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VISION #87 — THOMAS BOIVIN | Le silence du regard cover
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VISION #87 — THOMAS BOIVIN | Le silence du regard

VISION #87 — THOMAS BOIVIN | Le silence du regard

53min |19/11/2025
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VISION #87 — THOMAS BOIVIN | Le silence du regard

53min |19/11/2025
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Description

Il y a des images qu’on croit comprendre immédiatement. Elles semblent simples, presque évidentes. Et puis, lorsqu’on s’y attarde vraiment, elles se mettent à changer. Elles glissent, elles se déplient. Elles révèlent une profondeur discrète, une ambiguïté douce, une complexité qui ne cherchait pas à se montrer.


Les photographies de Thomas Boivin ont précisément ce pouvoir-là. Elles ne s’imposent pas, elles s’installent. Elles se regardent lentement, à plusieurs reprises, en y découvrant chaque fois une nouvelle nuance.

Thomas est un portraitiste qui regarde sa ville en partant de celles et ceux qui l’habitent. De Belleville à Ménilmontant, jusqu’à la place de la République, ses livres composent un Paris intime, un Paris qui ne se donne pas frontalement mais qui se laisse approcher, frôler, apprivoiser.


Ce qui frappe dans son travail, c’est cette manière d’habiter ses sujets. Tout semble né d’une patience profonde, d’un rapport au temps long, de cette lumière précise que lui offre la chambre grand format qu’il utilise assez souvent. On sent une attention rare, presque silencieuse, qui traverse ses images.


Et puis il y a Thomas lui-même : une voix douce, posée, un regard exigeant mais sans dureté. Il s’exprime comme il photographie, avec prudence, avec mesure, comme si chaque mot devait respecter la personne ou le lieu dont il parle. Passer un moment avec lui a quelque chose d’apaisant, presque méditatif. J’espère que cet épisode vous plaira également. Bonne écoute.


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🎙 Crédits


Un podcast réalisé et écrit par Aliocha Boi, produit par Noyau.studio, monté et mixé par Virgile Loiseau et mis en musique par Charlie Janiaut.


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Transcription

  • Speaker #0

    production noyau studio. Il y a des images qu'on croit comprendre immédiatement. Elles semblent simples, presque évidentes. Et puis lorsqu'on s'y attarde vraiment, elles se mettent à changer. Elles glissent, elles se déplient. Elles révèlent une profondeur discrète, une ambiguïté douce, une complexité qui ne cherche pas forcément à se montrer. Les photographies de Thomas Boivin ont précisément ce pouvoir-là. Elles ne s'imposent pas, elles s'installent. mais elle se regarde lentement, à plusieurs reprises. Et on y découvre à chaque fois une nouvelle nuance. Thomas est un portraitiste qui regarde sa ville en partant de celles et ceux qui l'habitent. De Belleville à Ménilmontant jusqu'à Place de la République, son dernier projet. Ses livres composent un Paris intime, un Paris qui ne se donne pas frontalement, mais qui se laisse s'approcher, frôler, apprivoiser. Ce qui frappe dans son travail, c'est cette manière d'habiter ses sujets. Tout semble né d'une patience profonde, d'un... temps long, de cette lumière précise que lui offre la chambre grand format qu'il utilise assez souvent. On sent vraiment cette attention rare, presque silencieuse qui traverse ces images. Et puis il y a Thomas lui-même, une voix douce posée, un regard exigeant mais sans dureté. Il parle comme il photographie, avec prudence, mesure, comme si chaque mot devait respecter la personne ou le lieu dont il parle. Passez un moment avec lui à quelque chose d'apaisant, presque méditatif. J'espère que cet épisode vous plaira également et je vous souhaite une très bonne écoute.

  • Speaker #1

    Salut c'est Aliocha, vous écoutez Vision, le podcast qui donne vie aux images.

  • Speaker #0

    Chaque année, MPB fait recirculer plus de 570 000 articles d'occasion, ce qui tout simplement prolonge la vie, le potentiel créatif des équipements photo et vidéo pour les photographes et vidéographes du monde entier. Et surtout, c'est tout à fait fiable et très simple d'utilisation. Chaque appareil photo ou vidéo est soigneusement inspecté par l'équipe produite de MPB avant de vous être envoyé. Voilà, il y a un lien pour tester MPB directement sous le podcast, peu importe la plateforme que vous utilisez ou sur notre site vision.photo. Bonne écoute.

  • Speaker #1

    Il y a une image qui m'a, je pense qui a été déterminante dans ma manière de travailler pendant très longtemps et j'en parle volontiers, c'est une influence qu'on peut percevoir d'ailleurs dans mon travail. Je pense que ça doit être en 2011, je suis rentré à... Je m'intéressais à la photographie, je commençais à vouloir être photographe, mais de manière assez flottante, peut-être 2010, 2010, de manière assez indéterminée. Et puis, j'avais pas un rond, je suis rentré à Offprint, en me disant, tu viens avec rien sur toi parce que tu peux rien acheter. Première table à droite, il y avait un libraire qui avait la dernière copie. de Greater Atlanta de Mark Steinmetz. Et j'ai ouvert le livre, j'ai tourné deux pages, et j'ai dit, mais il s'était signé, c'était déjà épuisé, il m'a dit, c'était déjà un peu cher. Et je lui ai dit, écoutez, gardez-le-moi, je cours au distributeur. Et l'image qui m'avait vraiment particulièrement marqué dans ce livre, c'est une image toute banale, qui n'est jamais spécialement mise en avant. C'est une jeune femme sur un banc, penchée en avant, qui se tourne vers le photographe avec un... Un espèce de sourire timide comme ça, je trouvais très très beau. Et ce qui m'a frappé, c'est pas l'image dans sa construction, dans son équilibre, c'est la relation entre le photographe et la personne photographiée. Ça m'a transpercé, je me suis dit « waouh, c'est possible de faire ça » . Et on sent dans ce livre, alors je sais pas quelle est l'histoire derrière cette image particulière, j'en ai aucune idée à vrai dire, mais peut-être qu'il s'agit là de quelqu'un que le photographe connaissait. Mais en général, on sent dans ces livres que ce sont des inconnus. Je me suis dit, en fait, c'est possible de rencontrer quelqu'un pour une photographie et d'avoir quelque chose d'aussi doux et chaleureux. Et ça m'a vraiment beaucoup touché. Et j'ai décidé que je ferais ça. J'étais déjà engagé dans un parcours de photographe, mais c'est ce qui a déterminé, ce qui a été mon but pendant des années, c'est d'arriver. dans un espace public avec des gens que je ne connaissais pas, à avoir l'espace d'un instant, cette qualité de relation dans l'image. Je suis Thomas Boivin, photographe. J'ai peu de choses à dire sur mon enfance. Je n'ai pas souvenir d'avoir une relation spécifique aux images, et surtout pas à la photographie. C'est vraiment... Avant de décider d'être photographe moi-même, je crois que je n'avais aucun intérêt pour la photographie. J'ai fait une école d'art, ou deux même, mais plutôt tourné vers le dessin, et j'ai séché tous mes cours de photographie. Donc voilà, ça c'est... Notamment parce que... Quand je suis rentré au Beaux-Arts, on fumait encore dans les classes et l'atelier photo, c'était vraiment terrible. Avant mes études, j'ai grandi une bonne partie de mon enfance en Afrique, avant de rentrer en France. Et puis, comme je disais, j'ai fait des études plutôt tournées vers le dessin. Je voulais faire de la bande dessinée expérimentale. Et j'ai découvert la photographie par hasard à la fin de mes études. En fait, en réalité, c'est tellement éloigné de ma pratique, mais en faisant des canulars. en photographiant des choses qui n'existaient pas, pour faire des blagues avec un ami, qui est lui-même maintenant dessinateur de presse. Et au départ, quand j'ai commencé à m'intéresser à la photographie, je m'en servais comme une récréation. C'est-à-dire que j'étais à ma table de dessin toute la journée, il fallait que je sorte pour m'aérer. Et j'avais pris l'habitude de sortir deux fois par jour, d'avoir un rouleau tous les deux ou trois jours, de le développer. C'était ma balade quotidienne. Et petit à petit, je me suis senti... plus à l'aise dans cet exercice-là que je pensais être mon travail. Et c'est comme ça que j'ai changé vers 26, 27 ans. J'ai décidé de devenir photographe alors que ce n'était absolument pas mon ambition au départ. Ce qui m'intéressait, ce que je voulais arriver à faire, c'était un rapport au lieu dans lequel je me trouvais et un rapport aux gens beaucoup plus... que la description spécifique d'une situation ou d'un type ou d'une action. Pour des raisons en partie très intérieures, très personnelles, j'avais envie d'être photographe, c'était quelque chose d'important pour moi, et j'avais envie d'avoir ce rapport prolongé, profond à un espace et d'être capable de rentrer en relation. Et alors quand je dis rentrer en relation, c'est très bref. Je parle très peu avec les gens que je photographie, j'explique le moins possible, mais c'est d'être capable de susciter cette confiance et d'avoir des images qui soient des espèces de portraits psychologiques. Une des choses qui m'intéressait, c'était que je me disais, quand on traverse une rue, surtout une rue de Paris, où il y a tellement de gens, on croise énormément de regards, qu'on peut... pas regarder plus d'une seconde et demie parce que ça devient impoli et je pense que j'avais envie de m'arrêter sur chacune de ces personnes et c'est une chose que la photographie fait très bien, c'est exactement ce qu'elle fait, de figer cet instant et de permettre avec cette image arrêtée de se pencher sur l'apparence, sur la pure présence d'une personne à un moment donné et de prolonger cette rencontre. J'ai toujours trouvé ça très puissant. Je l'ai trouvé très puissant dans le travail de certains autres photographes. Je voulais arriver à faire ça. Et c'est vraiment ce qui m'a occupé pendant longtemps. C'était d'être capable de le faire, sachant que pendant un an et demi, je rentrais chez moi tous les soirs en me disant, t'as pas osé demander à telle personne, je comptais les gens à qui je n'avais pas osé demander de faire leur photographie. Aujourd'hui, mon travail, comme j'ai un peu passé cette étape, mon travail a évolué, mais au départ, toutes les questions étaient autour de la rencontre. Du lieu et de la rencontre comme une expérience sensible et pas une expérience intellectuelle. D'ailleurs, il ne s'agit pas de prétendre d'écrire une personne hors de l'image. Tout se passe dans l'image. Je pense que c'est le cœur de mon travail pendant assez longtemps. Le livre Belleville, pour moi, ce sont les images d'un apprentissage. Ce n'est pas un travail qui est structuré, ce n'est pas un travail qui a été pensé comme un travail. C'est vraiment un récit visuel des images de mon produit en essayant d'apprendre à faire ces images-là qui m'avaient tant touché chez d'autres. Notamment dans la photographie britannique ou nord-américaine, qui arrivent à produire des images qui soient à la fois très rigoureuses. très réussie sur le plan formel, très bien cadrée, très bien produite, et en même temps très sociale, tout en gardant des images qui fascinent d'abord, par leur qualité pure, et qui suscitent le commentaire sans le mettre en avant. comme justification, comme description première. Et ça, c'était ce qui me plaisait le plus. Belleville a été publiée en premier. En fait, Belleville s'appelle Belleville parce que je me suis installé à Ménilmontant en 2009, à peu près au moment où j'ai décidé de... Je suis passé de dessinateur à photographe, enfin, en fait, pile à ce moment-là. C'est vraiment tous ces jouets autour d'un changement d'adresse. Et j'ai assez rapidement décidé que je sortirais tous les jours, que je sortirais tous les jours le plus longtemps possible, et j'ai fait à peu près la même marche jusqu'à mon déménagement qui est fin 2017. Donc pendant quasiment 9 ans, j'ai tourné autour de Belleville presque tous les jours. Donc je partais de Ménilmontant, je traversais le parc de Belleville, qui n'est pas le parc des Butchomont, je redescendais vers la station de métro Belleville, je prenais un café ou je... Et puis, je remontais par le parc des Butchomont, je descendais jusqu'au bord du canal, et je faisais tout un tour par le 10e et le 11e jusqu'au bas de la rue Oberkamp avant de remonter. Et donc le centre, c'était Belleville, et c'était l'endroit où je prenais le plus de café, on va dire. Et donc j'ai appelé Belleville, Belleville pour ça, mais si vous regardez Ménilmontant, je l'ai appelé Ménilmontant comme un pendant, un peu plus personnel, avec un peu plus d'amis à l'intérieur. Enfin, avec des amis, alors que ce n'est pas le cas pour Belleville, pas vraiment. Mais il y a autant de Belleville, d'un point de vue strictement topographique, il y a autant de Belleville dans Médilemontant que Médilemontant dans Belleville et inversement. Donc c'est des panoramas intérieurs, c'est pas la description spéciale d'un endroit, pour cette raison que Belleville n'est pas un travail sur Belleville. C'est un travail autour de Belleville et qui décrit, je pense, assez bien une certaine ambiance. En tous les cas, je suis toujours très heureux quand des gens reconnaissent le quartier à travers mes livres, mais... Je prétends ni à la description, ni à la scrupuleuse, ni à l'objectivité. D'ailleurs, c'est un Belleville de jour. Toutes ces années-là, je ne sortais pas la nuit. Je suis toujours choqué quand je vais à Belleville la nuit, parce que j'avais l'impression que c'est très étrange d'avoir une relation de proximité aussi forte avec un lieu. Et à deux heures près, c'est plus le même. Et il a tellement changé que c'est une surprise. Comme j'avais à peu près raté ma carrière de dessinateur, je m'étais dit, bon, t'as une deuxième chance avec la photographie, mais t'en auras pas de troisième, il va falloir que tu sois un peu plus sérieux. Donc au départ, c'était une discipline. Je me suis dit, tu sors, tu essayes. Donc il y a eu une année et demie, deux années, trois années de discipline et de tentative. Là où les choses se passent bien, sont bien passées, c'est que je pense que c'était effectivement aussi mon caractère, assez contemplatif, assez lent dans ce rapport. Et j'ai trouvé... Quelque chose de très agréable dans cette routine qui s'est mise à structurer ma vie. Et donc ce qui était au départ vraiment pensé par rapport à un but, notamment celui d'arriver à photographier des gens, et d'où ce trajet qui passait beaucoup par les parcs, parce que c'est un endroit où c'est plus facile de photographier un inconnu, des espaces qui sont déjà par nature contemplatifs, un peu plus vides. Si on regarde une histoire... La photographie spontanée de gens en extérieur, le nombre de photographes qui ont commencé par des parcs ou par les enfants, est très important. Et en fait, ce n'est pas parce qu'ils étaient spécialement fascinés par les parcs ou par les enfants, c'est parce que les enfants vont très facilement vers l'objectif. Enfin, aller, aujourd'hui c'est différent, mais on les trouvait en abondance dans l'espace urbain et ils allaient vers l'objectif. Et puis, le parc, c'est déjà un endroit où... au cœur de la ville, mais où la vie est plus lente, où on a le temps de voir arriver l'autre, où l'autre est dans de meilleures dispositions. Donc j'étais structuré beaucoup autour de ces lieux de manière intuitive. C'est seulement après que je me suis dit, ah oui, Passing Through Eden, c'est un parc, et Yorana Park, c'est un parc, et puis on peut dérouler comme ça le nombre d'exemples. Et ensuite, oui, c'était une tentative d'épuisement. Je ne sais pas si on peut dire ça dans le sens où ce que j'essayais... D'épuiser, ce n'est pas le lieu, c'est ma fascination pour le lieu. Ce n'est pas le lieu en lui-même. Et Paris est déjà... Le trajet que j'ai décrit, je pense qu'il doit y avoir 200 000 personnes qui habitent à cet endroit-là, sans compter tous ceux qui passent et qui déménagent. La course du soleil n'est jamais la même. Vous avez des rues d'hiver, des rues d'été, des rues de printemps, suivant l'axe du soleil. Si on y rajoute que la météo change... C'est assez rare de passer deux fois dans la même rue d'une certaine manière. Et il y a tout un tas d'images que je fais qui tiennent par la lumière, et c'est une fois. Peut-être je suis passé trois fois, enfin vous voulez, je suis passé cinq fois par semaine pendant cinq ans dans cette rue. Et le moment où ce détail prend la lumière de cette manière, c'est une fois. Donc ce qui détermine le fait que je m'en vais, ça va être des événements de ma vie. En fait j'ai arrêté de photographier Belleville et Ménilmontant quand j'ai déménagé. J'ai un petit peu continué, mais voilà, ça a disparu. Et puis, par exemple, l'épuisement de ma fascination, mon désir de photographier d'une certaine manière. Mais le lieu, lui, je le trouve toujours... Je le trouve jamais... J'ai jamais l'impression d'en avoir fait le tour. Alors, il y a deux choses. J'ai du mal à isoler une image en particulier, et je pourrais parler de toutes. L'autre, c'est... que le portrait est très important pour moi, et en même temps, l'image de quelqu'un, c'est quelque chose qui me semble valoir le coup quand c'est silencieux. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de texte pour l'instant dans mes livres, j'en mettrai dans le prochain, parce que c'est toujours une immense, j'ai une très grande hésitation à rajouter des mots sur la présence de quelqu'un. C'est-à-dire que je peux décrire l'image, sa construction, etc., mais... L'espèce d'accord moral que j'ai avec quelqu'un, c'est que je vais essayer de... Je vais photographier une présence à un certain moment, sous une certaine lumière, mais je ne vais pas caractériser moi cette présence avec des mots en disant « ben voilà, ça c'est quelqu'un comme ça » ou « c'est quelqu'un qui fait ça » . Je trouve que la photographie a vraiment ce qu'elle a d'extraordinaire, c'est de pouvoir montrer sans dire. Et donc, je résiste toujours à l'idée... de décrire un portrait que j'ai fait, en tous les cas, de décrire la personne qui est dans ce portrait, et de lui donner aussi une identité particulière. Donc la question, quand on me demande de parler d'images, je peux plus facilement parler d'images que je n'ai pas faites, ou d'images que je n'ai pas mises dans le livre, mais qui ont eu un enseignement pour moi. Là, je peux donner deux, trois anecdotes qui ne sont pas à nouveau rentrées dans l'image, mais par exemple, je marchais vers la rue de Crimée, Et je vois une jeune femme, avec un voile négligemment posé sur la tête, accoudée à la rambarde d'une fenêtre de rez-de-chaussée d'un hôtel miteux, et une jeune femme noire. Et je me dis, c'est tellement cette partie du 19ème. Et je lève mon appareil photo vers elle, en la regardant, ce qui est une demande muette, est-ce que je peux faire cette photographie ? J'ai une réponse humaine également, qui me dit oui, je fais la photo, vraiment en me disant mais qu'est-ce que c'est typique. Et puis ensuite je suis allé parler avec elle et c'était une prof de yoga du Colorado. Et donc ça c'est vraiment une chose importante pour moi. Tout ce qui, voilà, c'est l'image et elle peut servir de point de départ en écho à des situations. Mais moi je vais avoir beaucoup de mal à vous parler de quelqu'un qui est dans cette image. Une autre anecdote, j'expliquais ça à quelqu'un, place de la République, où j'ai photographié pendant des années à la chambre. Je lui dis, voilà, moi je voudrais faire un... On me demande, qu'est-ce que vous faites ? J'avais demandé à quelqu'un si je pouvais prendre sa photo, et il me demande ce que je vais en faire, et je lui explique que ce serait peut-être un jour un livre d'images, avec une collection de portraits, mais qu'il n'y aurait pas de texte, et que je ne mettrais pas son nom, je ne dirais pas qui il est. Et j'explique ça, je ne sais plus très bien comment, et il me dit, mais en lui disant qu'il y a quelque chose dans l'image qui est à la fois fixée et en même temps insaisissable, mais que je ne veux pas prendre partie dans ce... Il me dit, ah c'est vrai, je comprends, c'était un livreur des livres roux. Il me dit, ben je suis en train de fumer une cigarette. Si vous prenez une photo de moi, on verra moi en train de fumer une cigarette. Mais peut-être que c'est ma première cigarette, peut-être que c'est juste une cigarette. et peut-être que c'est ma dernière cigarette. Et ça n'a pas du tout la même... Voilà, c'est pas du tout la même chose. J'étais tellement content d'entendre ça. Il a compris immédiatement, oui. Et ce fil-là, pour moi, il est d'une grande importance. Au début, j'ai accumulé... dans une absence de soins total. C'est-à-dire que ce qui m'intéressait, c'était de mettre en place C'était un rythme, c'était un rapport au monde, donc tout était tentatif. Et j'ai gardé un peu ce côté-là, où j'essaye de garder les choses le plus légères possible. Donc à la fois je m'attache énormément aux résultats dans la phase de tirage, mais le reste avant, il faut que ce soit le plus léger. Donc ça m'est déjà arrivé plusieurs fois d'ouvrir des boîtes, de cramer tous mes négatifs, et j'essaye de faire en sorte qu'il n'y ait même pas d'émotion. D'ailleurs quand je demande à quelqu'un « est-ce que je peux prendre votre photo ? » , si je vois que la personne hésite, je lui dis « vous savez, vous... » Si vous hésitez, c'est nous. J'essaye de garder les choses très simples et j'ai commencé comme ça, en me libérant du poids du résultat. Donc on y accorde un peu d'importance, ce qui fait que j'avais énormément de négatifs pas classés, mal archivés. Et puis, quand j'ai commencé à être un peu plus content de ce que j'ai fait, oui, j'ai commencé à faire des planches contact, numériques, ce qui fait qu'aujourd'hui j'ai de grandes archives, qu'elles sont très accessibles. Et que je les re-regarde énormément. Pour Belleville, ça a été un grand... J'avais besoin d'un éditeur. Parce qu'on aurait pu faire un livre comme on aurait pu en faire 3 ou 4. Mais je ne savais pas quoi faire avec ça. En plus, j'avais tout un tas de formats différents. Donc il y a du carré, il y a des rectangles. Je me disais, est-ce que je fais un livre par format ? J'étais noyé. Et à mon éditeur, je leur ai envoyé je pense 500 photos. Parce que j'étais perdu dans cette masse. Et puis... Voilà, on l'a réduit à 50, mais moi-même, ça, c'était un truc que j'avais beaucoup de mal à faire pour ce travail-là. Alors que Ménilmontant, c'est l'inverse. Je suis allé chercher précisément, justement, dans mes archives, une petite trentaine d'images qui ressemblaient à une certaine atmosphère que je n'avais pas traitée dans l'autre livre, donc qui ne se répéterait pas, ou le moins possible. Et je lui ai donné, à mon éditeur, et il a fait le choix d'en enlever 8. Enfin, voilà, c'était... beaucoup plus serré, plus intime. Un peu plus sombre, plus près de l'ombre, alors que Belleville est du côté de la lumière. Plus près de l'intérieur, et plus près de l'intimité. Sans que ce soit une décision radicale, c'est-à-dire qu'il y a de l'extérieur, mais on est sur des matins moins lumineux, on est sur des ambiances comme ça, dans une ombre un peu douce, un peu chaude, en même temps, qui était très absente Belleville, et qui faisait partie de choses aussi, je pense, qui me plaisait beaucoup, mais que j'avais eu tendance à laisser de côté. Par exemple, les natures mortes. Tous les cas, les natures mortes d'intérieur, ça m'a toujours plu. Et en même temps, je me disais, attends, garde tes yeux sur la balle. Et la balle, c'est le portrait en extérieur. Toute mon énergie était là-dedans pendant très longtemps. Parce que je n'y arrivais pas. Pour moi, je n'étais pas encore là. Et c'est une des choses qui peut évoluer dans le rapport aux archives, justement. C'est le moment où on se dit, OK, ce but que je m'étais donné, quelque part, tchac ! Alors, ce n'est jamais un rapport d'accomplissement. Pour moi, tout est quand même de l'ordre de l'échec avec des degrés. Mais il y a quand même des moments où on se dit « Ok, ça, j'y arrive un peu mieux » . Et donc, ça libère de la place pour considérer d'autres images, pour la volonté se déplace, la sensibilité aussi. Et on peut réaccueillir des images qu'on a faites, qu'on a faites parce qu'on voulait les faire, mais qu'on n'a pas regardées parce qu'elles ne correspondaient pas aux préoccupations du moment. Et c'est vraiment le cas de Ménilmontant. Parce que je parlais beaucoup de la photographie américaine, c'est déjà... On se rapproche justement un peu de quelque chose d'un peu plus... Un peu plus européen, pour moi. En se déplaçant justement sur l'intime. Le premier appareil que j'avais acheté, c'était un digital. Et j'ai très vite voulu m'en débarrasser. Bon, c'était une époque où c'était pas non plus si satisfaisant que ça. Et je l'ai revendu pour un Leica à l'époque. Parce que... Pour moi, les photographies sont prises avec le corps. Et il y a un rapport avec le fait de photographier des gens qui sont aussi des corps. Et je crois que j'étais assez attentif ou sensible à l'idée d'avoir un objet qui ne soit pas plus intelligent que moi et pas plus rapide que moi. Et donc, tout ce qui participait de cette lenteur, mettre son film, déclencher les trois premières fois, apprendre à connaître la lumière sans cellules. et donc à la fois réduire le nombre de gestes et de possibilités, et en même temps, pour chacun de ces gestes, être capable de comprendre ce qui se passe et de faire ses propres erreurs. Et on en fait beaucoup. Ça, c'était très important. Ça me mettait dans un rythme et un rapport qui étaient justes par rapport à ma vitesse à moi, déjà. Essayer de développer une sensibilité à une présence physique et le transformer en quelque chose de profondément immatériel, c'est un peu contradictoire. Alors que le fait d'avoir un négatif, qui est l'empreinte de la lumière directe. On peut discuter sur les mots, parce qu'évidemment, il y a un rapport entre un fichier et un enregistrement. Mais là, il y a quelque chose de tangible qui participe de l'importance. de cet événement qu'on a voulu enregistrer. Donc, sans théoriser là-dessus, parce que ce n'était pas mon objet, j'ai senti que c'était ce dont j'avais envie et que c'est ce qui me permettrait d'avoir l'attention que je voulais avoir. Et puis ensuite, il y a la deuxième partie, qui est arrivée plus tard, mais qui est celle du tirage, qui, je trouve, est encore plus importante pour moi et du même ordre, c'est-à-dire... Elle me force à passer beaucoup de temps. Une chose importante, je crois, c'est de ne pas pouvoir faire n'importe quoi. C'est-à-dire qu'un négatif, effectivement, ça se travaille à l'agrandisseur, mais vous ne pouvez pas tirer des courbes. On ne peut pas se dire, ok, plus bleu le ciel, pof. Il y a une limite. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles on peut jouer, et en même temps, il y a une limite. Et cette limite, elle force la sensibilité à trouver la beauté dans ce qu'on peut faire. Et je trouve qu'elle... On peut très facilement se perdre quand on est tout puissant. Et à force de vouloir embellir une image, peut-être à première vue, elle a l'air très réussie, mais en fait, elle s'est tellement éloignée du réel. Et paradoxalement, l'argentique garde cette qualité d'être proche de la mémoire, d'être proche de résister à la main et d'obliger à faire des concessions qui la rendent plus fragile, qui rendent l'image toujours plus fragile, plus touchante, et puis qui sont aussi le fruit d'un artisanat. Enfin, tout ça fonctionne ensemble. Sans compter le fait qu'en tous les cas pour un tirage noir et blanc, on a quand même des profondeurs qu'on ne trouve pas avec une impression. Mais pour moi, la défense la plus sérieuse pour moi-même de ma manière de travailler, c'est que c'est celle qui me rend heureux. C'est-à-dire que si je suis dans mon labo pendant 8 heures à essayer de faire l'image la meilleure, j'ai un sentiment de satisfaction quand je pense avoir à peu près réussi que je n'ai pas. Si je suis devant un ordinateur et que j'aligne des courbes et que j'imprime pour voir si... Le résultat pourrait être strictement équivalent, voire meilleur. Je ne me sens pas partie prenante de la même manière. Et ça, c'est important. Je suis arrivé à la photographie à un moment béni, puisque c'est autour des années 2009-2010, où l'argentique était en pleine perte de vitesse, avec une surproduction phénoménale, et donc le commerce mondial bouleversé par l'arrivée des... Et en fait, il y a eu un moment où il y avait beaucoup trop de pellicules, et on pouvait acheter, pour moins de 2 dollars, avec un taux de change très favorable, un film aux Etats-Unis. J'ai commencé en commandant des centaines et des centaines de rouleaux qui ne me coûtaient vraiment pas cher. Et ça, je pense beaucoup aux gens qui commencent la photographie aujourd'hui. Pas du tout le même rapport. Enfin, un film à 8,90 euros, comment on peut brûler des centaines ou des milliers de films par an, comme j'ai pu faire à un moment, au prix que c'est impossible ? Il y a eu un moment, quand j'ai commencé, où c'était possible de gâcher comme ça dans des quantités phénoménales. Ça n'a pas duré très longtemps, mais c'était possible. Et le choix du noir et blanc, c'est un choix économique. Au départ, c'est un... un pur choix économique, c'est-à-dire que c'était pas cher et on pouvait tout faire soi-même. Un rouleau, à un moment, j'ai développé un peu ma couleur sur mes plaques de cuisson, mais c'est quand même un peu limite. Le noir et blanc, c'était facile de le faire soi-même et donc ça gardait les coûts au plus bas. C'est-à-dire qu'on avait de l'argentique, mais ça coûtait juste le prix de la pellicule et un peu de chimie et on avait un résultat. Si j'avais dû faire développer mes rouleaux par des laboratoires, j'aurais tout de suite dû photographier trois fois moins. de talent particulier pour ça. Mes photos, j'avais conscience qu'une bonne photo, c'est compliqué, qu'il fallait en faire vraiment beaucoup. Je crois que c'est aussi peut-être ce qui singularise un photographe en extérieur, du réel, qui photographie. Même en demandant aux gens, c'est quand même une pratique sur le vif. Il y a un gâchis phénoménal. Si on photographie en studio, si on photographie en paysage, etc., c'est une pratique différente. Mais se balader comme ça et essayer de... de photographier des scènes qui sont des moments très courts, il y a une perte gigantesque. Et donc j'avais besoin d'avoir beaucoup de rouleaux. Et la seule manière, c'était de prendre du noir et blanc. Ensuite, j'ai photographié un peu en couleur. Et je garde l'idée de le faire un jour, mais je suis tellement attaché au fait de tout faire moi-même que j'ai besoin de pouvoir m'acheter mon matériel de labo en couleur pour y arriver. Le noir et blanc a cette qualité. qu'en évacuant la couleur, il concentre sur les formes et la lumière, et...

