Speaker #0Bienvenue dans les petites histoires de Michelle, un podcast dans lequel je raconte mon exploration de la cuisine japonaise. Cet art ultime de bien manger que j'ai à cœur de transmettre aujourd'hui est la synthèse entre mes pratiques d'artiste, de jardinière et de cuisinière. Il s'adresse aux amoureux du Japon, aux gourmets de sous-bord, et aux cuisiniers soucieux de préparer une cuisine saine, savoureuse et créative, qui nourrit aussi bien le corps que l'esprit. Vous y trouverez des récits de voyages et des témoignages d'expériences qui ont fait sens dans mon parcours. J'y délivre également, au-delà des recettes, les principes qui sous-tendent la cuisine japonaise. Nous ferons des visites dans le jardin, source d'émerveillement et d'abondance, et nous prêterons l'oreille à des personnes qui ont contribué à enrichir mon parcours dans l'oasis nippone que je me suis créée. Belle écoute à vous ! Aujourd'hui Je vous parle d'un outil que je pratique depuis plus de 40 ans. Un compagnon fidèle, précis, un couteau japonais. Le glissement du métal sur la pierre, c'est un son qui m'accompagne depuis toujours. Un frottement lent, régulier, presque méditatif. Aiguisé à un couteau japonais, C'est déjà entrer en cuisine. Avant même de couper, on se met dans le bon souffle. On s'accorde au rythme des choses. Le couteau japonais n'est pas un simple outil. C'est une présence, une ligne fine entre le geste et la matière. Un prolongement du corps, une forme de conscience. qui s'exprime dans la main. J'ai passé de longues heures à Tsukiji, aux côtés d'un affûteur de couteau, pour m'imprégner du geste, du rythme, en scrutant l'inclinaison du couteau, son orientation sur la pierre, la position de ses doigts sur la lame, en essayant de percevoir combien il pesait sur elle, de ressentir ce qu'il ressent. Je restais immobile en comptant le nombre d'allées et venues sur la pierre, debout, imperturbable à côté de lui, pendant des heures, en silence, dans le froid. Un apprentissage à la japonaise, quoi ! Mes couteaux, en acier carbone, faciles à aiguiser, s'émoussent aussi plus vite. Je déteste... de la sensation d'un couteau qui glisse sur la peau d'une tomate sans l'entamer alors qu'il devrait la trancher comme une lame à rasoir. Je me fâche lorsque je dois forcer sur un légume, mais l'opération déguisage prend du temps, beaucoup de temps. J'ai de nombreux couteaux à passer sur les pierres, parfois prises par l'urgence de la préparation d'un repas. Je fais l'impasse sur l'aiguisage et je m'en veux quand le tranchant n'est pas au rendez-vous. Je me suis bricolé une planche bien calée au-dessus du bac de mon évier où les pierres reposent dans l'eau. La pierre rose a gros grains si j'ai des ébrichures à rattraper. ou un changement de biseau à effectuer, la verte pour retrouver un fil net en douceur et la blanche pour le polissage, l'affûtage de précision. Au Japon, le cuisinier se nomme Itamae, celui qui se tient devant la planche. Dans la cuisine japonaise, le premier geste du cuisinier, c'est la découpe. C'est elle qui donne le goût. Rien n'est arraché, rien n'est violent. La lame glisse, tranchante et précise. Le geste juste, c'est celui qui respecte la texture et la forme naturelle de l'ingrédient. Un poisson, une racine, une feuille. Chacun a sa résistance, sa musique, son silence. après chaque action le couteau doit être passé sous l'eau avant de trancher un autre légume on ne mélange pas les goûts sitôt la découpe terminée Le couteau est lavé et séché. L'acier carbone s'oxyde vite. Au Japon, on mange avec des baguettes. Cela veut dire qu'aucune découpe ne se fait à table. Tout a déjà été pensé, ajusté, offert. Le couteau travaille en amont pour que le convive, lui, puisse goûter l'harmonie. Chaque coup. est une promesse, une préparation à la rencontre. J'ai tenu mes premiers couteaux japonais il y a plus de 40 ans. Je me souviens encore de la sensation du fil, un tranchant si pur qu'il semblait respirer. Je me suis coupée, souvent, et chaque coupure m'a rappelé la même chose. Le couteau japonais demande la présence. La moindre distraction se paye. Mais quand la main est juste, quand la position est stable, quand la respiration se cale sur le geste, alors la lame devient fluide, comme si elle savait avant nous. L'histoire du couteau japonais est liée à celle du sabre. Quand, à la fin du XIXe siècle, le port du sabre a été interdit, les forgerons ont transposé leur art vers la cuisine. De la guerre, ils ont fait un art du goût, de l'arme, un outil de paix. Chaque lame japonaise est une âme forgée dans le feu. On dit qu'elle porte le souffle et la main de celui qui l'a créée. C'est pourquoi on ne prête pas son