- Christine
On n'a qu'une voix, un podcast pour découvrir ce que cache notre voix. Chaque mois, venez à la rencontre de mes invités qui lèvent le voile sur l'histoire singulière de leur voix. Au programme, des voix parlées, des voix chantées, des voix jouées et des voix parfois malmenées. L'intention ? Vous procurer des émotions, vous faire voyager, vous apporter des conseils et vous proposer un pas de côté pour vous inviter à aimer votre voix. Dans cet épisode, vous allez entendre la voix de David Morazin, comédien et metteur en scène. David m'a accueilli dans le village de Sauvagnon, au nord de Pau, à la Grande Ourse. espace dans lequel évolue la compagnie de théâtre tout droit jusqu'au matin. David a co-créé cette compagnie, avec Céline Texier-Chollet en 2008, pour construire des ponts entre les générations, entre les territoires, entre les gens tout simplement. Ensemble, on va évoquer la place de la voix dans sa vie, au théâtre, selon l'âge auquel on monte sur les planches. Et on verra que l'essentiel, c'est peut-être de rester à l'écoute. Vous entendrez également des extraits d'un atelier théâtre d'un groupe d'adultes en recherche autour du texte de leur prochaine pièce. Bonne écoute !
- David Morazin
Je m'appelle David Morazin. Et je suis comédien, je fais aussi de la mise en scène et j'ai un parcours très atypique. J'ai démarré, je suis tombé dans le théâtre il y a très peu de temps, c'est-à-dire il y a 17 ans à peu près, un peu plus, même une vingtaine d'années, mais j'étais déjà âgé. Et voilà, j'ai eu une vie avant, j'ai fait d'autres choses. Je me suis rendu compte que je jouais à être en réalité avant. Et puis le jour où j'ai mis les pieds sur un plateau, j'ai compris que c'était cet endroit-là où je devais me placer. Et là je devais jouer, mais juste jouer des rôles et être ce que je suis en fait. Un comédien.
- Christine
Tu es metteur en scène aussi ?
- David Morazin
Oui, c'est un... Oui, c'est parce que je m'intéresse pas mal aux gens et donc la mise en scène, on est forcé de s'intéresser aux autres, forcément.
- Christine
Aujourd'hui, quelle place a la voix dans ta vie ?
- David Morazin
Je pense qu'elle a une place, comme tout le monde, assez centrale, puisque c'est ce qui me permet de m'exprimer, c'est ce qui me permet de travailler. Je ne suis pas muet, donc j'utilise ce... ça serait différent, mais j'utilise ce... pouvoir que j'ai de dire des mots de les utiliser de les manier de les trifouiller de les prendre dans tous les sens c'est souvent pas forcément mes mots d'ailleurs ce sont d'abord des mots que des gens ont écrit tu vois mais mais oui je n'en la voix ça a une place centrale et puis ça reste une part de nous intérieure qui sort comme ça c'est d'ailleurs pour ça qu'il ya des gens qui ont du mal qui se taisent quelquefois suite à des traumatismes à des choses comme ça parce que ça peut pas sortir ils sont dans cette impossibilité et donc il ya quelque chose de très oued dit souvent intime tu vois mais je pense que c'est une voix notre voix intérieure elle est là tout le temps et puis par moments elle s'exprime par ses cordes vocales voilà ça sort et des fois dans le désordre, mais je vais essayer aujourd'hui de ne pas tout mettre dans le désordre. Donc non, ça a une place centrale, vraiment. Et puis, on s'en est parlé une fois, mais quand quelqu'un part, disparaît, meurt... Des années après, c'est très difficile de se rappeler de sa voix si on n'a pas d'enregistrement, de se dire mais quelle voix il avait, quelle voix elle avait. C'est quelque chose qui est très chevillé à nos corps. Je ne sais pas comment les personnes qui sont me mettent le vif ça, puisque je ne le suis pas, mais pour quelqu'un qui est parlant comme moi, c'est un... Ouais, c'est un... Comment dire ça ? C'est un... C'est une part de mon intérieur, de mon intériorité qui sort comme ça. Donc c'est central dans ma vie. Comme le reste, comme le corps, comme les émotions, comme plein de choses qui nous figurent. On est ce qu'on est par notre voix aussi.
- Christine
Comment toi tu invites justement les personnes que tu accueilles en atelier, comment tu les invites à jouer ? à la fois avec leur voix, avec le texte, avec leur corps.
- David Morazin
J'ai tendance à d'abord jouer moi, souvent. C'est pas toujours le cas, mais quand même. Tu vois, en ce moment, je reçois plein d'enfants ici, dans notre local. Vraiment, j'ai 300 enfants qui sont passés dernièrement ici. Et en général, je joue moi d'abord. Juste pour leur montrer que... Alors, il y a différents types de théâtre. Moi, le théâtre que je vais pratiquer, il passe par le jeu. Mais il y a d'autres formes de théâtre qui ne passent pas forcément par ce mot. par ce J-E-U, mais celui que je pratique, oui. Et donc moi, j'y mets mon corps, j'y mets quelques fois ma voix, et je leur montre que c'est un jeu, en fait, que je joue. Je joue comme eux, je joue, voilà, c'est assez simple. Alors c'est les enfants qui comprennent ça tout de suite, puisqu'eux, ils savent ce que c'est que le jeu. Donc voilà, et qu'après, on pose les règles ensemble, enfin les règles, oui, quelques règles de fonctionnement, où on pose des petits principes, où on, voilà, qu'on définit. à force de séances, mais ça reste ça, ça reste tellement un endroit où on s'amuse. C'est stupide de dire ça parce que ça paraît d'une facilité sans nom, mais c'est juste ça, c'est juste se débarrasser du reste. C'est pour ça que dans les théâtres, il n'y a pas de temps, par exemple. Il n'y a jamais d'horloge, souvent on est à un endroit et puis on va jouer. Donc ça devrait être très facile puisque tout le monde a joué enfant, j'espère d'ailleurs. D'ailleurs je pense que les enfants qui ne jouent pas, il n'y a pas vraiment d'enfance à cet endroit-là, ou alors une autre enfance peut-être que je ne connais pas, mais non, ça reste ça, je les emmène par le jeu, et après par la fiction, par les mots d'auteur, puisque le théâtre c'est quand même aussi ça, c'est pas que ça, mais ce sont souvent des mots qu'on va emmener avec des corps, et on va essayer d'en faire quelque chose de poétique, on va essayer d'emmener une vision, voilà. Ça reste des bouts de réalité le théâtre, qu'on emmène dans un endroit qui peut être une rue, qui peut être un bus, qui peut être un plateau, qui peut être n'importe où. Et ces bouts de réalité, on va les transformer, on va les tordre et on va en donner une image, des images, qu'on espère poétiques, qu'on espère peut-être troublantes ou dérangeantes ou politiques, je pense. Mais voilà.
