undefined cover
undefined cover
Une voix d'ailleurs | Harriette Elenburg cover
Une voix d'ailleurs | Harriette Elenburg cover
On n'a qu'une voix

Une voix d'ailleurs | Harriette Elenburg

Une voix d'ailleurs | Harriette Elenburg

33min |11/11/2025
Play
undefined cover
undefined cover
Une voix d'ailleurs | Harriette Elenburg cover
Une voix d'ailleurs | Harriette Elenburg cover
On n'a qu'une voix

Une voix d'ailleurs | Harriette Elenburg

Une voix d'ailleurs | Harriette Elenburg

33min |11/11/2025
Play

Description

Une voix, 5 langues.
Et un parcours incroyable.
C’est ce parcours qu’Harriette Elenburg nous raconte dans cet épisode, dans un français impeccable, mais coloré d’un accent qui évoque un ailleurs.


Elle est née au Curaçao, une petite île des Antilles aujourd’hui autonome, toujours rattachée au Pays-Bas.
Elle commence d’abord par parler le papiamento, sa langue maternelle. Et très vite, le néerlandais arrive à l’école, suivi de l’anglais, de l’espagnol et du français.

Et si vous écoutez l'épisode avec attention, vous allez découvrir qu'une 6ᵉ langue s'est fait une place dans son quotidien et dans celui de sa famille...

Avec Harriette, nous allons évoquer :
- ce que sa voix et son accent disent de ses origines, de son parcours ; 

- la place qu’elle a donnée à chacune des langues qu’elle a apprises, entre cœur et raison ; 

- en quoi sa voix est un atout dans le cadre professionnel.

Un épisode qui nous invite à adopter une oreille plus douce et un regard ouvert sur les voix qui viennent d’ailleurs.

Bonne écoute !

________


Suivez l'actualité du podcast sur le compte Entre voix et mots : Instagram ou LinkedIn.


Je vous invite à vous abonner au podcast sur votre application d'écoute préférée.

Vous pouvez aussi le noter ⭐⭐⭐⭐⭐ sur Apple podcast ou Spotify : merci par avance pour cette aide précieuse !


Vous avez envie de partager l’histoire de votre voix ?

📩 Contactez-moi à l’adresse suivante : christine.irabola.redac@gmail.com.


Crédits :

  • Réalisation, montage, mixage : Christine Irabola

  • Musiques et chants : Émilie Décla

  • Hébergement : Ausha



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Christine

    On n'a qu'une voix, un podcast pour découvrir ce que cache notre voix. Chaque mois, venez à la rencontre de mes invités qui lèvent le voile sur l'histoire singulière de leur voix. Au programme, des voix parlées, des voix chantées, des voix jouées et des voix parfois malmenées. L'intention ? Vous procurer des émotions, vous faire voyager, vous apporter des conseils et vous proposer un pas de côté pour vous inviter à aimer votre voix. Dans cet épisode, vous allez entendre la voix d'Ariette Ellenberg. Ariette est née au Curacao, une petite île des Caraïbes, rattachée aux Pays-Bas mais aujourd'hui autonome. Sa langue maternelle c'est le papillamento, un créole parlé dans les territoires néerlandais. Et quand on grandit dans une île à la croisée des chemins entre l'Amérique centrale, les Antilles hollandaises et le Venezuela, on apprend très tôt à parler plusieurs langues en même temps. Alors avec Ariette, nous allons évoquer ce que sa voix et son accent disent d'elle et de son parcours, la place des langues dans sa vie et dans celle de sa famille, et enfin... En quoi sa voix est un atout dans sa sphère professionnelle, en tant que formatrice et enseignante à l'université. Un épisode qui nous invite à adopter une oreille plus douce et un regard plus ouvert sur les voix qui viennent d'ailleurs. Bonne écoute !

  • Harriette

    Bonjour, je m'appelle Harriette Elenburg. Je vais prononcer mon nom de famille tel que ça se prononce. Et je suis née à Curaçao. Curaçao, c'est une île qui se trouve dans les Caraïbes, pas très loin de Venezuela. Et on fait partie de ce qui était avant, ça s'appelait les Antilles hollandaises. On est toujours dépendant de la Hollande, mais on est autonome dans le sens qu'il y a un gouvernement au niveau de l'île Curaçao. Donc moi je suis née à Curaçao, j'ai vécu jusqu'à l'âge de 18 ans à Curaçao. Et après, je suis venue étudier aux Pays-Bas. Pendant un certain nombre d'années, j'ai vécu aux Pays-Bas. Et quand j'ai terminé mes études, je suis venue vivre en France, à Paris.

  • Christine

    Et aujourd'hui, tu dirais que la voix a quelle place dans ta vie ?

  • Harriette

    La communication, elle est importante de toute façon. Donc, du coup, pour moi... Pour tout être humain, la voix, elle est importante. Elle a une place importante parce que sans la voix, on ne peut pas communiquer.

  • Christine

    Et pour toi en particulier, tu dirais quoi ?

  • Harriette

    Peut-être c'est parce que, d'un, je ne suis pas une Française. Donc du coup, quand j'habite en France, ça s'entend direct que je ne suis pas Française. Et donc du coup, je peux être amenée à tout le temps. expliquer d'où je viens, à tel point que, bon, je ne l'ai pas encore fait, mais je pourrais me balader avec une petite carte qui explique tout simplement, tout le temps, les mêmes phrases que je viens de dire. Je suis née à Curaçao. Curaçao, c'est une petite île qui se trouve dans les Caraïbes, à côté de Venezuela, etc. Parce que c'est tellement petit que personne ne va connaître, donc je l'explique tout le temps. Et voilà, donc dans ce sens-là, déjà, ma voix, elle... Je pense qu'il y a deux choses. Il y a le fait que j'ai un accent quand je parle en français et aussi le fait que... la façon comment je parle. Parce qu'en français, il y a peut-être plusieurs... C'est plus nuancé, il y a plus de diplomatie, etc. Et dans ma langue maternelle, et aussi peut-être avec l'éducation hollandaise que j'ai eue par l'école et tout ça, on est beaucoup plus direct.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Donc du coup, même si je parle en français, je vais être beaucoup plus directe.

  • Christine

    Oui, c'est-à-dire que tu as gardé finalement les codes culturels qui sont les tiens.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    Mais que tu as transposés dans la langue française.

  • Harriette

    Oui. Parce que je pense que ça, c'est très difficile à perdre. Donc, même si moi, j'ai l'impression de faire beaucoup d'efforts, je peux me trouver très facilement dans des situations où je me suis rendu compte que l'autre a trouvé que j'étais trop directe.

  • Christine

    D'accord. Donc en fait, ta voix finalement, elle dit une partie de ton histoire. Est-ce que tu es d'accord avec ça ?

  • Harriette

    Oui, oui, je pense. Je pense que direct et indirect, consciemment et inconsciemment, oui.

  • Christine

    Parce que tu as parlé d'accent. Tu disais qu'on t'interrogeait souvent là-dessus. Est-ce que c'est quelque chose qui est pesant pour toi quand on te renvoie toujours à ton accent, d'où il vient, etc. ? Comment tu le vis, toi ?

  • Harriette

    Après, je suis... Il y a deux choses. Après, ça dépend. Parfois, on a plus envie ou plus d'énergie à expliquer les choses que d'autres. Après, ça dépend aussi de comment la question, elle est posée. Parce que parfois, on ne sent pas l'interlocuteur, la façon comment la personne nous pose la question et qu'on a envie de dire je suis en train de parler français avec vous. Donc, je crois que vous me comprenez. Mais donc, ça dépend comment la question, elle est posée. Et dans quel contexte. Mais sinon, en règle générale, ça ne me gêne pas trop d'expliquer. Je comprends pourquoi cette question, elle arrive. Il y a aussi le physique, on peut voir aussi, je suis noire, donc on voit que je suis d'ailleurs, ça se voit.

  • Christine

    Est-ce que tu aurais des anecdotes à nous raconter où ton accent a été un obstacle pour toi ? Ou à l'inverse, ça a été un atout ? Est-ce que tu as souvenir de ça ?

  • Harriette

    Je pense que faire l'accent un atout, peut-être par des moments, je peux me sauver la mise, où on me retorque un mot que j'ai employé et que je peux dire, vous comprenez, je ne suis pas française, je n'avais pas employé peut-être le bon mot au bon escient. Donc du coup, je gagne du temps et peut-être voir des points là-dessus. Donc là, parfois, je peux rattraper peut-être une erreur que je n'ai pas voulu commettre, mais bon, voilà. Et donc ça, c'est d'une.

  • Christine

    Et l'accent comme obstacle ?

  • Harriette

    Et obstacle, c'est... mais bon, je ne sais pas si c'est l'accent qui est un obstacle ou déjà, comme je dis, l'image. On voit d'abord déjà que je suis d'ailleurs. Après vient la parole et après on est, je veux dire, des Antilles. Il y a les Antilles françaises. Donc on peut aussi penser que je suis guadeloupienne ou martiniquaise. Donc du coup, effectivement, quand j'ouvre la bouche, on va entendre que je ne suis pas ni martiniquaise ni guadeloupienne parce qu'on n'a pas le même accent.

  • Christine

    Tout à fait.

  • Harriette

    Ou île de la Réunion. Je veux dire les îles. les dom-toms.

  • Christine

    Et alors, par rapport aux langues que tu parles depuis jeune, est-ce que tu peux nous dire quelles langues tu parlais déjà quand tu étais enfant ? Parce que je pense que tu en parlais plusieurs déjà quand tu étais enfant.

  • Harriette

    Oui, donc à Curaçao, quand moi j'ai fait... Ma scolarité, la langue d'enseignement était le néerlandais. Donc, du coup, à partir du moment que j'ai commencé à aller à l'école maternelle, donc avec mes trois ans, j'ai commencé à entendre le néerlandais. Bien que mes parents, ma mère, elle lit beaucoup, mais ça n'empêche que ma mère, elle ne me parlait pas en néerlandais. Mes parents, à la maison, on parle le créole de Curaçao, qui est une langue. qui s'appelle le papiamento. Après, mes parents, ils avaient déjà des amis néerlandophones, donc peut-être que je l'avais déjà entendue, cette langue. Mais vraiment, apprendre, on va dire, c'est à l'école, à la maternelle, et donc à peu près avec l'âge de 3 ans, et après jusqu'à mes 18 ans, parce que pendant toute la scolarité, toutes les matières étaient enseignées par le néerlandais. Donc du coup, dans la classe, le maître ou la maîtresse nous parlait ou le professeur nous parlait en néerlandais. Après, je pouvais être à côté d'une copine à qui je parle en papiamento, mais quand je m'adresse au professeur, je vais m'adresser en néerlandais au professeur. Donc voilà, du coup, ces deux langues cohabitaient, on va dire, à partir de... de très jeune âge déjà. Et après, à Curaçao, comme on est une île, et dépendante du tourisme, c'est une source de revenus économiques, la proximité avec le Venezuela, donc on apprend à l'école, avec l'âge, je pense, à peu près 10-11 ans par là, on commence à apprendre l'espagnol et l'anglais. Mais ça va assez vite parce que l'espagnol, ça fait longtemps qu'on l'entend déjà à la télé. Et pareil pour l'anglais, on est quand même très axé vers les États-Unis. Donc, on a déjà entendu l'anglais. On ne va peut-être pas tout comprendre, mais on l'a déjà entendu. Donc, du coup, ces deux langues, on va assez vite avancer là-dedans. Et par exemple, le... les examens, parce que si on passe l'examen, on va dire l'équivalent du bac à Curaçao, ou on le passe à Amsterdam, c'est le même bac, sauf que la matière espagnole, par exemple, ce n'est pas les néerlandophones qui vont préparer les sujets pour les Antilles, parce qu'ils savent très bien que si eux, ils le préparent à Amsterdam pour que nous, on le passe, on aura tous réussi. Donc du coup, c'est préparé aux Antilles pour les Antillais. Et ce n'est pas les mêmes examens que ceux de métropole, ils passent.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Parce que nos niveaux ne sont pas pareils.

  • Christine

    Donc en fait, le papiamento n'avait pas ou n'a toujours pas sa place à l'école, c'est ça ?

  • Harriette

    Aujourd'hui, oui.

  • Christine

    Aujourd'hui, oui. Mais à ton époque, non, ce n'était pas le cas.

  • Harriette

    Non. Voilà. Et moi, je n'ai pas appris le papiamento comme langue, je ne l'ai jamais appris. Je veux dire, je ne l'ai pas appris à l'écrire, à le lire. Et donc, du coup, aujourd'hui, je l'écris, mais je l'écris de façon phonétique.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Donc, je sais qu'il y a plein d'accents dans tous les sens que je n'emploie pas parce que, voilà.

  • Christine

    Et est-ce que toi, tu dirais que c'est ta langue maternelle, le papiamento ?

  • Harriette

    Ah oui, c'est ma langue maternelle, oui.

  • Christine

    Et le néerlandais, pas forcément ?

  • Harriette

    Non, ce n'est pas ma langue maternelle, mais... Bon, je pense qu'on se considère un peu bilingue aux Antilles parce qu'on a tous appris quasiment en même temps le néerlandais. Mais bon, non, ma langue maternelle, c'est le papiamento.

  • Christine

    Donc là, tu nous as parlé du papiamento, du néerlandais, de l'anglais et l'espagnol. Aujourd'hui, tu parles français aussi. C'est arrivé quand le français ?

  • Harriette

    Ah ben, à Curacao, déjà, j'ai commencé à apprendre le français parce que... À un moment donné, je ne sais plus à quel âge, à un moment donné, il faut faire un choix dans le cursus scolaire. Et on a soit l'allemand ou le français qui s'ajoutent, un des deux. Donc, j'avais choisi le français et que j'avais gardé jusqu'à la fin, optionnellement. Donc, je n'avais pas l'obligation de le garder. Je ne sais plus combien de temps c'est obligatoire. On va dire un an ou deux, peut-être. Et moi, j'ai dû le garder quatre ans. Mais bon, ça, c'était une langue purement théorique. Parce qu'à Curacao, tu n'entends pas parler le français. Donc, quand tu n'entends pas parler une langue, tu ne parles pas la langue. Donc, je me rappelle que dans le cours avec un des derniers professeurs que j'avais, qui s'arrachait les cheveux avec nous, parce que lui, il nous parlait, la majorité du temps, on ne comprenait pas ce qu'il disait. On devait lire des livres à la fin pour passer l'équivalent du bac, il fallait lire des livres en français. Le mot est passé parmi les lycéens comme quoi il fallait lire Le Petit Prince parce qu'il n'y a pas beaucoup de pages, donc tout le monde s'est rué à la bibliothèque pour aller chercher Le Petit Prince. On l'a tous lu, personne n'a compris Le Petit Prince. Personne n'a compris. Et donc on était là en espérant que personne ne va nous demander à l'oral parce qu'on ne pourrait pas parler de ça. Et pareil, j'ai dû... La première fois que j'ai lu L'étranger de Camus, c'était aussi à Curaçao, mais la moitié du livre, je n'ai pas compris. Mais bon, voilà, c'était comme ça. Donc, voilà.

  • Christine

    Alors aujourd'hui, toutes ces langues, elles ont quelle place dans ta vie ?

  • Harriette

    Disons que le français, j'habite en France, donc je parle tous les jours le français. Aujourd'hui, donc depuis, ma fille est née, elle a 15 ans. Donc, depuis 15 ans, je parle à nouveau le papiamento tous les jours parce que je parle le papiamento avec mes enfants. Et je travaille en anglais parce que j'enseigne à l'université où je dois enseigner devant des étudiants une matière en anglais. Et je n'habite pas très loin de la frontière espagnole, donc je peux me trouver à parler espagnol parce qu'on n'est pas très loin de l'Espagne. Le néerlandais, c'est le plus loin parce que c'est que quand je parle avec des amis aux Pays-Bas, etc., par téléphone ou autre, que je vais parler le néerlandais.

