Speaker #0Les éditions Quæ vous présentent "Chronique de la nature - AUTOMNE - épisode 3", extrait de l'ouvrage de Philippe Gramet lu par François Muller.
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Tel est pris qui croyait prendre, les cormorans
La rentrée est là mais les souvenirs de vacances demeurent bien vivants. C’est pourquoi cette chronique sera plus particulièrement dédiée à ceux et celles d’entre vous qui, en bordure de mer, ont eu l’occasion d’observer de curieux oiseaux noirâtres se tenant dressés, ailes à demi écartées dans une attitude très hiératique. Leur immobilité parfaite a de quoi surprendre. Quelle peut donc bien être la motivation d’un tel comportement ? Elle est simple mais précisons tout d’abord que ces oiseaux sont des cormo- rans. Ce sont d’excellents pêcheurs que la nature n’a pas favorisés quant à l’imperméabilisation de leur plumage : s’ils n’hésitent pas à se mouiller pour se nourrir, ils sont contraints, par contre, de se sécher le plus rapide- ment possible afin de maintenir leur température corporelle. Écarter les ailes à moitié permet, justement, d’accélérer le processus : voilà vous savez tout… ou presque !
Ces qualités de pêcheur sont connues depuis fort longtemps et elles ont même été mises à profit par – et pour – l’Homme, tout particulièrement en Chine.
La technique exploitée est simple : des oiseaux sont capturés par les pêcheurs locaux puis élevés en enclos. Ils sont privés de nourriture avant les parties de pêche afin qu’ils soient bien « en appétit ». Ils sont invités à ces sorties en mer mais tenus en laisse ! Une extrémité de celle-ci est attachée à l’embarcation tandis que l’autre est passée autour du cou de l’animal. Ce collier est assez lâche pour ne pas gêner la respiration mais assez serré pour empêcher toute déglutition d’une proie après capture. Remis en liberté – toute relative – sur des sites riches en poissons les cormorans affamés ne pensent qu’à capturer des poissons. Les pêcheurs veillent et dès qu’une proie est attrapée, l’oiseau est ramené à la barque et le poisson récupéré. Une nouvelle chance est donnée à l’oiseau mais en réalité ces oiseaux ne seront nourris qu’en fin de partie…
Actuellement, il est encore possible d’assister à ce spectacle. Le terme de spectacle s’impose car, en effet, il ne s’agit plus, à proprement parler, d’une partie de pêche pour attraper du poisson mais pour récupérer des devises auprès des touristes étrangers. Ceci précisé, il est bien évident que cette évolution ne diminue en rien les mérites des cormorans…
Deux espèces de cormorans peuvent être observées en France. Elles sont d’allure voisine : corps allongé, long cou, bec long et étroit, porteur d’un crochet facilitant la saisie et le maintien des proies. En vol, le cou tiré en avant est très visible. Pour un oiseau posé sur l’eau, la position du bec légè- rement tendu vers le haut attire l’œil tandis que le cou, replié et rentré dans les épaules, est peu visible.
Le Grand Cormoran, Phalacrocorax carbo, de la taille d’une petite oie est un oiseau aux joues et à la gorge blanches. En plumage nuptial, présence en plus d’une large tache blanche sur la cuisse. Les jeunes, quant à eux, sont de couleur plus uniforme : brunâtre dorsalement et plus ou moins blanchâtre ventralement.
Le Cormoran huppé, Phalacrocorax aristotelis, est plus petit – taille d’un canard colvert – et ne porte, en fait, une huppe bleu vert très foncé que de novembre à mai environ : que des aoûtiens ne disent pas avoir reconnu ces oiseaux à leurs huppes ! Le cormoran huppé n’a pas de blanc à la tête. Sur la côte Atlantique, les individus ont les pattes de couleur noirâtre tandis que ces dernières sont jaunes en Méditerranée : un bon moyen pour vous repérer le cas échéant… Cette espèce est strictement inféodée au milieu marin. Meilleur plongeur que son grand frère, il peut atteindre des profondeurs de 21 mètres. Ses lieux de chasse préférés se situent d’ailleurs en eaux profondes, le Grand Cormoran peut, par contre, se rencontrer
surtout pendant la mauvaise saison dans l’intérieur des terres et de ce fait, ces oiseaux ne sont pas toujours appréciés des personnes se livrant à l’aquaculture dulcicole !
