Sébastien MaillardBonjour, je m'appelle Sébastien Maillard, j'ai été l'envoyé spécial permanent de la Croix au Vatican de 2013 à 2016. Et je vais vous raconter dans cet épisode mon interview du pape François, une interview exclusive en France en tous les cas, puisque un pape d'ordinaire ne donne pas d'interview à la presse, ses prédécesseurs l'avaient très très peu fait. Et là, c'était vraiment la grande interview exclusive qu'il accordait à notre journal, et la première fois à un média français. Ce lundi 9 mai 2016, dans l'après-midi, j'avais rendez-vous au Vatican pour interviewer le pape, une date dans un agenda qu'on n'oublie pas. Guillaume Goubert, qui était alors directeur de la rédaction, était présent. Cet entretien, c'était l'aboutissement de presque deux ans de demandes, tentatives, d'approches, en particulier à l'occasion des voyages du pape, parce que c'est à l'occasion de ces voyages qu'on peut avoir une relation directe, presque personnelle, avec François. C'est comme ça que ça marche. C'est vraiment le pape du lien qui veut en fait un accès direct avec chaque personne, quelle qu'elle soit, que ce soit un journaliste ou un garde suisse ou un cardinal ou un chef d'État ou un catéchumène. En fait, à chaque fois, il veut vraiment rencontrer la personne humaine qui est derrière cette façade professionnelle ou pastorale. Comme s'il cherchait à rentrer en contact vraiment direct, presque intime et à faire aucune différence, quel que soit son rang. Et c'est vraiment important de laisser s'établir ce lien si on veut vraiment entrer en contact avec lui et avoir cette interview. Ce lien direct, je dirais, ça me rappelle ce que disait Feu, cardinal Therrand, à propos des trois derniers papes. Il disait on vient voir Jean-Paul II, on vient écouter Benoît XVI et on vient toucher pape François. Et c'est vrai que ce lien, c'est presque comme une façon de toucher le pape. En tout cas, lui fait tout pour que ce lien existe. Ce qui m'a le plus frappé quand il m'a donné rendez-vous pour cette interview, c'était dans un des vols de retour d'un de ses voyages, il me dit en italien « je t'appelle » . Comme ça, « je t'appelle » . C'est vrai qu'on est un peu habitué à ce qu'un pape soit aussi familier, aussi direct, mais ça c'était vraiment sa façon d'être avec les gens et ce qu'il voulait faire. Alors, on a eu effectivement rendez-vous pour faire l'interview à la maison Sainte-Marthe, qui l'habitait. Ce qui m'a frappé, c'est la simplicité du lieu, un immeublement sommaire. On l'attendait dans une petite salle avec comme seule autre personne le directeur de la salle de presse, le père Federico Lombardi. Et le pape est rentré tout seul, sans que personne l'annonce. Et même s'il était à l'heure, il y avait quand même l'effet d'une douce surprise. Non pas que le pape François soit là, mais de sa manière aussi simple que possible de rentrer dans cette salle où nous l'attendions. Personne pour l'annoncer, c'est pas le souverain pontife tout d'un coup qui... arrive avec trompette et où l'on devrait se mettre debout pour le recevoir. Encore une fois, on était là assis à l'attendre et il s'est presque excusé d'être quelques minutes en retard. Donc vraiment, c'était toute l'humilité que son nom Francesco représente qui était incarnée là, cette façon de rentrer. Il avait demandé à connaître en avance nos questions pour s'y préparer. Il y a répondu à toutes, une par une, s'exprimant aussi très simplement en italien, qui est bien sûr la langue la plus courante au Vatican, qui est la deuxième langue aussi du pape François qui pratique d'abord l'espagnol, mais qui est bien sûr très très à l'aise en italien, et c'était la langue la plus commode pour avoir une conversation la plus directe, la plus franche. Il comprend le français, mais le parle très très très peu. Mais vraiment, tout de suite, c'est installé, on était assis sur des canapés, comme dans un salon autour de lui, et quelqu'un dit c'est le pape, avec qui on oublie qu'on est avec le pape. Et c'est vrai, quelque part, on se met à discuter, on pourrait presque faire abstraction du lieu où on est, avec qui on est en train de parler. On est avec Francesco, comme il aimait signer tout simplement toutes ses lettres. Lui tutoie, on ose peut-être moins le tutoyer en retour. Il a tout son temps, il ne donne jamais l'impression d'être importuné ou de regarder sa montre. On a parlé avec lui Europe, laïcité, migration, du scandale des abus sexuels, un voyage en France. Ça a duré en tout plus d'une heure. C'est nous à la fin qui avions épuisé toutes nos questions et qui ne voulions peut-être quand même pas abuser de son temps. Et on s'est proposé de se retirer, mais il a vraiment joué le jeu jusqu'au bout, acceptant toutes les questions, même les plus dérangeantes, puisqu'il y en avait une à l'époque sur ce qu'on a... Appelé l'affaire Barbarin, le cardinal Barbarin, à l'époque archevêque de Lyon, est sans doute le cardinal dont il était à l'époque le plus proche en France. Et le cardinal Barbarin était accusé d'avoir couvert des actes pédophiles pendant qu'il était archevêque. Et quand après je lui ai transmis l'interview pour lecture, ce qui est dans ces circonstances s'imposer, il a tout relu