Speaker #0Les éditions Quæ vous présentent "Chronique de la nature - ÉTÉ - épisode 3", extrait de l'ouvrage de Philippe Gramet lu par François Muller.
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La cistude d’Europe, une tortue aquatique
La cistude d’Europe, Emys orbicularis, est le seul représentant aquatique des Chéloniens en France. Son avenir, malgré les mesures de protection prises à son égard demeure des plus préoccupants. Certes, s’il s’agit initia- lement d’un processus naturel de régression de son aire de répartition lié à une évolution climatique – qui semble se poursuivre et qui condamne ces animaux à descendre vers le Sud tandis qu’avant les périodes froides du quaternaire, elle était présente, pratiquement, dans toute l’Europe (d’où son nom) – il est venu s’y surajouter des facteurs locaux dus à des interven- tions humaines. Aux époques préhistorique et protohistorique nombre de tortues étaient capturées afin de répondre aussi bien à la satisfaction de rites funéraires qu’à des fins culinaires. Cette seconde demande s’est maintenue pendant de nombreux siècles puis elle a pratiquement disparu tandis que ces animaux étaient désormais collectés pour être vendus à des aquario- philes. Plus graves encore sont venues, ensuite, les atteintes directes portées au milieu de vie de cette espèce : assèchement de zones marécageuses, transformation de prairies naturelles (lieux de ponte) en cultures annuelles. De nos jours, cette tortue, connue aussi sous les appellations de tortue boueuse ou tortue bourbeuse, peut se rencontrer, ici ou là, au sud d’une ligne reliant l’embouchure de la Charente à Lyon (en incluant la Sologne). Les populations les plus abondantes se trouvent dans la Brenne et en Aquitaine. Chez cette espèce, les individus mâles sont légèrement plus petits que les femelles – carapace de 15 cm environ contre 18 à 20 ; poids de 500 g contre 700 – et surtout chez les mâles, le plastron (la partie ventrale de la
carapace) est faiblement concave tandis qu’il est plat chez les femelles.
Cette tortue possède un bec verdâtre moucheté de brun sombre. Les pattes et la queue sont bleu noir avec, généralement, des bandes ou macules jaunes. Les pattes sont palmées. Chez les jeunes, la carapace est uniformé- ment brune, exception faite de taches périphériques jaunes sur le bord des écailles marginales.
Dans l’impossibilité matérielle d’entrer dans le détail de la biologie de cette espèce – pourtant fort intéressante – limitons-nous à certains de ses aspects pour le moins originaux.
L’accouplement tout d’abord qui n’a rien d’un jeu amoureux. Il se réalise dans l’eau, les animaux n’ayant pas « pied ». Le mâle chevauche la femelle et lui mord cruellement le cou chaque fois qu’elle tente de sortir sa tête pour respirer. Un nombre non négligeable de ces étreintes se terminent par la mort de la femelle. Pour celles ayant eu « plus de chance » se pose, environ 2 mois plus tard, le problème de trouver, à terre, un site de ponte favorable, ce qui peut les entraîner à plusieurs centaines de mètres de la zone de leurs ébats. Cette prospection représente, simultanément, une période de mortalité élevée surtout si les animaux ont à traverser – à leurs pas de sénateurs – des routes à trafic important. Le nid est creusé dans le sol – jusqu’à 10 cm – à l’aide des pattes postérieures. Si la terre est trop dure, la femelle l’arrose au préalable grâce à une réserve d’eau qu’elle transporte dans des vessies anales spéciales. La ponte comprend en moyenne 8 œufs, blanchâtres et à enveloppe molle (reptiles). Chacun pèse environ 8 g. Avant de regagner – ou tenter de – sa mare, la femelle rebouche la cavité, nivelle la terre et la tasse quelque peu à l’aide de son plastron. Donner une durée moyenne d’incubation est impossible car celle-ci dépend de la température du sol. Elle exige au moins 2 mois mais peut se maintenir jusqu’au printemps suivant ! Le phénomène le plus remarquable est le processus de détermination du sexe. Certes, cette espèce possède, elle aussi, des chromosomes sexuels mais le message peut être partiellement bloqué en fonction de la température du sol. Ce phénomène a été mis en évidence en 1972 et depuis, a été retrouvé chez bien d’autres reptiles : pendant une courte période, entre le 30e et le 42e jour après la ponte (en conditions normales), les œufs sont très sensibles à la température. Si l’incubation se réalise à moins de 28 C°, ils ne donneront que des mâles tandis qu’à plus de 29 C° seules naîtront des femelles. Entre 280 et 290 mâles et femelles coexisteront dans des proportions variables…
À la naissance les jeunes pèsent 5 g environ et mesurent 3 cm. La période
s’écoulant entre leur sortie de terre et l’arrivée à la mare est des plus critiques (prédation, écrasement…) : il est estimé que 10 % seulement passent ce cap. Ensuite, il ne leur restera plus qu’à grandir… fort lentement : 30 g à 4 ans, 80 à 8. La maturité sexuelle est plus précoce – ou moins tardive ! – chez les mâles (6 à 8 ans) que chez les femelles (une quinzaine d’années). L’espérance de vie doit être de l’ordre du siècle.
