- Speaker #0
Enquête d'Orient, sur les routes du christianisme, une série documentaire proposée par Lacroix. Épisode 3, les Nestoriens à la conquête de l'Asie. Si les drames de 2014 ravivent la terreur de disparaître, l'histoire du christianisme en Orient est depuis des siècles celle d'une survie fragile et incertaine. Remontons le fil du temps. Cap sur une époque de grand bouleversement, le VIIe siècle. L'Orient s'apprête alors à vivre une révolution décisive dans son histoire, l'éclosion de l'islam. Un islam qui, sur les décennies et les siècles, deviendra progressivement la religion majoritaire et officielle de l'Orient, de la Turquie à l'Iran, de l'Afrique, au pays du Golfe et des confins asiatiques.
- Speaker #1
Au 7e siècle, il y a un séisme qui s'annonce, qui connaîtra beaucoup de répliques, enfin il y a une ligne de faille qui s'ouvre.
- Speaker #0
Jean Lebrun, journaliste et historien.
- Speaker #1
L'expansion de l'islam va être quand même foudroyante. rapide. Et si on prend le cas de la mer Rouge, le royaume chrétien nubien disparaît, le royaume chrétien d'Axum se replie, les échanges sont contrôlés par les musulmans depuis la mer Rouge jusqu'à Alexandrie, avec une reprise de contact à ce niveau-là avec les chrétiens de Constantinople. Alors une mission nestorienne, les nestoriens, une des composantes multiples d'un christianisme d'Orient difficile à définir et multicéphale, s'orientent vers la Chine et ne suivent pas les étapes de la route de la soie, mais avec des intentions qui ne sont pas des intentions de conquête, qui sont des intentions d'évangélisation.
- Speaker #0
Il aurait donc existé une expédition envoyée vers l'Asie, les Nestoriens, mystérieux cortège parti de Perse dans un VIIe siècle en ébullition. De retour à Istanbul, Sébastien de Courtois entend parler pour la première fois de cette aventure nestorienne. L'enquête sur l'histoire et le destin des chrétiens d'Orient se poursuit.
- Speaker #2
Un jour à Istanbul, un ami évêque m'affirme que dans les temps anciens, des chrétiens d'un genre particulier ont franchi les mers, les montagnes et les déserts pour se lancer à la conquête spirituelle de la Chine.
- Speaker #0
Extrait des chrétiens d'Orient sur la route de la Soie, de Sébastien de Courtois, 2007.
- Speaker #2
Des missionnaires chrétiens sont bien arrivés en Chine, huit siècles avant les premiers jésuites. J'entrevois alors l'univers méconnu de cette chrétienté asiatique qui prospéra au-delà des confins du bassin méditerranéen. On appela ces chrétiens « Nestoriens » , en référence aux théologiens « Nestorius » , dont on dit qu'ils ont adopté les idées. Alors que Rome devenait chrétienne, des fidèles du Christ s'étaient déjà réunis en Perse avant de se disperser vers l'Asie centrale et l'Extrême-Orient. Oubliés pendant des siècles, ils ne furent redécouverts que très tard. Que reste-t-il de cette formidable épopée ? Aucune lecture ne peut m'éclairer à ce sujet.
- Speaker #0
Une histoire mal connue de nos jours. dans ces siècles lointains d'invisibles bouleversements. Qui étaient donc ces chrétiens de Perse, proches des Syriacs, autrement appelés Assyriens, non loin du tour Abdin, disciples d'un certain Nestorius, et partis sur les routes de la soie ?
- Speaker #3
Nestorius ! Certainement aura été très étonné de découvrir qu'il y avait des Nestoriens.
- Speaker #0
Alain Desremeaux, chercheur au CNRS, spécialiste des mondes syriacs.
- Speaker #3
La doctrine de Nestorius est devenue... une importante ligne de pensée théologique pour toute une partie du monde syriac. Donc, on les a qualifiés de Nestoriens et on a combiné ce fait de leur adhésion à la grande ligne théologique des deux personnes de Jésus-Christ, homme et Dieu.
- Speaker #0
Donc,
- Speaker #3
ça a donné une église qui a été autonome et c'est cette église qui est allée en Chine.
- Speaker #0
Lorsque cette école nestorienne grandit en Perse, l'ancienne Iran, les églises chrétiennes se divisent et se déchirent. Les doctrines varient, les disciples s'affrontent. L'unité chrétienne est éclatée dans des familles incapables de s'entendre.