  • Christine

    Oui, finalement, les autres, elles ont quand même une place importante dans ta vie, tu vois.

  • Harriette

    Oui. Mais l'anglais, à un moment donné, parce que ça ne fait que trois ans, donc ça c'est la troisième année que j'enseigne en anglais, mais depuis 2010 à peu près, et maintenant on est en 2025, donc on va dire depuis 2010 jusqu'à 2023, mon anglais était quasiment absent. Et donc, ça commençait à me manquer. Parce qu'une langue apprise n'est jamais acquise. Donc du coup, à un moment donné, je ne voulais pas la perdre. Donc je savais qu'il y avait la possibilité d'enseigner en anglais. Et donc je me suis donné les moyens pour que je puisse le faire.

  • Christine

    Alors je te vais proposer une image, tu vas me dire si elle te parle. J'ai imaginé, en pensant à toi Harriette, que les langues pourraient être les différentes pièces de ta maison. Je ne sais pas si cette image peut te parler. Et du coup, la question qui vient derrière, c'est dans laquelle de ces pièces-là, tu te sens la plus à l'aise ou la moins à l'aise ?

  • Harriette

    Ça va dépendre du sujet. Disons que, par exemple... Je sais que mon compagnon, on s'est connu en France, et bien je vais être très à l'aise avec lui de parler en français. En revanche, quand mes filles étaient nées, j'ai fait quand même travailler le cœur, plutôt que la raison, de choisir de leur parler en papiamento, plutôt qu'en hollandais. sachant que mes filles comme je suis de nationalité hollandaise, elles, elles ont la nationalité hollandaise aussi, j'aurais pu choisir le néerlandais et donc leur ouvrir cette possibilité de si jamais elles veulent un jour aller s'installer aux Pays-Bas, leur donner cette possibilité-là. Eh bien, je n'ai pas fait ce choix-là parce que c'était un choix trop raisonné dans ma tête et je n'avais pas envie de raisonner ce choix. Donc, voilà. Donc, il y a ça. Après, par exemple, on est en train de construire une maison là où on habite. Quand les copains hollandais me demandent où est-ce qu'on en est avec la construction et tout ça, il y a plein de mots techniques que je ne connais pas en néerlandais. que je vais devoir, parce que ce n'est pas un domaine dans lequel j'ai vécu, ni aux Pays-Bas, ni je ne sais pas. Donc, ça me demande beaucoup d'efforts, aller chercher les mots, etc. pour que ce soit un peu compréhensible ce que je raconte. Donc, parfois, il y a un vécu dans une langue qui fait qu'on perd un peu de vocabulaire dans un autre.

  • Christine

    Ça dépend des personnes que tu as en face déjà, ça compte quand même, puisque tu l'as dit au début de l'entretien, la voix ça sert à communiquer quand même essentiellement. Mais tu sais, tu as parlé beaucoup du papiamento comme c'est ta langue maternelle, donc la langue du cœur. Tu viens d'en parler par rapport aux choix que tu fais vis-à-vis de tes filles. Est-ce qu'il y a une langue dans laquelle tu vas être, selon les émotions que tu traverses, est-ce qu'il y en a une qui va sortir, par exemple si c'est quelque chose de chargé ou une colère ? Est-ce que du coup ça sort ? En Papiamento, par exemple, est-ce que tu as pu noter que, selon les émotions que tu vis, il y a une langue qui prend le dessus sur une autre, ou peut-être pas du tout ?

  • Harriette

    Je pense que, depuis que mes enfants sont nés, que je parle davantage le Papiamento, il y a, si je suis en colère, soit le Papiamento ou le français va sortir. Ni l'espagnol, ni l'anglais, ni l'hollandais. Parce que je ne vis pas aujourd'hui dans ces langues-là. Mais demain, si je vis dans un environnement anglophone, l'anglais va sortir.

  • Christine

    Oui, bien sûr. Est-ce que toi, tu passes d'une langue à l'autre quand tu parles, par exemple avec tes filles ? Est-ce que tu parles en français et puis d'un coup, hop, il peut y avoir un petit mot en papiamento ? Ou tu leur parles que en papiamento ? Que en papillamento. Ah oui, d'accord. Donc, il n'y a pas du tout de switch d'une langue à l'autre ? Non.

  • Harriette

    Après ce qui se passe c'est que, comme c'est une langue, parce qu'à la base, c'est la langue que les esclaves parlaient à Curaçao, donc c'est comme tous les créoles, c'est un mélange entre une langue africaine avec des langues européennes. Donc en fait, le papiamento ressemble beaucoup au portugais, il y a des connotations portugaises, espagnoles, etc., des mots comme ça, voire aussi des hollandais dedans. Sauf que, il y a... Surtout, par exemple, la flore et la faune, donc par exemple des animaux qui n'existent pas à Curaçao. Alors, ce sont des mots hollandais qui vont être utilisés. Parce que les animaux n'existent pas sur l'île. Puisqu'ils n'ont jamais existé, en Papiamento, le mot n'existe pas. Et du coup, je vais dire à mes filles, dans ce cas-là, on va utiliser le mot hollandais et je vais leur dire le mot hollandais. Mais sinon, elles ont grandi et elles sont habituées d'entendre que le papiamento de ma bouche.

  • Christine

    D'accord. Et leur papa leur parle français depuis qu'elles sont petites.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    C'est ça. Et puis, le basque est arrivé aussi dans votre famille. Oui. Est-ce que vous parliez le basque l'un et l'autre avant d'avoir vos filles ou pas du tout ?

  • Harriette

    Non, pas du tout.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Mais on est venu s'installer au Pays basque et... pour moi, une langue quand même minoritaire en France. Je veux dire, au Pays basque, ça peut être une langue majoritaire, mais en France, ça reste une langue minoritaire. Donc, du coup, en étant moi-même d'une langue minoritaire, je trouvais que ça faisait un joli honneur aux filles de, on va dire, un joli clin d'œil à faire pour les filles, à faire honneur à la... la région dans laquelle elles sont nées. Elles sont nées au Pays basque, il y a la langue basque qui existe, alors qu'elles apprennent aussi parce qu'elles sont nées dans ce territoire.

  • Christine

    Donc vous avez fait le choix de les inscrire dans une Ikastola, c'est ça ? Donc une Ikastola, pour les auditeurs qui ne connaissent pas, c'est une école que en basque.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    Et donc depuis la maternelle jusqu'à... Quel âge elles ont aujourd'hui ?

  • Harriette

    Alors ma grande, elle a fait, on va dire, mis à part... une année ou une année et demie de pause, mais sinon, elle a fait toute sa scolarité à partir de 3 ans jusqu'à aujourd'hui. Elle est au lycée, elle a 15 ans. Elle a fait dans le système immersion basque. Ma petite-fille, elle est cadette. Elle a démarré à 3 ans aussi. Elle a 11 ans aujourd'hui. Elle est au collège. Mais comme nous, on a quitté Bayonne et on habite à l'intérieur du Pays basque. Donc, maintenant, elle est dans le système public scolaire où elle est dans une classe bilingue. Donc, elle a le basque, mais c'est plus l'immersion comme dans les Ikastolak.

  • Christine

    Et alors, quelle place a le basque dans votre famille au quotidien ? Est-ce qu'il a une place ou est-ce que c'est vraiment le basque, c'est leur partie à elle, à l'école, avec leurs amis, etc. ? Comment ça se passe ?

  • Harriette

    Non, mais disons que nous, on... Il peut y avoir des manifestations culturelles basques où on va participer, amener les filles, etc. Les filles, ça leur a pris un temps, mais maintenant, elles ont compris que parfois, entre elles, elles peuvent parler le basque et que les parents ne comprennent pas. Mais bon, moi, je me demandais comment ça se fait que depuis le temps, elles n'ont pas compris ça. Mais bon, voilà, c'est compris. Et après La grande, comme elle, elle a une bonne maîtrise, elle, elle parle, elle peut se trouver au téléphone avec ses copines à parler le basque, etc. Mais sinon, dans le nucléo familial, c'est vrai que le basque n'a pas beaucoup, beaucoup de place. Après, on fait l'accompagnement scolaire dans le sens qu'on doit faire interroger, etc. les cours. Moi, je ne demande pas aux filles de traduire. ce qui a marqué parce que ça leur demande beaucoup d'efforts. Il faut quand même que juste elles fassent leur devoir. Donc du coup, bon, je me trouve à lire un basque que je ne comprends pas. Mais bon, si elle m'explique qu'est-ce qu'il faut lire et qu'est-ce qu'elle doit répondre, je sais lire. Même si je ne comprends pas, je lis.

  • Christine

    Tu sais dire quelques mots quand même parce que tout à l'heure, j'étais entendue dire « Milesker » , c'est « merci » en basque. Donc tu parsèmes de temps en temps, d'un peu de vocabulaire basque.

  • Harriette

    Oui, oui, oui. Des petits clins d'œil. Oui, oui. J'ai quelques mots comme ça, effectivement. Mais bon, ça fait maintenant depuis 2010 qu'on est au Pays basque. Donc, si on n'a toujours pas compris que Egun on, c'est bonjour, on ne va plus jamais le comprendre. C'est sûr.

  • Christine

    Est-ce que tu pourrais nous dire quelque chose en papiamento pour qu'on puisse entendre cette langue que, enfin moi j'ai découverte grâce à toi, honnêtement je ne connaissais pas cette langue, donc je pense qu'il y a des personnes qui seraient curieuses d'entendre cette langue. Et si tu es d'accord, j'aimerais bien qu'on fasse comme une petite expérience. Tu choisis une phrase, ça peut être une phrase bateau, mais ce qui te vient, et que tu puisses la dire en français, mais peut-être pas forcément en premier, c'est toi qui verras. Mais dans l'idée qu'on l'entende en papiamento, peut-être en néerlandais et en français. Et puis on en parle après de cette expérience. Tu veux bien ?

  • Harriette

    Oui, oui, d'accord. [Passage en papiamento, traduit ensuite en français par Harriette.] Je m'appelle Harriette. Alors, j'ai dit que... Je m'appelle Harriette, j'ai deux filles. Je suis la maman de deux filles, une qui s'appelle Liloa et l'autre qui s'appelle Paz. Ça fait un certain nombre d'années déjà que j'habite en France et des fois, le curaçao me manque.

  • Christine

    Génial, merci.

  • Harriette

    Il fallait quand même que je réfléchisse pour la traduction. Oui,

  • Christine

    Parce qu'en fait, tu as choisi une longue phrase, donc je suis impressionnée. En même temps, tu as fermé les yeux, tu étais concentré sur ce que tu disais.

  • Harriette

    Ben oui.

  • Christine

    Est-ce que tu saurais dire si dans ta voix... Parce que là, tu as parlé dans trois langues différentes. Est-ce qu'il se passe des choses différentes quand tu t'exprimes dans chacune d'entre elles ?

  • Harriette

    Oui, je pense que bon, déjà, on entendait que ma voix tremblait. Donc du coup, le papiamento, c'était... Donc j'ai démarré comme c'était la demande de démarrer en papiamento. Donc forcément, j'étais plus proche de mes émotions. En français, je suis restée encore proche de mes émotions. et en... néerlandais, je me suis éloignée le plus.

  • Christine

    Là, tu étais plus dans la traduction de ce que tu avais à dire. Mais on a entendu, en effet, la voix, enfin, je t'ai vue, en plus, moi, je te vois, donc ça vibrait en papiamento, et je ne savais pas ce que tu disais, mais j'ai compris « curaçao » à la fin, et j'ai senti qu'il y avait quelque chose, une émotion forte, en lien avec le fait d'évoquer ton île, c'est ça ? Ouais. En tout cas, merci de t'être prêtée à cette petite expérience. Et puis, je voulais aller sur un dernier terrain avec toi, c'était la partie professionnelle, la voix dans ta sphère professionnelle. Tu l'as dit, tu travailles dans une université, donc on peut te considérer comme formatrice ou enseignante. Ça veut dire que la voix est un outil pour toi dans ton quotidien professionnel. Quelle place tu dirais qu'elle a la voix dans cette sphère-là ?

  • Harriette

    Alors, du coup, oui, je suis... Soit formatrice pour adultes ou enseignante pour des étudiants en formation continue, mais dans les deux cas, je dois former sur un thème particulier. Donc oui, la voix, elle est importante parce que je peux être amenée à parler devant un groupe plus ou moins grand et beaucoup de personnes, mais les personnes jusqu'au bout de la salle doivent entendre. Donc je ne peux pas chuchoter. Bon, après souvent, je suis quand même debout, je ne vais pas délivrer la formation assise. Je suis déjà debout, mais même si je suis debout, il faut que ma voix porte jusqu'au bout. Bon, moi, ça c'est quelque chose d'inconscient. Je ne réfléchis pas à est-ce que celui au bout m'entend. Je pense que j'ai une voix suffisamment qui porte loin de... d'elle-même que les personnes m'entendent. Donc, c'est plutôt le contraire. Je dois maîtriser si je veux chuchoter. Je pense que chuchoter, j'ai un peu plus du mal à faire. Donc, pour ce qui est de ma vie professionnelle, oui, ma voix, elle est plutôt un atout qu'un obstacle.

  • Christine

    D'accord, super. Et est-ce que des fois, à la fin d'une journée, parce que je pense que tu parles pas mal, et en plus, même si tu dis que c'est inconscient, il faut quand même que tu portes ta voix. Naturellement, tu as une voix qui porte, mais quand même, ça te demande peut-être, même inconsciemment, un effort. Est-ce que parfois, ta voix est fatiguée ? Et à ce moment-là, est-ce que tu as des petites astuces que tu appliques pour essayer de prendre soin de ta voix ou c'est quelque chose qui t'est étranger ?

  • Harriette

    Non, ma voix, elle ne me fatigue pas. Dans la formation, c'est plus le fait qu'on est sollicité tout le temps, pendant longtemps, qu'on est devant les groupes, que du coup, il faut effectivement, si je passe toute une semaine à délivrer des formations, qu'à la fin de la semaine, je suis épuisée. Je suis épuisée parce qu'on est sollicité tout le temps pour répondre à des questions, réexpliquer les choses, donner d'autres exemples, etc. Donc, effectivement, ça, ça me demande une... concentration pour retrouver l'énergie. Mais je n'ai pas l'impression que ça vient du fait de l'importance de la voix dans la formation.

  • Christine

    C'est plus une fatigue intellectuelle que vocale finalement, c'est ça que tu dis ? Oui, je pense. Est-ce que tu aurais une dernière chose à partager avec nous autour de ta voix ? Ou de la voix des autres, enfin de la voix en général ?

  • Harriette

    Je pense qu'en général, on a chacun, chaque personne, à sa voix qui est propre. Je pense qu'il faut être fier de ça et continuer à porter celle qu'on a, parce que ça nous est propre et ça nous identifie.

  • Christine

    Merci pour ce dernier message et pour tout ce que tu as partagé, la générosité avec laquelle tu t'es prêtée aussi à mes petites expériences, à mes questions. Merci beaucoup, Harriette, d'avoir accepté de participer à On n'a qu'une voix.

  • Harriette

    Merci, Christine.