De mœurs essentiellement diurnes, la cistude est relativement aisée à observer dans les sites où elle subsiste ou a été réintroduite comme ce fut le
cas, par exemple, en forêt de Fontainebleau en 1969. Grande amatrice de bains de soleil – surtout à sa sortie d’hibernation – elle recherche, en effet, des emplacements bien dégagés mais, attention, elle demeure très vigilante et plongera si elle décèle un danger potentiel. À vous d’être assez discret pour la surprendre mais, surtout, ne pas la prendre. Respectez cette espèce protégée qui a, déjà, bien du mal à survivre.
Le grillon
Juillet et août coïncident, pour beaucoup, avec la période des vacances et sont une occasion rêvée de se rapprocher de la nature.
Pour ceux qui parcourront les prairies, les friches, les rencontres avec les Orthoptères seront monnaie courante. Impossible de les évoquer tous ! Dans cet ordre, se trouvent en effet réunis les blattes, les mantes, les éphippigères, les sauterelles, les grillons, les criquets… ! Le grillon des champs pourra vous fournir non seulement des concerts gratuits mais, aussi, l’occasion d’approches délicates si vous désirez en attraper un… que, bien sûr, vous relâcherez peu après et près de son terrier. Savez-vous que le grillon domestique, quant à lui, est une espèce qui aurait été rapportée par les Croisés ? Plus visible est la grande sauterelle verte, inutile à décrire. Précisons, cependant, que les mâles, chez cette espèce, sont plus petits que les femelles et surtout sont démunis de l’éperon caudal qui, en réalité, est une tarière de ponte permettant le dépôt des œufs dans le sol.
Eux seuls, en revanche, sont capables de striduler : pour cela ils font frotter une nervure, épaissie et denticulée, – qui porte le nom d’archet – de leur paire d’ailes parcheminées sur une zone membraneuse de l’autre paire d’ailes. Ces émissions sont destinées aux femelles – mais vous pouvez en profiter, au passage ! – qui les reçoivent grâce à des organes spécialisés situés sur leurs tibias antérieurs. Elles répondront à ces appels amoureux en fonc- tion de leur état physiologique. Dans la région méditerranéenne et quelques sites de l’Aveyron et du Lot, vous pourrez vous trouver « confronté » à un géant pouvant mesurer jusqu’à 16 cm : la saga. Plus exactement, les chances de rencontre portent, essentiellement, sur des individus femelles car le nombre de mâles est très très réduit ! Ce fait ne compromet pas le devenir de l’espèce car celle-ci peut, aussi, se reproduire par parthénogé- nèse. La saga est un prédateur d’insectes et a un appétit féroce : on estime qu’un individu capture plusieurs centaines de grosses sauterelles et criquets dans sa vie, relativement courte cependant.
Acrobates ailés, les libellules
Suivre les évolutions, souvent acrobatiques, des libellules est un spec- tacle auquel on résiste difficilement, cherchant toujours à prévoir, mais avec peu de réussite, ce qu’elles vont faire dans les secondes à venir. Si à ce moment-là quelqu’un vous annonçait que ces animaux sont des insectes archaïques, le croiriez-vous ? C’est pourtant la stricte vérité, tout au moins en ce qui concerne la structure de leurs ailes et l’âge de cette famille. Elles sont présentes depuis le Carbonifère, c’est-à-dire quelque 250 millions d’années. À cette époque, leur taille était à la mesure de la végétation. En France, un spécimen de 60 cm d’envergure a été découvert au cours de l’exploitation des houillères de Commentry. Des individus plus grands – jusqu’à 70 cm – sont connus.
Ce sont des Odonates. Ce terme, traduit en clair par « animal à mâchoires dentées », est explicite. Son exactitude est facile à vérifier : si vous lui en donnez l’occasion, une libellule vous mordillera aussitôt le doigt… afin de se défendre et tenter de reconquérir sa liberté -que vous ne manquerez pas de lui redonner, cela va de soi.