En hiver, nos populations, sédentaires sont rejointes par celles d’Outre- Manche ou des régions nordiques ; ce qui accroît encore les chances d’observation dans diverses régions. Malgré tout, la zone d’hivernage principale est – et demeure – le Golfe du Morbihan.
Relu par la Ligue de protection des oiseaux (LPO)
À chacun sa chasse, ragondins ou papillons
Chasseurs… à vos râteliers : préparez-vous à de saines promenades en nature au cours desquelles parfois vous pourrez lever du gibier… et le tirer s’il est à bonne portée. N’oubliez pas le ragondin parmi ces cibles éventuelles. Par ce geste, en effet, vous apporterez une contribution à la lutte contre ce rongeur qui depuis quelques années revêt une importance économique des plus alarmantes. L’évolution notée – et non encore expliquée – pose de multiples problèmes. Cette espèce d’origine sud-américaine, le Myocastor coypus a été introduite au début du XXe siècle pour en exploiter la fourrure vendue en pelleterie sous diverses appellations. Myocastor, castor du Chili, qui résonnent mieux aux oreilles féminines que fourrure de rat… même gondin. En réalité, nombre de ces élevages initiaux ont périclité rapidement (le phénomène subsiste encore ; ce qui est plus grave !) tandis que leurs pensionnaires, toujours armés de leurs redoutables incisives, ont pris la clef… des ruisseaux, canaux et étangs où ils ont trouvé des milieux très favorables à leur installation, n’encourant de plus aucun risque de prédation… Les prédateurs naturels qui n’intéressent pas les fourreurs n’ayant de ce fait, pas été introduits simultanément. Ces premières taches d’infestation se sont toutefois peu développées pendant plusieurs décennies et si, malgré cela, le ragondin devait déjà être compté parmi les espèces faisant partie intégrante de notre faune, les problèmes posés demeureraient très localisés géographiquement. Ce statu quo se trouve présentement remis en question car non seulement les populations implantées depuis longtemps s’accroissent mais de plus, on note une tendance marquée chez le ragondin à coloniser de nouveaux territoires. À l’inverse de la situation antérieure, ce sont maintenant les départements non infestés qui sont en minorité ! Rien ne permet d’envisager dans l’immédiat du moins, un arrêt de cette évolution. Pour maîtriser ce véritable fléau, des
luttes collectives s’imposent dans les zones les plus touchées. À de rares exceptions près, le piégeage ne peut pas autoriser un contrôle sérieux de ces populations. Il faut avoir recours à des campagnes d’empoisonnement (appâts mis sur des radeaux pour éviter des accidents sur des espèces non ciblées). La lutte individuelle, par piégeage ou tir au fusil, n’est toutefois pas sans intérêt surtout dans les cas soit d’infestations réduites, soit de nouvelles implantations ou même de traitements complémentaires. Ceci explique donc l’appel lancé aux chasseurs. Tout en participant à une cause
« nationale », ils accroîtront leurs chances de ne pas rentrer bredouilles mais au contraire porteurs d’un gibier encore méconnu bien que pouvant donner lieu à des préparations culinaires qui seront fort appréciées. Un conseil toutefois : ne cuisinez pas le foie car le ragondin est, localement, un vecteur de la grande douve – transmissible non seulement aux bovins – mais également à l’Homme. Mieux vaut être prudent.
