle compatible avec la pratique de sports extrêmes ? La rencontre avec Carole m'a permis de répondre par la positive, à condition de faire attention à ses limites.


Pour ce troisième épisode de lanomalie, je vous propose de rencontrer Carole, qui vit depuis son adolescence avec une spondylarthrite ankylosante. Il s'agit d'une maladie inflammatoire chronique dont les symptômes consistent en des douleurs quotidiennes intenses au niveau des articulations et, de fait, des mouvements limités.

180.000 personnes sont touchées par cette pathologie en France, c’est loin d’être un petit sujet !


Carole est une ancienne collègue à moi : ni elle ni moi n'avions évoqué, lorsque nous travaillions ensemble, nos problèmes de santé respectifs. Je suis donc particulièrement touchée qu'elle m'ait contactée pour échanger sur sa spondylarthrite ankylosante, avec laquelle elle vit depuis l'adolescence.


Avec Carole, nous avons évoqué des sujets structurants sur l’expérience de la maladie :

  • La frustration de ne pas pouvoir réaliser certaines actions, due à la douleur

  • Le fait de se créer une carapace, pour ne pas évoquer sa pathologie ou son handicap

  • Les difficultés induites par une maladie chronique et des symptômes quotidiens

  • La volonté de se dépasser, pour garder le contrôle sur le reste

  • L’importance du sport pour se réapproprier son corps et se vider la tête

  • La difficulté d'évoquer des sujets relatifs à sa santé ou à son handicap, dans un contexte professionnel

  • Le binôme patient / médecin, essentiel pour affronter sereinement les choses

  • La mise en place d'un traitement adapté, qui peut prendre du temps.

Carole se révèle au cours de l’enregistrement, partageant ses colères, sa détermination et sa sensibilité. J’espère que cet épisode vous touchera autant qu’il m’a émue.


💜 Vous souhaitez suivre lanomalie sur Instagram, rdv sur @lanomalie.media 


⚡️ lanomalie, c'est le podcast qui ouvre la discussion sur la maladie. Retrouvez chaque mois le parcours d'une personne concernée.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et si on parlait plus ouvertement de la maladie ? Dans l'imaginaire commun, quand la santé va, tout va. Partout on valorise un corps sain, qui tient la route, et dont on souhaite sans cesse repousser les limites. Dès lors, quelle est notre place quand on connaît ponctuellement ou plus durablement la présence de la maladie dans notre vie ? Je suis partie à la rencontre des personnes qui, tout comme moi, vivent en compagnie d'une maladie, car à mon sens, poser des mots sur un sujet encore tabou, ça fait du bien. Pour ce troisième épisode, je vous propose d'écouter le parcours de Carole, première femme à témoigner sur ce podcast! Carole est atteinte d'une spondylarthrite ankylosante. Il s'agit d'une inflammation chronique qui touche les articulations. Cela génère d'importantes douleurs et peut limiter la mobilité des articulations touchées. Cette maladie évolue par poussées qui peuvent causer un gonflement des articulations concernées associées à des douleurs intenses. Au cours de cet épisode, nous avons parlé de la frustration, de la tristesse et de la colère que peut générer la maladie, de la carapace qu'on peut se créer pour faire tout comme tout le monde quand on vit avec un handicap invisible, de l'importance des égards de l'entourage, du binôme patient-médecin et surtout de sa passion pour la samba. Vous l'entendrez, Carole se révèle au cours de l'épisode. D'abord réservée, elle s'ouvre au fur et à mesure jusqu'à dévoiler un tempérament audacieux, drôle et plein de tendresse, cela m'a beaucoup touchée. Il y a un peu d'écho au cours de cette discussion, j'espère que vos petites oreilles n'en prendront pas ombrage et que vous prendrez plaisir à écouter le témoignage de Carole. Je vous souhaite une très bonne écoute.

  • Giulietta

    Bonjour Carole et merci de ta présence avec moi pour l'enregistrement de ce troisième épisode. Comme je l'ai fait pour les autres épisodes, si cela te convient, je vais faire une petite contextualisation afin que les auditeurs et les auditrices en sachent un petit peu plus sur toi. Nous avons travaillé pour la même structure par le passé. A cette époque, j'avais compris que tu étais une personne très sympathique, mais qu'il ne fallait surtout pas t'embêter. De l'eau a coulé sous les ponts jusqu'à ce que je publie un post sur LinkedIn pour parler de ma démarche sur lanomalie. Dans l'heure, j'avais reçu un mail de ta part me proposant d'échanger, si j'en ressentais le besoin. Nous sommes allées prendre un café, et je n'avais pas trop de doutes sur le fait que l'échange serait passionnant. Je n'ai pas été déçue du voyage. C'est pour cette raison que je t'ai proposé d'enregistrer la suite de notre discussion, parce que je suis convaincue qu'elle pourra aider de nombreuses personnes dans leur parcours. Avant de commencer, est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?

  • Carole

    Non. Bonjour, déjà. Ma présentation est parfaite. Pour me présenter, j'ai 48 ans, je suis responsable de gestion dans un cabinet de conseil à Paris. De moi, je peux dire que je suis quelqu'un de passionné par l'art, notamment la musique et la danse. Je suis une personne sensible, très sensible. Je me qualifierais d'épicurienne. J'aime les plaisirs de la vie, j'adore manger, j'adore voyager, j'adore découvrir d'autres cultures. J'aime en particulier la mer et les fonds marins, parce que les fonds, c'est comme une parenthèse en fait dans ma vie. Ma principale caractéristique, c'est que je suis toujours en recherche d'amélioration. C'est-à-dire que si je peux bouger quelque chose et que j'ai la main dessus, alors je vais toujours avancer et puis me donner à fond pour une recherche d'amélioration constante.

  • Giulietta

    Ça ne m'étonne pas du tout. C'est marrant, mais tout comme Thibaut, tu te présentes par les choses que tu apprécies et tes plaisirs. Je trouve ça très joli de dire ça. Sans surprise, tu ne parles pas de ta pathologie.

  • Carole

    Sans surprise, effectivement. C'est quelque chose que je souhaite cacher au maximum.