- Christine
Dans tes ateliers hebdomadaires, puisque tu as des ateliers hebdomadaires, tu as un public assez large. Tu parlais d'enfants. Tu accueilles des enfants, mais pas que, des adolescents, des adultes, c'est bien ça ?
- David Morazin
Oui, c'est ça, exactement.
- Christine
Est-ce que ça se joue différemment selon les âges ? Puisque tu parlais de l'enfant qui spontanément joue, l'ado, je ne sais pas trop, tu pourras nous dire. L'adulte, par contre, il a souvent tendance un peu... à freiner cette part de jeu, cette part d'enfance. Et j'ai l'impression que c'est dans l'ADN de la compagnie Tout droit jusqu'au matin, puisque c'est le nom de la compagnie que tu as créée. Comment tu invites les adultes à recultiver leur part d'enfant ? Et quelle est la différence entre le jeu d'un enfant et le jeu d'un adulte au théâtre ?
- David Morazin
Juste avant de répondre à ta question, j'espère y répondre d'ailleurs, juste pour te dire que moi j'ai découvert cette compagnie-là. qu'on a créée, elle a aussi été créée par une femme qui s'appelle Céline Texier-Chollet et qui m'a montré, m'a fait découvrir quelque chose quand je l'ai rencontrée que c'était qu'on pouvait être, je vais dire le mot gentil, tu vois, parce qu'on utilise beaucoup le mot, tu sais, bienveillant, tu vois. Mais on peut être gentil au théâtre, être exigeant mais gentil. On peut, avec gentillesse, diriger les gens, les regarder, les aimer, ne pas mettre de pouvoir sur eux. Ne pas se mettre, nous, en position de pouvoir, ou en tout cas être toujours... Tu sais, c'est comme quand on parle à un enfant, en fait. Quand on parle à un enfant, on l'apprend tous, quand on est dans l'éducation ou autre, il faut se baisser, il faut se mettre à son niveau. Et moi, je me mets toujours plus bas que les autres. Je leur dis, mais c'est vous qui êtes important. Moi, je suis là juste pour vous guider dans un endroit, un chemin, on va tracer les chemins ensemble. Donc le chemin qu'on va tracer ensemble, il va dépendre de l'âge, il va dépendre de la maturité de l'enfant, il va dépendre de l'endroit où l'enfant est dans son âge, c'est-à-dire... Il y a des enfants à 10 ans qui vont jouer comme ça spontanément, tout de suite. Il y a un enfant qui disait, j'ai fait défiler l'autre jour, j'ai une activité que j'aime beaucoup au théâtre, je l'ai fait défiler, non pas comme un défilé de mode, mais je mets une musique, et puis je l'ai fait défiler en prenant des pauses à l'arrivée, un peu comme Thomas Joly pendant son... Voilà, dans cette idée-là, je n'ai pas de table, mais c'est la même chose. Et il y a un enfant qui disait l'autre jour, mais oui on va devoir se montrer. Et effectivement il faut se montrer à l'autre, donc il y a des enfants qui sont prêts à se montrer tout de suite, qui adorent ça, peut-être même des fois trop, mais il y a des ados qui sont prêts, des adultes qui sont... Je suis d'accord avec toi, rarement prêt à se montrer. Mais il y a une... Donc en fait, moi j'essaie juste de regarder les gens, de les voir, par des petits jeux. Et tout mon travail c'est d'essayer d'avoir un regard pour tout le monde. Et de se dire, ah, toi tu en es là, c'est-à-dire que toi avec ton corps, t'es très à l'aise. T'as aucun problème sur le fait de te montrer aux autres. Par contre ton énergie, il va falloir qu'on la canalise. Ou au contraire, aller chercher une énergie chez certains, accepter... Oui, de montrer des choses, et après, ça reste une activité qui n'est pas faite pour tout le monde non plus. C'est-à-dire que, tu vois, j'ai beaucoup de parents qui me disent « Ah, je voudrais inscrire mon enfant parce qu'il est timide » . Et moi, je leur dis toujours « Mais attendez, la timidité, c'est pas une maladie. Ça peut être un handicap, effectivement, dans la vie, ça peut être compliqué, mais c'est pas une maladie, on n'a pas de médicaments, on ne soigne pas la timidité. On peut, par contre, comprendre ce que c'est que d'être face aux autres. On peut... Je reproche beaucoup à l'école que le corps, à part dans le sport, il ne soit jamais exploré. Ni la parole, ni la voix, très rarement. On ne travaille pas la voix au collège, ni au lycée, ni dans d'autres écoles comme ça. Quelquefois, aux primaires, on pourra avoir une discussion sur l'école. Je suis désolé, je dévie. Mais l'idée, c'est de s'attacher à la singularité de chacun, de les regarder quand ils sont 10, 12, 20, et de trouver les petits fils, les clés. On va pouvoir dénouer avec eux pour qu'ils se sentent à l'aise sur un plateau, pour qu'ils puissent s'exprimer, pour qu'ils puissent laisser transparaître leur humanité. Et ce qu'ils sont, vraiment, puisqu'on parle souvent de mise à nu, mais ça reste ça, ça reste de transcrire leur humanité dans un endroit, quel qu'il soit. Et avec une exigence, ça ne veut pas dire être gentil, ça ne veut pas dire ne pas être exigeant, ça ne veut pas dire... que je laisse tout passer et que je ne mets pas un cadre. Bien au contraire, puisqu'on a besoin de ce cadre, on a besoin de ces contraintes pour être libre, pour y