- Speaker #4
Lorsque l'Empire devient chrétien au IVe siècle, il lui faut résoudre les questions de l'unité de la foi chrétienne. Il convoque des conciles pour définir ce qu'est la foi chrétienne.
- Speaker #0
Jean-François Colosimo, éditeur et essayiste.
- Speaker #4
En fait, au IVe siècle, les chrétiens de Perse, qui sont... dans un empire ennemi de l'empire romain, je dirais, mettent à profit des définitions doctrinales qui ne leur vont pas du tout, pour prendre leur indépendance. Simplement, l'Église, elle est toujours missionnaire. ils ne peuvent plus faire de mission vers l'Ouest, ils vont faire des missions vers l'Est, vers l'Asie, et ça va être l'immense aventure, en fait, de ce christianisme nestorien qui va se rendre en Chine, qui va fonder des églises, mais pas simplement en Chine, qui va traduire l'évangile dans les sutras de l'Inde, qui va même, je dirais, toucher le Tibet, puisque s'il est question de... Jésus dans les grandes chroniques tibétaines, c'est parce qu'il y a eu cette immense mission, ça a été le premier contact de l'Asie avec le christianisme. Donc on voit que ces chrétientés, elles ont été d'un dynamisme missionnaire invraisemblable, et ça c'est la grande aventure effectivement des assyriens en Chine.
- Speaker #0
En l'an 630, la première mission chrétienne est ainsi envoyée vers l'Est, suivant les grands axes commerciaux et les plaines désertiques. Perse, Asie centrale, Kazakhstan, Ouzbékistan, Mongolie et enfin l'Empire de Chine. Une poignée de missionnaires chrétiens, sans doute des Syriacs, est alors guidée par un prêtre énigmatique. un certain Alopène ou Aluobène, un nom issu d'Abraham.
- Speaker #2
Arrivé en Chine, après cinq ans de voyage, Alopène présenta sa requête à l'empereur Taizong, l'autorisation de prêcher le christianisme en Chine.
- Speaker #0
Extrait des Chrétiens d'Orient sur la route de la Soie 2007.
- Speaker #2
Après l'avoir longuement écouté, le grand Taizong lui posa de nombreuses questions sur sa religion, puis lui demanda de traduire en chinois les livres saints qu'il avait apportés avec lui. Pour cette tâche, l'empereur lui offrit les services de la bibliothèque impériale. Après plusieurs mois de travail, Alopen présenta à l'empereur une traduction de la doctrine chrétienne. Le récit d'une célèbre stèle indique Taizong interrogea la doctrine à l'intérieur des portes interdites. Il reconnut parfaitement que la doctrine était correcte et véridique et par un ordre spécial prescrivit de la laisser propager. Un édit, daté de 638, autorisa donc la diffusion du christianisme dans l'Empire du Milieu. L'empereur ordonna aussi la création d'un grand monastère d'Ajin, chrétien.
- Speaker #4
Alopène, il est, je dirais, représentatif de tout cet élan missionnaire. C'est évident que ce n'est pas une personne, n'est-ce pas, qui arrive à diffuser l'évangile en Chine, en Chinois. Mais il est représentatif de ce mouvement à un moment où l'église de Perse est dans des ennuis doctrinaux très importants, où l'église de Perse se demande si elle va se rapprocher ou pas de la grande église, celle de Constantinople. L'Église majeure, l'Église qui n'a pas encore connu la séparation entre les catholiques, les orthodoxes, etc. Mais eux, ils sont déjà séparés. Et cet élan vers l'Asie, c'est une manière pour eux de vivre l'Évangile. Et donc c'est un mouvement tout à fait extraordinaire, qui fait que la Chine s'ouvre au christianisme. On est dans un moment de véritable rencontre, c'est le génie de la traduction, les certitudes chrétiennes peuvent même se dire, en chinois, dans la culture chinoise, et on va voir naître des stèles, des églises, de cette épopée formidable. C'est un effort de traduction inouï.
- Speaker #0
Mission accomplie pour Alopen. A première vue, le succès est immense. Et l'Empire chrétien s'étend du Tour Abidine à la Chine, de la Perse à l'Asie centrale. Cette période est d'une extraordinaire richesse historique où s'est joué le destin de la chrétienté en Asie. Pourtant, derrière cette victoire spirituelle apparente se dessine une autre histoire, celle d'un bouleversement profond. L'islam est sur le point de devenir la religion dominante de l'Orient. Toutes les forces se déplacent.
