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Défier l’ordre colonial ? Une histoire sociale des bandits en Algérie. Avec Antonin Plarier cover
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Le sens des mots, un podcast des Éditions de l'ENS de Lyon

Défier l’ordre colonial ? Une histoire sociale des bandits en Algérie. Avec Antonin Plarier

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12min |19/06/2025
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12min |19/06/2025
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Description

Dès les débuts de la colonisation en Algérie, les campagnes se soulèvent et résistent. En 1871, cette contestation va prendre une ampleur inédite avec une insurrection d’envergure. Puis, tout au long du 19e siècle, entre révoltes armées et actes de banditisme, ces résistances traduiront un refus clair : celui de dépossession des terres. Dans ce contexte, un « banditisme rural » va alors émerger et ne cessera de préoccuper l’administration coloniale. Primes de dénonciation ou de capture, internement des familles de bandits, condamnation au bagne ou à la peine capitale sont quelques-unes des mesures prises pour venir à bout des résistances.

Mais qui sont ces bandits ruraux ? Comment vivent-ils ? Et que dit ce phénomène de la société ? Et au final, comment écrire cette histoire par en bas à partir d’archives, produites par le pouvoir colonial lui-même ?

Pour répondre à ces questions, nous recevons aujourd’hui dans ce nouvel épisode du sens des mots l’historien Antonin Plarier, auteur de l’ouvrage Des bandits face au pouvoir colonial. Sur la base d’un ensemble très riche de sources, allant des archives de la répression à la poésie populaire, en passant par la presse ou les correspondances privées, Antonin Plarier cherche à suivre pas à pas ces bandits ruraux : de leur prise d’armes ou de leur fuite jusqu’à leur dernier souffle. Il a choisi de nous en parler en trois mots : dépossessions, paroles et insurrections.

Antonin Plarier est maître de conférence en histoire contemporaine à l’université Jean Moulin Lyon 3. Il poursuit actuellement ses recherches sur l’Algérie à la période coloniale.

Vous entendez au début de cet épisode des extraits issus de :


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    [♫ FOND SONORE ♫] Vous écoutez Le sens des mots, un podcast des éditions de l'ENS de Lyon, pour entendre la voix de nos auteurs, dépasser vos idées reçues sur la recherche et décrypter le monde qui nous entoure.

  • Speaker #1

    [♫ FOND SONORE ♫] Il était parti avec en poche un acte de propriété de 70 hectares, un immense domaine. On lui avait dit là-bas il y a de la belle terre, riche et fertile, jusqu'alors jamais cultivée, la fortune, quoi. Quelques bandes de Kabyles animés d'intentions hostiles se sont montrés, le voisinage de ces bandes de dévastateurs a jeté l'inquiétude parmi les colons. [♫ FOND SONORE ♫]

  • Speaker #0

    Dès les débuts de la colonisation en Algérie, les campagnes se soulèvent et résistent. En 1871, cette contestation va prendre une ampleur inédite avec une insurrection d’envergure. Puis, tout au long du 19e siècle, entre révoltes armées et actes de banditisme, ces résistances traduiront un refus clair : celui de l’expropriation des terres. Dans ce contexte, un « banditisme rural » va alors émerger et ne cessera de préoccuper l’administration coloniale. Primes de dénonciation ou de capture, internement des familles de bandits, condamnation au bagne ou à la peine capitale sont quelques-unes des mesures prises pour venir à bout des résistances. Mais qui sont ces bandits ruraux ? Comment vivent-ils ? Et que dit ce phénomène de la société ? Et finalement, comment écrire cette histoire par en bas à partir d’archives, produites par le pouvoir colonial lui-même ? Pour répondre à ces questions, nous recevons aujourd’hui dans ce nouvel épisode du sens des mots l’historien Antonin Plarier, auteur de l’ouvrage Des bandits face au pouvoir colonial. Sur la base d’un ensemble très riche de sources, allant des archives de la répression à la poésie populaire, en passant par la presse ou les correspondances privées, Antonin Plarier cherche à suivre pas à pas ces bandits ruraux : de leur prise d’armes ou de leur fuite jusqu’à leur dernier souffle. Il a choisi de nous en parler en trois mots : dépossessions, paroles et insurrections.

