- Marie de Carville
Je pense qu'on a tous connu un jour une réunion en télétravail avec un conjoint, un enfant malade ou un animal de compagnie qui passe derrière l'écran.
- Mieux
Bonjour Marie de Carville. Vous êtes directrice des ressources humaines chez Pluxee France et avec vous, on a décidé de s'intéresser au nouveau savoir-être en entreprise. Pour être plus spécifique, on va s'intéresser à l'évolution du savoir-être en entreprise, aux codes actuels et à la manière dont chacun et chacune s'y adapte. Quelles grandes évolutions a-t-on pu observer à votre sens ces dernières années en matière d'attitude, de comportement en entreprise ?
- Marie de Carville
Alors tout d'abord, je crois que l'adaptabilité est devenue un essentiel. Nos collaborateurs doivent constamment s'adapter, que ce soit à des nouveaux outils, à des nouveaux environnements, à des nouveaux modes de travail, et particulièrement ces dernières années. Et inévitablement, ces changements vont avoir un impact sur les comportements. On va leur demander d'être plus résilients. de savoir gérer leur stress, leurs émotions et parfois de développer de nouvelles compétences. Alors je parle de changement de mode de travail ou de changement d'outils. Évidemment, je pense à la période du Covid. Qui l'a oublié ? Comment ne pas se souvenir de cette période où on s'est tous retrouvés du jour au lendemain à devoir travailler face à nos écrans et à utiliser de nouveaux outils comme Teams, Slack, Google Meet, Zoom et d'autres encore.
- Mieux
Et à inventer de nouveaux codes qui allaient avec.
- Marie de Carville
Exactement, exactement. Et je pense que notre façon d'interagir a vraiment changé avec la digitalisation et avec le télétravail. Et d'ailleurs, la frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle est beaucoup plus fine aujourd'hui. Et on accepte davantage aussi que les aléas ou les imprévus de la vie personnelle rentrent un peu plus dans notre vie professionnelle. De la même façon, je pense qu'on a tous connu un jour une réunion en télétravail avec un conjoint, un enfant malade ou un animal de compagnie qui passe derrière l'écran. Par ailleurs, je pense que la relation au travail, à l'autorité et au management a aussi évolué. Personnellement, quand j'ai commencé à travailler, c'était assez courant de vouvoyer son manager ou le manager de son manager, ce qu'on ne voit plus aujourd'hui. De la même façon, les relations entre les managers et les collaborateurs sont désormais beaucoup plus horizontales que ça ne l'était par le passé. Et enfin... Les codes vestimentaires ont aussi changé. Les codes vestimentaires, il n'y a encore pas si longtemps, la cravate était inévitable, les baskets assez peu acceptables, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
- Mieux
Et alors comment les employeurs, les managers se sont adaptés ? Est-ce qu'il y a eu éventuellement des freins, des limites ? Comment ça s'est passé ?
- Marie de Carville
C'est vrai que pour les employeurs et pour les managers, il a fallu définir un nouveau cadre. Il a fallu poser un cadre et il a fallu asseoir ce nouveau cadre. On parlait du télétravail, par exemple, c'est de fixer des règles comme « toute l'équipe se réunit au bureau le mardi » . Je parle en connaissance de cause, mon équipe se réunit au bureau le mardi pour favoriser les temps en présentiel pour des réunions d'équipe ou pour des points individuels. On parlait de code vestimentaire à l'instant, même chose, on peut se dire que c'est évidemment autorisé de venir en basket ou avec une casquette au travail. En revanche, pour des rendez-vous avec des clients, on reste dans un code vestimentaire plus corporate parce que ça reste le monde de l'entreprise.
- Mieux
On s'est adapté.
- Marie de Carville
On s'est adapté.
- Mieux
Face à ce nouveau savoir-être, ce nouvel état de fait, comment réagissent les différentes générations, à la fois les plus jeunes et les plus anciens ?
- Marie de Carville
Ça secoue pas mal. Ça fait du changement pour les différentes générations, parce qu'effectivement, les générations Y, même les générations Z, vont oser demander, vont oser challenger, vont oser remettre en question. des savoir-être. On parlait de code vestimentaire tout à l'heure, on parlait du tutoiement, du vouvoiement. Les générations précédentes ne se posaient pas la question ou n'osaient certainement pas challenger ou en tout cas le dire à voix haute. Aujourd'hui, ces plus jeunes générations qui arrivent sur le monde du travail ou qui sont désormais sur le monde du travail depuis 10, 15 ans, osent poser des questions et challenger. Aujourd'hui, on va avoir ces générations qui coexistent, qui cohabitent, qui travaillent ensemble et donc ça va nécessiter à chacun de faire un pas vers l'autre pour aussi expliquer sa vision en termes de savoir-être, sa compréhension. et trouver un terrain d'entente.
