Speaker #0Bienvenue dans les petites histoires de Michelle, un podcast dans lequel je raconte mon exploration de la cuisine japonaise. Cet art ultime de bien manger que j'ai à cœur de transmettre aujourd'hui est la synthèse entre mes pratiques d'artiste, de jardinière et de cuisinière. Il s'adresse aux amoureux du Japon Aux gourmets de tous bords et aux cuisiniers soucieux de préparer une cuisine saine, savoureuse et créative, qui nourrit aussi bien le corps que l'esprit. Vous y trouverez des récits de voyages et des témoignages d'expériences qui ont fait sens dans mon parcours. J'y délivre également, au-delà des recettes, les principes qui sous-tendent la cuisine japonaise. Nous ferons des visites dans le jardin, source d'émerveillement et d'abondance, et nous prêterons l'oreille à des personnes qui ont contribué à enrichir mon parcours dans l'oasis nippone que je me suis créée. Belle écoute à vous ! Dans cet épisode, on parle des tatamisées, une émission que j'ai longtemps laissée inachevée comme suspendue. Aujourd'hui, avec le recul, je comprends pourquoi. Il me fallait d'abord faire un bout de cheminement intérieur avant de pouvoir la finaliser. Depuis que j'ai annoncé, dans un précédent podcast, mon changement de cap concernant ma table japonaise Kaiseki, je sens que je clôture un cycle. Et ce thème, celui des tatamisés, me paraît aujourd'hui plus juste que jamais. C'est quoi un tatamisé ? Dans le monde des arts martiaux, une salle tatamisée est un dojo dont le sol est entièrement recouvert de tatamis. Dans ce contexte, quand on dit qu'une personne est tatamisée, cela veut dire qu'elle est épuisée, vidée, comme après un entraînement où on l'aurait jeté au sol encore et encore. Mais au Japon, le mot a un autre sens, plus ironique. Il désigne ces étrangers, fascinés par le Japon, au point d'en devenir caricaturaux. Ceux qui veulent être plus japonais que les japonais eux-mêmes, qui s'imprègnent à l'excès d'un Japon fantasmé. Alors ? Suis-je tatamisée ? Je mange de la soupe miso presque chaque jour. Mon art, mes dessins, mon jardin portent tous une empreinte japonaise. Ma maison est épurée, proche du sol. Je dors sur un futon. Je cuisine japonais avec des outils japonais. J'ai pratiqué des arts martiaux, étudié la langue et la calligraphie, avec passion, parfois avec obsession. Alors oui, sans doute, je suis un peu tatamisée. Au point d'avoir un jour postulé pour un séjour à la Villa Kujoyama, l'équivalent japonais de la Villa Medici. Mon dossier, pourtant soutenu par d'éminentes personnalités, n'a pas été retenu. Et pour cause. Au lieu de mettre en avant ce que ma culture européenne pouvaient apporter d'enrichissant, j'essayais de prouver à quel point j'étais déjà japonaise, comme si je voulais absolument qu'on m'accueille parmi les leurs. Quand la réponse négative est tombée, j'ai rechuté dans ma maladie chronique après un an de rémission. Le lien entre le Japon et moi décidément touche des zones très profondes. Mon ami Frédéric, artiste installé à Takasaki après avoir épousé une japonaise, m'a ramené sur terre lors d'un séjour où nous avons pu nous rencontrer sur ces terres d'adoption. Fort de son expérience d'étranger au Japon, Frédéric m'a donné une initiation en accéléré. Quand saluer, comment remercier, comment ne pas mettre un Japonais dans l'embarras. Puis, il a démonté un à un les clichés du Japon idéalisé que je nourrissais sans m'en rendre compte. Il m'a expliqué la logique japonaise des cercles d'appartenance. Au Japon Chaque individu appartient à un cercle précis et les étrangers, les gaijins, ont le leur. Vouloir en sortir ne mène à rien. Les cercles japonais sont fermés, structurants, presque sacrés. En voulant trop m'y fondre, je n'étais plus vraiment à ma place, nulle part. Mais au-delà de ces explications culturelles, Frédéric m'a ouvert les yeux sur un point essentiel. Le Japon que nous idéalisons en Occident n'est pas le Japon réel. C'est un récit, une mise en scène façonnée pour séduire notre imaginaire occidental. Une image fabriquée par les Japonais eux-mêmes pour se vendre à l'étranger. Un storytelling exotique et polissé. qui nous fait rêver tout en nous éloignant de la réalité. Et ce mécanisme, j'ai fini par le reconnaître ailleurs, dans tous ces narratifs qu'on nous sert sur la santé, l'écologie, la