  • Speaker #1

    Le premier mot que je vais présenter est celui de « dépossessions », puisque du point de vue des ruraux algériens, la colonisation c'est d'abord une affaire de dépossessions. Et ces dépossessions, un mot que j'ai mis au pluriel, car le phénomène se décline sur plusieurs plans. D'abord sur le plan foncier, avec un chiffre qui est parlant, puisque près de 12 millions d'hectares passent des mains de leurs propriétaires algériens à celles de propriétaires européens entre 1830 et 1917. Pour donner une petite idée de ce à quoi correspond cette superficie, ça correspond à peu près à 1000 fois la ville de Paris ou à 3 fois un pays comme la Belgique. Donc c'est une dépossession qui est absolument considérable. Cet ouvrage s'inscrit donc dans une longue tradition historiographique de l'histoire rurale en Algérie, depuis des travaux pionniers comme ceux d'André Nouschi, qui est un historien qui publie une enquête sur les dépossessions, sur le niveau de vie des populations rurales dans le temps long de la colonisation, mais il l'a publiée en pleine guerre d'indépendance puisque la version éditée de sa thèse date de 1961. Jusqu'aux travaux plus récents d'un historien comme Didier Guignard, qui a travaillé par exemple sur le sénatus-consulte de 1863, qui va délimiter les terres des dites tribus en Algérie, ou encore plus récemment sur le séquestre de terres qui suit l'insurrection de 1871, dont je reparlerai. Dans cet ouvrage, j'ai essayé de montrer à une échelle locale ce que signifiaient ces dépossessions. Par exemple, dans le douar des Beni Ghobri, qui se situe en Kabylie, qui est une région montagneuse de l'Algérie, dans les années 1880, le territoire qui est possédé par les habitants des Beni Ghobri, qui est un territoire rural, passe de 17 000 hectares à 8 000 hectares. C'est plus que 45% à peu près de la superficie qui subsiste à l'usage des populations algériennes à l'issue de quelques années. Plus à l'ouest, entre Oran et Mostaganem, c'est toute la plaine de l’Habra et la Macta, qui est accaparée par une société de colonisation quelques années plus tôt, dans les années 1860. Il s'agit de dépossessions foncières, certes, elles sont fondamentales, mais elles s'accompagnent aussi dans le même temps de dépossessions forestières. Car quand les autorités coloniales s'approprient des forêts, les règles changent. Les droits de pâture sont restreints ou disparaissent, le ramassage du bois peut être interdit, etc. Or, ces espaces forestiers comptent dans la vie des ruraux, puisque les populations forestières peuvent tirer jusqu'à 50% de leurs ressources de ces espaces forestiers au XIXe siècle. Par conséquent, une grande conflictualité forestière éclate et on peut alors parler de guerre des forêts à partir de 1870. Ce sont des éléments sur lesquels il y a d'ailleurs une thèse qui est en cours de Jonas Matheron et qui viendra bientôt apporter un nouvel éclairage aussi à cette histoire. L'ouverture de ces fronts de dépossessions est concomitante de l'émergence de bandes. Pour reprendre l'exemple du territoire des Beni Ghobri, lorsque ce territoire se réduit comme peau de chagrin pour les ruraux algériens, ce sont les bandes d’Arezky L’Bachir, qu'on voit sur la première de couverture de l'ouvrage, et des frères Abdoun qui apparaissent. Lorsque les plaines de l’Habra et la Macta sont appropriées par une entreprise de colonisation, c'est la bande de Bouzian el Kalaï qui émerge. Le banditisme peut donc être interprété comme une manière de faire face à ces dépossessions, ce qui explique d'ailleurs la popularité dont bénéficient la plupart de ces bandits. [♫ FOND SONORE ♫] Le deuxième mot choisi est le mot « paroles », car l'accès à la parole des bandits a été l'une des questions fondamentales de mes années de recherche. Comment accéder à la parole des bandits ? Or, écrire l'histoire, c'est d'abord dépendre des sources à partir desquelles on pourra l'écrire. Et les bandits, eh bien, ont laissé très peu d'écrits, et je ne suis pas sûr d'ailleurs à ce jour qu'ils en aient laissé sur un format de récit substantiel. Il faut savoir que les sociétés d'où émerge le banditisme sont des sociétés à la fois rurales et coloniales. Et à ce titre, au XIXe siècle, la société algérienne enregistre une très forte baisse de la scolarisation du fait de la conquête. Les medersas, qui sont les écoles musulmanes répandues à l'époque ottomane, continuent à exister à l'époque coloniale, mais elles font l'objet d'une grande défiance de la part des autorités. Et on constate par ailleurs la grande faiblesse, voire la quasi-inexistence des écoles françaises avant la fin du XIXe siècle. Donc, peu de bandits savent sans doute écrire à la fin du XIXe siècle. Dès lors, en l'absence de ce type de sources, de ce type d'écrits, comment écrire une histoire des bandits de leur point de vue ? En utilisant ce qu’Arlette Farge appelait « les archives de la répression » : c'est-à-dire les sources produites par des institutions ayant pour charge de surveiller, de traquer, de réprimer ou de condamner le banditisme. Ces sources expriment bien évidemment un point de vue colonial. Il s'agit donc de les lire, comme toute source en histoire, du reste de manière critique. Et il existe, de ce point de vue, une historiographie très riche pour nous aider. À commencer par un courant qu'on appelle les subaltern studies, et particulièrement en leur sein, les travaux de Ranajit Guha, qui a appelé à lire dans une expression qui a été beaucoup reprise depuis, à lire « contre le grain », contre le fil ou à contre-courant en quelque sorte, les sources coloniales. C'est-à-dire savoir lire entre les lignes de ce que les officiels, les sources répressives, peuvent écrire sur les sujets qu'ils surveillent. L'histoire par en bas des historiens marxistes britanniques comme EP Thompson m'a également beaucoup inspiré, et je pense plus particulièrement à un ouvrage publié dans les années 90 de Peter Linebaugh intitulé « Les Pendus de Londres » qui a été traduit en français alors que je rédigeais ma thèse et qui s'intéresse aux condamnés à mort à Londres au XVIIIe siècle en s'appuyant sur deux types de sources. D'une part, des sources de la littérature populaire sur ces pendaisons et d'autre part, les sources judiciaires. Et à partir de ces deux sources, l'auteur cherche à restituer qui étaient ces hommes et ces femmes condamnés à mort pour avoir enfreints ou violés la propriété privée d'autrui dans un siècle qui, en Grande-Bretagne, est le siècle d'une économie capitaliste émergente. J'ai tenté modestement la même chose de mon côté en glanant d'une part dans les récits populaires qui existent sur les bandits, notamment sous la forme de poèmes chantés, mais surtout au sein des dossiers de condamnation à mort, dans ces fameuses archives de la répression qui se sont révélées très riches et qui comprennent d'ailleurs parfois des bribes de paroles de bandits dans différents contextes, ainsi qu'un ensemble de pièces judiciaires destinées à documenter les actes commis par les bandits, qui permettent d'une part de motiver la condamnation du point de vue du juge, mais aussi pour l'historien de déceler quelles peuvent être les motivations des bandits eux-mêmes. [♫ FOND SONORE ♫] Enfin, le troisième mot sur lequel je voulais m'attarder est celui d'« insurrection », car cet ouvrage explore finalement les liens existants entre banditisme et insurrection. Cette relation entre banditisme et insurrection va d'ailleurs dans deux sens. L'ouvrage commence en 1871 et 1871 en Algérie, c'est une date un peu césure, c'est une date importante puisque c'est celle d'une insurrection d'ampleur. Un tiers du territoire s'embrase dans une temporalité qui est similaire à celle de la Commune de Paris en métropole, puisque les deux font suite à la défaite française face à la Prusse l'année précédente. La répression de cette insurrection de 1871 en Algérie est longue et en quelque sorte, sous les cendres de la répression, on repère des trajectoires d'insurgés qui passent au banditisme dans les années suivantes. Inversement, les bandits sont aussi accusés de préparer le terrain à une insurrection. Lorsqu'il s'adresse au préfet d'Alger en 1893, le sous-préfet de Tizi Ouzou écrit à propos des bandes qui parcourent son territoire, « il y a là un petit foyer d’insurrection qu’il convient d’éteindre au plus vite ». En l'occurrence, ces bandes ne déclenchent pas d'insurrection, mais il n'en faut pas moins trois interventions militaires en quelques années pour en venir à bout, et encore imparfaitement. Cette crainte du banditisme, comme ferment potentiel d'une insurrection, n'est par ailleurs pas seulement une peur ou une angoisse coloniale injustifiée ou fantasmatique, puisque ce que je montre dans les derniers chapitres de l'ouvrage, c'est que précisément au cours de la Première Guerre mondiale, des bandits jouent un rôle crucial dans une insurrection importante. On est en novembre 1916, lorsque les populations de l’Aurès se soulèvent. Elles obligent alors l'armée française, qui est engagée en pleine bataille de Verdun, sur le front occidental, à retirer des soldats du front occidental pour les déplacer dans l’Aurès et réprimer cette insurrection. Or, le principal dirigeant de l'insurrection s'appelle Mohammed ben Noui. Mohammed ben Noui est contumace, c'est-à-dire qu'il a été condamné en son absence quelques années plus tôt, et il est bandit depuis plusieurs années. C'est le leader reconnu de cette insurrection. En amont, en aval comme au cours des insurrections, le banditisme tisse ainsi une relation étroite avec ces soulèvements anticoloniaux.

  • Speaker #0

    L'ouvrage dont il était question aujourd'hui, « Des bandits face au pouvoir colonial » , est à retrouver en version papier sur le site d'ENS Éditions et dans toutes les librairies. Il est également disponible en version numérique sur la plateforme OpenEdition Books.