  • Speaker #0

    La couleur a quelque chose, ça marque très fort et ça sépare. Et donc, quand on travaille en couleur, je trouve que l'élément le plus important, c'est la couleur. J'ai l'impression que la couleur domine tellement l'image quand on travaille en couleur, alors que le noir et blanc se fait oublier, paradoxalement. On parle encore de choses assez fines, mais je sais qu'en photographiant... 50 personnes en couleur, pour faire un travail de portrait, une part considérable du choix de chaque image sera la couleur. Alors qu'en noir et blanc, la lumière, c'est quand même quelque chose de plus plastique, de plus vague, de plus enveloppant. Ça ne deviendra pas la seule préoccupation, comme la couleur le serait. Donc pour garder cette espèce de... Et puis aussi, la couleur marquera l'époque très fortement. Le noir et blanc, il y a cette question, effectivement, du... du présent et du passé dans l'image. Je ne sais pas si le noir et blanc est intemporel, mais en tous les cas, de la même manière, il va moins durement marquer un moment précis. Ça, c'est une question subtile. Non, mais c'est une question qui a des implications assez profondes. Paris a beaucoup été photographié à un moment, le Paris des photographes. Et puis, à la suite de la période humaniste, on observe une certaine prise de distance. Les photographes ont dit que, comme les bâtiments n'ont pas changé, on est replongé dans un univers visuel ancien très facilement. C'est une des raisons pour lesquelles, dans Belleville, il n'y a pas d'imables haussmanniens. Il y a très peu de rues, parce qu'en fait, elles appellent un imaginaire qui est déjà... tellement installé qu'il est difficile de travailler avec ça. Et je sais qu'il y a des photographes qui, pour ne pas s'approcher de quelque chose qu'ils ne voulaient pas dans les années 80, 90, s'approchaient d'un pas de ce qui avait déjà été fait, qui ne voulaient aucun rapport avec cette tradition française. Ne venant pas d'une école, il y a des questions que je me suis tout simplement pas posées au départ. Et puis, et parfois c'est heureux, je pense qu'il ne faut pas toujours se poser toutes les questions. Il faut bien choisir les questions qu'on se pose. Et puis... Au contraire, ça, ça m'intéressait. C'est-à-dire que dans les commentaires que j'ai pu entendre sur le livre, le fait que ça puisse être tout à la fois très daté, parce que vous avez un iPhone 4 ou quelque chose comme ça, et en même temps qu'il y a une espèce de profondeur, à la fois dans les visages, ça, ça m'intéresse. Parce qu'une ville comme Paris, c'est à la fois quelque chose de très maintenant et quelque chose de très ancien. Et je ne voulais pas... produire quelque chose qui soit surdéterminé du côté du présent. Je voulais montrer qu'au contraire, il y a des coexistences d'attitudes, de gestes, de visages, qui sont jamais purement du côté du présent, jamais purement du côté du passé, que la rupture n'est pas si franche, ce qui rejoint une question presque politique, c'est-à-dire que le fait de montrer comment Paris peut être à la fois neuf et très ancien, c'est... Pour moi, c'est un équilibre plus satisfaisant que d'expliquer que tout a changé. Parce que la nostalgie, paradoxalement, est presque du côté de ceux qui vont décrire un pur présent comme en rupture avec le passé. Il y a quelque chose, je trouve parfois, d'un peu anxiogène à caractériser un présent, très souvent du côté de la problématique, par exemple écologique, etc. Des photos de Paris, très dures. tout en s'éloignant d'un Paris peut-être plus doux ou plus contemplatif, alors que tous ces éléments-là sont en permanence simultanément présents. Je pense que j'ai cherché cet équilibre. C'est-à-dire qu'on ne peut pas se tromper, c'est Paris d'aujourd'hui. Et en même temps, c'est véritablement Paris. Ce n'est pas une ville anonyme. Il y a des marqueurs, ce qui pourrait être caractérisé rapidement, presque d'un petit peu romantique. En fait, pour moi, c'est une manière de montrer si on cherche, si on regarde bien on n'est pas encore dans l'anonymat si vous voulez, de la ville comme on peut facilement se penser à le croire ça reste un endroit particulier et il y a des choses qui sont distinctes de cet endroit, ça c'est important pour moi et cette distinction elle est forcément ancrée dans l'histoire après, réussir à le montrer d'une manière qui soit réussie c'est autre chose ça j'ai pas de recul là-dessus mais ce que je peux dire c'est que c'est des questions importantes Oui. Le livre qui vient de sortir, Place de la République, effectivement c'est un petit peu différent dans la méthode. C'est un travail que j'ai commencé quand j'ai quitté Ménilmontant. Je suis parti habiter un peu plus loin, à Bagnolet, mais j'ai mon atelier à Charonne. République, c'est l'intersection entre Bagnolet et Charonne, entre la ligne 11 et la ligne 9. Donc c'est un endroit que je connaissais déjà, que j'avais déjà commencé un petit peu de photographier. Et c'est un endroit qui, graduellement, m'intimidait moins, parce qu'il y a aussi beaucoup ça. C'est-à-dire qu'au départ... En cherchant à photographier des gens, on cherche des endroits où on se sent à l'aise. Et la grande foule, c'est un peu difficile à appréhender. Et donc, ça arrive à un moment où je déménage, où je me dis que je me sens suffisamment à l'aise justement pour m'ancrer dans le paysage comme un élément beaucoup plus fixe, et d'arrêter des gens qui, eux, sont en mouvement plutôt que l'inverse. Et puis, c'est le moment où ma compagne tombe enceinte. Et donc, il y a un moment, il y a un choix concret qui se fait dans ma tête, où je me dis... Il faut que tu trouves une manière de photographier autant de gens dans la semaine, mais sur 3 heures au lieu de 5 jours. Je veux dire, Place de la République, c'est vraiment l'endroit. Et j'ai commencé à photographier comme j'avais photographié Belleville, même s'il y a une photo à la chambre ou deux dans Belleville, c'est-à-dire avec un moyen format, en me baladant. Et j'ai un an, un an et demi d'images, que j'aime assez par ailleurs, mais une difficulté quand on photographie au moyen format. avec un angle un peu large comme ça, c'est qu'il y a beaucoup de choses qui rentrent dans le champ. Et donc, dès qu'on rentre dans des espaces très animés, on peut avoir un premier plan qui marche très très bien, et puis un imbécile qui fait n'importe quoi, juste qu'on n'a pas vu du coin de l'œil, et l'image est ruinée. Et donc, ce qui s'est passé simultanément, c'est que j'ai compris graduellement quel était mon cadre, et en même temps, quel était mon sujet, que je détermine rarement à l'avance. Mais c'est en passant du temps dans un lieu qu'il se met à apparaître de plus en plus... clairement pour moi, en tous les cas, la caractéristique de ce lieu qui m'intéresse, qui me fascine, qui me touche. Et évidemment, ma prétend à devenir père, c'était la jeunesse. D'autant que, c'est pas comme s'il y avait eu moins de crises depuis, mais ces années-là, 2018, 2023, 2024, l'élection de Trump, première fois, n'est pas encore très loin, ce qui est quand même un choc. Je pense que c'est juste après le moment où les gens commencent à réaliser qu'on ne sera pas à la hauteur de l'urgence climatique. Le Covid arrive par-dessus. Et vous, moi, je me retrouve avec un bébé. Et la question de l'espoir, de la société à venir, de qui sont les gens qu'elle va rencontrer, elle. Donc j'ai photographié des gens qui ont à peu près l'âge. En fait, quand elle, elle aura leur âge, eux auront à peu près mon âge. donc c'est l'âge médian de la société qu'elle va rencontrer. Et c'est des questions, de la même manière que Belleville a l'air parfaitement apolitique, alors que pour moi, il pose des questions de relations au monde qui sont assez profondes. De même manière, Place de la République, ces questions-là sont... Je ne les mets pas en avant, évidemment, mais elles sont assez centrales. Donc je me suis dit, en fait, ce qui m'intéresse, c'est la jeunesse. Et donc, je voulais photographier, non, Place de la République dit bien ça. C'est vraiment... la place de la République. Je voulais une collection de portraits qui soit très individuelle, mais qui ensemble fasse société, et qui pose la question de cette société en devenir. Et je pense que mes images sont l'élément d'inquiétude, et jamais très loin, mais c'est quand même un travail qui est du côté de l'espoir. Et pour ça, pour que l'image soit vraiment centrée sur des personnes, en tant qu'elles-mêmes, pas en train de faire quelque chose, la chambre était parfaite, parce que c'est... Je suis moi-même arrêté, je suis sur un trépied et je dis aux gens de ne plus bouger. Et j'ai les cadres très serrés, encore une fois, pour ne pas qu'on voit autre chose autour. Alors oui, je coupe souvent très... En fait, plus vous serrez, moins vous avez de gens autour. Après, malheureusement, les cadres sont un peu plus serrés qu'ils ne le sont sur la chambre pour des questions d'agrandisseurs. J'ai un passe-vue qui... Donc il manque 2 mm, mais oui, on est vraiment sur leur regard. On n'est même pas sur leur corps. On le voit, on le perçoit, mais c'est vraiment leur regard qui compte le plus pour moi dans ce travail. Alors en général, je photographie le matin, en partie parce que c'est le meilleur moment pour les gens eux-mêmes. Surtout quand on parle de cette question d'espoir, on est toujours plus ouvert le matin. Surtout quand c'est une journée chaude et comme j'ai besoin du soleil, les premières heures du jour sont... Il y a moins de nervosité, on est encore un peu flottant. Ce que je faisais, c'est que je venais le matin vers 9h30. En général, j'ai besoin de moi-même d'un certain temps. qui peut être très court ou qui peut durer, mais je ne peux pas photographier quelqu'un. C'est quand même quelque chose de singulier, de dire à quelqu'un, excusez-moi, est-ce que je peux vous photographier ? Et j'ai besoin d'en avoir vraiment envie. Et en plus, ça me coûte de l'énergie. C'est-à-dire que si je n'ai pas assez dormi, si je ne suis pas bien dans mes pompes, l'altérité, c'est fatigant. C'est vraiment fatigant. Et je ne peux pas faire ça comme on ferait autre chose. J'ai besoin moi-même de me reconvaincre à chaque fois. Il y a un temps, quand j'arrive, où j'ai besoin de me reconvaincre que je vais le faire. Et ça m'arrive de passer une matinée entière à ne pas trouver l'envie. Mais je m'installe, ça c'est clair. Je sors, je mets ma chambre, je suis très visible, je suis toujours très visible. Même quand je photographie à moyen format, une des manières de me prémunir des mauvaises rencontres, c'est d'être extrêmement franc et d'avoir pas du tout... Je suis toujours très conscient de l'endroit. vers lequel mon objectif pointe, pour pas que des gens se sentent photographiés quand ils ne le sont pas. Mais par contre, je ne suis pas en train de me cacher. Bien au contraire. Ça, ça protège. Il ne faut pas avoir l'air un peu sneaky comme ça. C'est désagréable. Non, au contraire, ce que je fais, c'est très simple, très net et très évident. Et c'est sans agressivité. Il faut que ce soit manifeste. Donc je m'installe si j'ai envie. Si j'arrive à avoir ce désir qui arrive en moi et qu'il y a quelqu'un que j'ai vraiment envie de photographier, je vais aller la voir, cette personne. Alors comme c'est une chambre 4-5, c'est assez léger malgré tout. Enfin, léger. L'ensemble est lourd, mais je peux soulever mon trépied et faire 30 mètres en disant, voilà, il n'y a aucun problème. Donc je me balade un peu. En général, je posais ma chambre à un endroit, puis un quart d'heure après, je me déplace un peu. Enfin, il n'y a pas de... de structure, mais il y a une petite chorégraphie comme ça, entre les gens qui sont présents, le soleil, le feng shui de la place à ce moment-là, et puis voilà, et puis j'arrête les gens, je dis excusez-moi, est-ce que je peux prendre une photo ? Et c'est très très simple, et ça se passe pas au niveau du langage en fait. Comme je l'ai dit plus tôt, il s'agit pas pour moi de convaincre, soit la personne est d'emblée confiante, soit elle ne l'est pas, mais j'essaye pas d'embarquer avec moi quelqu'un qui serait réticent. En fait, c'est une chose, quand je disais que les photographies sont prises avec le corps, c'est assez étonnant pour moi de voir, quand on regarde les photographes de rue, à quel point leur image et leur corps se répondent. Une vidéo de Henri Cartier-Bresson, on voit ce grand type en même temps très distant, et puis ses gestes un peu aristocratiques, et qui ne se mêlent pas en même temps, et on ne peut pas ne pas y penser. Et puis on voit Gary Winogrand, effectivement, avec un appareil sur son ventre un peu rond, qui fait semblant pas savoir si ça marche. Et en fait, il y a une ironie et un humour en rapport entre la présence de Winogrand, cette espèce de... ce côté en même temps foutraque et précis qu'on retrouve dans la composition, qu'on retrouve dans l'image. Et ça, c'est intéressant. Il y a un vrai écho, je trouve, entre une présence physique du photographe et la présence physique de ce qu'il photographe. Comment la chose est photographiée à l'intérieur. Et moi, je vole pas. Je l'ai fait un peu, évidemment, comme tout le monde, mais ce n'est pas mon but. Alors, ce n'est pas une question de jugement moral. Il peut y avoir des photographes qui vont trouver que les gens qui sont photographiés, en sachant qu'ils sont photographiés, j'ai déjà entendu ça, ils se ressemblent tous. Moi, je trouve que c'est exactement l'inverse. Pour moi, un vrai portrait, il y a quelque chose de l'ordre de l'accord ou du partage, il y a une profondeur psychologique dans le regard échangé ou dans l'arrêt sur un temps long qu'on ne retrouve pas. Quand quelqu'un traverse la rue en sortant son téléphone portable, j'ai l'impression que les gens qui sont plongés dans leur pensée quotidienne se ressemblent tous, alors que quand ils regardent à la caméra, là, chacun a sa personnalité d'une manière extrêmement forte. Et donc, c'est une des raisons, si ce n'est la raison principale du fait que je ne vole pas, c'est parce que si je le fais, ce que je vois dans l'image ne m'intéresse pas particulièrement. C'était la grande commande photojournaliste qu'il y a eu peut-être en 2022. Ça, c'est quelque chose... Alors, le projet apparaît comme... Le travail apparaît comme fini parce qu'il a été rendu pour une commande, mais en fait, c'est vraiment... Pour moi, c'est qu'au début. Et c'est un autre rapport au portrait. C'est-à-dire que pour moi, tout fait sens, le moindre détail, y compris dans un portrait, le t-shirt, la position des mains, etc. Mais une autre manière de rentrer, encore une fois, il ne s'agit pas d'être voyeur, où je ne prétends pas pouvoir dire quelque chose à propos de quelqu'un. Une image, ça n'est jamais qu'une image, il faut accepter cette contrainte. Je pense qu'il ne faut pas la charger en métaphore ou en symbole, ça ne sait pas du tout mon... ou en signification, ça doit rester assez léger, mais... Un intérieur, je trouve que c'est quelque chose de fascinant dans ce que ça peut dire à la fois à nouveau de très intemporel, et notamment, j'avais choisi les chambres à coucher parce qu'il y a ce rapport au sommeil. Une chose que nous partageons tous, sans aucun doute, c'est que nous devons dormir et que nous dormons, tout le monde. Et donc là, il y a quelque chose de très commun, presque plus que dans n'importe quelle autre pièce de la maison. Ce rapport très intime, très répété à quelque chose, et en même temps, chacun des éléments. qui décore ou ne décore pas cette chambre fait sens. Pour moi, c'était vraiment la question du portrait sans le visage. Et en même temps, un petit élément de challenge, parce que je me suis dit, tu arrives à arrêter quelqu'un dans la rue pour faire son image, mais est-ce que tu arriverais à te faire inviter chez lui ? C'est beaucoup plus compliqué. C'est dur d'ailleurs. C'est pour ça que je dis que je suis loin d'avoir fini, parce que je n'ai pas à épuiser cette question à la fois de comment montrer ses intérieurs, et puis... de comment les faire. J'ai sorti ce sujet au moment de cette commande parce que je me disais que c'était l'occasion. C'est vraiment un premier pied dans la porte. Et j'aspire à faire plus d'images d'intérieur comme ça. beaucoup photographié autour de l'échangeur de Bagnolet, qui est le travail que j'espère de finir. Et je suis de plus en plus à la recherche de lieux qui permettent de faire un portrait. En tous les cas, quand la question du portrait est centrale, qui permettent de faire un portrait. Qu'il soit à la fois des lieux qui ne soient pas trop chargés. C'est-à-dire que jusqu'ici, je n'ai jamais fait de travail délimité dans un cadre très précis. On pourrait penser aux hôpitaux, les ceci. Il faut que ça reste quelque chose de commun. pour moi, pour l'instant, et en même temps où un travail de portrait soit possible, dans des conditions qui soient bonnes, et il y a une passerelle enfin, il y a plusieurs ponts au-dessus du périphérique mais il y a un endroit, pas très loin de chez moi ça aussi c'est important, je veux pouvoir travailler tous les jours, enfin le plus souvent possible et il y a un pont au-dessus du périphérique que j'avais repéré depuis un certain temps parce qu'il y a des gens qui passent dans un endroit un peu... l'échangeur de Bagnolet c'est une grande structure de béton, gigantesque c'est un projet Merci. absurde au moment de sa conception même, hyper polluée, qui, je trouve, c'est vraiment le règne de l'utilitaire dont l'utilité elle-même devient de plus en plus évanescente. Il y a quelque chose qui me semble très bien décrire l'emprise que la technologie peut prendre au point de faire disparaître l'humain. L'objet initial, c'est d'être au service de l'humain et le résultat pratique, c'est que l'humain disparaît. Et ça, je trouve ça vraiment... Ça me touchait, puis je me disais en plus, ma fille grandit à côté de ça, c'est son paysage. Et en même temps, c'est un vrai paysage. C'est-à-dire que quand on est des hauteurs du plateau de Belleville, il y a une trouée vers Vincennes, et c'est l'endroit où on voit loin, et c'est un endroit vide. Il a été vidé de tout, justement, par cette immense chape de béton. Et paradoxalement, ça produit aussi la possibilité d'une contemplation qu'on n'a pas ailleurs. Il y a un côté bord de mer. C'est le bruit des bagnoles, mais c'est un... Mais il y a un côté bord de mer, il y a le ressac, il y a du vent, il y a plus de lumière. Et là, sur ce pont-là, les gens passent, mais ils passent à un rythme lent et irrégulier, dans ce paysage singulier et en même temps qui permet une intimité. C'est-à-dire que si j'arrête quelqu'un pour prendre sa photo, il n'y a personne d'autre. Mais ce n'est pas spécialement inquiétant, mais il n'y a personne d'autre. Et donc, je suis à la fois très en lien avec tous ces éléments qui font sens pour moi et que je peux décrire. Et en même temps, j'isole vraiment quelqu'un, sans avoir des gens qui passent autour. Alors je photographie avec un angle un peu plus large, puisque cette fois-ci j'ai la place pour le corps, et l'arrière-plan est moins gênant, au contraire il est très intéressant. Je le fais avec une chambre 8-10, donc c'est un plus gros... Là je suis vraiment fixe. Vraiment, je ne déplace pas, c'est lourd, c'est vraiment les gens qui passent devant moi. Mais ça me permet de montrer plus de la personne, plus du corps, plus d'arrière-plan, dans des conditions qui me semblent... exceptionnelle du point de vue des possibilités de prise de vue et aussi exceptionnelle du point de vue de la richesse sociale des gens qui passent. Parce que c'est un endroit plus dur, plus âpre. mais qui reste très mélangé, où il y a quand même toutes sortes de profils. Et donc on voit un autre Paris, et à nouveau sans segmenter ou découper ou ne s'intéresser qu'à une tranche. Ça reste, voilà, il y a plus de gens qui ont une vie plus dure qu'à Place de la République, mais ça reste ouvert, et en même temps, du fait de cette présence du corps, de cet espace et de la sociologie, je trouve que les gens sont encore plus... plus singulier. Il y a quelque chose de... C'est rare de faire un portrait qu'on a envie de regarder plusieurs fois. C'est quand même assez rare. Et c'est pour ça que je continue à photographier énormément, c'est parce qu'il y a peu d'images. Mais celle qui reste, ça peut être extraordinairement parlant. Il y a quelque chose, il y a une densité dans juste... La position des mains, la position des épaules... ce qui passe à travers un regard que je trouve bouleversante et presque... Oui, ça peut m'arriver devant mon bac de révélateur d'être à la fois ému et de me dire « Oh ! Merde, j'ai tout ça ! » Sur l'image, il y a tellement... Pour Bagnolet, ce pont sur les changeurs, il y a tous ces éléments qui se combinent très très bien. Et en même temps, je travaille plus sur cette question de tentative d'épuisement d'un lieu. Dans le sens où il y a des portraits, mais il y a aussi deux ou trois travaux simultanés, au 24-36, spécialement sur les formes, les ombres, les blocs de béton, puis des travaux de paysage au moyen format. Et j'ai aussi, de manière très inattendue, recommencé à dessiner. Donc je suis en train d'accumuler des... Et je dessine beaucoup en me servant de l'échangeur comme base, justement dans ces éléments très graphiques. Et là... Un jour, il faudra couper dans l'art et puis ça restera peut-être que 20 ou 40 images. Mais il y a quelque chose d'à la fois beaucoup plus systématique encore que Place de la République et beaucoup plus presque multimédia, où ces ensembles de portraits sont construits en dialogue avec d'autres éléments. Et c'est un dialogue un peu paradoxal parce que ces portraits-là, c'est ce qui reste. Le lieu est quasiment dans un rapport de prédation à l'humain. Je ne peux pas assimiler l'un à l'autre. C'est-à-dire que les portraits sont les choses qui me touchent et le reste, c'est un désert. Mais c'est un désert avec un élément d'ambiguïté, y compris dans la beauté des formes qui peuvent en ressortir sous certains aspects. Quand je parle de désert, c'est aussi un endroit où je peux effectivement être profondément seul. Parce qu'il y a deux ou trois branches de route qui sont abandonnées. Et donc, quand on est là, il n'y a rien. personne ne peut. pas, c'est des lieux qui ont perdu tout usage. C'est assez étonnant de se retrouver au cœur de la ville, au cœur d'une activité intense, sur une bretelle à l'abandon. Il y a un photographe japonais qui s'appelle Miyamoto qui a beaucoup travaillé sur la ruine et qui dit que quand un bâtiment a perdu son usage, c'est pourquoi il a été construit. C'est le moment où il rentre dans l'existence pour lui-même. Je trouve un peu de ça à cet endroit. Ça se sent quand j'en parle. Je suis encore perdu dans la fascination entre ces différents aspects.

