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Place des religions

Pape François : réforme de la Curie, le tournant du pontificat, avec Loup Besmond de Senneville

Pape François : réforme de la Curie, le tournant du pontificat, avec Loup Besmond de Senneville

14min |21/04/2025|

2080

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14min |21/04/2025|

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Description

Place des religions – François, un pape inattendu (épisode 4/4)


Le pape François s’est éteint le 21 avril 2025 à l’âge de 88 ans. Dans cette série spéciale de notre podcast Place des religions, les correspondants de La Croix au Vatican reviennent sur les grands tournants d’un pontificat qui aura profondément marqué l’histoire de l’Église catholique. Dans ce quatrième et dernier épisode, le journaliste Loup Besmond de Senneville nous emmène dans les coulisses d’un moment clé : la réforme de la Curie romaine.


Le 19 mars 2022, à midi tapantes, sans prévenir, le Vatican publiait Praedicate Evangelium, une nouvelle constitution apostolique de 54 pages, attendue depuis sept ans. Avec ce texte, le pape François bouleverse l’organigramme de l’appareil central du Saint-Siège, redéfinissant en profondeur la place des dicastères, des laïcs, et des cardinaux au sein de la machine vaticane. Une réforme structurelle et spirituelle qui témoigne à la fois de la vision du pontife et de sa méthode : celle d’un pape méfiant à l’égard d’un système qu’il estime figé, trop puissant et difficilement réformable.


Issu d’un autre continent, extérieur aux rouages de Rome, François avait reçu dès son élection la mission de réformer la Curie. Un défi de taille, tant cette institution est ancrée dans les traditions du catholicisme. Il s’y est attelé avec une volonté forte, court-circuitant souvent les circuits classiques, s’entourant de proches conseillers en qui il plaçait sa confiance, et imprimant sa marque personnelle à une Église en transition.


Dans cet épisode, Loup Besmond de Senneville revient sur cette journée historique, sur les tensions qu’elle a suscitées au Vatican, et sur la portée de ce texte que certains ont vu comme le véritable aboutissement du pontificat. Pour beaucoup, ce moment a marqué le passage d’un pape porteur de projets à un pontife qui entre dans la dernière phase de son ministère.


Ce récit nous éclaire aussi sur les équilibres complexes entre réforme et tradition, sur la manière dont la religion s’organise pour répondre aux exigences de son temps, et sur la foi tenace d’un homme, le pape François, décidé à mettre l’Église en mouvement jusqu’au bout.


► Vous avez une question ou une remarque sur notre podcast dédié au pape François ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Loup Besmond de Senneville. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward, Flavien Edenne. Textes : Clémence Maret et Célestine Albert-Steward. Captation et montage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Musique et mixage : Emmanuel Viau. Voix : Laurence Szabason. Illustration : Isaline Moulin. Directrice du marketing audience et développement de la marque : Laurence Szabason.


Place des religions est un podcast original de LA CROIX - Avril 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Loup Besmond de Senneville

    La méthode avec laquelle ce texte a été publié, elle est typique de François. François, il se méfie de la curie. Et donc, il a pris ce jour-là tout le monde par surprise.

  • La Croix

    Alors que l'Église s'apprête à rendre hommage au pape François, nous vous proposons de découvrir le récit de quatre envoyés spéciaux de la Croix qui ont tour à tour couvert son pontificat. Dans ce podcast, ils dressent le portrait d'un pape. proche des fidèles, parfois contestés, mais déterminés, malgré les obstacles, à réformer les codes et les usages au Vatican.

