Speaker #0Les éditions Quæ vous présentent "Chronique de la nature - ÉTÉ - épisode 2", extrait de l'ouvrage de Philippe Gramet lu par François Muller.
[Musique]
Aoûtats, mégachiles et abeilles maçonnes…
Le mois de juin ? Un mois merveilleux, aux jours longs, pour tous ceux qui veulent bien prendre – et non perdre – le temps d’observer leur environnement ; il y a tant à découvrir !
Malgré le nom traditionnel donné aux aoûtats, acariens de la famille des Trombiculidés, il n’est pas trop tôt pour en parler : un homme averti en vaut deux et si ces quelques informations peuvent lui éviter de se gratter… le but recherché sera atteint !
Il n’y a rien à craindre des adultes, dits aussi parfois rougets étant donné leur couleur : ce sont les larves – rouges également – qui représentent une menace potentielle sérieuse. À leur naissance, elles sont au sol (ponte à terre) et, pour survivre, il leur faut pouvoir s’accrocher à un vertébré dont elles suceront le sang. L’occasion s’en présentant, elles percent la peau de celui-ci avec leurs chélicères qui leur assurent, simultanément, une prise des plus sérieuses. Une fois « le plein » fait, elles se détachent d’elles-mêmes et digèrent tranquillement sur le sol… La faim les décidera à tenter de retrouver un autre donneur… à son corps défendant et il en sera ainsi de suite jusqu’au stade adulte (la mortalité pendant les stades larvaires est importante mais ne nous en plaignons pas !).
L’Homme est un vertébré et, tout « supérieur » qu’il soit, il peut fort bien accueillir ces parasites. La quantité de sang nécessaire pour le repas d’un aoûtat est minime et serait des plus supportables si la technique de prélè- vement adoptée par la larve n’était pas intolérable à tous points de vue… En effet, lors de leur accrochage, elles injectent un liquide particulier qui déclenche, très rapidement, une violente irritation, suivie souvent d’une inflammation locale des tissus que l’animal mettra à profit pour se dissi- muler ! Une larve d’aoûtat se faufile sous les replis de peau mais ne pénètre jamais sous l’épiderme, contrairement à ce qu’en dit la croyance populaire. La réaction habituelle à cette agression est de se gratter et c’est, précisé- ment, ce qu’il faut éviter de faire car cela ne fait qu’aggraver la situation. Il faut donc savoir se maîtriser et, pour tenter de diminuer au maximum ces irritations locales, avoir recours à un bon savonnage suivi d’une applica- tion d’un antiseptique. Certaines spécialités « antigalles » peuvent convenir
mais le mieux est de demander conseil à votre pharmacien.
Remis plus ou moins totalement de ce parasitisme momentané, il vous sera loisible d’étudier la technique de nidification du mégachile du rosier. C’est cet Hyménoptère, de la famille des Apidés qui vient pratiquer de larges incisions semi-circulaires sur les feuilles de rosier. Il ne les mange pas mais les emporte à son nid qu’il édifie dans des endroits creux : tiges de roseaux, sureaux, ou même, trous dans la terre. Les cellules, en forme de petits tonnelets, sont constituées par des morceaux de feuilles accolés. Chaque cellule est, tout d’abord, remplie de miel puis la femelle dépose un œuf avant de recouvrir le tout de feuilles fraîches. On peut trouver ainsi de 5 à 10 cellules superposées.
L’abeille maçonne, la plus grosse abeille de chez nous, si caractéristique, non seulement par sa taille mais aussi par sa couleur violacée et l’abondance de ses reflets, exige, pour nidifier, des cavités plus grandes qu’elle peut creuser elle-même, par exemple dans un piquet pourri.
