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Le Phil d'Actu - Philosophie et Actualité

Cessez-le-feu Israël / Palestine : une philosophie du binationalisme

Cessez-le-feu Israël / Palestine : une philosophie du binationalisme

13min |22/01/2025
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13min |22/01/2025
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Description

Et si la philosophie pouvait proposer une solution pour une paix durable entre Israël et la Palestine ?


Soulagement, après 15 mois de destruction de la bande de Gaza par Israël : un cessez-le-feu a été signé. La trêve paraît malheureusement précaire. Alors, comment envisager l’avenir ? Quelle serait une solution possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ?

📚 On en parle avec les philosophes Martin Buber et Edward Saïd.



Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

Ce podcast est 100% indépendant, gratuit, sans publicité. Il ne survit que grâce à vos dons.


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Un grand merci aux tipeur-ses : Pierre, Florence, Khadija, Claire, Nicolas, Gauthier Louise, Thomas, Elodie, Dominique, Matthieu, Clément, Pierre, Vincent, Etienne.

Grâce à vous, on n'a pas fini de réfléchir ensemble à l'actualité politique !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le soulagement. Après 15 mois de destruction de la bande de Gaza par Israël, un cessez-le-feu a enfin été signé. La trêve paraît malheureusement précaire. Alors, comment envisager l'avenir ? Quelle serait une solution possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ? On en parle aujourd'hui avec les philosophes Martin Buber et Edouard Saïd. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don, ponctuel ou récurrent, en cliquant sur la page indiquée en description. Merci pour votre soutien. Enfin, un peu de répit pour les Gazaouis, qui subissent un génocide depuis plus d'un an. On fait état de plus de 45 000 morts, un nombre sans doute largement sous-estimé, puisque seules sont décomptées les personnes décédées dans les hôpitaux. Certaines estimations, qui comptabilisent non seulement les morts directes, mais aussi les disparus et les personnes décédées en raison du manque de soins et de nourriture, font état de plus de 230 000 morts. Ce qui représente une personne sur dix. Et la grande majorité de ces victimes seraient des femmes et des enfants. Depuis 15 mois, à Gaza, un enfant est tué ou blessé toutes les 10 minutes. Chaque jour, 10 enfants palestiniens perdent au moins une jambe, selon une organisation de l'ONU. Gaza est devenue la région comptant le plus d'enfants amputés au monde. Le cessez-le-feu a donc été accueilli à Gaza avec des cris de joie et de libération. L'accord prévoit trois phases, durant chacune six semaines. D'abord, une première phase de retrait des forces israéliennes, d'échange d'otages entre les deux camps et une aide humanitaire immédiate pour les Palestiniens. Ensuite, deux phases, beaucoup plus floues, devront conduire à un cessez-le-feu permanent, puis à une reconstruction de Gaza. Malheureusement, la trêve semble fragile. Israël n'a d'ailleurs fourni aucune garantie écrite contre la reprise des attaques et les coulisses de la négociation paraissent floues. Donald Trump aurait été déterminant dans cette négociation. Voulant apparaître comme un faiseur d'accords avant même son investiture, il aurait mis la pression à Israël. Certains analystes pensent qu'il aurait même promis de soutenir Israël dans sa colonisation de la Cisjordanie. à condition qu'ils cessent, même provisoirement, les attaques sur Gaza. Et quand on voit à quel point Trump adopte des comportements et des opinions de plus en plus d'extrême droite, on ne peut qu'être inquiet pour l'avenir de la Palestine. Alors, une solution serait-elle possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ? Pour sortir d'un cycle de destruction, d'une vie sans cesse en suspens, d'une succession de trêves entre deux bombardements ? Deux philosophes, l'un juif, l'autre palestinien, défendent une solution moins utopique qu'elle n'y paraît, le binationalisme. Le binationalisme consiste à créer un seul État au sein duquel coexisteraient deux nationalités juridiquement égales. Autrement dit, une seule terre, deux nationalités, une seule citoyenneté. De prime abord, cette solution peut paraître utopique, mais elle connaît un regain d'intérêt depuis les années 2000. Cette proposition est très ancienne. Dès le début du XXe siècle, deux courants s'opposent dans le sionisme. D'un côté, la vision héritée de son fondateur, Théodore Herzl, qui défend la création d'un État juif nationaliste sur le modèle des États-nations européens. De l'autre, un sionisme non pas territorial, mais spirituel, la création d'une communauté authentique, conforme aux principes éthiques du judaïsme, mais qui ne deviendrait pas une entité politique strictement autonome. Cette deuxième vision est notamment portée par le philosophe autrichien Martin Buber. Buber a consacré son œuvre philosophique à la relation éthique avec autrui. Et son sionisme s'inscrit lui aussi. dans une pensée de la réciprocité. Dès les années 1920, il dénonce le sionisme nationaliste qui s'apparente, je cite, à un égoïsme collectif, une existence mesquine et profane comme n'importe lequel de ces petits États qui foisonnent dans l'Occident contemporain Selon Buber, une communauté spirituelle authentique ne peut se faire que dans une alliance juste avec le peuple arabe, avec lequel il existe une solidarité profonde et durable, et l'envie commune de construire l'avenir du pays. Buber parle bien de colonisation, mais il ne s'agit pas de colonisation d'expansion, de domination, comme celle de l'Angleterre ou de la France. La colonisation sioniste doit être, selon Buber, une colonisation de rassemblement. pour rassembler une communauté spirituelle. Voici ce qu'il disait en 1929. Notre colonisation ne vise pas l'exploitation capitaliste d'un territoire et ne sert aucun but impérialiste. Son sens est le travail créateur d'hommes libres sur une terre commune. Selon Boeber, il faut impérativement reconnaître qu'un autre peuple habite déjà ce pays. Il s'installe en Israël en 1938, mais il