  • Loup Besmond de Senneville

    Je m'appelle Loup Besmond de Senneville et je suis le correspondant du journal La Croix au Vatican depuis août 2020. Et dans ce podcast, je vais vous raconter l'histoire du jour où la curie romaine a été réformée. C'est un peu une vieille lune de tous les papes, c'est-à-dire c'est la réforme dont tous les papes rêvent. On dit beaucoup en France que la France est irréformable, qu'à chaque fois on met les gens dans la rue. Il y a un peu ce rapport-là à la curie. La curie romaine, qui est cette machine de gouvernement qui aide les papes à gouverner, elle a aussi cette image de machine puissante et irréformable. Alors au Vatican, il n'y a pas de manif, mais il y a des mouvements d'humeur qui sont propres à un petit état... petite machine de gouvernement. Ici, pour protester contre la réforme, on en sable, on cache des dossiers, on ne les fait pas avancer, on les oublie, on les laisse sur le milieu de la pile. Et puis surtout, on se souvient toujours au Vatican que les papes passent, mais que le Vatican reste. Et ça, c'est un état d'esprit qui est très résistant à la réforme. Et en fait, c'est aussi pour ça que le Vatican, ça marche. Parce qu'il y a cette machine qui est stable et qui n'est pas facile à réformer. Donc c'est à la fois sa force et à la fois sa faiblesse. Et donc moi, en tant que correspondant au Vatican, lorsque j'arrive en août 2020, on est au bout de 7 ans du pontificat de François, et ça fait maintenant plusieurs années qu'on attend la réforme de la curie. François, c'est un pape qui entretient avec la curie un rapport compliqué. C'est un pape qui vient de loin, c'est un pape argentin, c'est un pape qui n'a jamais aimé Rome, et qui l'a toujours dit. C'est-à-dire que quand il venait comme archevêque de Buenos Aires à Rome, il a toujours dit « je viens au Vatican le moins possible, je repars le plus vite possible en Argentine » . Et donc, il a ce rapport au Vatican et ce rapport à la curie qui est déjà un peu compliqué quand il est élu pape en 2013. Et donc, il arrive triplement étranger parce qu'il est argentin, il n'est pas italien et il est en dehors de la curie. il arrive à la tête de cette machine, avec un mandat qui est de réformer la curie. Il arrive avec ce mandat parce que c'est simplement la mission que lui ont donnée les cardinaux qui l'ont élu. Lorsqu'il est élu en 2013, c'est après un conclave, et le conclave a été précédé de ce qu'on appelle les congrégations générales, qui ont duré plusieurs jours, on appelle ça un peu le pré-conclave. Et au cours de ce pré-conclave, les cardinaux ont tous mis en avant un problème, qui est cette curie romaine. irréformable et cette curie aux yeux des cardinaux en 2013 elle est un peu hors de contrôle c'est une grosse machine trop lente on n'arrive pas à faire avancer les dossiers c'est une machine qu'on ne comprend pas très bien c'est vraiment la machine qui s'enraye et surtout surtout en 2013 on est quelques semaines après la démission historique de benoît XVI et la démission historique de benoît XVI elle trouve son origine dans son rapport difficile avec la curie. Benoît XVI, c'est celui à qui la curie romaine a échappé. Beaucoup disent au Vatican, Benoît XVI s'est un peu fait manger par la curie. En fait, la fin du pontificat de Benoît XVI est marquée par ce qu'on appelle les vatilix, vous savez, c'est ces fuites de documents massives qui ont lieu pendant plusieurs mois. Personne ne comprend d'où viennent ces documents. Et à la fin, on découvre que c'est le majordome. de Benoît XVI qui cache des documents confidentiels et qui va les donner à la presse. C'est un séisme absolument majeur et c'est la preuve à l'époque que Benoît XVI a perdu le contrôle sur la machine. Et moi, j'ai des sources quand j'arrive au Vatican qui me racontent qu'à la fin du pontificat de Benoît XVI, quand les gens allaient le voir, Benoît XVI disait « mais je vous ai écrit cette lettre » et les gens ne l'avaient jamais reçue. Donc voilà, il y a des tas d'indices comme ça qui disent qu'au fond, Benoît XVI s'est fait manger par la machine. Et ça, Bergoglio le sait, les cardinaux le savent, et donc c'est pour ça qu Il a ce mandat de réformer la curie. Et il se méfie tellement de la curie que dès son arrivée à Rome, dès son arrivée au Vatican, il va entreprendre de doubler la curie. Il met en place ses propres équipes de théologiens, d'assistants, de secrétaires qui vont en permanence court-circuiter la curie. C'est-à-dire que quand il écrit un texte, par exemple, il sollicite ses propres experts et aussi la curie. Et puis après, il mélange tout ça, il en fait un texte. Lorsqu'il veut voir quelqu'un... Il a des canaux personnels, il a des amis, il a des gens qui lui écrivent directement. Il ne passe pas forcément par la curie. Il a par exemple toute une correspondance qui passe directement par ses secrétaires privés et qui ne passe jamais par la curie romaine. Donc il y a comme ça tout un pan de l'activité du pape qui échappe complètement à la curie. Et ça, ça nourrit une très grande rancœur d'une partie de la curie romaine à l'encontre du pape François. Donc c'est une double méfiance. Le pape se méfie de la curie, mais la curie se méfie aussi du pape. Alors que cette machine, à l'origine, elle est faite pour assister le pape, c'est-à-dire le pape devant et la curie derrière, à son service. Vous savez, la curie, il faut s'imaginer un peu ce que c'est. La curie, c'est 4000 personnes, de toutes les nationalités, mais quand même majoritairement des Italiens. C'est à la fois une machine très puissante, mais en même temps, c'est une machine très artisanale. Il y a des services, par exemple la congrégation pour les évêques, qui est en charge de nommer les évêques. de la moitié du monde, donc plusieurs centaines d'évêques dans le monde, c'est 40 personnes. De même, le dicaster pour ce qu'on appelle l'évangélisation, c'est-à-dire la gestion de toute la moitié sud du monde, c'est 60 personnes. Donc voilà, ce sont des petites équipes. Donc la curie romaine, c'est un mélange de cette espèce de truc artisanal qui peut s'enrayer pour un rien parce qu'il y a une personne qui est malade, parce qu'il y a un dossier qui s'est perdu, parce qu'il y a un mail qui n'est jamais arrivé, et en même temps cette espèce de puissance symbolique très forte. Le pape François, il veut réformer la curie en publiant ce qu'on appelle une constitution. C'est une sorte de règlement interne, comme la constitution française, si vous voulez. Cette constitution, moi, quand j'arrive en août 2020, elle est attendue depuis sept ans. Et elle est annoncée régulièrement comme étant presque terminée. Donc tout le monde essaye de suivre ça. Là, on dit, ça y est, le texte est terminé, il est à la traduction. Donc j'ai différentes sources qui me disent ça. Des canonistes, des spécialistes du droit de l'Église. des gens qui traduisent les textes. Et tout le monde croit savoir que cette constitution, elle est imminente et toutes les semaines, on l'annonce pour la semaine prochaine. Le temps passe jusqu'à ce samedi 19 mars 2022. Il est midi et deux minutes. Je reçois un message WhatsApp d'un collègue qui travaille pour un autre média français avec un mot que je ne vous répéterai pas ici, mais qui immédiatement me fait dire que quelque chose vient d'arriver. Et donc j'ouvre mes mails et je vois cette constitution apostolique prédicatée, Evangelium, prêcher l'évangile, qui est tombée dans les boîtes mail de tous les journalistes dont je suis à midi. Midi c'est un peu l'heure de tous les dangers au Vatican, parce que c'est l'heure du Boletino, ce journal officiel qui nous est envoyé. Et donc c'est ce jour-là que cette constitution, si attendue depuis des années, est publiée. Et puis je me mets au travail pour décortiquer. Ce texte qui est un texte à la fois très attendu, parce que ça fait plusieurs années qu'on l'attend, et en même temps inattendu à ce moment-là, c'est 54 pages, 250 articles, uniquement en italien. C'est une refonte totale de l'organigramme de la curie, une refonte aussi du rôle de la curie, c'est-à-dire que cette machine, elle est maintenant mise au service de tous les évêques du monde, et plus seulement au service du pape. C'est une nouvelle place pour les laïcs, c'est des mandats qui sont maintenant limités à 5 ans. notamment pour les religieux qui sont à l'intérieur de la curie. C'est la grande réforme du pontificat qui vient de tomber, réforme de structure, réforme de fond. Et donc, il faut le dépouiller, ce texte, le plus vite possible. C'est intéressant parce que la méthode avec laquelle ce texte a été publié, elle est typique de François. François, il se méfie de la curie. Et donc, il a pris ce jour-là... tout le monde par surprise. Parce que il y a une chose qu'il veut éviter à tout prix, c'est que la secrétarie d'État, qui est ici le mélange entre le ministère de l'Intérieur et le secrétaire général du gouvernement, eh bien, que la secrétarie d'État bloque le texte. Et c'est pour ça qu'il ne publie cette constitution qu'en italien, et c'est pour ça qu'il le fait complètement à l'improviste. Il y a une conférence de presse qui a été planifiée, mais seulement deux jours plus tard. Mais... Même le secrétaire d'État, le numéro 2 du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, est en déplacement à Dubaï. Il est parti inaugurer le pavillon du Saint-Siège de l'exposition universelle. Et lui, il est mis au courant uniquement une heure avant. Les responsables de la communication papale, c'est pareil, ils l'apprennent 20 minutes avant midi. L'un fait ses courses au supermarché, l'autre s'apprête à emmener sa femme déjeuner pour son anniversaire dans son restaurant préféré. Les choses se bousculent complètement, ils ont juste le temps de rentrer chez eux, de se mettre au travail et ils ne connaissent même pas le texte. C'est-à-dire qu'ils n'ont même pas le temps de lire le texte lui-même. Donc voilà, c'est vraiment ce pape qui prend tout le monde par surprise et cette constitution et la manière dont il le fait, à ce moment-là, c'est exactement le signe que le pape... se méfie de la curie. C'est intéressant aussi pour moi comme journaliste parce que c'est effectivement à la fois un texte qui est très attendu, dont on me parle depuis toujours, et en même temps, moi, il faut que j'essaye de voir ce qu'il y a de neuf dans ce texte. C'est une histoire très institutionnelle quand même, mais il faut voir qu'à travers la refonte de l'organigramme, il faut voir quelle est la volonté du pape. Donc pour ça, j'essaye d'appeler des gens. Il se trouve que je connais au moins une personne qui a relu le texte, d'un point de vue juridique. La personne peut m'aiguiller sur les points qui sont importants, mais de toute façon, très vite, il faut évidemment écrire un article sur l'essentiel de cette constitution. Et en même temps, il faut produire, pour les jours qui viennent, une analyse sur la grande révolution du pape François. Il faut comparer ce texte à un texte de 1988, celui promulgué par Jean-Paul II à l'époque, et puis même à celui promulgué en 1967 par Paul VI. Voilà qui sont les deux grands moments de réforme de la curie. Ce qui est sûr, c'est que la publication de ce texte, elle suscite énormément de réactions. Et ça, c'est les choses que nous, journalistes, on perçoit dans les jours qui viennent. Les gens de la curie sont furieux des conditions de publication de ce texte. Et donc, c'est quelque chose qui suscite beaucoup de commentaires. C'est aussi un texte qui va aviver des tensions, parce que cet horizon qu'on avait depuis des années, qui était l'horizon de la réforme, on disait, bon, c'est un pape qui va réformer, et bien cet horizon, tout à coup, il disparaît. C'est-à-dire que la réforme, elle est faite, et le pape n'est plus un pape qui va réformer, c'est un pape qui a réformé. Et donc c'est pour ça que cette publication, à ce moment-là, pour moi, elle marque clairement le début de la fin du pontificat. Parce que le pape n'est plus un pape qui a des projets de réforme. C'est un pape qui a posé cette réforme sur la table, qui peut être vue comme une grande avancée, qui peut aussi être vue par certains comme... Une réforme limitée, certains disent qu'il aurait fallu qu'il aille plus loin, par exemple qu'il oblige les vieux cardinaux à quitter Rome, à repartir dans leur pays, ou il aurait fallu que les responsabilités tournent de manière plus forte. Voilà, certains sont déçus, d'autres sont furieux, mais en tout cas, c'est clairement le début de la fin du pontificat et c'est le début de l'apparition des clivages qu'on va avoir jusqu'à la fin du pontificat et qu'on va avoir aussi des mois plus tard réapparaître lorsque Benoît XVI va mourir. le 31 décembre 2022, avec des clivages autour de cette idée de réforme. Certains disant qu'au fond, Ratzinger, c'était celui qui avait tout compris à la curie, et donc il n'avait pas eu besoin de la réformer. Les autres disant que Bergoglio, au contraire, c'est celui qui avait voulu réformer parce qu'il s'était retrouvé en face d'une machine ingouvernable. Donc, on a, avec cette réforme de la curie, un vrai tournant de ce pontificat. et même si François a encore de grandes réformes devant lui, comme à ce moment-là le chantier de la synodalité, c'est-à-dire la manière dont l'Église catholique doit annoncer son message au monde, dont elle doit se penser elle-même. Eh bien, c'est sûr que le tournant a été pris. Et c'est sûr qu'à ce moment-là, ce jour-là, le 19 mars 2022, à midi, la marche vers le conclave a commencé. Et donc, vers l'élection de celui qui succédera au pape François.

