- Christine
On n'a qu'une voix, un podcast pour découvrir ce que cache notre voix. Chaque mois, venez à la rencontre de mes invités qui lèvent le voile sur l'histoire singulière de leur voix. Au programme, des voix parlées, des voix chantées, des voix jouées et des voix parfois malmenées. L'intention ? vous procurer des émotions, vous faire voyager, vous apporter des conseils et vous proposer un pas de côté pour vous inviter à aimer votre voix. Dans cet épisode, vous allez entendre la voix d'Annoïe. Ensemble, nous allons nous interroger sur la place de la voix dans son quotidien de musicienne et de chef de chœur. Nous allons notamment évoquer la polyphonie et les chants du monde, la place du corps dans la pratique musicale, l'importance de prendre soin de soi pour prendre soin de sa voix, le projet Voix commune et la joie, les liens qui se créent quand on chante en groupe. Hanoï m'a généreusement accueillie durant un stage et une répétition de concert dont vous entendrez des extraits pendant l'épisode. Bonne écoute !
- Annoïe
Je m'appelle Annoïe, Annoïe c'est un surnom qu'on m'a donné au collège, donc on m'appelle comme ça depuis un petit moment. Je m'appelle Annoïe, Anne, de mon vrai prénom, Roy. Je suis plein de choses et parmi ces choses, ce qui va intéresser le podcast en tout cas, je suis chanteuse et cheffe de chœur aujourd'hui. Et c'est une activité que je mène à temps plein. Je suis née en Bourgogne et puis je suis descendue progressivement vers le sud-ouest de la France.
- Christine
Est-ce que tu peux nous partager la place qu'a la voix dans ta vie ?
- Annoïe
Elle a une place très importante dans le sens où j'ai une pratique vocale chantée hyper régulière donc elle est tout le temps là. Elle est tout le temps là. Après j'aime beaucoup aussi le silence. Oui elle est tout le temps là et c'est quelque chose d'assez... Je ne me pose pas trop de questions dessus à dire vrai. Je sens que la pratique vocale... Elle est aussi très entretenue par le fait que j'anime beaucoup d'ateliers. Je suis cheffe de chœur aussi, donc j'anime aussi beaucoup d'ateliers. Donc moi, je n'ai pas une pratique vocale individuelle vraiment. Je ne fais pas particulièrement d'échauffement ou autre chose comme ça. Ceci dit, je les fais et je les vis de façon collective avec les choristes avec lesquels je travaille. Donc la voix, elle a une place importante et elle est... Très partagée, voilà. Il y a quelque chose de très collectif dans ma façon de vivre la voix.
- Christine
Alors moi j'ai eu la chance d'être invitée par toi à un stage de chant il y a quelque temps. Ça m'a confortée dans une idée, c'est que le corps a une place prépondérante. On parle de voix et souvent on pense au haut, à la bouche en tout cas, à ce qui sort de notre bouche. Et j'étais frappée. par la place que tu donnais au corps dès le début du stage. Et ça a accompagné les personnes qui étaient là pendant un bon petit moment. Donc toi, qu'est-ce que ça t'évoque, cette place du corps ?
- Annoïe
Je vois vraiment la voix aussi et le chant en l'occurrence. Mais la voix aussi comme quelque chose que je peux comparer à du mouvement. À du mouvement ou à du geste, on parle aussi de geste vocal. On le dit de plus en plus, ça se dit beaucoup. Et ça, ça me parle vraiment complètement. Je me reconnais vraiment là-dedans. Et je me rends compte souvent, même pour moi, pour ma pratique vraiment de chanteuse, et pour les choristes avec lesquels je travaille, que bien souvent, de passer par le corps et justement de ne pas se limiter à juste la langue, le palais, le larynx, les cordes vocales, et même, je dirais, la respiration, parce que ça, on est bien... Mais... de voir un petit peu plus au-delà, et puis des fois aussi de mettre du mouvement. Du coup, ça rend la pratique un peu moins, un peu plus intuitive, incarnée. Oui, c'est ça, intuitive en fait.
- Christine
Justement, tu parlais de gestes vocaux. Moi, il y a un moment pendant le stage qui m'a marquée, où tu faisais allusion à l'image de la calligraphie. Je trouvais ça assez beau. Est-ce que tu veux bien expliquer en quoi ça t'inspire cette image-là ?