  • Christine

    Merci à vous d'avoir écouté cet épisode d'On n'a qu'une voix jusqu'au bout. S'il vous a plu... Abonnez-vous dès maintenant pour ne pas manquer la voix de mes prochains invités. Et pour soutenir mon podcast, je vous propose de le noter et de le commenter sur votre application d'écoute préférée. Enfin, un merci tout particulier à Émilie Décla, qui a créé et interprété toutes les musiques d'On n'a qu'une voix. Retrouvez l'actualité du podcast sur le compte Instagram ou LinkedIn, entre voix et mots. A bientôt !

Description

Une voix, 5 langues.
Et un parcours incroyable.
C’est ce parcours qu’Harriette Elenburg nous raconte dans cet épisode, dans un français impeccable, mais coloré d’un accent qui évoque un ailleurs.


Elle est née au Curaçao, une petite île des Antilles aujourd’hui autonome, toujours rattachée au Pays-Bas.
Elle commence d’abord par parler le papiamento, sa langue maternelle. Et très vite, le néerlandais arrive à l’école, suivi de l’anglais, de l’espagnol et du français.

Et si vous écoutez l'épisode avec attention, vous allez découvrir qu'une 6ᵉ langue s'est fait une place dans son quotidien et dans celui de sa famille...

Avec Harriette, nous allons évoquer :
- ce que sa voix et son accent disent de ses origines, de son parcours ; 

- la place qu’elle a donnée à chacune des langues qu’elle a apprises, entre cœur et raison ; 

- en quoi sa voix est un atout dans le cadre professionnel.

Un épisode qui nous invite à adopter une oreille plus douce et un regard ouvert sur les voix qui viennent d’ailleurs.

Bonne écoute !

________


Suivez l'actualité du podcast sur le compte Entre voix et mots : Instagram ou LinkedIn.


Je vous invite à vous abonner au podcast sur votre application d'écoute préférée.

Vous pouvez aussi le noter ⭐⭐⭐⭐⭐ sur Apple podcast ou Spotify : merci par avance pour cette aide précieuse !


Vous avez envie de partager l’histoire de votre voix ?

📩 Contactez-moi à l’adresse suivante : christine.irabola.redac@gmail.com.


Crédits :

  • Réalisation, montage, mixage : Christine Irabola

  • Musiques et chants : Émilie Décla

  • Hébergement : Ausha



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Christine

    On n'a qu'une voix, un podcast pour découvrir ce que cache notre voix. Chaque mois, venez à la rencontre de mes invités qui lèvent le voile sur l'histoire singulière de leur voix. Au programme, des voix parlées, des voix chantées, des voix jouées et des voix parfois malmenées. L'intention ? Vous procurer des émotions, vous faire voyager, vous apporter des conseils et vous proposer un pas de côté pour vous inviter à aimer votre voix. Dans cet épisode, vous allez entendre la voix d'Ariette Ellenberg. Ariette est née au Curacao, une petite île des Caraïbes, rattachée aux Pays-Bas mais aujourd'hui autonome. Sa langue maternelle c'est le papillamento, un créole parlé dans les territoires néerlandais. Et quand on grandit dans une île à la croisée des chemins entre l'Amérique centrale, les Antilles hollandaises et le Venezuela, on apprend très tôt à parler plusieurs langues en même temps. Alors avec Ariette, nous allons évoquer ce que sa voix et son accent disent d'elle et de son parcours, la place des langues dans sa vie et dans celle de sa famille, et enfin... En quoi sa voix est un atout dans sa sphère professionnelle, en tant que formatrice et enseignante à l'université. Un épisode qui nous invite à adopter une oreille plus douce et un regard plus ouvert sur les voix qui viennent d'ailleurs. Bonne écoute !

  • Harriette

    Bonjour, je m'appelle Harriette Elenburg. Je vais prononcer mon nom de famille tel que ça se prononce. Et je suis née à Curaçao. Curaçao, c'est une île qui se trouve dans les Caraïbes, pas très loin de Venezuela. Et on fait partie de ce qui était avant, ça s'appelait les Antilles hollandaises. On est toujours dépendant de la Hollande, mais on est autonome dans le sens qu'il y a un gouvernement au niveau de l'île Curaçao. Donc moi je suis née à Curaçao, j'ai vécu jusqu'à l'âge de 18 ans à Curaçao. Et après, je suis venue étudier aux Pays-Bas. Pendant un certain nombre d'années, j'ai vécu aux Pays-Bas. Et quand j'ai terminé mes études, je suis venue vivre en France, à Paris.

  • Christine

    Et aujourd'hui, tu dirais que la voix a quelle place dans ta vie ?

  • Harriette

    La communication, elle est importante de toute façon. Donc, du coup, pour moi... Pour tout être humain, la voix, elle est importante. Elle a une place importante parce que sans la voix, on ne peut pas communiquer.

  • Christine

    Et pour toi en particulier, tu dirais quoi ?

  • Harriette

    Peut-être c'est parce que, d'un, je ne suis pas une Française. Donc du coup, quand j'habite en France, ça s'entend direct que je ne suis pas Française. Et donc du coup, je peux être amenée à tout le temps. expliquer d'où je viens, à tel point que, bon, je ne l'ai pas encore fait, mais je pourrais me balader avec une petite carte qui explique tout simplement, tout le temps, les mêmes phrases que je viens de dire. Je suis née à Curaçao. Curaçao, c'est une petite île qui se trouve dans les Caraïbes, à côté de Venezuela, etc. Parce que c'est tellement petit que personne ne va connaître, donc je l'explique tout le temps. Et voilà, donc dans ce sens-là, déjà, ma voix, elle... Je pense qu'il y a deux choses. Il y a le fait que j'ai un accent quand je parle en français et aussi le fait que... la façon comment je parle. Parce qu'en français, il y a peut-être plusieurs... C'est plus nuancé, il y a plus de diplomatie, etc. Et dans ma langue maternelle, et aussi peut-être avec l'éducation hollandaise que j'ai eue par l'école et tout ça, on est beaucoup plus direct.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Donc du coup, même si je parle en français, je vais être beaucoup plus directe.

  • Christine

    Oui, c'est-à-dire que tu as gardé finalement les codes culturels qui sont les tiens.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    Mais que tu as transposés dans la langue française.

  • Harriette

    Oui. Parce que je pense que ça, c'est très difficile à perdre. Donc, même si moi, j'ai l'impression de faire beaucoup d'efforts, je peux me trouver très facilement dans des situations où je me suis rendu compte que l'autre a trouvé que j'étais trop directe.

  • Christine

    D'accord. Donc en fait, ta voix finalement, elle dit une partie de ton histoire. Est-ce que tu es d'accord avec ça ?

  • Harriette

    Oui, oui, je pense. Je pense que direct et indirect, consciemment et inconsciemment, oui.

  • Christine

    Parce que tu as parlé d'accent. Tu disais qu'on t'interrogeait souvent là-dessus. Est-ce que c'est quelque chose qui est pesant pour toi quand on te renvoie toujours à ton accent, d'où il vient, etc. ? Comment tu le vis, toi ?

  • Harriette

    Après, je suis... Il y a deux choses. Après, ça dépend. Parfois, on a plus envie ou plus d'énergie à expliquer les choses que d'autres. Après, ça dépend aussi de comment la question, elle est posée. Parce que parfois, on ne sent pas l'interlocuteur, la façon comment la personne nous pose la question et qu'on a envie de dire je suis en train de parler français avec vous. Donc, je crois que vous me comprenez. Mais donc, ça dépend comment la question, elle est posée. Et dans quel contexte. Mais sinon, en règle générale, ça ne me gêne pas trop d'expliquer. Je comprends pourquoi cette question, elle arrive. Il y a aussi le physique, on peut voir aussi, je suis noire, donc on voit que je suis d'ailleurs, ça se voit.

  • Christine

    Est-ce que tu aurais des anecdotes à nous raconter où ton accent a été un obstacle pour toi ? Ou à l'inverse, ça a été un atout ? Est-ce que tu as souvenir de ça ?

  • Harriette

    Je pense que faire l'accent un atout, peut-être par des moments, je peux me sauver la mise, où on me retorque un mot que j'ai employé et que je peux dire, vous comprenez, je ne suis pas française, je n'avais pas employé peut-être le bon mot au bon escient. Donc du coup, je gagne du temps et peut-être voir des points là-dessus. Donc là, parfois, je peux rattraper peut-être une erreur que je n'ai pas voulu commettre, mais bon, voilà. Et donc ça, c'est d'une.

  • Christine

    Et l'accent comme obstacle ?

  • Harriette

    Et obstacle, c'est... mais bon, je ne sais pas si c'est l'accent qui est un obstacle ou déjà, comme je dis, l'image. On voit d'abord déjà que je suis d'ailleurs. Après vient la parole et après on est, je veux dire, des Antilles. Il y a les Antilles françaises. Donc on peut aussi penser que je suis guadeloupienne ou martiniquaise. Donc du coup, effectivement, quand j'ouvre la bouche, on va entendre que je ne suis pas ni martiniquaise ni guadeloupienne parce qu'on n'a pas le même accent.

  • Christine

    Tout à fait.

  • Harriette

    Ou île de la Réunion. Je veux dire les îles. les dom-toms.

  • Christine

    Et alors, par rapport aux langues que tu parles depuis jeune, est-ce que tu peux nous dire quelles langues tu parlais déjà quand tu étais enfant ? Parce que je pense que tu en parlais plusieurs déjà quand tu étais enfant.

  • Harriette

    Oui, donc à Curaçao, quand moi j'ai fait... Ma scolarité, la langue d'enseignement était le néerlandais. Donc, du coup, à partir du moment que j'ai commencé à aller à l'école maternelle, donc avec mes trois ans, j'ai commencé à entendre le néerlandais. Bien que mes parents, ma mère, elle lit beaucoup, mais ça n'empêche que ma mère, elle ne me parlait pas en néerlandais. Mes parents, à la maison, on parle le créole de Curaçao, qui est une langue. qui s'appelle le papiamento. Après, mes parents, ils avaient déjà des amis néerlandophones, donc peut-être que je l'avais déjà entendue, cette langue. Mais vraiment, apprendre, on va dire, c'est à l'école, à la maternelle, et donc à peu près avec l'âge de 3 ans, et après jusqu'à mes 18 ans, parce que pendant toute la scolarité, toutes les matières étaient enseignées par le néerlandais. Donc du coup, dans la classe, le maître ou la maîtresse nous parlait ou le professeur nous parlait en néerlandais. Après, je pouvais être à côté d'une copine à qui je parle en papiamento, mais quand je m'adresse au professeur, je vais m'adresser en néerlandais au professeur. Donc voilà, du coup, ces deux langues cohabitaient, on va dire, à partir de... de très jeune âge déjà. Et après, à Curaçao, comme on est une île, et dépendante du tourisme, c'est une source de revenus économiques, la proximité avec le Venezuela, donc on apprend à l'école, avec l'âge, je pense, à peu près 10-11 ans par là, on commence à apprendre l'espagnol et l'anglais. Mais ça va assez vite parce que l'espagnol, ça fait longtemps qu'on l'entend déjà à la télé. Et pareil pour l'anglais, on est quand même très axé vers les États-Unis. Donc, on a déjà entendu l'anglais. On ne va peut-être pas tout comprendre, mais on l'a déjà entendu. Donc, du coup, ces deux langues, on va assez vite avancer là-dedans. Et par exemple, le... les examens, parce que si on passe l'examen, on va dire l'équivalent du bac à Curaçao, ou on le passe à Amsterdam, c'est le même bac, sauf que la matière espagnole, par exemple, ce n'est pas les néerlandophones qui vont préparer les sujets pour les Antilles, parce qu'ils savent très bien que si eux, ils le préparent à Amsterdam pour que nous, on le passe, on aura tous réussi. Donc du coup, c'est préparé aux Antilles pour les Antillais. Et ce n'est pas les mêmes examens que ceux de métropole, ils passent.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Parce que nos niveaux ne sont pas pareils.

  • Christine

    Donc en fait, le papiamento n'avait pas ou n'a toujours pas sa place à l'école, c'est ça ?

  • Harriette

    Aujourd'hui, oui.

  • Christine

    Aujourd'hui, oui. Mais à ton époque, non, ce n'était pas le cas.

  • Harriette

    Non. Voilà. Et moi, je n'ai pas appris le papiamento comme langue, je ne l'ai jamais appris. Je veux dire, je ne l'ai pas appris à l'écrire, à le lire. Et donc, du coup, aujourd'hui, je l'écris, mais je l'écris de façon phonétique.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Donc, je sais qu'il y a plein d'accents dans tous les sens que je n'emploie pas parce que, voilà.

  • Christine

    Et est-ce que toi, tu dirais que c'est ta langue maternelle, le papiamento ?

  • Harriette

    Ah oui, c'est ma langue maternelle, oui.

  • Christine

    Et le néerlandais, pas forcément ?

  • Harriette

    Non, ce n'est pas ma langue maternelle, mais... Bon, je pense qu'on se considère un peu bilingue aux Antilles parce qu'on a tous appris quasiment en même temps le néerlandais. Mais bon, non, ma langue maternelle, c'est le papiamento.

  • Christine

    Donc là, tu nous as parlé du papiamento, du néerlandais, de l'anglais et l'espagnol. Aujourd'hui, tu parles français aussi. C'est arrivé quand le français ?

  • Harriette

    Ah ben, à Curacao, déjà, j'ai commencé à apprendre le français parce que... À un moment donné, je ne sais plus à quel âge, à un moment donné, il faut faire un choix dans le cursus scolaire. Et on a soit l'allemand ou le français qui s'ajoutent, un des deux. Donc, j'avais choisi le français et que j'avais gardé jusqu'à la fin, optionnellement. Donc, je n'avais pas l'obligation de le garder. Je ne sais plus combien de temps c'est obligatoire. On va dire un an ou deux, peut-être. Et moi, j'ai dû le garder quatre ans. Mais bon, ça, c'était une langue purement théorique. Parce qu'à Curacao, tu n'entends pas parler le français. Donc, quand tu n'entends pas parler une langue, tu ne parles pas la langue. Donc, je me rappelle que dans le cours avec un des derniers professeurs que j'avais, qui s'arrachait les cheveux avec nous, parce que lui, il nous parlait, la majorité du temps, on ne comprenait pas ce qu'il disait. On devait lire des livres à la fin pour passer l'équivalent du bac, il fallait lire des livres en français. Le mot est passé parmi les lycéens comme quoi il fallait lire Le Petit Prince parce qu'il n'y a pas beaucoup de pages, donc tout le monde s'est rué à la bibliothèque pour aller chercher Le Petit Prince. On l'a tous lu, personne n'a compris Le Petit Prince. Personne n'a compris. Et donc on était là en espérant que personne ne va nous demander à l'oral parce qu'on ne pourrait pas parler de ça. Et pareil, j'ai dû... La première fois que j'ai lu L'étranger de Camus, c'était aussi à Curaçao, mais la moitié du livre, je n'ai pas compris. Mais bon, voilà, c'était comme ça. Donc, voilà.

  • Christine

    Alors aujourd'hui, toutes ces langues, elles ont quelle place dans ta vie ?

  • Harriette

    Disons que le français, j'habite en France, donc je parle tous les jours le français. Aujourd'hui, donc depuis, ma fille est née, elle a 15 ans. Donc, depuis 15 ans, je parle à nouveau le papiamento tous les jours parce que je parle le papiamento avec mes enfants. Et je travaille en anglais parce que j'enseigne à l'université où je dois enseigner devant des étudiants une matière en anglais. Et je n'habite pas très loin de la frontière espagnole, donc je peux me trouver à parler espagnol parce qu'on n'est pas très loin de l'Espagne. Le néerlandais, c'est le plus loin parce que c'est que quand je parle avec des amis aux Pays-Bas, etc., par téléphone ou autre, que je vais parler le néerlandais.

