Speaker #0Bienvenue dans les petites histoires de Michelle, un podcast dans lequel je raconte mon exploration de la cuisine japonaise. Cet art ultime de bien manger que j'ai à cœur de transmettre aujourd'hui est la synthèse entre mes pratiques d'artiste, de jardinière et de cuisinière. Il s'adresse aux amoureux du Japon, aux gourmets de tous bords et aux cuisiniers soucieux de préparer une cuisine saine, savoureuse et créative, qui nourrit aussi bien le corps que l'esprit. Vous y trouverez des récits de voyages et des témoignages d'expériences qui ont fait sens dans mon parcours. J'y délivre également, au-delà des recettes, les principes qui sous-tendent la cuisine japonaise. Nous ferons des visites dans le jardin, source d'émerveillement et d'abondance, et nous prêterons l'oreille à des personnes qui ont contribué à enrichir mon parcours dans l'oasis nippone que je me suis créée. Belle écoute à vous ! Aujourd'hui... Fin janvier, alors que nous sommes au cœur de l'hiver, nous allons célébrer Yuki, la neige, si importante au Japon, où le sentiment de la nature est très puissant, où le cycle des saisons rythme la vie sociale. Mes voyages au Japon ont lieu en hiver, par la force des choses. C'est la saison creuse au jardin de l'escalier. La terre est au repos, la jardinière aussi. En janvier, après les fêtes où l'activité bat son plein dans mes hébergements, je boucle la maison et je pars. Du moins, c'est ce que je faisais avant les turbulences d'une soi-disant pandémie qui a créé une rupture dans mes transhumances habituelles. Le Japon, en hiver, c'est rude. La petite maison traditionnelle où j'habite à Kyoto n'est pas isolée. Pire, une année, mon hôte Kazuo-san, handicapé temporairement par un accident, se déplacer avec deux béquilles et donc, par commodité, ne fermer plus les portes coulissantes. Dehors, il neigeait et la maison était ouverte à tout vent. Difficile d'apprécier la poésie de la neige quand on est transi par le froid. La conception de ces maisons sans isolation est adaptée pour créer des courants d'air afin de lutter contre la chaleur moite et étouffante de l'été. Cela évite les moisissures qui s'installeraient en raison de la forte humidité ambiante. Mais en hiver, c'est le froid qui circule quand les portes restent ouvertes et que le chauffage est précaire. Un petit réchaud soufflant, alimenté par une espèce de liquide puant, tient le lieu d'âtre. Hugo, un ami qui vient d'emménager dans une de ses maisons traditionnelles près de Nagano, a raconté qu'il faisait 2 degrés dans sa cuisine et qu'il fallait déblayer la neige tous les jours, sous peine de voir le toit s'effondrer. à Shirakawa-go, un village situé au cœur des Alpes japonaises près de Takayama, entouré de montagnes, de rizières et de forêts à perte de vue, les gachos zukuri, sont des habitations rurales adaptées aux fortes chutes de neige avec leurs toits de chaume très inclinés qui descendent jusqu'au sol. En revanche, j'ai vu un peu partout des hommes sur le toit des maisons plus récentes pour balayer l'épaisse couche de neige qui les recouvrait. Et je suppose que cette action est quasi quotidienne au vu de ce qui tombait au moment de ma visite. La maison avec un toit très incliné qui descend jusqu'au sol, c'était mon rêve quand j'étais adolescente. J'ai même songé à la faire construire, cette maison au toit pointu et qui descend jusque par terre. Mais je me suis heurtée au veto de mon mari. En fait, j'étais attachée à une forme qui me paraissait protectrice. Souvenir peut-être d'une vie antérieure, sans réaliser que cette architecture est une adaptation intelligente à la rigueur d'un climat particulier, mais peu fonctionnelle dans une région où cette configuration ne s'impose pas. J'ai dû faire le deuil de ce rêve et m'adapter à une maison banale au toit normal qui, en Alsace, ne risquait pas de crouler sous la neige. mais qui bénéficient de pièces spacieuses. Kanazawa, une ville de la côte nord-ouest du Japon, est dotée d'un magnifique jardin de promenade, le Kenrokuen. Chaque année, en novembre, tous les pins de cet immense parc sont équipés d'un mât qui dépasse très largement leur cime. De nombreuses cordes tendues en éventail depuis le haut du mât sont reliées au bout de chaque branche pour que celle-ci résiste au poids de la neige accumulée. Ces fils tendus avec régularité et précision créent un cône comme une sorte de tipi. Ces Yukitsuri sont du plus bel effet et pourraient s'inscrire dans la catégorie Land Art. Je n'ai jamais pu voir leur mise en place, mais je suppose que c'est assez impressionnant d'observer le travail des jardiniers pour cette installation. Ce jardin est dédié à la promenade et à la confidence. Les seigneurs Maïda qui l'ont conçu venaient en balade avec leurs convives pour nouer des relations et conduire leurs affaires. J'imagine la richesse de ces moments passés, dans ces espaces où l'on change de paysage et d'ambiance à chaque courbure du chemin. Même dans les rigueurs de l'hiver, j'ai trouvé le parcours digne d'intérêt, sauf que très vite, je me suis retrouvée trempée jusqu'aux eaux, sous la neige lourde et mouillée qui tombait le jour de ma visite. Alors, je ne pense plus qu'à... une seule chose, me mettre à l'abri et me réchauffer avec une boisson chaude. Le breuvage indiqué dans ces conditions, c'est l'amazake, un sake doux servi chaud qui est supposé réchauffer les mains et le corps. Mais ce réconfort est éphémère, le salon de thé n'étant pas chauffé et sa porte