conservera un regard très critique face au comportement politique de l'État juif. Je cite Nous avons repris à notre compte la politique colonialiste de l'Occident moderne pour exercer une hégémonie sur le pays tout entier. Pourtant, ajoute-t-il, les Juifs ayant enduré les méfaits du racisme et de l'ostracisme doivent moralement s'interdire d'adopter pareille attitude envers un autre peuple. Le judaïsme authentique, spirituel, c'est l'éthique avant la politique. Et jusqu'à sa mort, il n'aura de cesse de dire que l'État binational est la seule solution pour garantir à chacun des deux peuples son autonomie, son autodétermination, sa capacité à décider librement. Deux peuples, une terre. La proposition d'un État binational judéo-arabe a été défendue non seulement par Martin Buber, mais aussi par Hannah Arendt ou Albert Einstein. Après le plan de partage de l'ONU de 1947, elle tombe en désuétude, supplantée par la solution à deux États. Mais dans les années 2000, après plus de 50 ans de conflits, cette solution est à nouveau portée par plusieurs intellectuels et personnalités politiques. Parmi eux, Edward Said, un philosophe palestinien et américain né à Jérusalem. Said a pourtant longtemps été un défenseur de la solution à deux États. Mais, après les accords d'Oslo de 1993, il change d'avis. Alors que cet accord, cette poignée de mains entre les dirigeants des deux pays, Rabin et Arafat, était perçue comme historique, Edouard Saïd dénonce ce qu'il considère comme une trahison à l'égard de la Palestine. Selon lui, Yasser Arafat voulait conclure un accord à tout prix pour conserver son pouvoir et a donc accepté de signer un accord qui ne reconnaissait pourtant ni le droit de la Palestine à l'autodétermination, ni la récupération de ses territoires occupés. Finalement, les accords d'Oslo ne sont autres que la poursuite de l'occupation par d'autres moyens. À partir de ce moment-là, Edouard Saïd ne croit plus à la solution à deux États. La partition est une pratique coloniale qui n'a jamais marché dit-il. Alors, il devient un fervent défenseur du binationalisme, comme Boubeur 80 ans avant lui. En 1999, il nous dit. Je souhaite un État binational, abritant juifs et palestiniens, parce que la philosophie de la séparation ne peut plus fonctionner. L'inégalité entre les deux peuples est trop profonde. Elle aboutirait à un apartheid, avec un mini-État palestinien pourvu de quelques symboles, un drapeau, une police, une garde d'honneur. Comme on ne peut plus séparer les deux peuples, il faut chercher à les faire vivre ensemble. Une analyse tristement prophétique. La coexistence est-elle utopique ? Pas du tout, répond Saïd. C'est au contraire la solution la plus réaliste. Tout simplement parce que les deux peuples sont déjà imbriqués. En Israël, 20% des citoyens sont arabes. Et en Palestine, la colonisation israélienne est tellement ancienne et avancée que le retour au partage de l'ONU impliquerait des déplacements de population sans doute inacceptables pour Israël. Car plus de 700 000 colons israéliens sont implantés illégalement dans des territoires palestiniens et y vivent depuis plus de 60 ans. Le binationalisme est donc pragmatique, nous dit Saïd. Il prendrait acte de la situation démographique et géographique existante. Une analyse partagée par l'ancien maire de Jérusalem, Mehron Benvenisti, qui estimait qu'Israéliens et Palestiniens vivaient déjà dans un État binational. Edouard Saïd est mort en 2003, avant que le nationalisme ne devienne religieux. La question religieuse n'était pas vraiment à l'origine du conflit israélo-palestinien. C'était plutôt un conflit territorial, politique. Mais les impasses diplomatiques et les guerres successives ont conduit à une radicalisation religieuse des deux camps. En Palestine, le Hamas défend une idéologie islamiste, et en Israël, le parti de Netanyahou prétend mener une guerre sainte. Il prétend être la lumière de Dieu conduisant au grand Israël et répète vouloir éradiquer le Hamas. Cette radicalisation religieuse est sans aucun doute un obstacle à la solution binationale, qui impliquerait un État laïque et non pas religieux. Et les négociations politiques ne semblent pas aller dans le sens d'une terre de coexistence. D'autant plus que Netanyahou, pour conserver le pouvoir, doit s'attirer les faveurs des membres les plus radicaux de sa coalition, très mécontents du cessez-le-feu. S'il veut se maintenir à la tête d'Israël, il semble donc qu'il continuera la guerre par tous les moyens possibles. Enfin, l'élection de Trump et ses discours nationalistes, voire fascistes, vont sans doute donner encore plus de force aux idéologies nationalistes partout dans le monde. Les perspectives sont donc plutôt sombres, et on peut malheureusement prédire que la trêve ne tiendra pas longtemps. Ce qui n'empêche pas de penser, envers et contre tout, des solutions durables pour la Palestine et Israël. De penser à une configuration qui permettrait aux deux peuples de se reconnaître mutuellement, pas seulement comme structure politique ennemie, mais comme un peuple ayant une histoire et une culture. Car si le cessez-le-feu permet de suspendre la violence directe et immédiate, il n'arrête pas la violence structurelle qui étouffe la Palestine, l'occupation, la colonisation, l'apartheid mené par Israël. Le binationalisme paraît en ce sens la solution la plus souhaitable pour les deux peuples. En 2003, l'écrivain juif new-yorkais Tony Judd prophétisait que l'alternative pour Israël serait entre un plus grand Israël ethniquement nettoyé et un État unique et intégré, binational, avec les Juifs et les Arabes. Espérons que des voix israéliennes sauront s'élever pour renouer avec la tradition spirituelle et éthique de Martin Buber, Edouard Saïd. et Tony Judd. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, lefildactu.podcast. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Alors, un grand merci à Pierre, Florence, Khadija, Claire, Nicolas, Gauthier, Louise, Thomas, Élodie, Dominique, Mathieu et Clément. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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Et si la philosophie pouvait proposer une solution pour une paix durable entre Israël et la Palestine ?