  • Christine

    Oui, finalement, les autres, elles ont quand même une place importante dans ta vie, tu vois.

  • Harriette

    Oui. Mais l'anglais, à un moment donné, parce que ça ne fait que trois ans, donc ça c'est la troisième année que j'enseigne en anglais, mais depuis 2010 à peu près, et maintenant on est en 2025, donc on va dire depuis 2010 jusqu'à 2023, mon anglais était quasiment absent. Et donc, ça commençait à me manquer. Parce qu'une langue apprise n'est jamais acquise. Donc du coup, à un moment donné, je ne voulais pas la perdre. Donc je savais qu'il y avait la possibilité d'enseigner en anglais. Et donc je me suis donné les moyens pour que je puisse le faire.

  • Christine

    Alors je te vais proposer une image, tu vas me dire si elle te parle. J'ai imaginé, en pensant à toi Harriette, que les langues pourraient être les différentes pièces de ta maison. Je ne sais pas si cette image peut te parler. Et du coup, la question qui vient derrière, c'est dans laquelle de ces pièces-là, tu te sens la plus à l'aise ou la moins à l'aise ?

  • Harriette

    Ça va dépendre du sujet. Disons que, par exemple... Je sais que mon compagnon, on s'est connu en France, et bien je vais être très à l'aise avec lui de parler en français. En revanche, quand mes filles étaient nées, j'ai fait quand même travailler le cœur, plutôt que la raison, de choisir de leur parler en papiamento, plutôt qu'en hollandais. sachant que mes filles comme je suis de nationalité hollandaise, elles, elles ont la nationalité hollandaise aussi, j'aurais pu choisir le néerlandais et donc leur ouvrir cette possibilité de si jamais elles veulent un jour aller s'installer aux Pays-Bas, leur donner cette possibilité-là. Eh bien, je n'ai pas fait ce choix-là parce que c'était un choix trop raisonné dans ma tête et je n'avais pas envie de raisonner ce choix. Donc, voilà. Donc, il y a ça. Après, par exemple, on est en train de construire une maison là où on habite. Quand les copains hollandais me demandent où est-ce qu'on en est avec la construction et tout ça, il y a plein de mots techniques que je ne connais pas en néerlandais. que je vais devoir, parce que ce n'est pas un domaine dans lequel j'ai vécu, ni aux Pays-Bas, ni je ne sais pas. Donc, ça me demande beaucoup d'efforts, aller chercher les mots, etc. pour que ce soit un peu compréhensible ce que je raconte. Donc, parfois, il y a un vécu dans une langue qui fait qu'on perd un peu de vocabulaire dans un autre.

  • Christine

    Ça dépend des personnes que tu as en face déjà, ça compte quand même, puisque tu l'as dit au début de l'entretien, la voix ça sert à communiquer quand même essentiellement. Mais tu sais, tu as parlé beaucoup du papiamento comme c'est ta langue maternelle, donc la langue du cœur. Tu viens d'en parler par rapport aux choix que tu fais vis-à-vis de tes filles. Est-ce qu'il y a une langue dans laquelle tu vas être, selon les émotions que tu traverses, est-ce qu'il y en a une qui va sortir, par exemple si c'est quelque chose de chargé ou une colère ? Est-ce que du coup ça sort ? En Papiamento, par exemple, est-ce que tu as pu noter que, selon les émotions que tu vis, il y a une langue qui prend le dessus sur une autre, ou peut-être pas du tout ?

  • Harriette

    Je pense que, depuis que mes enfants sont nés, que je parle davantage le Papiamento, il y a, si je suis en colère, soit le Papiamento ou le français va sortir. Ni l'espagnol, ni l'anglais, ni l'hollandais. Parce que je ne vis pas aujourd'hui dans ces langues-là. Mais demain, si je vis dans un environnement anglophone, l'anglais va sortir.

  • Christine

    Oui, bien sûr. Est-ce que toi, tu passes d'une langue à l'autre quand tu parles, par exemple avec tes filles ? Est-ce que tu parles en français et puis d'un coup, hop, il peut y avoir un petit mot en papiamento ? Ou tu leur parles que en papiamento ? Que en papillamento. Ah oui, d'accord. Donc, il n'y a pas du tout de switch d'une langue à l'autre ? Non.

  • Harriette

    Après ce qui se passe c'est que, comme c'est une langue, parce qu'à la base, c'est la langue que les esclaves parlaient à Curaçao, donc c'est comme tous les créoles, c'est un mélange entre une langue africaine avec des langues européennes. Donc en fait, le papiamento ressemble beaucoup au portugais, il y a des connotations portugaises, espagnoles, etc., des mots comme ça, voire aussi des hollandais dedans. Sauf que, il y a... Surtout, par exemple, la flore et la faune, donc par exemple des animaux qui n'existent pas à Curaçao. Alors, ce sont des mots hollandais qui vont être utilisés. Parce que les animaux n'existent pas sur l'île. Puisqu'ils n'ont jamais existé, en Papiamento, le mot n'existe pas. Et du coup, je vais dire à mes filles, dans ce cas-là, on va utiliser le mot hollandais et je vais leur dire le mot hollandais. Mais sinon, elles ont grandi et elles sont habituées d'entendre que le papiamento de ma bouche.

  • Christine

    D'accord. Et leur papa leur parle français depuis qu'elles sont petites.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    C'est ça. Et puis, le basque est arrivé aussi dans votre famille. Oui. Est-ce que vous parliez le basque l'un et l'autre avant d'avoir vos filles ou pas du tout ?

  • Harriette

    Non, pas du tout.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Mais on est venu s'installer au Pays basque et... pour moi, une langue quand même minoritaire en France. Je veux dire, au Pays basque, ça peut être une langue majoritaire, mais en France, ça reste une langue minoritaire. Donc, du coup, en étant moi-même d'une langue minoritaire, je trouvais que ça faisait un joli honneur aux filles de, on va dire, un joli clin d'œil à faire pour les filles, à faire honneur à la... la région dans laquelle elles sont nées. Elles sont nées au Pays basque, il y a la langue basque qui existe, alors qu'elles apprennent aussi parce qu'elles sont nées dans ce territoire.

  • Christine

    Donc vous avez fait le choix de les inscrire dans une Ikastola, c'est ça ? Donc une Ikastola, pour les auditeurs qui ne connaissent pas, c'est une école que en basque.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    Et donc depuis la maternelle jusqu'à... Quel âge elles ont aujourd'hui ?

  • Harriette

    Alors ma grande, elle a fait, on va dire, mis à part... une année ou une année et demie de pause, mais sinon, elle a fait toute sa scolarité à partir de 3 ans jusqu'à aujourd'hui. Elle est au lycée, elle a 15 ans. Elle a fait dans le système immersion basque. Ma petite-fille, elle est cadette. Elle a démarré à 3 ans aussi. Elle a 11 ans aujourd'hui. Elle est au collège. Mais comme nous, on a quitté Bayonne et on habite à l'intérieur du Pays basque. Donc, maintenant, elle est dans le système public scolaire où elle est dans une classe bilingue. Donc, elle a le basque, mais c'est plus l'immersion comme dans les Ikastolak.

  • Christine

    Et alors, quelle place a le basque dans votre famille au quotidien ? Est-ce qu'il a une place ou est-ce que c'est vraiment le basque, c'est leur partie à elle, à l'école, avec leurs amis, etc. ? Comment ça se passe ?

  • Harriette

    Non, mais disons que nous, on... Il peut y avoir des manifestations culturelles basques où on va participer, amener les filles, etc. Les filles, ça leur a pris un temps, mais maintenant, elles ont compris que parfois, entre elles, elles peuvent parler le basque et que les parents ne comprennent pas. Mais bon, moi, je me demandais comment ça se fait que depuis le temps, elles n'ont pas compris ça. Mais bon, voilà, c'est compris. Et après La grande, comme elle, elle a une bonne maîtrise, elle, elle parle, elle peut se trouver au téléphone avec ses copines à parler le basque, etc. Mais sinon, dans le nucléo familial, c'est vrai que le basque n'a pas beaucoup, beaucoup de place. Après, on fait l'accompagnement scolaire dans le sens qu'on doit faire interroger, etc. les cours. Moi, je ne demande pas aux filles de traduire. ce qui a marqué parce que ça leur demande beaucoup d'efforts. Il faut quand même que juste elles fassent leur devoir. Donc du coup, bon, je me trouve à lire un basque que je ne comprends pas. Mais bon, si elle m'explique qu'est-ce qu'il faut lire et qu'est-ce qu'elle doit répondre, je sais lire. Même si je ne comprends pas, je lis.

  • Christine

    Tu sais dire quelques mots quand même parce que tout à l'heure, j'étais entendue dire « Milesker » , c'est « merci » en basque. Donc tu parsèmes de temps en temps, d'un peu de vocabulaire basque.

  • Harriette

    Oui, oui, oui. Des petits clins d'œil. Oui, oui. J'ai quelques mots comme ça, effectivement. Mais bon, ça fait maintenant depuis 2010 qu'on est au Pays basque. Donc, si on n'a toujours pas compris que Egun on, c'est bonjour, on ne va plus jamais le comprendre. C'est sûr.

  • Christine

    Est-ce que tu pourrais nous dire quelque chose en papiamento pour qu'on puisse entendre cette langue que, enfin moi j'ai découverte grâce à toi, honnêtement je ne connaissais pas cette langue, donc je pense qu'il y a des personnes qui seraient curieuses d'entendre cette langue. Et si tu es d'accord, j'aimerais bien qu'on fasse comme une petite expérience. Tu choisis une phrase, ça peut être une phrase bateau, mais ce qui te vient, et que tu puisses la dire en français, mais peut-être pas forcément en premier, c'est toi qui verras. Mais dans l'idée qu'on l'entende en papiamento, peut-être en néerlandais et en français. Et puis on en parle après de cette expérience. Tu veux bien ?

  • Harriette

    Oui, oui, d'accord. [Passage en papiamento, traduit ensuite en français par Harriette.] Je m'appelle Harriette. Alors, j'ai dit que... Je m'appelle Harriette, j'ai deux filles. Je suis la maman de deux filles, une qui s'appelle Liloa et l'autre qui s'appelle Paz. Ça fait un certain nombre d'années déjà que j'habite en France et des fois, le curaçao me manque.

  • Christine

    Génial, merci.

  • Harriette

    Il fallait quand même que je réfléchisse pour la traduction. Oui,

  • Christine

    Parce qu'en fait, tu as choisi une longue phrase, donc je suis impressionnée. En même temps, tu as fermé les yeux, tu étais concentré sur ce que tu disais.

  • Harriette

    Ben oui.

  • Christine

    Est-ce que tu saurais dire si dans ta voix... Parce que là, tu as parlé dans trois langues différentes. Est-ce qu'il se passe des choses différentes quand tu t'exprimes dans chacune d'entre elles ?

  • Harriette

    Oui, je pense que bon, déjà, on entendait que ma voix tremblait. Donc du coup, le papiamento, c'était... Donc j'ai démarré comme c'était la demande de démarrer en papiamento. Donc forcément, j'étais plus proche de mes émotions. En français, je suis restée encore proche de mes émotions. et en... néerlandais, je me suis éloignée le plus.

  • Christine

    Là, tu étais plus dans la traduction de ce que tu avais à dire. Mais on a entendu, en effet, la voix, enfin, je t'ai vue, en plus, moi, je te vois, donc ça vibrait en papiamento, et je ne savais pas ce que tu disais, mais j'ai compris « curaçao » à la fin, et j'ai senti qu'il y avait quelque chose, une émotion forte, en lien avec le fait d'évoquer ton île, c'est ça ? Ouais. En tout cas, merci de t'être prêtée à cette petite expérience. Et puis, je voulais aller sur un dernier terrain avec toi, c'était la partie professionnelle, la voix dans ta sphère professionnelle. Tu l'as dit, tu travailles dans une université, donc on peut te considérer comme formatrice ou enseignante. Ça veut dire que la voix est un outil pour toi dans ton quotidien professionnel. Quelle place tu dirais qu'elle a la voix dans cette sphère-là ?

  • Harriette

    Alors, du coup, oui, je suis... Soit formatrice pour adultes ou enseignante pour des étudiants en formation continue, mais dans les deux cas, je dois former sur un thème particulier. Donc oui, la voix, elle est importante parce que je peux être amenée à parler devant un groupe plus ou moins grand et beaucoup de personnes, mais les personnes jusqu'au bout de la salle doivent entendre. Donc je ne peux pas chuchoter. Bon, après souvent, je suis quand même debout, je ne vais pas délivrer la formation assise. Je suis déjà debout, mais même si je suis debout, il faut que ma voix porte jusqu'au bout. Bon, moi, ça c'est quelque chose d'inconscient. Je ne réfléchis pas à est-ce que celui au bout m'entend. Je pense que j'ai une voix suffisamment qui porte loin de... d'elle-même que les personnes m'entendent. Donc, c'est plutôt le contraire. Je dois maîtriser si je veux chuchoter. Je pense que chuchoter, j'ai un peu plus du mal à faire. Donc, pour ce qui est de ma vie professionnelle, oui, ma voix, elle est plutôt un atout qu'un obstacle.

  • Christine

    D'accord, super. Et est-ce que des fois, à la fin d'une journée, parce que je pense que tu parles pas mal, et en plus, même si tu dis que c'est inconscient, il faut quand même que tu portes ta voix. Naturellement, tu as une voix qui porte, mais quand même, ça te demande peut-être, même inconsciemment, un effort. Est-ce que parfois, ta voix est fatiguée ? Et à ce moment-là, est-ce que tu as des petites astuces que tu appliques pour essayer de prendre soin de ta voix ou c'est quelque chose qui t'est étranger ?

  • Harriette

    Non, ma voix, elle ne me fatigue pas. Dans la formation, c'est plus le fait qu'on est sollicité tout le temps, pendant longtemps, qu'on est devant les groupes, que du coup, il faut effectivement, si je passe toute une semaine à délivrer des formations, qu'à la fin de la semaine, je suis épuisée. Je suis épuisée parce qu'on est sollicité tout le temps pour répondre à des questions, réexpliquer les choses, donner d'autres exemples, etc. Donc, effectivement, ça, ça me demande une... concentration pour retrouver l'énergie. Mais je n'ai pas l'impression que ça vient du fait de l'importance de la voix dans la formation.

  • Christine

    C'est plus une fatigue intellectuelle que vocale finalement, c'est ça que tu dis ? Oui, je pense. Est-ce que tu aurais une dernière chose à partager avec nous autour de ta voix ? Ou de la voix des autres, enfin de la voix en général ?

  • Harriette

    Je pense qu'en général, on a chacun, chaque personne, à sa voix qui est propre. Je pense qu'il faut être fier de ça et continuer à porter celle qu'on a, parce que ça nous est propre et ça nous identifie.

  • Christine

    Merci pour ce dernier message et pour tout ce que tu as partagé, la générosité avec laquelle tu t'es prêtée aussi à mes petites expériences, à mes questions. Merci beaucoup, Harriette, d'avoir accepté de participer à On n'a qu'une voix.

  • Harriette

    Merci, Christine.

  • Christine

    Merci à vous d'avoir écouté cet épisode d'On n'a qu'une voix jusqu'au bout. S'il vous a plu... Abonnez-vous dès maintenant pour ne pas manquer la voix de mes prochains invités. Et pour soutenir mon podcast, je vous propose de le noter et de le commenter sur votre application d'écoute préférée. Enfin, un merci tout particulier à Émilie Décla, qui a créé et interprété toutes les musiques d'On n'a qu'une voix. Retrouvez l'actualité du podcast sur le compte Instagram ou LinkedIn, entre voix et mots. A bientôt !