- Speaker #2
Arrivé du désert arabique, l'islam se faisait de plus en plus menaçant. Le dernier prince, Yazdegerd III, était monté sur le trône en 632, alors que l'invasion des troupes arabes commençait au sud. Un général musulman s'était emparé des territoires perses situés à l'ouest de l'Euphrate. L'église nestorienne avait pressenti le désastre. La mission d'Al-Opène en Chine était aussi placée sous le signe de l'exil. Sentant l'importance de ce premier contact avec la cour chinoise, les missionnaires chrétiens s'étaient instruits sur l'étiquette en usage dans l'Empire du Milieu. Ils s'étaient exercés à cette langue étrange, au contact des communautés chrétiennes établies le long de la route de la soie.
- Speaker #5
La raison pour laquelle l'islam a triomphé, entre autres, outre les questions linguistiques,
- Speaker #0
c'est que Gilles Kepel,
- Speaker #5
le monde musulman, a composé un gigantesque empire. qui à l'époque donnait des possibilités de développement du soi, d'enrichissement, etc., qui allaient de l'Andalousie et du Maghreb à la Perse, disons, dans un continuum, que le christianisme ne pouvait plus procurer. Et ça donnait une sorte d'élargissement de l'univers, un peu, si j'ose dire, comme on crée l'illusion, le globiche, universellement parlé aujourd'hui, dans nos campus universitaires.
- Speaker #0
Progressivement, l'islam s'implante donc en Orient, au point d'en faire oublier son passé chrétien. Par ailleurs, en Chine, les décennies passent et la mission d'évangélisation des Nestoriens s'épuise. Un siècle plus tard, en 845, les chrétiens sont chassés de Chine. Réfugiés en Mongolie, leur présence disparaît peu à peu de l'histoire. L'aventure Nestorienne, finalement, sonne l'heure où le christianisme est devenu minoritaire dans la partie orientale du monde.
- Speaker #4
Voilà que ça fait 13 siècles, par exemple, qu'en Égypte, ou qu'en Syrie, ou qu'en Irak,
- Speaker #0
Jean-François Colosimo,
- Speaker #4
les chrétiens sont dominés et n'ont plus voix au chapitre, ils n'ont plus accès à l'histoire, ils n'ont plus d'autonomie politique. D'où le caractère, je dirais, conservateur de ces églises, puisqu'il s'agit de tenir. Leur véritable problème, c'est que c'est des hommes et des femmes de l'entre-deux. Ils sont indésirables en Orient, mais ils sont aussi indésirables en Occident. Le resserrement du monde sur des reconstructions identitaires fait qu'eux qui n'ont que leur identité doivent être supprimés. Ils ne comptent plus, ce sont une variable d'ajustement, alors qu'ils ont fait l'Orient et qu'ils sont restés par la suite une part essentielle de l'Orient.
- Speaker #2
Cette marche est une machine à remonter le temps. Une dérive personnelle où je m'autorise des zigzags.
- Speaker #0
Extrait de La marche et le sacré de Sébastien de Courtois, 2024
- Speaker #2
On pense aller de l'avant alors que c'est du passé dont il s'agit. La boucle est infinie. Elle revient sans cesse. Nous sommes des prisonniers qui cherchent la lumière.
- Speaker #0
Dans cette boucle infinie, en zigzag et en dérive, se révèlent peu à peu les innombrables routes empruntées par le christianisme oriental. Bientôt nos pérégrinations nous mèneront vers une nouvelle destination, dans une Afrique lointaine et méconnue, en Éthiopie. Enquête d'Orient sur les routes du christianisme, une série documentaire d'Ulis Manès et de David Federman proposée par La Croix, avec la participation de Gilles Kepel, Alain Desremeaux, Jean-François Colosimo et Jean Lebrun. Les extraits des ouvrages de Sébastien de Courtois sont interprétés par Pablo Poli. Enquête et scénario, Ulysse Manès et David Federman. Narration, Ulysse Manès. Suivi de production et du partenariat à la Croix, Célestine Albert-Steward, Sandrine Verdelan et Laurence Chabazon. Réalisation et générique original, David Federman.
- Speaker #6
Sous-