Speaker #0Une amie m'a dit un jour, Tamara, cette maladie a de la chance de t'avoir. Un compliment inattendu que j'ai choisi d'honorer. Plongez avec moi dans la chronique de malades, où les voix invisibles trouvent enfin leur écho. Bonne écoute ! Avant de commencer, il est important de préciser qu'être malade ou être valide, ce sont deux états impermanents. À tout moment, une personne valide peut devenir malade, et l'inverse est vrai aussi. Nos corps changent, tout le temps. Les valides d'aujourd'hui peuvent être les malades de demain, et vice-versa. Voilà pourquoi cette chronique peut intéresser tout le monde, même si en cet instant, alors que tu m'écoutes, tu te sens en pleine forme. Quand on tombe malade, ou plus précisément qu'une maladie chronique s'installe dans notre vie, petit aparté, je t'encourage vivement à écouter la trilogie Quand un inconnu s'invite chez soi pour comprendre comment la maladie chronique vient s'installer dans notre intimité. Je reprends. Quand une maladie chronique entre dans nos vies, ce qui est insupportable, au-delà des symptômes, au-delà du changement d'identité, au-delà des pertes de repères et des deuils à faire, c'est la constance, la récurrence, la permanence. Pour moi, c'est là l'essentiel à saisir pour concevoir le réel impact de la maladie sur le corps et le mental. J'entends souvent les gens tenter de comparer leurs souffrances en cherchant à créer une échelle du pire. Elle, c'est pire parce qu'elle vit avec de la fatigue chronique. Non, t'as pas idée. Lui, c'est vraiment pire parce qu'il vit avec des douleurs constantes. Là, je t'arrête tout de suite. Moi, c'est pire. Je vis avec des vertiges permanents. Le jeu du plus pire, là mon grand-père se retournerait dans sa tombe en m'entendant dire plus pire, est inutile, voire nul. La comparaison est un acte cognitif inintéressant dans ce cas précis. Et je vais t'expliquer pourquoi. Ça va te surprendre, mais la chose la plus importante à retenir aujourd'hui, c'est qu'en réalité, même la manifestation la plus banale, physique ou mentale, devient invivable lorsqu'elle ne s'arrête jamais. Oui, tu as bien entendu, même la plus banale. Laisse-moi te donner trois exemples pour illustrer mon propos et pour te familiariser avec cette idée que tu conscientises peut-être pour la première fois en cet instant. Le premier exemple, si tu as Netflix, tu vas comprendre tout de suite. Le deuxième, si tu as déjà eu un rhume, tu vas saisir aussi. Et pour le dernier exemple, eh bien, il faut que tu aies été détenu dans la Chine ancienne ou en Europe pendant la Renaissance et que tu aies vécu le supplice de la goutte d'eau. Ouais, je te l'accorde, celui-là est un peu moins commun, mais tu vas voir, ça marche aussi. Partons sur le premier exemple. Avec mon mari, on a Netflix. Ok, c'est pas ouf, mais on milite déjà pour pas mal de causes et on peut pas être sur tous les fronts, ok ? Bref, quand on démarre une série, que ce soit Black Miroir ou Elite, je t'ai dit, on ne peut pas militer pour tout ! Y'a un bug qui apparaît au début. Un écran noir qui reste environ 3 secondes. C'est pas super gênant. Mais on le constate. A chaque fois, on réagit juste en mode Ah tiens, il y a encore ce bug Maintenant, imagine que ce bug survienne aussi un peu avant la fin de la série. On se dirait Ah, maintenant le bug est aussi à la fin, c'est chelou, non ? Et puis admettons que ce bug se produise aussi au milieu de l'épisode. Là, tu te dis C'est quoi ce délire ? Le bug est au début, au milieu et à la fin maintenant ? Tu commences gentiment à sentir l'agacement monter. Prends le temps un instant d'imaginer que ce bug arrive 5, 10, 20 fois pendant un seul épisode. La ténère sont à deux doigts d'exploser. Tu lâches. Mais c'est quoi ce bordel ? On peut même plus regarder une série tranquillement, c'est