Share

Embed

You may also like

Description

Une voix, 5 langues.
Et un parcours incroyable.
C’est ce parcours qu’Harriette Elenburg nous raconte dans cet épisode, dans un français impeccable, mais coloré d’un accent qui évoque un ailleurs.


Elle est née au Curaçao, une petite île des Antilles aujourd’hui autonome, toujours rattachée au Pays-Bas.
Elle commence d’abord par parler le papiamento, sa langue maternelle. Et très vite, le néerlandais arrive à l’école, suivi de l’anglais, de l’espagnol et du français.

Et si vous écoutez l'épisode avec attention, vous allez découvrir qu'une 6ᵉ langue s'est fait une place dans son quotidien et dans celui de sa famille...

Avec Harriette, nous allons évoquer :
- ce que sa voix et son accent disent de ses origines, de son parcours ; 

- la place qu’elle a donnée à chacune des langues qu’elle a apprises, entre cœur et raison ; 

- en quoi sa voix est un atout dans le cadre professionnel.

Un épisode qui nous invite à adopter une oreille plus douce et un regard ouvert sur les voix qui viennent d’ailleurs.

Bonne écoute !

________


Suivez l'actualité du podcast sur le compte Entre voix et mots : Instagram ou LinkedIn.


Je vous invite à vous abonner au podcast sur votre application d'écoute préférée.

Vous pouvez aussi le noter ⭐⭐⭐⭐⭐ sur Apple podcast ou Spotify : merci par avance pour cette aide précieuse !


Vous avez envie de partager l’histoire de votre voix ?

📩 Contactez-moi à l’adresse suivante : christine.irabola.redac@gmail.com.


Crédits :

  • Réalisation, montage, mixage : Christine Irabola

  • Musiques et chants : Émilie Décla

  • Hébergement : Ausha



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Christine

    On n'a qu'une voix, un podcast pour découvrir ce que cache notre voix. Chaque mois, venez à la rencontre de mes invités qui lèvent le voile sur l'histoire singulière de leur voix. Au programme, des voix parlées, des voix chantées, des voix jouées et des voix parfois malmenées. L'intention ? Vous procurer des émotions, vous faire voyager, vous apporter des conseils et vous proposer un pas de côté pour vous inviter à aimer votre voix. Dans cet épisode, vous allez entendre la voix d'Ariette Ellenberg. Ariette est née au Curacao, une petite île des Caraïbes, rattachée aux Pays-Bas mais aujourd'hui autonome. Sa langue maternelle c'est le papillamento, un créole parlé dans les territoires néerlandais. Et quand on grandit dans une île à la croisée des chemins entre l'Amérique centrale, les Antilles hollandaises et le Venezuela, on apprend très tôt à parler plusieurs langues en même temps. Alors avec Ariette, nous allons évoquer ce que sa voix et son accent disent d'elle et de son parcours, la place des langues dans sa vie et dans celle de sa famille, et enfin... En quoi sa voix est un atout dans sa sphère professionnelle, en tant que formatrice et enseignante à l'université. Un épisode qui nous invite à adopter une oreille plus douce et un regard plus ouvert sur les voix qui viennent d'ailleurs. Bonne écoute !

  • Harriette

    Bonjour, je m'appelle Harriette Elenburg. Je vais prononcer mon nom de famille tel que ça se prononce. Et je suis née à Curaçao. Curaçao, c'est une île qui se trouve dans les Caraïbes, pas très loin de Venezuela. Et on fait partie de ce qui était avant, ça s'appelait les Antilles hollandaises. On est toujours dépendant de la Hollande, mais on est autonome dans le sens qu'il y a un gouvernement au niveau de l'île Curaçao. Donc moi je suis née à Curaçao, j'ai vécu jusqu'à l'âge de 18 ans à Curaçao. Et après, je suis venue étudier aux Pays-Bas. Pendant un certain nombre d'années, j'ai vécu aux Pays-Bas. Et quand j'ai terminé mes études, je suis venue vivre en France, à Paris.

  • Christine

    Et aujourd'hui, tu dirais que la voix a quelle place dans ta vie ?

  • Harriette

    La communication, elle est importante de toute façon. Donc, du coup, pour moi... Pour tout être humain, la voix, elle est importante. Elle a une place importante parce que sans la voix, on ne peut pas communiquer.

  • Christine

    Et pour toi en particulier, tu dirais quoi ?

  • Harriette

    Peut-être c'est parce que, d'un, je ne suis pas une Française. Donc du coup, quand j'habite en France, ça s'entend direct que je ne suis pas Française. Et donc du coup, je peux être amenée à tout le temps. expliquer d'où je viens, à tel point que, bon, je ne l'ai pas encore fait, mais je pourrais me balader avec une petite carte qui explique tout simplement, tout le temps, les mêmes phrases que je viens de dire. Je suis née à Curaçao. Curaçao, c'est une petite île qui se trouve dans les Caraïbes, à côté de Venezuela, etc. Parce que c'est tellement petit que personne ne va connaître, donc je l'explique tout le temps. Et voilà, donc dans ce sens-là, déjà, ma voix, elle... Je pense qu'il y a deux choses. Il y a le fait que j'ai un accent quand je parle en français et aussi le fait que... la façon comment je parle. Parce qu'en français, il y a peut-être plusieurs... C'est plus nuancé, il y a plus de diplomatie, etc. Et dans ma langue maternelle, et aussi peut-être avec l'éducation hollandaise que j'ai eue par l'école et tout ça, on est beaucoup plus direct.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Donc du coup, même si je parle en français, je vais être beaucoup plus directe.

  • Christine

    Oui, c'est-à-dire que tu as gardé finalement les codes culturels qui sont les tiens.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    Mais que tu as transposés dans la langue française.

  • Harriette

    Oui. Parce que je pense que ça, c'est très difficile à perdre. Donc, même si moi, j'ai l'impression de faire beaucoup d'efforts, je peux me trouver très facilement dans des situations où je me suis rendu compte que l'autre a trouvé que j'étais trop directe.

  • Christine

    D'accord. Donc en fait, ta voix finalement, elle dit une partie de ton histoire. Est-ce que tu es d'accord avec ça ?

  • Harriette

    Oui, oui, je pense. Je pense que direct et indirect, consciemment et inconsciemment, oui.

  • Christine

    Parce que tu as parlé d'accent. Tu disais qu'on t'interrogeait souvent là-dessus. Est-ce que c'est quelque chose qui est pesant pour toi quand on te renvoie toujours à ton accent, d'où il vient, etc. ? Comment tu le vis, toi ?

  • Harriette

    Après, je suis... Il y a deux choses. Après, ça dépend. Parfois, on a plus envie ou plus d'énergie à expliquer les choses que d'autres. Après, ça dépend aussi de comment la question, elle est posée. Parce que parfois, on ne sent pas l'interlocuteur, la façon comment la personne nous pose la question et qu'on a envie de dire je suis en train de parler français avec vous. Donc, je crois que vous me comprenez. Mais donc, ça dépend comment la question, elle est posée. Et dans quel contexte. Mais sinon, en règle générale, ça ne me gêne pas trop d'expliquer. Je comprends pourquoi cette question, elle arrive. Il y a aussi le physique, on peut voir aussi, je suis noire, donc on voit que je suis d'ailleurs, ça se voit.

  • Christine

    Est-ce que tu aurais des anecdotes à nous raconter où ton accent a été un obstacle pour toi ? Ou à l'inverse, ça a été un atout ? Est-ce que tu as souvenir de ça ?

  • Harriette

    Je pense que faire l'accent un atout, peut-être par des moments, je peux me sauver la mise, où on me retorque un mot que j'ai employé et que je peux dire, vous comprenez, je ne suis pas française, je n'avais pas employé peut-être le bon mot au bon escient. Donc du coup, je gagne du temps et peut-être voir des points là-dessus. Donc là, parfois, je peux rattraper peut-être une erreur que je n'ai pas voulu commettre, mais bon, voilà. Et donc ça, c'est d'une.

  • Christine

    Et l'accent comme obstacle ?

  • Harriette

    Et obstacle, c'est... mais bon, je ne sais pas si c'est l'accent qui est un obstacle ou déjà, comme je dis, l'image. On voit d'abord déjà que je suis d'ailleurs. Après vient la parole et après on est, je veux dire, des Antilles. Il y a les Antilles françaises. Donc on peut aussi penser que je suis guadeloupienne ou martiniquaise. Donc du coup, effectivement, quand j'ouvre la bouche, on va entendre que je ne suis pas ni martiniquaise ni guadeloupienne parce qu'on n'a pas le même accent.

  • Christine

    Tout à fait.

  • Harriette

    Ou île de la Réunion. Je veux dire les îles. les dom-toms.

  • Christine

    Et alors, par rapport aux langues que tu parles depuis jeune, est-ce que tu peux nous dire quelles langues tu parlais déjà quand tu étais enfant ? Parce que je pense que tu en parlais plusieurs déjà quand tu étais enfant.

  • Harriette

    Oui, donc à Curaçao, quand moi j'ai fait... Ma scolarité, la langue d'enseignement était le néerlandais. Donc, du coup, à partir du moment que j'ai commencé à aller à l'école maternelle, donc avec mes trois ans, j'ai commencé à entendre le néerlandais. Bien que mes parents, ma mère, elle lit beaucoup, mais ça n'empêche que ma mère, elle ne me parlait pas en néerlandais. Mes parents, à la maison, on parle le créole de Curaçao, qui est une langue. qui s'appelle le papiamento. Après, mes parents, ils avaient déjà des amis néerlandophones, donc peut-être que je l'avais déjà entendue, cette langue. Mais vraiment, apprendre, on va dire, c'est à l'école, à la maternelle, et donc à peu près avec l'âge de 3 ans, et après jusqu'à mes 18 ans, parce que pendant toute la scolarité, toutes les matières étaient enseignées par le néerlandais. Donc du coup, dans la classe, le maître ou la maîtresse nous parlait ou le professeur nous parlait en néerlandais. Après, je pouvais être à côté d'une copine à qui je parle en papiamento, mais quand je m'adresse au professeur, je vais m'adresser en néerlandais au professeur. Donc voilà, du coup, ces deux langues cohabitaient, on va dire, à partir de... de très jeune âge déjà. Et après, à Curaçao, comme on est une île, et dépendante du tourisme, c'est une source de revenus économiques, la proximité avec le Venezuela, donc on apprend à l'école, avec l'âge, je pense, à peu près 10-11 ans par là, on commence à apprendre l'espagnol et l'anglais. Mais ça va assez vite parce que l'espagnol, ça fait longtemps qu'on l'entend déjà à la télé. Et pareil pour l'anglais, on est quand même très axé vers les États-Unis. Donc, on a déjà entendu l'anglais. On ne va peut-être pas tout comprendre, mais on l'a déjà entendu. Donc, du coup, ces deux langues, on va assez vite avancer là-dedans. Et par exemple, le... les examens, parce que si on passe l'examen, on va dire l'équivalent du bac à Curaçao, ou on le passe à Amsterdam, c'est le même bac, sauf que la matière espagnole, par exemple, ce n'est pas les néerlandophones qui vont préparer les sujets pour les Antilles, parce qu'ils savent très bien que si eux, ils le préparent à Amsterdam pour que nous, on le passe, on aura tous réussi. Donc du coup, c'est préparé aux Antilles pour les Antillais. Et ce n'est pas les mêmes examens que ceux de métropole, ils passent.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Parce que nos niveaux ne sont pas pareils.

  • Christine

    Donc en fait, le papiamento n'avait pas ou n'a toujours pas sa place à l'école, c'est ça ?

  • Harriette

    Aujourd'hui, oui.

  • Christine

    Aujourd'hui, oui. Mais à ton époque, non, ce n'était pas le cas.

  • Harriette

    Non. Voilà. Et moi, je n'ai pas appris le papiamento comme langue, je ne l'ai jamais appris. Je veux dire, je ne l'ai pas appris à l'écrire, à le lire. Et donc, du coup, aujourd'hui, je l'écris, mais je l'écris de façon phonétique.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Donc, je sais qu'il y a plein d'accents dans tous les sens que je n'emploie pas parce que, voilà.

  • Christine

    Et est-ce que toi, tu dirais que c'est ta langue maternelle, le papiamento ?

  • Harriette

    Ah oui, c'est ma langue maternelle, oui.

  • Christine

    Et le néerlandais, pas forcément ?

  • Harriette

    Non, ce n'est pas ma langue maternelle, mais... Bon, je pense qu'on se considère un peu bilingue aux Antilles parce qu'on a tous appris quasiment en même temps le néerlandais. Mais bon, non, ma langue maternelle, c'est le papiamento.

  • Christine

    Donc là, tu nous as parlé du papiamento, du néerlandais, de l'anglais et l'espagnol. Aujourd'hui, tu parles français aussi. C'est arrivé quand le français ?

  • Harriette

    Ah ben, à Curacao, déjà, j'ai commencé à apprendre le français parce que... À un moment donné, je ne sais plus à quel âge, à un moment donné, il faut faire un choix dans le cursus scolaire. Et on a soit l'allemand ou le français qui s'ajoutent, un des deux. Donc, j'avais choisi le français et que j'avais gardé jusqu'à la fin, optionnellement. Donc, je n'avais pas l'obligation de le garder. Je ne sais plus combien de temps c'est obligatoire. On va dire un an ou deux, peut-être. Et moi, j'ai dû le garder quatre ans. Mais bon, ça, c'était une langue purement théorique. Parce qu'à Curacao, tu n'entends pas parler le français. Donc, quand tu n'entends pas parler une langue, tu ne parles pas la langue. Donc, je me rappelle que dans le cours avec un des derniers professeurs que j'avais, qui s'arrachait les cheveux avec nous, parce que lui, il nous parlait, la majorité du temps, on ne comprenait pas ce qu'il disait. On devait lire des livres à la fin pour passer l'équivalent du bac, il fallait lire des livres en français. Le mot est passé parmi les lycéens comme quoi il fallait lire Le Petit Prince parce qu'il n'y a pas beaucoup de pages, donc tout le monde s'est rué à la bibliothèque pour aller chercher Le Petit Prince. On l'a tous lu, personne n'a compris Le Petit Prince. Personne n'a compris. Et donc on était là en espérant que personne ne va nous demander à l'oral parce qu'on ne pourrait pas parler de ça. Et pareil, j'ai dû... La première fois que j'ai lu L'étranger de Camus, c'était aussi à Curaçao, mais la moitié du livre, je n'ai pas compris. Mais bon, voilà, c'était comme ça. Donc, voilà.

  • Christine

    Alors aujourd'hui, toutes ces langues, elles ont quelle place dans ta vie ?

  • Harriette

    Disons que le français, j'habite en France, donc je parle tous les jours le français. Aujourd'hui, donc depuis, ma fille est née, elle a 15 ans. Donc, depuis 15 ans, je parle à nouveau le papiamento tous les jours parce que je parle le papiamento avec mes enfants. Et je travaille en anglais parce que j'enseigne à l'université où je dois enseigner devant des étudiants une matière en anglais. Et je n'habite pas très loin de la frontière espagnole, donc je peux me trouver à parler espagnol parce qu'on n'est pas très loin de l'Espagne. Le néerlandais, c'est le plus loin parce que c'est que quand je parle avec des amis aux Pays-Bas, etc., par téléphone ou autre, que je vais parler le néerlandais.