- Annoïe
Alors moi je suis assez autodidacte, je dis assez dans le sens où j'ai fait plusieurs stages avec différents chanteurs qui proposaient des workshops, etc. Je suis allée un peu au conservatoire en jazz et musique improvisée à Tarbes. Pour dire que même sur tout ce qui est technique vocale, je suis allée piocher un petit peu à droite à gauche des notions. Et il y a des choses qui me parlent, des choses qui me parlent moins. Et puis il y a aussi plein de choses en fait que c'est juste mon imaginaire en fait qui vient mettre justement des images. Et l'image effectivement du trait de pinceau qu'on vient poser sur une feuille délicatement. Et dès le début du trait en fait, on cherche vraiment... Cette application, ce soin et ce développement du trait, j'aime vraiment bien l'appliquer aussi à la voix. Quand on va démarrer un son, quand on parle de l'attaque.
- Christine
Un autre élément m'a marquée aussi, c'est le soin que tu apportes. Alors là, tu étais dans un temps de transmission. Et le soin que tu apportes aux personnes que tu accompagnes, moi en tout cas, je l'ai vécu comme ça. C'est-à-dire que tu apportes une attention particulière au fait que les personnes se sentent bien, qu'il n'y ait pas de douleur. Si, par exemple, elles ont besoin de s'asseoir parce qu'elles ont la tête qui tourne ou que c'est trop long, etc. Tu les invites à le faire. Moi, j'ai trouvé que ça avait une place importante aussi. Je pense aussi à notre élément. À plusieurs reprises, tu les as invités à boire pour prendre soin de leur corde vocale. C'est-à-dire que c'est des invitations que tu fais comme ça au fil de la séance. mais qui, l'air de rien, amène les personnes à se dire « Ah oui, tiens, j'ai pas bu. Ah oui, tiens, là, je serais mieux assise. » Est-ce que ça, c'est quelque chose que tu as l'habitude de faire régulièrement ? Est-ce que c'est important pour toi, finalement ?
- Annoïe
Oui, c'est important. Et ça l'est peut-être de plus en plus aussi avec le temps, avec la pratique. Quand j'anime des stages de chant, comme ça, effectivement, la question du confort des personnes qui chantent avec moi, et puis même... Du coup, moi aussi, dans ma pratique, en fait, c'est vraiment primordial. Primordial parce que quand on n'est pas confortable, c'est là qu'on vient créer des tensions, c'est là qu'on vient se resserrer. Et du coup, ça ne vient pas servir la cause qui est chanter. Chanter pour... Il faut être bien, pour chanter bien, entre guillemets. J'ai conscience de combien le fait de chanter devant d'autres... avec d'autres ou même des fois juste chanter, lâcher sa voix, combien est-ce que ça peut être fragilisant, éprouvant pour beaucoup de personnes. Il y a beaucoup de femmes et d'hommes, et je travaille surtout quand même avec des femmes qui viennent dans mes ateliers chants, certaines qui n'ont jamais chanté, qui aimeraient bien mais qui n'ont jamais osé. Donc il y a aussi beaucoup d'appréhension, de peur, etc. Et du coup, ça me semble primordial en fait d'avoir une attention particulière à... De passer d'abord par le fait d'être confortable, de prendre soin de soi, même dans la relation en fait, que ce soit clair que je suis dans un rapport de bienveillance aussi. En tout cas, moi, c'est comme ça que j'aime travailler, enfin travailler, être en fait. Je pensais à mon cœur de femme, le cœur de femme que je dirige qui s'appelle l'autre Chahut, avec qui on a des... Un travail un peu plus approfondi, avec à des endroits plus d'exigence aussi sur les placements et tout ça. Mais parce qu'il y a certaines aussi qui... L'exigence derrière, j'apporte aussi des outils pour pouvoir aller vers plus de précision, d'engagement dans les interprétations corporelles, etc. Ouais, je fonctionne pareil. Et puis ça vient aussi poser un climat de confiance déjà. De moi aux personnes qui viennent chanter avec moi, et de elle à moi, et puis dans tout le groupe aussi. Et c'est au quai d'être ce qu'on est, c'est ça aussi que je trouve important. C'est ce qu'on fait avec l'état dans lequel on est et nos particularités.
- Christine
Pour l'instant, on a évoqué la partie transmission de ton activité. Mais si on est du côté... Si on va du côté de ta pratique... c'est-à-dire la partie plus création et en tant que musicienne, est-ce que là aussi, le corps et la voix sont en résonance ?