Au cours de ces parties de campagne qui vous conduiront à traverser des biotopes variés, ouvrez bien les yeux. Ceci vous donnera l’occasion de découvrir des espèces non cibles à l’origine de multiples et agréables souve- nirs à évoquer le soir au retour. Citons, par exemple, certains papillons comme le paon du jour – sexes identiques – qui profite des dernières belles journées pour voleter de-ci de-là vous offrant, ainsi, la possibilité d’admirer les dessins colorés de ses ailes où votre attention sera attirée par les « yeux immenses » qui les ornent. Ces dessins particuliers apparaissent devoir être interprétés comme une technique de « défense passive » exploitée par cette espèce pour détourner l’attention des prédateurs qui ont ainsi tendance à viser l’œil. Un coup dans l’œil (factice !) se supporte mieux qu’une attaque dirigée sur le corps même de l’animal.
Suivez les cygnes…
Suivre les cygnes du regard est toujours fort plaisant en raison de la majesté de ces oiseaux mais ce peut être, aussi, un moment privilégié pour faire mieux connaissance avec eux et identifier, par exemple, à quelle espèce on a affaire. En effet, si une seule espèce appartient à notre avifaune nicheuse, d’autres représentants de cette grande famille des Anatidés – qui regroupe les cygnes, les oies, les canards et les harles17 – peuvent se rencon- trer sur notre territoire. II s’agit dans ce cas, soit d’individus sauvages migrateurs venant chercher refuge pendant l’hiver, soit même, tout au
long de l’année cette fois, d’animaux importés d’autres continents en tant qu’oiseaux d’ornement… ce qu’ils demeurent même lorsqu’ils ont réussi à échapper à la captivité à laquelle ils étaient promis…
« Notre » cygne – celui qui niche chez nous – est le cygne tuberculé aisément reconnaissable, entre autres traits, à son tubercule basal noir bien apparent et qui forme un contraste net avec l’orange du bec. Ce caractère, en fait, n’est valable que pour des individus adultes car chez les jeunes le tubercule est à peine marqué et le bec, quant à lui, est gris rosâtre… Un adulte peut peser jusqu’à 23 kg et atteindre une envergure de 2,30 m. Je vous souhaite, à ce propos, d’avoir l’occasion d’assister à un envol de cygne (gare aux éclaboussures) et de percevoir, ensuite, le bruit si particulier produit par le battement des ailes. Là aussi c’est un spectacle – un des plus naturels ! – valant la peine d’être vécu.
Ce cygne tuberculé au beau plumage blanc n’apparaît qu’à la fin de l’été de la seconde année de vie. Auparavant, les oiseaux sont, essentiellement gris brun, avec toutefois, la gorge et le devant du cou blanc. Ce cygne est souvent désigné sous d’autres noms plus ou moins critiquables :
• le cygne domestique : non seulement ce n’est pas le seul cygne à avoir été domestiqué mais actuellement la population de cygnes domestiques… sauvages est estimée à environ 1 000 couples ;
• le cygne muet : en réalité le cygne tuberculé sait « s’exprimer » soit par de faibles et rauques sons de trompette, soit, plus souvent encore, par des grognements et/ou sifflements qui traduisent tous deux que l’animal « n’est pas content ». À leur audition mieux vaut ne pas insister et lui laisser la préséance car ce joli volatile, en colère, n’aurait aucune peine à vous casser une jambe d’un seul coup d’aile tandis que ses coups de becs peuvent faire fort mal !
Cet oiseau majestueux est, il faut le savoir, particulièrement agressif surtout en période de reproduction. C’est ainsi que deux mâles se dispu- tant la possession d’un territoire essaieront de s’attraper au cou afin de maintenir, ensuite, la tête de l’adversaire sous l’eau jusqu’à ce que mort s’ensuive ! Le qualificatif de muet ne prend réellement sa valeur que par comparaison avec la qualité et l’intensité des émissions du cygne chanteur : dans ce cas en effet ce ne sont plus des sifflements mais des cris claironnants fort sonores qui sont produits par l’oiseau.
Le cygne chanteur est de taille semblable. Il est toutefois aisé de le distin- guer du cygne tuberculé en portant son attention sur le cou de l’animal : un cygne chanteur évolue le cou tendu, rigide tandis qu’un cygne tuberculé se
déplace le cou gracieusement incurvé avec le bec pointant vers le bas. Pour confirmation de cette identification, regardez le bec : chez le cygne chan- teur il est noir – et non orangé – sauf toutefois à la base où cette couleur fait place à du jaune citron. Cette observation vous permettra simultané- ment de noter que chez cette espèce, le bec est effilé en pointe. Les cygnes chanteurs sont « des visiteurs occasionnels » qui peuvent être rencontrés, essentiellement, lors d’hivers rigoureux et, plus particulièrement sur le littoral ouest.