À l’extrémité de la galerie, la femelle commence par déposer du pollen puis pond un œuf qu’elle recouvre de sciure et de salive. Cette séparation effectuée, nouveau dépôt de pollen, d’un œuf… Ce même scénario peut se répéter de 10 à 20 fois selon la dimension de la galerie. Cette superposition des œufs ne pose pas de problèmes particuliers au moment des éclosions car ce sont les derniers pondus qui éclosent en premier, libérant ainsi le passage pour les larves d’un niveau inférieur.
Quand moules et poissons s’associent
Les moules d’eau douce les plus communes sont les anodontes pouvant atteindre jusqu’à 19 cm de longueur. Leur coquille, de faible épaisseur, est à l’extérieur, de couleur foncée, souvent bleu noir tandis que la couche interne constituée de nacre est à l’origine de nombreux reflets irisés. Ces mollusques vivent enfoncés dans la vase, en position presque verticale, filtrant l’eau qu’ils aspirent par un siphon. Comme tous les représentants de cette famille des Unionidés, ils sont unisexués et ovovivipares. La femelle garde en effet ses œufs au milieu de ses branchies jusqu’à leur éclosion. Ce sont les larves qui sont rejetées à l’extérieur et qui doivent s’accrocher, pour survivre, à une branchie de poisson passant dans le secteur. Chez les mulettes, moules affectionnant les fonds sableux dans des eaux légèrement courantes, le phénomène est de même nature mais, dans ce cas, les larves s’enkystent et ne se détachent qu’après avoir atteint une taille voisine d’un centimètre. Leur devenir dépendra du point de chute : le déchet est évidem- ment important. Celui-ci est prévu : une femelle peut pondre jusqu’à un million d’œufs ! Adulte, une mulette est cependant toujours plus petite qu’une anodonte (12 cm au maximum) et sa cuticule est de couleur vert jaunâtre. L’examen de la charnière révèlera la présence de dents tandis que les anodontes sont à charnière lisse. La croissance est lente : de l’ordre de 2 à 5 mm/an mais peut se poursuivre pendant une vingtaine d’années…
Les poissons ne semblent pas particulièrement affectés par ce parasitisme.
Une espèce, au moins, a su rendre la monnaie de sa pièce aux mollusques : la bouvière, petit Cyprinidé de 6 à 7 cm vivant dans des eaux calmes présen- tant un léger courant. Au printemps, le mâle en parure nuptiale – riche en coloration bleu ou mauve et… avec des boutons sur le museau et le dessus des yeux – prospecte son territoire à la recherche d’anodontes qu’il présente alors à sa partenaire. Cette dernière, à cette saison, est dotée d’un « tube de ponte » – un oviducte en quelque sorte – qu’elle introduit entre les deux valves afin d’y déposer un ou deux œufs fécondés aussitôt par le mâle. La poursuite des « nids » ou plutôt des abris, continue selon le même cérémo- nial car la ponte peut représenter une centaine d’œufs. L’incubation dure environ 4 semaines, les larves séjournant encore un peu sous la « protection » du mollusque avant de s’aventurer dans l’eau libre. Il ne s’agit pas, à propre- ment parler, de parasitisme car leur présence ne cause aucun préjudice aux anodontes qui participent, involontairement à l’élevage de cette espèce dont certains de ses jeunes profiteront peut-être, ultérieurement ! Des comporte- ments parentaux, assez sophistiqués, n’assurent pas toujours la réussite de la reproduction car divers accidents de parcours peuvent survenir :
• une dégustation de moules par les rats musqués du secteur qui en sont friands et savent fort bien détacher la chair de la coquille ! Abstenez-vous d’en faire de même avec ces mollusques, qui, en raison de leur milieu et de leur mode de vie, concentrent bien des éléments peu recommandés pour l’Homme ;
• une période de sécheresse qui condamne les œufs tout en respectant fréquemment les anodontes : des individus enfouis dans la vase peuvent survivre 6 mois…
Juin est enfin – entre autres choses ! – l’époque où vous pourrez admirer un bijou vivant : la cétoine dorée ou hanneton des roses. Son vol lourd et bruyant attire l’attention mais le plaisir est encore plus grand lorsqu’il est possible d’examiner les reflets métalliques mordorés d’un de ces insectes posés sur une rose en guise d’écrin. Les cétoines dorées se raréfient : respectez-les.