aller. Et après, les adultes ont beaucoup de valises. Ils ont entassé dans leur valise des choses. Donc là où ça va être plus compliqué, les enfants, ils ont très peu de valises. Ils en ont quelquefois, tout de même, cachées. Mais ils les amènent rarement sur un plateau, parce qu'ils sont capables, eux, ils vivent à la minute. Donc c'est très facile, puisque c'est ce qu'on demande aux comédiens, c'est d'être à l'instant. Donc eux, ils sont déjà à l'instant, tout de suite. Et les adolescents... C'est différent quand je travaille avec des adolescents que je connais ou que je ne connais pas. Quand je les connais, ça veut dire que je les ai depuis plusieurs années. Et là, il y a une confiance mutuelle qui s'installe. Et là, on peut aller vraiment loin, on peut aborder de grands textes, on peut aborder de grandes choses. Ce que font la plupart des compagnies, d'ailleurs, c'est une espèce de fidélité comme ça. Et moi, j'adore avoir un enfant de 8 ans. Et tu vois, j'ai un groupe en ce moment, un groupe de 14, 15, un groupe de 17. Et quand je les vois jouer, je me rappelle d'eux à 8 ans avec leur... Leur timidité justement, ou leur appréhension, ou leurs doutes, etc. Et quand je les vois à 17-18 ans, se lâcher complètement sur scène, je suis tellement fier d'eux, de ce que le théâtre a pu leur amener, j'espère, dans leur vie. Donc je n'ai pas de méthode, je les regarde juste. J'essaie d'avoir un regard aiguisé sur eux, gentil, d'être présent, d'être là. Vraiment, comme un photographe. Ça m'a passionné la photographie à un moment dans ma vie. J'étais nul en tant que photographe, mais j'adorais ce processus-là qui allait attraper quelque chose qui n'existe pas. C'est-à-dire la photographie, elle prend un instant qu'on ne connaît pas, qu'on ne voit pas, qu'on ne peut pas voir. Et le théâtre, ça doit aussi être ça, c'est-à-dire saisir un instant que l'autre est incapable de voir, est incapable même de se dire que je peux faire ça et toi tu dois pouvoir le saisir et le mettre sur scène au travers d'un texte ou d'autre chose.
- Christine
Ce qui m'a frappée en tant qu'adulte, ayant participé à tes ateliers, c'est la place que tu donnes au corps dans les ateliers. Est-ce que ça, ce n'est pas aussi une façon d'inviter les adultes à déposer un peu les valises ? C'est-à-dire, pas forcément aller absolument tout le temps sur le texte et la voix, pour le coup, mais aussi passer par le corps, le déplacement, des jeux entre adultes. Pour le coup, moi, j'étais avec des adultes dans cet atelier. Est-ce que ce n'est pas aussi une manière de les aider à se lâcher, comme tu disais, à essayer de... Peut-être d'être plus là et de lâcher un peu le texte, de lâcher la mémoire.
- David Morazin
Si, forcément. Mais c'est aussi parce que je pense que les gens se trompent sur le théâtre. C'est-à-dire, je te dis ça avec toute mon humilité, puisque moi je trimballe aussi, et j'adore ça, je trimballe le syndrome de l'imposteur, puisque je n'ai pas fait d'école, etc. Donc c'est très intéressant ça, à trimballer. Ça laisse une grande liberté d'ailleurs, ça. Et par rapport au corps... Surtout que les gens pensent que le théâtre ce sont des mots, ce qui est vrai, ce sont des mots, une fiction, etc. Mais avant tout, ce sont des corps qu'on a besoin sur scène. Un comédien c'est un danseur, alors il ne va pas forcément danser. dans une chorégraphie ou autre, mais ça reste un danseur, ou ça reste un marcheur, ou ça reste un immobile. Donc c'est un corps, c'est juste ça. Et puis, à un moment, viendront des mots, peut-être, ou ensemble, qui vont traverser ce corps, avec cette voix, ce qu'on parlait tout à l'heure au tout début, avec cet outil, ce n'est pas vraiment un outil. Donc oui, c'est une façon qui dépose la chose, mais je pense que les gens vraiment se sont persuadés parce qu'on traîne le théâtre. C'est-à-dire, oui, ils pensent que, comme il y a eu Molière ou Shakespeare ou tous ces gens-là, que ça reste des mots puissants, évidemment, et que donc il faut d'abord les dire, ces mots, il faut d'abord les... Enfin, moi, je pense qu'il faut juste les mâcher, les mots, et avoir des corps qui puissent, eux aussi, être mâchés, être là, quoi, tu vois, détachés de leur... de leur lourdeur ou de leur légèreté. Vraiment, je pense que c'est que ça.
- Christine
Est-ce que tu penses que ça se joue différemment pour toi entre les comédiens que tu as toutes les semaines et les comédiens que tu as de manière plus ponctuelle ? Je parle de ça parce que toi, tu as différents types de projets dans ton année. Moi, j'ai pu participer à un projet qui s'appelle La Fabrique à rêve, qui est un peu l'aboutissement d'une année de travail en théâtre. Et puis, il existe aussi des projets plus ponctuels avec un gros projet l'été. Est-ce que tu penses qu'entre un travail à l'année et un travail ponctuel sur l'été, comment ça se joue, cette temporalité-là, pour faire en sorte que les gens jouent du théâtre, qu'ils soient à l'année avec toi ou qu'ils soient sur des projets plus resserrés, on va dire, sur l'été ?