- Annoïe
Oui, complètement. Quand je suis en résidence, en répétition, ou quand je m'apprête à donner un concert, je fais un échauffement corporel conséquent, je m'étire, je me mets au sol sur le plateau, c'est aussi un espace que j'aime. Oui, c'est une façon de sentir l'espace aussi. Ce n'est pas uniquement, bien sûr, m'étirer, mes appuis, respirer, déverrouiller, etc. Mais en le disant, je me rends compte qu'il y a aussi la question, avec la question que tu me poses, il y a vraiment aussi la notion de m'approprier l'espace, de me l'approprier ou en tout cas de repérer mon espace. l'espace dans lequel je suis. Et d'ailleurs, quand je travaille avec des choristes aussi, je fais aussi beaucoup d'exercices de marche, etc. Pour avoir aussi conscience et mesurer l'endroit dans lequel on est. Et quelque part, faire que l'espace dans lequel on est à ce moment-là, qui est typiquement des salles où j'anime des stages, ou des scènes où je viens jouer, en fait. C'est des espaces qui sont assez impersonnels. Donc du coup, ce travail-là, ça permet aussi, je trouve, de se sentir un peu chez soi.
- Christine
Et toi, dans ton quotidien, comment tu prends soin de ta voix ?
- Annoïe
Je ne fais rien en particulier pour prendre soin de ma voix. Par contre, je prends soin de moi. J'ai été fumeuse pendant très longtemps. Souvent, après un concert, quand je fumais une cigarette dehors et que des gens qui venaient de me voir en concert sortaient en me disant que ce n'était pas bon pour ma voix, je leur répondais que c'était surtout pour ma santé qu'il faudrait s'inquiéter, plus que pour ma voix. Parce qu'au final, je m'en sortais très bien. On comble par ailleurs, on adapte. J'avais des aigus certainement un peu moins clairs. que si je ne fumais pas, mais en arrêtant de fumer, ça a été compliqué de retrouver ma voix. Pendant un an, j'avais la voix assez fragile, parce que je n'avais plus les mêmes repères du tout. Je n'avais plus les cordes vocales aussi encombrées de goudrons, etc. Donc du coup, c'était un peu tout mou, j'avais tendance à mettre trop de soutien. Je n'arrivais plus à les mobiliser comme je le faisais avant. Il m'a fallu bien, je pense, un an, un an et demi avant de retrouver mes repères. Et donc oui, je ne prends pas particulièrement soin de ma voix, mais c'est important. Je prends soin de moi. J'essaye. J'essaye. Voilà. En dormant bien. Essayant de bien dormir. en mangeant sainement, en maillérant, en bougeant. Voilà. J'essaye d'être parfaite. Non, c'est pas vrai. J'essaye pas du tout d'être parfaite. Mais en tout cas, voilà.
- Christine
Il y a un élément qui m'a marquée aussi pendant ce stage, c'est le choix du répertoire. Donc là, on était sur pour faire court des chants du monde. Oui, c'est ça. À savoir... Évidemment, par définition, des chants dans d'autres langues que la langue française. Pourquoi ce choix ? Parce que je crois savoir qu'il n'est pas que lié à ce stage et au projet qui se joue autour de ce stage.
- Annoïe
C'est une question que je me suis énormément posée. On va dire que moi, ça a été mes premiers coups de cœur en termes de vocaux, en termes de timbres et de polyphonie. Les musiques du monde. Que ce soit des chants traditionnels du Rajasthan. Je me souviens, j'écoutais tout ça quand j'étais toute jeune adulte. De plein de continents différents. Les musiques de l'Est, les chants bulgares, les chœurs afro-colombiens. Il y a tellement de... Je pense que c'est vraiment ce qui m'a amenée à la polyphonie. C'est vraiment ces musiques-là. Et moi, j'ai grandi en Bourgogne, dans le Lyon. qui est aussi la Bourgogne, dans le nord de la Bourgogne, en arrivant dans le sud-ouest, qui est un lieu très riche en traditions, la langue occitane, le gascon est encore très présent, il y a beaucoup de chants, la culture chantée est encore très présente, de la langue et du chant, chose qu'il n'y a plus du tout là où moi j'ai grandi. Et je me suis beaucoup dit, mais en fait, moi je n'ai pas vraiment de culture. J'ai vraiment eu beaucoup l'impression de ne pas avoir de culture. Ou en tout cas... à me dire que finalement si je regarde là