Les musaraignes
Dans les habitations, tout ce qui fait penser à des souris est « mal vu », au sens propre et figuré car, bien souvent la vision en est fugitive. En réalité il peut, vraiment, s’agir de souris, mais aussi de mulots, autres rongeurs dits, parfois, « souris sauteuses » (ce qui révèle qu’une confusion est aisée), ou de musaraignes. Ces dernières ne sont pas des rongeurs mais des insectivores protégés par la loi.
Les espèces de musaraignes susceptibles de pénétrer dans les maisons sont, en général, d’une taille inférieure à celle d’une souris ou d’un mulot. Si vous avez la possibilité d’observer la tête de ces indésirables, vous noterez la forme allongée de celle-ci se terminant par une sorte de trompe. La queue, quant à elle, est beaucoup plus courte que chez les rongeurs. Tout se simplifie si vous disposez d’un animal mort et profitez donc de cette occasion pour confirmer votre exploration : les musaraignes possèdent des incisives, des canines, des prémolaires et des molaires. Sur la mandibule, il n’existe donc pas de zone sans dent comme chez les rongeurs « privés » de canine.
Les musaraignes ne consomment pas les appâts empoisonnés. Il pourra arriver que vous en attrapiez une à la tapette mais, bien souvent, étant donné leur faible poids, elles peuvent passer sans déclencher le mécanisme de capture.
Les pièges, les appâts… et la lutte biologique ? De nos jours nombre de chats sont plus familiers des ouvre-boîtes que des micro-mammifères circulant dans leur environnement! Le pourcentage restant peut se comporter en prédateur pour satisfaire leur instinct de chasseur. Si certains consomment souris et mulots, tous délaissent les musaraignes. Pourquoi cette sélectivité (relative car bien souvent souris et mulots le sont aussi) ? Tout simplement parce que les musaraignes sécrètent des substances malodorantes (odeurs de musc) et irritantes… qui coupent l’appétit des chats : cette « arme dissuasive » n’est cependant pas au point car, vis-à-vis des Félidés, elle n’agit que trop tardivement tandis que les rapaces et les serpents l’ignorent totalement !
De nombreuses espèces de musaraignes peuvent se rencontrer dans notre pays. Certaines d’entre elles sont difficiles à distinguer, même pour des spécialistes : à titre d’illustration les espèces musaraigne carrelet et musa- raigne couronnée n’ont été décrites qu’en 1978. Nous nous contenterons donc d’esquisser les grandes divisions de cette famille des Soricidés.
Deux sous-familles :
• les Soricinés caractérisées, de façon aisée, par la coloration rouge de l’extrémité de leurs dents ;
• les Crocidurinés à dents blanches ;
Dans chaque sous-famille, deux genres avec, tout d’abord, chez les Soricinés, le genre Sorex qui regroupe les musaraignes proprement dites. Ce sont des animaux très actifs, même de jour, à l’appétit féroce ; ce qui peut les conduire à attaquer des proies plus grosses qu’elles : souris, batraciens et même, parfois, rats (acceptez chez vous ces agents de lutte biologique). Le second genre Neomys constitue le groupe des Crossopes, espèces plus liées aux milieux aquatiques où elles chassent les batraciens, les petits poissons tout en évitant d’être la proie de hérons ou de brochets. Chez les Crocidurinés, le premier genre Suncus n’est représenté que par une espèce, la Pachyure étrusque qui est le plus petit mammifère européen (60 à 75 mm dont 25 à 30 pour la queue, poids : 2 g environ).