  • La Croix

    Vous venez d'écouter un épisode de Place des Religions, un podcast réalisé par La Croix. S'il vous a intéressé, n'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre chaîne. Place des Religions est à écouter sur toutes les plateformes, sur le site et l'appli La Croix.

Description

Place des religions – François, un pape inattendu (épisode 4/4)


Le pape François s’est éteint le 21 avril 2025 à l’âge de 88 ans. Dans cette série spéciale de notre podcast Place des religions, les correspondants de La Croix au Vatican reviennent sur les grands tournants d’un pontificat qui aura profondément marqué l’histoire de l’Église catholique. Dans ce quatrième et dernier épisode, le journaliste Loup Besmond de Senneville nous emmène dans les coulisses d’un moment clé : la réforme de la Curie romaine.


Le 19 mars 2022, à midi tapantes, sans prévenir, le Vatican publiait Praedicate Evangelium, une nouvelle constitution apostolique de 54 pages, attendue depuis sept ans. Avec ce texte, le pape François bouleverse l’organigramme de l’appareil central du Saint-Siège, redéfinissant en profondeur la place des dicastères, des laïcs, et des cardinaux au sein de la machine vaticane. Une réforme structurelle et spirituelle qui témoigne à la fois de la vision du pontife et de sa méthode : celle d’un pape méfiant à l’égard d’un système qu’il estime figé, trop puissant et difficilement réformable.


Issu d’un autre continent, extérieur aux rouages de Rome, François avait reçu dès son élection la mission de réformer la Curie. Un défi de taille, tant cette institution est ancrée dans les traditions du catholicisme. Il s’y est attelé avec une volonté forte, court-circuitant souvent les circuits classiques, s’entourant de proches conseillers en qui il plaçait sa confiance, et imprimant sa marque personnelle à une Église en transition.


Dans cet épisode, Loup Besmond de Senneville revient sur cette journée historique, sur les tensions qu’elle a suscitées au Vatican, et sur la portée de ce texte que certains ont vu comme le véritable aboutissement du pontificat. Pour beaucoup, ce moment a marqué le passage d’un pape porteur de projets à un pontife qui entre dans la dernière phase de son ministère.


Ce récit nous éclaire aussi sur les équilibres complexes entre réforme et tradition, sur la manière dont la religion s’organise pour répondre aux exigences de son temps, et sur la foi tenace d’un homme, le pape François, décidé à mettre l’Église en mouvement jusqu’au bout.


► Vous avez une question ou une remarque sur notre podcast dédié au pape François ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Loup Besmond de Senneville. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward, Flavien Edenne. Textes : Clémence Maret et Célestine Albert-Steward. Captation et montage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Musique et mixage : Emmanuel Viau. Voix : Laurence Szabason. Illustration : Isaline Moulin. Directrice du marketing audience et développement de la marque : Laurence Szabason.


Place des religions est un podcast original de LA CROIX - Avril 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Loup Besmond de Senneville

    La méthode avec laquelle ce texte a été publié, elle est typique de François. François, il se méfie de la curie. Et donc, il a pris ce jour-là tout le monde par surprise.

  • La Croix

    Alors que l'Église s'apprête à rendre hommage au pape François, nous vous proposons de découvrir le récit de quatre envoyés spéciaux de la Croix qui ont tour à tour couvert son pontificat. Dans ce podcast, ils dressent le portrait d'un pape. proche des fidèles, parfois contestés, mais déterminés, malgré les obstacles, à réformer les codes et les usages au Vatican.