Dernière espèce « réellement » sauvage : le cygne de Bewick bien plus petit et au cou relativement court. Un adulte ne dépasse jamais les 8 kg ; ce qui, pour autant, ne l’empêche pas d’avoir une envergure proche des 2 m. Ce dernier caractère explique les potentialités de « grand voilier » de cet oiseau ; ce qui se comprend d’ailleurs aisément lorsque l’on sait que ce cygne nidifie au-delà du cercle polaire, zone dans laquelle il ne peut séjourner que peu de temps.
Depuis quelques années, les occasions hivernales d’observer cette espèce se multiplient et il est à noter, de plus, que des individus s’aventurent maintenant dans l’intérieur du pays : il en a été observé, par exemple, aux étangs de Saclay donc assez près de Paris.
Si nous regardons maintenant du côté des cygnes « domestiques », outre les cygnes tuberculés déjà évoqués, il sera possible d’en découvrir… des plus ou moins noirs.
Citons, par exemple, le cygne noir originaire d’Australie et qui, malgré son nom, a des rémiges blanches ; le cygne à col noir originaire, quant à lui, d’Amérique du Sud et chez lequel tête et cou sont noirs. Chez cette espèce, les jeunes se hissent volontiers sur le dos de leurs parents, le corps caché sous l’aile de l’adulte tandis que la tête est souvent apparente.
La première espèce est très appréciée car elle présente l’avantage sur les autres d’être non seulement très prolifique mais également de pouvoir se reproduire en toute saison…
Chez les cygnes, la fidélité du couple semble être la règle malgré la rela- tive indépendance des deux partenaires dès la fin de l’été. Le nid est très souvent situé à proximité de l’eau : c’est une construction hétéroclite en forme de tronc de cône aplati. Les deux sexes participent à son édification tandis que la couvaison incombe uniquement à la femelle (le mâle garde le nid mais ne le « tient » pas).
Chez le cygne tuberculé, la ponte a lieu de fin mars à début mai et comprend, en moyenne, de 5 à 7 œufs vert pâle pondus à deux jours
d’intervalle. Il est rare que tous les œufs soient viables. L’éclosion se produit après un peu plus d’un mois d’incubation. Les familles restent unies jusqu’au printemps suivant mais, à cette époque, les jeunes sont chassés par leurs parents préoccupés du proche avenir ! La maturité sexuelle n’est atteinte qu’à l’âge de trois à quatre ans.
Il est relativement aisé d’avoir des cygnes en captivité : une pièce d’eau d’une vingtaine de mètres carrés peut suffire pour un couple si la profondeur atteint un mètre, au moins en certains endroits.
Avoir plusieurs couples, exige en revanche de disposer d’un vaste domaine pourvu de « recoins », permettant à chacun d’eux de s’isoler.
Les cygnes se révèlent être des oiseaux rustiques. Même lors des grands froids, ils réussissent souvent à se conserver une surface d’eau libre… en prenant soin de l’agiter afin qu’elle ne gèle pas !
Pour se nourrir dans les meilleures conditions, les cygnes doivent pouvoir mouiller leurs aliments ; d’où l’intérêt de placer leurs mangeoires près de l’eau, ou même sur l’eau.
Un phénomène commun à tous les Anatidés mérite de retenir notre attention quelques instants : tous ces oiseaux, lors de la mue d’été, perdent très rapidement l’ensemble de leurs anciennes plumes « usées ». Il n’y a pas, comme chez les autres oiseaux, un certain équilibre entre la chute des plumes « usées » et la croissance des plumes de remplacement si bien que ces espèces se trouvent clouées au sol pendant plusieurs semaines.