où j'ai grandi, j'ai une culture assez multiple, et à me reconnaître un petit peu dans tout ça. Et puis au fil de mes rencontres et expériences, j'ai fini par intégrer un groupe qui s'appelle Chet Nuneta, avec qui j'ai travaillé pendant dix ans. Je les ai rejoints au moment de la tournée du deuxième album et on a fait ensemble le troisième album et sa tournée. Et puis j'ai arrêté quand on était au milieu de la réalisation, de la composition du dernier album qui vient de sortir. Et donc Chetouneta, le projet vraiment s'articule autour des musiques, des polyphonies du monde dans plein de langues différentes. Et j'ai adoré faire ce travail-là. Ça a vraiment été un plaisir pour moi d'aller vraiment à fond là-dedans, dans la diversité des timbres qu'on peut retrouver dans les différents champs du monde. Le placement est complètement différent si on va aller vers une esthétique de champs bulgares, si on va faire du champs bulgares ou un champ du Laos. Vraiment techniquement, c'est génial. C'est génial, c'est hyper riche. Et en fait, je me retrouve assez bien dans ce côté un peu caméléon. Alors je me suis posé la question, est-ce que c'est de l'appropriation culturelle ? Je n'ai pas tout bien répondu à toute cette question, mais je ne cherche pas à faire comme. En tout cas, il y a beaucoup d'affection et de plaisir à travailler avec les chants de différentes origines. Et du coup, je me sens à ma place à cet endroit-là. Et j'aime bien aussi tout l'imaginaire que transportent les langues, même si je connais les chants que je choisis, je vais chercher les traductions, j'essaie de travailler les langues avec des personnes qui parlent la langue et qui peuvent du coup bien me briefer sur les prononciations, etc. Au-delà de ça, après, au bout d'un moment, finalement, je sais ce que raconte le chant, mais au bout d'un moment, finalement, quand je le chante, je ne me dis pas, je ne sais pas exactement tout le temps ce que je dis, j'ai plus la traduction. Mais par contre, j'aime bien l'imaginaire que ça transporte et ça, ça me plaît. Et puis, je me rencontre au fur et à mesure à force de proposer des stages auprès de plein de publics différents. Du coup, c'est vraiment un espace de partage parce que là, dans le groupe, tu vois, il y a des personnes qui parlent le catalan, il y a des personnes qui parlent l'arabe, il y a des personnes qui parlent le lingala et qui vont du coup transmettre, qui vont du coup préciser aussi certaines choses. découvrir un chant de leur pays alors que... enfin voilà. Et moi je ne me positionne pas comme celle qui sait, mais celle qui a eu ça, et qui a ça entre les mains, ça me plaît et du coup je le propose. Et ensemble, elle peut me donner des informations sur ce chant, ou sur sa prononciation, et c'est vraiment un espace de rencontre aussi. Moi je m'éclate dans mon boulot de chanteuse, de musicienne chanteuse en tant qu'interprète sur scène. Je travaille pour l'instant plus du tout en polyphonie sur scène quand je donne des concerts, je travaille qu'avec des instrumentistes. Et ça me manque un peu. Ceci dit, je retrouve beaucoup de plaisir à travailler, notamment avec le cœur de femme avec qui je travaille régulièrement. On commence maintenant, ça commence à faire quelques années, et ça devient de plus en plus subtil, fin, délicat. aussi. Je trouve que... Je trouve que... Ouais, j'aime beaucoup la délicatesse aussi qu'on trouve dans la polyphonie. En tout cas, j'aime l'aborder comme ça, avec délicatesse. Même s'il y a des choses qui sont intenses, etc. Mais en tout cas... Oui, donc oui, c'est très émouvant. C'est très émouvant. Et c'est très émouvant en tant que chef de chœur aussi de voir combien est-ce que les choristes que j'ai autour et en face de moi... de voir comment ça les transporte, ça les remplit d'émotions. Des fois, il y a les larmes qui coulent, des fois il y en a qui pleurent, mais qui continuent à chanter. Enfin, je veux dire, qui se laissent traverser par quelque chose comme ça. Et c'est très beau. Enfin, c'est très simple aussi.
- Christine
Pour toi, qu'est-ce que ça veut dire faire Voix Communes ?