  • Loup Besmond de Senneville

    Je m'appelle Loup Besmond de Senneville et je suis le correspondant du journal La Croix au Vatican depuis août 2020. Et dans ce podcast, je vais vous raconter l'histoire du jour où la curie romaine a été réformée. C'est un peu une vieille lune de tous les papes, c'est-à-dire c'est la réforme dont tous les papes rêvent. On dit beaucoup en France que la France est irréformable, qu'à chaque fois on met les gens dans la rue. Il y a un peu ce rapport-là à la curie. La curie romaine, qui est cette machine de gouvernement qui aide les papes à gouverner, elle a aussi cette image de machine puissante et irréformable. Alors au Vatican, il n'y a pas de manif, mais il y a des mouvements d'humeur qui sont propres à un petit état... petite machine de gouvernement. Ici, pour protester contre la réforme, on en sable, on cache des dossiers, on ne les fait pas avancer, on les oublie, on les laisse sur le milieu de la pile. Et puis surtout, on se souvient toujours au Vatican que les papes passent, mais que le Vatican reste. Et ça, c'est un état d'esprit qui est très résistant à la réforme. Et en fait, c'est aussi pour ça que le Vatican, ça marche. Parce qu'il y a cette machine qui est stable et qui n'est pas facile à réformer. Donc c'est à la fois sa force et à la fois sa faiblesse. Et donc moi, en tant que correspondant au Vatican, lorsque j'arrive en août 2020, on est au bout de 7 ans du pontificat de François, et ça fait maintenant plusieurs années qu'on attend la réforme de la curie. François, c'est un pape qui entretient avec la curie un rapport compliqué. C'est un pape qui vient de loin, c'est un pape argentin, c'est un pape qui n'a jamais aimé Rome, et qui l'a toujours dit. C'est-à-dire que quand il venait comme archevêque de Buenos Aires à Rome, il a toujours dit « je viens au Vatican le moins possible, je repars le plus vite possible en Argentine » . Et donc, il a ce rapport au Vatican et ce rapport à la curie qui est déjà un peu compliqué quand il est élu pape en 2013. Et donc, il arrive triplement étranger parce qu'il est argentin, il n'est pas italien et il est en dehors de la curie. il arrive à la tête de cette machine, avec un mandat qui est de réformer la curie. Il arrive avec ce mandat parce que c'est simplement la mission que lui ont donnée les cardinaux qui l'ont élu. Lorsqu'il est élu en 2013, c'est après un conclave, et le conclave a été précédé de ce qu'on appelle les congrégations générales, qui ont duré plusieurs jours, on appelle ça un peu le pré-conclave. Et au cours de ce pré-conclave, les cardinaux ont tous mis en avant un problème, qui est cette curie romaine. irréformable et cette curie aux yeux des cardinaux en 2013 elle est un peu hors de contrôle c'est une grosse machine trop lente on n'arrive pas à faire avancer les dossiers c'est une machine qu'on ne comprend pas très bien c'est vraiment la machine qui s'enraye et surtout surtout en 2013 on est quelques semaines après la démission historique de benoît XVI et la démission historique de benoît XVI elle trouve son origine dans son rapport difficile avec la curie. Benoît XVI, c'est celui à qui la curie romaine a échappé. Beaucoup disent au Vatican, Benoît XVI s'est un peu fait manger par la curie. En fait, la fin du pontificat de Benoît XVI est marquée par ce qu'on appelle les vatilix, vous savez, c'est ces fuites de documents massives qui ont lieu pendant plusieurs mois. Personne ne comprend d'où viennent ces documents. Et à la fin, on découvre que c'est le majordome. de Benoît XVI qui cache des documents confidentiels et qui va les donner à la presse. C'est un séisme absolument majeur et c'est la preuve à l'époque que Benoît XVI a perdu le contrôle sur la machine. Et moi, j'ai des sources quand j'arrive au Vatican qui me racontent qu'à la fin du pontificat de Benoît XVI, quand les gens allaient le voir, Benoît XVI disait « mais je vous ai écrit cette lettre » et les gens ne l'avaient jamais reçue. Donc voilà, il y a des tas d'indices comme ça qui disent qu'au fond, Benoît XVI s'est fait manger par la machine. Et ça, Bergoglio le sait, les cardinaux le savent, et donc c'est pour ça qu Il a ce mandat de réformer la curie. Et il se méfie tellement de la curie que dès son arrivée à Rome, dès son arrivée au Vatican, il va entreprendre de doubler la curie. Il met en place ses propres équipes de théologiens, d'assistants, de secrétaires qui vont en permanence court-circuiter la curie. C'est-à-dire que quand il écrit un texte, par exemple, il sollicite ses propres experts et aussi la curie. Et puis après, il mélange tout ça, il en fait un texte. Lorsqu'il veut voir quelqu'un... Il a des canaux personnels, il a des amis, il a des gens qui lui écrivent directement. Il ne passe pas forcément par la curie. Il a par exemple toute une correspondance qui passe directement par ses secrétaires privés et qui ne passe jamais par la curie romaine. Donc il y a comme ça tout un pan de l'activité du pape qui échappe complètement à la curie. Et ça, ça nourrit une très grande rancœur d'une partie de la curie romaine à l'encontre du pape François. Donc c'est une double méfiance. Le pape se méfie de la curie, mais la curie se méfie aussi du pape. Alors que cette machine, à l'origine, elle est faite pour assister le pape, c'est-à-dire le pape devant et la curie derrière, à son service. Vous savez, la curie, il faut s'imaginer un peu ce que c'est. La curie, c'est 4000 personnes, de toutes les nationalités, mais quand même majoritairement des Italiens. C'est à la fois une machine très puissante, mais en même temps, c'est une machine très artisanale. Il y a des services, par exemple la congrégation pour les évêques, qui est en charge de nommer les évêques. de la moitié du monde, donc plusieurs centaines d'évêques dans le monde, c'est 40 personnes. De même, le dicaster pour ce qu'on appelle l'évangélisation, c'est-à-dire la gestion de toute la moitié sud du monde, c'est 60 personnes. Donc voilà, ce sont des petites équipes. Donc la curie romaine, c'est un mélange de cette espèce de truc artisanal qui peut s'enrayer pour un rien parce qu'il y a une personne qui est malade, parce qu'il y a un dossier qui s'est perdu, parce qu'il y a un mail qui n'est jamais arrivé, et en même temps cette espèce de puissance symbolique très forte. Le pape François, il veut réformer la curie en publiant ce qu'on appelle une constitution. C'est une sorte de règlement interne, comme la constitution française, si vous voulez. Cette constitution, moi, quand j'arrive en août 2020, elle est attendue depuis sept ans. Et elle est annoncée régulièrement comme étant presque terminée. Donc tout le monde essaye de suivre ça. Là, on dit, ça y est, le texte est terminé, il est à la traduction. Donc j'ai différentes sources qui me disent ça. Des canonistes, des spécialistes du droit de l'Église. des gens qui traduisent les textes. Et tout le monde croit savoir que cette constitution, elle est imminente et toutes les semaines, on l'annonce pour la semaine prochaine. Le temps passe jusqu'à ce samedi 19 mars 2022. Il est midi et deux minutes. Je reçois un message WhatsApp d'un collègue qui travaille pour un autre média français avec un mot que je ne vous répéterai pas ici, mais qui immédiatement me fait dire que quelque chose vient d'arriver. Et donc j'ouvre mes mails et je vois cette constitution apostolique prédicatée, Evangelium, prêcher l'évangile, qui est tombée dans les boîtes mail de tous les journalistes dont je suis à midi. Midi c'est un peu l'heure de tous les dangers au Vatican, parce que c'est l'heure du Boletino, ce journal officiel qui nous est envoyé. Et donc c'est ce jour-là que cette constitution, si attendue depuis des années, est publiée. Et puis je me mets au travail pour décortiquer. Ce texte qui est un texte à la fois très attendu, parce que ça fait plusieurs années qu'on l'attend, et en même temps inattendu à ce moment-là, c'est 54 pages, 250 articles, uniquement en italien. C'est une refonte totale de l'organigramme de la curie, une refonte aussi du rôle de la curie, c'est-à-dire que cette machine, elle est maintenant mise au service de tous les évêques du monde, et plus seulement au service du pape. C'est une nouvelle place pour les laïcs, c'est des mandats qui sont maintenant limités à 5 ans. notamment pour les religieux qui sont à l'intérieur de la curie. C'est la grande réforme du pontificat qui vient de tomber, réforme de structure, réforme de fond. Et donc, il faut le dépouiller, ce texte, le plus vite possible. C'est intéressant parce que la méthode avec laquelle ce texte a été publié, elle est typique de François. François, il se méfie de la curie. Et donc, il a pris ce jour-là... tout le monde par surprise. Parce que il y a une chose qu'il veut éviter à tout prix, c'est que la secrétarie d'État, qui est ici le mélange entre le ministère de l'Intérieur et le secrétaire général du gouvernement, eh bien, que la secrétarie d'État bloque le texte. Et c'est pour ça qu'il ne publie cette constitution qu'en italien, et c'est pour ça qu'il le fait complètement à l'improviste. Il y a une conférence de presse qui a été planifiée, mais seulement deux jours plus tard. Mais... Même le secrétaire d'État, le numéro 2 du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, est en déplacement à Dubaï. Il est parti inaugurer le pavillon du Saint-Siège de l'exposition universelle. Et lui, il est mis au courant uniquement une heure avant. Les responsables de la communication papale, c'est pareil, ils l'apprennent 20 minutes avant midi. L'un fait ses courses au supermarché, l'autre s'apprête à emmener sa femme déjeuner pour son anniversaire dans son restaurant préféré. Les choses se bousculent complètement, ils ont juste le temps de rentrer chez eux, de se mettre au travail et ils ne connaissent même pas le texte. C'est-à-dire qu'ils n'ont même pas le temps de lire le texte lui-même. Donc voilà, c'est vraiment ce pape qui prend tout le monde par surprise et cette constitution et la manière dont il le fait, à ce moment-là, c'est exactement le signe que le pape... se méfie de la curie. C'est intéressant aussi pour moi comme journaliste parce que c'est effectivement à la fois un texte qui est très attendu, dont on me parle depuis toujours, et en même temps, moi, il faut que j'essaye de voir ce qu'il y a de neuf dans ce texte. C'est une histoire très institutionnelle quand même, mais il faut voir qu'à travers la refonte de l'organigramme, il faut voir quelle est la volonté du pape. Donc pour ça, j'essaye d'appeler des gens. Il se trouve que je connais au moins une personne qui a relu le texte, d'un point de vue juridique. La personne peut m'aiguiller sur les points qui sont importants, mais de toute façon, très vite, il faut évidemment écrire un article sur l'essentiel de cette constitution. Et en même temps, il faut produire, pour les jours qui viennent, une analyse sur la grande révolution du pape François. Il faut comparer ce texte à un texte de 1988, celui promulgué par Jean-Paul II à l'époque, et puis même à celui promulgué en 1967 par Paul VI. Voilà qui sont les deux grands moments de réforme de la curie. Ce qui est sûr, c'est que la publication de ce texte, elle suscite énormément de réactions. Et ça, c'est les choses que nous, journalistes, on perçoit dans les jours qui viennent. Les gens de la curie sont furieux des conditions de publication de ce texte. Et donc, c'est quelque chose qui suscite beaucoup de commentaires. C'est aussi un texte qui va aviver des tensions, parce que cet horizon qu'on avait depuis des années, qui était l'horizon de la réforme, on disait, bon, c'est un pape qui va réformer, et bien cet horizon, tout à coup, il disparaît. C'est-à-dire que la réforme, elle est faite, et le pape n'est plus un pape qui va réformer, c'est un pape qui a réformé. Et donc c'est pour ça que cette publication, à ce moment-là, pour moi, elle marque clairement le début de la fin du pontificat. Parce que le pape n'est plus un pape qui a des projets de réforme. C'est un pape qui a posé cette réforme sur la table, qui peut être vue comme une grande avancée, qui peut aussi être vue par certains comme... Une réforme limitée, certains disent qu'il aurait fallu qu'il aille plus loin, par exemple qu'il oblige les vieux cardinaux à quitter Rome, à repartir dans leur pays, ou il aurait fallu que les responsabilités tournent de manière plus forte. Voilà, certains sont déçus, d'autres sont furieux, mais en tout cas, c'est clairement le début de la fin du pontificat et c'est le début de l'apparition des clivages qu'on va avoir jusqu'à la fin du pontificat et qu'on va avoir aussi des mois plus tard réapparaître lorsque Benoît XVI va mourir. le 31 décembre 2022, avec des clivages autour de cette idée de réforme. Certains disant qu'au fond, Ratzinger, c'était celui qui avait tout compris à la curie, et donc il n'avait pas eu besoin de la réformer. Les autres disant que Bergoglio, au contraire, c'est celui qui avait voulu réformer parce qu'il s'était retrouvé en face d'une machine ingouvernable. Donc, on a, avec cette réforme de la curie, un vrai tournant de ce pontificat. et même si François a encore de grandes réformes devant lui, comme à ce moment-là le chantier de la synodalité, c'est-à-dire la manière dont l'Église catholique doit annoncer son message au monde, dont elle doit se penser elle-même. Eh bien, c'est sûr que le tournant a été pris. Et c'est sûr qu'à ce moment-là, ce jour-là, le 19 mars 2022, à midi, la marche vers le conclave a commencé. Et donc, vers l'élection de celui qui succédera au pape François.