  • Christine

    Oui, finalement, les autres, elles ont quand même une place importante dans ta vie, tu vois.

  • Harriette

    Oui. Mais l'anglais, à un moment donné, parce que ça ne fait que trois ans, donc ça c'est la troisième année que j'enseigne en anglais, mais depuis 2010 à peu près, et maintenant on est en 2025, donc on va dire depuis 2010 jusqu'à 2023, mon anglais était quasiment absent. Et donc, ça commençait à me manquer. Parce qu'une langue apprise n'est jamais acquise. Donc du coup, à un moment donné, je ne voulais pas la perdre. Donc je savais qu'il y avait la possibilité d'enseigner en anglais. Et donc je me suis donné les moyens pour que je puisse le faire.

  • Christine

    Alors je te vais proposer une image, tu vas me dire si elle te parle. J'ai imaginé, en pensant à toi Harriette, que les langues pourraient être les différentes pièces de ta maison. Je ne sais pas si cette image peut te parler. Et du coup, la question qui vient derrière, c'est dans laquelle de ces pièces-là, tu te sens la plus à l'aise ou la moins à l'aise ?

  • Harriette

    Ça va dépendre du sujet. Disons que, par exemple... Je sais que mon compagnon, on s'est connu en France, et bien je vais être très à l'aise avec lui de parler en français. En revanche, quand mes filles étaient nées, j'ai fait quand même travailler le cœur, plutôt que la raison, de choisir de leur parler en papiamento, plutôt qu'en hollandais. sachant que mes filles comme je suis de nationalité hollandaise, elles, elles ont la nationalité hollandaise aussi, j'aurais pu choisir le néerlandais et donc leur ouvrir cette possibilité de si jamais elles veulent un jour aller s'installer aux Pays-Bas, leur donner cette possibilité-là. Eh bien, je n'ai pas fait ce choix-là parce que c'était un choix trop raisonné dans ma tête et je n'avais pas envie de raisonner ce choix. Donc, voilà. Donc, il y a ça. Après, par exemple, on est en train de construire une maison là où on habite. Quand les copains hollandais me demandent où est-ce qu'on en est avec la construction et tout ça, il y a plein de mots techniques que je ne connais pas en néerlandais. que je vais devoir, parce que ce n'est pas un domaine dans lequel j'ai vécu, ni aux Pays-Bas, ni je ne sais pas. Donc, ça me demande beaucoup d'efforts, aller chercher les mots, etc. pour que ce soit un peu compréhensible ce que je raconte. Donc, parfois, il y a un vécu dans une langue qui fait qu'on perd un peu de vocabulaire dans un autre.

  • Christine

    Ça dépend des personnes que tu as en face déjà, ça compte quand même, puisque tu l'as dit au début de l'entretien, la voix ça sert à communiquer quand même essentiellement. Mais tu sais, tu as parlé beaucoup du papiamento comme c'est ta langue maternelle, donc la langue du cœur. Tu viens d'en parler par rapport aux choix que tu fais vis-à-vis de tes filles. Est-ce qu'il y a une langue dans laquelle tu vas être, selon les émotions que tu traverses, est-ce qu'il y en a une qui va sortir, par exemple si c'est quelque chose de chargé ou une colère ? Est-ce que du coup ça sort ? En Papiamento, par exemple, est-ce que tu as pu noter que, selon les émotions que tu vis, il y a une langue qui prend le dessus sur une autre, ou peut-être pas du tout ?

  • Harriette

    Je pense que, depuis que mes enfants sont nés, que je parle davantage le Papiamento, il y a, si je suis en colère, soit le Papiamento ou le français va sortir. Ni l'espagnol, ni l'anglais, ni l'hollandais. Parce que je ne vis pas aujourd'hui dans ces langues-là. Mais demain, si je vis dans un environnement anglophone, l'anglais va sortir.

  • Christine

    Oui, bien sûr. Est-ce que toi, tu passes d'une langue à l'autre quand tu parles, par exemple avec tes filles ? Est-ce que tu parles en français et puis d'un coup, hop, il peut y avoir un petit mot en papiamento ? Ou tu leur parles que en papiamento ? Que en papillamento. Ah oui, d'accord. Donc, il n'y a pas du tout de switch d'une langue à l'autre ? Non.

  • Harriette

    Après ce qui se passe c'est que, comme c'est une langue, parce qu'à la base, c'est la langue que les esclaves parlaient à Curaçao, donc c'est comme tous les créoles, c'est un mélange entre une langue africaine avec des langues européennes. Donc en fait, le papiamento ressemble beaucoup au portugais, il y a des connotations portugaises, espagnoles, etc., des mots comme ça, voire aussi des hollandais dedans. Sauf que, il y a... Surtout, par exemple, la flore et la faune, donc par exemple des animaux qui n'existent pas à Curaçao. Alors, ce sont des mots hollandais qui vont être utilisés. Parce que les animaux n'existent pas sur l'île. Puisqu'ils n'ont jamais existé, en Papiamento, le mot n'existe pas. Et du coup, je vais dire à mes filles, dans ce cas-là, on va utiliser le mot hollandais et je vais leur dire le mot hollandais. Mais sinon, elles ont grandi et elles sont habituées d'entendre que le papiamento de ma bouche.

  • Christine

    D'accord. Et leur papa leur parle français depuis qu'elles sont petites.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    C'est ça. Et puis, le basque est arrivé aussi dans votre famille. Oui. Est-ce que vous parliez le basque l'un et l'autre avant d'avoir vos filles ou pas du tout ?

  • Harriette

    Non, pas du tout.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Mais on est venu s'installer au Pays basque et... pour moi, une langue quand même minoritaire en France. Je veux dire, au Pays basque, ça peut être une langue majoritaire, mais en France, ça reste une langue minoritaire. Donc, du coup, en étant moi-même d'une langue minoritaire, je trouvais que ça faisait un joli honneur aux filles de, on va dire, un joli clin d'œil à faire pour les filles, à faire honneur à la... la région dans laquelle elles sont nées. Elles sont nées au Pays basque, il y a la langue basque qui existe, alors qu'elles apprennent aussi parce qu'elles sont nées dans ce territoire.

  • Christine

    Donc vous avez fait le choix de les inscrire dans une Ikastola, c'est ça ? Donc une Ikastola, pour les auditeurs qui ne connaissent pas, c'est une école que en basque.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    Et donc depuis la maternelle jusqu'à... Quel âge elles ont aujourd'hui ?

  • Harriette

    Alors ma grande, elle a fait, on va dire, mis à part... une année ou une année et demie de pause, mais sinon, elle a fait toute sa scolarité à partir de 3 ans jusqu'à aujourd'hui. Elle est au lycée, elle a 15 ans. Elle a fait dans le système immersion basque. Ma petite-fille, elle est cadette. Elle a démarré à 3 ans aussi. Elle a 11 ans aujourd'hui. Elle est au collège. Mais comme nous, on a quitté Bayonne et on habite à l'intérieur du Pays basque. Donc, maintenant, elle est dans le système public scolaire où elle est dans une classe bilingue. Donc, elle a le basque, mais c'est plus l'immersion comme dans les Ikastolak.

  • Christine

    Et alors, quelle place a le basque dans votre famille au quotidien ? Est-ce qu'il a une place ou est-ce que c'est vraiment le basque, c'est leur partie à elle, à l'école, avec leurs amis, etc. ? Comment ça se passe ?

  • Harriette

    Non, mais disons que nous, on... Il peut y avoir des manifestations culturelles basques où on va participer, amener les filles, etc. Les filles, ça leur a pris un temps, mais maintenant, elles ont compris que parfois, entre elles, elles peuvent parler le basque et que les parents ne comprennent pas. Mais bon, moi, je me demandais comment ça se fait que depuis le temps, elles n'ont pas compris ça. Mais bon, voilà, c'est compris. Et après La grande, comme elle, elle a une bonne maîtrise, elle, elle parle, elle peut se trouver au téléphone avec ses copines à parler le basque, etc. Mais sinon, dans le nucléo familial, c'est vrai que le basque n'a pas beaucoup, beaucoup de place. Après, on fait l'accompagnement scolaire dans le sens qu'on doit faire interroger, etc. les cours. Moi, je ne demande pas aux filles de traduire. ce qui a marqué parce que ça leur demande beaucoup d'efforts. Il faut quand même que juste elles fassent leur devoir. Donc du coup, bon, je me trouve à lire un basque que je ne comprends pas. Mais bon, si elle m'explique qu'est-ce qu'il faut lire et qu'est-ce qu'elle doit répondre, je sais lire. Même si je ne comprends pas, je lis.

  • Christine

    Tu sais dire quelques mots quand même parce que tout à l'heure, j'étais entendue dire « Milesker » , c'est « merci » en basque. Donc tu parsèmes de temps en temps, d'un peu de vocabulaire basque.

  • Harriette

    Oui, oui, oui. Des petits clins d'œil. Oui, oui. J'ai quelques mots comme ça, effectivement. Mais bon, ça fait maintenant depuis 2010 qu'on est au Pays basque. Donc, si on n'a toujours pas compris que Egun on, c'est bonjour, on ne va plus jamais le comprendre. C'est sûr.

  • Christine

    Est-ce que tu pourrais nous dire quelque chose en papiamento pour qu'on puisse entendre cette langue que, enfin moi j'ai découverte grâce à toi, honnêtement je ne connaissais pas cette langue, donc je pense qu'il y a des personnes qui seraient curieuses d'entendre cette langue. Et si tu es d'accord, j'aimerais bien qu'on fasse comme une petite expérience. Tu choisis une phrase, ça peut être une phrase bateau, mais ce qui te vient, et que tu puisses la dire en français, mais peut-être pas forcément en premier, c'est toi qui verras. Mais dans l'idée qu'on l'entende en papiamento, peut-être en néerlandais et en français. Et puis on en parle après de cette expérience. Tu veux bien ?

  • Harriette

    Oui, oui, d'accord. [Passage en papiamento, traduit ensuite en français par Harriette.] Je m'appelle Harriette. Alors, j'ai dit que... Je m'appelle Harriette, j'ai deux filles. Je suis la maman de deux filles, une qui s'appelle Liloa et l'autre qui s'appelle Paz. Ça fait un certain nombre d'années déjà que j'habite en France et des fois, le curaçao me manque.

  • Christine

    Génial, merci.

  • Harriette

    Il fallait quand même que je réfléchisse pour la traduction. Oui,

  • Christine

    Parce qu'en fait, tu as choisi une longue phrase, donc je suis impressionnée. En même temps, tu as fermé les yeux, tu étais concentré sur ce que tu disais.

  • Harriette

    Ben oui.

  • Christine

    Est-ce que tu saurais dire si dans ta voix... Parce que là, tu as parlé dans trois langues différentes. Est-ce qu'il se passe des choses différentes quand tu t'exprimes dans chacune d'entre elles ?

  • Harriette

    Oui, je pense que bon, déjà, on entendait que ma voix tremblait. Donc du coup, le papiamento, c'était... Donc j'ai démarré comme c'était la demande de démarrer en papiamento. Donc forcément, j'étais plus proche de mes émotions. En français, je suis restée encore proche de mes émotions. et en... néerlandais, je me suis éloignée le plus.

  • Christine

    Là, tu étais plus dans la traduction de ce que tu avais à dire. Mais on a entendu, en effet, la voix, enfin, je t'ai vue, en plus, moi, je te vois, donc ça vibrait en papiamento, et je ne savais pas ce que tu disais, mais j'ai compris « curaçao » à la fin, et j'ai senti qu'il y avait quelque chose, une émotion forte, en lien avec le fait d'évoquer ton île, c'est ça ? Ouais. En tout cas, merci de t'être prêtée à cette petite expérience. Et puis, je voulais aller sur un dernier terrain avec toi, c'était la partie professionnelle, la voix dans ta sphère professionnelle. Tu l'as dit, tu travailles dans une université, donc on peut te considérer comme formatrice ou enseignante. Ça veut dire que la voix est un outil pour toi dans ton quotidien professionnel. Quelle place tu dirais qu'elle a la voix dans cette sphère-là ?

  • Harriette

    Alors, du coup, oui, je suis... Soit formatrice pour adultes ou enseignante pour des étudiants en formation continue, mais dans les deux cas, je dois former sur un thème particulier. Donc oui, la voix, elle est importante parce que je peux être amenée à parler devant un groupe plus ou moins grand et beaucoup de personnes, mais les personnes jusqu'au bout de la salle doivent entendre. Donc je ne peux pas chuchoter. Bon, après souvent, je suis quand même debout, je ne vais pas délivrer la formation assise. Je suis déjà debout, mais même si je suis debout, il faut que ma voix porte jusqu'au bout. Bon, moi, ça c'est quelque chose d'inconscient. Je ne réfléchis pas à est-ce que celui au bout m'entend. Je pense que j'ai une voix suffisamment qui porte loin de... d'elle-même que les personnes m'entendent. Donc, c'est plutôt le contraire. Je dois maîtriser si je veux chuchoter. Je pense que chuchoter, j'ai un peu plus du mal à faire. Donc, pour ce qui est de ma vie professionnelle, oui, ma voix, elle est plutôt un atout qu'un obstacle.

  • Christine

    D'accord, super. Et est-ce que des fois, à la fin d'une journée, parce que je pense que tu parles pas mal, et en plus, même si tu dis que c'est inconscient, il faut quand même que tu portes ta voix. Naturellement, tu as une voix qui porte, mais quand même, ça te demande peut-être, même inconsciemment, un effort. Est-ce que parfois, ta voix est fatiguée ? Et à ce moment-là, est-ce que tu as des petites astuces que tu appliques pour essayer de prendre soin de ta voix ou c'est quelque chose qui t'est étranger ?

  • Harriette

    Non, ma voix, elle ne me fatigue pas. Dans la formation, c'est plus le fait qu'on est sollicité tout le temps, pendant longtemps, qu'on est devant les groupes, que du coup, il faut effectivement, si je passe toute une semaine à délivrer des formations, qu'à la fin de la semaine, je suis épuisée. Je suis épuisée parce qu'on est sollicité tout le temps pour répondre à des questions, réexpliquer les choses, donner d'autres exemples, etc. Donc, effectivement, ça, ça me demande une... concentration pour retrouver l'énergie. Mais je n'ai pas l'impression que ça vient du fait de l'importance de la voix dans la formation.

  • Christine

    C'est plus une fatigue intellectuelle que vocale finalement, c'est ça que tu dis ? Oui, je pense. Est-ce que tu aurais une dernière chose à partager avec nous autour de ta voix ? Ou de la voix des autres, enfin de la voix en général ?

  • Harriette

    Je pense qu'en général, on a chacun, chaque personne, à sa voix qui est propre. Je pense qu'il faut être fier de ça et continuer à porter celle qu'on a, parce que ça nous est propre et ça nous identifie.

  • Christine

    Merci pour ce dernier message et pour tout ce que tu as partagé, la générosité avec laquelle tu t'es prêtée aussi à mes petites expériences, à mes questions. Merci beaucoup, Harriette, d'avoir accepté de participer à On n'a qu'une voix.

  • Harriette

    Merci, Christine.

  • Christine

    Merci à vous d'avoir écouté cet épisode d'On n'a qu'une voix jusqu'au bout. S'il vous a plu... Abonnez-vous dès maintenant pour ne pas manquer la voix de mes prochains invités. Et pour soutenir mon podcast, je vous propose de le noter et de le commenter sur votre application d'écoute préférée. Enfin, un merci tout particulier à Émilie Décla, qui a créé et interprété toutes les musiques d'On n'a qu'une voix. Retrouvez l'actualité du podcast sur le compte Instagram ou LinkedIn, entre voix et mots. A bientôt !