- Mieux
Quelles compétences interpersonnelles sont attendues aujourd'hui de la part des collaborateurs et des collaboratrices ?
- Marie de Carville
On a parlé de l'adaptabilité. Je pense qu'au-delà de l'adaptabilité, il y a la gestion du stress et des émotions, qui est devenue un incontournable. Faire preuve de stabilité émotionnelle quand on traverse parfois les montagnes russes, ce n'est pas évident. C'est quelque chose qui est réellement attendu aujourd'hui en entreprise. Une autre compétence interpersonnelle qui est devenue inévitable aujourd'hui, à mon sens, c'est le travail collaboratif et l'écoute active. Que ce soit en réunion en présentiel ou en réunion en télétravail, aujourd'hui, on travaille avec nos ordinateurs devant nous. Et c'est très difficile de rester concentré 100% sur la discussion qui est en train d'avoir lieu.
- Mieux
Avec les mails qui arrivent.
- Marie de Carville
Exactement. Sans être d'abord tenté de répondre à ses emails, parce que je pense qu'on est tous concernés, on est tous, on reçoit tous un grand nombre d'emails par jour. Et sans être non plus dérangé par les nombreuses notifications que l'on peut recevoir en cours de route. Donc ça, l'écoute active, ça demande une énergie supplémentaire. Et je pense que c'est essentiel aussi pour bien travailler aujourd'hui. Et enfin, je parlerai de l'empathie et de la bienveillance. Alors l'empathie et la bienveillance, ça fait toujours un peu sourire. Pourtant, être capable de bien comprendre les émotions de ses collègues, de ses équipes, comprendre comment chacun va réagir face à une situation, aide à désamorcer des conflits et aide à améliorer nécessairement les bonnes relations au sein d'une équipe.
- Mieux
Comment l'entreprise peut accompagner les collaborateurs, les collaboratrices à développer le savoir-être ?
- Marie de Carville
Je pense qu'il y a plusieurs leviers possibles. Le premier, c'est déjà de bien se connaître et de comprendre comment fonctionnent les autres. Pour ça, il existe des outils, des outils assez universels qui sont connus et reconnus, comme le DISC, comme le MBTI. Ce sont des outils qui sont assez puissants puisqu'ils vont permettre de comprendre nos traits de caractère et également ceux des autres. Comment on interagit ensemble et comment on va réagir dans une certaine situation, nous-mêmes et également nos collègues et nos collaborateurs.
- Mieux
On connaît son profil. On est capable de détecter celui des autres.
- Marie de Carville
Exactement. Et ce qui est assez amusant, c'est qu'en général, quand on fait ce type d'exercice, moi je recommande de le faire au sein d'une équipe, parce qu'on va se retrouver à parler avec des codes couleurs. Alors je ne sais pas si vous êtes familier ou pas avec le DISC ou le MBTI, mais le MBTI c'est plutôt des lettres, le DISC c'est plutôt des couleurs. Et on va se retrouver à avoir des discussions du type, ah mais toi tu es plutôt bleu, ah non moi je suis plutôt rouge. Et ça crée aussi, ça crée une cohésion d'équipe. Donc j'encourage vraiment à prendre le temps de faire ces exercices. non seulement comme exercice de cohésion d'équipe, mais également pour bien se connaître et bien comprendre comment on fonctionne vis-à-vis des autres. Un autre levier qui est important, je pense, c'est la formation et l'accompagnement des managers de proximité. Le rôle de manager aujourd'hui, c'est l'un des rôles les plus difficiles dans l'entreprise, puisqu'on va demander aux managers d'être un expert dans leur domaine, et également d'être un super manager, qui sait développer, qui sait écouter, qui sait accompagner ses collaborateurs au quotidien, sans interruption, et ça, ce n'est pas évident.
- Mieux
Comment on le forme, ce manager ? Quel type de formation on lui propose ?
- Marie de Carville
C'est une bonne question. On va avoir différentes formations possibles, des apports théoriques sur comment gérer des situations conflictuelles, des cas pratiques. Il y a aussi un exercice qui est très intéressant et assez puissant, c'est le co-développement. Le co-développement, c'est un atelier avec un cadre bien précis qui permet d'avoir des temps d'échange entre pairs pour partager une situation spécifique et avoir, avec l'aide de ses collègues... des pistes de solutions ou des idées pour réfléchir à comment solutionner ces problématiques-là.