  • Speaker #1

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Description

Il y a des images qu’on croit comprendre immédiatement. Elles semblent simples, presque évidentes. Et puis, lorsqu’on s’y attarde vraiment, elles se mettent à changer. Elles glissent, elles se déplient. Elles révèlent une profondeur discrète, une ambiguïté douce, une complexité qui ne cherchait pas à se montrer.


Les photographies de Thomas Boivin ont précisément ce pouvoir-là. Elles ne s’imposent pas, elles s’installent. Elles se regardent lentement, à plusieurs reprises, en y découvrant chaque fois une nouvelle nuance.

Thomas est un portraitiste qui regarde sa ville en partant de celles et ceux qui l’habitent. De Belleville à Ménilmontant, jusqu’à la place de la République, ses livres composent un Paris intime, un Paris qui ne se donne pas frontalement mais qui se laisse approcher, frôler, apprivoiser.


Ce qui frappe dans son travail, c’est cette manière d’habiter ses sujets. Tout semble né d’une patience profonde, d’un rapport au temps long, de cette lumière précise que lui offre la chambre grand format qu’il utilise assez souvent. On sent une attention rare, presque silencieuse, qui traverse ses images.


Et puis il y a Thomas lui-même : une voix douce, posée, un regard exigeant mais sans dureté. Il s’exprime comme il photographie, avec prudence, avec mesure, comme si chaque mot devait respecter la personne ou le lieu dont il parle. Passer un moment avec lui a quelque chose d’apaisant, presque méditatif. J’espère que cet épisode vous plaira également. Bonne écoute.


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Un podcast réalisé et écrit par Aliocha Boi, produit par Noyau.studio, monté et mixé par Virgile Loiseau et mis en musique par Charlie Janiaut.


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  • Speaker #0

    production noyau studio. Il y a des images qu'on croit comprendre immédiatement. Elles semblent simples, presque évidentes. Et puis lorsqu'on s'y attarde vraiment, elles se mettent à changer. Elles glissent, elles se déplient. Elles révèlent une profondeur discrète, une ambiguïté douce, une complexité qui ne cherche pas forcément à se montrer. Les photographies de Thomas Boivin ont précisément ce pouvoir-là. Elles ne s'imposent pas, elles s'installent. mais elle se regarde lentement, à plusieurs reprises. Et on y découvre à chaque fois une nouvelle nuance. Thomas est un portraitiste qui regarde sa ville en partant de celles et ceux qui l'habitent. De Belleville à Ménilmontant jusqu'à Place de la République, son dernier projet. Ses livres composent un Paris intime, un Paris qui ne se donne pas frontalement, mais qui se laisse s'approcher, frôler, apprivoiser. Ce qui frappe dans son travail, c'est cette manière d'habiter ses sujets. Tout semble né d'une patience profonde, d'un... temps long, de cette lumière précise que lui offre la chambre grand format qu'il utilise assez souvent. On sent vraiment cette attention rare, presque silencieuse qui traverse ces images. Et puis il y a Thomas lui-même, une voix douce posée, un regard exigeant mais sans dureté. Il parle comme il photographie, avec prudence, mesure, comme si chaque mot devait respecter la personne ou le lieu dont il parle. Passez un moment avec lui à quelque chose d'apaisant, presque méditatif. J'espère que cet épisode vous plaira également et je vous souhaite une très bonne écoute.

  • Speaker #1

    Salut c'est Aliocha, vous écoutez Vision, le podcast qui donne vie aux images.

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  • Speaker #1

    Il y a une image qui m'a, je pense qui a été déterminante dans ma manière de travailler pendant très longtemps et j'en parle volontiers, c'est une influence qu'on peut percevoir d'ailleurs dans mon travail. Je pense que ça doit être en 2011, je suis rentré à... Je m'intéressais à la photographie, je commençais à vouloir être photographe, mais de manière assez flottante, peut-être 2010, 2010, de manière assez indéterminée. Et puis, j'avais pas un rond, je suis rentré à Offprint, en me disant, tu viens avec rien sur toi parce que tu peux rien acheter. Première table à droite, il y avait un libraire qui avait la dernière copie. de Greater Atlanta de Mark Steinmetz. Et j'ai ouvert le livre, j'ai tourné deux pages, et j'ai dit, mais il s'était signé, c'était déjà épuisé, il m'a dit, c'était déjà un peu cher. Et je lui ai dit, écoutez, gardez-le-moi, je cours au distributeur. Et l'image qui m'avait vraiment particulièrement marqué dans ce livre, c'est une image toute banale, qui n'est jamais spécialement mise en avant. C'est une jeune femme sur un banc, penchée en avant, qui se tourne vers le photographe avec un... Un espèce de sourire timide comme ça, je trouvais très très beau. Et ce qui m'a frappé, c'est pas l'image dans sa construction, dans son équilibre, c'est la relation entre le photographe et la personne photographiée. Ça m'a transpercé, je me suis dit « waouh, c'est possible de faire ça » . Et on sent dans ce livre, alors je sais pas quelle est l'histoire derrière cette image particulière, j'en ai aucune idée à vrai dire, mais peut-être qu'il s'agit là de quelqu'un que le photographe connaissait. Mais en général, on sent dans ces livres que ce sont des inconnus. Je me suis dit, en fait, c'est possible de rencontrer quelqu'un pour une photographie et d'avoir quelque chose d'aussi doux et chaleureux. Et ça m'a vraiment beaucoup touché. Et j'ai décidé que je ferais ça. J'étais déjà engagé dans un parcours de photographe, mais c'est ce qui a déterminé, ce qui a été mon but pendant des années, c'est d'arriver. dans un espace public avec des gens que je ne connaissais pas, à avoir l'espace d'un instant, cette qualité de relation dans l'image. Je suis Thomas Boivin, photographe. J'ai peu de choses à dire sur mon enfance. Je n'ai pas souvenir d'avoir une relation spécifique aux images, et surtout pas à la photographie. C'est vraiment... Avant de décider d'être photographe moi-même, je crois que je n'avais aucun intérêt pour la photographie. J'ai fait une école d'art, ou deux même, mais plutôt tourné vers le dessin, et j'ai séché tous mes cours de photographie. Donc voilà, ça c'est... Notamment parce que... Quand je suis rentré au Beaux-Arts, on fumait encore dans les classes et l'atelier photo, c'était vraiment terrible. Avant mes études, j'ai grandi une bonne partie de mon enfance en Afrique, avant de rentrer en France. Et puis, comme je disais, j'ai fait des études plutôt tournées vers le dessin. Je voulais faire de la bande dessinée expérimentale. Et j'ai découvert la photographie par hasard à la fin de mes études. En fait, en réalité, c'est tellement éloigné de ma pratique, mais en faisant des canulars. en photographiant des choses qui n'existaient pas, pour faire des blagues avec un ami, qui est lui-même maintenant dessinateur de presse. Et au départ, quand j'ai commencé à m'intéresser à la photographie, je m'en servais comme une récréation. C'est-à-dire que j'étais à ma table de dessin toute la journée, il fallait que je sorte pour m'aérer. Et j'avais pris l'habitude de sortir deux fois par jour, d'avoir un rouleau tous les deux ou trois jours, de le développer. C'était ma balade quotidienne. Et petit à petit, je me suis senti... plus à l'aise dans cet exercice-là que je pensais être mon travail. Et c'est comme ça que j'ai changé vers 26, 27 ans. J'ai décidé de devenir photographe alors que ce n'était absolument pas mon ambition au départ. Ce qui m'intéressait, ce que je voulais arriver à faire, c'était un rapport au lieu dans lequel je me trouvais et un rapport aux gens beaucoup plus... que la description spécifique d'une situation ou d'un type ou d'une action. Pour des raisons en partie très intérieures, très personnelles, j'avais envie d'être photographe, c'était quelque chose d'important pour moi, et j'avais envie d'avoir ce rapport prolongé, profond à un espace et d'être capable de rentrer en relation. Et alors quand je dis rentrer en relation, c'est très bref. Je parle très peu avec les gens que je photographie, j'explique le moins possible, mais c'est d'être capable de susciter cette confiance et d'avoir des images qui soient des espèces de portraits psychologiques. Une des choses qui m'intéressait, c'était que je me disais, quand on traverse une rue, surtout une rue de Paris, où il y a tellement de gens, on croise énormément de regards, qu'on peut... pas regarder plus d'une seconde et demie parce que ça devient impoli et je pense que j'avais envie de m'arrêter sur chacune de ces personnes et c'est une chose que la photographie fait très bien, c'est exactement ce qu'elle fait, de figer cet instant et de permettre avec cette image arrêtée de se pencher sur l'apparence, sur la pure présence d'une personne à un moment donné et de prolonger cette rencontre. J'ai toujours trouvé ça très puissant. Je l'ai trouvé très puissant dans le travail de certains autres photographes. Je voulais arriver à faire ça. Et c'est vraiment ce qui m'a occupé pendant longtemps. C'était d'être capable de le faire, sachant que pendant un an et demi, je rentrais chez moi tous les soirs en me disant, t'as pas osé demander à telle personne, je comptais les gens à qui je n'avais pas osé demander de faire leur photographie. Aujourd'hui, mon travail, comme j'ai un peu passé cette étape, mon travail a évolué, mais au départ, toutes les questions étaient autour de la rencontre. Du lieu et de la rencontre comme une expérience sensible et pas une expérience intellectuelle. D'ailleurs, il ne s'agit pas de prétendre d'écrire une personne hors de l'image. Tout se passe dans l'image. Je pense que c'est le cœur de mon travail pendant assez longtemps. Le livre Belleville, pour moi, ce sont les images d'un apprentissage. Ce n'est pas un travail qui est structuré, ce n'est pas un travail qui a été pensé comme un travail. C'est vraiment un récit visuel des images de mon produit en essayant d'apprendre à faire ces images-là qui m'avaient tant touché chez d'autres. Notamment dans la photographie britannique ou nord-américaine, qui arrivent à produire des images qui soient à la fois très rigoureuses. très réussie sur le plan formel, très bien cadrée, très bien produite, et en même temps très sociale, tout en gardant des images qui fascinent d'abord, par leur qualité pure, et qui suscitent le commentaire sans le mettre en avant. comme justification, comme description première. Et ça, c'était ce qui me plaisait le plus. Belleville a été publiée en premier. En fait, Belleville s'appelle Belleville parce que je me suis installé à Ménilmontant en 2009, à peu près au moment où j'ai décidé de... Je suis passé de dessinateur à photographe, enfin, en fait, pile à ce moment-là. C'est vraiment tous ces jouets autour d'un changement d'adresse. Et j'ai assez rapidement décidé que je sortirais tous les jours, que je sortirais tous les jours le plus longtemps possible, et j'ai fait à peu près la même marche jusqu'à mon déménagement qui est fin 2017. Donc pendant quasiment 9 ans, j'ai tourné autour de Belleville presque tous les jours. Donc je partais de Ménilmontant, je traversais le parc de Belleville, qui n'est pas le parc des Butchomont, je redescendais vers la station de métro Belleville, je prenais un café ou je... Et puis, je remontais par le parc des Butchomont, je descendais jusqu'au bord du canal, et je faisais tout un tour par le 10e et le 11e jusqu'au bas de la rue Oberkamp avant de remonter. Et donc le centre, c'était Belleville, et c'était l'endroit où je prenais le plus de café, on va dire. Et donc j'ai appelé Belleville, Belleville pour ça, mais si vous regardez Ménilmontant, je l'ai appelé Ménilmontant comme un pendant, un peu plus personnel, avec un peu plus d'amis à l'intérieur. Enfin, avec des amis, alors que ce n'est pas le cas pour Belleville, pas vraiment. Mais il y a autant de Belleville, d'un point de vue strictement topographique, il y a autant de Belleville dans Médilemontant que Médilemontant dans Belleville et inversement. Donc c'est des panoramas intérieurs, c'est pas la description spéciale d'un endroit, pour cette raison que Belleville n'est pas un travail sur Belleville. C'est un travail autour de Belleville et qui décrit, je pense, assez bien une certaine ambiance. En tous les cas, je suis toujours très heureux quand des gens reconnaissent le quartier à travers mes livres, mais... Je prétends ni à la description, ni à la scrupuleuse, ni à l'objectivité. D'ailleurs, c'est un Belleville de jour. Toutes ces années-là, je ne sortais pas la nuit. Je suis toujours choqué quand je vais à Belleville la nuit, parce que j'avais l'impression que c'est très étrange d'avoir une relation de proximité aussi forte avec un lieu. Et à deux heures près, c'est plus le même. Et il a tellement changé que c'est une surprise. Comme j'avais à peu près raté ma carrière de dessinateur, je m'étais dit, bon, t'as une deuxième chance avec la photographie, mais t'en auras pas de troisième, il va falloir que tu sois un peu plus sérieux. Donc au départ, c'était une discipline. Je me suis dit, tu sors, tu essayes. Donc il y a eu une année et demie, deux années, trois années de discipline et de tentative. Là où les choses se passent bien, sont bien passées, c'est que je pense que c'était effectivement aussi mon caractère, assez contemplatif, assez lent dans ce rapport. Et j'ai trouvé... Quelque chose de très agréable dans cette routine qui s'est mise à structurer ma vie. Et donc ce qui était au départ vraiment pensé par rapport à un but, notamment celui d'arriver à photographier des gens, et d'où ce trajet qui passait beaucoup par les parcs, parce que c'est un endroit où c'est plus facile de photographier un inconnu, des espaces qui sont déjà par nature contemplatifs, un peu plus vides. Si on regarde une histoire... La photographie spontanée de gens en extérieur, le nombre de photographes qui ont commencé par des parcs ou par les enfants, est très important. Et en fait, ce n'est pas parce qu'ils étaient spécialement fascinés par les parcs ou par les enfants, c'est parce que les enfants vont très facilement vers l'objectif. Enfin, aller, aujourd'hui c'est différent, mais on les trouvait en abondance dans l'espace urbain et ils allaient vers l'objectif. Et puis, le parc, c'est déjà un endroit où... au cœur de la ville, mais où la vie est plus lente, où on a le temps de voir arriver l'autre, où l'autre est dans de meilleures dispositions. Donc j'étais structuré beaucoup autour de ces lieux de manière intuitive. C'est seulement après que je me suis dit, ah oui, Passing Through Eden, c'est un parc, et Yorana Park, c'est un parc, et puis on peut dérouler comme ça le nombre d'exemples. Et ensuite, oui, c'était une tentative d'épuisement. Je ne sais pas si on peut dire ça dans le sens où ce que j'essayais... D'épuiser, ce n'est pas le lieu, c'est ma fascination pour le lieu. Ce n'est pas le lieu en lui-même. Et Paris est déjà... Le trajet que j'ai décrit, je pense qu'il doit y avoir 200 000 personnes qui habitent à cet endroit-là, sans compter tous ceux qui passent et qui déménagent. La course du soleil n'est jamais la même. Vous avez des rues d'hiver, des rues d'été, des rues de printemps, suivant l'axe du soleil. Si on y rajoute que la météo change... C'est assez rare de passer deux fois dans la même rue d'une certaine manière. Et il y a tout un tas d'images que je fais qui tiennent par la lumière, et c'est une fois. Peut-être je suis passé trois fois, enfin vous voulez, je suis passé cinq fois par semaine pendant cinq ans dans cette rue. Et le moment où ce détail prend la lumière de cette manière, c'est une fois. Donc ce qui détermine le fait que je m'en vais, ça va être des événements de ma vie. En fait j'ai arrêté de photographier Belleville et Ménilmontant quand j'ai déménagé. J'ai un petit peu continué, mais voilà, ça a disparu. Et puis, par exemple, l'épuisement de ma fascination, mon désir de photographier d'une certaine manière. Mais le lieu, lui, je le trouve toujours... Je le trouve jamais... J'ai jamais l'impression d'en avoir fait le tour. Alors, il y a deux choses. J'ai du mal à isoler une image en particulier, et je pourrais parler de toutes. L'autre, c'est... que le portrait est très important pour moi, et en même temps, l'image de quelqu'un, c'est quelque chose qui me semble valoir le coup quand c'est silencieux. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de texte pour l'instant dans mes livres, j'en mettrai dans le prochain, parce que c'est toujours une immense, j'ai une très grande hésitation à rajouter des mots sur la présence de quelqu'un. C'est-à-dire que je peux décrire l'image, sa construction, etc., mais... L'espèce d'accord moral que j'ai avec quelqu'un, c'est que je vais essayer de... Je vais photographier une présence à un certain moment, sous une certaine lumière, mais je ne vais pas caractériser moi cette présence avec des mots en disant « ben voilà, ça c'est quelqu'un comme ça » ou « c'est quelqu'un qui fait ça » . Je trouve que la photographie a vraiment ce qu'elle a d'extraordinaire, c'est de pouvoir montrer sans dire. Et donc, je résiste toujours à l'idée... de décrire un portrait que j'ai fait, en tous les cas, de décrire la personne qui est dans ce portrait, et de lui donner aussi une identité particulière. Donc la question, quand on me demande de parler d'images, je peux plus facilement parler d'images que je n'ai pas faites, ou d'images que je n'ai pas mises dans le livre, mais qui ont eu un enseignement pour moi. Là, je peux donner deux, trois anecdotes qui ne sont pas à nouveau rentrées dans l'image, mais par exemple, je marchais vers la rue de Crimée, Et je vois une jeune femme, avec un voile négligemment posé sur la tête, accoudée à la rambarde d'une fenêtre de rez-de-chaussée d'un hôtel miteux, et une jeune femme noire. Et je me dis, c'est tellement cette partie du 19ème. Et je lève mon appareil photo vers elle, en la regardant, ce qui est une demande muette, est-ce que je peux faire cette photographie ? J'ai une réponse humaine également, qui me dit oui, je fais la photo, vraiment en me disant mais qu'est-ce que c'est typique. Et puis ensuite je suis allé parler avec elle et c'était une prof de yoga du Colorado. Et donc ça c'est vraiment une chose importante pour moi. Tout ce qui, voilà, c'est l'image et elle peut servir de point de départ en écho à des situations. Mais moi je vais avoir beaucoup de mal à vous parler de quelqu'un qui est dans cette image. Une autre anecdote, j'expliquais ça à quelqu'un, place de la République, où j'ai photographié pendant des années à la chambre. Je lui dis, voilà, moi je voudrais faire un... On me demande, qu'est-ce que vous faites ? J'avais demandé à quelqu'un si je pouvais prendre sa photo, et il me demande ce que je vais en faire, et je lui explique que ce serait peut-être un jour un livre d'images, avec une collection de portraits, mais qu'il n'y aurait pas de texte, et que je ne mettrais pas son nom, je ne dirais pas qui il est. Et j'explique ça, je ne sais plus très bien comment, et il me dit, mais en lui disant qu'il y a quelque chose dans l'image qui est à la fois fixée et en même temps insaisissable, mais que je ne veux pas prendre partie dans ce... Il me dit, ah c'est vrai, je comprends, c'était un livreur des livres roux. Il me dit, ben je suis en train de fumer une cigarette. Si vous prenez une photo de moi, on verra moi en train de fumer une cigarette. Mais peut-être que c'est ma première cigarette, peut-être que c'est juste une cigarette. et peut-être que c'est ma dernière cigarette. Et ça n'a pas du tout la même... Voilà, c'est pas du tout la même chose. J'étais tellement content d'entendre ça. Il a compris immédiatement, oui. Et ce fil-là, pour moi, il est d'une grande importance. Au début, j'ai accumulé... dans une absence de soins total. C'est-à-dire que ce qui m'intéressait, c'était de mettre en place C'était un rythme, c'était un rapport au monde, donc tout était tentatif. Et j'ai gardé un peu ce côté-là, où j'essaye de garder les choses le plus légères possible. Donc à la fois je m'attache énormément aux résultats dans la phase de tirage, mais le reste avant, il faut que ce soit le plus léger. Donc ça m'est déjà arrivé plusieurs fois d'ouvrir des boîtes, de cramer tous mes négatifs, et j'essaye de faire en sorte qu'il n'y ait même pas d'émotion. D'ailleurs quand je demande à quelqu'un « est-ce que je peux prendre votre photo ? » , si je vois que la personne hésite, je lui dis « vous savez, vous... » Si vous hésitez, c'est nous. J'essaye de garder les choses très simples et j'ai commencé comme ça, en me libérant du poids du résultat. Donc on y accorde un peu d'importance, ce qui fait que j'avais énormément de négatifs pas classés, mal archivés. Et puis, quand j'ai commencé à être un peu plus content de ce que j'ai fait, oui, j'ai commencé à faire des planches contact, numériques, ce qui fait qu'aujourd'hui j'ai de grandes archives, qu'elles sont très accessibles. Et que je les re-regarde énormément. Pour Belleville, ça a été un grand... J'avais besoin d'un éditeur. Parce qu'on aurait pu faire un livre comme on aurait pu en faire 3 ou 4. Mais je ne savais pas quoi faire avec ça. En plus, j'avais tout un tas de formats différents. Donc il y a du carré, il y a des rectangles. Je me disais, est-ce que je fais un livre par format ? J'étais noyé. Et à mon éditeur, je leur ai envoyé je pense 500 photos. Parce que j'étais perdu dans cette masse. Et puis... Voilà, on l'a réduit à 50, mais moi-même, ça, c'était un truc que j'avais beaucoup de mal à faire pour ce travail-là. Alors que Ménilmontant, c'est l'inverse. Je suis allé chercher précisément, justement, dans mes archives, une petite trentaine d'images qui ressemblaient à une certaine atmosphère que je n'avais pas traitée dans l'autre livre, donc qui ne se répéterait pas, ou le moins possible. Et je lui ai donné, à mon éditeur, et il a fait le choix d'en enlever 8. Enfin, voilà, c'était... beaucoup plus serré, plus intime. Un peu plus sombre, plus près de l'ombre, alors que Belleville est du côté de la lumière. Plus près de l'intérieur, et plus près de l'intimité. Sans que ce soit une décision radicale, c'est-à-dire qu'il y a de l'extérieur, mais on est sur des matins moins lumineux, on est sur des ambiances comme ça, dans une ombre un peu douce, un peu chaude, en même temps, qui était très absente Belleville, et qui faisait partie de choses aussi, je pense, qui me plaisait beaucoup, mais que j'avais eu tendance à laisser de côté. Par exemple, les natures mortes. Tous les cas, les natures mortes d'intérieur, ça m'a toujours plu. Et en même temps, je me disais, attends, garde tes yeux sur la balle. Et la balle, c'est le portrait en extérieur. Toute mon énergie était là-dedans pendant très longtemps. Parce que je n'y arrivais pas. Pour moi, je n'étais pas encore là. Et c'est une des choses qui peut évoluer dans le rapport aux archives, justement. C'est le moment où on se dit, OK, ce but que je m'étais donné, quelque part, tchac ! Alors, ce n'est jamais un rapport d'accomplissement. Pour moi, tout est quand même de l'ordre de l'échec avec des degrés. Mais il y a quand même des moments où on se dit « Ok, ça, j'y arrive un peu mieux » . Et donc, ça libère de la place pour considérer d'autres images, pour la volonté se déplace, la sensibilité aussi. Et on peut réaccueillir des images qu'on a faites, qu'on a faites parce qu'on voulait les faire, mais qu'on n'a pas regardées parce qu'elles ne correspondaient pas aux préoccupations du moment. Et c'est vraiment le cas de Ménilmontant. Parce que je parlais beaucoup de la photographie américaine, c'est déjà... On se rapproche justement un peu de quelque chose d'un peu plus... Un peu plus européen, pour moi. En se déplaçant justement sur l'intime. Le premier appareil que j'avais acheté, c'était un digital. Et j'ai très vite voulu m'en débarrasser. Bon, c'était une époque où c'était pas non plus si satisfaisant que ça. Et je l'ai revendu pour un Leica à l'époque. Parce que... Pour moi, les photographies sont prises avec le corps. Et il y a un rapport avec le fait de photographier des gens qui sont aussi des corps. Et je crois que j'étais assez attentif ou sensible à l'idée d'avoir un objet qui ne soit pas plus intelligent que moi et pas plus rapide que moi. Et donc, tout ce qui participait de cette lenteur, mettre son film, déclencher les trois premières fois, apprendre à connaître la lumière sans cellules. et donc à la fois réduire le nombre de gestes et de possibilités, et en même temps, pour chacun de ces gestes, être capable de comprendre ce qui se passe et de faire ses propres erreurs. Et on en fait beaucoup. Ça, c'était très important. Ça me mettait dans un rythme et un rapport qui étaient justes par rapport à ma vitesse à moi, déjà. Essayer de développer une sensibilité à une présence physique et le transformer en quelque chose de profondément immatériel, c'est un peu contradictoire. Alors que le fait d'avoir un négatif, qui est l'empreinte de la lumière directe. On peut discuter sur les mots, parce qu'évidemment, il y a un rapport entre un fichier et un enregistrement. Mais là, il y a quelque chose de tangible qui participe de l'importance. de cet événement qu'on a voulu enregistrer. Donc, sans théoriser là-dessus, parce que ce n'était pas mon objet, j'ai senti que c'était ce dont j'avais envie et que c'est ce qui me permettrait d'avoir l'attention que je voulais avoir. Et puis ensuite, il y a la deuxième partie, qui est arrivée plus tard, mais qui est celle du tirage, qui, je trouve, est encore plus importante pour moi et du même ordre, c'est-à-dire... Elle me force à passer beaucoup de temps. Une chose importante, je crois, c'est de ne pas pouvoir faire n'importe quoi. C'est-à-dire qu'un négatif, effectivement, ça se travaille à l'agrandisseur, mais vous ne pouvez pas tirer des courbes. On ne peut pas se dire, ok, plus bleu le ciel, pof. Il y a une limite. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles on peut jouer, et en même temps, il y a une limite. Et cette limite, elle force la sensibilité à trouver la beauté dans ce qu'on peut faire. Et je trouve qu'elle... On peut très facilement se perdre quand on est tout puissant. Et à force de vouloir embellir une image, peut-être à première vue, elle a l'air très réussie, mais en fait, elle s'est tellement éloignée du réel. Et paradoxalement, l'argentique garde cette qualité d'être proche de la mémoire, d'être proche de résister à la main et d'obliger à faire des concessions qui la rendent plus fragile, qui rendent l'image toujours plus fragile, plus touchante, et puis qui sont aussi le fruit d'un artisanat. Enfin, tout ça fonctionne ensemble. Sans compter le fait qu'en tous les cas pour un tirage noir et blanc, on a quand même des profondeurs qu'on ne trouve pas avec une impression. Mais pour moi, la défense la plus sérieuse pour moi-même de ma manière de travailler, c'est que c'est celle qui me rend heureux. C'est-à-dire que si je suis dans mon labo pendant 8 heures à essayer de faire l'image la meilleure, j'ai un sentiment de satisfaction quand je pense avoir à peu près réussi que je n'ai pas. Si je suis devant un ordinateur et que j'aligne des courbes et que j'imprime pour voir si... Le résultat pourrait être strictement équivalent, voire meilleur. Je ne me sens pas partie prenante de la même manière. Et ça, c'est important. Je suis arrivé à la photographie à un moment béni, puisque c'est autour des années 2009-2010, où l'argentique était en pleine perte de vitesse, avec une surproduction phénoménale, et donc le commerce mondial bouleversé par l'arrivée des... Et en fait, il y a eu un moment où il y avait beaucoup trop de pellicules, et on pouvait acheter, pour moins de 2 dollars, avec un taux de change très favorable, un film aux Etats-Unis. J'ai commencé en commandant des centaines et des centaines de rouleaux qui ne me coûtaient vraiment pas cher. Et ça, je pense beaucoup aux gens qui commencent la photographie aujourd'hui. Pas du tout le même rapport. Enfin, un film à 8,90 euros, comment on peut brûler des centaines ou des milliers de films par an, comme j'ai pu faire à un moment, au prix que c'est impossible ? Il y a eu un moment, quand j'ai commencé, où c'était possible de gâcher comme ça dans des quantités phénoménales. Ça n'a pas duré très longtemps, mais c'était possible. Et le choix du noir et blanc, c'est un choix économique. Au départ, c'est un... un pur choix économique, c'est-à-dire que c'était pas cher et on pouvait tout faire soi-même. Un rouleau, à un moment, j'ai développé un peu ma couleur sur mes plaques de cuisson, mais c'est quand même un peu limite. Le noir et blanc, c'était facile de le faire soi-même et donc ça gardait les coûts au plus bas. C'est-à-dire qu'on avait de l'argentique, mais ça coûtait juste le prix de la pellicule et un peu de chimie et on avait un résultat. Si j'avais dû faire développer mes rouleaux par des laboratoires, j'aurais tout de suite dû photographier trois fois moins. de talent particulier pour ça. Mes photos, j'avais conscience qu'une bonne photo, c'est compliqué, qu'il fallait en faire vraiment beaucoup. Je crois que c'est aussi peut-être ce qui singularise un photographe en extérieur, du réel, qui photographie. Même en demandant aux gens, c'est quand même une pratique sur le vif. Il y a un gâchis phénoménal. Si on photographie en studio, si on photographie en paysage, etc., c'est une pratique différente. Mais se balader comme ça et essayer de... de photographier des scènes qui sont des moments très courts, il y a une perte gigantesque. Et donc j'avais besoin d'avoir beaucoup de rouleaux. Et la seule manière, c'était de prendre du noir et blanc. Ensuite, j'ai photographié un peu en couleur. Et je garde l'idée de le faire un jour, mais je suis tellement attaché au fait de tout faire moi-même que j'ai besoin de pouvoir m'acheter mon matériel de labo en couleur pour y arriver. Le noir et blanc a cette qualité. qu'en évacuant la couleur, il concentre sur les formes et la lumière, et...

