Speaker #0Alors que je commençais à apprivoiser mon premier nuka doko, je suis tombée sur un roman d'Ogawa Ito, le restaurant de l'amour retrouvé. Je me suis trouvée plein d'affinités avec l'héroïne qui a ouvert, tout comme moi, une table d'hôte avec les mêmes intentions que celles qui m'animent. Si je me propose de vous en lire quelques pages, c'est parce qu'elles font le lien avec ma précédente émission autour du Nukadoko. "Quand je suis rentrée à la maison après ma journée de travail au restaurant turc où j'avais un petit boulot, l'appartement était vide, complètement vide. La télévision, la machine à laver et le frigo, jusqu'au néon, au rideau et au paillasson. Tout avait disparu. Un instant, j'ai cru que je m'étais trompée de porte. Mais j'avais beau vérifier et revérifier, c'était bien ici, le nid d'amour où je vivais avec mon petit ami indien. La tâche en forme de cœur, abandonnée au plafond, en était la preuve irréfutable. On aurait dit le jour où l'agent immobilier nous avait montré l'appartement pour la première fois. Seulement, à la différence de ce jour-là, il flottait dans la pièce un léger parfum de garam masala et, au beau milieu du salon désert, luisait la clé de mon copain. Dans cet appartement, que nous avions eu du mal à trouver, nous passions nos nuits dans le même futon, côte à côte, main dans la main. La peau de mon amoureux indien exhalait toujours un arôme épicé. Les vitres étaient décorées de cartes postales du Gange. J'étais parfaitement incapable de déchiffrer les lettres en hindi qui arrivaient de temps à autre d'Inde, mais il me suffisait de poser le doigt sur les caractères pour avoir l'impression d'être reliée à ma famille indienne, submergée de tendresse. Un jour, on irait sans doute en Inde, tous les deux. C'est comment une cérémonie de mariage à l'indienne, je m'abandonnais à de doux rêves, aussi sucrés qu'un lassis à la mangue. Cet appartement renfermait, condensé, les souvenirs de trois années de vie communes avec mon fiancé et tout ce que nous possédions de plus précieux. Chaque soir, je cuisinais en attendant son retour. L'évier était petit, mais nanti d'une paillasse carrelée, et l'appartement, qui faisait l'angle, avait des fenêtres sur trois côtés. Lorsque j'étais de service du matin, au restaurant, la joie de préparer le repas en fin d'après-midi, dans la lumière orangée du soleil déclinant, était un bonheur sans pareil. Il y avait également un four à gaz, pas très performant mais un four à gaz quand même. Et comme la cuisine avait aussi une fenêtre, quand je dînais seule, je pouvais faire griller du poisson séché sans que l'odeur envahisse la maison, c'était pratique. J'avais aussi tous mes ustensiles de cuisine préférés. Le mortier de l'herbe EIG, hérité de ma grand-mère aujourd'hui disparue. le baquet en bois de cyprès dans lequel je gardais le riochaud la cocotte en fonte le creuset enfin acheté avec mon premier salaire les baguettes de cuisine à pointe fine dénichées chez un marchand spécialisé de kioto le couteau d'office italien que m'avait offert le chef d'un restaurant bio pour mes vingt ans mon tablier en lin si agréable à porter les galérons indispensables à la confection des aubergines en saumur sans oublier la poêle en fonte pour laquelle j'avais fait tout le trajet jusqu'à la vaisselle le grille-pain le papier sulfurisé tout absolument tout avait disparu nous n'avions pas beaucoup de meubles mais des ustensiles de cuisine si tous mes compagnons de cuisine Je puisais dans l'argent gagné chaque mois grâce à mon petit job pour me constituer une batterie d'ustensiles qui me durerait longtemps. même s'il coûtait un peu cher et dire qu'il commençait tout juste à être fait à ma main à tout hasard j'ai ouvert les placards de la cuisine les uns après les autres pour vérifier à l'intérieur ne subsistaient que des traces de ce qu'ils avaient contenu j'avais beau chercher à tâtons mes mains ne rencontraient que le vide même les prunes séchées reliques des heures passées avec ma grand-mère quelques années auparavant, à les faire sécher et les préparer une à une, c'était purement et simplement évaporé. Pareil pour les ingrédients achetés en prévision, des croquettes de semoule et pois chiches à la crème que je me faisais un plaisir de déguster le soir même avec mon petit ami végétarien. C'est là que, soudain, Au fait, j'ai couru vers l'entrée et me suis précipité dehors en chaussettes. Le seul aliment fermenté que mon fiancé aimait, c'était les légumes en saumure que je préparais. Ça, il en mangeait tous les jours. Dans la saumure de sonderie héritée de ma grand-mère, il n'aurait sans la saumure de sonderie héritée de ma grand-mère Il n'aurait pas eu le même goût. Je rangeais toujours la jarre de saumure dans le réduit du compteur à gaz, à côté de la porte d'entrée, où la température et l'humidité étaient idéales. Il y faisait frais, même au cœur de l'été, et inversement, en hiver, la température était plus élevée que dans le réfrigérateur. C'était parfait pour la conserver. C'était un précieux souvenir de ma grand-mère. je vous en prie faites que la saumure soit encore là j'ai ouvert la porte en priant la chère jarre m'attendait patiemment dans l'obscurité j'ai ôté le couvercle et inspecté l'intérieur pas de doute la forme imprimée ce matin par la paume de ma main était toujours visible des feuilles de navet vert pâle émergeaient à la surface. Les navets en saumure, épluchés en laissant seulement une petite ouf de feuille et incisés en croix à l'extrémité, sont doux et juteux. Ouf ! Instinctivement, j'ai pris la jarre à deux mains et les serré contre ma poitrine. Elle était toute fraîche. C'était mon ultime planche de salut. j'ai remis le couvercle et la lourde jarre de saumur sous un bras je suis retourné à l'intérieur où j'ai ramassé avec les orteils la clef abandonnée puis mon panier dans l'autre main j'ai quitté l'appartement vide la porte s'est refermée dans un claquement sonore comme pour l'éternité j'ai pris l'escalier au lieu de l'ascenseur Et en faisant bien attention à ne pas lâcher la jarre de saumur, j'ai descendu les marches lentement, une par une, et je suis sorti de l'immeuble. À l'est, une lune tronquée flottait dans le ciel".