Le genre Crocidura, par contre, est riche de plusieurs espèces dont certaines sont communes :
• la musaraigne musette qui vit souvent dans la bourre végétale sous un lit de feuilles sèches. C’est elle qui pousse assez souvent des cris perçants. C’est elle aussi qui, en cas de danger pour sa nichée, change de site après formation d’un petit « train familial », chaque jeune s’accrochant à la queue de celui qui le précède, la mère étant « la locomotive »…
• la musaraigne carrelet, de taille semblable (100 à 140 mm dont 30 à 45 pour la queue), est encore plus vorace que la précédente, pouvant ingérer par jour son propre poids de nourriture.
• la musaraigne pygmée (90 mm, 4 g) est commune partout (Midi excepté). Elle vit dans la litière végétale.
• la musaraigne aquatique a un pelage qui rappelle celui de la taupe (autre insectivore mais non protégé !). La salive de cette espèce est venimeuse et peut paralyser de petites proies.
• la musaraigne des jardins, pour finir et en profiter pour montrer que certains systématiciens ne manquent pas d’humour ! Son nom latin est, en effet, Crocidura suavoelens c’est-à-dire d’odeur suave alors que cet animal sent tout particulièrement mauvais !
Si les musaraignes n’ont pas leur place dans les habitations, elles sont, par contre, des auxiliaires non négligeables car menant une « guerre » sans merci à bien des prédateurs des jardins et des cultures. Exploitées comme proies par d’autres espèces, elles tiennent donc une place de choix dans les chaînes alimentaires : leur inscription sur la liste des espèces protégées est donc des plus justifiées.
Les sangsues
Les médias ne manquent pas d’insister sur les bienfaits des produits
« bio », sur le « trou de la sécurité sociale » mais n’évoquent jamais la bonne vieille pharmacopée d’antan, le recours aux sangsues. Ces animaux ont-ils donc perdu tout intérêt pour l’Homme ? Le milieu médical, en effet,
« soupçonne » ces vers annélides de receler encore bien des secrets dont la découverte pourrait autoriser des applications nouvelles. Par contre, les saignées ne sont plus de mode ; ce qui explique le désintérêt vis-à-vis de ces animaux en tant qu’« auxiliaires médicaux » tandis qu’ils demeurent bien présents en nature et méritent, à ce titre, de retenir notre attention.
Pour respecter sa notoriété passée, une place d’honneur sera faite à la sangsue médicinale, Hirudo medicinalis. Pouvant atteindre une longueur de 14 cm, cette espèce présente six bandes longitudinales rousses formant contraste avec la couleur verdâtre du reste de l’animal. Différentes variétés existent et seule, l’une d’elles, la variété verte, reconnaissable à sa face dorsale convexe, était
« agréée » par les apothicaires d’où son nom de « sangsue officinale ».
Contrairement à l’idée que se font beaucoup de gens, les sangsues ne sont pas des « vampires assoiffés de sang ». En réalité leur appétit est des plus mesurés et des périodes de jeûne de plusieurs mois ne les perturbent en rien. Ce manque relatif d’appétit est, d’ailleurs, une des raisons qui ont favorisé leur abandon. En effet, pour répondre aux nombreuses demandes de l’époque, il était nécessaire d’entretenir un important « cheptel » afin d’avoir sous la main des individus « en manque », prêts « à bondir » sur leur victime consentante. « Une bonne saignée », d’un demi-litre environ, exigeait la participation d’une vingtaine de sangsues. Ne vous lancez pas dans un calcul de ration individuelle à partir de ces données car, en pratique, la saignée comporte deux stades. Au cours du premier, les sang- sues se « repaissent ». Une fois rassasiées, elles se détachent d’elles-mêmes tandis que, second stade, se poursuit l’écoulement sanguin. À titre indi- catif, il est estimé qu’une sangsue de 2 g prélève une dizaine de grammes.