  • Speaker #1

    C'était Le sens des mots. Ce podcast a été préparé par Sandrine Padilla et Maëlle Lopez. Au mixage et réalisation, Sébastien Boudin. À bientôt pour une prochaine édition. [♫ FOND SONORE ♫]

Description

Dès les débuts de la colonisation en Algérie, les campagnes se soulèvent et résistent. En 1871, cette contestation va prendre une ampleur inédite avec une insurrection d’envergure. Puis, tout au long du 19e siècle, entre révoltes armées et actes de banditisme, ces résistances traduiront un refus clair : celui de dépossession des terres. Dans ce contexte, un « banditisme rural » va alors émerger et ne cessera de préoccuper l’administration coloniale. Primes de dénonciation ou de capture, internement des familles de bandits, condamnation au bagne ou à la peine capitale sont quelques-unes des mesures prises pour venir à bout des résistances.

Mais qui sont ces bandits ruraux ? Comment vivent-ils ? Et que dit ce phénomène de la société ? Et au final, comment écrire cette histoire par en bas à partir d’archives, produites par le pouvoir colonial lui-même ?

Pour répondre à ces questions, nous recevons aujourd’hui dans ce nouvel épisode du sens des mots l’historien Antonin Plarier, auteur de l’ouvrage Des bandits face au pouvoir colonial. Sur la base d’un ensemble très riche de sources, allant des archives de la répression à la poésie populaire, en passant par la presse ou les correspondances privées, Antonin Plarier cherche à suivre pas à pas ces bandits ruraux : de leur prise d’armes ou de leur fuite jusqu’à leur dernier souffle. Il a choisi de nous en parler en trois mots : dépossessions, paroles et insurrections.

Antonin Plarier est maître de conférence en histoire contemporaine à l’université Jean Moulin Lyon 3. Il poursuit actuellement ses recherches sur l’Algérie à la période coloniale.

Vous entendez au début de cet épisode des extraits issus de :


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    [♫ FOND SONORE ♫] Vous écoutez Le sens des mots, un podcast des éditions de l'ENS de Lyon, pour entendre la voix de nos auteurs, dépasser vos idées reçues sur la recherche et décrypter le monde qui nous entoure.

  • Speaker #1

    [♫ FOND SONORE ♫] Il était parti avec en poche un acte de propriété de 70 hectares, un immense domaine. On lui avait dit là-bas il y a de la belle terre, riche et fertile, jusqu'alors jamais cultivée, la fortune, quoi. Quelques bandes de Kabyles animés d'intentions hostiles se sont montrés, le voisinage de ces bandes de dévastateurs a jeté l'inquiétude parmi les colons. [♫ FOND SONORE ♫]

  • Speaker #0

    Dès les débuts de la colonisation en Algérie, les campagnes se soulèvent et résistent. En 1871, cette contestation va prendre une ampleur inédite avec une insurrection d’envergure. Puis, tout au long du 19e siècle, entre révoltes armées et actes de banditisme, ces résistances traduiront un refus clair : celui de l’expropriation des terres. Dans ce contexte, un « banditisme rural » va alors émerger et ne cessera de préoccuper l’administration coloniale. Primes de dénonciation ou de capture, internement des familles de bandits, condamnation au bagne ou à la peine capitale sont quelques-unes des mesures prises pour venir à bout des résistances. Mais qui sont ces bandits ruraux ? Comment vivent-ils ? Et que dit ce phénomène de la société ? Et finalement, comment écrire cette histoire par en bas à partir d’archives, produites par le pouvoir colonial lui-même ? Pour répondre à ces questions, nous recevons aujourd’hui dans ce nouvel épisode du sens des mots l’historien Antonin Plarier, auteur de l’ouvrage Des bandits face au pouvoir colonial. Sur la base d’un ensemble très riche de sources, allant des archives de la répression à la poésie populaire, en passant par la presse ou les correspondances privées, Antonin Plarier cherche à suivre pas à pas ces bandits ruraux : de leur prise d’armes ou de leur fuite jusqu’à leur dernier souffle. Il a choisi de nous en parler en trois mots : dépossessions, paroles et insurrections.