sans rien changer, mais vraiment sauf une petite erreur factuelle qu'il avait commise dans une de ses réponses. Mais sinon, vraiment, j'ai encore le feuillet avec la petite annotation de sa main où il a corrigé une chose. Mais sinon, il a absolument tout laissé tel qu'il l'avait exprimé. Je pense qu'il a un vrai respect pour le travail de la presse. J'étais d'ailleurs soin de voir que dans les intentions de prière du pape qu'on a chaque mois, il y a une intention de prière pour les journalistes. Dans cette interview... Ce qui m'intéressait, c'est notamment aussi son regard sur notre pays, sur la France, de ce pape qu'on a appelé à son élection le pape du bout du monde, le pape argentin, non européen. Et c'est vrai qu'on sentait que l'expression de France, fille aînée de l'Église, nous faisait un peu sourire. Souvent, en français, dans le texte, il dit « fille aînée de l'Église, pas toujours très fidèle » . Je crois qu'il avait jugé notre conception de la laïcité un peu raide. mais n'attendait pas au fond grand chose des vieux pays catholiques européens pour le renouveau de l'Église. Mais dans cet entretien, en revanche, on voit sa connaissance et son respect de plusieurs figures intellectuelles françaises et son érudition à ce sujet, mais aussi géographiquement son vrai intérêt pour Marseille. C'est ce qu'il leur dit dans l'interview, on sent que c'est la ville où il veut aller, la ville que n'y a aucun pape dans l'histoire n'a visité, mais surtout parce que Marseille, au-delà de... Du fait qu'il ne s'agit pas d'y aller parce que personne d'autre est allé avant lui, mais surtout parce qu'il dit que c'est un port ouvert sur le monde, un carrefour. C'est un carrefour comme il les aime. Et c'est un point de rencontre, je dirais, entre les deux rives de la Méditerranée que symbolise cette ville. Et on se souvient que son premier voyage, c'était à Lampedusa, sur l'île au large de Sicile. Pour moi, ça représente aussi un peu, ça symbolise un peu quelque part Marseille ou Lampedusa. Comment ce pape a voulu toujours se mettre à la jonction. du nord et du sud. Parfois on a pu dire que Jean-Paul II c'était le pape qui avait voulu faire la jonction entre l'est et l'ouest. Lui c'est vraiment celui qui fait l'approchement entre le nord et le sud et on peut relire beaucoup de ses notamment son encyclique qui a au date aussi quand il lit le cri des pauvres et le cri de la terre aussi comme ce lien qu'il veut rétablir. En tout cas, il a fait un beau cadeau au journal La Croix en accordant cette grande interview exclusive qui a eu un retentissement dès sa parution, puisqu'elle a même été reprise au journal des visites du 20h ce jour-là. Mais au-delà de l'interview que nous avons pu réaliser, il a fait beaucoup de conférences de presse pendant ce pontificat. Il a renouvelé la manière de communiquer d'un pape. Et en fait, ces conférences de presse de retour de voyage dans l'avion... avec la presse qui l'accompagne, c'est devenu un peu un rituel de tous ces déplacements. Souvent ça durait une heure et demie, voire deux heures dans les vols-retours, avec un pape debout, exténué, même si on traverse une zone de turbulence comme ça arrive dans les vols, ça n'empêchait pas de poursuivre l'exercice. Prenant toutes les questions en direct comme elles viennent, en fait il se risquait à cet exercice, répondait à tout sans filtre, improvisant ses réponses, ça a d'ailleurs pu lui jouer des tours. Mais vraiment, ça correspondait beaucoup aussi à sa façon d'être, c'est-à-dire à réfléchir à voix haute devant nous, sans crainte peut-être même de se tromper. C'est vraiment le pape qui a toujours été en recherche, qui ne vient pas avec une réponse toute faite, toute établie, et comme un rappel d'un dogme, mais qui est toujours en éveil, toujours prêt à être bousculé, toujours prêt à se laisser interpeller, et qui a toujours présenté son pontificat comme un chemin. On dit souvent que l'Église est en pérennage sur terre, mais lui-même, quelque part, son pontificat incarne ce chemin, in camino, comme on dit en italien. Il dit que c'est un chemin entre l'évêque de Rome et le peuple de Dieu, et on chemine ensemble, on s'éclaire mutuellement, on se corrige fraternellement, mais on avance ensemble. Et c'est un peu aussi ce qu'il veut dans son assistance sur les synodes, sur la synodalité. Synode, ça veut dire chemin, théologiquement. Et donc, le fait qu'il veuille comme ça nous embarquer avec lui, lui au milieu, lui parfois en tête, lui parfois derrière, mais toujours comme ce troupeau qui est souvent dans l'image biblique. c'est on chemine, on avance et... Ça permet de passer d'un temps à l'autre et je pense que c'est vraiment ainsi le pape qui a accompagné ce chemin, qui a accompagné un changement d'époque pendant ce pontificat. Je crois que s'il fallait vraiment le résumer, c'est que c'est le pape du chemin. Jean-Paul II est peut-être le pape qui a beaucoup incité sur la vie, Benoît XVI a beaucoup incité sur la vérité, mais François c'est le pape du chemin et je pense que c'est les trois définitions qu'on retrouve du Christ. C'est un pape qui nous a permis de nous accompagner. pastoralement à travers ce grand changement d'époque que son pontifique a suivi.