- Angeline Doudoux
Lefebvre Dalloz décode, en collaboration avec le cabinet Signature Litigation, les contentieux liés à la pollution. Contrairement à l'action de groupe, qui peine pour le moment à s'imposer dans le paysage de la résolution des litiges français, les actions collectives sont elles... très fréquentes. C'est notamment le cas des contentieux appelés les toxites tortes, c'est-à-dire ceux liés à l'exposition à une substance nocive, et bien ces contentieux se sont massivement développés dans le cadre de l'exposition à l'amiante par exemple. Et il est fort à parier que ce type de contentieux se développe s'agissant de l'exposition aux pifaces, les fameux polluants éternels, ou encore face à la pollution de l'air. Enfin, on peut se demander si les personnes exposées à ces substances ne vont pas de plus en plus demander réparation pour de nouveaux préjudices. telles que l'éco-anxiété. Bonjour à tous, je suis ravie de vous retrouver pour un nouvel épisode consacré aujourd'hui au contentieux de masse de demain, ce lié à l'environnement et à la santé. Et pour en parler, je reçois Gaëtan de Robillard, avocat au sein du cabinet Signature Litigation. Bonjour Gaëtan.
- Gaëtan de Robillard
Bonjour Angeline.
- Angeline Doudoux
Alors, on l'a beaucoup entendu dans les médias et vous l'expérimentez au quotidien dans votre cabinet, les pollutions environnementales et sanitaires donnent lieu à de nombreux procès en France. Est-ce que vous pouvez nous expliquer... comment s'est développé ce type de contentieux et quelles sont les caractéristiques principales de ces contentieux ?
- Gaëtan de Robillard
Oui, alors effectivement, la préservation de l'environnement, des écosystèmes, de la santé humaine est une préoccupation sociale majeure à l'ère du dérèglement climatique. Ce que l'on voit, c'est que sous l'impulsion des parties prenantes et au premier rang desquelles on peut citer les ONG, on a un système juridique qui évolue pour encadrer les activités humaines et leurs conséquences sur l'environnement et la santé. Les lois et réglementations se multiplient au niveau national, européen et international. Et ce que l'on observe, c'est que le recours au juge, c'est un réflexe naturel afin de mettre en cause la responsabilité des auteurs et d'obtenir réparation des dommages subis. Ce que l'on voit, c'est que la saisine du juge est massive dans la mesure où les intérêts lésés sont collectifs. Parce que c'est effectivement toujours un groupe d'individus. identifier qui est touché. Et puisque, comme vous l'avez rappelé, effectivement, en guise d'introduction, l'action de groupe peine à s'imposer dans le paysage des modes de règlement des litiges français, eh bien c'est l'action collective qui est utilisée par les demandeurs. Et pour le dire autrement, eh bien on a autant de dossiers identiques que de demandeurs. Et l'exemple emblématique de ce type de contentieux, eh bien c'est le contentieux de l'amiante. Les dangers liés à l'utilisation de cette substance ont été révélés par les études scientifiques au cours du XXe siècle, et au gré d'évoluations législatives et réglementaires, on a abouti à une interdiction totale de cette substance en France au 1er janvier 1997. S'en est suivi un contentieux colossal, on parle de milliers de dossiers, et même encore aujourd'hui en 2025, on a des nouveaux dossiers qui arrivent, qui s'explique par le fait que les maladies liées à l'inhalation de poussière damiante peuvent se développer plusieurs dizaines d'années après la survenance de l'exposition. Alors effectivement, les caractéristiques principales de ce type de contentieux que les Américains appellent le toxic tort sont un aménagement de la responsabilité civile de droit commun avec la mise en œuvre de présomptions de responsabilité et un nombre de moyens de défense limités à disposition des industriels. mais aussi une indemnisation facilitée pour les personnes exposées via la mise en place de fonds d'indemnisation. Et je pense ici au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ou encore au fonds d'indemnisation des victimes de pesticides. Un autre trait caractéristique, c'est le rôle déterminant que joue la jurisprudence. Le juge français n'ayant par exemple pas hésité à créer de toutes pièces de nouveaux préjudices, tels que le préjudice d'anxiété, mais j'y reviendrai plus tard dans le propos.
- Angeline Doudoux
Aujourd'hui, on entend énormément parler des fameux polluants éternels, les PFAS. Vous parliez de l'amiante à l'instant. Est-ce que donc, selon vous, ces contentieux liés à ces polluants vont émerger, comme pour l'amiante par exemple ?