  • Giulietta

    Et est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Carole

    Oui, je peux en dire plus. C'est une pathologie sur laquelle on a eu du mal à mettre un nom. En fait, c'est une pathologie qui est apparue à mon adolescence, quand j'étais en cinquième, fin de cinquième, début de quatrième. Et ça a commencé par une douleur à une hanche. Et petit à petit, le cartilage de ma hanche s'est dégradé et il a fallu attendre la fin de ma croissance pour me mettre une première prothèse totale. On ne savait pas trop, on n'avait pas diagnostiqué, on m'a parlé de rhumatisme, d'arthrite juvénile chronique, de plein de choses, surtout au moment où la douleur qui était passée du côté droit, puisque la hanche avait été opérée, est passée à gauche, quelques temps ... tout de suite après, hein. Mais le temps qu'elle se dégrade, il a fallu 2-3 ans avant l'opération de la deuxième prothèse de hanche. Et puis les douleurs sont parties dans les genoux, et puis les chevilles, les pieds, les coudes, la mâchoire, la colonne vertébrale, les cervicales, les lombaires. On m'a parlé de polyarthrite, on m'a parlé de spondylarthrite. Aujourd'hui, je pense que c'est une spondylarthrite. On a plus, dans mes statistiques, parlé de spondylarthrite ankylosante.

  • Giulietta

    Donc le diagnostic n'est pas vraiment posé ?

  • Carole

    Ça tourne, ça tourne, c'est compliqué. J'ai du mal à m'identifier dans la spondylarthrite ankylosante parce que ce que je vois... On regarde beaucoup internet, on regarde les autres personnes, comment ça se passe chez eux. J'ai du mal à m'identifier exactement. C'est peut-être une spondylarthrite périphérique, puisqu'elle a touché les grosses articulations (hanches, genoux). Je dirais que j'ai de l'arthrite. Avec une maladie auto-immune, avec toutes ces joyeusetés qui peuvent toucher la peau, avec du psoriasis, qui peuvent toucher les yeux, avec les uvéites, toutes les joyeusetés d'une maladie auto-immune.

  • Giulietta

    Mais même si le... Le nom de ta pathologie n'est pas certain, visiblement le traitement que tu prends fonctionne et te soulage.

  • Carole

    Alors depuis 2012 oui mais avant ça, c'était avant de trouver mon rhumatologue, avec qui je fais équipe aujourd'hui. Et avant lui, je suis passée par des moments très difficiles où j'avais l'impression de ne pas être prise en considération au niveau de la douleur, ou quand j'avais un genou enflé, mais vraiment très très enflé, et en plus on sait que quand le genou est enflé, il s'abîme au niveau du cartilage, donc il y a la peur de la prothèse. À partir du moment où j'avais cette douleur, il me fallait six mois pour avoir un rendez-vous pour une infiltration par exemple. Ce n'est pas humain de laisser attendre les gens dans une douleur comme ça.

  • Giulietta

    J'imagine bien. Oui, carrément. Je bouleverse un peu l'ordre de mes questions, mais je pense qu'il y a des personnes qui peut-être écouteront cet épisode et qui en sont au moment où ils découvrent le fait qu'ils ont une maladie, qu'ils vivent peut-être les symptômes que t'as vécu toi à l'époque. Comment est-ce que t'avais vécu les choses quand tu étais très jeune ? Tu t'es construite en tant que jeune femme, puis en tant que femme, avec cette maladie qui était douloureuse, qui a pris beaucoup de temps, qui a induit des opérations, des hospitalisations, de la douleur, comme tu l'as dit. Quel est le souvenir que tu en as ?

  • Carole

    Très mauvais souvenir. Surtout à l'adolescence. Moi, j'étais une gamine qui adorait courir. J'adorais l'athlétisme. Donc quand ça tombe avec la hanche comme ça, qui ne nous permet plus de faire ce qui nous passionne, c'est le pire qui nous empêche de faire des mouvements. Le commun des mortels fait sans se poser de questions. On ne se construit pas de manière normale. On est bancal. Moi, j'ai eu une vie remplie de frustration. Aujourd'hui, il ne se passe pas un seul jour sans que la maladie revienne à mon bon souvenir. Elle est là, elle ne me quitte pas. Tous les jours, j'y pense. C'est depuis mon adolescence.

  • Giulietta

    Quelle est la place que tu donnes, toi, à ta maladie dans ta vie de tous les jours ?

  • Carole

    C'est mon combat de tous les jours. Tous les jours, je fais en sorte qu'elle arrive à la dernière place. Donc ça passe par plein de choses. C'est pour ça que je pense que je suis une épicurienne et une passionnée, parce que c'est ça qui me permet de... C'est mon moteur pour me la faire oublier. Enfin, oublier. Comme j'ai dit, je ne passe pas une journée sans y penser, puisque ça induit beaucoup de fatigue et de douleur au quotidien. Mais voilà, c'est ça aujourd'hui qui est mon moteur et qui me permet de faire face. Mais on ne se construit pas. C'est une vie remplie de frustrations, parce que même certaines passions, sur lesquelles je suis à fond dedans. Par exemple, la danse, une danse que j'arrive à très bien faire, mais il y a quand même par moments des mouvements qui ne me sont pas accessibles. Et alors ça, c'est une frustration, parce que je ne sais pas que je n'y arriverai pas, c'est que je ne peux pas.

  • Giulietta

    Sur les deux premiers épisodes, on avait un ton qui était relativement bienveillant et un petit peu de bonne humeur en disant "on recompose les choses, o n essaie de s'adapter à son environnement, tout ça. Ça permet de découvrir de nouvelles choses ou de les aborder différemment". Mais en fait, on n'a pas encore évoqué le fait que, parfois, on ne peut pas. Et qu'il faut accepter ou qu'il faut se faire à l'idée, malheureusement, de ne pas pouvoir faire quelque chose. Toi, quel a été ton parcours par rapport à cette frustration ? Est-ce que c'est un sujet avec lequel tu n'arrives pas à composer ? Comment ça se passe ?

  • Carole

    Je gère très mal la frustration. Alors... J'ai essayé de me faire accompagner, mais c'est quelque chose qui génère beaucoup de tristesse en moi. Et je pense que c'est une tristesse qui peut se voir et qui peut mettre les personnes à distance. Ça me rend un petit peu sauvage, ça me rend dure parfois avec certaines personnes. Donc c'est quelque chose vraiment que, aujourd'hui, je ne peux pas dire que je gère ma frustration. Elle est là, elle est bien présente, il faut que je compose avec.