censé me détendre ce truc merde à la fin. Et si ce bug montait à 50 fois, 100 fois, jusqu'à une image sur deux ? Là tu te lèves. Et si t'as un système nerveux pas très bien régulé ? Tu jettes ta télécommande par terre en gueulant. On paye pour un service qui bug en permanence, c'est invivable qu'ils aillent se faire foutre chez Netflix. Et voilà. Moi, mon bug, il est permanent. Chaque épisode de ma vie est un bug saccadé. À l'endroit même où j'espérais un peu de répit, de divertissement, de normalité. Et je n'ai reçu aucune télécommande qui me permette de zapper, ou un numéro de téléphone client qui me donne la possibilité d'aller gueuler sur quelqu'un. Sans oublier que ma vie n'a rien d'une série Netflix. Enfin si quand même ! En ce qui concerne ma rencontre avec Mickaël, mon mari, je te la raconterai peut-être une fois si les histoires d'amour te font vibrer. Allez, passons à un autre exemple. Parce que peut-être que toi, tu milites déjà contre Netflix ou ces géants des séries et des films. Parlons de rhumes maintenant. Je suis sûre que tout le monde ici a déjà eu un rhume, non ? Un rhume, c'est pas la fin du monde. Là, je mets de côté juste un instant, j'ai dit juste un instant, les personnes avec un système immunitaire très fragilisé ou avec des maladies graves. Ok, t'as un rhume. Tu vis toutes tes boîtes de mouchoirs, t'as les yeux qui grattent et tu dois peut-être annuler l'apéro du soir. Mais bon, c'est pas grave. La bonne nouvelle avec un rhume, c'est qu'on sait qu'il va finir par partir un jour. Sans retour, effacer, effacer notre amour, sans se retourner. Bon, je m'arrête là. Alors oui, on est saoulés parce que ce fichu rhume n'arrive jamais à la bonne période. Parce que dans un monde validiste et capitaliste, aucune crève n'arrive jamais au bon moment. Car t'as toujours un truc à faire pour le boulot ou une sortie organisée sur le week-end. Mais promis, de ce rhume, tu t'en remettras. Mais là, imagine que tes yeux brûlent en continu, alors que tu essayes de te faire à manger. Tu dois te moucher tout le temps, alors que t'es en réunion avec tes collègues ou que t'es dans le métro. Et ça saoule tout le monde. Qui se méfie aussi de toi en mode t'as un virus qui va causer la fin de ce monde. Ton cerveau est en mode brouillard total. Tu n'arrives donc ni à te concentrer sur des tâches toutes simples comme changer la couche de ton enfant, que tu mets dorénavant toujours à l'envers, ni à organiser tes idées pour participer à ce jeu de société avec tes potes qui demandent un peu de réactivité. Un peu, j'ai dit, c'est le tabou, pas la peine de s'exciter. À chaque éternuement, tu sens une décharge de fatigue qui s'accumule. Petit à petit, alors que t'avais chopé un truc banal, ta vie s'étiole. Tu dois tout annuler. L'événement sportif auquel t'étais inscrit, la cramaillère où t'avais invité tous tes amis, ta participation bénévole à cette cause qui te tient tant à cœur. Le café avec les mamans du quartier et cet apéro avec tes frères et sœurs pour parler de tes peines de cœur justement. Gentiment, tu te surprends à devoir dire au revoir à tes collègues adorés, tant ton corps ne répond plus. Alors que jusque-là, tu n'avais jamais remis en question ta place au travail. Déprimé par la forme que prend ta vie ou ta survie. Tu ne trouves plus vraiment de sens dans tout ça. Ça devait juste être un rhume et prendre trois semaines au maximum, quoi. Mais son omniprésence t'use. Elle finit même par te voler l'envie de te lever le matin. Tu n'as même plus l'énergie pour aller cracher tes glaires. Alors tu restes là, allongé, et tu les ravales. Ces symptômes se sont installés pour la vie, alors que devant aucun maire tu n'as dit oui. Désormais, que tu sois en train de faire tes courses, te savonner sous la douche ou de fêter Noël, ils sont là. Et