Soulagement, après 15 mois de destruction de la bande de Gaza par Israël : un cessez-le-feu a été signé. La trêve paraît malheureusement précaire. Alors, comment envisager l’avenir ? Quelle serait une solution possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ?

📚 On en parle avec les philosophes Martin Buber et Edward Saïd.



Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

Ce podcast est 100% indépendant, gratuit, sans publicité. Il ne survit que grâce à vos dons.


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    Le soulagement. Après 15 mois de destruction de la bande de Gaza par Israël, un cessez-le-feu a enfin été signé. La trêve paraît malheureusement précaire. Alors, comment envisager l'avenir ? Quelle serait une solution possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ? On en parle aujourd'hui avec les philosophes Martin Buber et Edouard Saïd. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don, ponctuel ou récurrent, en cliquant sur la page indiquée en description. Merci pour votre soutien. Enfin, un peu de répit pour les Gazaouis, qui subissent un génocide depuis plus d'un an. On fait état de plus de 45 000 morts, un nombre sans doute largement sous-estimé, puisque seules sont décomptées les personnes décédées dans les hôpitaux. Certaines estimations, qui comptabilisent non seulement les morts directes, mais aussi les disparus et les personnes décédées en raison du manque de soins et de nourriture, font état de plus de 230 000 morts. Ce qui représente une personne sur dix. Et la grande majorité de ces victimes seraient des femmes et des enfants. Depuis 15 mois, à Gaza, un enfant est tué ou blessé toutes les 10 minutes. Chaque jour, 10 enfants palestiniens perdent au moins une jambe, selon une organisation de l'ONU. Gaza est devenue la région comptant le plus d'enfants amputés au monde. Le cessez-le-feu a donc été accueilli à Gaza avec des cris de joie et de libération. L'accord prévoit trois phases, durant chacune six semaines. D'abord, une première phase de retrait des forces israéliennes, d'échange d'otages entre les deux camps et une aide humanitaire immédiate pour les Palestiniens. Ensuite, deux phases, beaucoup plus floues, devront conduire à un cessez-le-feu permanent, puis à une reconstruction de Gaza. Malheureusement, la trêve semble fragile. Israël n'a d'ailleurs fourni aucune garantie écrite contre la reprise des attaques et les coulisses de la négociation paraissent floues. Donald Trump aurait été déterminant dans cette négociation. Voulant apparaître comme un faiseur d'accords avant même son investiture, il aurait mis la pression à Israël. Certains analystes pensent qu'il aurait même promis de soutenir Israël dans sa colonisation de la Cisjordanie. à condition qu'ils cessent, même provisoirement, les attaques sur Gaza. Et quand on voit à quel point Trump adopte des comportements et des opinions de plus en plus d'extrême droite, on ne peut qu'être inquiet pour l'avenir de la Palestine. Alors, une solution serait-elle possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ? Pour sortir d'un cycle de destruction, d'une vie sans cesse en suspens, d'une succession de trêves entre deux bombardements ? Deux philosophes, l'un juif, l'autre palestinien, défendent une solution moins utopique qu'elle n'y paraît, le binationalisme. Le binationalisme consiste à créer un seul État au sein duquel coexisteraient deux nationalités juridiquement égales. Autrement dit, une seule terre, deux nationalités, une seule citoyenneté. De prime abord, cette solution peut paraître utopique, mais elle connaît un regain d'intérêt depuis les années 2000. Cette proposition est très ancienne. Dès le début du XXe siècle, deux courants s'opposent dans le sionisme. D'un côté, la vision héritée de son fondateur, Théodore Herzl, qui défend la création d'un État juif nationaliste sur le modèle des États-nations européens. De l'autre, un sionisme non pas territorial, mais spirituel, la création d'une communauté authentique, conforme aux principes éthiques du judaïsme, mais qui ne deviendrait pas une entité politique strictement autonome. Cette deuxième vision est notamment portée par le philosophe autrichien Martin Buber. Buber a consacré son œuvre philosophique à la relation éthique avec autrui. Et son sionisme s'inscrit lui aussi. dans une pensée de la réciprocité. Dès les années 1920, il dénonce le sionisme nationaliste qui s'apparente, je cite, à un égoïsme collectif, une existence mesquine et profane comme n'importe lequel de ces petits États qui foisonnent dans l'Occident contemporain Selon Buber, une communauté spirituelle authentique ne peut se faire que dans une alliance juste avec le peuple arabe, avec lequel il existe une solidarité profonde et durable, et l'envie commune de construire l'avenir du pays. Buber parle bien de colonisation, mais il ne s'agit pas de colonisation d'expansion, de domination, comme celle de l'Angleterre ou de la France. La colonisation sioniste doit être, selon Buber, une colonisation de rassemblement. pour rassembler une communauté spirituelle. Voici ce qu'il disait en 1929. Notre colonisation ne vise pas l'exploitation capitaliste d'un territoire et ne sert aucun but impérialiste. Son sens est le travail créateur d'hommes libres sur une terre commune. Selon Boeber, il faut impérativement reconnaître qu'un autre peuple habite déjà ce pays. Il s'installe en Israël en 1938, mais il conservera un regard très critique face au comportement politique de l'État juif. Je cite Nous avons repris à notre compte la politique colonialiste de l'Occident moderne pour exercer une hégémonie sur le pays tout entier. Pourtant, ajoute-t-il, les Juifs ayant enduré les méfaits du racisme et de l'ostracisme doivent moralement s'interdire d'adopter pareille attitude envers un autre peuple. Le judaïsme authentique, spirituel, c'est l'éthique avant la politique. Et jusqu'à sa