  • Giulietta

    J'aime bien le fait que tu dises composer avec et que tu ne veuilles pas l'enlever. Je trouve que c'est bien aussi d'accepter ses failles. C'est comme ça que tu abordes les choses et c'est normal d'être en colère et d'être frustrée, je trouve ça très bien. Un exemple, moi, dans mon cas, j'ai très peur de faire des IRM. C'est très récent que j'accepte de prendre un petit Lexomil avant d'y aller parce que je voulais me battre contre moi et apprendre à maîtriser ça. Et je m'étais dit, il faut que tu fasses une thérapie. En fait, non, c'est comme ça. Et c'est une partie de ma personnalité qui ne bougera pas. La maladie induit tellement de difficultés au quotidien qu'il faut aussi accepter les choses qu'on ne peut pas modeler.

  • Carole

    Oui, et puis, alors, tu me fais penser, toi, tu as peur des IRM. Quand j'ai eu cette maladie, moi, j'avais peur des aiguilles. Ça a mis du temps, mais j'ai fini par me faire mes piqûres dans le ventre toute seule. Finalement, je ne pensais pas que ça serait possible, parce que vraiment, les aiguilles, une prise de sang, j'y pensais longtemps à l'avance. Mais aujourd'hui, ça va.

  • Giulietta

    Oui, il y a des choses qui bougent, rien n'est figé. Donc là, on est en train de parler de toi. Le souvenir que j'ai de notre cadre professionnel, c'est que tu ne l'évoquais pas, pas en tout cas avec tout le monde. Dans quel cadre tu évoques ce sujet ?

  • Carole

    Alors c'est vrai que je ne l'évoque jamais, sauf quand ça doit influer sur ma sécurité. Ma sécurité physique, ma sécurité aussi psychologique, c'est important aussi, mais surtout physique. Par exemple, s'il y a quelque chose que je ne peux pas faire, je suis obligée de le dire. Moi, je sais ce que je peux faire, ce que je ne peux pas faire, je me connais bien, je suis obligée de le dire. C'est pareil en cours de danse, quand je ne peux pas faire un truc, j'en informe la professeure parmi les autres, ça me met dans une situation où je déteste, mais je le fais. C'est ma sécurité d'abord, en fait. C'est la priorité.

  • Giulietta

    Et ta professeure de danse, elle est au courant de ce que tu as ou elle est juste au courant qu'il y a des choses que tu ne peux pas faire ?

  • Carole

    Alors, au début, dans ma vie, quand j'allais dans mes cours de danse, je prévenais l'enseignant. Et je me suis aperçue que pour certains, on me mettait complètement de côté en se disant "bon, si elle ne fait pas les trucs, peut-être qu'elle gère toute seule". Donc, on ne me corrigeait jamais. Alors que moi, j'ai envie qu'on vienne me voir quand même pour me dire "Tiens, tu pourrais faire ça de telle façon, essaye comme ça". J'ai besoin quand même qu'on me pousse un petit peu pour me faire avancer, qu'on me dise ça, ça, c'est pas bien, parce qu'il y a quand même des choses qui ne sont pas bien et que je peux faire. Il n'y a que moi qui peut dire si je ne peux pas faire les choses. Et donc, aujourd'hui, j'évite de le dire, sauf au moment où je suis au pied du mur et que là, je n'ai pas le choix.

  • Giulietta

    Tu as déjà eu des personnes qui arrivaient à composer avec ça correctement ou tu as toujours été déçue de la manière dont on te mettait un petit peu à part parce qu'on imaginait tes limites ?

  • Carole

    Alors c'est très compliqué, je pense. J'ai un positionnement et je m'en suis aperçue, ça m'a fait réfléchir la dernière fois qu'on s'est vues. En fait, c'est que j'ai un positionnement très compliqué. D'un côté, je fais tout pour rendre ma maladie invisible, et de l'autre, je souffre que certaines personnes ne considèrent pas assez le fait que je sois malade. Qu'elles ne prennent pas en compte que le fait d'avoir mal tout le temps, ça génère de la fatigue. Ne pas prendre ça en compte, ne pas se dire, bon, elle ne dit rien, donc tout va bien. Mais ce n'est pas, non, tout ne va pas bien. Tout ne va pas bien. Je pense que ma famille a oublié que j'étais malade. Ma victoire, c'est que je l'ai rendue super invisible. Tout le monde a l'impression que je suis normale et tout ça. Mais j'aimerais bien qu'à un moment, on me demande comment je vais. Et où j'en suis.

  • Giulietta

    Est-ce que tu arrives à mettre le sujet sur la table ou c'est délicat ?

  • Carole

    Non. Je ne mets pas... Enfin... Je n'y arrive pas.

  • Giulietta

    Je comprends.

  • Carole

    Mais j'aimerais que ça vienne d'eux, qu'ils me demandent vraiment "Comment tu vas ?". Vraiment. Tout simplement.

  • Giulietta

    Oui, je comprends totalement. C'est difficile. Thibault l'exprimait super bien dans le premier épisode. Il est beaucoup plus empathique que moi, par exemple. Et il disait que c'est difficile pour une personne qui n'est pas confrontée à ça de se projeter, de comprendre. Et soit c'est trop d'inquiétude, et là c'est énervant, soit ce n'est pas du tout assez...

  • Carole

    Oui, et on a notre part de responsabilité du coup, puisque moi je fais tout pour être combative, que ce soit invisible, donc j'ai ma part de responsabilité sur le sujet, j'en suis consciente.

  • Giulietta

    D'accord. Tu m'as parlé la dernière fois de toutes tes activités qui n'ont absolument rien de conventionnel. Pour une personne lambda, c'est déjà énorme, mais compte tenu des difficultés que tu peux avoir au quotidien, c'est d'autant plus inspirant. Comment est-ce que tu expliques cette volonté d'être aussi active et un petit peu extrême quand même, il faut le dire ? Est-ce que c'était présent en toi ? Ou ça s'est révélé au fil du temps et sans doute la maladie a joué un rôle ? Ou est-ce que ça fait partie du chemin pour te réapproprier ton corps ?