- Annoïe
Voix Communes, c'est le nom que j'ai donné à une action de médiation, je vais dire socio-culturelle, même si sur le papier c'est action culturelle, mais il y a un volet social qui est quand même assez important dans ce projet-là. Je travaille avec une éducatrice, je travaille avec une anthropologue qui vient faire des ateliers d'écriture, on travaille sur la question... des discriminations de genre, il y a aussi une couleur particulière apportée à ce projet-là. Faire voix communes, si j'ai choisi ce nom-là, qu'est-ce que ça m'évoque ? Je crois que c'est ça aussi qui me touche beaucoup dans la polyphonie, dans le fait de travailler avec plusieurs voix, et donc en groupe, c'est ce faire commun. C'est ce faire commun, le faire ensemble, ce rassemblement de singularités, en fait. pour amener quelque chose qui appartient après à tout le monde. Et dans lequel chacune, je dis chacune parce qu'en l'occurrence, Voix commune, quoi que non, sur l'année qui vient, je vais travailler avec des collégiens et des collégiennes. Mais chacun et chacune peut se reconnaître dans quelque chose qui a été produit par un groupe. Moi, ce qui me parle beaucoup et ce que j'aime aussi aller chercher dans ce projet-là, Voix communes, c'est d'aller un petit peu au-delà, pas un petit peu, c'est d'aller au-delà de nos différences, d'aller chercher ce qui nous, ce qui vraiment, c'est pas ce qui nous rassemble, mais c'est ce qui fait qu'en fait, on est à un endroit un peu pareil. Voilà, il y a plein de choses qu'on partage, pas les uns, les autres, les unes, les uns, les autres. mais il y a souvent plusieurs endroits où en fait on se reconnaît dans l'autre. Et du coup c'est ça que j'ai envie de porter aussi dans ce projet-là, à travers la pratique du chant et du chant en polyphonie, et de la création musicale, et il y a plusieurs choses aussi. Et la voix elle n'est pas uniquement chantée dans Voix communes, elle est aussi parlée, et elle passe aussi par le récit, et en l'occurrence à un moment par l'écriture. qui sera du coup ensuite, écritures qui seront ensuite dites, chantées, en tout cas mises en voix. Et l'écrit d'une personne ou le récit d'une personne peut se retrouver en fait dans la portée en voix par tout un groupe. Trouver l'endroit en fait à un moment où finalement des parcours ou des sentiments, des vécus individuels se retrouvent en fait dans le commun. Et porté par le groupe et reconnu. Et regarder et accepter. Il y a ça. Je suis peut-être très idéaliste, mais vu l'état du monde dans lequel on est, je me dis que bon, allons-y.
- Christine
Tu parles de médiation auprès de publics différents. Ça peut aller de ce que je comprends d'adolescents jusqu'à des adultes d'âges divers et variés, d'origine différente. Ce sont plutôt des personnes qui n'ont pas une pratique vocale de base ? Oui. Si je ne me trompe pas, c'est bien ça ? Oui. Est-ce qu'auprès de ces personnes-là, est-ce que tu as déjà pu constater des freins ou des verrous par rapport à la pratique vocale ? J'entends par là, tu vois, moi en tout cas dans mon parcours personnel ou professionnel, j'ai très souvent entendu des gens dire « mais moi j'aime pas chanter, je ne sais pas chanter, je chante comme une casserole » . Est-ce que toi c'est des éléments que tu entends ? Est-ce qu'on te les renvoie ? Et du coup, qu'est-ce que tu en fais ? Comment tu les traites ?
- Annoïe
Je voudrais juste... Préciser que Voix communes au départ, je l'ai conçu pour travailler uniquement avec des femmes. Dans l'idée aussi d'aller, de se retrouver entre femmes aussi, il y a aussi quelque chose de, lors d'une sorte de petit parcours un peu d'accompagnement en tout cas. L'idée c'est d'accompagner certaines femmes en situation de rupture. Donc du coup je vais aussi travailler avec des acteurs sociaux. Et là le projet Voix communes que je vais mener à Tarbes, là cette année, en 2024-2025, je vais travailler avec un groupe de femmes d'un quartier prioritaire qui sont du coup plutôt en situation d'isolement ou situation de rupture. Et cette année aussi je vais travailler avec un groupe de collèges. On m'a demandé si je pouvais faire cette adaptation. Au départ, ce n'était pas mon idée. J'ai dit « allez d'accord » . « Allez d'accord » parce que je pense qu'il y a plein de choses chouettes à faire, donc j'ai fait une adaptation. On a beaucoup d'idées reçues sur comment... ou en tout cas, on nous a dit beaucoup de choses sur notre voix. « Tu chantes comme une casserole » , « tais-toi » , « tu fais trop de bruit » . Il y a plein de choses comme ça, ne pas avoir voix au chapitre, se casser la voix, crier. Avoir une extinction de voix, ça vient aussi à des moments où... Moi, ça m'est déjà arrivé d'avoir une extinction de voix parce qu'il y a quelque chose que je n'ai pas pu dire ou que je n'ai pas dit. Ça a été vraiment, pour le coup, hyper psychosomatique. Une contrariété, plus de voix. Et donc, effectivement, j'ai souvent en face de moi des femmes qui... Je ne vais parler que des femmes, mais des personnes. J'ai souvent en face de moi des personnes qui me disent... Moi je suis là, mais parce qu'on m'a dit de venir, mais en même temps je sais pas chanter, j'ai jamais bien chanté, de toute manière ma voix elle est trop moche, ou moi je chante que quand je suis toute seule dans ma voiture, sinon... Qu'est-ce que je fais avec ça quand on me le dit ? Eh bien souvent je les invite du coup à essayer, à essayer, et puis je fonctionne beaucoup par imitation vocale, sur les échauffements, sur les jeux vocaux, etc. Un peu des sortes d'improvisations dirigées. où je demande aux personnes d'imiter les sons que je fais. Et du coup, je vais faire des sons qui ne sont pas considérés comme beaux. Ouais, je vais faire des trucs. Assez vite, on va redescendre d'un cran sur la pression qu'on va se mettre par rapport aux enjeux du fait de bien chanter, sur qu'est-ce qui est beau et qu'est-ce qui n'est pas beau. Voilà, je mets un petit peu un petit coup de pied, en tout cas dans l'autel du chant et de la voix. qui est super, qui est magnifique, mais avant tout, c'est le truc de ne pas trop juger, de se foutre un peu la paix. Et puis tout de suite, c'est différent. Regardez-vous !