mort, il n'aura de cesse de dire que l'État binational est la seule solution pour garantir à chacun des deux peuples son autonomie, son autodétermination, sa capacité à décider librement. Deux peuples, une terre. La proposition d'un État binational judéo-arabe a été défendue non seulement par Martin Buber, mais aussi par Hannah Arendt ou Albert Einstein. Après le plan de partage de l'ONU de 1947, elle tombe en désuétude, supplantée par la solution à deux États. Mais dans les années 2000, après plus de 50 ans de conflits, cette solution est à nouveau portée par plusieurs intellectuels et personnalités politiques. Parmi eux, Edward Said, un philosophe palestinien et américain né à Jérusalem. Said a pourtant longtemps été un défenseur de la solution à deux États. Mais, après les accords d'Oslo de 1993, il change d'avis. Alors que cet accord, cette poignée de mains entre les dirigeants des deux pays, Rabin et Arafat, était perçue comme historique, Edouard Saïd dénonce ce qu'il considère comme une trahison à l'égard de la Palestine. Selon lui, Yasser Arafat voulait conclure un accord à tout prix pour conserver son pouvoir et a donc accepté de signer un accord qui ne reconnaissait pourtant ni le droit de la Palestine à l'autodétermination, ni la récupération de ses territoires occupés. Finalement, les accords d'Oslo ne sont autres que la poursuite de l'occupation par d'autres moyens. À partir de ce moment-là, Edouard Saïd ne croit plus à la solution à deux États. La partition est une pratique coloniale qui n'a jamais marché dit-il. Alors, il devient un fervent défenseur du binationalisme, comme Boubeur 80 ans avant lui. En 1999, il nous dit. Je souhaite un État binational, abritant juifs et palestiniens, parce que la philosophie de la séparation ne peut plus fonctionner. L'inégalité entre les deux peuples est trop profonde. Elle aboutirait à un apartheid, avec un mini-État palestinien pourvu de quelques symboles, un drapeau, une police, une garde d'honneur. Comme on ne peut plus séparer les deux peuples, il faut chercher à les faire vivre ensemble. Une analyse tristement prophétique. La coexistence est-elle utopique ? Pas du tout, répond Saïd. C'est au contraire la solution la plus réaliste. Tout simplement parce que les deux peuples sont déjà imbriqués. En Israël, 20% des citoyens sont arabes. Et en Palestine, la colonisation israélienne est tellement ancienne et avancée que le retour au partage de l'ONU impliquerait des déplacements de population sans doute inacceptables pour Israël. Car plus de 700 000 colons israéliens sont implantés illégalement dans des territoires palestiniens et y vivent depuis plus de 60 ans. Le binationalisme est donc pragmatique, nous dit Saïd. Il prendrait acte de la situation démographique et géographique existante. Une analyse partagée par l'ancien maire de Jérusalem, Mehron Benvenisti, qui estimait qu'Israéliens et Palestiniens vivaient déjà dans un État binational. Edouard Saïd est mort en 2003, avant que le nationalisme ne devienne religieux. La question religieuse n'était pas vraiment à l'origine du conflit israélo-palestinien. C'était plutôt un conflit territorial, politique. Mais les impasses diplomatiques et les guerres successives ont conduit à une radicalisation religieuse des deux camps. En Palestine, le Hamas défend une idéologie islamiste, et en Israël, le parti de Netanyahou prétend mener une guerre sainte. Il prétend être la lumière de Dieu conduisant au grand Israël et répète vouloir éradiquer le Hamas. Cette radicalisation religieuse est sans aucun doute un obstacle à la solution binationale, qui impliquerait un État laïque et non pas religieux. Et les négociations politiques ne semblent pas aller dans le sens d'une terre de coexistence. D'autant plus que Netanyahou, pour conserver le pouvoir, doit s'attirer les faveurs des membres les plus radicaux de sa coalition, très mécontents du cessez-le-feu. S'il veut se maintenir à la tête d'Israël, il semble donc qu'il continuera la guerre par tous les moyens possibles. Enfin, l'élection de Trump et ses discours nationalistes, voire fascistes, vont sans doute donner encore plus de force aux idéologies nationalistes partout dans le monde. Les perspectives sont donc plutôt sombres, et on peut malheureusement prédire que la trêve ne tiendra pas longtemps. Ce qui n'empêche pas de penser, envers et contre tout, des solutions durables pour la Palestine et Israël. De penser à une configuration qui permettrait aux deux peuples de se reconnaître mutuellement, pas seulement comme structure politique ennemie, mais comme un peuple ayant une histoire et une culture. Car si le cessez-le-feu permet de suspendre la violence directe et immédiate, il n'arrête pas la violence structurelle qui étouffe la Palestine, l'occupation, la colonisation, l'apartheid mené par Israël. Le binationalisme paraît en ce sens la solution la plus souhaitable pour les deux peuples. En 2003, l'écrivain juif new-yorkais Tony Judd prophétisait que l'alternative pour Israël serait entre un plus grand Israël ethniquement nettoyé et un État unique et intégré, binational, avec les Juifs et les Arabes. Espérons que des voix israéliennes sauront s'élever pour renouer avec la tradition spirituelle et éthique de Martin Buber, Edouard Saïd. et Tony Judd. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, lefildactu.podcast. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Alors, un grand merci à Pierre, Florence, Khadija, Claire, Nicolas, Gauthier, Louise, Thomas, Élodie, Dominique, Mathieu et Clément. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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Soulagement, après 15 mois de destruction de la bande de Gaza par Israël : un cessez-le-feu a été signé. La trêve paraît malheureusement précaire. Alors, comment envisager l’avenir ? Quelle serait une solution possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ?