  • Carole

    Alors, je ne peux pas dire si c'était présent en moi, puisque c'est une maladie qui s'est déclarée quand j'étais en cinquième, quatrième. Donc je ne sais pas ce qu'aurait été ma vie si je n'avais pas eu cette maladie. Par contre, ce que je sais, c'est que cette maladie, la Spondylarthrite ankylosante, pour moi c'est ça, c'est ce que j'ai entendu. Ankylosante, ça veut dire qu'aujourd'hui, si je ne bouge pas, je m'ankylose. Donc il faut bouger, on a mal, ce n'est pas grave, mais ce qui me sauve aujourd'hui, c'est le fait que je bouge beaucoup. Et ce qui me fait bouger, la seule chose qui me fait bouger, en oubliant un petit peu, en supportant ma douleur, c'est la danse. Je pense que chacun doit trouver une activité, l'activité qui... qui lui fasse, entre guillemets, vriller le cerveau, qui soit suffisamment motivante et stimulante pour oublier tout le reste à côté. Alors pour moi, c'est explorer les fonds marins, snorkeling ou plongée libre. C'est aussi la danse, en particulier la samba. Alors ce qui est drôle, c'est que la samba, c'est quelque chose, une activité qui est axée beaucoup sur les hanches. Des hanches qui vont de droite à gauche. Donc oui, j'ai des prothèses, mais j'arrive à bien bouger mes hanches. Alors je ne fais pas le grand écart, je suis limitée en flexion, en extension, etc. Mais mes hanches, je peux les secouer de gauche à droite facilement. La samba, c'est la fête. Pour moi, qui ai beaucoup de colère, de tristesse aussi en moi, danser la samba et faire une fête, c'est... ben voilà, je... ! Ça me booste. Et ça m'oblige à... Ça m'oblige, pas à faire la fête, mais ça m'oblige à me stimuler. Ça me fait du bien.

  • Giulietta

    Oui, c'est un soin à la fois pour le corps et pour l'esprit.

  • Carole

    Oui, c'est ça.

  • Giulietta

    Alors je sais pas si c'est dans ta personnalité, mais parfois on peut avoir un moment de censure à l'idée de commencer une nouvelle activité. Tu devais avoir à la fois des limites physiques et des limites un peu mentales. Comment tu t'es tournée vers la samba et la danse ?

  • Carole

    La samba, j'en avais fait déjà il y a 20 ans, quand j'étais arrivée sur Paris. C'était la première activité dans laquelle je m'étais inscrite. J'avais toujours voulu faire de la danse, et du coup... Il n'y avait que la samba. J'aimais bien les percussions. Ça nous met dans une espèce de transe. C'est cet état qui permet de ne plus penser à la douleur. Je ne sais pas si les personnes qui vont danser la salsa, par exemple, et qui sont des mordues de salsa, ils remarqueront que lorsqu'ils vont en soirée danser, même s'ils sont enrhumés, ils ont une sinusite, le nez qui coule, etc. Le moment où ils vont danser, le nez ne va plus couler. C'est assez miraculeux, je ne peux pas l'expliquer. Je pense que c'est l'état de transe qui est en nous. Il faut vraiment quelque chose qui place. J'avais essayé la musculation, le sport en salle. C'est trop de douleur. Mon cerveau ne suit pas. Et donc, je ne pense qu'à la douleur. Et ça ne marche pas, du coup.

  • Giulietta

    Et là, actuellement, quand tu danses, tu as un moment où, justement, d'échauffement. Où tu peux avoir tes douleurs qui restent et ensuite ça passe ? Ça se passe comment sur le plan physique ?

  • Carole

    Alors, mes activités sont plutôt le soir. Donc en fait, mes douleurs, c'est plutôt le matin au saut du lit, quand je suis un petit peu engourdie de ne pas avoir bougé toute la nuit. Du coup, dans la journée, ça a le temps de chauffer un petit peu.

  • Giulietta

    D'accord. Je vais poser maintenant la question que j'avais appelée "Moldue". Pour réexpliquer, j'ai demandé à ce que tu proposes à quelqu'un de ton entourage de poser une question qui nous serait adressée à toutes les deux. Et donc la question, c'était "est-ce que c'est la maladie qui t'a fait devenir ce que tu es, ou bien tu aurais de toute façon été ?" et les adjectifs proposés sont "battante", "reloue", "extrême". Quel est ton retour là-dessus ?

  • Carole

    C'est indéniable. Oui, bien sûr, ça m'a rendue... Très combative. En fait, ça m'a obligée, enfin moi, je me mets tellement de pression sur moi, parce que j'ai l'impression d'être un peu... peut-être un peu bancale, c'est-à-dire dans un troupeau de chèvres. Moi, je vais être la chèvre boiteuse. Et du coup, j'ai l'impression de devoir compenser au maximum pour faire oublier. Ça a été compliqué pour moi professionnellement, surtout en démarrant, puisque je n'avais pas trouvé mon médecin qui me permettait de gérer mieux ma maladie. Donc professionnellement, il arrivait des moments où j'avais des crises ou des douleurs qui étaient insupportables. Ça durait dans le temps. et j'étais obligée de... Enfin, je me sentais, moi, obligée, par rapport à mes employeurs, de compenser par plein d'autres choses. Et ça, c'est insupportable, en fait, cette manière de... Alors, c'est bien, je veux dire, ça m'a permis d'évoluer. C'est ça qui, je pense, fait que je me perfectionne tout le temps ou que j'ai tout le temps envie d'apprendre, parce que je compense, en fait. C'est tout le temps de la compensation. C'est usant, aussi.

  • Giulietta

    Oui, c'est ce que j'allais dire, c'est fatigant aussi. Et t'es toujours dans ce rapport-là de vouloir compenser ?

  • Carole

    Toujours. C'est pénible, mais toujours. Parce que je veux pas... J'ai l'impression d'être la chèvre boiteuse du troupeau, en fait. Et de devoir montrer... plein d'autres facettes de moi pour le rendre supportable aux autres.

  • Giulietta

    Est-ce que, du coup, le fait que tout à l'heure, je mentionne la perception que moi j'avais de toi et que je n'avais absolument rien remarqué, ça te rassure ?

  • Carole

    Oui, ça me rassure. En fait, j'ai une vision très dure de moi. Et du coup, je me vois plus sauvage que je ne le suis, je me vois plus méchante que je ne le suis. Et du coup, si quelqu'un arrive à percevoir ce côté un peu sensible et doux, finalement, de moi. J'aime bien. Ça me fait plaisir.

  • Giulietta

    Mais tu es très douce. Je ne sais pas si je garderai ce bout-là, mais sache que Mathieu parlait de toi avec des étoiles dans les yeux quand on était au cabinet.

  • Carole

    C'est vrai ?

  • Giulietta

    Et vraiment, il disait que c'était incroyable d'être avec toi et qu'il rigolait énormément. Donc je pense que c'est à ce moment-là que je me suis dit " Mhh il doit y avoir quelque chose que je n'avais pas vu".