  • La Croix

    Vous venez d'écouter un épisode de Place des Religions, un podcast réalisé par La Croix. S'il vous a intéressé, n'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre chaîne. Place des Religions est à écouter sur toutes les plateformes, sur le site et l'appli La Croix.

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Description

Place des religions – François, un pape inattendu (épisode 4/4)


Le pape François s’est éteint le 21 avril 2025 à l’âge de 88 ans. Dans cette série spéciale de notre podcast Place des religions, les correspondants de La Croix au Vatican reviennent sur les grands tournants d’un pontificat qui aura profondément marqué l’histoire de l’Église catholique. Dans ce quatrième et dernier épisode, le journaliste Loup Besmond de Senneville nous emmène dans les coulisses d’un moment clé : la réforme de la Curie romaine.


Le 19 mars 2022, à midi tapantes, sans prévenir, le Vatican publiait Praedicate Evangelium, une nouvelle constitution apostolique de 54 pages, attendue depuis sept ans. Avec ce texte, le pape François bouleverse l’organigramme de l’appareil central du Saint-Siège, redéfinissant en profondeur la place des dicastères, des laïcs, et des cardinaux au sein de la machine vaticane. Une réforme structurelle et spirituelle qui témoigne à la fois de la vision du pontife et de sa méthode : celle d’un pape méfiant à l’égard d’un système qu’il estime figé, trop puissant et difficilement réformable.


Issu d’un autre continent, extérieur aux rouages de Rome, François avait reçu dès son élection la mission de réformer la Curie. Un défi de taille, tant cette institution est ancrée dans les traditions du catholicisme. Il s’y est attelé avec une volonté forte, court-circuitant souvent les circuits classiques, s’entourant de proches conseillers en qui il plaçait sa confiance, et imprimant sa marque personnelle à une Église en transition.


Dans cet épisode, Loup Besmond de Senneville revient sur cette journée historique, sur les tensions qu’elle a suscitées au Vatican, et sur la portée de ce texte que certains ont vu comme le véritable aboutissement du pontificat. Pour beaucoup, ce moment a marqué le passage d’un pape porteur de projets à un pontife qui entre dans la dernière phase de son ministère.


Ce récit nous éclaire aussi sur les équilibres complexes entre réforme et tradition, sur la manière dont la religion s’organise pour répondre aux exigences de son temps, et sur la foi tenace d’un homme, le pape François, décidé à mettre l’Église en mouvement jusqu’au bout.


► Vous avez une question ou une remarque sur notre podcast dédié au pape François ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Loup Besmond de Senneville. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward, Flavien Edenne. Textes : Clémence Maret et Célestine Albert-Steward. Captation et montage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Musique et mixage : Emmanuel Viau. Voix : Laurence Szabason. Illustration : Isaline Moulin. Directrice du marketing audience et développement de la marque : Laurence Szabason.


Place des religions est un podcast original de LA CROIX - Avril 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Loup Besmond de Senneville

    La méthode avec laquelle ce texte a été publié, elle est typique de François. François, il se méfie de la curie. Et donc, il a pris ce jour-là tout le monde par surprise.

  • La Croix

    Alors que l'Église s'apprête à rendre hommage au pape François, nous vous proposons de découvrir le récit de quatre envoyés spéciaux de la Croix qui ont tour à tour couvert son pontificat. Dans ce podcast, ils dressent le portrait d'un pape. proche des fidèles, parfois contestés, mais déterminés, malgré les obstacles, à réformer les codes et les usages au Vatican.