- Christine
Après, tu favorises certainement dans ces démarches-là plus le chemin finalement que le résultat.
- Annoïe
Oui, tout à fait. Il y a une des femmes qui a participé à Voix communes l'année dernière, qui a eu lieu ici à Lourdes. Quand on a fait le bilan à la fin de la médiation, c'était hyper touchant parce qu'elle m'a dit... Être heureuse de voir combien est-ce que ça l'avait... Elle n'a pas dit le mot heureuse, mais elle m'a dit je me rends compte que depuis que j'ai fait Voix communes, j'arrive à me faire entendre à la maison. Je dis des choses qu'avant je n'arrivais pas à les dire. Et du coup, c'est très puissant.
- Christine
Et je l'ai vu vraiment se transformer pendant les quatre mois de cette médiation. Et donc c'est elle qui, à la fin de la médiation, m'a dit combien d'avoir eu cette expérience-là, de chanter, de faire des choses en groupe aussi, de chanter devant des autres, avec des autres, d'oser. Elle lui avait permis du coup, au quotidien, dans sa sphère plus familiale, et intime, elle lui avait permis du coup de faire entendre sa voix, de faire entendre sa voix, poser ses limites. Et vraiment, elle nous l'a vraiment dit texto, et après j'ai fait un entretien avec elle aussi, et elle me l'a encore redit. On a fait un concert de clôture avec Grand'Ours, donc une de mes formations qui est un peu au cœur de Voix Communes, sur laquelle on vient. avec lesquelles il y a des rencontres et des moments d'échange. Et pour beaucoup aussi, de voir ces enfants avec autant de fierté en regardant leur maman, pour elles, ça a été vraiment, vraiment, vraiment, vraiment beaucoup. Ça a été vraiment très fort pour elles, très touchant. J'ai eu aussi pas mal de retours au-delà de la voix. On en parlait au tout début de notre entretien, par rapport au corps aussi. Plusieurs femmes m'ont... vachement renvoyé ça en fait. Le fait d'avoir aimé avoir une relation, déjà une relation aussi, d'écoute, d'attention avec leur corps. Et puis de pouvoir le vivre aussi en groupe. Donc du coup, de se regarder différemment, d'accepter de se faire... qu'il y ait d'autres femmes qui les regardent, puis de se rendre compte qu'il y a... Oui, voilà ce que je disais tout à l'heure aussi dans le commun de voix commune. Moi, de se rendre compte que, bah oui, on peut être grande, petite, grosse, mince, noire, blanche. Bah voilà, on a énormément de choses communes. Donc oui, on m'a beaucoup... Il y a eu pas mal de retours aussi à cet endroit-là, à l'endroit du fait que ça leur ait permis d'avoir un autre regard aussi sur leur corps et le fait d'en prendre soin, de respirer aussi, sur la respiration. Moi ça c'est un truc qu'on m'a souvent dit, même des choristes plus régulières, qu'elles avaient l'impression aujourd'hui, pas de savoir respirer, mais que en tout cas, d'avoir vraiment une conscience de leur façon de respirer et que c'était aussi quelque chose sur laquelle elles pouvaient s'appuyer dans des moments au quotidien en fait, je sais pas moi, de fatigue, d'émotions, de stress ou quoi, du coup, aller du coup reconvoquer des... des exercices qu'on peut faire dans le cadre de la pratique vocale. Au final, qu'est-ce que tu peux nous dire des liens entre voix communes et le reste de ce que tu proposes ?