  • Speaker #0

    La couleur a quelque chose, ça marque très fort et ça sépare. Et donc, quand on travaille en couleur, je trouve que l'élément le plus important, c'est la couleur. J'ai l'impression que la couleur domine tellement l'image quand on travaille en couleur, alors que le noir et blanc se fait oublier, paradoxalement. On parle encore de choses assez fines, mais je sais qu'en photographiant... 50 personnes en couleur, pour faire un travail de portrait, une part considérable du choix de chaque image sera la couleur. Alors qu'en noir et blanc, la lumière, c'est quand même quelque chose de plus plastique, de plus vague, de plus enveloppant. Ça ne deviendra pas la seule préoccupation, comme la couleur le serait. Donc pour garder cette espèce de... Et puis aussi, la couleur marquera l'époque très fortement. Le noir et blanc, il y a cette question, effectivement, du... du présent et du passé dans l'image. Je ne sais pas si le noir et blanc est intemporel, mais en tous les cas, de la même manière, il va moins durement marquer un moment précis. Ça, c'est une question subtile. Non, mais c'est une question qui a des implications assez profondes. Paris a beaucoup été photographié à un moment, le Paris des photographes. Et puis, à la suite de la période humaniste, on observe une certaine prise de distance. Les photographes ont dit que, comme les bâtiments n'ont pas changé, on est replongé dans un univers visuel ancien très facilement. C'est une des raisons pour lesquelles, dans Belleville, il n'y a pas d'imables haussmanniens. Il y a très peu de rues, parce qu'en fait, elles appellent un imaginaire qui est déjà... tellement installé qu'il est difficile de travailler avec ça. Et je sais qu'il y a des photographes qui, pour ne pas s'approcher de quelque chose qu'ils ne voulaient pas dans les années 80, 90, s'approchaient d'un pas de ce qui avait déjà été fait, qui ne voulaient aucun rapport avec cette tradition française. Ne venant pas d'une école, il y a des questions que je me suis tout simplement pas posées au départ. Et puis, et parfois c'est heureux, je pense qu'il ne faut pas toujours se poser toutes les questions. Il faut bien choisir les questions qu'on se pose. Et puis... Au contraire, ça, ça m'intéressait. C'est-à-dire que dans les commentaires que j'ai pu entendre sur le livre, le fait que ça puisse être tout à la fois très daté, parce que vous avez un iPhone 4 ou quelque chose comme ça, et en même temps qu'il y a une espèce de profondeur, à la fois dans les visages, ça, ça m'intéresse. Parce qu'une ville comme Paris, c'est à la fois quelque chose de très maintenant et quelque chose de très ancien. Et je ne voulais pas... produire quelque chose qui soit surdéterminé du côté du présent. Je voulais montrer qu'au contraire, il y a des coexistences d'attitudes, de gestes, de visages, qui sont jamais purement du côté du présent, jamais purement du côté du passé, que la rupture n'est pas si franche, ce qui rejoint une question presque politique, c'est-à-dire que le fait de montrer comment Paris peut être à la fois neuf et très ancien, c'est... Pour moi, c'est un équilibre plus satisfaisant que d'expliquer que tout a changé. Parce que la nostalgie, paradoxalement, est presque du côté de ceux qui vont décrire un pur présent comme en rupture avec le passé. Il y a quelque chose, je trouve parfois, d'un peu anxiogène à caractériser un présent, très souvent du côté de la problématique, par exemple écologique, etc. Des photos de Paris, très dures. tout en s'éloignant d'un Paris peut-être plus doux ou plus contemplatif, alors que tous ces éléments-là sont en permanence simultanément présents. Je pense que j'ai cherché cet équilibre. C'est-à-dire qu'on ne peut pas se tromper, c'est Paris d'aujourd'hui. Et en même temps, c'est véritablement Paris. Ce n'est pas une ville anonyme. Il y a des marqueurs, ce qui pourrait être caractérisé rapidement, presque d'un petit peu romantique. En fait, pour moi, c'est une manière de montrer si on cherche, si on regarde bien on n'est pas encore dans l'anonymat si vous voulez, de la ville comme on peut facilement se penser à le croire ça reste un endroit particulier et il y a des choses qui sont distinctes de cet endroit, ça c'est important pour moi et cette distinction elle est forcément ancrée dans l'histoire après, réussir à le montrer d'une manière qui soit réussie c'est autre chose ça j'ai pas de recul là-dessus mais ce que je peux dire c'est que c'est des questions importantes Oui. Le livre qui vient de sortir, Place de la République, effectivement c'est un petit peu différent dans la méthode. C'est un travail que j'ai commencé quand j'ai quitté Ménilmontant. Je suis parti habiter un peu plus loin, à Bagnolet, mais j'ai mon atelier à Charonne. République, c'est l'intersection entre Bagnolet et Charonne, entre la ligne 11 et la ligne 9. Donc c'est un endroit que je connaissais déjà, que j'avais déjà commencé un petit peu de photographier. Et c'est un endroit qui, graduellement, m'intimidait moins, parce qu'il y a aussi beaucoup ça. C'est-à-dire qu'au départ... En cherchant à photographier des gens, on cherche des endroits où on se sent à l'aise. Et la grande foule, c'est un peu difficile à appréhender. Et donc, ça arrive à un moment où je déménage, où je me dis que je me sens suffisamment à l'aise justement pour m'ancrer dans le paysage comme un élément beaucoup plus fixe, et d'arrêter des gens qui, eux, sont en mouvement plutôt que l'inverse. Et puis, c'est le moment où ma compagne tombe enceinte. Et donc, il y a un moment, il y a un choix concret qui se fait dans ma tête, où je me dis... Il faut que tu trouves une manière de photographier autant de gens dans la semaine, mais sur 3 heures au lieu de 5 jours. Je veux dire, Place de la République, c'est vraiment l'endroit. Et j'ai commencé à photographier comme j'avais photographié Belleville, même s'il y a une photo à la chambre ou deux dans Belleville, c'est-à-dire avec un moyen format, en me baladant. Et j'ai un an, un an et demi d'images, que j'aime assez par ailleurs, mais une difficulté quand on photographie au moyen format. avec un angle un peu large comme ça, c'est qu'il y a beaucoup de choses qui rentrent dans le champ. Et donc, dès qu'on rentre dans des espaces très animés, on peut avoir un premier plan qui marche très très bien, et puis un imbécile qui fait n'importe quoi, juste qu'on n'a pas vu du coin de l'œil, et l'image est ruinée. Et donc, ce qui s'est passé simultanément, c'est que j'ai compris graduellement quel était mon cadre, et en même temps, quel était mon sujet, que je détermine rarement à l'avance. Mais c'est en passant du temps dans un lieu qu'il se met à apparaître de plus en plus... clairement pour moi, en tous les cas, la caractéristique de ce lieu qui m'intéresse, qui me fascine, qui me touche. Et évidemment, ma prétend à devenir père, c'était la jeunesse. D'autant que, c'est pas comme s'il y avait eu moins de crises depuis, mais ces années-là, 2018, 2023, 2024, l'élection de Trump, première fois, n'est pas encore très loin, ce qui est quand même un choc. Je pense que c'est juste après le moment où les gens commencent à réaliser qu'on ne sera pas à la hauteur de l'urgence climatique. Le Covid arrive par-dessus. Et vous, moi, je me retrouve avec un bébé. Et la question de l'espoir, de la société à venir, de qui sont les gens qu'elle va rencontrer, elle. Donc j'ai photographié des gens qui ont à peu près l'âge. En fait, quand elle, elle aura leur âge, eux auront à peu près mon âge. donc c'est l'âge médian de la société qu'elle va rencontrer. Et c'est des questions, de la même manière que Belleville a l'air parfaitement apolitique, alors que pour moi, il pose des questions de relations au monde qui sont assez profondes. De même manière, Place de la République, ces questions-là sont... Je ne les mets pas en avant, évidemment, mais elles sont assez centrales. Donc je me suis dit, en fait, ce qui m'intéresse, c'est la jeunesse. Et donc, je voulais photographier, non, Place de la République dit bien ça. C'est vraiment... la place de la République. Je voulais une collection de portraits qui soit très individuelle, mais qui ensemble fasse société, et qui pose la question de cette société en devenir. Et je pense que mes images sont l'élément d'inquiétude, et jamais très loin, mais c'est quand même un travail qui est du côté de l'espoir. Et pour ça, pour que l'image soit vraiment centrée sur des personnes, en tant qu'elles-mêmes, pas en train de faire quelque chose, la chambre était parfaite, parce que c'est... Je suis moi-même arrêté, je suis sur un trépied et je dis aux gens de ne plus bouger. Et j'ai les cadres très serrés, encore une fois, pour ne pas qu'on voit autre chose autour. Alors oui, je coupe souvent très... En fait, plus vous serrez, moins vous avez de gens autour. Après, malheureusement, les cadres sont un peu plus serrés qu'ils ne le sont sur la chambre pour des questions d'agrandisseurs. J'ai un passe-vue qui... Donc il manque 2 mm, mais oui, on est vraiment sur leur regard. On n'est même pas sur leur corps. On le voit, on le perçoit, mais c'est vraiment leur regard qui compte le plus pour moi dans ce travail. Alors en général, je photographie le matin, en partie parce que c'est le meilleur moment pour les gens eux-mêmes. Surtout quand on parle de cette question d'espoir, on est toujours plus ouvert le matin. Surtout quand c'est une journée chaude et comme j'ai besoin du soleil, les premières heures du jour sont... Il y a moins de nervosité, on est encore un peu flottant. Ce que je faisais, c'est que je venais le matin vers 9h30. En général, j'ai besoin de moi-même d'un certain temps. qui peut être très court ou qui peut durer, mais je ne peux pas photographier quelqu'un. C'est quand même quelque chose de singulier, de dire à quelqu'un, excusez-moi, est-ce que je peux vous photographier ? Et j'ai besoin d'en avoir vraiment envie. Et en plus, ça me coûte de l'énergie. C'est-à-dire que si je n'ai pas assez dormi, si je ne suis pas bien dans mes pompes, l'altérité, c'est fatigant. C'est vraiment fatigant. Et je ne peux pas faire ça comme on ferait autre chose. J'ai besoin moi-même de me reconvaincre à chaque fois. Il y a un temps, quand j'arrive, où j'ai besoin de me reconvaincre que je vais le faire. Et ça m'arrive de passer une matinée entière à ne pas trouver l'envie. Mais je m'installe, ça c'est clair. Je sors, je mets ma chambre, je suis très visible, je suis toujours très visible. Même quand je photographie à moyen format, une des manières de me prémunir des mauvaises rencontres, c'est d'être extrêmement franc et d'avoir pas du tout... Je suis toujours très conscient de l'endroit. vers lequel mon objectif pointe, pour pas que des gens se sentent photographiés quand ils ne le sont pas. Mais par contre, je ne suis pas en train de me cacher. Bien au contraire. Ça, ça protège. Il ne faut pas avoir l'air un peu sneaky comme ça. C'est désagréable. Non, au contraire, ce que je fais, c'est très simple, très net et très évident. Et c'est sans agressivité. Il faut que ce soit manifeste. Donc je m'installe si j'ai envie. Si j'arrive à avoir ce désir qui arrive en moi et qu'il y a quelqu'un que j'ai vraiment envie de photographier, je vais aller la voir, cette personne. Alors comme c'est une chambre 4-5, c'est assez léger malgré tout. Enfin, léger. L'ensemble est lourd, mais je peux soulever mon trépied et faire 30 mètres en disant, voilà, il n'y a aucun problème. Donc je me balade un peu. En général, je posais ma chambre à un endroit, puis un quart d'heure après, je me déplace un peu. Enfin, il n'y a pas de... de structure, mais il y a une petite chorégraphie comme ça, entre les gens qui sont présents, le soleil, le feng shui de la place à ce moment-là, et puis voilà, et puis j'arrête les gens, je dis excusez-moi, est-ce que je peux prendre une photo ? Et c'est très très simple, et ça se passe pas au niveau du langage en fait. Comme je l'ai dit plus tôt, il s'agit pas pour moi de convaincre, soit la personne est d'emblée confiante, soit elle ne l'est pas, mais j'essaye pas d'embarquer avec moi quelqu'un qui serait réticent. En fait, c'est une chose, quand je disais que les photographies sont prises avec le corps, c'est assez étonnant pour moi de voir, quand on regarde les photographes de rue, à quel point leur image et leur corps se répondent. Une vidéo de Henri Cartier-Bresson, on voit ce grand type en même temps très distant, et puis ses gestes un peu aristocratiques, et qui ne se mêlent pas en même temps, et on ne peut pas ne pas y penser. Et puis on voit Gary Winogrand, effectivement, avec un appareil sur son ventre un peu rond, qui fait semblant pas savoir si ça marche. Et en fait, il y a une ironie et un humour en rapport entre la présence de Winogrand, cette espèce de... ce côté en même temps foutraque et précis qu'on retrouve dans la composition, qu'on retrouve dans l'image. Et ça, c'est intéressant. Il y a un vrai écho, je trouve, entre une présence physique du photographe et la présence physique de ce qu'il photographe. Comment la chose est photographiée à l'intérieur. Et moi, je vole pas. Je l'ai fait un peu, évidemment, comme tout le monde, mais ce n'est pas mon but. Alors, ce n'est pas une question de jugement moral. Il peut y avoir des photographes qui vont trouver que les gens qui sont photographiés, en sachant qu'ils sont photographiés, j'ai déjà entendu ça, ils se ressemblent tous. Moi, je trouve que c'est exactement l'inverse. Pour moi, un vrai portrait, il y a quelque chose de l'ordre de l'accord ou du partage, il y a une profondeur psychologique dans le regard échangé ou dans l'arrêt sur un temps long qu'on ne retrouve pas. Quand quelqu'un traverse la rue en sortant son téléphone portable, j'ai l'impression que les gens qui sont plongés dans leur pensée quotidienne se ressemblent tous, alors que quand ils regardent à la caméra, là, chacun a sa personnalité d'une manière extrêmement forte. Et donc, c'est une des raisons, si ce n'est la raison principale du fait que je ne vole pas, c'est parce que si je le fais, ce que je vois dans l'image ne m'intéresse pas particulièrement. C'était la grande commande photojournaliste qu'il y a eu peut-être en 2022. Ça, c'est quelque chose... Alors, le projet apparaît comme... Le travail apparaît comme fini parce qu'il a été rendu pour une commande, mais en fait, c'est vraiment... Pour moi, c'est qu'au début. Et c'est un autre rapport au portrait. C'est-à-dire que pour moi, tout fait sens, le moindre détail, y compris dans un portrait, le t-shirt, la position des mains, etc. Mais une autre manière de rentrer, encore une fois, il ne s'agit pas d'être voyeur, où je ne prétends pas pouvoir dire quelque chose à propos de quelqu'un. Une image, ça n'est jamais qu'une image, il faut accepter cette contrainte. Je pense qu'il ne faut pas la charger en métaphore ou en symbole, ça ne sait pas du tout mon... ou en signification, ça doit rester assez léger, mais... Un intérieur, je trouve que c'est quelque chose de fascinant dans ce que ça peut dire à la fois à nouveau de très intemporel, et notamment, j'avais choisi les chambres à coucher parce qu'il y a ce rapport au sommeil. Une chose que nous partageons tous, sans aucun doute, c'est que nous devons dormir et que nous dormons, tout le monde. Et donc là, il y a quelque chose de très commun, presque plus que dans n'importe quelle autre pièce de la maison. Ce rapport très intime, très répété à quelque chose, et en même temps, chacun des éléments. qui décore ou ne décore pas cette chambre fait sens. Pour moi, c'était vraiment la question du portrait sans le visage. Et en même temps, un petit élément de challenge, parce que je me suis dit, tu arrives à arrêter quelqu'un dans la rue pour faire son image, mais est-ce que tu arriverais à te faire inviter chez lui ? C'est beaucoup plus compliqué. C'est dur d'ailleurs. C'est pour ça que je dis que je suis loin d'avoir fini, parce que je n'ai pas à épuiser cette question à la fois de comment montrer ses intérieurs, et puis... de comment les faire. J'ai sorti ce sujet au moment de cette commande parce que je me disais que c'était l'occasion. C'est vraiment un premier pied dans la porte. Et j'aspire à faire plus d'images d'intérieur comme ça. beaucoup photographié autour de l'échangeur de Bagnolet, qui est le travail que j'espère de finir. Et je suis de plus en plus à la recherche de lieux qui permettent de faire un portrait. En tous les cas, quand la question du portrait est centrale, qui permettent de faire un portrait. Qu'il soit à la fois des lieux qui ne soient pas trop chargés. C'est-à-dire que jusqu'ici, je n'ai jamais fait de travail délimité dans un cadre très précis. On pourrait penser aux hôpitaux, les ceci. Il faut que ça reste quelque chose de commun. pour moi, pour l'instant, et en même temps où un travail de portrait soit possible, dans des conditions qui soient bonnes, et il y a une passerelle enfin, il y a plusieurs ponts au-dessus du périphérique mais il y a un endroit, pas très loin de chez moi ça aussi c'est important, je veux pouvoir travailler tous les jours, enfin le plus souvent possible et il y a un pont au-dessus du périphérique que j'avais repéré depuis un certain temps parce qu'il y a des gens qui passent dans un endroit un peu... l'échangeur de Bagnolet c'est une grande structure de béton, gigantesque c'est un projet Merci. absurde au moment de sa conception même, hyper polluée, qui, je trouve, c'est vraiment le règne de l'utilitaire dont l'utilité elle-même devient de plus en plus évanescente. Il y a quelque chose qui me semble très bien décrire l'emprise que la technologie peut prendre au point de faire disparaître l'humain. L'objet initial, c'est d'être au service de l'humain et le résultat pratique, c'est que l'humain disparaît. Et ça, je trouve ça vraiment... Ça me touchait, puis je me disais en plus, ma fille grandit à côté de ça, c'est son paysage. Et en même temps, c'est un vrai paysage. C'est-à-dire que quand on est des hauteurs du plateau de Belleville, il y a une trouée vers Vincennes, et c'est l'endroit où on voit loin, et c'est un endroit vide. Il a été vidé de tout, justement, par cette immense chape de béton. Et paradoxalement, ça produit aussi la possibilité d'une contemplation qu'on n'a pas ailleurs. Il y a un côté bord de mer. C'est le bruit des bagnoles, mais c'est un... Mais il y a un côté bord de mer, il y a le ressac, il y a du vent, il y a plus de lumière. Et là, sur ce pont-là, les gens passent, mais ils passent à un rythme lent et irrégulier, dans ce paysage singulier et en même temps qui permet une intimité. C'est-à-dire que si j'arrête quelqu'un pour prendre sa photo, il n'y a personne d'autre. Mais ce n'est pas spécialement inquiétant, mais il n'y a personne d'autre. Et donc, je suis à la fois très en lien avec tous ces éléments qui font sens pour moi et que je peux décrire. Et en même temps, j'isole vraiment quelqu'un, sans avoir des gens qui passent autour. Alors je photographie avec un angle un peu plus large, puisque cette fois-ci j'ai la place pour le corps, et l'arrière-plan est moins gênant, au contraire il est très intéressant. Je le fais avec une chambre 8-10, donc c'est un plus gros... Là je suis vraiment fixe. Vraiment, je ne déplace pas, c'est lourd, c'est vraiment les gens qui passent devant moi. Mais ça me permet de montrer plus de la personne, plus du corps, plus d'arrière-plan, dans des conditions qui me semblent... exceptionnelle du point de vue des possibilités de prise de vue et aussi exceptionnelle du point de vue de la richesse sociale des gens qui passent. Parce que c'est un endroit plus dur, plus âpre. mais qui reste très mélangé, où il y a quand même toutes sortes de profils. Et donc on voit un autre Paris, et à nouveau sans segmenter ou découper ou ne s'intéresser qu'à une tranche. Ça reste, voilà, il y a plus de gens qui ont une vie plus dure qu'à Place de la République, mais ça reste ouvert, et en même temps, du fait de cette présence du corps, de cet espace et de la sociologie, je trouve que les gens sont encore plus... plus singulier. Il y a quelque chose de... C'est rare de faire un portrait qu'on a envie de regarder plusieurs fois. C'est quand même assez rare. Et c'est pour ça que je continue à photographier énormément, c'est parce qu'il y a peu d'images. Mais celle qui reste, ça peut être extraordinairement parlant. Il y a quelque chose, il y a une densité dans juste... La position des mains, la position des épaules... ce qui passe à travers un regard que je trouve bouleversante et presque... Oui, ça peut m'arriver devant mon bac de révélateur d'être à la fois ému et de me dire « Oh ! Merde, j'ai tout ça ! » Sur l'image, il y a tellement... Pour Bagnolet, ce pont sur les changeurs, il y a tous ces éléments qui se combinent très très bien. Et en même temps, je travaille plus sur cette question de tentative d'épuisement d'un lieu. Dans le sens où il y a des portraits, mais il y a aussi deux ou trois travaux simultanés, au 24-36, spécialement sur les formes, les ombres, les blocs de béton, puis des travaux de paysage au moyen format. Et j'ai aussi, de manière très inattendue, recommencé à dessiner. Donc je suis en train d'accumuler des... Et je dessine beaucoup en me servant de l'échangeur comme base, justement dans ces éléments très graphiques. Et là... Un jour, il faudra couper dans l'art et puis ça restera peut-être que 20 ou 40 images. Mais il y a quelque chose d'à la fois beaucoup plus systématique encore que Place de la République et beaucoup plus presque multimédia, où ces ensembles de portraits sont construits en dialogue avec d'autres éléments. Et c'est un dialogue un peu paradoxal parce que ces portraits-là, c'est ce qui reste. Le lieu est quasiment dans un rapport de prédation à l'humain. Je ne peux pas assimiler l'un à l'autre. C'est-à-dire que les portraits sont les choses qui me touchent et le reste, c'est un désert. Mais c'est un désert avec un élément d'ambiguïté, y compris dans la beauté des formes qui peuvent en ressortir sous certains aspects. Quand je parle de désert, c'est aussi un endroit où je peux effectivement être profondément seul. Parce qu'il y a deux ou trois branches de route qui sont abandonnées. Et donc, quand on est là, il n'y a rien. personne ne peut. pas, c'est des lieux qui ont perdu tout usage. C'est assez étonnant de se retrouver au cœur de la ville, au cœur d'une activité intense, sur une bretelle à l'abandon. Il y a un photographe japonais qui s'appelle Miyamoto qui a beaucoup travaillé sur la ruine et qui dit que quand un bâtiment a perdu son usage, c'est pourquoi il a été construit. C'est le moment où il rentre dans l'existence pour lui-même. Je trouve un peu de ça à cet endroit. Ça se sent quand j'en parle. Je suis encore perdu dans la fascination entre ces différents aspects.

  • Speaker #1

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Il y a des images qu’on croit comprendre immédiatement. Elles semblent simples, presque évidentes. Et puis, lorsqu’on s’y attarde vraiment, elles se mettent à changer. Elles glissent, elles se déplient. Elles révèlent une profondeur discrète, une ambiguïté douce, une complexité qui ne cherchait pas à se montrer.