te rappelle sur la photo de famille que tu n'es qu'une ombre enrhumée, même quand c'est le moment de fêter. Allez, tentez ! Je t'invite à un exercice tout simple. La prochaine fois que tu as un rhume, ou une gastro, ou une crise d'allergie, Rappelle-toi, ça marche avec tout, même la manifestation la plus banale comme le fameux moustique dans la chambre la nuit. Essaye de faire cet exercice de pensée. Imagine-toi allongé, incapable de respirer correctement. Chaque respiration est une lutte. Ou encore incapable de faire un mouvement comme te retourner dans le lit sans vomir. Et réalise que demain, ce sera pareil. Et après-demain, aussi. Dorénavant, rien ne sera plus jamais comme avant. Et enfin, pour le dernier exemple, je te parlais du supplice de la goutte d'eau. Tu sais, cette fameuse méthode de torture qui consistait à laisser tomber une goutte d'eau. Ploc, ploc, ploc. Sur le front des détenus, toujours au même rythme et toujours au même endroit. Comme le dit ChatGPT, parce que je suis allée lui demander les dates auxquelles cette horrible torture s'est produite, autant te dire que je ne suis pas hyper calée en Chine ancienne et l'époque de la Renaissance en Europe. Bien que cela puisse sembler bénin, Oui, Chadjepeté a pour moi un accent bourgeois, va savoir pourquoi. L'effet à long terme peut devenir extrêmement éprouvant. Allez, je répète cette phrase sans tonalité bourgeoise pour que tu puisses vraiment la saisir et la laisser infuser. Bien que cela puisse sembler bénin, l'effet à long terme peut devenir extrêmement éprouvant. On parle là d'une goutte. juste une goutte, mais qui goutte après goutte, finit par rendre fou. Pas parce que c'est violent, pas parce que c'est insupportable dans l'instant, mais parce que ça ne s'arrête jamais. Chaque goutte tape toujours au même endroit. Au début, tu te dis c'est rien comme pour un rhume. Mais comme elle ne s'arrête jamais de tomber sur ton front, Jour après jour, heure après heure, minute après minute, seconde après seconde, le cauchemar commence. Cette goutte devient un marteau invisible, perçant, inévitable. Chaque seconde qui passe renforce la douleur, la rend insupportable. Maintenant, transpose cette image à un symptôme, un vertige, une douleur lancinante, une fatigue inexorable, qui revient encore et encore sans jamais relâcher son emprise. La goutte cesse de sembler anodine. Cette petite goutte d'eau qui paraissait tellement insignifiante devient ta pire ennemie, parce qu'elle est là tout le temps, jusqu'à t'en faire oublier les moments de répit. C'est ça, vivre avec une maladie chronique. C'est pas une grande violence qui te détruit d'un coup, non. Ce sont ces petites gouttes, ces bugs, ce nez qui coule sans aucune pause, qui à force de ne jamais s'arrêter, finissent par t'épuiser. C'est ce que tu portes tous les jours, sans pouvoir l'éteindre. Et le plus difficile, c'est que pour ceux qui ne l'ont pas vécu, c'est presque, voire totalement invisible. 80% des maladies chroniques sont invisibles. Une goutte, c'est infime. Ça ne se voit même pas à l'œil nu parfois. Mais certains et certaines en sont morts. D'épuisement, d'incompréhension. d'un corps qui lâche à force de lutter. Alors à toi qui vis dans un corps valide, qui cherches à saisir, à être un ou une alliée, merci de laisser les gouttes des personnes malades et tous les mouvements des personnes malades se rejoindre et de ne rien entraver sur leur chemin. Pour avancer, être respecté, reconnu, accompagné avec qualité, on a besoin que ces gouttes deviennent ces rivières, pour que l'on puisse enfin... Les apercevoir au loin. Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Découvrez tous les engagements de l'association Les Invisibles sur le site internet lesinvisibles.ch. 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