- David Morazin
Je ne sais pas trop comment elle se joue. Déjà, moi, je ne fais aucune différence entre les comédiens, quels qu'ils soient. Même s'ils sont professionnels, quelqu'un qui joue c'est quelqu'un qui joue. Il y a des gens qui sont passés par des écoles, il y a quelques génies dans l'histoire qui savent tout faire. Je n'ai jamais trop fait de différence. Là il y a un prochain spectacle qui va se monter avec cinq filles, professionnelles. Je sais que je pourrais aller plus loin avec elles que si je le faisais avec cinq amatrices, mais ça ne va rien changer. Ça va juste changer ma façon d'aborder la chose. Je vais l'aborder des fois de manière plus pointue, ou avec des jeux, il y a toujours le mot exercice, je n'aime pas trop ce mot-là, mais qui vont être plus... Je vais pouvoir empiler les couches de jeux, d'exercices, etc. parce que je sais qu'elles vont avoir cette capacité, qu'elles ont été formées pour ça, etc. Et qu'un amateur, quelquefois, va devoir, à un moment, ne va pas pouvoir tout gérer. Mais sinon, ça reste la même chose. Et après, pour cette histoire de temporalité... Ce que je sais, c'est que je prépare, comme on a un cerveau qui est très disponible, l'humain qui est... Donc moi, je prépare beaucoup de choses. J'écris peu. Je prépare, je prépare. Je réfléchis et j'essaie juste d'être à l'instant. Je prépare mes séances, je prépare ce que je vais faire, mais j'ai besoin d'être là avec eux. Je ne peux pas imposer à quelqu'un de dire, il faut être là à l'instant, etc. Et si moi, je n'y suis pas... Donc moi quand je démarre, je sais que mes ados adorent ça par exemple, parce qu'ils savent jamais avec moi ce qu'on va faire. Même si je leur dis la semaine prochaine on fait ça, et en fait j'arrive et si quelqu'un dit un mot, je peux partir sur totalement autre chose et trouver le lien après avec ce que j'avais prévu. Je me laisse toujours en portée avec eux, vraiment. Donc les temporalités, les groupes différents, les âges différents, les projets différents, c'est la même chose. Je me fixe des objectifs, je me... En tout cas, je me donne une vision, un chemin avec quelque chose à atteindre au bout. Et puis, je vois qui j'ai en face et je me laisse porter par eux, par moi. Évidemment, ils attendent de moi quelqu'un qui dirige, c'est-à-dire qui va donner une direction et qui va s'y tenir. Mais si les gens savaient dans ma tête ce qui passe, peut-être ça les affolerait parce qu'en réalité, je... Tu vois, j'empile les choses. J'adore le millefeuille, tu sais, le gâteau. Et donc, je pense qu'on est... Il faut des couches comme ça, qui sont visibles. Il ne faut surtout pas les effacer, d'ailleurs. Et puis, il y en a qui se perdent de vue, qu'on perde dans notre mémoire. Mais on empile les couches comme ça, successives de rencontres, d'expériences. Et un comédien, ça va être ça. On va empiler les couches comme ça, successives. Le corps, le texte, etc. Les intentions de mise en scène. Mais sans perdre... évidemment jamais derrière ce qui s'est fait au tout début même si on s'en sert plus donc j'essaie d'empiler les couches comme ça avec eux voilà de voilà et puis à un moment on arrive à la couche finale et on a une performance un spectacle on a quelque chose voilà d'abouti Donc ça peut durer 15 jours, il peut être 40, 10, 2, c'est la même chose, je m'adapte à cette temporalité.
- Christine
Est-ce que tu sais, tu as parlé de liberté tout à l'heure, quand tu parlais de syndrome de l'imposteur, et tu disais que ça a apporté la liberté aussi. Est-ce que c'est ça un peu la liberté dont tu parles ? C'est de procéder comme ça ?
- David Morazin
Ah ouais, c'est vrai, je n'y avais pas vraiment pensé. C'est vrai, sans doute. Effectivement, ça doit être ma forme de liberté. J'ai découvert ma liberté, tu sais, quand j'ai découvert que Sartre avait dit à un moment, je ne suis pas spécialement, je ne suis pas du tout un spécialiste de Sartre, je pense qu'il y en a plein d'autres qui ont dû le dire comme lui, il a dit que c'était une chance de ne pas avoir connu son père, parce que ça l'avait empêché de rentrer dans une lignée, ce qui est un peu mon cas. Et donc le jour où je me suis dit ça, où j'ai inversé, j'ai fait un 180 degrés, où je me suis dit tiens, mais non, c'est une chance que j'ai eue de ne pas connaître mon père justement. Ça me laisse une totale liberté de ce que je vais faire de ma vie, etc., de ce que je veux en faire, même si je sais que les enfants, les adolescents grandissent en se disant « je vais à l'opposé de mes parents » ou « je suis mes parents » . Mais quand on n'en a pas, on va chercher ailleurs, c'est toutes ces figures paternelles ou autres. Mais il y a une certaine liberté. Et donc, oui, effectivement, je pense que ma liberté, c'est de me laisser porter par le groupe, par l'aventure qu'on va vivre ensemble, par... Quelquefois c'est deux jours de travail, quelquefois c'est quinze jours. Et je sais qu'il faut qu'au bout du compte on ait quelque chose. Mais voilà, la plupart des metteurs en scène, bien avant moi, l'ont dit. Quelquefois un spectacle ça peut se créer que la veille. Alors des fois c'est difficile à accepter pour certains. Mais oui, je pense que j'ai une forme de liberté dans ce fonctionnement.