  • Speaker #1

    Le premier mot que je vais présenter est celui de « dépossessions », puisque du point de vue des ruraux algériens, la colonisation c'est d'abord une affaire de dépossessions. Et ces dépossessions, un mot que j'ai mis au pluriel, car le phénomène se décline sur plusieurs plans. D'abord sur le plan foncier, avec un chiffre qui est parlant, puisque près de 12 millions d'hectares passent des mains de leurs propriétaires algériens à celles de propriétaires européens entre 1830 et 1917. Pour donner une petite idée de ce à quoi correspond cette superficie, ça correspond à peu près à 1000 fois la ville de Paris ou à 3 fois un pays comme la Belgique. Donc c'est une dépossession qui est absolument considérable. Cet ouvrage s'inscrit donc dans une longue tradition historiographique de l'histoire rurale en Algérie, depuis des travaux pionniers comme ceux d'André Nouschi, qui est un historien qui publie une enquête sur les dépossessions, sur le niveau de vie des populations rurales dans le temps long de la colonisation, mais il l'a publiée en pleine guerre d'indépendance puisque la version éditée de sa thèse date de 1961. Jusqu'aux travaux plus récents d'un historien comme Didier Guignard, qui a travaillé par exemple sur le sénatus-consulte de 1863, qui va délimiter les terres des dites tribus en Algérie, ou encore plus récemment sur le séquestre de terres qui suit l'insurrection de 1871, dont je reparlerai. Dans cet ouvrage, j'ai essayé de montrer à une échelle locale ce que signifiaient ces dépossessions. Par exemple, dans le douar des Beni Ghobri, qui se situe en Kabylie, qui est une région montagneuse de l'Algérie, dans les années 1880, le territoire qui est possédé par les habitants des Beni Ghobri, qui est un territoire rural, passe de 17 000 hectares à 8 000 hectares. C'est plus que 45% à peu près de la superficie qui subsiste à l'usage des populations algériennes à l'issue de quelques années. Plus à l'ouest, entre Oran et Mostaganem, c'est toute la plaine de l’Habra et la Macta, qui est accaparée par une société de colonisation quelques années plus tôt, dans les années 1860. Il s'agit de dépossessions foncières, certes, elles sont fondamentales, mais elles s'accompagnent aussi dans le même temps de dépossessions forestières. Car quand les autorités coloniales s'approprient des forêts, les règles changent. Les droits de pâture sont restreints ou disparaissent, le ramassage du bois peut être interdit, etc. Or, ces espaces forestiers comptent dans la vie des ruraux, puisque les populations forestières peuvent tirer jusqu'à 50% de leurs ressources de ces espaces forestiers au XIXe siècle. Par conséquent, une grande conflictualité forestière éclate et on peut alors parler de guerre des forêts à partir de 1870. Ce sont des éléments sur lesquels il y a d'ailleurs une thèse qui est en cours de Jonas Matheron et qui viendra bientôt apporter un nouvel éclairage aussi à cette histoire. L'ouverture de ces fronts de dépossessions est concomitante de l'émergence de bandes. Pour reprendre l'exemple du territoire des Beni Ghobri, lorsque ce territoire se réduit comme peau de chagrin pour les ruraux algériens, ce sont les bandes d’Arezky L’Bachir, qu'on voit sur la première de couverture de l'ouvrage, et des frères Abdoun qui apparaissent. Lorsque les plaines de l’Habra et la Macta sont appropriées par une entreprise de colonisation, c'est la bande de Bouzian el Kalaï qui émerge. Le banditisme peut donc être interprété comme une manière de faire face à ces dépossessions, ce qui explique d'ailleurs la popularité dont bénéficient la plupart de ces bandits. [♫ FOND SONORE ♫] Le deuxième mot choisi est le mot « paroles », car l'accès à la parole des bandits a été l'une des questions fondamentales de mes années de recherche. Comment accéder à la parole des bandits ? Or, écrire l'histoire, c'est d'abord dépendre des sources à partir desquelles on pourra l'écrire. Et les bandits, eh bien, ont laissé très peu d'écrits, et je ne suis pas sûr d'ailleurs à ce jour qu'ils en aient laissé sur un format de récit substantiel. Il faut savoir que les sociétés d'où émerge le banditisme sont des sociétés à la fois rurales et coloniales. Et à ce titre, au XIXe siècle, la société algérienne enregistre une très forte baisse de la scolarisation du fait de la conquête. Les medersas, qui sont les écoles musulmanes répandues à l'époque ottomane, continuent à exister à l'époque coloniale, mais elles font l'objet d'une grande défiance de la part des autorités. Et on constate par ailleurs la grande faiblesse, voire la quasi-inexistence des écoles françaises avant la fin du XIXe siècle. Donc, peu de bandits savent sans doute écrire à la fin du XIXe siècle. Dès lors, en l'absence de ce type de sources, de ce type d'écrits, comment écrire une histoire des bandits de leur point de vue ? En utilisant ce qu’Arlette Farge appelait « les archives de la répression » : c'est-à-dire les sources produites par des institutions ayant pour charge de surveiller, de traquer, de réprimer ou de condamner le banditisme. Ces sources expriment bien évidemment un point de vue colonial. Il s'agit donc de les lire, comme toute source en histoire, du reste de manière critique. Et il existe, de ce point de vue, une historiographie très riche pour nous aider. À commencer par un courant qu'on appelle les subaltern studies, et particulièrement en leur sein, les travaux de Ranajit Guha, qui a appelé à lire dans une expression qui a été beaucoup reprise depuis, à lire « contre le grain », contre le fil ou à contre-courant en quelque sorte, les sources coloniales. C'est-à-dire savoir lire entre les lignes de ce que les officiels, les sources répressives, peuvent écrire sur les sujets qu'ils surveillent. L'histoire par en bas des historiens marxistes britanniques comme EP Thompson m'a également beaucoup inspiré, et je pense plus particulièrement à un ouvrage publié dans les années 90 de Peter Linebaugh intitulé « Les Pendus de Londres » qui a été traduit en français alors que je rédigeais ma thèse et qui s'intéresse aux condamnés à mort à Londres au XVIIIe siècle en s'appuyant sur deux types de sources. D'une part, des sources de la littérature populaire sur ces pendaisons et d'autre part, les sources judiciaires. Et à partir de ces deux sources, l'auteur cherche à restituer qui étaient ces hommes et ces femmes condamnés à mort pour avoir enfreints ou violés la propriété privée d'autrui dans un siècle qui, en Grande-Bretagne, est le siècle d'une économie capitaliste émergente. J'ai tenté modestement la même chose de mon côté en glanant d'une part dans les récits populaires qui existent sur les bandits, notamment sous la forme de poèmes chantés, mais surtout au sein des dossiers de condamnation à mort, dans ces fameuses archives de la répression qui se sont révélées très riches et qui comprennent d'ailleurs parfois des bribes de paroles de bandits dans différents contextes, ainsi qu'un ensemble de pièces judiciaires destinées à documenter les actes commis par les bandits, qui permettent d'une part de motiver la condamnation du point de vue du juge, mais aussi pour l'historien de déceler quelles peuvent être les motivations des bandits eux-mêmes. [♫ FOND SONORE ♫] Enfin, le troisième mot sur lequel je voulais m'attarder est celui d'« insurrection », car cet ouvrage explore finalement les liens existants entre banditisme et insurrection. Cette relation entre banditisme et insurrection va d'ailleurs dans deux sens. L'ouvrage commence en 1871 et 1871 en Algérie, c'est une date un peu césure, c'est une date importante puisque c'est celle d'une insurrection d'ampleur. Un tiers du territoire s'embrase dans une temporalité qui est similaire à celle de la Commune de Paris en métropole, puisque les deux font suite à la défaite française face à la Prusse l'année précédente. La répression de cette insurrection de 1871 en Algérie est longue et en quelque sorte, sous les cendres de la répression, on repère des trajectoires d'insurgés qui passent au banditisme dans les années suivantes. Inversement, les bandits sont aussi accusés de préparer le terrain à une insurrection. Lorsqu'il s'adresse au préfet d'Alger en 1893, le sous-préfet de Tizi Ouzou écrit à propos des bandes qui parcourent son territoire, « il y a là un petit foyer d’insurrection qu’il convient d’éteindre au plus vite ». En l'occurrence, ces bandes ne déclenchent pas d'insurrection, mais il n'en faut pas moins trois interventions militaires en quelques années pour en venir à bout, et encore imparfaitement. Cette crainte du banditisme, comme ferment potentiel d'une insurrection, n'est par ailleurs pas seulement une peur ou une angoisse coloniale injustifiée ou fantasmatique, puisque ce que je montre dans les derniers chapitres de l'ouvrage, c'est que précisément au cours de la Première Guerre mondiale, des bandits jouent un rôle crucial dans une insurrection importante. On est en novembre 1916, lorsque les populations de l’Aurès se soulèvent. Elles obligent alors l'armée française, qui est engagée en pleine bataille de Verdun, sur le front occidental, à retirer des soldats du front occidental pour les déplacer dans l’Aurès et réprimer cette insurrection. Or, le principal dirigeant de l'insurrection s'appelle Mohammed ben Noui. Mohammed ben Noui est contumace, c'est-à-dire qu'il a été condamné en son absence quelques années plus tôt, et il est bandit depuis plusieurs années. C'est le leader reconnu de cette insurrection. En amont, en aval comme au cours des insurrections, le banditisme tisse ainsi une relation étroite avec ces soulèvements anticoloniaux.

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    L'ouvrage dont il était question aujourd'hui, « Des bandits face au pouvoir colonial » , est à retrouver en version papier sur le site d'ENS Éditions et dans toutes les librairies. Il est également disponible en version numérique sur la plateforme OpenEdition Books.