  • Loup Besmond de Senneville

    Je m'appelle Loup Besmond de Senneville et je suis le correspondant du journal La Croix au Vatican depuis août 2020. Et dans ce podcast, je vais vous raconter l'histoire du jour où la curie romaine a été réformée. C'est un peu une vieille lune de tous les papes, c'est-à-dire c'est la réforme dont tous les papes rêvent. On dit beaucoup en France que la France est irréformable, qu'à chaque fois on met les gens dans la rue. Il y a un peu ce rapport-là à la curie. La curie romaine, qui est cette machine de gouvernement qui aide les papes à gouverner, elle a aussi cette image de machine puissante et irréformable. Alors au Vatican, il n'y a pas de manif, mais il y a des mouvements d'humeur qui sont propres à un petit état... petite machine de gouvernement. Ici, pour protester contre la réforme, on en sable, on cache des dossiers, on ne les fait pas avancer, on les oublie, on les laisse sur le milieu de la pile. Et puis surtout, on se souvient toujours au Vatican que les papes passent, mais que le Vatican reste. Et ça, c'est un état d'esprit qui est très résistant à la réforme. Et en fait, c'est aussi pour ça que le Vatican, ça marche. Parce qu'il y a cette machine qui est stable et qui n'est pas facile à réformer. Donc c'est à la fois sa force et à la fois sa faiblesse. Et donc moi, en tant que correspondant au Vatican, lorsque j'arrive en août 2020, on est au bout de 7 ans du pontificat de François, et ça fait maintenant plusieurs années qu'on attend la réforme de la curie. François, c'est un pape qui entretient avec la curie un rapport compliqué. C'est un pape qui vient de loin, c'est un pape argentin, c'est un pape qui n'a jamais aimé Rome, et qui l'a toujours dit. C'est-à-dire que quand il venait comme archevêque de Buenos Aires à Rome, il a toujours dit « je viens au Vatican le moins possible, je repars le plus vite possible en Argentine » . Et donc, il a ce rapport au Vatican et ce rapport à la curie qui est déjà un peu compliqué quand il est élu pape en 2013. Et donc, il arrive triplement étranger parce qu'il est argentin, il n'est pas italien et il est en dehors de la curie. il arrive à la tête de cette machine, avec un mandat qui est de réformer la curie. Il arrive avec ce mandat parce que c'est simplement la mission que lui ont donnée les cardinaux qui l'ont élu. Lorsqu'il est élu en 2013, c'est après un conclave, et le conclave a été précédé de ce qu'on appelle les congrégations générales, qui ont duré plusieurs jours, on appelle ça un peu le pré-conclave. Et au cours de ce pré-conclave, les cardinaux ont tous mis en avant un problème, qui est cette curie romaine. irréformable et cette curie aux yeux des cardinaux en 2013 elle est un peu hors de contrôle c'est une grosse machine trop lente on n'arrive pas à faire avancer les dossiers c'est une machine qu'on ne comprend pas très bien c'est vraiment la machine qui s'enraye et surtout surtout en 2013 on est quelques semaines après la démission historique de benoît XVI et la démission historique de benoît XVI elle trouve son origine dans son rapport difficile avec la curie. Benoît XVI, c'est celui à qui la curie romaine a échappé. Beaucoup disent au Vatican, Benoît XVI s'est un peu fait manger par la curie. En fait, la fin du pontificat de Benoît XVI est marquée par ce qu'on appelle les vatilix, vous savez, c'est ces fuites de documents massives qui ont lieu pendant plusieurs mois. Personne ne comprend d'où viennent ces documents. Et à la fin, on découvre que c'est le majordome. de Benoît XVI qui cache des documents confidentiels et qui va les donner à la presse. C'est un séisme absolument majeur et c'est la preuve à l'époque que Benoît XVI a perdu le contrôle sur la machine. Et moi, j'ai des sources quand j'arrive au Vatican qui me racontent qu'à la fin du pontificat de Benoît XVI, quand les gens allaient le voir, Benoît XVI disait « mais je vous ai écrit cette lettre » et les gens ne l'avaient jamais reçue. Donc voilà, il y a des tas d'indices comme ça qui disent qu'au fond, Benoît XVI s'est fait manger par la machine. Et ça, Bergoglio le sait, les cardinaux le savent, et donc c'est pour ça qu Il a ce mandat de réformer la curie. Et il se méfie tellement de la curie que dès son arrivée à Rome, dès son arrivée au Vatican, il va entreprendre de doubler la curie. Il met en place ses propres équipes de théologiens, d'assistants, de secrétaires qui vont en permanence court-circuiter la curie. C'est-à-dire que quand il écrit un texte, par exemple, il sollicite ses propres experts et aussi la curie. Et puis après, il mélange tout ça, il en fait un texte. Lorsqu'il veut voir quelqu'un... Il a des canaux personnels, il a des amis, il a des gens qui lui écrivent directement. Il ne passe pas forcément par la curie. Il a par exemple toute une correspondance qui passe directement par ses secrétaires privés et qui ne passe jamais par la curie romaine. Donc il y a comme ça tout un pan de l'activité du pape qui échappe complètement à la curie. Et ça, ça nourrit une très grande rancœur d'une partie de la curie romaine à l'encontre du pape François. Donc c'est une double méfiance. Le pape se méfie de la curie, mais la curie se méfie aussi du pape. Alors que cette machine, à l'origine, elle est faite pour assister le pape, c'est-à-dire le pape devant et la curie derrière, à son service. Vous savez, la curie, il faut s'imaginer un peu ce que c'est. La curie, c'est 4000 personnes, de toutes les nationalités, mais quand même majoritairement des Italiens. C'est à la fois une machine très puissante, mais en même temps, c'est une machine très artisanale. Il y a des services, par exemple la congrégation pour les évêques, qui est en charge de nommer les évêques. de la moitié du monde, donc plusieurs centaines d'évêques dans le monde, c'est 40 personnes. De même, le dicaster pour ce qu'on appelle l'évangélisation, c'est-à-dire la gestion de toute la moitié sud du monde, c'est 60 personnes. Donc voilà, ce sont des petites équipes. Donc la curie romaine, c'est un mélange de cette espèce de truc artisanal qui peut s'enrayer pour un rien parce qu'il y a une personne qui est malade, parce qu'il y a un dossier qui s'est perdu, parce qu'il y a un mail qui n'est jamais arrivé, et en même temps cette espèce de puissance symbolique très forte. Le pape François, il veut réformer la curie en publiant ce qu'on appelle une constitution. C'est une sorte de règlement interne, comme la constitution française, si vous voulez. Cette constitution, moi, quand j'arrive en août 2020, elle est attendue depuis sept ans. Et elle est annoncée régulièrement comme étant presque terminée. Donc tout le monde essaye de suivre ça. Là, on dit, ça y est, le texte est terminé, il est à la traduction. Donc j'ai différentes sources qui me disent ça. Des canonistes, des spécialistes du droit de l'Église. des gens qui traduisent les textes. Et tout le monde croit savoir que cette constitution, elle est imminente et toutes les semaines, on l'annonce pour la semaine prochaine. Le temps passe jusqu'à ce samedi 19 mars 2022. Il est midi et deux minutes. Je reçois un message WhatsApp d'un collègue qui travaille pour un autre média français avec un mot que je ne vous répéterai pas ici, mais qui immédiatement me fait dire que quelque chose vient d'arriver. Et donc j'ouvre mes mails et je vois cette constitution apostolique prédicatée, Evangelium, prêcher l'évangile, qui est tombée dans les boîtes mail de tous les journalistes dont je suis à midi. Midi c'est un peu l'heure de tous les dangers au Vatican, parce que c'est l'heure du Boletino, ce journal officiel qui nous est envoyé. Et donc c'est ce jour-là que cette constitution, si attendue depuis des années, est publiée. Et puis je me mets au travail pour décortiquer. Ce texte qui est un texte à la fois très attendu, parce que ça fait plusieurs années qu'on l'attend, et en même temps inattendu à ce moment-là, c'est 54 pages, 250 articles, uniquement en italien. C'est une refonte totale de l'organigramme de la curie, une refonte aussi du rôle de la curie, c'est-à-dire que cette machine, elle est maintenant mise au service de tous les évêques du monde, et plus seulement au service du pape. C'est une nouvelle place pour les laïcs, c'est des mandats qui sont maintenant limités à 5 ans. notamment pour les religieux qui sont à l'intérieur de la curie. C'est la grande réforme du pontificat qui vient de tomber, réforme de structure, réforme de fond. Et donc, il faut le dépouiller, ce texte, le plus vite possible. C'est intéressant parce que la méthode avec laquelle ce texte a été publié, elle est typique de François. François, il se méfie de la curie. Et donc, il a pris ce jour-là... tout le monde par surprise. Parce que il y a une chose qu'il veut éviter à tout prix, c'est que la secrétarie d'État, qui est ici le mélange entre le ministère de l'Intérieur et le secrétaire général du gouvernement, eh bien, que la secrétarie d'État bloque le texte. Et c'est pour ça qu'il ne publie cette constitution qu'en italien, et c'est pour ça qu'il le fait complètement à l'improviste. Il y a une conférence de presse qui a été planifiée, mais seulement deux jours plus tard. Mais... Même le secrétaire d'État, le numéro 2 du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, est en déplacement à Dubaï. Il est parti inaugurer le pavillon du Saint-Siège de l'exposition universelle. Et lui, il est mis au courant uniquement une heure avant. Les responsables de la communication papale, c'est pareil, ils l'apprennent 20 minutes avant midi. L'un fait ses courses au supermarché, l'autre s'apprête à emmener sa femme déjeuner pour son anniversaire dans son restaurant préféré. Les choses se bousculent complètement, ils ont juste le temps de rentrer chez eux, de se mettre au travail et ils ne connaissent même pas le texte. C'est-à-dire qu'ils n'ont même pas le temps de lire le texte lui-même. Donc voilà, c'est vraiment ce pape qui prend tout le monde par surprise et cette constitution et la manière dont il le fait, à ce moment-là, c'est exactement le signe que le pape... se méfie de la curie. C'est intéressant aussi pour moi comme journaliste parce que c'est effectivement à la fois un texte qui est très attendu, dont on me parle depuis toujours, et en même temps, moi, il faut que j'essaye de voir ce qu'il y a de neuf dans ce texte. C'est une histoire très institutionnelle quand même, mais il faut voir qu'à travers la refonte de l'organigramme, il faut voir quelle est la volonté du pape. Donc pour ça, j'essaye d'appeler des gens. Il se trouve que je connais au moins une personne qui a relu le texte, d'un point de vue juridique. La personne peut m'aiguiller sur les points qui sont importants, mais de toute façon, très vite, il faut évidemment écrire un article sur l'essentiel de cette constitution. Et en même temps, il faut produire, pour les jours qui viennent, une analyse sur la grande révolution du pape François. Il faut comparer ce texte à un texte de 1988, celui promulgué par Jean-Paul II à l'époque, et puis même à celui promulgué en 1967 par Paul VI. Voilà qui sont les deux grands moments de réforme de la curie. Ce qui est sûr, c'est que la publication de ce texte, elle suscite énormément de réactions. Et ça, c'est les choses que nous, journalistes, on perçoit dans les jours qui viennent. Les gens de la curie sont furieux des conditions de publication de ce texte. Et donc, c'est quelque chose qui suscite beaucoup de commentaires. C'est aussi un texte qui va aviver des tensions, parce que cet horizon qu'on avait depuis des années, qui était l'horizon de la réforme, on disait, bon, c'est un pape qui va réformer, et bien cet horizon, tout à coup, il disparaît. C'est-à-dire que la réforme, elle est faite, et le pape n'est plus un pape qui va réformer, c'est un pape qui a réformé. Et donc c'est pour ça que cette publication, à ce moment-là, pour moi, elle marque clairement le début de la fin du pontificat. Parce que le pape n'est plus un pape qui a des projets de réforme. C'est un pape qui a posé cette réforme sur la table, qui peut être vue comme une grande avancée, qui peut aussi être vue par certains comme... Une réforme limitée, certains disent qu'il aurait fallu qu'il aille plus loin, par exemple qu'il oblige les vieux cardinaux à quitter Rome, à repartir dans leur pays, ou il aurait fallu que les responsabilités tournent de manière plus forte. Voilà, certains sont déçus, d'autres sont furieux, mais en tout cas, c'est clairement le début de la fin du pontificat et c'est le début de l'apparition des clivages qu'on va avoir jusqu'à la fin du pontificat et qu'on va avoir aussi des mois plus tard réapparaître lorsque Benoît XVI va mourir. le 31 décembre 2022, avec des clivages autour de cette idée de réforme. Certains disant qu'au fond, Ratzinger, c'était celui qui avait tout compris à la curie, et donc il n'avait pas eu besoin de la réformer. Les autres disant que Bergoglio, au contraire, c'est celui qui avait voulu réformer parce qu'il s'était retrouvé en face d'une machine ingouvernable. Donc, on a, avec cette réforme de la curie, un vrai tournant de ce pontificat. et même si François a encore de grandes réformes devant lui, comme à ce moment-là le chantier de la synodalité, c'est-à-dire la manière dont l'Église catholique doit annoncer son message au monde, dont elle doit se penser elle-même. Eh bien, c'est sûr que le tournant a été pris. Et c'est sûr qu'à ce moment-là, ce jour-là, le 19 mars 2022, à midi, la marche vers le conclave a commencé. Et donc, vers l'élection de celui qui succédera au pape François.