- Christine
Dans les personnes avec lesquelles tu travailles, les comédiens, les comédiennes qui sont enfants, adultes, adolescents, est-ce que tu as l'impression qu'ils aiment leur voix ? la plupart du temps ou est-ce qu'ils peuvent être en difficulté avec cette voix ?
- David Morazin
Quelques-uns, c'est assez rare ça m'est arrivé quelques personnes effectivement qui avaient je ressentais quelques appréhensions sur leur voix après je pense assez peu parce que la voix tu sais ils ont tous cette difficulté que les humains ont c'est-à-dire depuis qu'on a inventé l'enregistreur dès qu'une personne entend sa voix C'est très rare qu'elle l'aime. C'est vraiment assez rare. Je ne crois pas que ça m'ait arrivé de croiser quelqu'un qui m'a dit « Oh, j'adore ma voix enregistrée » . Ça doit exister évidemment. Mais quand j'ai enregistré des comédiens, souvent, ils avaient du mal sur la première écoute de leur voix. Et ça arrive régulièrement dans les ateliers, d'avoir besoin d'une voix off qu'on enregistre. Ça, c'est assez rare. Je ne sais pas trop s'ils aiment leur voix ou pas. Par contre, je sais qu'ils ont du mal, certains, à... nous la livrer, à nous la donner. Ça, on voit bien qu'il y a des enfants ou des adultes où ils ont... c'est lié à leur histoire, ou alors quelquefois peut-être leur capacité aussi, je ne sais pas, là je ne suis pas spécialiste du corps humain, mais peut-être à leur capacité pulmonaire, ou alors... Mais on voit bien qu'il y a des voix qui ont du mal à sortir. comme ça, qui reste en retrait, en recul, comme quelquefois le corps aussi s'est lié, quelquefois les deux aussi. Donc moi, j'essaie juste de la faire sortir, cette voix. Et comme ils sont sur un plateau, ils ne se posent pas trop la question, je trouve, de comment ma voix va... Parce que je crois qu'on est obligé à un moment d'accepter, alors c'est très long d'accepter ce processus de s'aimer, ou d'accepter sa voix, son corps. d'accepter ce qu'on est, ça prend du temps. Moi j'essaie juste de les aider à ce que leur voix sorte, se libère, qu'ils puissent nous la livrer. Et ça peut être une forme peut-être pour eux de l'aimer, de l'accepter. Mais voilà, moi j'adore, souvent quand on fait des interventions dans des écoles, on est souvent confronté à des enfants qui ne parlent pas. Les petits j'entends, assez régulièrement. Les institutrices ou instituteurs nous disent « Ah ben, tel, il parle pas. Il dit très peu de mots. » Et donc là, l'idée c'est comment, à travers le corps, à travers le jeu, on va faire en sorte que tout à coup ces mots lui échappent et ça sorte. C'est une victoire incroyable. Souvent, tout le monde a un peu la larme à l'œil à ce moment-là. Et donc c'est un peu ça qu'on cherche en fait. On cherche à libérer soit les énergies, soit la voix, soit le corps. Et c'est forcément une victoire. J'entends une victoire justement sans récompense, enfin sans médaille au bout. Juste voilà, c'est sorti quoi, c'est sorti. J'ai une petite voix, mercredi dernier, qui a une toute petite voix, qui parle. Et on a fait un petit jeu, et à un moment, c'est sorti quoi. Et elle en était surprise, et puis tout le monde était surpris de savoir que non, elle peut parler très fort bien sûr. Donc maintenant c'est de faire en sorte qu'elle prenne cette place, voilà, et que ça sorte quoi, vraiment.
- Christine
T'as l'impression des fois de voir des personnes se transformer ?
- David Morazin
Oui, enfin oui et non, faut pas non plus...
- Christine
Non, c'est pas magique non plus.
- David Morazin
Ouais voilà, c'est ça, c'est pas magique, mais si quand même, si si quand même. Et puis je croise beaucoup de monde, donc j'essaie d'être attentif, peut-être certains je rate, tu vois, forcément par moments je dois rater des choses. Si si, j'ai des exemples qui me viennent comme ça. D'enfant, je suis fier parce que je suis, évidemment que je prends une position... Dans le bon sens du terme, maternelle ou paternelle, tu vois, en tout cas d'éducateur, de parent, tu vois, vis-à-vis d'eux, pour qu'ils sachent où est ma place, en sachant que je ne mets... J'en dis juste que je suis là, que nous sommes là. Qu'il y avait un auteur qui disait, mais tu te sens seul, tu n'es pas seul, le théâtre est là. Tu vois, il a un texte comme ça, et donc je leur dis, mais vous n'êtes pas seul, nous sommes là. Le théâtre est là, je suis là, Céline est là, c'est un endroit, ça s'appelle la Grande Ourse pour ça d'ailleurs, c'est un endroit, si ça va pas, vous pouvez venir. Et donc, oui, je me souviens, tu vois, j'ai une fille en tête là, qui est arrivée à ses 8 ans, qui était cachée derrière une autre, tu vois, et qui s'est révélée. Alors, c'est certainement pas lié qu'à mon travail, tu vois, parce que sinon ça serait trop... Facile de dire ah bah c'est moi, non non pas du tout je pense que c'est une concordance, pas une concordance mais des circonstances de tu vois de je la connais pas, ce sont des gens que je vois deux heures par semaine donc mais je sais qu'au théâtre elle s'est révélée et tu vois j'en suis vraiment ému parce que ça m'a tellement quand je l'ai vu l'année dernière jouer je me disais mais incroyable cette place qu'elle a, cette voix justement qui est posée, elle prend les mots, elle les assume tous. C'était tellement beau à voir, vraiment, tu vois. Donc oui, ça arrive que le théâtre puisse. Et c'est pas forcément moi, tu vois, c'est aussi le théâtre. Comme là, c'est aussi une des fonctions de l'art, quoi. C'est pour ça que j'en veux à l'école beaucoup, de ces effets d'annonce, quelquefois, et de ne pas mettre l'art au centre de l'école, aussi important que les maths, que tout ça, tu vois. C'est aussi important de savoir danser, je pense, que de savoir le théorème du Pythagore. Alors, ça sert pas de la même manière, mais c'est tellement dommage de pas savoir danser dans sa vie, de pas avoir appréhendé son corps. Et je pense que, voilà, moi je pourrais refondre toute l'école, tu vois, vraiment, j'ai un grand projet le jour où je vais me présenter, parce que, voilà, non pas du tout, mais je dis ça vraiment sérieusement. Par contre, voilà, je pense qu'en tout cas le théâtre doit permettre ça, de transformer si possible les gens, de les aider en tout cas dans leur métamorphose. Et quelquefois, même, je me souviens d'une fille où je lui ai dit, écoute, il faut que tu fasses une révolution, voilà, il faut que tu révolutionnes ta vie.