Description

Une voix, 5 langues.
Et un parcours incroyable.
C’est ce parcours qu’Harriette Elenburg nous raconte dans cet épisode, dans un français impeccable, mais coloré d’un accent qui évoque un ailleurs.


Elle est née au Curaçao, une petite île des Antilles aujourd’hui autonome, toujours rattachée au Pays-Bas.
Elle commence d’abord par parler le papiamento, sa langue maternelle. Et très vite, le néerlandais arrive à l’école, suivi de l’anglais, de l’espagnol et du français.

Et si vous écoutez l'épisode avec attention, vous allez découvrir qu'une 6ᵉ langue s'est fait une place dans son quotidien et dans celui de sa famille...

Avec Harriette, nous allons évoquer :
- ce que sa voix et son accent disent de ses origines, de son parcours ; 

- la place qu’elle a donnée à chacune des langues qu’elle a apprises, entre cœur et raison ; 

- en quoi sa voix est un atout dans le cadre professionnel.

Un épisode qui nous invite à adopter une oreille plus douce et un regard ouvert sur les voix qui viennent d’ailleurs.

Bonne écoute !

________


Suivez l'actualité du podcast sur le compte Entre voix et mots : Instagram ou LinkedIn.


Je vous invite à vous abonner au podcast sur votre application d'écoute préférée.

Vous pouvez aussi le noter ⭐⭐⭐⭐⭐ sur Apple podcast ou Spotify : merci par avance pour cette aide précieuse !


Vous avez envie de partager l’histoire de votre voix ?

📩 Contactez-moi à l’adresse suivante : christine.irabola.redac@gmail.com.


Crédits :

  • Réalisation, montage, mixage : Christine Irabola

  • Musiques et chants : Émilie Décla

  • Hébergement : Ausha



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Christine

    On n'a qu'une voix, un podcast pour découvrir ce que cache notre voix. Chaque mois, venez à la rencontre de mes invités qui lèvent le voile sur l'histoire singulière de leur voix. Au programme, des voix parlées, des voix chantées, des voix jouées et des voix parfois malmenées. L'intention ? Vous procurer des émotions, vous faire voyager, vous apporter des conseils et vous proposer un pas de côté pour vous inviter à aimer votre voix. Dans cet épisode, vous allez entendre la voix d'Ariette Ellenberg. Ariette est née au Curacao, une petite île des Caraïbes, rattachée aux Pays-Bas mais aujourd'hui autonome. Sa langue maternelle c'est le papillamento, un créole parlé dans les territoires néerlandais. Et quand on grandit dans une île à la croisée des chemins entre l'Amérique centrale, les Antilles hollandaises et le Venezuela, on apprend très tôt à parler plusieurs langues en même temps. Alors avec Ariette, nous allons évoquer ce que sa voix et son accent disent d'elle et de son parcours, la place des langues dans sa vie et dans celle de sa famille, et enfin... En quoi sa voix est un atout dans sa sphère professionnelle, en tant que formatrice et enseignante à l'université. Un épisode qui nous invite à adopter une oreille plus douce et un regard plus ouvert sur les voix qui viennent d'ailleurs. Bonne écoute !

  • Harriette

    Bonjour, je m'appelle Harriette Elenburg. Je vais prononcer mon nom de famille tel que ça se prononce. Et je suis née à Curaçao. Curaçao, c'est une île qui se trouve dans les Caraïbes, pas très loin de Venezuela. Et on fait partie de ce qui était avant, ça s'appelait les Antilles hollandaises. On est toujours dépendant de la Hollande, mais on est autonome dans le sens qu'il y a un gouvernement au niveau de l'île Curaçao. Donc moi je suis née à Curaçao, j'ai vécu jusqu'à l'âge de 18 ans à Curaçao. Et après, je suis venue étudier aux Pays-Bas. Pendant un certain nombre d'années, j'ai vécu aux Pays-Bas. Et quand j'ai terminé mes études, je suis venue vivre en France, à Paris.

  • Christine

    Et aujourd'hui, tu dirais que la voix a quelle place dans ta vie ?

  • Harriette

    La communication, elle est importante de toute façon. Donc, du coup, pour moi... Pour tout être humain, la voix, elle est importante. Elle a une place importante parce que sans la voix, on ne peut pas communiquer.

  • Christine

    Et pour toi en particulier, tu dirais quoi ?

  • Harriette

    Peut-être c'est parce que, d'un, je ne suis pas une Française. Donc du coup, quand j'habite en France, ça s'entend direct que je ne suis pas Française. Et donc du coup, je peux être amenée à tout le temps. expliquer d'où je viens, à tel point que, bon, je ne l'ai pas encore fait, mais je pourrais me balader avec une petite carte qui explique tout simplement, tout le temps, les mêmes phrases que je viens de dire. Je suis née à Curaçao. Curaçao, c'est une petite île qui se trouve dans les Caraïbes, à côté de Venezuela, etc. Parce que c'est tellement petit que personne ne va connaître, donc je l'explique tout le temps. Et voilà, donc dans ce sens-là, déjà, ma voix, elle... Je pense qu'il y a deux choses. Il y a le fait que j'ai un accent quand je parle en français et aussi le fait que... la façon comment je parle. Parce qu'en français, il y a peut-être plusieurs... C'est plus nuancé, il y a plus de diplomatie, etc. Et dans ma langue maternelle, et aussi peut-être avec l'éducation hollandaise que j'ai eue par l'école et tout ça, on est beaucoup plus direct.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Donc du coup, même si je parle en français, je vais être beaucoup plus directe.

  • Christine

    Oui, c'est-à-dire que tu as gardé finalement les codes culturels qui sont les tiens.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    Mais que tu as transposés dans la langue française.

  • Harriette

    Oui. Parce que je pense que ça, c'est très difficile à perdre. Donc, même si moi, j'ai l'impression de faire beaucoup d'efforts, je peux me trouver très facilement dans des situations où je me suis rendu compte que l'autre a trouvé que j'étais trop directe.

  • Christine

    D'accord. Donc en fait, ta voix finalement, elle dit une partie de ton histoire. Est-ce que tu es d'accord avec ça ?

  • Harriette

    Oui, oui, je pense. Je pense que direct et indirect, consciemment et inconsciemment, oui.

  • Christine

    Parce que tu as parlé d'accent. Tu disais qu'on t'interrogeait souvent là-dessus. Est-ce que c'est quelque chose qui est pesant pour toi quand on te renvoie toujours à ton accent, d'où il vient, etc. ? Comment tu le vis, toi ?

  • Harriette

    Après, je suis... Il y a deux choses. Après, ça dépend. Parfois, on a plus envie ou plus d'énergie à expliquer les choses que d'autres. Après, ça dépend aussi de comment la question, elle est posée. Parce que parfois, on ne sent pas l'interlocuteur, la façon comment la personne nous pose la question et qu'on a envie de dire je suis en train de parler français avec vous. Donc, je crois que vous me comprenez. Mais donc, ça dépend comment la question, elle est posée. Et dans quel contexte. Mais sinon, en règle générale, ça ne me gêne pas trop d'expliquer. Je comprends pourquoi cette question, elle arrive. Il y a aussi le physique, on peut voir aussi, je suis noire, donc on voit que je suis d'ailleurs, ça se voit.

  • Christine

    Est-ce que tu aurais des anecdotes à nous raconter où ton accent a été un obstacle pour toi ? Ou à l'inverse, ça a été un atout ? Est-ce que tu as souvenir de ça ?

  • Harriette

    Je pense que faire l'accent un atout, peut-être par des moments, je peux me sauver la mise, où on me retorque un mot que j'ai employé et que je peux dire, vous comprenez, je ne suis pas française, je n'avais pas employé peut-être le bon mot au bon escient. Donc du coup, je gagne du temps et peut-être voir des points là-dessus. Donc là, parfois, je peux rattraper peut-être une erreur que je n'ai pas voulu commettre, mais bon, voilà. Et donc ça, c'est d'une.

  • Christine

    Et l'accent comme obstacle ?

  • Harriette

    Et obstacle, c'est... mais bon, je ne sais pas si c'est l'accent qui est un obstacle ou déjà, comme je dis, l'image. On voit d'abord déjà que je suis d'ailleurs. Après vient la parole et après on est, je veux dire, des Antilles. Il y a les Antilles françaises. Donc on peut aussi penser que je suis guadeloupienne ou martiniquaise. Donc du coup, effectivement, quand j'ouvre la bouche, on va entendre que je ne suis pas ni martiniquaise ni guadeloupienne parce qu'on n'a pas le même accent.

  • Christine

    Tout à fait.

  • Harriette

    Ou île de la Réunion. Je veux dire les îles. les dom-toms.

  • Christine

    Et alors, par rapport aux langues que tu parles depuis jeune, est-ce que tu peux nous dire quelles langues tu parlais déjà quand tu étais enfant ? Parce que je pense que tu en parlais plusieurs déjà quand tu étais enfant.

  • Harriette

    Oui, donc à Curaçao, quand moi j'ai fait... Ma scolarité, la langue d'enseignement était le néerlandais. Donc, du coup, à partir du moment que j'ai commencé à aller à l'école maternelle, donc avec mes trois ans, j'ai commencé à entendre le néerlandais. Bien que mes parents, ma mère, elle lit beaucoup, mais ça n'empêche que ma mère, elle ne me parlait pas en néerlandais. Mes parents, à la maison, on parle le créole de Curaçao, qui est une langue. qui s'appelle le papiamento. Après, mes parents, ils avaient déjà des amis néerlandophones, donc peut-être que je l'avais déjà entendue, cette langue. Mais vraiment, apprendre, on va dire, c'est à l'école, à la maternelle, et donc à peu près avec l'âge de 3 ans, et après jusqu'à mes 18 ans, parce que pendant toute la scolarité, toutes les matières étaient enseignées par le néerlandais. Donc du coup, dans la classe, le maître ou la maîtresse nous parlait ou le professeur nous parlait en néerlandais. Après, je pouvais être à côté d'une copine à qui je parle en papiamento, mais quand je m'adresse au professeur, je vais m'adresser en néerlandais au professeur. Donc voilà, du coup, ces deux langues cohabitaient, on va dire, à partir de... de très jeune âge déjà. Et après, à Curaçao, comme on est une île, et dépendante du tourisme, c'est une source de revenus économiques, la proximité avec le Venezuela, donc on apprend à l'école, avec l'âge, je pense, à peu près 10-11 ans par là, on commence à apprendre l'espagnol et l'anglais. Mais ça va assez vite parce que l'espagnol, ça fait longtemps qu'on l'entend déjà à la télé. Et pareil pour l'anglais, on est quand même très axé vers les États-Unis. Donc, on a déjà entendu l'anglais. On ne va peut-être pas tout comprendre, mais on l'a déjà entendu. Donc, du coup, ces deux langues, on va assez vite avancer là-dedans. Et par exemple, le... les examens, parce que si on passe l'examen, on va dire l'équivalent du bac à Curaçao, ou on le passe à Amsterdam, c'est le même bac, sauf que la matière espagnole, par exemple, ce n'est pas les néerlandophones qui vont préparer les sujets pour les Antilles, parce qu'ils savent très bien que si eux, ils le préparent à Amsterdam pour que nous, on le passe, on aura tous réussi. Donc du coup, c'est préparé aux Antilles pour les Antillais. Et ce n'est pas les mêmes examens que ceux de métropole, ils passent.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Parce que nos niveaux ne sont pas pareils.

  • Christine

    Donc en fait, le papiamento n'avait pas ou n'a toujours pas sa place à l'école, c'est ça ?

  • Harriette

    Aujourd'hui, oui.

  • Christine

    Aujourd'hui, oui. Mais à ton époque, non, ce n'était pas le cas.

  • Harriette

    Non. Voilà. Et moi, je n'ai pas appris le papiamento comme langue, je ne l'ai jamais appris. Je veux dire, je ne l'ai pas appris à l'écrire, à le lire. Et donc, du coup, aujourd'hui, je l'écris, mais je l'écris de façon phonétique.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Donc, je sais qu'il y a plein d'accents dans tous les sens que je n'emploie pas parce que, voilà.

  • Christine

    Et est-ce que toi, tu dirais que c'est ta langue maternelle, le papiamento ?

  • Harriette

    Ah oui, c'est ma langue maternelle, oui.

  • Christine

    Et le néerlandais, pas forcément ?

  • Harriette

    Non, ce n'est pas ma langue maternelle, mais... Bon, je pense qu'on se considère un peu bilingue aux Antilles parce qu'on a tous appris quasiment en même temps le néerlandais. Mais bon, non, ma langue maternelle, c'est le papiamento.

  • Christine

    Donc là, tu nous as parlé du papiamento, du néerlandais, de l'anglais et l'espagnol. Aujourd'hui, tu parles français aussi. C'est arrivé quand le français ?

  • Harriette

    Ah ben, à Curacao, déjà, j'ai commencé à apprendre le français parce que... À un moment donné, je ne sais plus à quel âge, à un moment donné, il faut faire un choix dans le cursus scolaire. Et on a soit l'allemand ou le français qui s'ajoutent, un des deux. Donc, j'avais choisi le français et que j'avais gardé jusqu'à la fin, optionnellement. Donc, je n'avais pas l'obligation de le garder. Je ne sais plus combien de temps c'est obligatoire. On va dire un an ou deux, peut-être. Et moi, j'ai dû le garder quatre ans. Mais bon, ça, c'était une langue purement théorique. Parce qu'à Curacao, tu n'entends pas parler le français. Donc, quand tu n'entends pas parler une langue, tu ne parles pas la langue. Donc, je me rappelle que dans le cours avec un des derniers professeurs que j'avais, qui s'arrachait les cheveux avec nous, parce que lui, il nous parlait, la majorité du temps, on ne comprenait pas ce qu'il disait. On devait lire des livres à la fin pour passer l'équivalent du bac, il fallait lire des livres en français. Le mot est passé parmi les lycéens comme quoi il fallait lire Le Petit Prince parce qu'il n'y a pas beaucoup de pages, donc tout le monde s'est rué à la bibliothèque pour aller chercher Le Petit Prince. On l'a tous lu, personne n'a compris Le Petit Prince. Personne n'a compris. Et donc on était là en espérant que personne ne va nous demander à l'oral parce qu'on ne pourrait pas parler de ça. Et pareil, j'ai dû... La première fois que j'ai lu L'étranger de Camus, c'était aussi à Curaçao, mais la moitié du livre, je n'ai pas compris. Mais bon, voilà, c'était comme ça. Donc, voilà.

  • Christine

    Alors aujourd'hui, toutes ces langues, elles ont quelle place dans ta vie ?

  • Harriette

    Disons que le français, j'habite en France, donc je parle tous les jours le français. Aujourd'hui, donc depuis, ma fille est née, elle a 15 ans. Donc, depuis 15 ans, je parle à nouveau le papiamento tous les jours parce que je parle le papiamento avec mes enfants. Et je travaille en anglais parce que j'enseigne à l'université où je dois enseigner devant des étudiants une matière en anglais. Et je n'habite pas très loin de la frontière espagnole, donc je peux me trouver à parler espagnol parce qu'on n'est pas très loin de l'Espagne. Le néerlandais, c'est le plus loin parce que c'est que quand je parle avec des amis aux Pays-Bas, etc., par téléphone ou autre, que je vais parler le néerlandais.

  • Christine

    Oui, finalement, les autres, elles ont quand même une place importante dans ta vie, tu vois.