Les photographies de Thomas Boivin ont précisément ce pouvoir-là. Elles ne s’imposent pas, elles s’installent. Elles se regardent lentement, à plusieurs reprises, en y découvrant chaque fois une nouvelle nuance.

Thomas est un portraitiste qui regarde sa ville en partant de celles et ceux qui l’habitent. De Belleville à Ménilmontant, jusqu’à la place de la République, ses livres composent un Paris intime, un Paris qui ne se donne pas frontalement mais qui se laisse approcher, frôler, apprivoiser.


Ce qui frappe dans son travail, c’est cette manière d’habiter ses sujets. Tout semble né d’une patience profonde, d’un rapport au temps long, de cette lumière précise que lui offre la chambre grand format qu’il utilise assez souvent. On sent une attention rare, presque silencieuse, qui traverse ses images.


Et puis il y a Thomas lui-même : une voix douce, posée, un regard exigeant mais sans dureté. Il s’exprime comme il photographie, avec prudence, avec mesure, comme si chaque mot devait respecter la personne ou le lieu dont il parle. Passer un moment avec lui a quelque chose d’apaisant, presque méditatif. J’espère que cet épisode vous plaira également. Bonne écoute.


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  • Speaker #0

    production noyau studio. Il y a des images qu'on croit comprendre immédiatement. Elles semblent simples, presque évidentes. Et puis lorsqu'on s'y attarde vraiment, elles se mettent à changer. Elles glissent, elles se déplient. Elles révèlent une profondeur discrète, une ambiguïté douce, une complexité qui ne cherche pas forcément à se montrer. Les photographies de Thomas Boivin ont précisément ce pouvoir-là. Elles ne s'imposent pas, elles s'installent. mais elle se regarde lentement, à plusieurs reprises. Et on y découvre à chaque fois une nouvelle nuance. Thomas est un portraitiste qui regarde sa ville en partant de celles et ceux qui l'habitent. De Belleville à Ménilmontant jusqu'à Place de la République, son dernier projet. Ses livres composent un Paris intime, un Paris qui ne se donne pas frontalement, mais qui se laisse s'approcher, frôler, apprivoiser. Ce qui frappe dans son travail, c'est cette manière d'habiter ses sujets. Tout semble né d'une patience profonde, d'un... temps long, de cette lumière précise que lui offre la chambre grand format qu'il utilise assez souvent. On sent vraiment cette attention rare, presque silencieuse qui traverse ces images. Et puis il y a Thomas lui-même, une voix douce posée, un regard exigeant mais sans dureté. Il parle comme il photographie, avec prudence, mesure, comme si chaque mot devait respecter la personne ou le lieu dont il parle. Passez un moment avec lui à quelque chose d'apaisant, presque méditatif. J'espère que cet épisode vous plaira également et je vous souhaite une très bonne écoute.

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    Salut c'est Aliocha, vous écoutez Vision, le podcast qui donne vie aux images.

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    Chaque année, MPB fait recirculer plus de 570 000 articles d'occasion, ce qui tout simplement prolonge la vie, le potentiel créatif des équipements photo et vidéo pour les photographes et vidéographes du monde entier. Et surtout, c'est tout à fait fiable et très simple d'utilisation. Chaque appareil photo ou vidéo est soigneusement inspecté par l'équipe produite de MPB avant de vous être envoyé. Voilà, il y a un lien pour tester MPB directement sous le podcast, peu importe la plateforme que vous utilisez ou sur notre site vision.photo. Bonne écoute.

  • Speaker #1

    Il y a une image qui m'a, je pense qui a été déterminante dans ma manière de travailler pendant très longtemps et j'en parle volontiers, c'est une influence qu'on peut percevoir d'ailleurs dans mon travail. Je pense que ça doit être en 2011, je suis rentré à... Je m'intéressais à la photographie, je commençais à vouloir être photographe, mais de manière assez flottante, peut-être 2010, 2010, de manière assez indéterminée. Et puis, j'avais pas un rond, je suis rentré à Offprint, en me disant, tu viens avec rien sur toi parce que tu peux rien acheter. Première table à droite, il y avait un libraire qui avait la dernière copie. de Greater Atlanta de Mark Steinmetz. Et j'ai ouvert le livre, j'ai tourné deux pages, et j'ai dit, mais il s'était signé, c'était déjà épuisé, il m'a dit, c'était déjà un peu cher. Et je lui ai dit, écoutez, gardez-le-moi, je cours au distributeur. Et l'image qui m'avait vraiment particulièrement marqué dans ce livre, c'est une image toute banale, qui n'est jamais spécialement mise en avant. C'est une jeune femme sur un banc, penchée en avant, qui se tourne vers le photographe avec un... Un espèce de sourire timide comme ça, je trouvais très très beau. Et ce qui m'a frappé, c'est pas l'image dans sa construction, dans son équilibre, c'est la relation entre le photographe et la personne photographiée. Ça m'a transpercé, je me suis dit « waouh, c'est possible de faire ça » . Et on sent dans ce livre, alors je sais pas quelle est l'histoire derrière cette image particulière, j'en ai aucune idée à vrai dire, mais peut-être qu'il s'agit là de quelqu'un que le photographe connaissait. Mais en général, on sent dans ces livres que ce sont des inconnus. Je me suis dit, en fait, c'est possible de rencontrer quelqu'un pour une photographie et d'avoir quelque chose d'aussi doux et chaleureux. Et ça m'a vraiment beaucoup touché. Et j'ai décidé que je ferais ça. J'étais déjà engagé dans un parcours de photographe, mais c'est ce qui a déterminé, ce qui a été mon but pendant des années, c'est d'arriver. dans un espace public avec des gens que je ne connaissais pas, à avoir l'espace d'un instant, cette qualité de relation dans l'image. Je suis Thomas Boivin, photographe. J'ai peu de choses à dire sur mon enfance. Je n'ai pas souvenir d'avoir une relation spécifique aux images, et surtout pas à la photographie. C'est vraiment... Avant de décider d'être photographe moi-même, je crois que je n'avais aucun intérêt pour la photographie. J'ai fait une école d'art, ou deux même, mais plutôt tourné vers le dessin, et j'ai séché tous mes cours de photographie. Donc voilà, ça c'est... Notamment parce que... Quand je suis rentré au Beaux-Arts, on fumait encore dans les classes et l'atelier photo, c'était vraiment terrible. Avant mes études, j'ai grandi une bonne partie de mon enfance en Afrique, avant de rentrer en France. Et puis, comme je disais, j'ai fait des études plutôt tournées vers le dessin. Je voulais faire de la bande dessinée expérimentale. Et j'ai découvert la photographie par hasard à la fin de mes études. En fait, en réalité, c'est tellement éloigné de ma pratique, mais en faisant des canulars. en photographiant des choses qui n'existaient pas, pour faire des blagues avec un ami, qui est lui-même maintenant dessinateur de presse. Et au départ, quand j'ai commencé à m'intéresser à la photographie, je m'en servais comme une récréation. C'est-à-dire que j'étais à ma table de dessin toute la journée, il fallait que je sorte pour m'aérer. Et j'avais pris l'habitude de sortir deux fois par jour, d'avoir un rouleau tous les deux ou trois jours, de le développer. C'était ma balade quotidienne. Et petit à petit, je me suis senti... plus à l'aise dans cet exercice-là que je pensais être mon travail. Et c'est comme ça que j'ai changé vers 26, 27 ans. J'ai décidé de devenir photographe alors que ce n'était absolument pas mon ambition au départ. Ce qui m'intéressait, ce que je voulais arriver à faire, c'était un rapport au lieu dans lequel je me trouvais et un rapport aux gens beaucoup plus... que la description spécifique d'une situation ou d'un type ou d'une action. Pour des raisons en partie très intérieures, très personnelles, j'avais envie d'être photographe, c'était quelque chose d'important pour moi, et j'avais envie d'avoir ce rapport prolongé, profond à un espace et d'être capable de rentrer en relation. Et alors quand je dis rentrer en relation, c'est très bref. Je parle très peu avec les gens que je photographie, j'explique le moins possible, mais c'est d'être capable de susciter cette confiance et d'avoir des images qui soient des espèces de portraits psychologiques. Une des choses qui m'intéressait, c'était que je me disais, quand on traverse une rue, surtout une rue de Paris, où il y a tellement de gens, on croise énormément de regards, qu'on peut... pas regarder plus d'une seconde et demie parce que ça devient impoli et je pense que j'avais envie de m'arrêter sur chacune de ces personnes et c'est une chose que la photographie fait très bien, c'est exactement ce qu'elle fait, de figer cet instant et de permettre avec cette image arrêtée de se pencher sur l'apparence, sur la pure présence d'une personne à un moment donné et de prolonger cette rencontre. J'ai toujours trouvé ça très puissant. Je l'ai trouvé très puissant dans le travail de certains autres photographes. Je voulais arriver à faire ça. Et c'est vraiment ce qui m'a occupé pendant longtemps. C'était d'être capable de le faire, sachant que pendant un an et demi, je rentrais chez moi tous les soirs en me disant, t'as pas osé demander à telle personne, je comptais les gens à qui je n'avais pas osé demander de faire leur photographie. Aujourd'hui, mon travail, comme j'ai un peu passé cette étape, mon travail a évolué, mais au départ, toutes les questions étaient autour de la rencontre. Du lieu et de la rencontre comme une expérience sensible et pas une expérience intellectuelle. D'ailleurs, il ne s'agit pas de prétendre d'écrire une personne hors de l'image. Tout se passe dans l'image. Je pense que c'est le cœur de mon travail pendant assez longtemps. Le livre Belleville, pour moi, ce sont les images d'un apprentissage. Ce n'est pas un travail qui est structuré, ce n'est pas un travail qui a été pensé comme un travail. C'est vraiment un récit visuel des images de mon produit en essayant d'apprendre à faire ces images-là qui m'avaient tant touché chez d'autres. Notamment dans la photographie britannique ou nord-américaine, qui arrivent à produire des images qui soient à la fois très rigoureuses. très réussie sur le plan formel, très bien cadrée, très bien produite, et en même temps très sociale, tout en gardant des images qui fascinent d'abord, par leur qualité pure, et qui suscitent le commentaire sans le mettre en avant. comme justification, comme description première. Et ça, c'était ce qui me plaisait le plus. Belleville a été publiée en premier. En fait, Belleville s'appelle Belleville parce que je me suis installé à Ménilmontant en 2009, à peu près au moment où j'ai décidé de... Je suis passé de dessinateur à photographe, enfin, en fait, pile à ce moment-là. C'est vraiment tous ces jouets autour d'un changement d'adresse. Et j'ai assez rapidement décidé que je sortirais tous les jours, que je sortirais tous les jours le plus longtemps possible, et j'ai fait à peu près la même marche jusqu'à mon déménagement qui est fin 2017. Donc pendant quasiment 9 ans, j'ai tourné autour de Belleville presque tous les jours. Donc je partais de Ménilmontant, je traversais le parc de Belleville, qui n'est pas le parc des Butchomont, je redescendais vers la station de métro Belleville, je prenais un café ou je... Et puis, je remontais par le parc des Butchomont, je descendais jusqu'au bord du canal, et je faisais tout un tour par le 10e et le 11e jusqu'au bas de la rue Oberkamp avant de remonter. Et donc le centre, c'était Belleville, et c'était l'endroit où je prenais le plus de café, on va dire. Et donc j'ai appelé Belleville, Belleville pour ça, mais si vous regardez Ménilmontant, je l'ai appelé Ménilmontant comme un pendant, un peu plus personnel, avec un peu plus d'amis à l'intérieur. Enfin, avec des amis, alors que ce n'est pas le cas pour Belleville, pas vraiment. Mais il y a autant de Belleville, d'un point de vue strictement topographique, il y a autant de Belleville dans Médilemontant que Médilemontant dans Belleville et inversement. Donc c'est des panoramas intérieurs, c'est pas la description spéciale d'un endroit, pour cette raison que Belleville n'est pas un travail sur Belleville. C'est un travail autour de Belleville et qui décrit, je pense, assez bien une certaine ambiance. En tous les cas, je suis toujours très heureux quand des gens reconnaissent le quartier à travers mes livres, mais... Je prétends ni à la description, ni à la scrupuleuse, ni à l'objectivité. D'ailleurs, c'est un Belleville de jour. Toutes ces années-là, je ne sortais pas la nuit. Je suis toujours choqué quand je vais à Belleville la nuit, parce que j'avais l'impression que c'est très étrange d'avoir une relation de proximité aussi forte avec un lieu. Et à deux heures près, c'est plus le même. Et il a tellement changé que c'est une surprise. Comme j'avais à peu près raté ma carrière de dessinateur, je m'étais dit, bon, t'as une deuxième chance avec la photographie, mais t'en auras pas de troisième, il va falloir que tu sois un peu plus sérieux. Donc au départ, c'était une discipline. Je me suis dit, tu sors, tu essayes. Donc il y a eu une année et demie, deux années, trois années de discipline et de tentative. Là où les choses se passent bien, sont bien passées, c'est que je pense que c'était effectivement aussi mon caractère, assez contemplatif, assez lent dans ce rapport. Et j'ai trouvé... Quelque chose de très agréable dans cette routine qui s'est mise à structurer ma vie. Et donc ce qui était au départ vraiment pensé par rapport à un but, notamment celui d'arriver à photographier des gens, et d'où ce trajet qui passait beaucoup par les parcs, parce que c'est un endroit où c'est plus facile de photographier un inconnu, des espaces qui sont déjà par nature contemplatifs, un peu plus vides. Si on regarde une histoire... La photographie spontanée de gens en extérieur, le nombre de photographes qui ont commencé par des parcs ou par les enfants, est très important. Et en fait, ce n'est pas parce qu'ils étaient spécialement fascinés par les parcs ou par les enfants, c'est parce que les enfants vont très facilement vers l'objectif. Enfin, aller, aujourd'hui c'est différent, mais on les trouvait en abondance dans l'espace urbain et ils allaient vers l'objectif. Et puis, le parc, c'est déjà un endroit où... au cœur de la ville, mais où la vie est plus lente, où on a le temps de voir arriver l'autre, où l'autre est dans de meilleures dispositions. Donc j'étais structuré beaucoup autour de ces lieux de manière intuitive. C'est seulement après que je me suis dit, ah oui, Passing Through Eden, c'est un parc, et Yorana Park, c'est un parc, et puis on peut dérouler comme ça le nombre d'exemples. Et ensuite, oui, c'était une tentative d'épuisement. Je ne sais pas si on peut dire ça dans le sens où ce que j'essayais... D'épuiser, ce n'est pas le lieu, c'est ma fascination pour le lieu. Ce n'est pas le lieu en lui-même. Et Paris est déjà... Le trajet que j'ai décrit, je pense qu'il doit y avoir 200 000 personnes qui habitent à cet endroit-là, sans compter tous ceux qui passent et qui déménagent. La course du soleil n'est jamais la même. Vous avez des rues d'hiver, des rues d'été, des rues de printemps, suivant l'axe du soleil. Si on y rajoute que la météo change... C'est assez rare de passer deux fois dans la même rue d'une certaine manière. Et il y a tout un tas d'images que je fais qui tiennent par la lumière, et c'est une fois. Peut-être je suis passé trois fois, enfin vous voulez, je suis passé cinq fois par semaine pendant cinq ans dans cette rue. Et le moment où ce détail prend la lumière de cette manière, c'est une fois. Donc ce qui détermine le fait que je m'en vais, ça va être des événements de ma vie. En fait j'ai arrêté de photographier Belleville et Ménilmontant quand j'ai déménagé. J'ai un petit peu continué, mais voilà, ça a disparu. Et puis, par exemple, l'épuisement de ma fascination, mon désir de photographier d'une certaine manière. Mais le lieu, lui, je le trouve toujours... Je le trouve jamais... J'ai jamais l'impression d'en avoir fait le tour. Alors, il y a deux choses. J'ai du mal à isoler une image en particulier, et je pourrais parler de toutes. L'autre, c'est... que le portrait est très important pour moi, et en même temps, l'image de quelqu'un, c'est quelque chose qui me semble valoir le coup quand c'est silencieux. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de texte pour l'instant dans mes livres, j'en mettrai dans le prochain, parce que c'est toujours une immense, j'ai une très grande hésitation à rajouter des mots sur la présence de quelqu'un. C'est-à-dire que je peux décrire l'image, sa construction, etc., mais... L'espèce d'accord moral que j'ai avec quelqu'un, c'est que je vais essayer de... Je vais photographier une présence à un certain moment, sous une certaine lumière, mais je ne vais pas caractériser moi cette présence avec des mots en disant « ben voilà, ça c'est quelqu'un comme ça » ou « c'est quelqu'un qui fait ça » . Je trouve que la photographie a vraiment ce qu'elle a d'extraordinaire, c'est de pouvoir montrer sans dire. Et donc, je résiste toujours à l'idée... de décrire un portrait que j'ai fait, en tous les cas, de décrire la personne qui est dans ce portrait, et de lui donner aussi une identité particulière. Donc la question, quand on me demande de parler d'images, je peux plus facilement parler d'images que je n'ai pas faites, ou d'images que je n'ai pas mises dans le livre, mais qui ont eu un enseignement pour moi. Là, je peux donner deux, trois anecdotes qui ne sont pas à nouveau rentrées dans l'image, mais par exemple, je marchais vers la rue de Crimée, Et je vois une jeune femme, avec un voile négligemment posé sur la tête, accoudée à la rambarde d'une fenêtre de rez-de-chaussée d'un hôtel miteux, et une jeune femme noire. Et je me dis, c'est tellement cette partie du 19ème. Et je lève mon appareil photo vers elle, en la regardant, ce qui est une demande muette, est-ce que je peux faire cette photographie ? J'ai une réponse humaine également, qui me dit oui, je fais la photo, vraiment en me disant mais qu'est-ce que c'est typique. Et puis ensuite je suis allé parler avec elle et c'était une prof de yoga du Colorado. Et donc ça c'est vraiment une chose importante pour moi. Tout ce qui, voilà, c'est l'image et elle peut servir de point de départ en écho à des situations. Mais moi je vais avoir beaucoup de mal à vous parler de quelqu'un qui est dans cette image. Une autre anecdote, j'expliquais ça à quelqu'un, place de la République, où j'ai photographié pendant des années à la chambre. Je lui dis, voilà, moi je voudrais faire un... On me demande, qu'est-ce que vous faites ? J'avais demandé à quelqu'un si je pouvais prendre sa photo, et il me demande ce que je vais en faire, et je lui explique que ce serait peut-être un jour un livre d'images, avec une collection de portraits, mais qu'il n'y aurait pas de texte, et que je ne mettrais pas son nom, je ne dirais pas qui il est. Et j'explique ça, je ne sais plus très bien comment, et il me dit, mais en lui disant qu'il y a quelque chose dans l'image qui est à la fois fixée et en même temps insaisissable, mais que je ne veux pas prendre partie dans ce... Il me dit, ah c'est vrai, je comprends, c'était un livreur des livres roux. Il me dit, ben je suis en train de fumer une cigarette. Si vous prenez une photo de moi, on verra moi en train de fumer une cigarette. Mais peut-être que c'est ma première cigarette, peut-être que c'est juste une cigarette. et peut-être que c'est ma dernière cigarette. Et ça n'a pas du tout la même... Voilà, c'est pas du tout la même chose. J'étais tellement content d'entendre ça. Il a compris immédiatement, oui. Et ce fil-là, pour moi, il est d'une grande importance. Au début, j'ai accumulé... dans une absence de soins total. C'est-à-dire que ce qui m'intéressait, c'était de mettre en place C'était un rythme, c'était un rapport au monde, donc tout était tentatif. Et j'ai gardé un peu ce côté-là, où j'essaye de garder les choses le plus légères possible. Donc à la fois je m'attache énormément aux résultats dans la phase de tirage, mais le reste avant, il faut que ce soit le plus léger. Donc ça m'est déjà arrivé plusieurs fois d'ouvrir des boîtes, de cramer tous mes négatifs, et j'essaye de faire en sorte qu'il n'y ait même pas d'émotion. D'ailleurs quand je demande à quelqu'un « est-ce que je peux prendre votre photo ? » , si je vois que la personne hésite, je lui dis « vous savez, vous... » Si vous hésitez, c'est nous. J'essaye de garder les choses très simples et j'ai commencé comme ça, en me libérant du poids du résultat. Donc on y accorde un peu d'importance, ce qui fait que j'avais énormément de négatifs pas classés, mal archivés. Et puis, quand j'ai commencé à être un peu plus content de ce que j'ai fait, oui, j'ai commencé à faire des planches contact, numériques, ce qui fait qu'aujourd'hui j'ai de grandes archives, qu'elles sont très accessibles. Et que je les re-regarde énormément. Pour Belleville, ça a été un grand... J'avais besoin d'un éditeur. Parce qu'on aurait pu faire un livre comme on aurait pu en faire 3 ou 4. Mais je ne savais pas quoi faire avec ça. En plus, j'avais tout un tas de formats différents. Donc il y a du carré, il y a des rectangles. Je me disais, est-ce que je fais un livre par format ? J'étais noyé. Et à mon éditeur, je leur ai envoyé je pense 500 photos. Parce que j'étais perdu dans cette masse. Et puis... Voilà, on l'a réduit à 50, mais moi-même, ça, c'était un truc que j'avais beaucoup de mal à faire pour ce travail-là. Alors que Ménilmontant, c'est l'inverse. Je suis allé chercher précisément, justement, dans mes archives, une petite trentaine d'images qui ressemblaient à une certaine atmosphère que je n'avais pas traitée dans l'autre livre, donc qui ne se répéterait pas, ou le moins possible. Et je lui ai donné, à mon éditeur, et il a fait le choix d'en enlever 8. Enfin, voilà, c'était... beaucoup plus serré, plus intime. Un peu plus sombre, plus près de l'ombre, alors que Belleville est du côté de la lumière. Plus près de l'intérieur, et plus près de l'intimité. Sans que ce soit une décision radicale, c'est-à-dire qu'il y a de l'extérieur, mais on est sur des matins moins lumineux, on est sur des ambiances comme ça, dans une ombre un peu douce, un peu chaude, en même temps, qui était très absente Belleville, et qui faisait partie de choses aussi, je pense, qui me plaisait beaucoup, mais que j'avais eu tendance à laisser de côté. Par exemple, les natures mortes. Tous les cas, les natures mortes d'intérieur, ça m'a toujours plu. Et en même temps, je me disais, attends, garde tes yeux sur la balle. Et la balle, c'est le portrait en extérieur. Toute mon énergie était là-dedans pendant très longtemps. Parce que je n'y arrivais pas. Pour moi, je n'étais pas encore là. Et c'est une des choses qui peut évoluer dans le rapport aux archives, justement. C'est le moment où on se dit, OK, ce but que je m'étais donné, quelque part, tchac ! Alors, ce n'est jamais un rapport d'accomplissement. Pour moi, tout est quand même de l'ordre de l'échec avec des degrés. Mais il y a quand même des moments où on se dit « Ok, ça, j'y arrive un peu mieux » . Et donc, ça libère de la place pour considérer d'autres images, pour la volonté se déplace, la sensibilité aussi. Et on peut réaccueillir des images qu'on a faites, qu'on a faites parce qu'on voulait les faire, mais qu'on n'a pas regardées parce qu'elles ne correspondaient pas aux préoccupations du moment. Et c'est vraiment le cas de Ménilmontant. Parce que je parlais beaucoup de la photographie américaine, c'est déjà... On se rapproche justement un peu de quelque chose d'un peu plus... Un peu plus européen, pour moi. En se déplaçant justement sur l'intime. Le premier appareil que j'avais acheté, c'était un digital. Et j'ai très vite voulu m'en débarrasser. Bon, c'était une époque où c'était pas non plus si satisfaisant que ça. Et je l'ai revendu pour un Leica à l'époque. Parce que... Pour moi, les photographies sont prises avec le corps. Et il y a un rapport avec le fait de photographier des gens qui sont aussi des corps. Et je crois que j'étais assez attentif ou sensible à l'idée d'avoir un objet qui ne soit pas plus intelligent que moi et pas plus rapide que moi. Et donc, tout ce qui participait de cette lenteur, mettre son film, déclencher les trois premières fois, apprendre à connaître la lumière sans cellules. et donc à la fois réduire le nombre de gestes et de possibilités, et en même temps, pour chacun de ces gestes, être capable de comprendre ce qui se passe et de faire ses propres erreurs. Et on en fait beaucoup. Ça, c'était très important. Ça me mettait dans un rythme et un rapport qui étaient justes par rapport à ma vitesse à moi, déjà. Essayer de développer une sensibilité à une présence physique et le transformer en quelque chose de profondément immatériel, c'est un peu contradictoire. Alors que le fait d'avoir un négatif, qui est l'empreinte de la lumière directe. On peut discuter sur les mots, parce qu'évidemment, il y a un rapport entre un fichier et un enregistrement. Mais là, il y a quelque chose de tangible qui participe de l'importance. de cet événement qu'on a voulu enregistrer. Donc, sans théoriser là-dessus, parce que ce n'était pas mon objet, j'ai senti que c'était ce dont j'avais envie et que c'est ce qui me permettrait d'avoir l'attention que je voulais avoir. Et puis ensuite, il y a la deuxième partie, qui est arrivée plus tard, mais qui est celle du tirage, qui, je trouve, est encore plus importante pour moi et du même ordre, c'est-à-dire... Elle me force à passer beaucoup de temps. Une chose importante, je crois, c'est de ne pas pouvoir faire n'importe quoi. C'est-à-dire qu'un négatif, effectivement, ça se travaille à l'agrandisseur, mais vous ne pouvez pas tirer des courbes. On ne peut pas se dire, ok, plus bleu le ciel, pof. Il y a une limite. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles on peut jouer, et en même temps, il y a une limite. Et cette limite, elle force la sensibilité à trouver la beauté dans ce qu'on peut faire. Et je trouve qu'elle... On peut très facilement se perdre quand on est tout puissant. Et à force de vouloir embellir une image, peut-être à première vue, elle a l'air très réussie, mais en fait, elle s'est tellement éloignée du réel. Et paradoxalement, l'argentique garde cette qualité d'être proche de la mémoire, d'être proche de résister à la main et d'obliger à faire des concessions qui la rendent plus fragile, qui rendent l'image toujours plus fragile, plus touchante, et puis qui sont aussi le fruit d'un artisanat. Enfin, tout ça fonctionne ensemble. Sans compter le fait qu'en tous les cas pour un tirage noir et blanc, on a quand même des profondeurs qu'on ne trouve pas avec une impression. Mais pour moi, la défense la plus sérieuse pour moi-même de ma manière de travailler, c'est que c'est celle qui me rend heureux. C'est-à-dire que si je suis dans mon labo pendant 8 heures à essayer de faire l'image la meilleure, j'ai un sentiment de satisfaction quand je pense avoir à peu près réussi que je n'ai pas. Si je suis devant un ordinateur et que j'aligne des courbes et que j'imprime pour voir si... Le résultat pourrait être strictement équivalent, voire meilleur. Je ne me sens pas partie prenante de la même manière. Et ça, c'est important. Je suis arrivé à la photographie à un moment béni, puisque c'est autour des années 2009-2010, où l'argentique était en pleine perte de vitesse, avec une surproduction phénoménale, et donc le commerce mondial bouleversé par l'arrivée des... Et en fait, il y a eu un moment où il y avait beaucoup trop de pellicules, et on pouvait acheter, pour moins de 2 dollars, avec un taux de change très favorable, un film aux Etats-Unis. J'ai commencé en commandant des centaines et des centaines de rouleaux qui ne me coûtaient vraiment pas cher. Et ça, je pense beaucoup aux gens qui commencent la photographie aujourd'hui. Pas du tout le même rapport. Enfin, un film à 8,90 euros, comment on peut brûler des centaines ou des milliers de films par an, comme j'ai pu faire à un moment, au prix que c'est impossible ? Il y a eu un moment, quand j'ai commencé, où c'était possible de gâcher comme ça dans des quantités phénoménales. Ça n'a pas duré très longtemps, mais c'était possible. Et le choix du noir et blanc, c'est un choix économique. Au départ, c'est un... un pur choix économique, c'est-à-dire que c'était pas cher et on pouvait tout faire soi-même. Un rouleau, à un moment, j'ai développé un peu ma couleur sur mes plaques de cuisson, mais c'est quand même un peu limite. Le noir et blanc, c'était facile de le faire soi-même et donc ça gardait les coûts au plus bas. C'est-à-dire qu'on avait de l'argentique, mais ça coûtait juste le prix de la pellicule et un peu de chimie et on avait un résultat. Si j'avais dû faire développer mes rouleaux par des laboratoires, j'aurais tout de suite dû photographier trois fois moins. de talent particulier pour ça. Mes photos, j'avais conscience qu'une bonne photo, c'est compliqué, qu'il fallait en faire vraiment beaucoup. Je crois que c'est aussi peut-être ce qui singularise un photographe en extérieur, du réel, qui photographie. Même en demandant aux gens, c'est quand même une pratique sur le vif. Il y a un gâchis phénoménal. Si on photographie en studio, si on photographie en paysage, etc., c'est une pratique différente. Mais se balader comme ça et essayer de... de photographier des scènes qui sont des moments très courts, il y a une perte gigantesque. Et donc j'avais besoin d'avoir beaucoup de rouleaux. Et la seule manière, c'était de prendre du noir et blanc. Ensuite, j'ai photographié un peu en couleur. Et je garde l'idée de le faire un jour, mais je suis tellement attaché au fait de tout faire moi-même que j'ai besoin de pouvoir m'acheter mon matériel de labo en couleur pour y arriver. Le noir et blanc a cette qualité. qu'en évacuant la couleur, il concentre sur les formes et la lumière, et...