- Christine
Je pense qu'il y a plein d'endroits chez toi qui n'attendent que de sortir, d'exploser, etc. Donc on a travaillé la voix, notamment ce jour-là, parce que sa voix avait du mal à sortir. Donc on a bossé cette journée-là ensemble. Et j'espère que je la vois, j'ai l'impression qu'elle est en train de devenir un peu artiste d'ailleurs, elle avait déjà ça en elle, j'espère que ça va marcher pour elle. Mais nous ne sommes que des passeurs, vraiment.
- David Morazin
Comment tu l'accompagnes, toi, justement, à faire cette révolution ? On va justement plus assumer sa voix, peut-être ?
- Christine
Je ne sais plus trop, parce que c'est vieux ce que je te parle. C'était il y a 6-7 ans. Mais on a dû jouer, on a dû crier, on a dû s'amuser, tu vois. Tous les deux, tu vois, courir. Je ne sais plus trop ce qu'on a fait ce jour-là. Et puis, c'était un processus pas sur une journée. Ce n'était pas non plus... Tu n'es pas dit, dans deux heures, tu pars, tu as fait une révolution. Non, non, c'était un processus... Je lui ai dit, justement, c'est un processus que tu vas mettre en place aujourd'hui. Puis, il va être long. mais met en place ce processus de métamorphose. Voilà, vraiment. Donc moi je ne l'ai fait qu'accompagner un tout petit peu. Et puis elle, derrière, je crois qu'elle est en école d'art, je ne sais plus trop où elle est, je ne connais pas bien son école, mais voilà. Non, non, je n'ai fait que... Donc je ne me rappelle plus trop ce qu'on a fait, mais c'était plutôt de... Il faut que les mots, puisqu'on a une voix et qu'on utilise des mots, il faut quand même que ces mots... C'est une utilité, un sens, il faut qu'il rentre dans l'esprit, dans le corps de la personne et qu'il y ait une digestion qui se fasse, tu vois, vraiment. Parce que je sais que moi, de la place où je suis, c'est-à-dire celui qui est censé soit apprendre quelque chose à l'autre, soit regarder l'autre, et d'ailleurs qui est souvent un endroit que les gens confondent avec l'endroit de pouvoir, tu vois, qui n'est pas du tout un endroit de pouvoir, qui est juste un endroit de transmission ou même de... de guide, tu vois, plus ou moins, encore le mot guide, je ne sais même pas trop, mais de cet endroit-là, moi, je suis là pour que ceux qui n'aient pas confiance prennent confiance, voilà. Que si, tu vois, un enfant tout à coup est là et serré dans son corps, puisse à un moment le dénouer tout ça, et prenne confiance en elle, ou en lui, parce que ça concerne évidemment les garçons de la même manière. Enfin, peu importe le sexe d'ailleurs, mais voilà. En tout cas, ce que j'entends, c'est que ça passe par le jeu, encore une fois. Tu vois, ce que tu as décrit avec cette jeune fille-là dont tu parles, c'est que vous avez joué, vous avez crié, vous avez lâché, vous avez couru.
- David Morazin
Oui, parce que ça doit passer par un autre endroit. Mais ça doit passer par plein d'endroits. C'est-à-dire que si on fait de la philosophie au lycée ou ailleurs, ça sert aussi à ça, tu vois. Mais ça doit passer par... En fait, il faut détourner. L'attention, j'entends par là, il faut détourner la personne et l'emmener dans un endroit, le théâtre ou la photographie ou la peinture, peu importe, la danse. Et tu l'emmènes dans un endroit et cet endroit-là, il va y rentrer et puis il va laisser de côté ses craintes, ses blocages, ses peurs, ses angoisses, etc. et tu vois donc oui c'est c'est oui et moi j'utilise le jeu oui en l'occurrence suite est ce que l'instant tu peux pas l'objet d'art est ce que tu peux partir au moment où ça va sortir ça fait même sourire, tu l'as fait un petit peu tout ça, tu sais ? Tu sais, t'as toutes les images qui reviennent, ça va peut-être même un peu plus vite dans le débit, tu vois ce que je veux dire ? Oui, oui. On y va ? On va relancer, c'est ici ?
- Christine
Tout à l'heure, tu disais que le théâtre, ce n'était pas pour tout le monde. Et moi, la question que j'avais envie de te poser, c'est... Moi, je connais des gens qui auraient très envie quand même, tu vois. Alors, je parle d'adultes, pour le coup. Qui auraient très envie, mais qui ne se l'autorisent pas. Donc, est-ce que ça veut dire que dans ces cas-là, il ne faut pas insister ? Puis, ça veut dire que ce n'est pas pour eux ? Ou est-ce que quand même, il y aurait une petite manière de les inviter à tester, à goûter le théâtre ? Qu'est-ce que tu en penses ?