📚 On en parle avec les philosophes Martin Buber et Edward Saïd.



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Certaines estimations, qui comptabilisent non seulement les morts directes, mais aussi les disparus et les personnes décédées en raison du manque de soins et de nourriture, font état de plus de 230 000 morts. Ce qui représente une personne sur dix. Et la grande majorité de ces victimes seraient des femmes et des enfants. Depuis 15 mois, à Gaza, un enfant est tué ou blessé toutes les 10 minutes. Chaque jour, 10 enfants palestiniens perdent au moins une jambe, selon une organisation de l'ONU. Gaza est devenue la région comptant le plus d'enfants amputés au monde. Le cessez-le-feu a donc été accueilli à Gaza avec des cris de joie et de libération. L'accord prévoit trois phases, durant chacune six semaines. D'abord, une première phase de retrait des forces israéliennes, d'échange d'otages entre les deux camps et une aide humanitaire immédiate pour les Palestiniens. Ensuite, deux phases, beaucoup plus floues, devront conduire à un cessez-le-feu permanent, puis à une reconstruction de Gaza. Malheureusement, la trêve semble fragile. Israël n'a d'ailleurs fourni aucune garantie écrite contre la reprise des attaques et les coulisses de la négociation paraissent floues. Donald Trump aurait été déterminant dans cette négociation. Voulant apparaître comme un faiseur d'accords avant même son investiture, il aurait mis la pression à Israël. Certains analystes pensent qu'il aurait même promis de soutenir Israël dans sa colonisation de la Cisjordanie. à condition qu'ils cessent, même provisoirement, les attaques sur Gaza. Et quand on voit à quel point Trump adopte des comportements et des opinions de plus en plus d'extrême droite, on ne peut qu'être inquiet pour l'avenir de la Palestine. Alors, une solution serait-elle possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ? Pour sortir d'un cycle de destruction, d'une vie sans cesse en suspens, d'une succession de trêves entre deux bombardements ? Deux philosophes, l'un juif, l'autre palestinien, défendent une solution moins utopique qu'elle n'y paraît, le binationalisme. Le binationalisme consiste à créer un seul État au sein duquel coexisteraient deux nationalités juridiquement égales. Autrement dit, une seule terre, deux nationalités, une seule citoyenneté. De prime abord, cette solution peut paraître utopique, mais elle connaît un regain d'intérêt depuis les années 2000. Cette proposition est très ancienne. Dès le début du XXe siècle, deux courants s'opposent dans le sionisme. D'un côté, la vision héritée de son fondateur, Théodore Herzl, qui défend la création d'un État juif nationaliste sur le modèle des États-nations européens. De l'autre, un sionisme non pas territorial, mais spirituel, la création d'une communauté authentique, conforme aux principes éthiques du judaïsme, mais qui ne deviendrait pas une entité politique strictement autonome. Cette deuxième vision est notamment portée par le philosophe autrichien Martin Buber. Buber a consacré son œuvre philosophique à la relation éthique avec autrui. Et son sionisme s'inscrit lui aussi. dans une pensée de la réciprocité. Dès les années 1920, il dénonce le sionisme nationaliste qui s'apparente, je cite, à un égoïsme collectif, une existence mesquine et profane comme n'importe lequel de ces petits États qui foisonnent dans l'Occident contemporain Selon Buber, une communauté spirituelle authentique ne peut se faire que dans une alliance juste avec le peuple arabe, avec lequel il existe une solidarité profonde et durable, et l'envie commune de construire l'avenir du pays. Buber parle bien de colonisation, mais il ne s'agit pas de colonisation d'expansion, de domination, comme celle de l'Angleterre ou de la France. La colonisation sioniste doit être, selon Buber, une colonisation de rassemblement. pour rassembler une communauté spirituelle. Voici ce qu'il disait en 1929. Notre colonisation ne vise pas l'exploitation capitaliste d'un territoire et ne sert aucun but impérialiste. Son sens est le travail créateur d'hommes libres sur une terre commune. Selon Boeber, il faut impérativement reconnaître qu'un autre peuple habite déjà ce pays. Il s'installe en Israël en 1938, mais il conservera un regard très critique face au comportement politique de l'État juif. Je cite Nous avons repris à notre compte la politique colonialiste de l'Occident moderne pour exercer une hégémonie sur le pays tout entier. Pourtant, ajoute-t-il, les Juifs ayant enduré les méfaits du racisme et de l'ostracisme doivent moralement s'interdire d'adopter pareille attitude envers un autre peuple. Le judaïsme authentique, spirituel, c'est l'éthique avant la politique. Et jusqu'à sa mort, il n'aura de cesse de dire que l'État binational est la seule solution pour garantir à chacun des deux peuples son autonomie, son autodétermination, sa capacité à décider librement. Deux peuples, une terre. La proposition d'un État binational judéo-arabe a été défendue non seulement par Martin Buber, mais aussi par Hannah Arendt ou Albert Einstein. Après le plan de partage de l'ONU de 1947, elle tombe en désuétude, supplantée par la solution à deux États. Mais dans les années 