- Mieux
Donc on propose des outils type DISC ou MBTI, on forme les managers, est-ce qu'il y a d'autres choses qu'on peut faire ?
- Marie de Carville
Et on communique, et on sensibilise, et on documente également. Ça va passer par un règlement antérieur qui va spécifier des règles. On a parlé à plusieurs reprises du code vestimentaire. Est-ce qu'on est autorisé à venir en short ? Est-ce qu'on est autorisé à venir en basket ? Tout ça, on peut l'écrire dans un règlement intérieur, il va y avoir des chartes. de bonne conduite, des chartes du savoir-être, et puis communiquer sur des règles qui paraissent être des règles de base en entreprise. Mais est-ce qu'on autorise les réunions avant 9h du matin ou après 18h ? Est-ce qu'on autorise à envoyer des e-mails en dehors des horaires de travail ? Non, la réponse est non. Donc tout ça, c'est important de communiquer, de sensibiliser. Et j'ai quand même le sentiment qu'on ne le fait jamais assez. Donc il ne faut pas hésiter à prendre le temps d'expliquer, de réexpliquer et de bien communiquer sur ces sujets d'importance pour l'entreprise.
- Mieux
Une fois qu'on a fait ça, en tant que direction, comment on se comporte nous ? Est-ce qu'on doit être exemplaire ?
- Marie de Carville
Bien sûr, c'est aussi ce qu'on attend de la direction. Mais ce n'est pas évident tous les jours. Je parlais de la difficulté du rôle de manager, c'est la même chose pour la direction. En revanche, effectivement, on attend de la direction qu'elle soit exemplaire. L'exemplarité, ça passe avant toute chose par le fait de suivre les règles que l'on édicte aux autres. Ça va passer par la ponctualité, par exemple. Je sais de quoi je parle. Je demande à mes équipes d'être toujours à l'heure en réunion, ce qui est très difficile pour moi. Ils le savent, donc j'y mets un point d'honneur. Parfois, je suis en retard, mais c'est très important de suivre les règles que l'on édicte à ces équipes. Je pense qu'il y a aussi un élément qui n'est pas souvent partagé, c'est être capable de faire preuve de vulnérabilité. Se montrer vulnérable, c'est OK, ce n'est pas un problème. On parle souvent de la solitude du dirigeant, mais finalement, le dirigeant, c'est celui qui est tout en haut de la pyramide. Et la direction, c'est souvent une équipe dirigeante. Donc être capable de partager ses difficultés avec ses pairs, avec ses collègues, mais également aussi avec ses équipes, c'est quelque chose qui est extrêmement important. Et ensuite, je pense que c'est prendre le temps pour des temps informels avec son équipe. C'est du team building, c'est de déjeuner ensemble, c'est d'apporter des croissants une fois de temps en temps. C'est aussi ces temps forts qui vont permettre au leadership d'être exemplaire.
- Mieux
Et qui doivent être insufflés par lui.
- Marie de Carville
Tout à fait.
- Mieux
Une fois qu'on a mis des actions en place, comment on fait pour évaluer leur efficacité ? Est-ce qu'il y a des méthodes, des outils ? que vous recommanderiez ?
- Marie de Carville
Alors, je pense que la première chose à avoir en tête, c'est que pour mesurer, il faut avoir une mesure de l'avant et de l'après. C'est extrêmement important pour pouvoir comparer. Ensuite, il existe un certain nombre d'indicateurs. qui sont des indicateurs assez classiques. Alors on peut aller chercher plus loin, être plus innovant, mais je crois volontiers que les indicateurs du type le taux d'absentéisme, le taux de rétention et de fidélisation, le taux d'engagement également des collaborateurs. Alors attention, par engagement, j'entends pas seulement faire une enquête d'engagement annuel, mais pouvoir prendre le pouls et la température de ces équipes et de ces collaborateurs à fréquence régulière pour savoir comment ils se sentent et comment adapter et réajuster au fil de l'eau. Et puis enfin, bien évidemment, donner du feedback, faire du feedback. de façon formelle et informelle. C'est aussi comme ça qu'on va pouvoir mesurer l'efficacité des actions qu'on met en place.
- Mieux
Merci beaucoup, Marie de Carville.
- Marie de Carville
Merci, Nadege.
- Mieux
Merci à vous de nous avoir suivis. On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de MIEUX, le podcast sur le monde du travail et l'expérience collaborateur.