  • La Croix

    Vous venez d'écouter un épisode de Place des Religions, un podcast réalisé par La Croix. S'il vous a intéressé, n'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre chaîne. Place des Religions est à écouter sur toutes les plateformes, sur le site et l'appli La Croix.

Description

Place des religions – François, un pape inattendu (épisode 4/4)


Le pape François s’est éteint le 21 avril 2025 à l’âge de 88 ans. Dans cette série spéciale de notre podcast Place des religions, les correspondants de La Croix au Vatican reviennent sur les grands tournants d’un pontificat qui aura profondément marqué l’histoire de l’Église catholique. Dans ce quatrième et dernier épisode, le journaliste Loup Besmond de Senneville nous emmène dans les coulisses d’un moment clé : la réforme de la Curie romaine.


Le 19 mars 2022, à midi tapantes, sans prévenir, le Vatican publiait Praedicate Evangelium, une nouvelle constitution apostolique de 54 pages, attendue depuis sept ans. Avec ce texte, le pape François bouleverse l’organigramme de l’appareil central du Saint-Siège, redéfinissant en profondeur la place des dicastères, des laïcs, et des cardinaux au sein de la machine vaticane. Une réforme structurelle et spirituelle qui témoigne à la fois de la vision du pontife et de sa méthode : celle d’un pape méfiant à l’égard d’un système qu’il estime figé, trop puissant et difficilement réformable.


Issu d’un autre continent, extérieur aux rouages de Rome, François avait reçu dès son élection la mission de réformer la Curie. Un défi de taille, tant cette institution est ancrée dans les traditions du catholicisme. Il s’y est attelé avec une volonté forte, court-circuitant souvent les circuits classiques, s’entourant de proches conseillers en qui il plaçait sa confiance, et imprimant sa marque personnelle à une Église en transition.


Dans cet épisode, Loup Besmond de Senneville revient sur cette journée historique, sur les tensions qu’elle a suscitées au Vatican, et sur la portée de ce texte que certains ont vu comme le véritable aboutissement du pontificat. Pour beaucoup, ce moment a marqué le passage d’un pape porteur de projets à un pontife qui entre dans la dernière phase de son ministère.


Ce récit nous éclaire aussi sur les équilibres complexes entre réforme et tradition, sur la manière dont la religion s’organise pour répondre aux exigences de son temps, et sur la foi tenace d’un homme, le pape François, décidé à mettre l’Église en mouvement jusqu’au bout.


► Vous avez une question ou une remarque sur notre podcast dédié au pape François ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Loup Besmond de Senneville. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward, Flavien Edenne. Textes : Clémence Maret et Célestine Albert-Steward. Captation et montage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Musique et mixage : Emmanuel Viau. Voix : Laurence Szabason. Illustration : Isaline Moulin. Directrice du marketing audience et développement de la marque : Laurence Szabason.


Place des religions est un podcast original de LA CROIX - Avril 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Loup Besmond de Senneville

    La méthode avec laquelle ce texte a été publié, elle est typique de François. François, il se méfie de la curie. Et donc, il a pris ce jour-là tout le monde par surprise.

  • La Croix

    Alors que l'Église s'apprête à rendre hommage au pape François, nous vous proposons de découvrir le récit de quatre envoyés spéciaux de la Croix qui ont tour à tour couvert son pontificat. Dans ce podcast, ils dressent le portrait d'un pape. proche des fidèles, parfois contestés, mais déterminés, malgré les obstacles, à réformer les codes et les usages au Vatican.