- David Morazin
Je ne sais pas trop. Je suis désolé, je dis souvent, je ne sais pas trop.
- Christine
C'est bien de ne pas savoir aussi.
- David Morazin
Non, non, voilà, parce que moi, je pense qu'il y a tellement de gens en ce moment autour de nous qui savent tout, donc qui nous assènent leur vérité. Je ne sais pas si, quand je dis que le théâtre n'est pas forcément pour tout le monde, c'est-à-dire que ce n'est pas forcément un endroit où tout le monde va pouvoir s'amuser, ou en tout cas se libérer, et tout trouver un lieu d'exutoire comme ça, etc. C'est-à-dire que peut-être que certains, ce sera la danse, d'autres, ce sera... Pourquoi pas le sport ? Parce que le théâtre pour moi c'est un sport de combat, un peu comme la fameuse sociologie là. Enfin bref, moi je crois quand même que si quelqu'un qui me dit « Ah j'aimerais bien essayer le théâtre mais j'ose pas trop » , moi je pense qu'il faut y aller. Parce que je te donne mon expérience, moi j'ai découvert le théâtre j'avais 13 ans, par un atelier du collège où j'étais, et je n'ai pas pu y aller. Donc je l'ai découvert, je suis allé voir les copains qui jouaient. J'étais dans la salle, et quand j'étais dans la salle, j'avais vraiment une envie d'essayer d'être avec eux sur scène. Je trouvais ça... Ça m'a tout de suite parlé. Sauf que pour des raisons... Peu importe les raisons, d'ailleurs, je n'ai pas pu le faire. Et donc, ça m'est resté toute ma vie. Et c'est à 33 ans où j'ai ouvert la porte d'un atelier théâtre. Et depuis, je ne l'ai pas refermé. Peut-être que je la refermerai un jour, je ne sais pas. Donc, je pense que si c'est dans ta tête, si ça trotte comme ça... Ouais, c'est comme si t'as envie de faire la cuisine, t'as envie un jour de faire de la cuisine, je pense qu'il faut y aller quoi. Voilà, faut y aller. Je pense qu'on est fait de passion. Et que d'ailleurs, tout est fait pour freiner nos passions, d'ailleurs souvent, tu vois. Alors que non, je pense qu'on doit se passionner toute sa vie, sinon d'ailleurs ça n'a aucun sens la vie si on se passionne pas de quelque chose. Alors, tu vois, même les jeux vidéo c'est pareil quoi. Si on est passionné de jeux vidéo, c'est parfait quoi. Il faut puiser, continuer cette chose là. Je sais pas pourquoi je parle de ça. Oui,
- Christine
parce qu'il n'y a pas de hiérarchie, je pense, c'est au sens, peut-être, c'est ça que tu veux dire.
- David Morazin
Oui, oui, il n'y a pas de... Alors, sauf évidemment les passions morbides, mais on parle de plein de passions qui nous élèvent, ou qui nous entraînent vers un endroit où on ne pensait pas pouvoir aller, et puis, si c'est le cheval, ta passion, il faut y aller, etc.
- Christine
Toi, tu m'avais partagé que tu aimais ta voix. Oui. Mais depuis toujours ? Ou c'est justement cette passion du théâtre qui t'a aidé à l'aimer davantage ? Ou est-ce que tu as le recul sur ça ?
Non, je ne crois pas que ce soit le théâtre. Non, non, j'ai toujours bien aimé ma voix. Enfin, je n'ai jamais eu de problème avec ma voix, tu vois. Ça ne m'a jamais... Peut-être parce que j'aime bien la radio. Et je n'ai jamais fait vraiment de radio, mais quand on était enfant, je me souviens, avec un copain d'enfance, on s'était enregistré nos testaments. On ne sait pas pourquoi, comme ça... je devais avoir 12 ans, 13 ans et on avait enregistré sur une cassette nos testaments et on l'a enterrée cette cassette là, on l'avait écoutée avant et on l'a enterrée donc elle est toujours enterrée dans un coin de la Normandie là puisque je viens de là enfin je suppose dans une boîte en métal etc. et bref et donc ma voix moi je l'ai entendue assez tôt parce qu'à l'époque on s'enregistrait beaucoup, le clématophone c'était l'époque des radios libres j'ai pas fait de radio mais il y avait ça et donc Au moins oui, elle m'a jamais gêné ma voix. Je ne suis pas là à dire que je m'enregistre tous les matins pour m'écouter. Mais non, j'aime bien ma voix. Mais j'ai appris forcément à m'aimer aussi comme tout le monde. Et puis surtout, je pense qu'il faut s'aimer au travers du regard des autres. C'est-à-dire qu'à un moment, il faut quand même écouter les autres. Et quand les autres te disent que par exemple, tes cheveux sont super, je pense qu'il faut se dire, mes cheveux sont super, effectivement. Ou mes yeux sont super, ou ma voix est superbe. C'est quand même les autres qui nous renvoient ça, quelque chose, une image de nous. Donc moi, dès qu'on m'a renvoyé une image, j'étais un enfant plutôt... Ils appellent ça populaire en ce moment dans les collèges et les lycées. Je pense que j'ai eu des périodes où j'étais populaire dans certains lycées ou collèges. Et j'ai eu des endroits où j'étais par contre totalement tétanisé, introverti. Je suis passé un peu par toutes les phases, moi. Mais maintenant, je suis ce que je suis et j'ai appris à m'aimer comme je suis. Voilà, avec tous mes défauts. tout ce qui va avec toi et quelles sont les voies qui t'inspirent ou te nourrissent à toi dans mon métier il y en a plein là je vais en rater plein tu vois mais comme ça trintignant bouquet C'est plutôt des gens vieux, d'où mon âge. Mais je ne sais pas, comme ça, c'est les deux seuls qui me viennent. Après, il y a des voix, évidemment, comme Jeanne