2000, après plus de 50 ans de conflits, cette solution est à nouveau portée par plusieurs intellectuels et personnalités politiques. Parmi eux, Edward Said, un philosophe palestinien et américain né à Jérusalem. Said a pourtant longtemps été un défenseur de la solution à deux États. Mais, après les accords d'Oslo de 1993, il change d'avis. Alors que cet accord, cette poignée de mains entre les dirigeants des deux pays, Rabin et Arafat, était perçue comme historique, Edouard Saïd dénonce ce qu'il considère comme une trahison à l'égard de la Palestine. Selon lui, Yasser Arafat voulait conclure un accord à tout prix pour conserver son pouvoir et a donc accepté de signer un accord qui ne reconnaissait pourtant ni le droit de la Palestine à l'autodétermination, ni la récupération de ses territoires occupés. Finalement, les accords d'Oslo ne sont autres que la poursuite de l'occupation par d'autres moyens. À partir de ce moment-là, Edouard Saïd ne croit plus à la solution à deux États. La partition est une pratique coloniale qui n'a jamais marché dit-il. Alors, il devient un fervent défenseur du binationalisme, comme Boubeur 80 ans avant lui. En 1999, il nous dit. Je souhaite un État binational, abritant juifs et palestiniens, parce que la philosophie de la séparation ne peut plus fonctionner. L'inégalité entre les deux peuples est trop profonde. Elle aboutirait à un apartheid, avec un mini-État palestinien pourvu de quelques symboles, un drapeau, une police, une garde d'honneur. Comme on ne peut plus séparer les deux peuples, il faut chercher à les faire vivre ensemble. Une analyse tristement prophétique. La coexistence est-elle utopique ? Pas du tout, répond Saïd. C'est au contraire la solution la plus réaliste. Tout simplement parce que les deux peuples sont déjà imbriqués. En Israël, 20% des citoyens sont arabes. Et en Palestine, la colonisation israélienne est tellement ancienne et avancée que le retour au partage de l'ONU impliquerait des déplacements de population sans doute inacceptables pour Israël. Car plus de 700 000 colons israéliens sont implantés illégalement dans des territoires palestiniens et y vivent depuis plus de 60 ans. Le binationalisme est donc pragmatique, nous dit Saïd. Il prendrait acte de la situation démographique et géographique existante. Une analyse partagée par l'ancien maire de Jérusalem, Mehron Benvenisti, qui estimait qu'Israéliens et Palestiniens vivaient déjà dans un État binational. Edouard Saïd est mort en 2003, avant que le nationalisme ne devienne religieux. La question religieuse n'était pas vraiment à l'origine du conflit israélo-palestinien. C'était plutôt un conflit territorial, politique. Mais les impasses diplomatiques et les guerres successives ont conduit à une radicalisation religieuse des deux camps. En Palestine, le Hamas défend une idéologie islamiste, et en Israël, le parti de Netanyahou prétend mener une guerre sainte. Il prétend être la lumière de Dieu conduisant au grand Israël et répète vouloir éradiquer le Hamas. Cette radicalisation religieuse est sans aucun doute un obstacle à la solution binationale, qui impliquerait un État laïque et non pas religieux. Et les négociations politiques ne semblent pas aller dans le sens d'une terre de coexistence. D'autant plus que Netanyahou, pour conserver le pouvoir, doit s'attirer les faveurs des membres les plus radicaux de sa coalition, très mécontents du cessez-le-feu. S'il veut se maintenir à la tête d'Israël, il semble donc qu'il continuera la guerre par tous les moyens possibles. Enfin, l'élection de Trump et ses discours nationalistes, voire fascistes, vont sans doute donner encore plus de force aux idéologies nationalistes partout dans le monde. Les perspectives sont donc plutôt sombres, et on peut malheureusement prédire que la trêve ne tiendra pas longtemps. Ce qui n'empêche pas de penser, envers et contre tout, des solutions durables pour la Palestine et Israël. De penser à une configuration qui permettrait aux deux peuples de se reconnaître mutuellement, pas seulement comme structure politique ennemie, mais comme un peuple ayant une histoire et une culture. Car si le cessez-le-feu permet de suspendre la violence directe et immédiate, il n'arrête pas la violence structurelle qui étouffe la Palestine, l'occupation, la colonisation, l'apartheid mené par Israël. Le binationalisme paraît en ce sens la solution la plus souhaitable pour les deux peuples. En 2003, l'écrivain juif new-yorkais Tony Judd prophétisait que l'alternative pour Israël serait entre un plus grand Israël ethniquement nettoyé et un État unique et intégré, binational, avec les Juifs et les Arabes. Espérons que des voix israéliennes sauront s'élever pour renouer avec la tradition spirituelle et éthique de Martin Buber, Edouard Saïd. et Tony Judd. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, lefildactu.podcast. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Alors, un grand merci à Pierre, Florence, Khadija, Claire, Nicolas, Gauthier, Louise, Thomas, Élodie, Dominique, Mathieu et Clément. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

Description

Et si la philosophie pouvait proposer une solution pour une paix durable entre Israël et la Palestine ?