  • Carole

    Oui, on a passé de bons moments. On avait des passions communes, les films de Marvel par exemple !

  • Giulietta

    Moi, pour répondre à cette question, "est-ce que c'est la maladie qui m'a fait devenir ce que je suis ?", je me répète par rapport aux premiers épisodes, mais ça m'a posé les bonnes questions plus tôt. J'étais un petit peu, sans doute, nombriliste, égocentrique. Et ce n'est pas possible de le rester quand on a une maladie, parce qu'à un moment, il faut lâcher prise. Et accepter qu'on a des limites, ça c'est le premier point. Donc ça a accéléré les choses, je présume que c'est un cheminement que j'aurais eu plus tard en vieillissant, mais je me suis posé ces questions-là à 20 ans. Il y a juste une chose, je pense que ça a changé, c'est sur mon rapport au corps, étonnamment. J'ai un rapport assez dur à mon corps, que j'ai jamais vraiment apprécié, et dans lequel je me sentais assez mal. Et en fait, le fait d'avoir cette maladie, je me suis dit qu'il fallait que j'en prenne soin. Et je me suis mise à l'escalade. Et c'est ma manière de me faire du bien et mes médecins m'ont dit que c'était bon pour ma maladie parce que ça fait travailler l'équilibre, le gainage, c'est doux. Et en fait, j'y vais vraiment pour me faire du bien dans mon esprit, mais aussi dans mon corps. Je vois mon corps évoluer et je suis bouleversée de le voir changer. Et ça m'a permis vraiment de recomposer un peu les choses et de me dire "ok, il y a aussi des choses positives qui peuvent venir". Et donc, ça me permet d'apprécier plus facilement mes limites. J'ai des symptômes qui ne sont pas très... Enfin, des petits symptômes, mais par exemple, j'ai un petit symptôme urinaire que je n'assume pas franchement où j'ai envie de faire pipi comme une femme enceinte. Et c'est un peu dur à 29 ans de se dire ça. Et donc, en fait, je me dis "bon mais d'un autre côté, j'arrive à grimper des choses que je n'aurais jamais grimpées auparavant et j'arrive à le faire". Et je suis trop fière de ça. Et donc, ça met de côté un peu ces trucs un peu honteux.

  • Carole

    Est-ce que l'escalade te fait penser à autre chose que ta maladie à ce moment-là ? Est-ce qu'il y a une parenthèse ?

  • Giulietta

    Je n'y pense pas tout le temps, mais en tout cas, je sais pas comment dire, mais quand je sors de là, je m'aime.

  • Carole

    Ah oui, c'est sûr, ça fait du bien, oui. Je comprends ce que tu dis quand tu t'aimes ensuite. La samba, pour moi, c'est pareil. Et c'est aussi la féminité, c'est plein de choses qui sont là et qui sont compliquées parfois.

  • Giulietta

    C'est ce que j'allais dire, c'est quand même une féminité assez exacerbée.

  • Carole

    Oui, c'est la samba de carnaval. Ce n'est pas la samba de couple en danse latine sportive, c'est de la samba de carnaval. C'est Rio avec les strass, les plumes.

  • Giulietta

    C'est trop bien, c'est une autre facette de toi que tu exprimes par ce biais-là. Je prends un peu une autre thématique. Tu as beaucoup parlé de ton binôme, la première fois qu'on s'était vues, avec ton médecin. Et tu as repris ce terme aujourd'hui, l'idée de faire équipe avec ton... C'est un rhumatologue ?

  • Carole

    C'est un rhumatologue, oui.

  • Giulietta

    Est-ce que tu peux nous dire un peu plus l'historique de comment ça s'est passé avec tes précédents médecins ? Et pourquoi lui, c'est le bon ? Et qu'est-ce que ça change d'avoir un médecin qui nous comprend ?

  • Carole

    Ça change tout. Je suis passée par pas mal de rhumatologues, les hôpitaux parisiens, publics. Et ça a été compliqué. Pas toujours, mais à un moment, quand on nous propose un traitement qui est dit révolutionnaire, à l'époque c'était anti-TNF, on m'avait dit que sur les polyarthrites, ça marchait de façon incroyable. Donc on a donné ce traitement, c'était une perfusion par mois, il me semble, en journée à l'hôpital. Et moi, avec ce traitement, ça m'a, entre guillemets, déglingué les poumons, la vessie, ça me donnait des infections urinaires, c'était compliqué. À chaque fois, on devait reporter la perfusion parce que j'avais une pyélonéphrite. Et puis... et puis pourtant, mes genoux continuaient d'enfler. Et à ce moment-là, il m'a dit "ce n'est pas possible, non, non, le traitement, il doit marcher". Enfin, j'ai l'impression de ne pas avoir été entendue.

  • Speaker #0

    Et je voyais qu'à chaque fois, ça me faisait tousser, ça me donnait vraiment beaucoup de désordre. Et pourtant, je continuais d'avoir mal. Donc, alors à quoi bon continuer ? Je veux bien que ça marche sur d'autres personnes, mais il s'avère que pour moi, ce n'était pas le cas. Et je n'ai pas été entendue. Donc, je ne sais plus ce qui s'est passé. Je pense que j'ai dû arrêter d'y aller. J'ai trouvé un rhumatologue en ville. Mais c'est toujours pareil, c'est compliqué. On a des infiltrations, on a des épanchements au niveau des genoux. Il faut attendre avant d'être infiltré, il faut attendre tout le temps. Sachant que quand on a ce genre d'épanchement, ça abîme aussi ce qu'il y a autour, ça abîme l'articulation. Et c'est vrai que ce n'est pas bon de faire des infiltrations tout le temps. C'est vrai qu'il faut les limiter aussi, c'est pas conseillé, mais voilà, ça n'allait pas. Je n'étais pas entendue et puis j'avais l'impression qu'il fallait cocher des cases. Enfin, on ne prenait pas ce que je disais en considération. Je n'avais pas l'impression d'être une personne, mais un cas. C'était compliqué. Et puis, j'ai trouvé ce rhumatologue. Je ne sais pas si je peux dire, mais c'était à l'hôpital américain. À cette époque, la mutuelle, dans le cabinet de conseil, me le permettait. Et là, ça a vraiment tout changé. En fait, c'était une personne humaine. Quand j'allais le voir, il ne me parlait pas seulement de ma maladie. Il me parlait de tout ce qu'il y avait à côté. Et puis, incroyable, il m'a donné son numéro de portable, ça voulait dire que dès que si j'avais un problème, trop de douleur, je pouvais lui envoyer un SMS et il me répondait dans les cinq minutes. Il arrivait à me dégager un rendez-vous pour aller le voir et régler, ne pas me faire attendre, ne pas me faire souffrir des semaines et des semaines. Alors pas forcément en infiltrant, il a un peu essayé d'autres choses aussi de son côté. Mais oui, c'est important d'avoir quelqu'un qui nous écoute, avoir son numéro de téléphone portable et sa confiance dans le fait que je n'allais pas non plus abuser et puis lui envoyer des messages à 4h du matin. Donc voilà, il y a une relation de confiance qui s'installe et c'est hyper important d'être considérée entièrement. Et c'est vrai que, alors on oublie un truc, c'est que les médecins, oui, ils ont fait leurs études. Les rhumatologues sont calés sur les maladies, sur ma pathologie, mais moi je vis avec depuis mon adolescence. Et le fait de vivre avec, je me connais, je la connais ma maladie, je la pratique depuis tellement d'années. Et c'est ça qui est à prendre aussi en considération de leur côté, je pense. Alors aujourd'hui, on a des gens qui sont malades, qui vont tout de suite voir Internet, et puis Internet souvent il y a à boire et à manger dessus , c'est catastrophique. Mais non, là, c'est des années et des années avec ma pathologie.