  • Loup Besmond de Senneville

    Je m'appelle Loup Besmond de Senneville et je suis le correspondant du journal La Croix au Vatican depuis août 2020. Et dans ce podcast, je vais vous raconter l'histoire du jour où la curie romaine a été réformée. C'est un peu une vieille lune de tous les papes, c'est-à-dire c'est la réforme dont tous les papes rêvent. On dit beaucoup en France que la France est irréformable, qu'à chaque fois on met les gens dans la rue. Il y a un peu ce rapport-là à la curie. La curie romaine, qui est cette machine de gouvernement qui aide les papes à gouverner, elle a aussi cette image de machine puissante et irréformable. Alors au Vatican, il n'y a pas de manif, mais il y a des mouvements d'humeur qui sont propres à un petit état... petite machine de gouvernement. Ici, pour protester contre la réforme, on en sable, on cache des dossiers, on ne les fait pas avancer, on les oublie, on les laisse sur le milieu de la pile. Et puis surtout, on se souvient toujours au Vatican que les papes passent, mais que le Vatican reste. Et ça, c'est un état d'esprit qui est très résistant à la réforme. Et en fait, c'est aussi pour ça que le Vatican, ça marche. Parce qu'il y a cette machine qui est stable et qui n'est pas facile à réformer. Donc c'est à la fois sa force et à la fois sa faiblesse. Et donc moi, en tant que correspondant au Vatican, lorsque j'arrive en août 2020, on est au bout de 7 ans du pontificat de François, et ça fait maintenant plusieurs années qu'on attend la réforme de la curie. François, c'est un pape qui entretient avec la curie un rapport compliqué. C'est un pape qui vient de loin, c'est un pape argentin, c'est un pape qui n'a jamais aimé Rome, et qui l'a toujours dit. C'est-à-dire que quand il venait comme archevêque de Buenos Aires à Rome, il a toujours dit « je viens au Vatican le moins possible, je repars le plus vite possible en Argentine » . Et donc, il a ce rapport au Vatican et ce rapport à la curie qui est déjà un peu compliqué quand il est élu pape en 2013. Et donc, il arrive triplement étranger parce qu'il est argentin, il n'est pas italien et il est en dehors de la curie. il arrive à la tête de cette machine, avec un mandat qui est de réformer la curie. Il arrive avec ce mandat parce que c'est simplement la mission que lui ont donnée les cardinaux qui l'ont élu. Lorsqu'il est élu en 2013, c'est après un conclave, et le conclave a été précédé de ce qu'on appelle les congrégations générales, qui ont duré plusieurs jours, on appelle ça un peu le pré-conclave. Et au cours de ce pré-conclave, les cardinaux ont tous mis en avant un problème, qui est cette curie romaine. irréformable et cette curie aux yeux des cardinaux en 2013 elle est un peu hors de contrôle c'est une grosse machine trop lente on n'arrive pas à faire avancer les dossiers c'est une machine qu'on ne comprend pas très bien c'est vraiment la machine qui s'enraye et surtout surtout en 2013 on est quelques semaines après la démission historique de benoît XVI et la démission historique de benoît XVI elle trouve son origine dans son rapport difficile avec la curie. Benoît XVI, c'est celui à qui la curie romaine a échappé. Beaucoup disent au Vatican, Benoît XVI s'est un peu fait manger par la curie. En fait, la fin du pontificat de Benoît XVI est marquée par ce qu'on appelle les vatilix, vous savez, c'est ces fuites de documents massives qui ont lieu pendant plusieurs mois. Personne ne comprend d'où viennent ces documents. Et à la fin, on découvre que c'est le majordome. de Benoît XVI qui cache des documents confidentiels et qui va les donner à la presse. C'est un séisme absolument majeur et c'est la preuve à l'époque que Benoît XVI a perdu le contrôle sur la machine. Et moi, j'ai des sources quand j'arrive au Vatican qui me racontent qu'à la fin du pontificat de Benoît XVI, quand les gens allaient le voir, Benoît XVI disait « mais je vous ai écrit cette lettre » et les gens ne l'avaient jamais reçue. Donc voilà, il y a des tas d'indices comme ça qui disent qu'au fond, Benoît XVI s'est fait manger par la machine. Et ça, Bergoglio le sait, les cardinaux le savent, et donc c'est pour ça qu Il a ce mandat de réformer la curie. Et il se méfie tellement de la curie que dès son arrivée à Rome, dès son arrivée au Vatican, il va entreprendre de doubler la curie. Il met en place ses propres équipes de théologiens, d'assistants, de secrétaires qui vont en permanence court-circuiter la curie. C'est-à-dire que quand il écrit un texte, par exemple, il sollicite ses propres experts et aussi la curie. Et puis après, il mélange tout ça, il en fait un texte. Lorsqu'il veut voir quelqu'un... Il a des canaux personnels, il a des amis, il a des gens qui lui écrivent directement. Il ne passe pas forcément par la curie. Il a par exemple toute une correspondance qui passe directement par ses secrétaires privés et qui ne passe jamais par la curie romaine. Donc il y a comme ça tout un pan de l'activité du pape qui échappe complètement à la curie. Et ça, ça nourrit une très grande rancœur d'une partie de la curie romaine à l'encontre du pape François. Donc c'est une double méfiance. Le pape se méfie de la curie, mais la curie se méfie aussi du pape. Alors que cette machine, à l'origine, elle est faite pour assister le pape, c'est-à-dire le pape devant et la curie derrière, à son service. Vous savez, la curie, il faut s'imaginer un peu ce que c'est. La curie, c'est 4000 personnes, de toutes les nationalités, mais quand même majoritairement des Italiens. C'est à la fois une machine très puissante, mais en même temps, c'est une machine très artisanale. Il y a des services, par exemple la congrégation pour les évêques, qui est en charge de nommer les évêques. de la moitié du monde, donc plusieurs centaines d'évêques dans le monde, c'est 40 personnes. De même, le dicaster pour ce qu'on appelle l'évangélisation, c'est-à-dire la gestion de toute la moitié sud du monde, c'est 60 personnes. Donc voilà, ce sont des petites équipes. Donc la curie romaine, c'est un mélange de cette espèce de truc artisanal qui peut s'enrayer pour un rien parce qu'il y a une personne qui est malade, parce qu'il y a un dossier qui s'est perdu, parce qu'il y a un mail qui n'est jamais arrivé, et en même temps cette espèce de puissance symbolique très forte. Le pape François, il veut réformer la curie en publiant ce qu'on appelle une constitution. C'est une sorte de règlement interne, comme la constitution française, si vous voulez. Cette constitution, moi, quand j'arrive en août 2020, elle est attendue depuis sept ans. Et elle est annoncée régulièrement comme étant presque terminée. Donc tout le monde essaye de suivre ça. Là, on dit, ça y est, le texte est terminé, il est à la traduction. Donc j'ai différentes sources qui me disent ça. Des canonistes, des spécialistes du droit de l'Église. des gens qui traduisent les textes. Et tout le monde croit savoir que cette constitution, elle est imminente et toutes les semaines, on l'annonce pour la semaine prochaine. Le temps passe jusqu'à ce samedi 19 mars 2022. Il est midi et deux minutes. Je reçois un message WhatsApp d'un collègue qui travaille pour un autre média français avec un mot que je ne vous répéterai pas ici, mais qui immédiatement me fait dire que quelque chose vient d'arriver. Et donc j'ouvre mes mails et je vois cette constitution apostolique prédicatée, Evangelium, prêcher l'évangile, qui est tombée dans les boîtes mail de tous les journalistes dont je suis à midi. Midi c'est un peu l'heure de tous les dangers au Vatican, parce que c'est l'heure du Boletino, ce journal officiel qui nous est envoyé. Et donc c'est ce jour-là que cette constitution, si attendue depuis des années, est publiée. Et puis je me mets au travail pour décortiquer. Ce texte qui est un texte à la fois très attendu, parce que ça fait plusieurs années qu'on l'attend, et en même temps inattendu à ce moment-là, c'est 54 pages, 250 articles, uniquement en italien. C'est une refonte totale de l'organigramme de la curie, une refonte aussi du rôle de la curie, c'est-à-dire que cette machine, elle est maintenant mise au service de tous les évêques du monde, et plus seulement au service du pape. C'est une nouvelle place pour les laïcs, c'est des mandats qui sont maintenant limités à 5 ans. notamment pour les religieux qui sont à l'intérieur de la curie. C'est la grande réforme du pontificat qui vient de tomber, réforme de structure, réforme de fond. Et donc, il faut le dépouiller, ce texte, le plus vite possible. C'est intéressant parce que la méthode avec laquelle ce texte a été publié, elle est typique de François. François, il se méfie de la curie. Et donc, il a pris ce jour-là... tout le monde par surprise. Parce que il y a une chose qu'il veut éviter à tout prix, c'est que la secrétarie d'État, qui est ici le mélange entre le ministère de l'Intérieur et le secrétaire général du gouvernement, eh bien, que la secrétarie d'État bloque le texte. Et c'est pour ça qu'il ne publie cette constitution qu'en italien, et c'est pour ça qu'il le fait complètement à l'improviste. Il y a une conférence de presse qui a été planifiée, mais seulement deux jours plus tard. Mais... Même le secrétaire d'État, le numéro 2 du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, est en déplacement à Dubaï. Il est parti inaugurer le pavillon du Saint-Siège de l'exposition universelle. Et lui, il est mis au courant uniquement une heure avant. Les responsables de la communication papale, c'est pareil, ils l'apprennent 20 minutes avant midi. L'un fait ses courses au supermarché, l'autre s'apprête à emmener sa femme déjeuner pour son anniversaire dans son restaurant préféré. Les choses se bousculent complètement, ils ont juste le temps de rentrer chez eux, de se mettre au travail et ils ne connaissent même pas le texte. C'est-à-dire qu'ils n'ont même pas le temps de lire le texte lui-même. Donc voilà, c'est vraiment ce pape qui prend tout le monde par surprise et cette constitution et la manière dont il le fait, à ce moment-là, c'est exactement le signe que le pape... se méfie de la curie. C'est intéressant aussi pour moi comme journaliste parce que c'est effectivement à la fois un texte qui est très attendu, dont on me parle depuis toujours, et en même temps, moi, il faut que j'essaye de voir ce qu'il y a de neuf dans ce texte. C'est une histoire très institutionnelle quand même, mais il faut voir qu'à travers la refonte de l'organigramme, il faut voir quelle est la volonté du pape. Donc pour ça, j'essaye d'appeler des gens. Il se trouve que je connais au moins une personne qui a relu le texte, d'un point de vue juridique. La personne peut m'aiguiller sur les points qui sont importants, mais de toute façon, très vite, il faut évidemment écrire un article sur l'essentiel de cette constitution. Et en même temps, il faut produire, pour les jours qui viennent, une analyse sur la grande révolution du pape François. Il faut comparer ce texte à un texte de 1988, celui promulgué par Jean-Paul II à l'époque, et puis même à celui promulgué en 1967 par Paul VI. Voilà qui sont les deux grands moments de réforme de la curie. Ce qui est sûr, c'est que la publication de ce texte, elle suscite énormément de réactions. Et ça, c'est les choses que nous, journalistes, on perçoit dans les jours qui viennent. Les gens de la curie sont furieux des conditions de publication de ce texte. Et donc, c'est quelque chose qui suscite beaucoup de commentaires. C'est aussi un texte qui va aviver des tensions, parce que cet horizon qu'on avait depuis des années, qui était l'horizon de la réforme, on disait, bon, c'est un pape qui va réformer, et bien cet horizon, tout à coup, il disparaît. C'est-à-dire que la réforme, elle est faite, et le pape n'est plus un pape qui va réformer, c'est un pape qui a réformé. Et donc c'est pour ça que cette publication, à ce moment-là, pour moi, elle marque clairement le début de la fin du pontificat. Parce que le pape n'est plus un pape qui a des projets de réforme. C'est un pape qui a posé cette réforme sur la table, qui peut être vue comme une grande avancée, qui peut aussi être vue par certains comme... Une réforme limitée, certains disent qu'il aurait fallu qu'il aille plus loin, par exemple qu'il oblige les vieux cardinaux à quitter Rome, à repartir dans leur pays, ou il aurait fallu que les responsabilités tournent de manière plus forte. Voilà, certains sont déçus, d'autres sont furieux, mais en tout cas, c'est clairement le début de la fin du pontificat et c'est le début de l'apparition des clivages qu'on va avoir jusqu'à la fin du pontificat et qu'on va avoir aussi des mois plus tard réapparaître lorsque Benoît XVI va mourir. le 31 décembre 2022, avec des clivages autour de cette idée de réforme. Certains disant qu'au fond, Ratzinger, c'était celui qui avait tout compris à la curie, et donc il n'avait pas eu besoin de la réformer. Les autres disant que Bergoglio, au contraire, c'est celui qui avait voulu réformer parce qu'il s'était retrouvé en face d'une machine ingouvernable. Donc, on a, avec cette réforme de la curie, un vrai tournant de ce pontificat. et même si François a encore de grandes réformes devant lui, comme à ce moment-là le chantier de la synodalité, c'est-à-dire la manière dont l'Église catholique doit annoncer son message au monde, dont elle doit se penser elle-même. Eh bien, c'est sûr que le tournant a été pris. Et c'est sûr qu'à ce moment-là, ce jour-là, le 19 mars 2022, à midi, la marche vers le conclave a commencé. Et donc, vers l'élection de celui qui succédera au pape François.

  • La Croix

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