modernité, et qui ne sont en définitive que des instruments d'adhésion. Des récits qui nous poussent à adopter des modèles, des idéologies, des comportements qui ne nous sont pas naturels, mais que nous finissons par intégrer, même s'il choque notre bon sens. Une forme de manipulation par la répétition d'arguments présentés sous un aspect séduisant. Cette prise de conscience a été un électrochoc. En quelques jours, Frédéric a fissuré mon miroir japonais et, derrière l'image parfaite, j'ai vu le reflet des conditionnements à grande échelle qui nous manipulent. Ce choc culturel a été rude. Je tombais de haut. Mais alors concernant le Japon, d'où me vient cette attirance viscérale, cette fascination ancienne pour le Japon qui m'interroge depuis si longtemps ? Pourquoi est-elle si profonde, si charnelle ? Mes professeurs de japonais et de calligraphie me disaient « Tu as sûrement vécu là-bas. » dans une autre vie. Et un jour, une médium, sans que je ne lui demande de rien, m'a livré une histoire. J'aurais vécu là-bas, au temps des guerres mongoles, au XIIe siècle. Enlevée à mon clan, trahie par mon frère, revenue pour me venger, j'aurais fait couler beaucoup de sang. Aussi étrange que cela paraisse, mon corps a réagi. comme s'il reconnaissait ce récit. Et, ironie du sort, juste avant mon premier voyage au Japon, j'ai développé une rectocolite hémorragique, comme si, symboliquement, je rendais ce sang au Japon. De plus, ce premier voyage m'effrayait tellement que j'ai demandé à une amie de m'accompagner. Et chaque nouveau voyage a remué d'autres couches, d'autres mémoires, jusqu'à celui où tout me disait « n'y va pas » . J'ai eu une succession de signes rapprochés que c'était le voyage de trop. La veille du départ, la toiture de mon local s'est soulevée. Le matin même, mon locataire, censé me conduire à la gare, ne s'est pas réveillé. Je cours, je rate presque tout, mais j'arrive, in extremis, à monter dans le train, puis dans l'avion. À Pékin, je me perds dans l'aéroport, je cours des kilomètres avant de tomber, par hasard, sur la bonne porte d'embarquement. À Tokyo, ma valise n'arrive pas. Je passe mes premiers jours en sueur dans mes habits de voyage. Et, à mon retour, mon corps me lâche. Stress respiratoire aigu. Arrêt complet jusqu'en avril. Tout cela ne pouvait pas être un hasard. Aujourd'hui, avec du recul, je comprends. Quand on a des questions, les réponses arrivent, petit à petit, vraisemblablement, quand on est prêt à les entendre. J'étais tatamisée, épuisée par mon attachement à un Japon fantasmé. paralysé par ce besoin de fusionner avec un idéal dévié au lieu d'affronter le réel et de le vivre dans l'instant présent. Être tatamisé finalement, c'est être projeté au sol par sa propre intensité. Alors, il m'a fallu couper les liens avec ce passé douloureux qui continuait à m'emprisonner inconsciemment. Couper les liens ? en faisant appel à une aide extérieure, quelqu'un qui n'est pas impliqué dans mon histoire, mais qui voit, et qui a les outils puissants pour permettre de transmuter ses mémoires anciennes. Souvent, on préfère rester dans une situation douloureuse à laquelle on s'accroche parce qu'elle est connue, plutôt que de s'extraire du côté morbide qui nous retient en dépendance. La libération peut faire... peur, mais couper des liens toxiques libère de l'énergie pour entreprendre. Plutôt que de briller à travers les performances de mes repas kaiseki, plutôt que de me focaliser sur l'exotisme, l'esthétisme et la gourmandise, plutôt que de conforter la nostalgie du Japon chez ceux qui l'ont visité, je choisis maintenant de diffuser les outils qui permettent à ceux qui le désirent de faire le chemin en autonomie, chacun dans sa propre cuisine. Par la compréhension des principes de base, par la répétition des gestes, par les choix conscients de nos aliments et la connaissance des techniques pour révéler tout leur potentiel. Peut-être que le vrai Japon que je cherchais n'était pas... à l'autre bout du monde, mais dans la façon pacifiée dont j'en fais exister le meilleur chaque jour dans ma cuisine, mon jardin, dans ce podcast et bientôt dans mes ateliers de cuisine japonaise. Un nouvel épisode des Petites Histoires de Michelle vous attend tous les mardis. 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