  • Speaker #0

    La couleur a quelque chose, ça marque très fort et ça sépare. Et donc, quand on travaille en couleur, je trouve que l'élément le plus important, c'est la couleur. J'ai l'impression que la couleur domine tellement l'image quand on travaille en couleur, alors que le noir et blanc se fait oublier, paradoxalement. On parle encore de choses assez fines, mais je sais qu'en photographiant... 50 personnes en couleur, pour faire un travail de portrait, une part considérable du choix de chaque image sera la couleur. Alors qu'en noir et blanc, la lumière, c'est quand même quelque chose de plus plastique, de plus vague, de plus enveloppant. Ça ne deviendra pas la seule préoccupation, comme la couleur le serait. Donc pour garder cette espèce de... Et puis aussi, la couleur marquera l'époque très fortement. Le noir et blanc, il y a cette question, effectivement, du... du présent et du passé dans l'image. Je ne sais pas si le noir et blanc est intemporel, mais en tous les cas, de la même manière, il va moins durement marquer un moment précis. Ça, c'est une question subtile. Non, mais c'est une question qui a des implications assez profondes. Paris a beaucoup été photographié à un moment, le Paris des photographes. Et puis, à la suite de la période humaniste, on observe une certaine prise de distance. Les photographes ont dit que, comme les bâtiments n'ont pas changé, on est replongé dans un univers visuel ancien très facilement. C'est une des raisons pour lesquelles, dans Belleville, il n'y a pas d'imables haussmanniens. Il y a très peu de rues, parce qu'en fait, elles appellent un imaginaire qui est déjà... tellement installé qu'il est difficile de travailler avec ça. Et je sais qu'il y a des photographes qui, pour ne pas s'approcher de quelque chose qu'ils ne voulaient pas dans les années 80, 90, s'approchaient d'un pas de ce qui avait déjà été fait, qui ne voulaient aucun rapport avec cette tradition française. Ne venant pas d'une école, il y a des questions que je me suis tout simplement pas posées au départ. Et puis, et parfois c'est heureux, je pense qu'il ne faut pas toujours se poser toutes les questions. Il faut bien choisir les questions qu'on se pose. Et puis... Au contraire, ça, ça m'intéressait. C'est-à-dire que dans les commentaires que j'ai pu entendre sur le livre, le fait que ça puisse être tout à la fois très daté, parce que vous avez un iPhone 4 ou quelque chose comme ça, et en même temps qu'il y a une espèce de profondeur, à la fois dans les visages, ça, ça m'intéresse. Parce qu'une ville comme Paris, c'est à la fois quelque chose de très maintenant et quelque chose de très ancien. Et je ne voulais pas... produire quelque chose qui soit surdéterminé du côté du présent. Je voulais montrer qu'au contraire, il y a des coexistences d'attitudes, de gestes, de visages, qui sont jamais purement du côté du présent, jamais purement du côté du passé, que la rupture n'est pas si franche, ce qui rejoint une question presque politique, c'est-à-dire que le fait de montrer comment Paris peut être à la fois neuf et très ancien, c'est... Pour moi, c'est un équilibre plus satisfaisant que d'expliquer que tout a changé. Parce que la nostalgie, paradoxalement, est presque du côté de ceux qui vont décrire un pur présent comme en rupture avec le passé. Il y a quelque chose, je trouve parfois, d'un peu anxiogène à caractériser un présent, très souvent du côté de la problématique, par exemple écologique, etc. Des photos de Paris, très dures. tout en s'éloignant d'un Paris peut-être plus doux ou plus contemplatif, alors que tous ces éléments-là sont en permanence simultanément présents. Je pense que j'ai cherché cet équilibre. C'est-à-dire qu'on ne peut pas se tromper, c'est Paris d'aujourd'hui. Et en même temps, c'est véritablement Paris. Ce n'est pas une ville anonyme. Il y a des marqueurs, ce qui pourrait être caractérisé rapidement, presque d'un petit peu romantique. En fait, pour moi, c'est une manière de montrer si on cherche, si on regarde bien on n'est pas encore dans l'anonymat si vous voulez, de la ville comme on peut facilement se penser à le croire ça reste un endroit particulier et il y a des choses qui sont distinctes de cet endroit, ça c'est important pour moi et cette distinction elle est forcément ancrée dans l'histoire après, réussir à le montrer d'une manière qui soit réussie c'est autre chose ça j'ai pas de recul là-dessus mais ce que je peux dire c'est que c'est des questions importantes Oui. Le livre qui vient de sortir, Place de la République, effectivement c'est un petit peu différent dans la méthode. C'est un travail que j'ai commencé quand j'ai quitté Ménilmontant. Je suis parti habiter un peu plus loin, à Bagnolet, mais j'ai mon atelier à Charonne. République, c'est l'intersection entre Bagnolet et Charonne, entre la ligne 11 et la ligne 9. Donc c'est un endroit que je connaissais déjà, que j'avais déjà commencé un petit peu de photographier. Et c'est un endroit qui, graduellement, m'intimidait moins, parce qu'il y a aussi beaucoup ça. C'est-à-dire qu'au départ... En cherchant à photographier des gens, on cherche des endroits où on se sent à l'aise. Et la grande foule, c'est un peu difficile à appréhender. Et donc, ça arrive à un moment où je déménage, où je me dis que je me sens suffisamment à l'aise justement pour m'ancrer dans le paysage comme un élément beaucoup plus fixe, et d'arrêter des gens qui, eux, sont en mouvement plutôt que l'inverse. Et puis, c'est le moment où ma compagne tombe enceinte. Et donc, il y a un moment, il y a un choix concret qui se fait dans ma tête, où je me dis... Il faut que tu trouves une manière de photographier autant de gens dans la semaine, mais sur 3 heures au lieu de 5 jours. Je veux dire, Place de la République, c'est vraiment l'endroit. Et j'ai commencé à photographier comme j'avais photographié Belleville, même s'il y a une photo à la chambre ou deux dans Belleville, c'est-à-dire avec un moyen format, en me baladant. Et j'ai un an, un an et demi d'images, que j'aime assez par ailleurs, mais une difficulté quand on photographie au moyen format. avec un angle un peu large comme ça, c'est qu'il y a beaucoup de choses qui rentrent dans le champ. Et donc, dès qu'on rentre dans des espaces très animés, on peut avoir un premier plan qui marche très très bien, et puis un imbécile qui fait n'importe quoi, juste qu'on n'a pas vu du coin de l'œil, et l'image est ruinée. Et donc, ce qui s'est passé simultanément, c'est que j'ai compris graduellement quel était mon cadre, et en même temps, quel était mon sujet, que je détermine rarement à l'avance. Mais c'est en passant du temps dans un lieu qu'il se met à apparaître de plus en plus... clairement pour moi, en tous les cas, la caractéristique de ce lieu qui m'intéresse, qui me fascine, qui me touche. Et évidemment, ma prétend à devenir père, c'était la jeunesse. D'autant que, c'est pas comme s'il y avait eu moins de crises depuis, mais ces années-là, 2018, 2023, 2024, l'élection de Trump, première fois, n'est pas encore très loin, ce qui est quand même un choc. Je pense que c'est juste après le moment où les gens commencent à réaliser qu'on ne sera pas à la hauteur de l'urgence climatique. Le Covid arrive par-dessus. Et vous, moi, je me retrouve avec un bébé. Et la question de l'espoir, de la société à venir, de qui sont les gens qu'elle va rencontrer, elle. Donc j'ai photographié des gens qui ont à peu près l'âge. En fait, quand elle, elle aura leur âge, eux auront à peu près mon âge. donc c'est l'âge médian de la société qu'elle va rencontrer. Et c'est des questions, de la même manière que Belleville a l'air parfaitement apolitique, alors que pour moi, il pose des questions de relations au monde qui sont assez profondes. De même manière, Place de la République, ces questions-là sont... Je ne les mets pas en avant, évidemment, mais elles sont assez centrales. Donc je me suis dit, en fait, ce qui m'intéresse, c'est la jeunesse. Et donc, je voulais photographier, non, Place de la République dit bien ça. C'est vraiment... la place de la République. Je voulais une collection de portraits qui soit très individuelle, mais qui ensemble fasse société, et qui pose la question de cette société en devenir. Et je pense que mes images sont l'élément d'inquiétude, et jamais très loin, mais c'est quand même un travail qui est du côté de l'espoir. Et pour ça, pour que l'image soit vraiment centrée sur des personnes, en tant qu'elles-mêmes, pas en train de faire quelque chose, la chambre était parfaite, parce que c'est... Je suis moi-même arrêté, je suis sur un trépied et je dis aux gens de ne plus bouger. Et j'ai les cadres très serrés, encore une fois, pour ne pas qu'on voit autre chose autour. Alors oui, je coupe souvent très... En fait, plus vous serrez, moins vous avez de gens autour. Après, malheureusement, les cadres sont un peu plus serrés qu'ils ne le sont sur la chambre pour des questions d'agrandisseurs. J'ai un passe-vue qui... Donc il manque 2 mm, mais oui, on est vraiment sur leur regard. On n'est même pas sur leur corps. On le voit, on le perçoit, mais c'est vraiment leur regard qui compte le plus pour moi dans ce travail. Alors en général, je photographie le matin, en partie parce que c'est le meilleur moment pour les gens eux-mêmes. Surtout quand on parle de cette question d'espoir, on est toujours plus ouvert le matin. Surtout quand c'est une journée chaude et comme j'ai besoin du soleil, les premières heures du jour sont... Il y a moins de nervosité, on est encore un peu flottant. Ce que je faisais, c'est que je venais le matin vers 9h30. En général, j'ai besoin de moi-même d'un certain temps. qui peut être très court ou qui peut durer, mais je ne peux pas photographier quelqu'un. C'est quand même quelque chose de singulier, de dire à quelqu'un, excusez-moi, est-ce que je peux vous photographier ? Et j'ai besoin d'en avoir vraiment envie. Et en plus, ça me coûte de l'énergie. C'est-à-dire que si je n'ai pas assez dormi, si je ne suis pas bien dans mes pompes, l'altérité, c'est fatigant. C'est vraiment fatigant. Et je ne peux pas faire ça comme on ferait autre chose. J'ai besoin moi-même de me reconvaincre à chaque fois. Il y a un temps, quand j'arrive, où j'ai besoin de me reconvaincre que je vais le faire. Et ça m'arrive de passer une matinée entière à ne pas trouver l'envie. Mais je m'installe, ça c'est clair. Je sors, je mets ma chambre, je suis très visible, je suis toujours très visible. Même quand je photographie à moyen format, une des manières de me prémunir des mauvaises rencontres, c'est d'être extrêmement franc et d'avoir pas du tout... Je suis toujours très conscient de l'endroit. vers lequel mon objectif pointe, pour pas que des gens se sentent photographiés quand ils ne le sont pas. Mais par contre, je ne suis pas en train de me cacher. Bien au contraire. Ça, ça protège. Il ne faut pas avoir l'air un peu sneaky comme ça. C'est désagréable. Non, au contraire, ce que je fais, c'est très simple, très net et très évident. Et c'est sans agressivité. Il faut que ce soit manifeste. Donc je m'installe si j'ai envie. Si j'arrive à avoir ce désir qui arrive en moi et qu'il y a quelqu'un que j'ai vraiment envie de photographier, je vais aller la voir, cette personne. Alors comme c'est une chambre 4-5, c'est assez léger malgré tout. Enfin, léger. L'ensemble est lourd, mais je peux soulever mon trépied et faire 30 mètres en disant, voilà, il n'y a aucun problème. Donc je me balade un peu. En général, je posais ma chambre à un endroit, puis un quart d'heure après, je me déplace un peu. Enfin, il n'y a pas de... de structure, mais il y a une petite chorégraphie comme ça, entre les gens qui sont présents, le soleil, le feng shui de la place à ce moment-là, et puis voilà, et puis j'arrête les gens, je dis excusez-moi, est-ce que je peux prendre une photo ? Et c'est très très simple, et ça se passe pas au niveau du langage en fait. Comme je l'ai dit plus tôt, il s'agit pas pour moi de convaincre, soit la personne est d'emblée confiante, soit elle ne l'est pas, mais j'essaye pas d'embarquer avec moi quelqu'un qui serait réticent. En fait, c'est une chose, quand je disais que les photographies sont prises avec le corps, c'est assez étonnant pour moi de voir, quand on regarde les photographes de rue, à quel point leur image et leur corps se répondent. Une vidéo de Henri Cartier-Bresson, on voit ce grand type en même temps très distant, et puis ses gestes un peu aristocratiques, et qui ne se mêlent pas en même temps, et on ne peut pas ne pas y penser. Et puis on voit Gary Winogrand, effectivement, avec un appareil sur son ventre un peu rond, qui fait semblant pas savoir si ça marche. Et en fait, il y a une ironie et un humour en rapport entre la présence de Winogrand, cette espèce de... ce côté en même temps foutraque et précis qu'on retrouve dans la composition, qu'on retrouve dans l'image. Et ça, c'est intéressant. Il y a un vrai écho, je trouve, entre une présence physique du photographe et la présence physique de ce qu'il photographe. Comment la chose est photographiée à l'intérieur. Et moi, je vole pas. Je l'ai fait un peu, évidemment, comme tout le monde, mais ce n'est pas mon but. Alors, ce n'est pas une question de jugement moral. Il peut y avoir des photographes qui vont trouver que les gens qui sont photographiés, en sachant qu'ils sont photographiés, j'ai déjà entendu ça, ils se ressemblent tous. Moi, je trouve que c'est exactement l'inverse. Pour moi, un vrai portrait, il y a quelque chose de l'ordre de l'accord ou du partage, il y a une profondeur psychologique dans le regard échangé ou dans l'arrêt sur un temps long qu'on ne retrouve pas. Quand quelqu'un traverse la rue en sortant son téléphone portable, j'ai l'impression que les gens qui sont plongés dans leur pensée quotidienne se ressemblent tous, alors que quand ils regardent à la caméra, là, chacun a sa personnalité d'une manière extrêmement forte. Et donc, c'est une des raisons, si ce n'est la raison principale du fait que je ne vole pas, c'est parce que si je le fais, ce que je vois dans l'image ne m'intéresse pas particulièrement. C'était la grande commande photojournaliste qu'il y a eu peut-être en 2022. Ça, c'est quelque chose... Alors, le projet apparaît comme... Le travail apparaît comme fini parce qu'il a été rendu pour une commande, mais en fait, c'est vraiment... Pour moi, c'est qu'au début. Et c'est un autre rapport au portrait. C'est-à-dire que pour moi, tout fait sens, le moindre détail, y compris dans un portrait, le t-shirt, la position des mains, etc. Mais une autre manière de rentrer, encore une fois, il ne s'agit pas d'être voyeur, où je ne prétends pas pouvoir dire quelque chose à propos de quelqu'un. Une image, ça n'est jamais qu'une image, il faut accepter cette contrainte. Je pense qu'il ne faut pas la charger en métaphore ou en symbole, ça ne sait pas du tout mon... ou en signification, ça doit rester assez léger, mais... Un intérieur, je trouve que c'est quelque chose de fascinant dans ce que ça peut dire à la fois à nouveau de très intemporel, et notamment, j'avais choisi les chambres à coucher parce qu'il y a ce rapport au sommeil. Une chose que nous partageons tous, sans aucun doute, c'est que nous devons dormir et que nous dormons, tout le monde. Et donc là, il y a quelque chose de très commun, presque plus que dans n'importe quelle autre pièce de la maison. Ce rapport très intime, très répété à quelque chose, et en même temps, chacun des éléments. qui décore ou ne décore pas cette chambre fait sens. Pour moi, c'était vraiment la question du portrait sans le visage. Et en même temps, un petit élément de challenge, parce que je me suis dit, tu arrives à arrêter quelqu'un dans la rue pour faire son image, mais est-ce que tu arriverais à te faire inviter chez lui ? C'est beaucoup plus compliqué. C'est dur d'ailleurs. C'est pour ça que je dis que je suis loin d'avoir fini, parce que je n'ai pas à épuiser cette question à la fois de comment montrer ses intérieurs, et puis... de comment les faire. J'ai sorti ce sujet au moment de cette commande parce que je me disais que c'était l'occasion. C'est vraiment un premier pied dans la porte. Et j'aspire à faire plus d'images d'intérieur comme ça. beaucoup photographié autour de l'échangeur de Bagnolet, qui est le travail que j'espère de finir. Et je suis de plus en plus à la recherche de lieux qui permettent de faire un portrait. En tous les cas, quand la question du portrait est centrale, qui permettent de faire un portrait. Qu'il soit à la fois des lieux qui ne soient pas trop chargés. C'est-à-dire que jusqu'ici, je n'ai jamais fait de travail délimité dans un cadre très précis. On pourrait penser aux hôpitaux, les ceci. Il faut que ça reste quelque chose de commun. pour moi, pour l'instant, et en même temps où un travail de portrait soit possible, dans des conditions qui soient bonnes, et il y a une passerelle enfin, il y a plusieurs ponts au-dessus du périphérique mais il y a un endroit, pas très loin de chez moi ça aussi c'est important, je veux pouvoir travailler tous les jours, enfin le plus souvent possible et il y a un pont au-dessus du périphérique que j'avais repéré depuis un certain temps parce qu'il y a des gens qui passent dans un endroit un peu... l'échangeur de Bagnolet c'est une grande structure de béton, gigantesque c'est un projet Merci. absurde au moment de sa conception même, hyper polluée, qui, je trouve, c'est vraiment le règne de l'utilitaire dont l'utilité elle-même devient de plus en plus évanescente. Il y a quelque chose qui me semble très bien décrire l'emprise que la technologie peut prendre au point de faire disparaître l'humain. L'objet initial, c'est d'être au service de l'humain et le résultat pratique, c'est que l'humain disparaît. Et ça, je trouve ça vraiment... Ça me touchait, puis je me disais en plus, ma fille grandit à côté de ça, c'est son paysage. Et en même temps, c'est un vrai paysage. C'est-à-dire que quand on est des hauteurs du plateau de Belleville, il y a une trouée vers Vincennes, et c'est l'endroit où on voit loin, et c'est un endroit vide. Il a été vidé de tout, justement, par cette immense chape de béton. Et paradoxalement, ça produit aussi la possibilité d'une contemplation qu'on n'a pas ailleurs. Il y a un côté bord de mer. C'est le bruit des bagnoles, mais c'est un... Mais il y a un côté bord de mer, il y a le ressac, il y a du vent, il y a plus de lumière. Et là, sur ce pont-là, les gens passent, mais ils passent à un rythme lent et irrégulier, dans ce paysage singulier et en même temps qui permet une intimité. C'est-à-dire que si j'arrête quelqu'un pour prendre sa photo, il n'y a personne d'autre. Mais ce n'est pas spécialement inquiétant, mais il n'y a personne d'autre. Et donc, je suis à la fois très en lien avec tous ces éléments qui font sens pour moi et que je peux décrire. Et en même temps, j'isole vraiment quelqu'un, sans avoir des gens qui passent autour. Alors je photographie avec un angle un peu plus large, puisque cette fois-ci j'ai la place pour le corps, et l'arrière-plan est moins gênant, au contraire il est très intéressant. Je le fais avec une chambre 8-10, donc c'est un plus gros... Là je suis vraiment fixe. Vraiment, je ne déplace pas, c'est lourd, c'est vraiment les gens qui passent devant moi. Mais ça me permet de montrer plus de la personne, plus du corps, plus d'arrière-plan, dans des conditions qui me semblent... exceptionnelle du point de vue des possibilités de prise de vue et aussi exceptionnelle du point de vue de la richesse sociale des gens qui passent. Parce que c'est un endroit plus dur, plus âpre. mais qui reste très mélangé, où il y a quand même toutes sortes de profils. Et donc on voit un autre Paris, et à nouveau sans segmenter ou découper ou ne s'intéresser qu'à une tranche. Ça reste, voilà, il y a plus de gens qui ont une vie plus dure qu'à Place de la République, mais ça reste ouvert, et en même temps, du fait de cette présence du corps, de cet espace et de la sociologie, je trouve que les gens sont encore plus... plus singulier. Il y a quelque chose de... C'est rare de faire un portrait qu'on a envie de regarder plusieurs fois. C'est quand même assez rare. Et c'est pour ça que je continue à photographier énormément, c'est parce qu'il y a peu d'images. Mais celle qui reste, ça peut être extraordinairement parlant. Il y a quelque chose, il y a une densité dans juste... La position des mains, la position des épaules... ce qui passe à travers un regard que je trouve bouleversante et presque... Oui, ça peut m'arriver devant mon bac de révélateur d'être à la fois ému et de me dire « Oh ! Merde, j'ai tout ça ! » Sur l'image, il y a tellement... Pour Bagnolet, ce pont sur les changeurs, il y a tous ces éléments qui se combinent très très bien. Et en même temps, je travaille plus sur cette question de tentative d'épuisement d'un lieu. Dans le sens où il y a des portraits, mais il y a aussi deux ou trois travaux simultanés, au 24-36, spécialement sur les formes, les ombres, les blocs de béton, puis des travaux de paysage au moyen format. Et j'ai aussi, de manière très inattendue, recommencé à dessiner. Donc je suis en train d'accumuler des... Et je dessine beaucoup en me servant de l'échangeur comme base, justement dans ces éléments très graphiques. Et là... Un jour, il faudra couper dans l'art et puis ça restera peut-être que 20 ou 40 images. Mais il y a quelque chose d'à la fois beaucoup plus systématique encore que Place de la République et beaucoup plus presque multimédia, où ces ensembles de portraits sont construits en dialogue avec d'autres éléments. Et c'est un dialogue un peu paradoxal parce que ces portraits-là, c'est ce qui reste. Le lieu est quasiment dans un rapport de prédation à l'humain. Je ne peux pas assimiler l'un à l'autre. C'est-à-dire que les portraits sont les choses qui me touchent et le reste, c'est un désert. Mais c'est un désert avec un élément d'ambiguïté, y compris dans la beauté des formes qui peuvent en ressortir sous certains aspects. Quand je parle de désert, c'est aussi un endroit où je peux effectivement être profondément seul. Parce qu'il y a deux ou trois branches de route qui sont abandonnées. Et donc, quand on est là, il n'y a rien. personne ne peut. pas, c'est des lieux qui ont perdu tout usage. C'est assez étonnant de se retrouver au cœur de la ville, au cœur d'une activité intense, sur une bretelle à l'abandon. Il y a un photographe japonais qui s'appelle Miyamoto qui a beaucoup travaillé sur la ruine et qui dit que quand un bâtiment a perdu son usage, c'est pourquoi il a été construit. C'est le moment où il rentre dans l'existence pour lui-même. Je trouve un peu de ça à cet endroit. Ça se sent quand j'en parle. Je suis encore perdu dans la fascination entre ces différents aspects.

  • Speaker #1

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Description

Il y a des images qu’on croit comprendre immédiatement. Elles semblent simples, presque évidentes. Et puis, lorsqu’on s’y attarde vraiment, elles se mettent à changer. Elles glissent, elles se déplient. Elles révèlent une profondeur discrète, une ambiguïté douce, une complexité qui ne cherchait pas à se montrer.