Moreau, qui ont une voix comme ça incroyable. Mais je suis beaucoup aussi voix de radio. J'ai été faire une fois une figuration, parce que petit, j'étais comme tout le monde amoureux de la voix de Fanny Ardant. On a l'impression qu'elle a travaillé sa voix, c'était incroyable. Mais je suis très sensible aux voix. L'autre jour, j'ai écouté un morceau de... d'un chanteur que j'aime pas particulièrement, et dedans il y avait la voix de Truffaut, et j'ai adoré entendre saisir sa voix comme ça, il y avait un... Moi j'adore saisir, on est beaucoup à faire ça, tu sais dans la rue, les voix des gens, les discussions, beaucoup téléphoniques maintenant, parce que notre métier de comédien nous donne à, on est obligé tout le temps de regarder les autres en permanence et de les prendre en nous, d'aller chercher tout ce qu'ils sont, leurs gestes, leurs mots. Et donc j'adore, moi, dans la rue, entendre les voix, des bouts de discussion, des engueulades, tout ça. Je ne sais pas si ça répond bien à ça, mais des voix, je pense que je pourrais t'en trouver. D'ailleurs, si j'en écoute l'émission, forcément, je vais dire, mais pourquoi je n'ai pas pensé à cette voix-là ? Alors qu'il y a plein de voix, il y a même des voix étrangères aussi. Je trouve que, quelquefois, il y a des gens qui font un procès sur la version, sur la VO, qui disent que, si, si, c'est quelque chose qui est... Comment dire, élitiste ou je ne sais quoi. Alors que j'adore aussi le doublage. Je trouve que c'est un métier incroyable, le doublage. Il n'y a pas très longtemps, je regardais, par hasard, je ne regarde jamais la télé, mais il y avait un épisode, là, il se trouve, de Columbo. Ce doublage-là était incroyable quand on était enfant. Et j'adore regarder, j'adore la voix de Peter Faulk. Donc je suis sensible aux voix, à toutes les voix. Vraiment, je trouve que c'est tellement un morceau d'intérieur qui sort. C'est pour ça que j'adore la radio. même si je me retrouve très peu en ce moment dans les radios de ce qu'ils peuvent nous raconter, mais quand même c'est un endroit, je crois que je te l'avais dit, mais j'ai pu m'endormir avec Macha Béranger à une époque, ou avec le pop club de José Arthur, merci, etc. Je suis très sensible aux voix. Et en tant que comédien évidemment que Bouquet a une voix incroyable. Je suis désolé pour les acteurs de maintenant qui ne me viennent pas comme ça, mais je suis très sensible à ça, évidemment. Est-ce que tu as un dernier élément à partager avec nous ?
- David Morazin
Je ne sais pas, je pense qu'il faut écouter les gens. Il faut les entendre aussi, écouter leur voix, entendre ce qu'ils ont à dire. Je crois qu'on n'a besoin que de ça en ce moment, dans ce monde qui nous tombe dessus. Alors qu'en réalité, le monde est comme ça depuis toujours, j'ai l'impression. Je ne vis pas depuis très longtemps. J'ai l'impression qu'il a toujours été comme ça, violent. Mais on voit bien qu'il nous arrive dessus, cette loi du plus fort dont on parle en ce moment. Tout ça nous tombe dessus. Enfin, nous tombe dessus. Non, tout ça est mis au grand jour de manière... On n'a plus besoin de se cacher pour faire ça. C'est quasiment ça. Donc, je pense qu'il faut écouter les gens, les entendre, leur dire qu'on n'est pas d'accord. Essayer de parler, de parler. Parce que je pense que si on a en plus cette capacité à parler... Je ne sais pas si les gens qui sont muets aimeraient parler, j'imagine que oui, je n'en sais rien, je parle de quelque chose que je ne maîtrise pas. Mais à partir du moment où on a cette capacité de parole, il faut parler. Parler entre nous, parler. Quitte à s'engueuler, quitte à ne pas être d'accord, quitte à reprendre cette discussion, mais il ne faut jamais s'arrêter de parler. Parler, ça veut dire laisser l'autre parler aussi. Ce n'est pas parler sans cesse, parler et avoir un discours devant une tribune et puis je m'en vais. Non, non, c'est parler tout le temps et dire on parle. Je t'écoute. Qu'est-ce que tu veux me dire ? Comme tu fais en ce moment. Et je réponds à ça et on se répond, etc. Vraiment, il y a... Non, j'aurais que ça à te partager. Vraiment.
- Christine
C'est parfait. Donc je te remercie infiniment, David, de m'avoir accueilli ici, à la Grande Ourse.
- David Morazin
Merci à toi. Merci beaucoup.
- Christine
Un grand merci à David pour la sincérité et la liberté avec lesquelles il a répondu à mes questions. Merci également aux comédiennes et aux comédiens. qui m'ont très gentiment accueilli au cours de leur atelier. Je vous invite maintenant à découvrir le remarquable travail de la compagnie Tout droit jusqu'au matin en vous rendant sur leur site internet, dont l'adresse est mentionnée dans la description de cet épisode. Merci à vous d'avoir écouté cet épisode d'On n'a qu'une voix jusqu'au bout. S'il vous a plu... Abonnez-vous dès maintenant pour ne pas manquer la voix de mes prochains invités. Et pour soutenir mon podcast, je vous propose de le noter et de le commenter sur votre application d'écoute préférée. Enfin, un merci tout particulier à Émilie Décla, qui a créé et interprété toutes les musiques d'On n'a qu'une voix. Retrouvez l'actualité du podcast sur le compte Instagram ou LinkedIn, entre voix et mots. À bientôt !