Ce second stade est une conséquence directe du mode d’attaque. Comment, en effet, procède une sangsue qui, en conditions naturelles, n’a pas affaire à des patients passifs ? Il lui faut, avant tout, assurer sa prise afin de se prémunir contre toute velléité de rejet. Pour ce faire, elle fait appel à deux points de fixation : le premier ancrage est du ressort de la ventouse postérieure de l’animal, le second de la ventouse antérieure, qui entoure la bouche et se situe à la partie effilée de ce ver.
Bien en place, il lui faut, ensuite, percer la peau afin de déclencher l’écou- lement sanguin nourricier. Se mettent alors en action, dans un rapide mouvement de va-et-vient, ses trois mâchoires semi-circulaires portant, chacune, de 100 à 150 petites dents bien acérées.
Le but atteint, dernière précaution avant de commencer son repas : injecter une substance anticoagulante afin de prévenir tout arrêt prématuré de l’approvisionnement. En ce domaine, les sangsues ne se montrent pas regardantes d’où le maintien du phénomène bien plus longtemps qu’il ne lui serait nécessaire pour « obtenir sa ration » !
Si, à la Belle Époque, le ramassage des sangsues pouvait nourrir son homme (le monde à l’envers !) la demande était telle qu’il était nécessaire de faire appel à l’extérieur : c’est ainsi qu’en 1824 le docteur Broussais en fit venir 80 millions d’Asie Mineure… À titre anecdotique je signalerai que, peu après la guerre, j’étais moi-même le fournisseur exclusif d’un pharmacien de la banlieue parisienne !
S’il faut manger pour vivre… il faut, aussi, se reproduire pour assurer la pérennité de l’espèce : toutes les sangsues sont hermaphrodites et pratiquent, comme l’escargot, la fécondation croisée. La ponte, qui comporte une dizaine d’œufs, est enfermée dans une sorte de cocon qui est déposé dans la terre humide. La maturité sexuelle ne sera atteinte qu’après cinq ans de vie. La sangsue médicinale affectionne particulièrement les cours d’eau à fond vaseux et riches en végétation aquatique. Dans les eaux stagnantes se rencontre plutôt la sangsue de cheval, Hæmopis sanguisuga, qui, malgré son nom, ne s’en prend nullement aux chevaux leur préférant têtards, petits poissons ou même vers de terre qu’elle chasse sur la terre ferme. D’autres espèces, plus petites, font partie de notre faune. Toutes sont, comme les deux précédentes, inoffensives : si donc vous avez à marcher dans l’eau, ne vous faites pas de mauvais sang mais veillez, plutôt, à ne pas en écraser ni
en retirer, bien involontairement, de leur milieu naturel !
Des graveurs discrets, les scolytes
Sans être Champollion, chacun de nous peut s’interroger sur l’origine des hiéroglyphes susceptibles d’être découverts sur des troncs d’arbres ayant perdu leur écorce. Les responsables en sont de petits Coléoptères de 5,8 millimètres, les scolytes, qui ne connaissent pratiquement que cette vie de « graveurs », leur existence à l’air libre ne dépassant pas quelques heures, le temps d’assurer la pérennité de l’espèce. La tête de ces animaux est presque entièrement dissimulée sous la partie dorsale du thorax qui forme un capuchon protecteur. Du bois qu’il ingère, le scolyte ne retient que les substances les plus nutritives tandis que cellulose et lignine ne sont pas assimilées. Ceci explique, pour une large part, la localisation de ces espèces dans la zone sous-corticale des arbres c’est-à-dire la plus riche en éléments digestibles. Facteurs de croissance et vitamines sont produits à partir de bactéries associées au tube digestif.
Plus de 130 espèces ont été identifiées en France. Chacune a son « écri- ture propre » qui peut être décryptée… au moins par des spécialistes. Pour le « commun des mortels », l’ambition doit être plus réduite. Il peut par exemple découvrir s’il s’agit d’une espèce monogame ou polygame.