  • Speaker #1

    C'était Le sens des mots. Ce podcast a été préparé par Sandrine Padilla et Maëlle Lopez. Au mixage et réalisation, Sébastien Boudin. À bientôt pour une prochaine édition. [♫ FOND SONORE ♫]

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Dès les débuts de la colonisation en Algérie, les campagnes se soulèvent et résistent. En 1871, cette contestation va prendre une ampleur inédite avec une insurrection d’envergure. Puis, tout au long du 19e siècle, entre révoltes armées et actes de banditisme, ces résistances traduiront un refus clair : celui de dépossession des terres. Dans ce contexte, un « banditisme rural » va alors émerger et ne cessera de préoccuper l’administration coloniale. Primes de dénonciation ou de capture, internement des familles de bandits, condamnation au bagne ou à la peine capitale sont quelques-unes des mesures prises pour venir à bout des résistances.

Mais qui sont ces bandits ruraux ? Comment vivent-ils ? Et que dit ce phénomène de la société ? Et au final, comment écrire cette histoire par en bas à partir d’archives, produites par le pouvoir colonial lui-même ?

Pour répondre à ces questions, nous recevons aujourd’hui dans ce nouvel épisode du sens des mots l’historien Antonin Plarier, auteur de l’ouvrage Des bandits face au pouvoir colonial. Sur la base d’un ensemble très riche de sources, allant des archives de la répression à la poésie populaire, en passant par la presse ou les correspondances privées, Antonin Plarier cherche à suivre pas à pas ces bandits ruraux : de leur prise d’armes ou de leur fuite jusqu’à leur dernier souffle. Il a choisi de nous en parler en trois mots : dépossessions, paroles et insurrections.

Antonin Plarier est maître de conférence en histoire contemporaine à l’université Jean Moulin Lyon 3. Il poursuit actuellement ses recherches sur l’Algérie à la période coloniale.

Vous entendez au début de cet épisode des extraits issus de :


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    [♫ FOND SONORE ♫] Vous écoutez Le sens des mots, un podcast des éditions de l'ENS de Lyon, pour entendre la voix de nos auteurs, dépasser vos idées reçues sur la recherche et décrypter le monde qui nous entoure.

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    [♫ FOND SONORE ♫] Il était parti avec en poche un acte de propriété de 70 hectares, un immense domaine. On lui avait dit là-bas il y a de la belle terre, riche et fertile, jusqu'alors jamais cultivée, la fortune, quoi. Quelques bandes de Kabyles animés d'intentions hostiles se sont montrés, le voisinage de ces bandes de dévastateurs a jeté l'inquiétude parmi les colons. [♫ FOND SONORE ♫]

  • Speaker #0

    Dès les débuts de la colonisation en Algérie, les campagnes se soulèvent et résistent. En 1871, cette contestation va prendre une ampleur inédite avec une insurrection d’envergure. Puis, tout au long du 19e siècle, entre révoltes armées et actes de banditisme, ces résistances traduiront un refus clair : celui de l’expropriation des terres. Dans ce contexte, un « banditisme rural » va alors émerger et ne cessera de préoccuper l’administration coloniale. Primes de dénonciation ou de capture, internement des familles de bandits, condamnation au bagne ou à la peine capitale sont quelques-unes des mesures prises pour venir à bout des résistances. Mais qui sont ces bandits ruraux ? Comment vivent-ils ? Et que dit ce phénomène de la société ? Et finalement, comment écrire cette histoire par en bas à partir d’archives, produites par le pouvoir colonial lui-même ? Pour répondre à ces questions, nous recevons aujourd’hui dans ce nouvel épisode du sens des mots l’historien Antonin Plarier, auteur de l’ouvrage Des bandits face au pouvoir colonial. Sur la base d’un ensemble très riche de sources, allant des archives de la répression à la poésie populaire, en passant par la presse ou les correspondances privées, Antonin Plarier cherche à suivre pas à pas ces bandits ruraux : de leur prise d’armes ou de leur fuite jusqu’à leur dernier souffle. Il a choisi de nous en parler en trois mots : dépossessions, paroles et insurrections.