  • Giulietta

    Et comment est-ce que tu l'as trouvé, ce médecin ? C'était un hasard ? Tu as juste voulu aller consulter dans cet établissement ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai pris le premier, c'était le bon. J'ai eu de la chance.

  • Giulietta

    Et tu as l'impression que dès la première séance, il était déjà très à l'écoute ? Ou c'est une relation que vous avez co-construite ?

  • Speaker #0

    On l'a co-construite. J'ai dit qu'il m'avait donné son numéro de portable, mais peut-être pas tout de suite, en fait. Ça a peut-être été au bout de 3-4 visites avec lui. Mais c'était une marque de confiance que j'ai beaucoup appréciée.

  • Giulietta

    C'est marrant, ça ressemble vraiment à un date, ce que tu racontes. Comme si tu avais eu plein de relations moyennes, et tout d'un coup, c'était le bon qui arrivait. De ce que j'ai entendu, c'était un peu le cas pour pas mal de gens de mon entourage qui vivent avec une maladie, et ça a été mon cas aussi. Il faut se faire confiance. Et si jamais on n'a pas les réponses à ces questions, il faut s'autoriser à avoir quelqu'un d'autre, en fait, et avec un peu de chance, à un moment, on rencontrera quelqu'un qui saura y répondre correctement. Effectivement, je reprends une situation. J'ai eu des cours sur ma maladie il y a un mois, un mois et demi, et j'étais avec d'autres personnes qui ont la même maladie. Il y avait une dame qui a commencé un traitement il y a six mois, qui a des effets secondaires atroces, qui ne sont pas compatibles avec une vie normale. Elle a écrit à son neurologue... Et elle attendait la réponse trois semaines après. Et elle disait "Mais je consulte dans deux semaines". Donc elle s'est dit "Pendant cinq semaines, je vais continuer à vivre avec ces symptômes horribles". Et en fait, elle ne s'autorisait pas à relancer, à appeler le secrétariat. Donc quand il y a une situation grave, des douleurs ou quelque chose comme ça, en fait, il ne faut pas rester...

  • Speaker #0

    Il faut agir. Et puis, moi, j'ai la chance d'avoir le numéro de portable. Mais je crois qu'on devrait tous avoir... Enfin, quand on a une pathologie comme ça, on devrait tous trouver un médecin qui nous fasse suffisamment confiance aussi pour pouvoir échanger de manière plus humaine. Tout simplement.

  • Giulietta

    Ben oui, je suis d'accord avec toi. Et quand on ne s'autorise pas à dire quelque chose à son médecin parce qu'on a peur qu'il nous juge, déjà c'est un peu mal parti.

  • Speaker #0

    Il faut savoir aussi qu'il y a la maladie et ses symptômes, mais il y a aussi ce qu'on ressent de tout ça, mes frustrations, mes colères. Je trouve ça important d'en parler à son médecin aussi. Le rhumatologue, je pense qu'il doit avoir ce rôle. Pas seulement de traiter l'articulation, parce qu'il y a quelque chose autour de cette articulation. En plus, on dit que c'est une maladie psychosomatique. Donc ça veut dire que le stress, la colère, la frustration, tout ça, ça donne des douleurs. Effectivement, dans les grosses périodes de stress, je peux avoir les genoux qui enflent.

  • Giulietta

    Est-ce que tu as d'autres personnes à qui tu parles et qui sont susceptibles de comprendre ? Je ne sais pas si tu es dans une association de patients, si tu es sur des gros Facebook ou des choses comme ça qui pourraient te permettre d'échanger avec des personnes.

  • Speaker #0

    J'avais essayé une association et en fait je pense que c'était plus pour les traitements. En fait non, avant 2012, j'y étais allée aussi parce que j'étais vraiment dans une crise très très sévère qui m'a fait redouter le fait de ne plus pouvoir, d'être vraiment coincée en fait, de ne plus pouvoir faire tout ce que je voulais. Et ça c'était avant d'avoir mon traitement qui me fait du bien aujourd'hui. J'ai cherché de l'aide parce que j'avais besoin. Qu'est-ce que je pouvais faire ? Il y a ma vie qui partait là. Tellement de douleur. J'étais coincée. Même la nuit, je ne dormais pas parce que la douleur me réveillait la nuit. J'avais les articulations en feu, la colonne vertébrale. Je ne pouvais pas tourner la tête. Les coudes, les genoux, les chevilles, il y a tout qui me brûlait.

  • Giulietta

    Et tu avais eu le sentiment que ça t'avait apporté quelque chose ?

  • Speaker #0

    Ça m'a fait du bien de raconter des fois et de voir. On n'est pas tout seul effectivement, ça peut être bien. Aujourd'hui, mon traitement me permet de me débrouiller tant que je peux danser. D'ailleurs, quand on m'a changé mes hanches en 2021, c'était ma crainte de ne pas pouvoir redanser et de devoir dire adieu à tout ça. En fait, c'est même mieux qu'avant, donc ça va.

  • Giulietta

    C'était un sujet qui avait été évoqué, le fait qu'après l'opération des hanches, tu pouvais...