- Gaëtan de Robillard
On n'a aucune certitude, mais on a quand même un certain nombre d'indicateurs qui nous laissent penser que le schéma que l'on a connu pour l'amiante va se reproduire pour les pifaces. Tout d'abord, on a un théoroscientifique qui est favorable. Les études scientifiques faisant état des dangers que représentent Cette famille de substances pour la santé et l'environnement se multiplie. Elles sont relayées dans les médias. J'en veux pour preuve une récente tribune du Monde signée par un collège d'experts qui parle, s'agissant des puissances, et je cite, d'un problème de pollution le plus grave jamais rencontré. Et pour cause, les PFAS sont omniprésents, on les retrouve dans nos objets du quotidien tels que les ustensiles de cuisine, les emballages alimentaires, les batteries, les cosmétiques, mais aussi d'autres types de produits tels que les mousses anti-incendie utilisées par les pompiers. Ensuite, le second critère, c'est qu'on a un cadre législatif et réglementaire qui ne cesse de se développer. Au niveau international, on peut citer la convention de Stockholm sur les polluants organiques qui liste des substances réglementées et c'est... substances réglementées sont régulièrement mises à jour. Au niveau européen, on a bien évidemment le règlement REACH ou encore la directive cadre sur l'eau. En droit interne, on a le plan d'action interministériel contre l'exposition et les risques PFAS publiés en avril 2024. Nous avons également un arrêté ministériel du 20 juin 2023 qui impose aux industriels de rechercher la présence de PFAS dans leur rejet à queue. Enfin, on a la récente loi du 27 février 2025 qui vise à protéger la population des risques liés au PFAS. Le dernier critère à mettre en avant est celui du développement de la jurisprudence, notamment à l'étranger. On a coutume de dire que les États-Unis ont souvent un temps d'avance et cela se vérifie en matière de PFAS puisque les contentieux à raison de ces substances ont débuté aux États-Unis au début des années 2000. On peut citer l'affaire Dupont de Nemours, société dont la responsabilité a été recherchée au travers de plusieurs actions de groupe qui ont abouti à des condamnations culminant à plusieurs centaines de millions de dollars. Et cette société a également conclu une transaction avec l'Agence américaine de protection de l'environnement au terme de laquelle Dupont de Nemours a payé la somme de 16,5 millions de dollars.
- Angeline Doudoux
Très bien, alors ça c'est pour les Etats-Unis, mais en France, où en est-on de ces contentieux ?
- Gaëtan de Robillard
Alors en France, le contentieux est beaucoup moins mature. Nous en sommes encore au stade des actions stratégiques. Et par actions stratégiques, j'entends les actions qui visent à déterminer les voies procédurales et les fondements juridiques appropriés. Ce qui est intéressant de remarquer, c'est que les actions se sont concentrées sur une zone géographique bien déterminée, à savoir la vallée de la Chimie dans la région lyonnaise, où sont implantées les sociétés Daikin et Arkema. Ces sociétés ont été visées par des actions à la fois devant les juridictions administratives, pénales et civiles, au motif que des PFAS seraient rejetées dans le Rhône. Si l'on s'intéresse plus particulièrement à l'action civile, le juge déréféré du tribunal judiciaire de Lyon a ordonné une expertise judiciaire sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. Les opérations d'expertise ont débuté en janvier 2025 et doivent conduire le collège d'experts désignés. à identifier les PFAS utilisés, à compter de quelle date, dans quelle quantité, et si cet usage était conforme aux réglementations applicables. Le collège d'experts doit également investiguer la question de savoir si ces PFAS se retrouvent dans l'eau, l'air et les sols, et, le cas échéant, leur imputabilité aux sociétés d'Aïkin et Arkema. De façon tout aussi intéressante, les experts doivent chiffrer les travaux de remédiation de la présence de pyphase dans ses eaux, et cela nous fait penser au préjudice écologique puisque la réparation du préjudice doit s'effectuer par principe en nature. Enfin, le collège d'experts doit déterminer les connaissances scientifiques des effets des pyphases sur la santé et l'environnement, et, et ça c'est très intéressant, donner un avis sur la date à partir de laquelle les entreprises en avaient connaissance. Pourquoi c'est intéressant ? Eh bien parce que cela fait clairement penser à la notion de conscience du danger, qui est l'une des deux conditions requises pour établir la faute inexcusable d'une entreprise, qui est le fondement juridique privilégié utilisé en matière d'amiante. Donc cette expertise, elle est intéressante, puisque non seulement elle a pour but de mesurer l'ampleur de la pollution et d'identifier les responsables, mais aussi elle nous donne des indicateurs sur les fondements juridiques qui seront mobilisés dans le cadre d'une action au fond pour déterminer les responsabilités. S'agissant des actions au fond qui pourraient ultérieurement être intentées, on peut penser qu'elles reposeront sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle de droit commun, sur la responsabilité du fait des produits défectueux, mais également sur une mise en pratique du principe pollueur-payeur, de l'obligation générale de vigilance, ou encore sur les régimes spéciaux des installations classées pour la protection de l'environnement. S'agissant des préjudices invoqués, on peut penser aux dommages corporels, aux préjudices écologiques, aux préjudices d'anxiété, de jouissance, aux préjudices liés à la perte de valeur immobilière, ou encore à de nouveaux préjudices, et l'on voit déjà émerger en doctrine la proposition d'un préjudice sanitaire. Il y a donc là un véritable risque contentieux pour les industriels, et l'on anticipe qu'il y aura de véritables débats sur la question du lien de causalité. Puisque en matière de PFAS, la pollution est diffuse, ancienne et peut donner lieu à des maladies multifactorielles. Ce qui donne une perspective de débat juridique passionnant.