  • Speaker #1

    Le premier mot que je vais présenter est celui de « dépossessions », puisque du point de vue des ruraux algériens, la colonisation c'est d'abord une affaire de dépossessions. Et ces dépossessions, un mot que j'ai mis au pluriel, car le phénomène se décline sur plusieurs plans. D'abord sur le plan foncier, avec un chiffre qui est parlant, puisque près de 12 millions d'hectares passent des mains de leurs propriétaires algériens à celles de propriétaires européens entre 1830 et 1917. Pour donner une petite idée de ce à quoi correspond cette superficie, ça correspond à peu près à 1000 fois la ville de Paris ou à 3 fois un pays comme la Belgique. Donc c'est une dépossession qui est absolument considérable. Cet ouvrage s'inscrit donc dans une longue tradition historiographique de l'histoire rurale en Algérie, depuis des travaux pionniers comme ceux d'André Nouschi, qui est un historien qui publie une enquête sur les dépossessions, sur le niveau de vie des populations rurales dans le temps long de la colonisation, mais il l'a publiée en pleine guerre d'indépendance puisque la version éditée de sa thèse date de 1961. Jusqu'aux travaux plus récents d'un historien comme Didier Guignard, qui a travaillé par exemple sur le sénatus-consulte de 1863, qui va délimiter les terres des dites tribus en Algérie, ou encore plus récemment sur le séquestre de terres qui suit l'insurrection de 1871, dont je reparlerai. Dans cet ouvrage, j'ai essayé de montrer à une échelle locale ce que signifiaient ces dépossessions. Par exemple, dans le douar des Beni Ghobri, qui se situe en Kabylie, qui est une région montagneuse de l'Algérie, dans les années 1880, le territoire qui est possédé par les habitants des Beni Ghobri, qui est un territoire rural, passe de 17 000 hectares à 8 000 hectares. C'est plus que 45% à peu près de la superficie qui subsiste à l'usage des populations algériennes à l'issue de quelques années. Plus à l'ouest, entre Oran et Mostaganem, c'est toute la plaine de l’Habra et la Macta, qui est accaparée par une société de colonisation quelques années plus tôt, dans les années 1860. Il s'agit de dépossessions foncières, certes, elles sont fondamentales, mais elles s'accompagnent aussi dans le même temps de dépossessions forestières. Car quand les autorités coloniales s'approprient des forêts, les règles changent. Les droits de pâture sont restreints ou disparaissent, le ramassage du bois peut être interdit, etc. Or, ces espaces forestiers comptent dans la vie des ruraux, puisque les populations forestières peuvent tirer jusqu'à 50% de leurs ressources de ces espaces forestiers au XIXe siècle. Par conséquent, une grande conflictualité forestière éclate et on peut alors parler de guerre des forêts à partir de 1870. Ce sont des éléments sur lesquels il y a d'ailleurs une thèse qui est en cours de Jonas Matheron et qui viendra bientôt apporter un nouvel éclairage aussi à cette histoire. L'ouverture de ces fronts de dépossessions est concomitante de l'émergence de bandes. Pour reprendre l'exemple du territoire des Beni Ghobri, lorsque ce territoire se réduit comme peau de chagrin pour les ruraux algériens, ce sont les bandes d’Arezky L’Bachir, qu'on voit sur la première de couverture de l'ouvrage, et des frères Abdoun qui apparaissent. Lorsque les plaines de l’Habra et la Macta sont appropriées par une entreprise de colonisation, c'est la bande de Bouzian el Kalaï qui émerge. Le banditisme peut donc être interprété comme une manière de faire face à ces dépossessions, ce qui explique d'ailleurs la popularité dont bénéficient la plupart de ces bandits. [♫ FOND SONORE ♫] Le deuxième mot choisi est le mot « paroles », car l'accès à la parole des bandits a été l'une des questions fondamentales de mes années de recherche. Comment accéder à la parole des bandits ? Or, écrire l'histoire, c'est d'abord dépendre des sources à partir desquelles on pourra l'écrire. Et les bandits, eh bien, ont laissé très peu d'écrits, et je ne suis pas sûr d'ailleurs à ce jour qu'ils en aient laissé sur un format de récit substantiel. Il faut savoir que les sociétés d'où émerge le banditisme sont des sociétés à la fois rurales et coloniales. Et à ce titre, au XIXe siècle, la société algérienne enregistre une très forte baisse de la scolarisation du fait de la conquête. Les medersas, qui sont les écoles musulmanes répandues à l'époque ottomane, continuent à exister à l'époque coloniale, mais elles font l'objet d'une grande défiance de la part des autorités. Et on constate par ailleurs la grande faiblesse, voire la quasi-inexistence des écoles françaises avant la fin du XIXe siècle. Donc, peu de bandits savent sans doute écrire à la fin du XIXe siècle. Dès lors, en l'absence de ce type de sources, de ce type d'écrits, comment écrire une histoire des bandits de leur point de vue ? En utilisant ce qu’Arlette Farge appelait « les archives de la répression » : c'est-à-dire les sources produites par des institutions ayant pour charge de surveiller, de traquer, de réprimer ou de condamner le banditisme. Ces sources expriment bien évidemment un point de vue colonial. Il s'agit donc de les lire, comme toute source en histoire, du reste de manière critique. Et il existe, de ce point de vue, une historiographie très riche pour nous aider. À commencer par un courant qu'on appelle les subaltern studies, et particulièrement en leur sein, les travaux de Ranajit Guha, qui a appelé à lire dans une expression qui a été beaucoup reprise depuis, à lire « contre le grain », contre le fil ou à contre-courant en quelque sorte, les sources coloniales. C'est-à-dire savoir lire entre les lignes de ce que les officiels, les sources répressives, peuvent écrire sur les sujets qu'ils surveillent. L'histoire par en bas des historiens marxistes britanniques comme EP Thompson m'a également beaucoup inspiré, et je pense plus particulièrement à un ouvrage publié dans les années 90 de Peter Linebaugh intitulé « Les Pendus de Londres » qui a été traduit en français alors que je rédigeais ma thèse et qui s'intéresse aux condamnés à mort à Londres au XVIIIe siècle en s'appuyant sur deux types de sources. D'une part, des sources de la littérature populaire sur ces pendaisons et d'autre part, les sources judiciaires. Et à partir de ces deux sources, l'auteur cherche à restituer qui étaient ces hommes et ces femmes condamnés à mort pour avoir enfreints ou violés la propriété privée d'autrui dans un siècle qui, en Grande-Bretagne, est le siècle d'une économie capitaliste émergente. J'ai tenté modestement la même chose de mon côté en glanant d'une part dans les récits populaires qui existent sur les bandits, notamment sous la forme de poèmes chantés, mais surtout au sein des dossiers de condamnation à mort, dans ces fameuses archives de la répression qui se sont révélées très riches et qui comprennent d'ailleurs parfois des bribes de paroles de bandits dans différents contextes, ainsi qu'un ensemble de pièces judiciaires destinées à documenter les actes commis par les bandits, qui permettent d'une part de motiver la condamnation du point de vue du juge, mais aussi pour l'historien de déceler quelles peuvent être les motivations des bandits eux-mêmes. [♫ FOND SONORE ♫] Enfin, le troisième mot sur lequel je voulais m'attarder est celui d'« insurrection », car cet ouvrage explore finalement les liens existants entre banditisme et insurrection. Cette relation entre banditisme et insurrection va d'ailleurs dans deux sens. L'ouvrage commence en 1871 et 1871 en Algérie, c'est une date un peu césure, c'est une date importante puisque c'est celle d'une insurrection d'ampleur. Un tiers du territoire s'embrase dans une temporalité qui est similaire à celle de la Commune de Paris en métropole, puisque les deux font suite à la défaite française face à la Prusse l'année précédente. La répression de cette insurrection de 1871 en Algérie est longue et en quelque sorte, sous les cendres de la répression, on repère des trajectoires d'insurgés qui passent au banditisme dans les années suivantes. Inversement, les bandits sont aussi accusés de préparer le terrain à une insurrection. Lorsqu'il s'adresse au préfet d'Alger en 1893, le sous-préfet de Tizi Ouzou écrit à propos des bandes qui parcourent son territoire, « il y a là un petit foyer d’insurrection qu’il convient d’éteindre au plus vite ». En l'occurrence, ces bandes ne déclenchent pas d'insurrection, mais il n'en faut pas moins trois interventions militaires en quelques années pour en venir à bout, et encore imparfaitement. Cette crainte du banditisme, comme ferment potentiel d'une insurrection, n'est par ailleurs pas seulement une peur ou une angoisse coloniale injustifiée ou fantasmatique, puisque ce que je montre dans les derniers chapitres de l'ouvrage, c'est que précisément au cours de la Première Guerre mondiale, des bandits jouent un rôle crucial dans une insurrection importante. On est en novembre 1916, lorsque les populations de l’Aurès se soulèvent. Elles obligent alors l'armée française, qui est engagée en pleine bataille de Verdun, sur le front occidental, à retirer des soldats du front occidental pour les déplacer dans l’Aurès et réprimer cette insurrection. Or, le principal dirigeant de l'insurrection s'appelle Mohammed ben Noui. Mohammed ben Noui est contumace, c'est-à-dire qu'il a été condamné en son absence quelques années plus tôt, et il est bandit depuis plusieurs années. C'est le leader reconnu de cette insurrection. En amont, en aval comme au cours des insurrections, le banditisme tisse ainsi une relation étroite avec ces soulèvements anticoloniaux.

  • Speaker #0

    L'ouvrage dont il était question aujourd'hui, « Des bandits face au pouvoir colonial » , est à retrouver en version papier sur le site d'ENS Éditions et dans toutes les librairies. Il est également disponible en version numérique sur la plateforme OpenEdition Books.