  • Speaker #0

    En fait, des changements de prothèse de hanche, ça peut être un peu compliqué. J'avais toujours lu qu'on avait des moins bons résultats avec une reprise de prothèse que la mise en place de vraies prothèses. En fait, moi, mes prothèses, j'en ai mis en 93 et en 98, je crois. Et elles sont tellement vieilles que même aujourd'hui, avec la nouveauté, les efforts et les progrès qu'il y a eu en médecine, ça me permet quand même d'avoir quelque chose de bien mieux, d'avoir une petite bille en céramique plutôt que le titane. C'est la tête, juste la tête. Mon chirurgien, qui est extraordinaire, a été chercher la dernière bille qui restait en France. La dernière bille compatible avec mes vieilles prothèses. J'ai eu beaucoup de chance de l'avoir parce que j'en avais consulté un autre qui lui voulait tout changer. Lui, il a fait l'effort d'aller chercher ma dernière bille pour me donner ce confort exceptionnel. Il a remplacé une grosse bille. qui me limitait dans les mouvements par une toute petite, qui améliore grandement les choses. Et ça a été ensuite un travail avec un excellent kiné. Dans la douleur, parce que le fait d'être limité dans les mouvements, ça fige les muscles, ça fige les tendons. Et donc, pendant un an, on a tiré dessus pour... C'est douloureux, mais on a bien tiré dessus pour que je puisse récupérer le maximum de mouvements.

  • Giulietta

    Mais tu m'as parlé là spontanément de ton rhumatologue, mais je me souviens maintenant que... En fait, tu as aussi un chirurgien qui est extraordinaire et tu avais vu quelqu'un d'autre qui ne te convenait pas du tout. Et ton kiné, qui est aussi génial.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui. J'ai eu de la chance. Alors le chirurgien, c'est mon rhumatologue qui me l'avait conseillé. Et moi, j'avais été en chercher un que j'avais vu sur Internet, qui avait un site Internet magnifique, très alléchant. Il s'est avéré qu'il était très fort en marketing. Je pense que je ne l'intéressais pas beaucoup. Je pense qu'il préférait... Il s'occupait peut-être de grands sportifs, mais moi il n'avait pas envie de s'embêter à me changer et me mettre juste un truc sympathique. Il voulait tout changer, tout couper, alors que ce n'était vraiment pas nécessaire. Et mon kiné, alors j'ai eu énormément de chance parce que j'ai cherché un kiné proche de mon domicile. Tous les cabinets étaient saturés de monde. Peut-être l'après-Covid, où tout le monde s'est fait opérer, il y avait la queue dans les blocs opératoires, peut-être. Et donc, à ce moment-là, je n'ai pas trouvé de kiné. J'ai dû attendre. En fait, j'aurais pu commencer la kiné en janvier, je l'ai commencée en mars, parce que je ne trouvais personne. Mais en fait, à côté du bureau... par chance, j'ai trouvé. Et c'est le bon. C'est le bon parce qu'il est extraordinaire. C'est quelqu'un qui travaille beaucoup sur la posture, qui prend son temps, c'est un coach. En plus d'un kiné, c'est un coach.

  • Giulietta

    Dans quelle mesure c'est un coach ?

  • Speaker #0

    Il pousse, il pousse toujours. Comme si j'étais une grande sportive, en fait. Il ne fait pas de différence entre le grand sportif à côté et puis moi. Donc il me considère comme n'importe qui, en fait. Et donc, il me fait avancer, il a su gérer ma personnalité, c'est-à-dire qu'il arrive à trouver l'équilibre, à me pousser sans trop me demander. Il connaît ma limite en fait, mieux que moi, et c'est ça qui m'a impressionnée.

  • Giulietta

    Mais ce que tu dis, ça me fait vraiment penser à ce que Thibaut dit dans le premier épisode, sur la notion de pitié, en fait, que ce dépassement de soi, c'est parce que souvent, les personnes ont une réaction qui est maladroite et qui est de la pitié de te mettre dans une catégorie, un petit peu dans une petite bulle, où là, on ne va pas trop la solliciter, on ne va pas trop lui en demander. Je n'ai pas de solution, ni de toute faite par rapport à ça, mais je trouve ça effectivement très triste que... quand on évoque notre état de santé, on nous met dans une case et qu'on ne prenne pas le temps de nous demander, nous, comment on perçoit les choses et qu'on verbalise nos limites, en fait, parce qu'en soi...

  • Speaker #0

    Après, peut-être qu'il y a des personnalités très différentes et mille manières de gérer sa maladie. Et du coup, c'est difficile. Alors, certains voudront qu'on les pousse.

  • Giulietta

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    Et d'autres, à l'inverse, voudront être un petit peu... se faire chouchouter et qu'on fasse attention à eux. C'est difficile de trouver l'équilibre. Et c'est ça tout l'art du... du soignant, tout l'art du kiné, du rhumato, du chirurgien. C'est de trouver l'équilibre et de trouver, comme on le sait, du savoir-être avec le patient.

  • Giulietta

    Je suis entièrement d'accord avec toi. Il y a vraiment toute une relation à animer. Et comme tu le dis si bien, quand on est détendu par rapport à ce qui va se passer, qu'on comprend bien les tenants et les aboutissants, ça débloque. Je reparle d'un autre épisode, mais dans le deuxième épisode qui n'est pas sorti au moment où on enregistre, Albert, qui a un souci aux yeux, expliquait qu'au tout début, il voyait flou au sens littéral et au sens figuré, qu'il ne comprenait pas où il allait et que personne ne savait lui dire et que maintenant qu'on lui a clairement expliqué le protocole et qu'il sait où il va, c'est lui qui adapte son quotidien à ce qui se passe. C'est très important et j'espère... que ça va changer, mais que le personnel soignant aussi intègre cette dimension humaine qui fait que ça marche.

  • Speaker #0

    Ils doivent réaliser qu'ils travaillent avec l'humain. Alors l'humain, c'est complexe, tout le monde est différent, mais quand on travaille avec l'humain, il faut être un peu artiste aussi.

  • Giulietta

    Je suis entièrement d'accord avec toi. Est-ce qu'il y a des points, toi, que tu souhaites évoquer ou des questions que tu as avant que je passe à ma dernière question ?

  • Speaker #0

    Non, je crois que j'ai dit tout ce que j'avais à dire.

  • Giulietta

    Alors, ma dernière question, je me doute que l'exercice n'a pas été facile pour toi. Vu que tu es d'un tempérament relativement discret, et je présume assez pudique, pourquoi est-ce que tu as accepté de parler ?