- Annoïe
J'ai été soutenue, et je le suis encore soutenue par la DRAC pour ce projet-là. L'idée, c'est que mes pratiques artistiques, en tant que musicienne, chanteuse musicienne, soient au cœur de voix communes. Donc oui, voix communes est complètement en lien avec, notamment, un... Un projet qui est assez récent et qui est encore en cours de création, qui s'appelle Grand Ours. Et Grand Ours, je travaille avec Johan Piovozo, qui est au clavier. Il a plein de claviers différents, batterie électronique, clavier basse, enfin plein de, beaucoup de claviers, Rhodes, etc. Et qui a la voix aussi. Et maintenant aussi avec Olivia Semama, qui est à la basse et qui commence à chanter aussi. Donc c'est un projet que j'aime beaucoup. Je travaille sur des textes de Griselid Israël. qui est une autrice que j'ai découvert il y a peu de temps. Autrice, auteur, poétesse, peintre et prostituée et qui a une parole qui est très forte, crue, sensible, sensuelle. Elle porte beaucoup de choses et c'est un rare projet où je chante en français. Et donc Grand'Ours, c'est vraiment... Très en lien avec Voix Commune, il y a beaucoup de rencontres qui se font entre les publics de Voix Commune et Grand'Ours. Il y a aussi beaucoup de liens avec l'autre Chahut, qui est le chœur de femmes que je dirige à Bagnères-du-Bigorre. Là, je propose au chœur de femmes que je connais bien, qui me connaissent bien, de venir rencontrer le groupe de femmes de Voix Commune. Là, c'est un petit peu ce qui va se passer aujourd'hui sur le concert qu'on va donner à Lourdes. Et c'est des super beaux moments pour tout le monde, vraiment, pas uniquement pour les femmes, évidemment, mais pour les femmes de voix communes, j'allais dire. Vraiment, les filles, les femmes aussi de l'autre chahut sont aussi hyper nourries par ces rencontres. Et pour les femmes de voix communes, c'est hyper chouette pour elles de se retrouver aussi au milieu, d'intégrer, parce que souvent, j'ai un groupe d'une dizaine de femmes. intégrées dans un groupe d'une vingtaine, entre 20 et 30 choristes qui connaissent les mêmes chants qu'elles, à qui j'ai transmis aussi les mêmes chants. Et du coup c'est hyper porteur, c'est hyper grisant, c'est joyeux, elle rencontre des gens, il y a du lien qui se crée. Voilà, c'est que du bonus quoi.
- Christine
Est-ce que l'expression « donner de la voix » , c'est quelque chose qui te parle ? Je te dis ça parce que moi j'ai été frappée dans ta manière de guider les choristes en stage, par le fait que bien souvent tu les invitais à ajuster le volume, à pas de... tout donner. Qu'est-ce que ça veut dire donner de la voix ? Est-ce que c'est inviter les personnes à ne pas tout donner ? Aussi être plus juste en mettant le volume qu'il faut, mais peut-être pas y aller à fond.
- Annoïe
Effectivement, quand on va porter un chant, quand je vais porter un chant ou quand je vais... guider des personnes pour le faire, diriger des personnes pour le faire. J'aime bien qu'on s'appuie sur l'émotion, sur l'imaginaire, sur ce que nous raconte ce chant, et sur l'état et l'émotion dans lesquelles on est à ce moment-là. Et c'est quand même un espace qui est, et ça n'a rien de péjoratif quand je dis ça, c'est un espace qui est quelque part un peu sous contrôle. Parce que derrière, on fait attention de ne pas se faire mal, déjà, pour nous, déjà individuellement sous contrôle, de ne pas se casser la voix, de ne pas se fatiguer trop, en tout cas. Et dans la pratique polyphonique, c'est sous contrôle dans le sens où on fait avec les autres. Ce n'est pas juste, je viens chanter avec les autres pour me lâcher. On pourrait penser que c'est un peu frustrant, mais en fait, le fait d'effectivement... Contrôler comment est-ce qu'on donne sa voix. C'est être à l'écoute des autres et de faire avec les autres. Et d'ajuster aussi ce qu'on donne, ce qu'il y a autour, ce dont il y a besoin autour. Oui, c'est ça, c'est vraiment quelque chose de... un savant mêlant, enfin, pas si savant que ça, mais un subtil mélange entre ce qu'on sent que nous, ce qu'on a sous le pied, ce qu'on a envie de... ce qui nous porte, ce qui nous pousse un peu en dedans. Et aussi se fondre aussi dans le timbre des autres. Ça aussi, j'aime bien inviter les choristes avec qui je travaille à... OK, chaque timbre est vraiment unique, mais on cherche à faire vraiment un timbre commun. J'aime bien aussi le mimétisme, en fait, que ça nous invite à faire, le fait de chanter au polyphonie. En tout cas, j'aime bien le voir comme ça.
- Christine
La pratique de la transmission, même si c'est passionnant, c'est un endroit où toi, tu donnes aussi beaucoup de toi. sans parler que de la voix. Comment tu te nourris, toi, pour continuer justement à donner de la voix, à transmettre ?