  • Speaker #1

    C'était Le sens des mots. Ce podcast a été préparé par Sandrine Padilla et Maëlle Lopez. Au mixage et réalisation, Sébastien Boudin. À bientôt pour une prochaine édition. [♫ FOND SONORE ♫]

Description

Dès les débuts de la colonisation en Algérie, les campagnes se soulèvent et résistent. En 1871, cette contestation va prendre une ampleur inédite avec une insurrection d’envergure. Puis, tout au long du 19e siècle, entre révoltes armées et actes de banditisme, ces résistances traduiront un refus clair : celui de dépossession des terres. Dans ce contexte, un « banditisme rural » va alors émerger et ne cessera de préoccuper l’administration coloniale. Primes de dénonciation ou de capture, internement des familles de bandits, condamnation au bagne ou à la peine capitale sont quelques-unes des mesures prises pour venir à bout des résistances.

Mais qui sont ces bandits ruraux ? Comment vivent-ils ? Et que dit ce phénomène de la société ? Et au final, comment écrire cette histoire par en bas à partir d’archives, produites par le pouvoir colonial lui-même ?

Pour répondre à ces questions, nous recevons aujourd’hui dans ce nouvel épisode du sens des mots l’historien Antonin Plarier, auteur de l’ouvrage Des bandits face au pouvoir colonial. Sur la base d’un ensemble très riche de sources, allant des archives de la répression à la poésie populaire, en passant par la presse ou les correspondances privées, Antonin Plarier cherche à suivre pas à pas ces bandits ruraux : de leur prise d’armes ou de leur fuite jusqu’à leur dernier souffle. Il a choisi de nous en parler en trois mots : dépossessions, paroles et insurrections.

Antonin Plarier est maître de conférence en histoire contemporaine à l’université Jean Moulin Lyon 3. Il poursuit actuellement ses recherches sur l’Algérie à la période coloniale.

Vous entendez au début de cet épisode des extraits issus de :


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    [♫ FOND SONORE ♫] Vous écoutez Le sens des mots, un podcast des éditions de l'ENS de Lyon, pour entendre la voix de nos auteurs, dépasser vos idées reçues sur la recherche et décrypter le monde qui nous entoure.

  • Speaker #1

    [♫ FOND SONORE ♫] Il était parti avec en poche un acte de propriété de 70 hectares, un immense domaine. On lui avait dit là-bas il y a de la belle terre, riche et fertile, jusqu'alors jamais cultivée, la fortune, quoi. Quelques bandes de Kabyles animés d'intentions hostiles se sont montrés, le voisinage de ces bandes de dévastateurs a jeté l'inquiétude parmi les colons. [♫ FOND SONORE ♫]

  • Speaker #0

    Dès les débuts de la colonisation en Algérie, les campagnes se soulèvent et résistent. En 1871, cette contestation va prendre une ampleur inédite avec une insurrection d’envergure. Puis, tout au long du 19e siècle, entre révoltes armées et actes de banditisme, ces résistances traduiront un refus clair : celui de l’expropriation des terres. Dans ce contexte, un « banditisme rural » va alors émerger et ne cessera de préoccuper l’administration coloniale. Primes de dénonciation ou de capture, internement des familles de bandits, condamnation au bagne ou à la peine capitale sont quelques-unes des mesures prises pour venir à bout des résistances. Mais qui sont ces bandits ruraux ? Comment vivent-ils ? Et que dit ce phénomène de la société ? Et finalement, comment écrire cette histoire par en bas à partir d’archives, produites par le pouvoir colonial lui-même ? Pour répondre à ces questions, nous recevons aujourd’hui dans ce nouvel épisode du sens des mots l’historien Antonin Plarier, auteur de l’ouvrage Des bandits face au pouvoir colonial. Sur la base d’un ensemble très riche de sources, allant des archives de la répression à la poésie populaire, en passant par la presse ou les correspondances privées, Antonin Plarier cherche à suivre pas à pas ces bandits ruraux : de leur prise d’armes ou de leur fuite jusqu’à leur dernier souffle. Il a choisi de nous en parler en trois mots : dépossessions, paroles et insurrections.