restée ouverte efface la frontière entre dedans et dehors. Le summum du froid, je l'ai vécu à Sapporo, sur l'île de Hokkaido, située au nord du Japon, une île battue par les vents froids venant de Sibérie, où la mer gèle en hiver. Je m'y suis rendue pour le célèbre festival des neiges, le Yukimatsuri, une tradition qui renforce les liens communautaires et célèbre la beauté de la neige. Des constructions impressionnantes de la taille d'une maison parfois, sont édifiées chaque année en sculptant la neige et la glace. C'était excitant de découvrir les équipes au travail, le plus souvent à la tronçonneuse, d'échanger avec les artistes portés par leurs projets et de répondre à l'invitation de mettre la main à la pâte en grattant la glace avec des râpes Ausha. celles que l'on utilise pour les légumes en cuisine. Mais pas très longtemps. Je préférais me réfugier dans les galeries souterraines, dans des salons de thé privés d'ouverture sur l'extérieur, ce qui crée des ambiances assez étranges. Un autre réconfort éphémère, c'était la dégustation de patates douces cuites dans le tiroir rempli de pierres chaudes des chariots de marchands ambulants. À la nuit tombée, un spectacle fascinant se déroule dans les grandes artères de la ville. Des camions équipés d'un rouleau ressemblant à celui des tondeuses manuelles en beaucoup, beaucoup plus grand grattent les murs de neige accumulés au bord de la chaussée et l'évacuent comme nos engins agricoles rejettent les grains lors de la moisson des céréales. Une file de camion-baine suit la machine. Dès que le camion collé au plus près du bec cracheur est plein, il s'éloigne pour vider son chargement et le camion suivant, dans la file, prend le relais. On peut suivre à pied le manège de ce déblayage, surveillé par un agent en gilet orange qui veille à la sécurité des piétons sur le trottoir. Les japonais disposent d'une multitude d'expressions pour qualifier la nature de la neige. Flocons, cristaux, perles de neige, la neige qui tombe, qui danse, s'accumule et qui persiste. Elle est célébrée dans de très nombreuses estampes ukiyo-e, ces images du monde flottant, qui traduisent la solitude silencieuse et ouatée de l'hiver. Les maîtres japonais de l'estampe font preuve d'un immense talent pour transcrire la blancheur de la neige en utilisant le blanc du papier laissé en réserve. Ils dépeignent aussi bien des villages de montagnes ensevelies sous la neige que des temples et pagodes couvertes d'un manteau blanc, des voyageurs qui arpentent le pays jusque aux neiges éternelles sur le mont Fuji. Dans la culture japonaise, la neige a plusieurs significations spirituelles. La neige, par sa blancheur, est perçue comme un symbole de purification. Elle nettoie le monde des impuretés. La neige apporte un silence apaisant. Elle invite à la méditation et à la réflexion. Enfin, la neige rappelle la fragilité de la vie. Elle enseigne à apprécier chaque moment, à plonger totalement dans l'instant présent, à se livrer tout entier à la contemplation. Même sans être nourri de culture japonaise, nous traversons ces trois aspects lorsque nous découvrons un paysage blanc au réveil. Parfois, avant même de se lever, on ressent que quelque chose a changé. Le bruit de la circulation est étouffé et ralenti et nous admirons émerveillé le blanc manteau qui recouvre et transforme nos paysages familiers. Mais très vite, nous devons faire le deuil de la blancheur qui se voile du gris de la pollution pour passer au stade de la gadoue tout aussi rapidement. Dans mes voyages au Japon, mon expérience de la neige est toujours associée au froid et à l'inconfort. Les Japonais, eux, sont aguerris. Leur rapport au froid est très différent d'une autre. Ils se font un point d'honneur de s'exposer aux rigueurs de l'hiver. J'ai vu des fillettes se rendre à l'école en jupette et en chaussettes. et un cycliste en bras de chemise circulant entre des murs de neige alors que je portais cinq épaisseurs sur moi. Ils s'éprouvent eux-mêmes dans le froid qui les renforce et partagent cette exposition aux aléas climatiques avec la communauté. Endurer le froid, c'est normal et c'est considéré comme un acte courageux. Le froid nous renforce alors que la chaleur uniforme de nos maisons nous ramollit. Au Japon, les enfants sont habitués à affronter les éléments depuis leur plus jeune âge. Cette attitude est ancrée en eux. Dans l'hiver alsacien, je me force à me soumettre aux rigueurs de la saison froide, sous prétexte de vider mes déchets alimentaires au compost, de visiter le poulailler pour voir si les poulettes ont pondu, de balayer les feuilles mortes accumulées par le vent. C'est dur de s'arracher à la douceur du feu de bois, mais une fois dehors, j'apprécie l'air vif et pour peu que je me mette vraiment en mouvement, j'éprouve même du plaisir à respirer cet air vivifiant. Le plus dur, c'est de sortir du nid douillet, de sortir de ma zone de confort pour passer à l'acte. Je me sentirais presque héroïque de prendre cette décision. Il faut dire qu'avec mon poids plume, je n'ai guère de protection contre les rigueurs de l'hiver et je me suis progressivement endormie par la recherche de confort. Il est temps que je me japonise à nouveau. pour m'exposer et m'endurcir face aux éléments et profiter sans limite des plaisirs de la neige. Yuki ! Yuki ! Un nouvel épisode des Petites Histoires de Michelle vous attend tous les mardis. Pensez à vous abonner à ma newsletter pour continuer de voyager au Japon avec moi.