Soulagement, après 15 mois de destruction de la bande de Gaza par Israël : un cessez-le-feu a été signé. La trêve paraît malheureusement précaire. Alors, comment envisager l’avenir ? Quelle serait une solution possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ?

📚 On en parle avec les philosophes Martin Buber et Edward Saïd.



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Transcription

  • Speaker #0

    Le soulagement. Après 15 mois de destruction de la bande de Gaza par Israël, un cessez-le-feu a enfin été signé. La trêve paraît malheureusement précaire. Alors, comment envisager l'avenir ? Quelle serait une solution possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ? On en parle aujourd'hui avec les philosophes Martin Buber et Edouard Saïd. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don, ponctuel ou récurrent, en cliquant sur la page indiquée en description. Merci pour votre soutien. Enfin, un peu de répit pour les Gazaouis, qui subissent un génocide depuis plus d'un an. On fait état de plus de 45 000 morts, un nombre sans doute largement sous-estimé, puisque seules sont décomptées les personnes décédées dans les hôpitaux. Certaines estimations, qui comptabilisent non seulement les morts directes, mais aussi les disparus et les personnes décédées en raison du manque de soins et de nourriture, font état de plus de 230 000 morts. Ce qui représente une personne sur dix. Et la grande majorité de ces victimes seraient des femmes et des enfants. Depuis 15 mois, à Gaza, un enfant est tué ou blessé toutes les 10 minutes. Chaque jour, 10 enfants palestiniens perdent au moins une jambe, selon une organisation de l'ONU. Gaza est devenue la région comptant le plus d'enfants amputés au monde. Le cessez-le-feu a donc été accueilli à Gaza avec des cris de joie et de libération. L'accord prévoit trois phases, durant chacune six semaines. D'abord, une première phase de retrait des forces israéliennes, d'échange d'otages entre les deux camps et une aide humanitaire immédiate pour les Palestiniens. Ensuite, deux phases, beaucoup plus floues, devront conduire à un cessez-le-feu permanent, puis à une reconstruction de Gaza. Malheureusement, la trêve semble fragile. Israël n'a d'ailleurs fourni aucune garantie écrite contre la reprise des attaques et les coulisses de la négociation paraissent floues. Donald Trump aurait été déterminant dans cette négociation. Voulant apparaître comme un faiseur d'accords avant même son investiture, il aurait mis la pression à Israël. Certains analystes pensent qu'il aurait même promis de soutenir Israël dans sa colonisation de la Cisjordanie. à condition qu'ils cessent, même provisoirement, les attaques sur Gaza. Et quand on voit à quel point Trump adopte des comportements et des opinions de plus en plus d'extrême droite, on ne peut qu'être inquiet pour l'avenir de la Palestine. Alors, une solution serait-elle possible pour une paix durable entre Israël et la Palestine ? Pour sortir d'un cycle de destruction, d'une vie sans cesse en suspens, d'une succession de trêves entre deux bombardements ? Deux philosophes, l'un juif, l'autre palestinien, défendent une solution moins utopique qu'elle n'y paraît, le binationalisme. Le binationalisme consiste à créer un seul État au sein duquel coexisteraient deux nationalités juridiquement égales. Autrement dit, une seule terre, deux nationalités, une seule citoyenneté. De prime abord, cette solution peut paraître utopique, mais elle connaît un regain d'intérêt depuis les années 2000. Cette proposition est très ancienne. Dès le début du XXe siècle, deux courants s'opposent dans le sionisme. D'un côté, la vision héritée de son fondateur, Théodore Herzl, qui défend la création d'un État juif nationaliste sur le modèle des États-nations européens. De l'autre, un sionisme non pas territorial, mais spirituel, la création d'une communauté authentique, conforme aux principes éthiques du judaïsme, mais qui ne deviendrait pas une entité politique strictement autonome. Cette deuxième vision est notamment portée par le philosophe autrichien Martin Buber. Buber a consacré son œuvre philosophique à la relation éthique avec autrui. Et son sionisme s'inscrit lui aussi. dans une pensée de la réciprocité. Dès les années 1920, il dénonce le sionisme nationaliste qui s'apparente, je cite, à un égoïsme collectif, une existence mesquine et profane comme n'importe lequel de ces petits États qui foisonnent dans l'Occident contemporain Selon Buber, une communauté spirituelle authentique ne peut se faire que dans une alliance juste avec le peuple arabe, avec lequel il existe une solidarité profonde et durable, et l'envie commune de construire l'avenir du pays. Buber parle bien de colonisation, mais il ne s'agit pas de colonisation d'expansion, de domination, comme celle de l'Angleterre ou de la France. La colonisation sioniste doit être, selon Buber, une colonisation de rassemblement. pour rassembler une communauté spirituelle. Voici ce qu'il disait en 1929. Notre colonisation ne vise pas l'exploitation capitaliste d'un territoire et ne sert aucun but impérialiste. Son sens est le travail créateur d'hommes libres sur une terre commune. Selon Boeber, il faut impérativement reconnaître qu'un autre peuple habite déjà ce pays. Il s'installe en Israël en 1938, mais il conservera un regard très critique face au comportement politique de l'État juif. Je cite Nous avons repris à notre compte la politique colonialiste de l'Occident moderne pour exercer une hégémonie sur le pays tout entier. Pourtant, ajoute-t-il, les Juifs ayant enduré les méfaits du racisme et de l'ostracisme doivent moralement s'interdire d'adopter pareille attitude envers un autre peuple. Le judaïsme