  • Speaker #1

    Le premier mot que je vais présenter est celui de « dépossessions », puisque du point de vue des ruraux algériens, la colonisation c'est d'abord une affaire de dépossessions. Et ces dépossessions, un mot que j'ai mis au pluriel, car le phénomène se décline sur plusieurs plans. D'abord sur le plan foncier, avec un chiffre qui est parlant, puisque près de 12 millions d'hectares passent des mains de leurs propriétaires algériens à celles de propriétaires européens entre 1830 et 1917. Pour donner une petite idée de ce à quoi correspond cette superficie, ça correspond à peu près à 1000 fois la ville de Paris ou à 3 fois un pays comme la Belgique. Donc c'est une dépossession qui est absolument considérable. Cet ouvrage s'inscrit donc dans une longue tradition historiographique de l'histoire rurale en Algérie, depuis des travaux pionniers comme ceux d'André Nouschi, qui est un historien qui publie une enquête sur les dépossessions, sur le niveau de vie des populations rurales dans le temps long de la colonisation, mais il l'a publiée en pleine guerre d'indépendance puisque la version éditée de sa thèse date de 1961. Jusqu'aux travaux plus récents d'un historien comme Didier Guignard, qui a travaillé par exemple sur le sénatus-consulte de 1863, qui va délimiter les terres des dites tribus en Algérie, ou encore plus récemment sur le séquestre de terres qui suit l'insurrection de 1871, dont je reparlerai. Dans cet ouvrage, j'ai essayé de montrer à une échelle locale ce que signifiaient ces dépossessions. Par exemple, dans le douar des Beni Ghobri, qui se situe en Kabylie, qui est une région montagneuse de l'Algérie, dans les années 1880, le territoire qui est possédé par les habitants des Beni Ghobri, qui est un territoire rural, passe de 17 000 hectares à 8 000 hectares. C'est plus que 45% à peu près de la superficie qui subsiste à l'usage des populations algériennes à l'issue de quelques années. Plus à l'ouest, entre Oran et Mostaganem, c'est toute la plaine de l’Habra et la Macta, qui est accaparée par une société de colonisation quelques années plus tôt, dans les années 1860. Il s'agit de dépossessions foncières, certes, elles sont fondamentales, mais elles s'accompagnent aussi dans le même temps de dépossessions forestières. Car quand les autorités coloniales s'approprient des forêts, les règles changent. Les droits de pâture sont restreints ou disparaissent, le ramassage du bois peut être interdit, etc. Or, ces espaces forestiers comptent dans la vie des ruraux, puisque les populations forestières peuvent tirer jusqu'à 50% de leurs ressources de ces espaces forestiers au XIXe siècle. Par conséquent, une grande conflictualité forestière éclate et on peut alors parler de guerre des forêts à partir de 1870. Ce sont des éléments sur lesquels il y a d'ailleurs une thèse qui est en cours de Jonas Matheron et qui viendra bientôt apporter un nouvel éclairage aussi à cette histoire. L'ouverture de ces fronts de dépossessions est concomitante de l'émergence de bandes. Pour reprendre l'exemple du territoire des Beni Ghobri, lorsque ce territoire se réduit comme peau de chagrin pour les ruraux algériens, ce sont les bandes d’Arezky L’Bachir, qu'on voit sur la première de couverture de l'ouvrage, et des frères Abdoun qui apparaissent. Lorsque les plaines de l’Habra et la Macta sont appropriées par une entreprise de colonisation, c'est la bande de Bouzian el Kalaï qui émerge. Le banditisme peut donc être interprété comme une manière de faire face à ces dépossessions, ce qui explique d'ailleurs la popularité dont bénéficient la plupart de ces bandits. [♫ FOND SONORE ♫] Le deuxième mot choisi est le mot « paroles », car l'accès à la parole des bandits a été l'une des questions fondamentales de mes années de recherche. Comment accéder à la parole des bandits ? Or, écrire l'histoire, c'est d'abord dépendre des sources à partir desquelles on pourra l'écrire. Et les bandits, eh bien, ont laissé très peu d'écrits, et je ne suis pas sûr d'ailleurs à ce jour qu'ils en aient laissé sur un format de récit substantiel. Il faut savoir que les sociétés d'où émerge le banditisme sont des sociétés à la fois rurales et coloniales. Et à ce titre, au XIXe siècle, la société algérienne enregistre une très forte baisse de la scolarisation du fait de la conquête. Les medersas, qui sont les écoles musulmanes répandues à l'époque ottomane, continuent à exister à l'époque coloniale, mais elles font l'objet d'une grande défiance de la part des autorités. Et on constate par ailleurs la grande faiblesse, voire la quasi-inexistence des écoles françaises avant la fin du XIXe siècle. Donc, peu de bandits savent sans doute écrire à la fin du XIXe siècle. Dès lors, en l'absence de ce type de sources, de ce type d'écrits, comment écrire une histoire des bandits de leur point de vue ? En utilisant ce qu’Arlette Farge appelait « les archives de la répression » : c'est-à-dire les sources produites par des institutions ayant pour charge de surveiller, de traquer, de réprimer ou de condamner le banditisme. Ces sources expriment bien évidemment un point de vue colonial. Il s'agit donc de les lire, comme toute source en histoire, du reste de manière critique. Et il existe, de ce point de vue, une historiographie très riche pour nous aider. À commencer par un courant qu'on appelle les subaltern studies, et particulièrement en leur sein, les travaux de Ranajit Guha, qui a appelé à lire dans une expression qui a été beaucoup reprise depuis, à lire « contre le grain », contre le fil ou à contre-courant en quelque sorte, les sources coloniales. C'est-à-dire savoir lire entre les lignes de ce que les officiels, les sources répressives, peuvent écrire sur les sujets qu'ils surveillent. L'histoire par en bas des historiens marxistes britanniques comme EP Thompson m'a également beaucoup inspiré, et je pense plus particulièrement à un ouvrage publié dans les années 90 de Peter Linebaugh intitulé « Les Pendus de Londres » qui a été traduit en français alors que je rédigeais ma thèse et qui s'intéresse aux condamnés à mort à Londres au XVIIIe siècle en s'appuyant sur deux types de sources. D'une part, des sources de la littérature populaire sur ces pendaisons et d'autre part, les sources judiciaires. Et à partir de ces deux sources, l'auteur cherche à restituer qui étaient ces hommes et ces femmes condamnés à mort pour avoir enfreints ou violés la propriété privée d'autrui dans un siècle qui, en Grande-Bretagne, est le siècle d'une économie capitaliste émergente. J'ai tenté modestement la même chose de mon côté en glanant d'une part dans les récits populaires qui existent sur les bandits, notamment sous la forme de poèmes chantés, mais surtout au sein des dossiers de condamnation à mort, dans ces fameuses archives de la répression qui se sont révélées très riches et qui comprennent d'ailleurs parfois des bribes de paroles de bandits dans différents contextes, ainsi qu'un ensemble de pièces judiciaires destinées à documenter les actes commis par les bandits, qui permettent d'une part de motiver la condamnation du point de vue du juge, mais aussi pour l'historien de déceler quelles peuvent être les motivations des bandits eux-mêmes. [♫ FOND SONORE ♫] Enfin, le troisième mot sur lequel je voulais m'attarder est celui d'« insurrection », car cet ouvrage explore finalement les liens existants entre banditisme et insurrection. Cette relation entre banditisme et insurrection va d'ailleurs dans deux sens. L'ouvrage commence en 1871 et 1871 en Algérie, c'est une date un peu césure, c'est une date importante puisque c'est celle d'une insurrection d'ampleur. Un tiers du territoire s'embrase dans une temporalité qui est similaire à celle de la Commune de Paris en métropole, puisque les deux font suite à la défaite française face à la Prusse l'année précédente. La répression de cette insurrection de 1871 en Algérie est longue et en quelque sorte, sous les cendres de la répression, on repère des trajectoires d'insurgés qui passent au banditisme dans les années suivantes. Inversement, les bandits sont aussi accusés de préparer le terrain à une insurrection. Lorsqu'il s'adresse au préfet d'Alger en 1893, le sous-préfet de Tizi Ouzou écrit à propos des bandes qui parcourent son territoire, « il y a là un petit foyer d’insurrection qu’il convient d’éteindre au plus vite ». En l'occurrence, ces bandes ne déclenchent pas d'insurrection, mais il n'en faut pas moins trois interventions militaires en quelques années pour en venir à bout, et encore imparfaitement. Cette crainte du banditisme, comme ferment potentiel d'une insurrection, n'est par ailleurs pas seulement une peur ou une angoisse coloniale injustifiée ou fantasmatique, puisque ce que je montre dans les derniers chapitres de l'ouvrage, c'est que précisément au cours de la Première Guerre mondiale, des bandits jouent un rôle crucial dans une insurrection importante. On est en novembre 1916, lorsque les populations de l’Aurès se soulèvent. Elles obligent alors l'armée française, qui est engagée en pleine bataille de Verdun, sur le front occidental, à retirer des soldats du front occidental pour les déplacer dans l’Aurès et réprimer cette insurrection. Or, le principal dirigeant de l'insurrection s'appelle Mohammed ben Noui. Mohammed ben Noui est contumace, c'est-à-dire qu'il a été condamné en son absence quelques années plus tôt, et il est bandit depuis plusieurs années. C'est le leader reconnu de cette insurrection. En amont, en aval comme au cours des insurrections, le banditisme tisse ainsi une relation étroite avec ces soulèvements anticoloniaux.

  • Speaker #0

    L'ouvrage dont il était question aujourd'hui, « Des bandits face au pouvoir colonial » , est à retrouver en version papier sur le site d'ENS Éditions et dans toutes les librairies. Il est également disponible en version numérique sur la plateforme OpenEdition Books.

  • Speaker #1

    C'était Le sens des mots. Ce podcast a été préparé par Sandrine Padilla et Maëlle Lopez. Au mixage et réalisation, Sébastien Boudin. À bientôt pour une prochaine édition. [♫ FOND SONORE ♫]

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