Les photographies de Thomas Boivin ont précisément ce pouvoir-là. Elles ne s’imposent pas, elles s’installent. Elles se regardent lentement, à plusieurs reprises, en y découvrant chaque fois une nouvelle nuance.

Thomas est un portraitiste qui regarde sa ville en partant de celles et ceux qui l’habitent. De Belleville à Ménilmontant, jusqu’à la place de la République, ses livres composent un Paris intime, un Paris qui ne se donne pas frontalement mais qui se laisse approcher, frôler, apprivoiser.


Ce qui frappe dans son travail, c’est cette manière d’habiter ses sujets. Tout semble né d’une patience profonde, d’un rapport au temps long, de cette lumière précise que lui offre la chambre grand format qu’il utilise assez souvent. On sent une attention rare, presque silencieuse, qui traverse ses images.


Et puis il y a Thomas lui-même : une voix douce, posée, un regard exigeant mais sans dureté. Il s’exprime comme il photographie, avec prudence, avec mesure, comme si chaque mot devait respecter la personne ou le lieu dont il parle. Passer un moment avec lui a quelque chose d’apaisant, presque méditatif. J’espère que cet épisode vous plaira également. Bonne écoute.


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Un podcast réalisé et écrit par Aliocha Boi, produit par Noyau.studio, monté et mixé par Virgile Loiseau et mis en musique par Charlie Janiaut.


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  • Speaker #0

    production noyau studio. Il y a des images qu'on croit comprendre immédiatement. Elles semblent simples, presque évidentes. Et puis lorsqu'on s'y attarde vraiment, elles se mettent à changer. Elles glissent, elles se déplient. Elles révèlent une profondeur discrète, une ambiguïté douce, une complexité qui ne cherche pas forcément à se montrer. Les photographies de Thomas Boivin ont précisément ce pouvoir-là. Elles ne s'imposent pas, elles s'installent. mais elle se regarde lentement, à plusieurs reprises. Et on y découvre à chaque fois une nouvelle nuance. Thomas est un portraitiste qui regarde sa ville en partant de celles et ceux qui l'habitent. De Belleville à Ménilmontant jusqu'à Place de la République, son dernier projet. Ses livres composent un Paris intime, un Paris qui ne se donne pas frontalement, mais qui se laisse s'approcher, frôler, apprivoiser. Ce qui frappe dans son travail, c'est cette manière d'habiter ses sujets. Tout semble né d'une patience profonde, d'un... temps long, de cette lumière précise que lui offre la chambre grand format qu'il utilise assez souvent. On sent vraiment cette attention rare, presque silencieuse qui traverse ces images. Et puis il y a Thomas lui-même, une voix douce posée, un regard exigeant mais sans dureté. Il parle comme il photographie, avec prudence, mesure, comme si chaque mot devait respecter la personne ou le lieu dont il parle. Passez un moment avec lui à quelque chose d'apaisant, presque méditatif. J'espère que cet épisode vous plaira également et je vous souhaite une très bonne écoute.

  • Speaker #1

    Salut c'est Aliocha, vous écoutez Vision, le podcast qui donne vie aux images.

  • Speaker #0

    Chaque année, MPB fait recirculer plus de 570 000 articles d'occasion, ce qui tout simplement prolonge la vie, le potentiel créatif des équipements photo et vidéo pour les photographes et vidéographes du monde entier. Et surtout, c'est tout à fait fiable et très simple d'utilisation. Chaque appareil photo ou vidéo est soigneusement inspecté par l'équipe produite de MPB avant de vous être envoyé. Voilà, il y a un lien pour tester MPB directement sous le podcast, peu importe la plateforme que vous utilisez ou sur notre site vision.photo. Bonne écoute.

  • Speaker #1

    Il y a une image qui m'a, je pense qui a été déterminante dans ma manière de travailler pendant très longtemps et j'en parle volontiers, c'est une influence qu'on peut percevoir d'ailleurs dans mon travail. Je pense que ça doit être en 2011, je suis rentré à... Je m'intéressais à la photographie, je commençais à vouloir être photographe, mais de manière assez flottante, peut-être 2010, 2010, de manière assez indéterminée. Et puis, j'avais pas un rond, je suis rentré à Offprint, en me disant, tu viens avec rien sur toi parce que tu peux rien acheter. Première table à droite, il y avait un libraire qui avait la dernière copie. de Greater Atlanta de Mark Steinmetz. Et j'ai ouvert le livre, j'ai tourné deux pages, et j'ai dit, mais il s'était signé, c'était déjà épuisé, il m'a dit, c'était déjà un peu cher. Et je lui ai dit, écoutez, gardez-le-moi, je cours au distributeur. Et l'image qui m'avait vraiment particulièrement marqué dans ce livre, c'est une image toute banale, qui n'est jamais spécialement mise en avant. C'est une jeune femme sur un banc, penchée en avant, qui se tourne vers le photographe avec un... Un espèce de sourire timide comme ça, je trouvais très très beau. Et ce qui m'a frappé, c'est pas l'image dans sa construction, dans son équilibre, c'est la relation entre le photographe et la personne photographiée. Ça m'a transpercé, je me suis dit « waouh, c'est possible de faire ça » . Et on sent dans ce livre, alors je sais pas quelle est l'histoire derrière cette image particulière, j'en ai aucune idée à vrai dire, mais peut-être qu'il s'agit là de quelqu'un que le photographe connaissait. Mais en général, on sent dans ces livres que ce sont des inconnus. Je me suis dit, en fait, c'est possible de rencontrer quelqu'un pour une photographie et d'avoir quelque chose d'aussi doux et chaleureux. Et ça m'a vraiment beaucoup touché. Et j'ai décidé que je ferais ça. J'étais déjà engagé dans un parcours de photographe, mais c'est ce qui a déterminé, ce qui a été mon but pendant des années, c'est d'arriver. dans un espace public avec des gens que je ne connaissais pas, à avoir l'espace d'un instant, cette qualité de relation dans l'image. Je suis Thomas Boivin, photographe. J'ai peu de choses à dire sur mon enfance. Je n'ai pas souvenir d'avoir une relation spécifique aux images, et surtout pas à la photographie. C'est vraiment... Avant de décider d'être photographe moi-même, je crois que je n'avais aucun intérêt pour la photographie. J'ai fait une école d'art, ou deux même, mais plutôt tourné vers le dessin, et j'ai séché tous mes cours de photographie. Donc voilà, ça c'est... Notamment parce que... Quand je suis rentré au Beaux-Arts, on fumait encore dans les classes et l'atelier photo, c'était vraiment terrible. Avant mes études, j'ai grandi une bonne partie de mon enfance en Afrique, avant de rentrer en France. Et puis, comme je disais, j'ai fait des études plutôt tournées vers le dessin. Je voulais faire de la bande dessinée expérimentale. Et j'ai découvert la photographie par hasard à la fin de mes études. En fait, en réalité, c'est tellement éloigné de ma pratique, mais en faisant des canulars. en photographiant des choses qui n'existaient pas, pour faire des blagues avec un ami, qui est lui-même maintenant dessinateur de presse. Et au départ, quand j'ai commencé à m'intéresser à la photographie, je m'en servais comme une récréation. C'est-à-dire que j'étais à ma table de dessin toute la journée, il fallait que je sorte pour m'aérer. Et j'avais pris l'habitude de sortir deux fois par jour, d'avoir un rouleau tous les deux ou trois jours, de le développer. C'était ma balade quotidienne. Et petit à petit, je me suis senti... plus à l'aise dans cet exercice-là que je pensais être mon travail. Et c'est comme ça que j'ai changé vers 26, 27 ans. J'ai décidé de devenir photographe alors que ce n'était absolument pas mon ambition au départ. Ce qui m'intéressait, ce que je voulais arriver à faire, c'était un rapport au lieu dans lequel je me trouvais et un rapport aux gens beaucoup plus... que la description spécifique d'une situation ou d'un type ou d'une action. Pour des raisons en partie très intérieures, très personnelles, j'avais envie d'être photographe, c'était quelque chose d'important pour moi, et j'avais envie d'avoir ce rapport prolongé, profond à un espace et d'être capable de rentrer en relation. Et alors quand je dis rentrer en relation, c'est très bref. Je parle très peu avec les gens que je photographie, j'explique le moins possible, mais c'est d'être capable de susciter cette confiance et d'avoir des images qui soient des espèces de portraits psychologiques. Une des choses qui m'intéressait, c'était que je me disais, quand on traverse une rue, surtout une rue de Paris, où il y a tellement de gens, on croise énormément de regards, qu'on peut... pas regarder plus d'une seconde et demie parce que ça devient impoli et je pense que j'avais envie de m'arrêter sur chacune de ces personnes et c'est une chose que la photographie fait très bien, c'est exactement ce qu'elle fait, de figer cet instant et de permettre avec cette image arrêtée de se pencher sur l'apparence, sur la pure présence d'une personne à un moment donné et de prolonger cette rencontre. J'ai toujours trouvé ça très puissant. Je l'ai trouvé très puissant dans le travail de certains autres photographes. Je voulais arriver à faire ça. Et c'est vraiment ce qui m'a occupé pendant longtemps. C'était d'être capable de le faire, sachant que pendant un an et demi, je rentrais chez moi tous les soirs en me disant, t'as pas osé demander à telle personne, je comptais les gens à qui je n'avais pas osé demander de faire leur photographie. Aujourd'hui, mon travail, comme j'ai un peu passé cette étape, mon travail a évolué, mais au départ, toutes les questions étaient autour de la rencontre. Du lieu et de la rencontre comme une expérience sensible et pas une expérience intellectuelle. D'ailleurs, il ne s'agit pas de prétendre d'écrire une personne hors de l'image. Tout se passe dans l'image. Je pense que c'est le cœur de mon travail pendant assez longtemps. Le livre Belleville, pour moi, ce sont les images d'un apprentissage. Ce n'est pas un travail qui est structuré, ce n'est pas un travail qui a été pensé comme un travail. C'est vraiment un récit visuel des images de mon produit en essayant d'apprendre à faire ces images-là qui m'avaient tant touché chez d'autres. Notamment dans la photographie britannique ou nord-américaine, qui arrivent à produire des images qui soient à la fois très rigoureuses. très réussie sur le plan formel, très bien cadrée, très bien produite, et en même temps très sociale, tout en gardant des images qui fascinent d'abord, par leur qualité pure, et qui suscitent le commentaire sans le mettre en avant. comme justification, comme description première. Et ça, c'était ce qui me plaisait le plus. Belleville a été publiée en premier. En fait, Belleville s'appelle Belleville parce que je me suis installé à Ménilmontant en 2009, à peu près au moment où j'ai décidé de... Je suis passé de dessinateur à photographe, enfin, en fait, pile à ce moment-là. C'est vraiment tous ces jouets autour d'un changement d'adresse. Et j'ai assez rapidement décidé que je sortirais tous les jours, que je sortirais tous les jours le plus longtemps possible, et j'ai fait à peu près la même marche jusqu'à mon déménagement qui est fin 2017. Donc pendant quasiment 9 ans, j'ai tourné autour de Belleville presque tous les jours. Donc je partais de Ménilmontant, je traversais le parc de Belleville, qui n'est pas le parc des Butchomont, je redescendais vers la station de métro Belleville, je prenais un café ou je... Et puis, je remontais par le parc des Butchomont, je descendais jusqu'au bord du canal, et je faisais tout un tour par le 10e et le 11e jusqu'au bas de la rue Oberkamp avant de remonter. Et donc le centre, c'était Belleville, et c'était l'endroit où je prenais le plus de café, on va dire. Et donc j'ai appelé Belleville, Belleville pour ça, mais si vous regardez Ménilmontant, je l'ai appelé Ménilmontant comme un pendant, un peu plus personnel, avec un peu plus d'amis à l'intérieur. Enfin, avec des amis, alors que ce n'est pas le cas pour Belleville, pas vraiment. Mais il y a autant de Belleville, d'un point de vue strictement topographique, il y a autant de Belleville dans Médilemontant que Médilemontant dans Belleville et inversement. Donc c'est des panoramas intérieurs, c'est pas la description spéciale d'un endroit, pour cette raison que Belleville n'est pas un travail sur Belleville. C'est un travail autour de Belleville et qui décrit, je pense, assez bien une certaine ambiance. En tous les cas, je suis toujours très heureux quand des gens reconnaissent le quartier à travers mes livres, mais... Je prétends ni à la description, ni à la scrupuleuse, ni à l'objectivité. D'ailleurs, c'est un Belleville de jour. Toutes ces années-là, je ne sortais pas la nuit. Je suis toujours choqué quand je vais à Belleville la nuit, parce que j'avais l'impression que c'est très étrange d'avoir une relation de proximité aussi forte avec un lieu. Et à deux heures près, c'est plus le même. Et il a tellement changé que c'est une surprise. Comme j'avais à peu près raté ma carrière de dessinateur, je m'étais dit, bon, t'as une deuxième chance avec la photographie, mais t'en auras pas de troisième, il va falloir que tu sois un peu plus sérieux. Donc au départ, c'était une discipline. Je me suis dit, tu sors, tu essayes. Donc il y a eu une année et demie, deux années, trois années de discipline et de tentative. Là où les choses se passent bien, sont bien passées, c'est que je pense que c'était effectivement aussi mon caractère, assez contemplatif, assez lent dans ce rapport. Et j'ai trouvé... Quelque chose de très agréable dans cette routine qui s'est mise à structurer ma vie. Et donc ce qui était au départ vraiment pensé par rapport à un but, notamment celui d'arriver à photographier des gens, et d'où ce trajet qui passait beaucoup par les parcs, parce que c'est un endroit où c'est plus facile de photographier un inconnu, des espaces qui sont déjà par nature contemplatifs, un peu plus vides. Si on regarde une histoire... La photographie spontanée de gens en extérieur, le nombre de photographes qui ont commencé par des parcs ou par les enfants, est très important. Et en fait, ce n'est pas parce qu'ils étaient spécialement fascinés par les parcs ou par les enfants, c'est parce que les enfants vont très facilement vers l'objectif. Enfin, aller, aujourd'hui c'est différent, mais on les trouvait en abondance dans l'espace urbain et ils allaient vers l'objectif. Et puis, le parc, c'est déjà un endroit où... au cœur de la ville, mais où la vie est plus lente, où on a le temps de voir arriver l'autre, où l'autre est dans de meilleures dispositions. Donc j'étais structuré beaucoup autour de ces lieux de manière intuitive. C'est seulement après que je me suis dit, ah oui, Passing Through Eden, c'est un parc, et Yorana Park, c'est un parc, et puis on peut dérouler comme ça le nombre d'exemples. Et ensuite, oui, c'était une tentative d'épuisement. Je ne sais pas si on peut dire ça dans le sens où ce que j'essayais... D'épuiser, ce n'est pas le lieu, c'est ma fascination pour le lieu. Ce n'est pas le lieu en lui-même. Et Paris est déjà... Le trajet que j'ai décrit, je pense qu'il doit y avoir 200 000 personnes qui habitent à cet endroit-là, sans compter tous ceux qui passent et qui déménagent. La course du soleil n'est jamais la même. Vous avez des rues d'hiver, des rues d'été, des rues de printemps, suivant l'axe du soleil. Si on y rajoute que la météo change... C'est assez rare de passer deux fois dans la même rue d'une certaine manière. Et il y a tout un tas d'images que je fais qui tiennent par la lumière, et c'est une fois. Peut-être je suis passé trois fois, enfin vous voulez, je suis passé cinq fois par semaine pendant cinq ans dans cette rue. Et le moment où ce détail prend la lumière de cette manière, c'est une fois. Donc ce qui détermine le fait que je m'en vais, ça va être des événements de ma vie. En fait j'ai arrêté de photographier Belleville et Ménilmontant quand j'ai déménagé. J'ai un petit peu continué, mais voilà, ça a disparu. Et puis, par exemple, l'épuisement de ma fascination, mon désir de photographier d'une certaine manière. Mais le lieu, lui, je le trouve toujours... Je le trouve jamais... J'ai jamais l'impression d'en avoir fait le tour. Alors, il y a deux choses. J'ai du mal à isoler une image en particulier, et je pourrais parler de toutes. L'autre, c'est... que le portrait est très important pour moi, et en même temps, l'image de quelqu'un, c'est quelque chose qui me semble valoir le coup quand c'est silencieux. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de texte pour l'instant dans mes livres, j'en mettrai dans le prochain, parce que c'est toujours une immense, j'ai une très grande hésitation à rajouter des mots sur la présence de quelqu'un. C'est-à-dire que je peux décrire l'image, sa construction, etc., mais... L'espèce d'accord moral que j'ai avec quelqu'un, c'est que je vais essayer de... Je vais photographier une présence à un certain moment, sous une certaine lumière, mais je ne vais pas caractériser moi cette présence avec des mots en disant « ben voilà, ça c'est quelqu'un comme ça » ou « c'est quelqu'un qui fait ça » . Je trouve que la photographie a vraiment ce qu'elle a d'extraordinaire, c'est de pouvoir montrer sans dire. Et donc, je résiste toujours à l'idée... de décrire un portrait que j'ai fait, en tous les cas, de décrire la personne qui est dans ce portrait, et de lui donner aussi une identité particulière. Donc la question, quand on me demande de parler d'images, je peux plus facilement parler d'images que je n'ai pas faites, ou d'images que je n'ai pas mises dans le livre, mais qui ont eu un enseignement pour moi. Là, je peux donner deux, trois anecdotes qui ne sont pas à nouveau rentrées dans l'image, mais par exemple, je marchais vers la rue de Crimée, Et je vois une jeune femme, avec un voile négligemment posé sur la tête, accoudée à la rambarde d'une fenêtre de rez-de-chaussée d'un hôtel miteux, et une jeune femme noire. Et je me dis, c'est tellement cette partie du 19ème. Et je lève mon appareil photo vers elle, en la regardant, ce qui est une demande muette, est-ce que je peux faire cette photographie ? J'ai une réponse humaine également, qui me dit oui, je fais la photo, vraiment en me disant mais qu'est-ce que c'est typique. Et puis ensuite je suis allé parler avec elle et c'était une prof de yoga du Colorado. Et donc ça c'est vraiment une chose importante pour moi. Tout ce qui, voilà, c'est l'image et elle peut servir de point de départ en écho à des situations. Mais moi je vais avoir beaucoup de mal à vous parler de quelqu'un qui est dans cette image. Une autre anecdote, j'expliquais ça à quelqu'un, place de la République, où j'ai photographié pendant des années à la chambre. Je lui dis, voilà, moi je voudrais faire un... On me demande, qu'est-ce que vous faites ? J'avais demandé à quelqu'un si je pouvais prendre sa photo, et il me demande ce que je vais en faire, et je lui explique que ce serait peut-être un jour un livre d'images, avec une collection de portraits, mais qu'il n'y aurait pas de texte, et que je ne mettrais pas son nom, je ne dirais pas qui il est. Et j'explique ça, je ne sais plus très bien comment, et il me dit, mais en lui disant qu'il y a quelque chose dans l'image qui est à la fois fixée et en même temps insaisissable, mais que je ne veux pas prendre partie dans ce... Il me dit, ah c'est vrai, je comprends, c'était un livreur des livres roux. Il me dit, ben je suis en train de fumer une cigarette. Si vous prenez une photo de moi, on verra moi en train de fumer une cigarette. Mais peut-être que c'est ma première cigarette, peut-être que c'est juste une cigarette. et peut-être que c'est ma dernière cigarette. Et ça n'a pas du tout la même... Voilà, c'est pas du tout la même chose. J'étais tellement content d'entendre ça. Il a compris immédiatement, oui. Et ce fil-là, pour moi, il est d'une grande importance. Au début, j'ai accumulé... dans une absence de soins total. C'est-à-dire que ce qui m'intéressait, c'était de mettre en place C'était un rythme, c'était un rapport au monde, donc tout était tentatif. Et j'ai gardé un peu ce côté-là, où j'essaye de garder les choses le plus légères possible. Donc à la fois je m'attache énormément aux résultats dans la phase de tirage, mais le reste avant, il faut que ce soit le plus léger. Donc ça m'est déjà arrivé plusieurs fois d'ouvrir des boîtes, de cramer tous mes négatifs, et j'essaye de faire en sorte qu'il n'y ait même pas d'émotion. D'ailleurs quand je demande à quelqu'un « est-ce que je peux prendre votre photo ? » , si je vois que la personne hésite, je lui dis « vous savez, vous... » Si vous hésitez, c'est nous. J'essaye de garder les choses très simples et j'ai commencé comme ça, en me libérant du poids du résultat. Donc on y accorde un peu d'importance, ce qui fait que j'avais énormément de négatifs pas classés, mal archivés. Et puis, quand j'ai commencé à être un peu plus content de ce que j'ai fait, oui, j'ai commencé à faire des planches contact, numériques, ce qui fait qu'aujourd'hui j'ai de grandes archives, qu'elles sont très accessibles. Et que je les re-regarde énormément. Pour Belleville, ça a été un grand... J'avais besoin d'un éditeur. Parce qu'on aurait pu faire un livre comme on aurait pu en faire 3 ou 4. Mais je ne savais pas quoi faire avec ça. En plus, j'avais tout un tas de formats différents. Donc il y a du carré, il y a des rectangles. Je me disais, est-ce que je fais un livre par format ? J'étais noyé. Et à mon éditeur, je leur ai envoyé je pense 500 photos. Parce que j'étais perdu dans cette masse. Et puis... Voilà, on l'a réduit à 50, mais moi-même, ça, c'était un truc que j'avais beaucoup de mal à faire pour ce travail-là. Alors que Ménilmontant, c'est l'inverse. Je suis allé chercher précisément, justement, dans mes archives, une petite trentaine d'images qui ressemblaient à une certaine atmosphère que je n'avais pas traitée dans l'autre livre, donc qui ne se répéterait pas, ou le moins possible. Et je lui ai donné, à mon éditeur, et il a fait le choix d'en enlever 8. Enfin, voilà, c'était... beaucoup plus serré, plus intime. Un peu plus sombre, plus près de l'ombre, alors que Belleville est du côté de la lumière. Plus près de l'intérieur, et plus près de l'intimité. Sans que ce soit une décision radicale, c'est-à-dire qu'il y a de l'extérieur, mais on est sur des matins moins lumineux, on est sur des ambiances comme ça, dans une ombre un peu douce, un peu chaude, en même temps, qui était très absente Belleville, et qui faisait partie de choses aussi, je pense, qui me plaisait beaucoup, mais que j'avais eu tendance à laisser de côté. Par exemple, les natures mortes. Tous les cas, les natures mortes d'intérieur, ça m'a toujours plu. Et en même temps, je me disais, attends, garde tes yeux sur la balle. Et la balle, c'est le portrait en extérieur. Toute mon énergie était là-dedans pendant très longtemps. Parce que je n'y arrivais pas. Pour moi, je n'étais pas encore là. Et c'est une des choses qui peut évoluer dans le rapport aux archives, justement. C'est le moment où on se dit, OK, ce but que je m'étais donné, quelque part, tchac ! Alors, ce n'est jamais un rapport d'accomplissement. Pour moi, tout est quand même de l'ordre de l'échec avec des degrés. Mais il y a quand même des moments où on se dit « Ok, ça, j'y arrive un peu mieux » . Et donc, ça libère de la place pour considérer d'autres images, pour la volonté se déplace, la sensibilité aussi. Et on peut réaccueillir des images qu'on a faites, qu'on a faites parce qu'on voulait les faire, mais qu'on n'a pas regardées parce qu'elles ne correspondaient pas aux préoccupations du moment. Et c'est vraiment le cas de Ménilmontant. Parce que je parlais beaucoup de la photographie américaine, c'est déjà... On se rapproche justement un peu de quelque chose d'un peu plus... Un peu plus européen, pour moi. En se déplaçant justement sur l'intime. Le premier appareil que j'avais acheté, c'était un digital. Et j'ai très vite voulu m'en débarrasser. Bon, c'était une époque où c'était pas non plus si satisfaisant que ça. Et je l'ai revendu pour un Leica à l'époque. Parce que... Pour moi, les photographies sont prises avec le corps. Et il y a un rapport avec le fait de photographier des gens qui sont aussi des corps. Et je crois que j'étais assez attentif ou sensible à l'idée d'avoir un objet qui ne soit pas plus intelligent que moi et pas plus rapide que moi. Et donc, tout ce qui participait de cette lenteur, mettre son film, déclencher les trois premières fois, apprendre à connaître la lumière sans cellules. et donc à la fois réduire le nombre de gestes et de possibilités, et en même temps, pour chacun de ces gestes, être capable de comprendre ce qui se passe et de faire ses propres erreurs. Et on en fait beaucoup. Ça, c'était très important. Ça me mettait dans un rythme et un rapport qui étaient justes par rapport à ma vitesse à moi, déjà. Essayer de développer une sensibilité à une présence physique et le transformer en quelque chose de profondément immatériel, c'est un peu contradictoire. Alors que le fait d'avoir un négatif, qui est l'empreinte de la lumière directe. On peut discuter sur les mots, parce qu'évidemment, il y a un rapport entre un fichier et un enregistrement. Mais là, il y a quelque chose de tangible qui participe de l'importance. de cet événement qu'on a voulu enregistrer. Donc, sans théoriser là-dessus, parce que ce n'était pas mon objet, j'ai senti que c'était ce dont j'avais envie et que c'est ce qui me permettrait d'avoir l'attention que je voulais avoir. Et puis ensuite, il y a la deuxième partie, qui est arrivée plus tard, mais qui est celle du tirage, qui, je trouve, est encore plus importante pour moi et du même ordre, c'est-à-dire... Elle me force à passer beaucoup de temps. Une chose importante, je crois, c'est de ne pas pouvoir faire n'importe quoi. C'est-à-dire qu'un négatif, effectivement, ça se travaille à l'agrandisseur, mais vous ne pouvez pas tirer des courbes. On ne peut pas se dire, ok, plus bleu le ciel, pof. Il y a une limite. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles on peut jouer, et en même temps, il y a une limite. Et cette limite, elle force la sensibilité à trouver la beauté dans ce qu'on peut faire. Et je trouve qu'elle... On peut très facilement se perdre quand on est tout puissant. Et à force de vouloir embellir une image, peut-être à première vue, elle a l'air très réussie, mais en fait, elle s'est tellement éloignée du réel. Et paradoxalement, l'argentique garde cette qualité d'être proche de la mémoire, d'être proche de résister à la main et d'obliger à faire des concessions qui la rendent plus fragile, qui rendent l'image toujours plus fragile, plus touchante, et puis qui sont aussi le fruit d'un artisanat. Enfin, tout ça fonctionne ensemble. Sans compter le fait qu'en tous les cas pour un tirage noir et blanc, on a quand même des profondeurs qu'on ne trouve pas avec une impression. Mais pour moi, la défense la plus sérieuse pour moi-même de ma manière de travailler, c'est que c'est celle qui me rend heureux. C'est-à-dire que si je suis dans mon labo pendant 8 heures à essayer de faire l'image la meilleure, j'ai un sentiment de satisfaction quand je pense avoir à peu près réussi que je n'ai pas. Si je suis devant un ordinateur et que j'aligne des courbes et que j'imprime pour voir si... Le résultat pourrait être strictement équivalent, voire meilleur. Je ne me sens pas partie prenante de la même manière. Et ça, c'est important. Je suis arrivé à la photographie à un moment béni, puisque c'est autour des années 2009-2010, où l'argentique était en pleine perte de vitesse, avec une surproduction phénoménale, et donc le commerce mondial bouleversé par l'arrivée des... Et en fait, il y a eu un moment où il y avait beaucoup trop de pellicules, et on pouvait acheter, pour moins de 2 dollars, avec un taux de change très favorable, un film aux Etats-Unis. J'ai commencé en commandant des centaines et des centaines de rouleaux qui ne me coûtaient vraiment pas cher. Et ça, je pense beaucoup aux gens qui commencent la photographie aujourd'hui. Pas du tout le même rapport. Enfin, un film à 8,90 euros, comment on peut brûler des centaines ou des milliers de films par an, comme j'ai pu faire à un moment, au prix que c'est impossible ? Il y a eu un moment, quand j'ai commencé, où c'était possible de gâcher comme ça dans des quantités phénoménales. Ça n'a pas duré très longtemps, mais c'était possible. Et le choix du noir et blanc, c'est un choix économique. Au départ, c'est un... un pur choix économique, c'est-à-dire que c'était pas cher et on pouvait tout faire soi-même. Un rouleau, à un moment, j'ai développé un peu ma couleur sur mes plaques de cuisson, mais c'est quand même un peu limite. Le noir et blanc, c'était facile de le faire soi-même et donc ça gardait les coûts au plus bas. C'est-à-dire qu'on avait de l'argentique, mais ça coûtait juste le prix de la pellicule et un peu de chimie et on avait un résultat. Si j'avais dû faire développer mes rouleaux par des laboratoires, j'aurais tout de suite dû photographier trois fois moins. de talent particulier pour ça. Mes photos, j'avais conscience qu'une bonne photo, c'est compliqué, qu'il fallait en faire vraiment beaucoup. Je crois que c'est aussi peut-être ce qui singularise un photographe en extérieur, du réel, qui photographie. Même en demandant aux gens, c'est quand même une pratique sur le vif. Il y a un gâchis phénoménal. Si on photographie en studio, si on photographie en paysage, etc., c'est une pratique différente. Mais se balader comme ça et essayer de... de photographier des scènes qui sont des moments très courts, il y a une perte gigantesque. Et donc j'avais besoin d'avoir beaucoup de rouleaux. Et la seule manière, c'était de prendre du noir et blanc. Ensuite, j'ai photographié un peu en couleur. Et je garde l'idée de le faire un jour, mais je suis tellement attaché au fait de tout faire moi-même que j'ai besoin de pouvoir m'acheter mon matériel de labo en couleur pour y arriver. Le noir et blanc a cette qualité. qu'en évacuant la couleur, il concentre sur les formes et la lumière, et...