- Annoïe
Alors, moi, ce qui me nourrit en premier lieu, c'est la kiffance des choristes avec qui je travaille. De voir combien est-ce qu'elles prennent plaisir à chanter. Et puis, de séance en séance aussi, pour celles qui débutent ou celles que je vais ne voir que pendant quelques mois. Les liens aussi. Le lien aussi qui se crée. Donc ça vraiment, c'est pour moi hyper nourrissant. Pour beaucoup, c'est vraiment un espace, j'ai conscience, et on me le dit aussi beaucoup, que du coup, ce que je propose, c'est un espace d'expression, un espace sécurisant aussi, un espace de dépassement de soi. Bon, il y aura sûrement plein d'autres choses. Et de partage aussi, pour beaucoup. Je vois sur les choristes de l'autre chahut, il y en a beaucoup par... Pour beaucoup, ce sont devenus des copines. Il y a tout le lien qui se crée. Donc ça, pour moi, ça me nourrit beaucoup. Après, je suis un peu longue à la détente. Et puis c'est surtout aussi que je n'ai quand même pas beaucoup de temps. Mais là, je ressens aussi le besoin d'aller. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas fait. D'aller moi aussi prendre un stage. D'être moi aussi, d'aller me reformer un peu, ne serait-ce que sur... sur quelques week-ends par-ci par-là ou une semaine. Donc je regarde un petit peu. Je n'ai pas encore trouvé ni le temps, l'espace, des fois l'argent. C'est là-dessus que je me nourris. Et puis après, en termes d'artistiquement, en termes de contenu aussi, je passe énormément de temps à faire des recherches sur Internet aussi. Là, en ce moment, je fais un peu une fixation sur les champs grecs. Donc, des fois, je vais rester bloquée sur certaines régions du monde, certaines langues. Et du coup, j'écoute, j'écoute beaucoup de choses. Je cherche. Ouais, je cherche. Et puis, ce qui me nourrit aussi beaucoup, ce que j'entends par nourrissant, c'est aussi ce qui donne envie de continuer parce qu'il y a de la nouveauté. Parce que, c'est que, chaque année, je viens... Je vais proposer des petites choses un peu différentes, qui viennent varier un petit peu les pratiques. Je fais ça aussi dans mon boulot artistique, aussi de scène. Là, par exemple, je commence à travailler sur un solo pour les tout-petits, pour parler juste de ce volet-là. Mais par exemple, avec les choristes, j'ai envie d'intégrer des percussions. Donc là, je vais travailler avec une amie qui est percussionniste. Elle va venir animer un stage auprès des choristes. On a des projets comme ça. Là, je fais une petite fixation cette année sur le fait d'aller chanter dans des églises et d'explorer un petit peu cette acoustique. Chaque année, il y a un petit défi un peu nouveau. L'année dernière, l'Autre Chahut a chanté avec Ogres, qui est une de mes formations, qui est un groupe rock. Et dans notre répertoire, on a un chant. On a un chant traditionnel bulgare qu'on chantait avec l'autre chahut, c'est quand mes collègues musiciens ont entendu ce morceau, ils ont eu envie de le jouer. Et donc là, toutes les choristes sont venues le chanter avec nous sur un concert, et c'était une super belle expérience. Donc voilà, c'est ça aussi qui me nourrit, c'est chaque année, j'essaye de provoquer des rencontres ou des expériences un peu nouvelles.
- Christine
Merci beaucoup Annoïe pour ton accueil.
- Annoïe
Merci beaucoup à toi aussi pour cette invitation.
- Christine
Et puis là, on va aller écouter les voix des femmes qui t'attendent.
- Annoïe
Je les vois, elles me font des coucous par la porte là. Merci beaucoup.
- Christine
Merci à toi. Un grand merci à Annoïe et à ses choristes qui m'ont accueillie durant le stage. La répétition, puis le concert donné dans le cadre du festival Lourdes aux couleurs du monde. Vous trouverez toutes les informations concernant le remarquable travail d'Hanoï dans la description de cet épisode. Merci à vous d'avoir écouté cet épisode d'On n'a qu'une voix jusqu'au bout. S'il vous a plu... Abonnez-vous dès maintenant pour ne pas manquer la voix de mes prochains invités. Et pour soutenir mon podcast, je vous propose de le noter et de le commenter sur votre application d'écoute préférée. Enfin, un merci tout particulier à Émilie Décla, qui a créé et interprété toutes les musiques d'On n'a qu'une voix. Retrouvez l'actualité du podcast sur le compte Instagram ou LinkedIn, entre voix et mots. À bientôt !