En effet, s’il se trouve en présence d’une galerie principale unique d’où partent à la perpendiculaire diverses galeries en cul-de-sac, il peut affirmer qu’il s’agit d’un scolyte monogame. L’initiatrice en est une femelle fécondée – à l’air libre – qui, tout en progressant, pond ses œufs, un à un, dans de petites encoches. À la naissance, les larves creuseront leur propre galerie perpendiculaire dont le diamètre va en s’accroissant car elles-mêmes gran- dissent ! La logette terminale correspond au site de la nymphose. Chez les espèces polygames, les phénomènes se présentent différemment car ce sont les mâles qui pénètrent en premier pour creuser une cavité d’ac- couplement dans laquelle ils honoreront les femelles qui se présenteront. Ensuite, chacune d’elles formera sa propre galerie de ponte. En examinant le nombre de galeries partant de la « chambre nuptiale », vous pourrez avoir une bonne idée du succès rencontré par ce mâle !
Un insecte fossile, le poisson d’argent
Les années passent, les temps changent mais pas le lépisme, plus connu sous le nom de (petit) poisson d’argent. Cet insecte primitif, sans ailes, de couleur argent, se présentait déjà sous cet aspect lorsqu’il fréquentait les dinosaures, il y a 300 millions d’années (environ !). Vous pourrez le rencontrer – pas les dinosaures – dans des endroits assez sombres et plus ou moins humides. En observant leurs déplacements rapides, ayez une pensée pour cet insecte « fossile » qui a su traverser les ères malgré son faible pouvoir de reproduction : une femelle, au cours de sa vie, ne pond en effet qu’une vingtaine d’œufs !
Village pour tortues
Pour ceux d’entre vous devant se rendre dans le Midi, je leur conseillerais un arrêt au village des tortues situé sur la commune de Gonfaron dans le Var. Ce site, d’un hectare, ouvert au public en 198811, est en effet une occa- sion unique de rafraîchir ses connaissances sur les tortues et, spécialement, sur la tortue d’Hermann, découverte en 1850 par J. Hermann, qui est la seule tortue terrestre indigène de notre faune. Espèce protégée, son avenir n’en est pas, pour autant, assuré, loin s’en faut. Les principaux facteurs de sa raréfaction sont, dans son aire de répartition, les incendies de forêt dont elle est une victime toute désignée, le ramassage, (illégal, répétons-nous) par des touristes inconscients (plusieurs centaines par an sans doute…) et la disparition de nombre de ses sites de ponte.
S’il est possible, en Corse, de rencontrer un peu partout sur l’île des tortues d’Hermann, en France continentale, cette espèce ne survit que dans un secteur (40 x 100 km environ) du Massif des Maures. Cette popula- tion résiduelle est estimée à une dizaine de milliers d’individus seulement. Le village des tortues est précisément situé dans ce « sanctuaire ». Il est l’œuvre de la Soptom c’est-à-dire, pour être plus explicite, la Société pour l’observation et la protection de la tortue des Maures. C’est, tout d’abord, un centre de sauvegarde qui récupère les tortues qui lui sont apportées, les soigne, les élève et, avec les descendants, assure des réintroductions contrôlées. Parallèlement, il conduit une politique d’informations auprès du public, des pouvoirs publics et met tout en œuvre pour protéger les sites répondant aux exigences spécifiques de cette tortue.
Si la tortue d’Hermann est la seule espèce indigène, d’autres espèces peuvent être découvertes, ici ou là, car les importations sont nombreuses et des échappées se produisent. Il s’agira souvent, de tortues grecques – dites, aussi, tortues mauresques (Testudo græca). Comment la distinguer de la tortue d’Hermann (Testudo Hermanni) ? Il vous suffira d’observer « l’arrière de l’animal » : chez la tortue grecque, l’écaille sous caudale est simple tandis qu’elle est double chez la tortue d’Hermann. De plus, chez cette dernière, la queue possède un éperon corné très apparent. L’observation, non plus de la dorsière (la carapace proprement dite) mais du plastron (la partie ventrale de la carapace) vous permettra de connaître le sexe de cette tortue d’Hermann : il est plat chez les femelles et concave chez les mâles ; ce qui rend un peu moins périlleuse la prise de posture dorso-ventrale lors de l’accouplement !