  • Speaker #0

    La couleur a quelque chose, ça marque très fort et ça sépare. Et donc, quand on travaille en couleur, je trouve que l'élément le plus important, c'est la couleur. J'ai l'impression que la couleur domine tellement l'image quand on travaille en couleur, alors que le noir et blanc se fait oublier, paradoxalement. On parle encore de choses assez fines, mais je sais qu'en photographiant... 50 personnes en couleur, pour faire un travail de portrait, une part considérable du choix de chaque image sera la couleur. Alors qu'en noir et blanc, la lumière, c'est quand même quelque chose de plus plastique, de plus vague, de plus enveloppant. Ça ne deviendra pas la seule préoccupation, comme la couleur le serait. Donc pour garder cette espèce de... Et puis aussi, la couleur marquera l'époque très fortement. Le noir et blanc, il y a cette question, effectivement, du... du présent et du passé dans l'image. Je ne sais pas si le noir et blanc est intemporel, mais en tous les cas, de la même manière, il va moins durement marquer un moment précis. Ça, c'est une question subtile. Non, mais c'est une question qui a des implications assez profondes. Paris a beaucoup été photographié à un moment, le Paris des photographes. Et puis, à la suite de la période humaniste, on observe une certaine prise de distance. Les photographes ont dit que, comme les bâtiments n'ont pas changé, on est replongé dans un univers visuel ancien très facilement. C'est une des raisons pour lesquelles, dans Belleville, il n'y a pas d'imables haussmanniens. Il y a très peu de rues, parce qu'en fait, elles appellent un imaginaire qui est déjà... tellement installé qu'il est difficile de travailler avec ça. Et je sais qu'il y a des photographes qui, pour ne pas s'approcher de quelque chose qu'ils ne voulaient pas dans les années 80, 90, s'approchaient d'un pas de ce qui avait déjà été fait, qui ne voulaient aucun rapport avec cette tradition française. Ne venant pas d'une école, il y a des questions que je me suis tout simplement pas posées au départ. Et puis, et parfois c'est heureux, je pense qu'il ne faut pas toujours se poser toutes les questions. Il faut bien choisir les questions qu'on se pose. Et puis... Au contraire, ça, ça m'intéressait. C'est-à-dire que dans les commentaires que j'ai pu entendre sur le livre, le fait que ça puisse être tout à la fois très daté, parce que vous avez un iPhone 4 ou quelque chose comme ça, et en même temps qu'il y a une espèce de profondeur, à la fois dans les visages, ça, ça m'intéresse. Parce qu'une ville comme Paris, c'est à la fois quelque chose de très maintenant et quelque chose de très ancien. Et je ne voulais pas... produire quelque chose qui soit surdéterminé du côté du présent. Je voulais montrer qu'au contraire, il y a des coexistences d'attitudes, de gestes, de visages, qui sont jamais purement du côté du présent, jamais purement du côté du passé, que la rupture n'est pas si franche, ce qui rejoint une question presque politique, c'est-à-dire que le fait de montrer comment Paris peut être à la fois neuf et très ancien, c'est... Pour moi, c'est un équilibre plus satisfaisant que d'expliquer que tout a changé. Parce que la nostalgie, paradoxalement, est presque du côté de ceux qui vont décrire un pur présent comme en rupture avec le passé. Il y a quelque chose, je trouve parfois, d'un peu anxiogène à caractériser un présent, très souvent du côté de la problématique, par exemple écologique, etc. Des photos de Paris, très dures. tout en s'éloignant d'un Paris peut-être plus doux ou plus contemplatif, alors que tous ces éléments-là sont en permanence simultanément présents. Je pense que j'ai cherché cet équilibre. C'est-à-dire qu'on ne peut pas se tromper, c'est Paris d'aujourd'hui. Et en même temps, c'est véritablement Paris. Ce n'est pas une ville anonyme. Il y a des marqueurs, ce qui pourrait être caractérisé rapidement, presque d'un petit peu romantique. En fait, pour moi, c'est une manière de montrer si on cherche, si on regarde bien on n'est pas encore dans l'anonymat si vous voulez, de la ville comme on peut facilement se penser à le croire ça reste un endroit particulier et il y a des choses qui sont distinctes de cet endroit, ça c'est important pour moi et cette distinction elle est forcément ancrée dans l'histoire après, réussir à le montrer d'une manière qui soit réussie c'est autre chose ça j'ai pas de recul là-dessus mais ce que je peux dire c'est que c'est des questions importantes Oui. Le livre qui vient de sortir, Place de la République, effectivement c'est un petit peu différent dans la méthode. C'est un travail que j'ai commencé quand j'ai quitté Ménilmontant. Je suis parti habiter un peu plus loin, à Bagnolet, mais j'ai mon atelier à Charonne. République, c'est l'intersection entre Bagnolet et Charonne, entre la ligne 11 et la ligne 9. Donc c'est un endroit que je connaissais déjà, que j'avais déjà commencé un petit peu de photographier. Et c'est un endroit qui, graduellement, m'intimidait moins, parce qu'il y a aussi beaucoup ça. C'est-à-dire qu'au départ... En cherchant à photographier des gens, on cherche des endroits où on se sent à l'aise. Et la grande foule, c'est un peu difficile à appréhender. Et donc, ça arrive à un moment où je déménage, où je me dis que je me sens suffisamment à l'aise justement pour m'ancrer dans le paysage comme un élément beaucoup plus fixe, et d'arrêter des gens qui, eux, sont en mouvement plutôt que l'inverse. Et puis, c'est le moment où ma compagne tombe enceinte. Et donc, il y a un moment, il y a un choix concret qui se fait dans ma tête, où je me dis... Il faut que tu trouves une manière de photographier autant de gens dans la semaine, mais sur 3 heures au lieu de 5 jours. Je veux dire, Place de la République, c'est vraiment l'endroit. Et j'ai commencé à photographier comme j'avais photographié Belleville, même s'il y a une photo à la chambre ou deux dans Belleville, c'est-à-dire avec un moyen format, en me baladant. Et j'ai un an, un an et demi d'images, que j'aime assez par ailleurs, mais une difficulté quand on photographie au moyen format. avec un angle un peu large comme ça, c'est qu'il y a beaucoup de choses qui rentrent dans le champ. Et donc, dès qu'on rentre dans des espaces très animés, on peut avoir un premier plan qui marche très très bien, et puis un imbécile qui fait n'importe quoi, juste qu'on n'a pas vu du coin de l'œil, et l'image est ruinée. Et donc, ce qui s'est passé simultanément, c'est que j'ai compris graduellement quel était mon cadre, et en même temps, quel était mon sujet, que je détermine rarement à l'avance. Mais c'est en passant du temps dans un lieu qu'il se met à apparaître de plus en plus... clairement pour moi, en tous les cas, la caractéristique de ce lieu qui m'intéresse, qui me fascine, qui me touche. Et évidemment, ma prétend à devenir père, c'était la jeunesse. D'autant que, c'est pas comme s'il y avait eu moins de crises depuis, mais ces années-là, 2018, 2023, 2024, l'élection de Trump, première fois, n'est pas encore très loin, ce qui est quand même un choc. Je pense que c'est juste après le moment où les gens commencent à réaliser qu'on ne sera pas à la hauteur de l'urgence climatique. Le Covid arrive par-dessus. Et vous, moi, je me retrouve avec un bébé. Et la question de l'espoir, de la société à venir, de qui sont les gens qu'elle va rencontrer, elle. Donc j'ai photographié des gens qui ont à peu près l'âge. En fait, quand elle, elle aura leur âge, eux auront à peu près mon âge. donc c'est l'âge médian de la société qu'elle va rencontrer. Et c'est des questions, de la même manière que Belleville a l'air parfaitement apolitique, alors que pour moi, il pose des questions de relations au monde qui sont assez profondes. De même manière, Place de la République, ces questions-là sont... Je ne les mets pas en avant, évidemment, mais elles sont assez centrales. Donc je me suis dit, en fait, ce qui m'intéresse, c'est la jeunesse. Et donc, je voulais photographier, non, Place de la République dit bien ça. C'est vraiment... la place de la République. Je voulais une collection de portraits qui soit très individuelle, mais qui ensemble fasse société, et qui pose la question de cette société en devenir. Et je pense que mes images sont l'élément d'inquiétude, et jamais très loin, mais c'est quand même un travail qui est du côté de l'espoir. Et pour ça, pour que l'image soit vraiment centrée sur des personnes, en tant qu'elles-mêmes, pas en train de faire quelque chose, la chambre était parfaite, parce que c'est... Je suis moi-même arrêté, je suis sur un trépied et je dis aux gens de ne plus bouger. Et j'ai les cadres très serrés, encore une fois, pour ne pas qu'on voit autre chose autour. Alors oui, je coupe souvent très... En fait, plus vous serrez, moins vous avez de gens autour. Après, malheureusement, les cadres sont un peu plus serrés qu'ils ne le sont sur la chambre pour des questions d'agrandisseurs. J'ai un passe-vue qui... Donc il manque 2 mm, mais oui, on est vraiment sur leur regard. On n'est même pas sur leur corps. On le voit, on le perçoit, mais c'est vraiment leur regard qui compte le plus pour moi dans ce travail. Alors en général, je photographie le matin, en partie parce que c'est le meilleur moment pour les gens eux-mêmes. Surtout quand on parle de cette question d'espoir, on est toujours plus ouvert le matin. Surtout quand c'est une journée chaude et comme j'ai besoin du soleil, les premières heures du jour sont... Il y a moins de nervosité, on est encore un peu flottant. Ce que je faisais, c'est que je venais le matin vers 9h30. En général, j'ai besoin de moi-même d'un certain temps. qui peut être très court ou qui peut durer, mais je ne peux pas photographier quelqu'un. C'est quand même quelque chose de singulier, de dire à quelqu'un, excusez-moi, est-ce que je peux vous photographier ? Et j'ai besoin d'en avoir vraiment envie. Et en plus, ça me coûte de l'énergie. C'est-à-dire que si je n'ai pas assez dormi, si je ne suis pas bien dans mes pompes, l'altérité, c'est fatigant. C'est vraiment fatigant. Et je ne peux pas faire ça comme on ferait autre chose. J'ai besoin moi-même de me reconvaincre à chaque fois. Il y a un temps, quand j'arrive, où j'ai besoin de me reconvaincre que je vais le faire. Et ça m'arrive de passer une matinée entière à ne pas trouver l'envie. Mais je m'installe, ça c'est clair. Je sors, je mets ma chambre, je suis très visible, je suis toujours très visible. Même quand je photographie à moyen format, une des manières de me prémunir des mauvaises rencontres, c'est d'être extrêmement franc et d'avoir pas du tout... Je suis toujours très conscient de l'endroit. vers lequel mon objectif pointe, pour pas que des gens se sentent photographiés quand ils ne le sont pas. Mais par contre, je ne suis pas en train de me cacher. Bien au contraire. Ça, ça protège. Il ne faut pas avoir l'air un peu sneaky comme ça. C'est désagréable. Non, au contraire, ce que je fais, c'est très simple, très net et très évident. Et c'est sans agressivité. Il faut que ce soit manifeste. Donc je m'installe si j'ai envie. Si j'arrive à avoir ce désir qui arrive en moi et qu'il y a quelqu'un que j'ai vraiment envie de photographier, je vais aller la voir, cette personne. Alors comme c'est une chambre 4-5, c'est assez léger malgré tout. Enfin, léger. L'ensemble est lourd, mais je peux soulever mon trépied et faire 30 mètres en disant, voilà, il n'y a aucun problème. Donc je me balade un peu. En général, je posais ma chambre à un endroit, puis un quart d'heure après, je me déplace un peu. Enfin, il n'y a pas de... de structure, mais il y a une petite chorégraphie comme ça, entre les gens qui sont présents, le soleil, le feng shui de la place à ce moment-là, et puis voilà, et puis j'arrête les gens, je dis excusez-moi, est-ce que je peux prendre une photo ? Et c'est très très simple, et ça se passe pas au niveau du langage en fait. Comme je l'ai dit plus tôt, il s'agit pas pour moi de convaincre, soit la personne est d'emblée confiante, soit elle ne l'est pas, mais j'essaye pas d'embarquer avec moi quelqu'un qui serait réticent. En fait, c'est une chose, quand je disais que les photographies sont prises avec le corps, c'est assez étonnant pour moi de voir, quand on regarde les photographes de rue, à quel point leur image et leur corps se répondent. Une vidéo de Henri Cartier-Bresson, on voit ce grand type en même temps très distant, et puis ses gestes un peu aristocratiques, et qui ne se mêlent pas en même temps, et on ne peut pas ne pas y penser. Et puis on voit Gary Winogrand, effectivement, avec un appareil sur son ventre un peu rond, qui fait semblant pas savoir si ça marche. Et en fait, il y a une ironie et un humour en rapport entre la présence de Winogrand, cette espèce de... ce côté en même temps foutraque et précis qu'on retrouve dans la composition, qu'on retrouve dans l'image. Et ça, c'est intéressant. Il y a un vrai écho, je trouve, entre une présence physique du photographe et la présence physique de ce qu'il photographe. Comment la chose est photographiée à l'intérieur. Et moi, je vole pas. Je l'ai fait un peu, évidemment, comme tout le monde, mais ce n'est pas mon but. Alors, ce n'est pas une question de jugement moral. Il peut y avoir des photographes qui vont trouver que les gens qui sont photographiés, en sachant qu'ils sont photographiés, j'ai déjà entendu ça, ils se ressemblent tous. Moi, je trouve que c'est exactement l'inverse. Pour moi, un vrai portrait, il y a quelque chose de l'ordre de l'accord ou du partage, il y a une profondeur psychologique dans le regard échangé ou dans l'arrêt sur un temps long qu'on ne retrouve pas. Quand quelqu'un traverse la rue en sortant son téléphone portable, j'ai l'impression que les gens qui sont plongés dans leur pensée quotidienne se ressemblent tous, alors que quand ils regardent à la caméra, là, chacun a sa personnalité d'une manière extrêmement forte. Et donc, c'est une des raisons, si ce n'est la raison principale du fait que je ne vole pas, c'est parce que si je le fais, ce que je vois dans l'image ne m'intéresse pas particulièrement. C'était la grande commande photojournaliste qu'il y a eu peut-être en 2022. Ça, c'est quelque chose... Alors, le projet apparaît comme... Le travail apparaît comme fini parce qu'il a été rendu pour une commande, mais en fait, c'est vraiment... Pour moi, c'est qu'au début. Et c'est un autre rapport au portrait. C'est-à-dire que pour moi, tout fait sens, le moindre détail, y compris dans un portrait, le t-shirt, la position des mains, etc. Mais une autre manière de rentrer, encore une fois, il ne s'agit pas d'être voyeur, où je ne prétends pas pouvoir dire quelque chose à propos de quelqu'un. Une image, ça n'est jamais qu'une image, il faut accepter cette contrainte. Je pense qu'il ne faut pas la charger en métaphore ou en symbole, ça ne sait pas du tout mon... ou en signification, ça doit rester assez léger, mais... Un intérieur, je trouve que c'est quelque chose de fascinant dans ce que ça peut dire à la fois à nouveau de très intemporel, et notamment, j'avais choisi les chambres à coucher parce qu'il y a ce rapport au sommeil. Une chose que nous partageons tous, sans aucun doute, c'est que nous devons dormir et que nous dormons, tout le monde. Et donc là, il y a quelque chose de très commun, presque plus que dans n'importe quelle autre pièce de la maison. Ce rapport très intime, très répété à quelque chose, et en même temps, chacun des éléments. qui décore ou ne décore pas cette chambre fait sens. Pour moi, c'était vraiment la question du portrait sans le visage. Et en même temps, un petit élément de challenge, parce que je me suis dit, tu arrives à arrêter quelqu'un dans la rue pour faire son image, mais est-ce que tu arriverais à te faire inviter chez lui ? C'est beaucoup plus compliqué. C'est dur d'ailleurs. C'est pour ça que je dis que je suis loin d'avoir fini, parce que je n'ai pas à épuiser cette question à la fois de comment montrer ses intérieurs, et puis... de comment les faire. J'ai sorti ce sujet au moment de cette commande parce que je me disais que c'était l'occasion. C'est vraiment un premier pied dans la porte. Et j'aspire à faire plus d'images d'intérieur comme ça. beaucoup photographié autour de l'échangeur de Bagnolet, qui est le travail que j'espère de finir. Et je suis de plus en plus à la recherche de lieux qui permettent de faire un portrait. En tous les cas, quand la question du portrait est centrale, qui permettent de faire un portrait. Qu'il soit à la fois des lieux qui ne soient pas trop chargés. C'est-à-dire que jusqu'ici, je n'ai jamais fait de travail délimité dans un cadre très précis. On pourrait penser aux hôpitaux, les ceci. Il faut que ça reste quelque chose de commun. pour moi, pour l'instant, et en même temps où un travail de portrait soit possible, dans des conditions qui soient bonnes, et il y a une passerelle enfin, il y a plusieurs ponts au-dessus du périphérique mais il y a un endroit, pas très loin de chez moi ça aussi c'est important, je veux pouvoir travailler tous les jours, enfin le plus souvent possible et il y a un pont au-dessus du périphérique que j'avais repéré depuis un certain temps parce qu'il y a des gens qui passent dans un endroit un peu... l'échangeur de Bagnolet c'est une grande structure de béton, gigantesque c'est un projet Merci. absurde au moment de sa conception même, hyper polluée, qui, je trouve, c'est vraiment le règne de l'utilitaire dont l'utilité elle-même devient de plus en plus évanescente. Il y a quelque chose qui me semble très bien décrire l'emprise que la technologie peut prendre au point de faire disparaître l'humain. L'objet initial, c'est d'être au service de l'humain et le résultat pratique, c'est que l'humain disparaît. Et ça, je trouve ça vraiment... Ça me touchait, puis je me disais en plus, ma fille grandit à côté de ça, c'est son paysage. Et en même temps, c'est un vrai paysage. C'est-à-dire que quand on est des hauteurs du plateau de Belleville, il y a une trouée vers Vincennes, et c'est l'endroit où on voit loin, et c'est un endroit vide. Il a été vidé de tout, justement, par cette immense chape de béton. Et paradoxalement, ça produit aussi la possibilité d'une contemplation qu'on n'a pas ailleurs. Il y a un côté bord de mer. C'est le bruit des bagnoles, mais c'est un... Mais il y a un côté bord de mer, il y a le ressac, il y a du vent, il y a plus de lumière. Et là, sur ce pont-là, les gens passent, mais ils passent à un rythme lent et irrégulier, dans ce paysage singulier et en même temps qui permet une intimité. C'est-à-dire que si j'arrête quelqu'un pour prendre sa photo, il n'y a personne d'autre. Mais ce n'est pas spécialement inquiétant, mais il n'y a personne d'autre. Et donc, je suis à la fois très en lien avec tous ces éléments qui font sens pour moi et que je peux décrire. Et en même temps, j'isole vraiment quelqu'un, sans avoir des gens qui passent autour. Alors je photographie avec un angle un peu plus large, puisque cette fois-ci j'ai la place pour le corps, et l'arrière-plan est moins gênant, au contraire il est très intéressant. Je le fais avec une chambre 8-10, donc c'est un plus gros... Là je suis vraiment fixe. Vraiment, je ne déplace pas, c'est lourd, c'est vraiment les gens qui passent devant moi. Mais ça me permet de montrer plus de la personne, plus du corps, plus d'arrière-plan, dans des conditions qui me semblent... exceptionnelle du point de vue des possibilités de prise de vue et aussi exceptionnelle du point de vue de la richesse sociale des gens qui passent. Parce que c'est un endroit plus dur, plus âpre. mais qui reste très mélangé, où il y a quand même toutes sortes de profils. Et donc on voit un autre Paris, et à nouveau sans segmenter ou découper ou ne s'intéresser qu'à une tranche. Ça reste, voilà, il y a plus de gens qui ont une vie plus dure qu'à Place de la République, mais ça reste ouvert, et en même temps, du fait de cette présence du corps, de cet espace et de la sociologie, je trouve que les gens sont encore plus... plus singulier. Il y a quelque chose de... C'est rare de faire un portrait qu'on a envie de regarder plusieurs fois. C'est quand même assez rare. Et c'est pour ça que je continue à photographier énormément, c'est parce qu'il y a peu d'images. Mais celle qui reste, ça peut être extraordinairement parlant. Il y a quelque chose, il y a une densité dans juste... La position des mains, la position des épaules... ce qui passe à travers un regard que je trouve bouleversante et presque... Oui, ça peut m'arriver devant mon bac de révélateur d'être à la fois ému et de me dire « Oh ! Merde, j'ai tout ça ! » Sur l'image, il y a tellement... Pour Bagnolet, ce pont sur les changeurs, il y a tous ces éléments qui se combinent très très bien. Et en même temps, je travaille plus sur cette question de tentative d'épuisement d'un lieu. Dans le sens où il y a des portraits, mais il y a aussi deux ou trois travaux simultanés, au 24-36, spécialement sur les formes, les ombres, les blocs de béton, puis des travaux de paysage au moyen format. Et j'ai aussi, de manière très inattendue, recommencé à dessiner. Donc je suis en train d'accumuler des... Et je dessine beaucoup en me servant de l'échangeur comme base, justement dans ces éléments très graphiques. Et là... Un jour, il faudra couper dans l'art et puis ça restera peut-être que 20 ou 40 images. Mais il y a quelque chose d'à la fois beaucoup plus systématique encore que Place de la République et beaucoup plus presque multimédia, où ces ensembles de portraits sont construits en dialogue avec d'autres éléments. Et c'est un dialogue un peu paradoxal parce que ces portraits-là, c'est ce qui reste. Le lieu est quasiment dans un rapport de prédation à l'humain. Je ne peux pas assimiler l'un à l'autre. C'est-à-dire que les portraits sont les choses qui me touchent et le reste, c'est un désert. Mais c'est un désert avec un élément d'ambiguïté, y compris dans la beauté des formes qui peuvent en ressortir sous certains aspects. Quand je parle de désert, c'est aussi un endroit où je peux effectivement être profondément seul. Parce qu'il y a deux ou trois branches de route qui sont abandonnées. Et donc, quand on est là, il n'y a rien. personne ne peut. pas, c'est des lieux qui ont perdu tout usage. C'est assez étonnant de se retrouver au cœur de la ville, au cœur d'une activité intense, sur une bretelle à l'abandon. Il y a un photographe japonais qui s'appelle Miyamoto qui a beaucoup travaillé sur la ruine et qui dit que quand un bâtiment a perdu son usage, c'est pourquoi il a été construit. C'est le moment où il rentre dans l'existence pour lui-même. Je trouve un peu de ça à cet endroit. Ça se sent quand j'en parle. Je suis encore perdu dans la fascination entre ces différents aspects.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté ce podcast. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de Vision sur les plateformes de podcast, de Spotify en passant par Deezer, Apple Podcast et nos actualités sur notre site vision.photo ou sur notre Instagram, atpodcastvision. Si vous avez quelques secondes pour noter et laisser votre avis, ça nous aide aussi beaucoup. A très vite pour parler de photographie.

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