couteau. On le respecte, on le garde propre, sec, prêt à servir. Il devient un compagnon silencieux. Aiguiser, c'est un rituel. L'eau, la pierre, la lame. Le geste qui polie, le son qui apaise. On ne cherche pas seulement à retrouver le fil, on entretient. La relation. Quand j'aiguise, je perds la notion du temps. C'est comme si, à travers la lame, je polissais aussi mes pensées. Chaque couteau a sa personnalité. En cuisine japonaise, chaque couteau a historiquement une fonction très précise. Le yanagiba, long. Et fin tranche le poisson cru à très nette comme un souffle, juste en tirant la lame vers soi. C'est le poids et l'orientation du couteau qui font le travail. Les fibres restent intactes. À Kyoto, Kazuo-san m'a tendu son yanagiba pour m'essayer à la découpe des sashimi de fugu. Ce poisson très cher est mortel s'il n'est pas bien préparé. Les sashimis doivent être si fins qu'on devine, à travers eux, les décorations du plat sur lesquelles ils sont présentés. J'en ai coupé trois, puis j'ai respectueusement reposé le couteau. Allez-y, m'a-t-il dit, vous savez faire. Le débat... et plus massif. Pour lever le poisson, coupez la tête et les arêtes. Le napperie, une longue lame large et droite, est faite pour la découpe des légumes d'un geste vertical en repoussant le couteau vers l'extérieur. En le faisant glisser le long des phalanges repliées, on s'assure d'une coupe régulière. Quand Arthur était petit et qu'il s'installait à côté de moi en cuisine, perché sur son tabouret, Il posait sa main sur la mienne pour accompagner le geste. L'autre main posait bien à plat à côté de la planche, en sécurité. C'était notre rituel. La lame du Nakiri, du Yanagiba et du Deba n'est biseautée que d'un seul côté. Le biseau simple perpétue cette tradition d'outils extrêmement spécialisés. Optimisé pour une tâche unique, le Yanagiba sert à trancher le poisson cru d'un seul geste. Avec le débat, on détaille le poisson et avec l'usuba, on travaille les légumes en finesse. Un biseau unique forme un angle plus aigu qu'un affûtage double, ce qui a pour résultat que la lame pénètre plus facilement dans la matière, créant une coupe nette. et propre. Les aliments fragiles comme le poisson cru et les légumes fins ne sont pas écrasés. Une lame à biseau simple coupe en suivant le côté biseauté. Elle tire légèrement vers un côté. Cela permet aux cuisiniers expérimentés de contrôler très finement la trajectoire. Sur un usuba, cela aide à faire des découpes extrêmement régulières. Sur un débat, cela permet de lever efficacement un filet de poisson en longeant les arêtes. Comme l'outil est directionnel, il existe des lames pour droitier et des lames pour gaucher, moins courantes et plus chères évidemment. Le côté plat, non biseauté, joue un rôle important. Il maintient l'aliment en place et limite la déviation. Mais peu importe le nom et le rouille de la lame, ce qui compte, c'est la conscience. Un couteau japonais ne coupe pas, il révèle. De chacun de mes voyages, j'ai rapporté des couteaux. À mon arrivée, j'achetais ceux dont j'avais besoin pour cuisiner sur place. Les formes sont différentes à Tokyo ou à Osaka. Chaque couteau parle de ses origines et de la tradition locale. Chaque couteau a son poids, son inertie. Quand la lame a été abîmée par un choc, un usage inapproprié et qu'il faut la reprendre en profondeur, il n'est plus le même dans la main qui en a eu l'usage. Elle ne le reconnaît plus. C'est un deuil à faire. Au début, lors de mes premiers achats, Je ne prêtais pas vraiment attention à la forme du manche, mais j'ai rapidement constaté que les manches cylindriques ne me convenaient pas. Leur prise manque de stabilité. Tout a changé le jour où j'ai utilisé un couteau doté d'un manche à section en forme de goutte aplatie, un cadeau de mon fils. Depuis, je privilégie systématiquement cette forme. La pointe du bois vient naturellement se loger dans le repli entre la naissance des phalanges et la paume, tandis que les doigts s'enroulent fermement autour du côté arrondi. Le couteau japonais enseigne la présence. Il relie la main, la tête et le cœur. C'est lui qui m'a appris à écouter la matière, à respecter le vivant. Trancher, c'est aussi choisir. C'est se délester du superflu, c'est laisser apparaître l'essentiel. Et peut-être est-ce cela le véritable sens du couteau japonais, un outil de transformation, un trait d'union entre le produit et celui qui le prépare. Le goût naît de la coupe et dans le silence de la cuisine. C'est toujours la lame qui parle la première. Un nouvel épisode des petites histoires de Michelle vous attend tous les mardis. Pensez à vous abonner à ma newsletter pour continuer de voyager au Japon avec moi.