Celui-ci est fort bruyant dans ses préliminaires : en effet, un mâle dési- rant s’accoupler se met à la recherche d’une femelle et lui fait connaître ses intentions en la frappant violemment par l’arrière : le choc des carapaces peut s’entendre à 50 m… Cette scène se reproduira tant que la femelle restera « sourde » à ces sollicitations et poursuivra sa route malgré « ce rentre-dedans » répété. Si elle se décide à s’arrêter, il y aura chevauchement et fécondation.
Les tortues ont une morphologie connue de tous… en surface du moins. Combien pensent, en effet, que la rigidité de la carapace est due aux écailles apparentes soudées entre elles alors que celles-ci ont, tout au plus, l’épaisseur d’un de nos ongles ! En réalité, elles dissimulent le « vrai boîtier » osseux auquel se trouvent soudées la colonne vertébrale et les côtes de l’animal. Cette structure rigide interdit une respiration pulmonée comme chez l’Homme : les tortues aspirent l’air par leurs narines, en gardant la bouche fermée. Ce sont des mouvements de compression et d’extension de la gorge qui permettent à la cavité buccale de jouer le rôle d’une pompe aspirante.
Toutes ces observations finissent par déranger l’animal qui, pour retrouver la tranquilité, va se fermer. Pour cela, il rétracte sa tête grâce à un mouvement en anse de son cou s’effectuant dans un plan vertical ; c’est une caractéristique systématique. L’obturation du « trou » laissé par la disparition de la tête est assurée par une pliure des membres antérieurs qui viennent se rejoindre au niveau des coudes. Il en est de même pour les membres postérieurs, les pieds étant tournés vers l’extérieur.
Les tortues d’Hermann hibernent, en conditions naturelles, jusque vers la mi-mars en année moyenne. En sortant de leur cache, la première occupa- tion des tortues est de se réchauffer tandis qu’elles peuvent fort bien rester sans manger pendant plus d’une semaine. Peu après, débutent les combats entre les mâles et les premières tentatives d’accouplement. Ceux-ci ne deviendront effectifs qu’un peu plus tard, puis cesseront durant les grandes chaleurs pour reprendre ensuite en septembre.
La ponte, dans un trou creusé dans le sol par la femelle, peut se produire dans des délais très variables, les femelles possédant la faculté de pouvoir stocker les spermatozoïdes ! Le délai minimum est de l’ordre de 6 semaines mais peut atteindre plusieurs années. Il vous est, dans ces conditions, aisé d’imaginer la tête de personnes possédant depuis plus d’un an une tortue isolée qui, un beau matin (horaire non certifié !), se met à pondre des œufs viables… Mieux vaut être prévenu ! L’incubation dure en moyenne 90 jours.
À la naissance, les petites tortues d’Hermann ne dépassent pas les 3 cm de longueur pour un poids de 6 à 12 g. Leur croissance est rapide pendant la première décennie de vie. La maturité sexuelle est atteinte 2 à 3 ans plus tard tandis que l’espérance de vie, chez cette espèce, est de l’ordre du siècle mais, pour notre pays du moins, il y a loin entre l’espérance et la réalité. Si, dans les années à venir, une solution efficace n’est pas trouvée, cette espèce, vieille d’un million d’années, disparaîtra de notre faune sauvage.
Les plus grandes tortues terrestres appartiennent à l’espèce Testudo gigantea vivant dans des îles de l’Océan Indien. Elles peuvent atteindre jusqu’à 1,25 m. Autres tortues célèbres, les Testudo elephantopus des îles Galapagos, pouvant peser jusqu’à 100 kg. Mais, à propos, connaissez-vous la signification de « Galapagos » ? Ce mot signifie tout simplement… tortues.
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