À ce stade ils sont donc très vulnérables vis-à-vis de divers prédateurs. Certes, ils n’ont rien à craindre de vous… étant des espèces protégées mais n’oubliez cependant pas ce phénomène qui doit être, pour vous, une raison supplémentaire de respecter leur tranquillité tout en vous évitant d’avoir à vous éloigner prudemment en cas de… signes de mécontentement chez ces cygnes !
Grenouilles et crapauds, des anoures de bêtes !
Grenouilles et crapauds sont des Anoures mais il serait opportun d’expliciter ce terme : sont regroupés sous cette appellation les Batraciens – ou Amphibiens – qui, à l’état adulte, ont perdu l’appendice caudal qu’ils portaient avant de se métamorphoser. Les Batraciens sont des vertébrés dits à sang froid c’est-à-dire que leur température corporelle tend à se mettre en équilibre avec la température du milieu extérieur. En réalité ce phéno- mène ne peut se réaliser, sans compromettre la survie de l’animal, que dans
certaines limites. À des températures externes trop fortes, un Batracien réagit par l’estivation ; à des températures basses, il aura recours à l’hibernation. Sa vie comprendra donc des périodes successives d’activité et d’inactivité. Ce schéma pourra se reproduire de nombreuses fois car la longévité potentielle de ces animaux est grande : les chiffres les plus souvent cités sont, en effet, d’une dizaine d’années pour les grenouilles et de trente ans – et plus – pour les crapauds. Malheureusement il y a souvent un écart important entre la longévité potentielle et la longévité naturelle car les ennemis, naturels eux aussi, ne manquent pas. L’Homme est l’un de ceux-ci, nous le verrons, non pas tellement en tant que prédateur direct mais en raison des modifica- tions qu’il apporte à l’environnement rendant celui-ci souvent impropre à la survie des Batraciens. C’est pourquoi il faut se réjouir que ces animaux soient, maintenant, classés parmi les espèces protégées même, si dans de nombreux cas, une décision légale ne suffit pas à résoudre les véritables problèmes. Il faut y voir déjà une prise de conscience constructive.
Grenouilles et crapauds, au début de leur vie, respirent à l’aide de branchies qui leur permettent d’exploiter l’oxygène dissous dans l’eau. Progressivement, les têtards abandonnent ce mode de respiration au profit d’une respira- tion pulmonée. Celle-ci sera la règle chez les adultes qui, pour autant, ne signifie pas que les animaux soient toujours obligés de venir à l’air libre pour respirer : ils peuvent, en effet, à travers leur peau, continuer à exploiter l’oxy- gène dissous. C’est, par exemple, ce qui les autorise, le cas échéant, à hiverner dans la vase des étangs. À l’air libre, cette voie de pénétration fonctionne également à la seule condition que la peau soit toujours humide.
Ce résultat est obtenu grâce aux sécrétions de très nombreuses glandes parmi lesquelles il faut distinguer :
• les glandes à mucus dont la sécrétion continue est à l’origine d’une pelli- cule visqueuse assurant la perméabilité et les échanges gazeux ;
• les glandes granuleuses dont l’action ne s’exerce, réellement, qu’en cas de sécheresse prolongée.
Grenouilles et crapauds pondent des œufs qui doivent se développer et éclore dans l’eau, inféodant, ainsi, étroitement ces animaux au milieu dulcicole18. Il est aisé de distinguer une ponte de grenouille d’une ponte de crapaud tout au moins dans les quelques jours suivant leur réalisation. Chez les grenouilles, les pontes se présentent sous forme de petits paquets déposés au milieu des herbes. Ces petits paquets ne tarderont pas à tomber
au fond de la mare mais ils remonteront, souvent, en surface à la période des éclosions. Les pontes de crapauds, quant à elles, se présentent sous forme de deux cordons de 2 à 3 mètres de longueur, chacun d’eux corres- pondant à la production d’un oviducte de la femelle. Dernier cas à signaler, en raison de son originalité : ne recherchez pas des cordons d’œufs de crapaud accoucheur car l’accouplement, chez cette espèce, se fait à terre et le mâle enroule les œufs autour de ses pattes arrière. Il se promènera ainsi, avec eux, allant leur faire prendre un bain de temps en temps et c’est au cours d’une de ces séances que les têtards s’échapperont de leur gangue gélatineuse et débuteront leur vie aquatique.