  • Harriette

    Oui. Mais l'anglais, à un moment donné, parce que ça ne fait que trois ans, donc ça c'est la troisième année que j'enseigne en anglais, mais depuis 2010 à peu près, et maintenant on est en 2025, donc on va dire depuis 2010 jusqu'à 2023, mon anglais était quasiment absent. Et donc, ça commençait à me manquer. Parce qu'une langue apprise n'est jamais acquise. Donc du coup, à un moment donné, je ne voulais pas la perdre. Donc je savais qu'il y avait la possibilité d'enseigner en anglais. Et donc je me suis donné les moyens pour que je puisse le faire.

  • Christine

    Alors je te vais proposer une image, tu vas me dire si elle te parle. J'ai imaginé, en pensant à toi Harriette, que les langues pourraient être les différentes pièces de ta maison. Je ne sais pas si cette image peut te parler. Et du coup, la question qui vient derrière, c'est dans laquelle de ces pièces-là, tu te sens la plus à l'aise ou la moins à l'aise ?

  • Harriette

    Ça va dépendre du sujet. Disons que, par exemple... Je sais que mon compagnon, on s'est connu en France, et bien je vais être très à l'aise avec lui de parler en français. En revanche, quand mes filles étaient nées, j'ai fait quand même travailler le cœur, plutôt que la raison, de choisir de leur parler en papiamento, plutôt qu'en hollandais. sachant que mes filles comme je suis de nationalité hollandaise, elles, elles ont la nationalité hollandaise aussi, j'aurais pu choisir le néerlandais et donc leur ouvrir cette possibilité de si jamais elles veulent un jour aller s'installer aux Pays-Bas, leur donner cette possibilité-là. Eh bien, je n'ai pas fait ce choix-là parce que c'était un choix trop raisonné dans ma tête et je n'avais pas envie de raisonner ce choix. Donc, voilà. Donc, il y a ça. Après, par exemple, on est en train de construire une maison là où on habite. Quand les copains hollandais me demandent où est-ce qu'on en est avec la construction et tout ça, il y a plein de mots techniques que je ne connais pas en néerlandais. que je vais devoir, parce que ce n'est pas un domaine dans lequel j'ai vécu, ni aux Pays-Bas, ni je ne sais pas. Donc, ça me demande beaucoup d'efforts, aller chercher les mots, etc. pour que ce soit un peu compréhensible ce que je raconte. Donc, parfois, il y a un vécu dans une langue qui fait qu'on perd un peu de vocabulaire dans un autre.

  • Christine

    Ça dépend des personnes que tu as en face déjà, ça compte quand même, puisque tu l'as dit au début de l'entretien, la voix ça sert à communiquer quand même essentiellement. Mais tu sais, tu as parlé beaucoup du papiamento comme c'est ta langue maternelle, donc la langue du cœur. Tu viens d'en parler par rapport aux choix que tu fais vis-à-vis de tes filles. Est-ce qu'il y a une langue dans laquelle tu vas être, selon les émotions que tu traverses, est-ce qu'il y en a une qui va sortir, par exemple si c'est quelque chose de chargé ou une colère ? Est-ce que du coup ça sort ? En Papiamento, par exemple, est-ce que tu as pu noter que, selon les émotions que tu vis, il y a une langue qui prend le dessus sur une autre, ou peut-être pas du tout ?

  • Harriette

    Je pense que, depuis que mes enfants sont nés, que je parle davantage le Papiamento, il y a, si je suis en colère, soit le Papiamento ou le français va sortir. Ni l'espagnol, ni l'anglais, ni l'hollandais. Parce que je ne vis pas aujourd'hui dans ces langues-là. Mais demain, si je vis dans un environnement anglophone, l'anglais va sortir.

  • Christine

    Oui, bien sûr. Est-ce que toi, tu passes d'une langue à l'autre quand tu parles, par exemple avec tes filles ? Est-ce que tu parles en français et puis d'un coup, hop, il peut y avoir un petit mot en papiamento ? Ou tu leur parles que en papiamento ? Que en papillamento. Ah oui, d'accord. Donc, il n'y a pas du tout de switch d'une langue à l'autre ? Non.

  • Harriette

    Après ce qui se passe c'est que, comme c'est une langue, parce qu'à la base, c'est la langue que les esclaves parlaient à Curaçao, donc c'est comme tous les créoles, c'est un mélange entre une langue africaine avec des langues européennes. Donc en fait, le papiamento ressemble beaucoup au portugais, il y a des connotations portugaises, espagnoles, etc., des mots comme ça, voire aussi des hollandais dedans. Sauf que, il y a... Surtout, par exemple, la flore et la faune, donc par exemple des animaux qui n'existent pas à Curaçao. Alors, ce sont des mots hollandais qui vont être utilisés. Parce que les animaux n'existent pas sur l'île. Puisqu'ils n'ont jamais existé, en Papiamento, le mot n'existe pas. Et du coup, je vais dire à mes filles, dans ce cas-là, on va utiliser le mot hollandais et je vais leur dire le mot hollandais. Mais sinon, elles ont grandi et elles sont habituées d'entendre que le papiamento de ma bouche.

  • Christine

    D'accord. Et leur papa leur parle français depuis qu'elles sont petites.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    C'est ça. Et puis, le basque est arrivé aussi dans votre famille. Oui. Est-ce que vous parliez le basque l'un et l'autre avant d'avoir vos filles ou pas du tout ?

  • Harriette

    Non, pas du tout.

  • Christine

    D'accord.

  • Harriette

    Mais on est venu s'installer au Pays basque et... pour moi, une langue quand même minoritaire en France. Je veux dire, au Pays basque, ça peut être une langue majoritaire, mais en France, ça reste une langue minoritaire. Donc, du coup, en étant moi-même d'une langue minoritaire, je trouvais que ça faisait un joli honneur aux filles de, on va dire, un joli clin d'œil à faire pour les filles, à faire honneur à la... la région dans laquelle elles sont nées. Elles sont nées au Pays basque, il y a la langue basque qui existe, alors qu'elles apprennent aussi parce qu'elles sont nées dans ce territoire.

  • Christine

    Donc vous avez fait le choix de les inscrire dans une Ikastola, c'est ça ? Donc une Ikastola, pour les auditeurs qui ne connaissent pas, c'est une école que en basque.

  • Harriette

    Oui.

  • Christine

    Et donc depuis la maternelle jusqu'à... Quel âge elles ont aujourd'hui ?

  • Harriette

    Alors ma grande, elle a fait, on va dire, mis à part... une année ou une année et demie de pause, mais sinon, elle a fait toute sa scolarité à partir de 3 ans jusqu'à aujourd'hui. Elle est au lycée, elle a 15 ans. Elle a fait dans le système immersion basque. Ma petite-fille, elle est cadette. Elle a démarré à 3 ans aussi. Elle a 11 ans aujourd'hui. Elle est au collège. Mais comme nous, on a quitté Bayonne et on habite à l'intérieur du Pays basque. Donc, maintenant, elle est dans le système public scolaire où elle est dans une classe bilingue. Donc, elle a le basque, mais c'est plus l'immersion comme dans les Ikastolak.

  • Christine

    Et alors, quelle place a le basque dans votre famille au quotidien ? Est-ce qu'il a une place ou est-ce que c'est vraiment le basque, c'est leur partie à elle, à l'école, avec leurs amis, etc. ? Comment ça se passe ?

  • Harriette

    Non, mais disons que nous, on... Il peut y avoir des manifestations culturelles basques où on va participer, amener les filles, etc. Les filles, ça leur a pris un temps, mais maintenant, elles ont compris que parfois, entre elles, elles peuvent parler le basque et que les parents ne comprennent pas. Mais bon, moi, je me demandais comment ça se fait que depuis le temps, elles n'ont pas compris ça. Mais bon, voilà, c'est compris. Et après La grande, comme elle, elle a une bonne maîtrise, elle, elle parle, elle peut se trouver au téléphone avec ses copines à parler le basque, etc. Mais sinon, dans le nucléo familial, c'est vrai que le basque n'a pas beaucoup, beaucoup de place. Après, on fait l'accompagnement scolaire dans le sens qu'on doit faire interroger, etc. les cours. Moi, je ne demande pas aux filles de traduire. ce qui a marqué parce que ça leur demande beaucoup d'efforts. Il faut quand même que juste elles fassent leur devoir. Donc du coup, bon, je me trouve à lire un basque que je ne comprends pas. Mais bon, si elle m'explique qu'est-ce qu'il faut lire et qu'est-ce qu'elle doit répondre, je sais lire. Même si je ne comprends pas, je lis.

  • Christine

    Tu sais dire quelques mots quand même parce que tout à l'heure, j'étais entendue dire « Milesker » , c'est « merci » en basque. Donc tu parsèmes de temps en temps, d'un peu de vocabulaire basque.

  • Harriette

    Oui, oui, oui. Des petits clins d'œil. Oui, oui. J'ai quelques mots comme ça, effectivement. Mais bon, ça fait maintenant depuis 2010 qu'on est au Pays basque. Donc, si on n'a toujours pas compris que Egun on, c'est bonjour, on ne va plus jamais le comprendre. C'est sûr.

  • Christine

    Est-ce que tu pourrais nous dire quelque chose en papiamento pour qu'on puisse entendre cette langue que, enfin moi j'ai découverte grâce à toi, honnêtement je ne connaissais pas cette langue, donc je pense qu'il y a des personnes qui seraient curieuses d'entendre cette langue. Et si tu es d'accord, j'aimerais bien qu'on fasse comme une petite expérience. Tu choisis une phrase, ça peut être une phrase bateau, mais ce qui te vient, et que tu puisses la dire en français, mais peut-être pas forcément en premier, c'est toi qui verras. Mais dans l'idée qu'on l'entende en papiamento, peut-être en néerlandais et en français. Et puis on en parle après de cette expérience. Tu veux bien ?

  • Harriette

    Oui, oui, d'accord. [Passage en papiamento, traduit ensuite en français par Harriette.] Je m'appelle Harriette. Alors, j'ai dit que... Je m'appelle Harriette, j'ai deux filles. Je suis la maman de deux filles, une qui s'appelle Liloa et l'autre qui s'appelle Paz. Ça fait un certain nombre d'années déjà que j'habite en France et des fois, le curaçao me manque.

  • Christine

    Génial, merci.

  • Harriette

    Il fallait quand même que je réfléchisse pour la traduction. Oui,

  • Christine

    Parce qu'en fait, tu as choisi une longue phrase, donc je suis impressionnée. En même temps, tu as fermé les yeux, tu étais concentré sur ce que tu disais.

  • Harriette

    Ben oui.

  • Christine

    Est-ce que tu saurais dire si dans ta voix... Parce que là, tu as parlé dans trois langues différentes. Est-ce qu'il se passe des choses différentes quand tu t'exprimes dans chacune d'entre elles ?

  • Harriette

    Oui, je pense que bon, déjà, on entendait que ma voix tremblait. Donc du coup, le papiamento, c'était... Donc j'ai démarré comme c'était la demande de démarrer en papiamento. Donc forcément, j'étais plus proche de mes émotions. En français, je suis restée encore proche de mes émotions. et en... néerlandais, je me suis éloignée le plus.

  • Christine

    Là, tu étais plus dans la traduction de ce que tu avais à dire. Mais on a entendu, en effet, la voix, enfin, je t'ai vue, en plus, moi, je te vois, donc ça vibrait en papiamento, et je ne savais pas ce que tu disais, mais j'ai compris « curaçao » à la fin, et j'ai senti qu'il y avait quelque chose, une émotion forte, en lien avec le fait d'évoquer ton île, c'est ça ? Ouais. En tout cas, merci de t'être prêtée à cette petite expérience. Et puis, je voulais aller sur un dernier terrain avec toi, c'était la partie professionnelle, la voix dans ta sphère professionnelle. Tu l'as dit, tu travailles dans une université, donc on peut te considérer comme formatrice ou enseignante. Ça veut dire que la voix est un outil pour toi dans ton quotidien professionnel. Quelle place tu dirais qu'elle a la voix dans cette sphère-là ?

  • Harriette

    Alors, du coup, oui, je suis... Soit formatrice pour adultes ou enseignante pour des étudiants en formation continue, mais dans les deux cas, je dois former sur un thème particulier. Donc oui, la voix, elle est importante parce que je peux être amenée à parler devant un groupe plus ou moins grand et beaucoup de personnes, mais les personnes jusqu'au bout de la salle doivent entendre. Donc je ne peux pas chuchoter. Bon, après souvent, je suis quand même debout, je ne vais pas délivrer la formation assise. Je suis déjà debout, mais même si je suis debout, il faut que ma voix porte jusqu'au bout. Bon, moi, ça c'est quelque chose d'inconscient. Je ne réfléchis pas à est-ce que celui au bout m'entend. Je pense que j'ai une voix suffisamment qui porte loin de... d'elle-même que les personnes m'entendent. Donc, c'est plutôt le contraire. Je dois maîtriser si je veux chuchoter. Je pense que chuchoter, j'ai un peu plus du mal à faire. Donc, pour ce qui est de ma vie professionnelle, oui, ma voix, elle est plutôt un atout qu'un obstacle.

  • Christine

    D'accord, super. Et est-ce que des fois, à la fin d'une journée, parce que je pense que tu parles pas mal, et en plus, même si tu dis que c'est inconscient, il faut quand même que tu portes ta voix. Naturellement, tu as une voix qui porte, mais quand même, ça te demande peut-être, même inconsciemment, un effort. Est-ce que parfois, ta voix est fatiguée ? Et à ce moment-là, est-ce que tu as des petites astuces que tu appliques pour essayer de prendre soin de ta voix ou c'est quelque chose qui t'est étranger ?

  • Harriette

    Non, ma voix, elle ne me fatigue pas. Dans la formation, c'est plus le fait qu'on est sollicité tout le temps, pendant longtemps, qu'on est devant les groupes, que du coup, il faut effectivement, si je passe toute une semaine à délivrer des formations, qu'à la fin de la semaine, je suis épuisée. Je suis épuisée parce qu'on est sollicité tout le temps pour répondre à des questions, réexpliquer les choses, donner d'autres exemples, etc. Donc, effectivement, ça, ça me demande une... concentration pour retrouver l'énergie. Mais je n'ai pas l'impression que ça vient du fait de l'importance de la voix dans la formation.

  • Christine

    C'est plus une fatigue intellectuelle que vocale finalement, c'est ça que tu dis ? Oui, je pense. Est-ce que tu aurais une dernière chose à partager avec nous autour de ta voix ? Ou de la voix des autres, enfin de la voix en général ?

  • Harriette

    Je pense qu'en général, on a chacun, chaque personne, à sa voix qui est propre. Je pense qu'il faut être fier de ça et continuer à porter celle qu'on a, parce que ça nous est propre et ça nous identifie.

  • Christine

    Merci pour ce dernier message et pour tout ce que tu as partagé, la générosité avec laquelle tu t'es prêtée aussi à mes petites expériences, à mes questions. Merci beaucoup, Harriette, d'avoir accepté de participer à On n'a qu'une voix.

  • Harriette

    Merci, Christine.

  • Christine

    Merci à vous d'avoir écouté cet épisode d'On n'a qu'une voix jusqu'au bout. S'il vous a plu... Abonnez-vous dès maintenant pour ne pas manquer la voix de mes prochains invités. Et pour soutenir mon podcast, je vous propose de le noter et de le commenter sur votre application d'écoute préférée. Enfin, un merci tout particulier à Émilie Décla, qui a créé et interprété toutes les musiques d'On n'a qu'une voix. Retrouvez l'actualité du podcast sur le compte Instagram ou LinkedIn, entre voix et mots. A bientôt !

Share

Embed

You may also like