- Angeline Doudoux
Effectivement. Alors, on sait que l'État a été condamné à plusieurs reprises en matière de pollution de l'air. Est-ce qu'on peut imaginer demain que la responsabilité des industriels soit aussi recherchée concernant cette pollution de l'air ?
- Gaëtan de Robillard
Cela fait partie des hypothèses à envisager effectivement. La responsabilité de l'État pour carence fautive en matière de lutte contre la pollution de l'air a été reconnue par plusieurs tribunaux administratifs. On se souvient également des astreintes records qui ont été prononcés par le Conseil d'État de 10 puis 20 millions d'euros pour carence à mettre en place des plans permettant de réduire les concentrations de dioxyde d'azote et de particules fines. Mais la question est de savoir si ces différentes décisions vont servir de fondement à reconnaître la responsabilité des industriels.
- Angeline Doudoux
Est-ce que vous avez un exemple dans la jurisprudence récente ?
- Gaëtan de Robillard
Alors oui, on peut prendre l'exemple de l'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 9 avril 2024 contre la Suisse pour n'avoir pas mis en œuvre une politique nationale permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et cet arrêt, il est intéressant, pourquoi ? Parce qu'il vient considérer que cette carence de la Suisse constitue une violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Et cet arrêt est interprété en doctrine comme établissant un lien entre droits humains et changement climatique. Et là, on voit bien qu'un considérant d'ordre assez général comme celui-ci pourrait servir de sous-bassement à agir non pas seulement contre les États, mais aussi contre les industriels.
- Angeline Doudoux
Alors les pics de pollution et la succession des phénomènes climatiques semblent être une cause d'angoisse pour la société civile. Certains parlent même d'éco-anxiété. Est-ce qu'il s'agit d'un préjudice réparable en justice ?
- Gaëtan de Robillard
L'éco-anxiété est un sujet dont on entend parler effectivement régulièrement dans les médias sans que l'on sache précisément de quoi on parle. Elle est définie par les chercheurs comme une détresse psychologique découlant des inquiétudes face à la crise environnementale. En mars 2025, l'ADEME, qui est l'Agence française pour la transition écologique, a publié une étude sur l'éco-anxiété en France. Et cette étude permet de distinguer diverses catégories d'éco-anxieux au sein de la population française. Alors je vous rassure, la majorité de la population française n'est pas ou n'est que peu éco-anxieuse. En revanche, on a quand même un groupe de 2,1 millions de personnes qui sont fortement ou très fortement éco-anxieuse avec un risque de dépression. On est donc confronté à un préjudice réellement subi par un groupe de personnes non négligeables et donc potentiellement à des actions en justice collective. Alors l'éco-anxiété n'est pas sans rappeler le préjudice d'anxiété qui a été consacré en 2010 par la Chambre sociale de la Cour de cassation et qui s'entend comme la crainte de développer une pathologie grave en raison d'une exposition à une substances toxiques ou nocives, générant un risque élevé de développer une pathologie grave. On pourrait donc étendre en théorie la définition du préjudice d'anxiété à l'éco-anxiété, ou en tout cas c'est une idée qui paraît séduisante en théorie. Pour autant, il y a quand même quelques obstacles que l'on peut citer, notamment le fait d'extraire le préjudice d'anxiété du carcan employeur-salarié. Pourquoi ? Parce que ce préjudice d'anxiété... Il a été créé et repose principalement sur l'obligation de sécurité de l'employeur envers ses salariés. Deuxièmement, on aura évidemment des difficultés s'agissant du lien de causalité, puisque si l'on prend l'exemple de la pollution de l'air, celle-ci est multifactorielle, et par conséquent, il sera difficile de déterminer l'imputabilité de cette éco-anxiété à un type de pollution en particulier. en tout état de cause ce que l'on peut dire c'est que l'environnement et la santé sont définitivement au cœur des préoccupations sociales et que ces sujets vont vraisemblablement faire l'objet de contentieux auxquels les entreprises doivent se préparer à faire face. Et ce sera justement peut-être l'occasion pour vous de revenir à ce micro. Gaëtan de Robillard, merci beaucoup d'être venu jusqu'à nous, jusqu'au studio de Lefebvre Dalloz.
Merci Angéline.