Cette exception décrite, comment se passe la période de reproduction chez les Anoures ? Elle débute par un regroupement des individus vers les points d’eau où se réaliseront les accouplements et les pontes. L’attachement au lieu de naissance peut être très développé chez certaines espèces, surtout chez les crapauds semble-t-il. C’est en ce domaine que l’action de l’Homme peut avoir des conséquences désastreuses allant jusqu’à compromettre, en très peu d’années, la survie de diverses populations : la construction de routes, d’autoroutes peut être, pour eux, un barrage infranchissable ou, le plus souvent encore, un passage très dangereux en raison de la circula- tion routière. Automobilistes, attention : respectez, par pitié, les panneaux temporaires mis en place pour signaler que vous allez traverser une voie de passage d’Anoures… en mal d’amour ! Levez le pied ce qui, en même temps, est une précaution dont vous êtes les premiers bénéficiaires car, en cas de passages importants, une perte de contrôle de la direction n’est pas impensable, le macadam devenant très glissant : des accidents dus à cette cause sont, malheureusement, connus. Autre action néfaste de l’Homme : l’assèchement de nombreux sites exploités auparavant comme lieux de reproduction. Divers de ces aménagements sont indispensables certes et c’est pourquoi des techniques de prévention sont, localement, prévues pour tenter de réduire le danger qu’ils représentent pour la faune : passages souterrains pour Batraciens, ramassage préventif et traversée manu militari, fermeture momentanée de la circulation…
Parmi les survivants arrivant à bon port – il y en a, heureusement – on dénombre initialement, surtout des mâles qui viennent occuper le terrain et faire connaître leur présence afin d’attirer une partenaire. C’est à cette époque que bien des mares sont le siège de véritables concerts, très sonores, variés mais rarement harmonieux à l’oreille humaine. Les parades nuptiales diffèrent selon les espèces. Très souvent les chants y jouent un
rôle important. Ceux-ci sont émis soit par une expulsion rapide de l’air contenu dans les poumons soit, au contraire, par une aspiration rapide. La présence de sacs vocaux peut encore accroître la portée efficace de ces signaux car ils jouent, en fait, le rôle de caisses de résonance. Ces sacs vocaux sont à considérer comme des caractères sexuels secondaires : ils ne se rencontrent d’ailleurs que chez les mâles de certaines espèces. L’accouplement se réalise dans l’eau, le mâle chevauchant la femelle qu’il étreint violemment. L’excitation est telle, à cette époque, que tout ce qui bouge peut déclencher le comportement de chevauchement. Un crapaud sautant sur le dos d’un autre crapaud ne relâchera celui-ci que si ce dernier émet des cris signalant, de façon claire, qu’il est du sexe mâle.
Par contre, si le « partenaire » saisi est un poisson mort, une branche, l’étreinte (vaine) se poursuivra…
Lorsque la femelle expulse ses œufs, le mâle les féconde au fur et à mesure ; ce qui ne l’empêche pas, simultanément, de se servir de ses pattes arrière pour repousser toute tentative de chevauchements forts fréquents à ce stade ! Le couple ne se séparera que lorsque la ponte sera achevée. Après cet acte visant à assurer la survie de l’espèce, chacun repart de son côté. Les mares, peu après, retrouvent leur calme bien que toujours occupées par certains Batraciens tandis que d’autres s’en éloignent, plus ou moins, jusqu’au printemps suivant.
Le sort de leur progéniture ne les préoccupe nullement : ils ont rempli leur mission, Dame Nature se chargeant du reste !
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Vous venez d'écouter "AUTOMNE - épisode 3", extrait des "Chroniques de la nature" publié aux éditions Quae en 2022. Retrouvez ce titre et nos ouvrages au format papier et numérique sur www.quae.com.