authentique, spirituel, c'est l'éthique avant la politique. Et jusqu'à sa mort, il n'aura de cesse de dire que l'État binational est la seule solution pour garantir à chacun des deux peuples son autonomie, son autodétermination, sa capacité à décider librement. Deux peuples, une terre. La proposition d'un État binational judéo-arabe a été défendue non seulement par Martin Buber, mais aussi par Hannah Arendt ou Albert Einstein. Après le plan de partage de l'ONU de 1947, elle tombe en désuétude, supplantée par la solution à deux États. Mais dans les années 2000, après plus de 50 ans de conflits, cette solution est à nouveau portée par plusieurs intellectuels et personnalités politiques. Parmi eux, Edward Said, un philosophe palestinien et américain né à Jérusalem. Said a pourtant longtemps été un défenseur de la solution à deux États. Mais, après les accords d'Oslo de 1993, il change d'avis. Alors que cet accord, cette poignée de mains entre les dirigeants des deux pays, Rabin et Arafat, était perçue comme historique, Edouard Saïd dénonce ce qu'il considère comme une trahison à l'égard de la Palestine. Selon lui, Yasser Arafat voulait conclure un accord à tout prix pour conserver son pouvoir et a donc accepté de signer un accord qui ne reconnaissait pourtant ni le droit de la Palestine à l'autodétermination, ni la récupération de ses territoires occupés. Finalement, les accords d'Oslo ne sont autres que la poursuite de l'occupation par d'autres moyens. À partir de ce moment-là, Edouard Saïd ne croit plus à la solution à deux États. La partition est une pratique coloniale qui n'a jamais marché dit-il. Alors, il devient un fervent défenseur du binationalisme, comme Boubeur 80 ans avant lui. En 1999, il nous dit. Je souhaite un État binational, abritant juifs et palestiniens, parce que la philosophie de la séparation ne peut plus fonctionner. L'inégalité entre les deux peuples est trop profonde. Elle aboutirait à un apartheid, avec un mini-État palestinien pourvu de quelques symboles, un drapeau, une police, une garde d'honneur. Comme on ne peut plus séparer les deux peuples, il faut chercher à les faire vivre ensemble. Une analyse tristement prophétique. La coexistence est-elle utopique ? Pas du tout, répond Saïd. C'est au contraire la solution la plus réaliste. Tout simplement parce que les deux peuples sont déjà imbriqués. En Israël, 20% des citoyens sont arabes. Et en Palestine, la colonisation israélienne est tellement ancienne et avancée que le retour au partage de l'ONU impliquerait des déplacements de population sans doute inacceptables pour Israël. Car plus de 700 000 colons israéliens sont implantés illégalement dans des territoires palestiniens et y vivent depuis plus de 60 ans. Le binationalisme est donc pragmatique, nous dit Saïd. Il prendrait acte de la situation démographique et géographique existante. Une analyse partagée par l'ancien maire de Jérusalem, Mehron Benvenisti, qui estimait qu'Israéliens et Palestiniens vivaient déjà dans un État binational. Edouard Saïd est mort en 2003, avant que le nationalisme ne devienne religieux. La question religieuse n'était pas vraiment à l'origine du conflit israélo-palestinien. C'était plutôt un conflit territorial, politique. Mais les impasses diplomatiques et les guerres successives ont conduit à une radicalisation religieuse des deux camps. En Palestine, le Hamas défend une idéologie islamiste, et en Israël, le parti de Netanyahou prétend mener une guerre sainte. Il prétend être la lumière de Dieu conduisant au grand Israël et répète vouloir éradiquer le Hamas. Cette radicalisation religieuse est sans aucun doute un obstacle à la solution binationale, qui impliquerait un État laïque et non pas religieux. Et les négociations politiques ne semblent pas aller dans le sens d'une terre de coexistence. D'autant plus que Netanyahou, pour conserver le pouvoir, doit s'attirer les faveurs des membres les plus radicaux de sa coalition, très mécontents du cessez-le-feu. S'il veut se maintenir à la tête d'Israël, il semble donc qu'il continuera la guerre par tous les moyens possibles. Enfin, l'élection de Trump et ses discours nationalistes, voire fascistes, vont sans doute donner encore plus de force aux idéologies nationalistes partout dans le monde. Les perspectives sont donc plutôt sombres, et on peut malheureusement prédire que la trêve ne tiendra pas longtemps. Ce qui n'empêche pas de penser, envers et contre tout, des solutions durables pour la Palestine et Israël. De penser à une configuration qui permettrait aux deux peuples de se reconnaître mutuellement, pas seulement comme structure politique ennemie, mais comme un peuple ayant une histoire et une culture. Car si le cessez-le-feu permet de suspendre la violence directe et immédiate, il n'arrête pas la violence structurelle qui étouffe la Palestine, l'occupation, la colonisation, l'apartheid mené par Israël. Le binationalisme paraît en ce sens la solution la plus souhaitable pour les deux peuples. En 2003, l'écrivain juif new-yorkais Tony Judd prophétisait que l'alternative pour Israël serait entre un plus grand Israël ethniquement nettoyé et un État unique et intégré, binational, avec les Juifs et les Arabes. Espérons que des voix israéliennes sauront s'élever pour renouer avec la tradition spirituelle et éthique de Martin Buber, Edouard Saïd. et Tony Judd. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, lefildactu.podcast. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Alors, un grand merci à Pierre, Florence, Khadija, Claire, Nicolas, Gauthier, Louise, Thomas, Élodie, Dominique, Mathieu et Clément. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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