  • Speaker #0

    C'est pudique qui me fait rire là, parce que pudique, mais en fait ça ne me dérange pas d'aller défiler sur les Champs Elysées avec mes plumes. J'aime bien, je suis tout, et son contraire, j'aime beaucoup. Je n'ai pas accepté d'en parler, en fait j'ai eu envie de t'aider à avancer dans ta maladie, et je me suis dit "tiens pour une fois que cette maladie va me servir à quelque chose". J'ai eu envie de... Voilà, je me suis dit, ça change la donne, en fait, de pouvoir l'utiliser pour rendre service. Pas de rendre service, c'est entre guillemets, mais je ne vis pas ça comme une acceptation de le faire, mais vraiment l'envie de... de te faire avancer sur tes sujets.

  • Giulietta

    C'est trop gentil. C'est marrant parce que j'ai eu un peu le même sentiment. Pour expliquer, on a pris ce café où on a parlé pendant une heure ou une heure et demie et où c'était une conversation fluide et où on s'est dit des choses très personnelles qu'on n'avait pas eu l'occasion d'évoquer dans une vie précédente. Je suis sortie de là et je me suis dit que c'était vraiment bien quand même, mais je n'osais pas te proposer parce que je me suis dit "bon je suis pas sûre que ça passe" puis après j'ai réfléchi et je me suis dit "quand même c'était vraiment très très intéressant, je trouve ça beau si on peut l'enregistrer" et j'avais le le sentiment aussi que en fait tu t'épanouissais vachement dans le fait de parler et là par exemple t'étais pas sûre d'énoncer parfaitement les choses et je trouve que c'est très fluide. J'ai l'impression que chacune, on a fait un bout de chemin.

  • Speaker #0

    Oui, on a fait un bout de chemin, et notamment notre précédente discussion, la première, m'a fait avancer sur mon sujet, m'a fait prendre conscience que j'étais dure avec moi, que j'étais dure aussi avec les autres, qui ne comprennent pas forcément, mais que j'étais dure sur le fait que je voulais rendre invisible cette maladie, et que parfois, il pouvais m'arriver de leur reprocher qu'ils ne soient pas plus doux avec moi, plus vigilants. J'ai réfléchi sur tout ça, j'ai trouvé ça intéressant. Donc merci pour l'échange, ça a été vraiment un partage.

  • Giulietta

    Oui, je suis d'accord avec toi. Et est-ce qu'il y a des choses qui ont changé ? Ou pour l'instant, c'est juste à l'état de concept, et tu as pris conscience de ces choses-là ? Ou est-ce que tu as le sentiment quand même de, par touches, exprimer des petites choses ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est assez nouveau. J'ai l'envie d'être moins invisible. Je ne sais pas. Je ne sais pas si c'est à partir de cette démarche, mais j'ai toujours été discrète, un peu sauvage, parce que j'ai du mal à me dévoiler justement, parce que c'est un secret tout ça, je cache des choses. Et aujourd'hui, je pense qu'en tant que chèvre boiteuse, j'ai bien d'autres qualités, et je suis quelqu'un qui a plein d'activités, plein de passions. et je suis sûre que ça peut intéresser et que je suis intéressante mais bien évidemment j'ai envie d'être moins invisible

  • Giulietta

    C'est trop bien. J'avais une question et je l'ai oubliée parce que tu as parlé de chèvres. Eh bien oui, je ne sais plus. Je réfléchis. Oui, le fait que tu parles autant de chèvres, ça me fait penser : je ne sais pas si tu connais le podcast Les Couilles sur la Table. C'est un podcast qui interroge la place de la masculinité dans l'espace public. Et la personne qui a créé ce podcast s'appelle Victoire Tuaillon. Et en fait, elle avait beaucoup de mal à accepter son corps. Et un jour, elle est partie en Espagne. Elle gardait des chèvres et elle s'est rendue compte qu'il y avait des chèvres qui étaient moins belles que d'autres, certaines qui avaient par exemple des pis plus bas que d'autres, tout ça, et qu'elles s'en foutaient. Et qu'elles interagissaient malgré tout, toutes ensemble, et que ça allait bien. Et donc elle s'est dit qu'elle aussi, elle voulait être une chèvre. Et donc ne pas se concentrer sur ses complexes, mais faire partie de la foule. Bref, ça m'a évoqué ça. Et je me dis, effectivement, les gens peuvent en savoir un peu plus sans te mettre dans une boîte, et c'est une telle richesse tout ce que tu as raconté. J'ai retrouvé ma question entre-temps : tu n'as pas témoigné de manière anonyme et tu as dit plus ou moins le biais par lequel on se connaissait. Par conséquent, peut-être que certaines personnes plus fines que d'autres vont comprendre qui tu étais. Comment tu te positionnes par rapport aux éventuels retours que tu pourrais avoir ?

  • Carole

    Je pense que j'assume complètement ma présence. Donc s'ils ont envie d'en parler avec moi, je suis complètement ouverte. Même si je préfère qu'ils retiennent mes passions, etc. mais je suis aujourd'hui assez ouverte sur le sujet donc pas de soucis.

  • Giulietta

    Un immense merci pour ta présence et pour tout ce que tu as partagé, c'était vraiment génial. Un immense merci à Carole d'avoir eu la gentillesse de témoigner sur lanomalie et d'avoir voulu partager avec vous et avec moi son parcours et son regard sur le monde. J'ai pris beaucoup de plaisir à réécouter les mots de Carole, le recul qu'elle avait sur sa personne et sa volonté d'aborder les choses avec plus de douceur et d'indulgence à l'avenir. Faites-moi confiance, je continuerai à prendre des nouvelles et je vous en ferai part si elle le souhaite. Cet épisode vous a plu ? Vous souhaitez réagir ? Écrivez-moi sur le compte Instagram de lanomalie, le lien est dans la description de cet épisode. Partagez-moi vos retours, qu'ils soient positifs ou plus circonspects, je les lirai avec plaisir. Si vous êtes d'humeur à déplacer des montagnes, vous pouvez attribuer une note et un commentaire au podcast, cela m'aidera beaucoup. Lanomalie est un podcast autoproduit par mes soins, entièrement conçu et imaginé entre Ménilmontant et le canal de l'Ourcq à Paris. Rendez-vous très bientôt pour le prochain épisode. D'ici là, prenez soin de vous.

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