Les libellules sont des espèces très spécialisées, chacune d’entre elles recherchant des conditions de vie bien particulières. Ceci est si net que la survie d’un certain nombre d’entre elles… se trouve actuellement menacée, les milieux naturels, surtout les milieux humides, évoluant rapi- dement. Ceci explique que ces insectes soient considérés comme de bons indicateurs écologiques : leur présence peut caractériser, en effet, tel ou tel milieu et si l’on constate une évolution dans les espèces susceptibles d’être observées en un lieu donné, on peut en déduire l’évolution parallèle de celui-ci le plus souvent, malheureusement, dans le sens d’une dégradation. Essayons de décrire brièvement le cycle vital de ces insectes… en le raccourcissant car, en pratique, il peut s’étaler sur cinq années chez
quelques espèces…
Le printemps est là, les libellules virevoltent sauf, si l’on regarde bien, certaines qui marquent une tendance nette à rester posées, comme à l’affût, dans un secteur donné. Ce sont en général des mâles qui, ayant conquis un territoire, demeurent vigilants soit pour chasser un rival éventuel (il peut y avoir combat), soit pour conquérir une partenaire passant à bonne portée. La façon de faire comprendre ses intentions est assez directe : il vole au-devant d’elle et, passant par derrière, l’attrape entre ses pattes tandis qu’il lui pince aussitôt la tête (ou le prothorax)
afin d’assurer sa prise. Il ne la mord pas… bien qu’étant Odonate. En effet, pour cette action, il se sert des crochets situés à l’extrémité de son abdomen. Il recourbe ensuite son abdomen vers l’avant afin de remplir une poche ventrale (la vésicule séminale) de son liquide fécondant. Ceci fait, la femelle prend un rôle actif : elle incurve elle-même son abdomen afin de conduire son extrémité à l’orifice de la vésicule pleine du mâle. Certains auteurs décrivent cette position sous le nom de la rose, d’autres, plus poétiques, sous celui de cœur. Quoi qu’il en soit, ce comportement est relativement facile à observer chez certaines espèces et il mérite d’être vu. L’accouplement lui-même est de durée variable : très bref, il s’effectue en vol, plus long il se réalise lorsque les deux partenaires se posent après avoir effectué pendant des délais variables un vol « en tandem » qui, lui aussi, est un spectacle peu habituel… sauf chez les libellules.
La ponte se produit peu après. Il est vrai qu’une libellule adulte n’a une espérance de vie que de quelques semaines. Beaucoup d’ailleurs n’en profitent pas pleinement car les ennemis naturels sont nombreux comme par exemple les grenouilles, les oiseaux ou les araignées, par toiles interposées.
Là encore, les différences spécifiques sont grandes, certaines espèces pondent en vol, lâchant leurs œufs d’une faible hauteur au-dessus de la surface de l’eau, d’autres vont – toujours en vol – jusqu’à plonger l’extrémité de leur abdomen. D’autres enfin, sélectionnent leurs sites de ponte en insérant leurs œufs – un à un – dans des tiges de plantes. Il est normal, dans ces conditions que les premières espèces, agissant un peu à l’aveuglette, pondent plus que les secondes afin d’assurer, malgré tout, le suivi d’une partie de la descendance. Comme ordre de grandeur, il faut compter quelques milliers d’œufs pour une dispersion relativement au hasard, quelques centaines pour ceux implantés… dans les plantes. De l’œuf sortira une larve aux membres immobiles mais une mue se produira peu après et la larve typique de libellule apparaîtra. Au cours des mues successives, l’ébauche des ailes (cachées dans un fourreau) se développe. La dernière mue donnera naissance à l’insecte ailé et cela, fait à souligner, sans passage par un stade nymphal. Les délais s’écoulant entre l’éclosion et la métamorphose varient de quelques mois à cinq ans, selon l’espèce considérée et aussi les conditions du milieu.
Le mécanisme de la métamorphose ne sera pas décrit en détail car il faudrait le faire pour chaque espèce. Dans ses grandes lignes, il peut se schématiser ainsi : ayant atteint son développement larvaire total, l’animal cesse toute alimentation et gagne progressivement la surface de l’eau d’où
il émerge partiellement (en s’accrochant à une tige). Il aspire de l’air par ses stigmates, ce qui fait gonfler les enveloppes. La larve – c’est encore une larve – sort alors complètement de l’eau, s’agrippe fortement et attend que l’accroissement de sa pression sanguine fasse éclater la cuticule. Les efforts sont grands, plus ou moins longs et donc pendant un certain temps, il se trouve suspendu la tête en bas. Il ne se redressera que lorsque ses pattes auront durci et pourront s’accrocher au support. La prise étant correcte, il lui reste à extirper l’abdomen du fourreau et, spectacle remarquable, à déployer ses ailes encore toutes molles et fripées. Un envoi de sang dans les nervures alaires oblige les ailes à se tendre. Le séchage sera rapide et peu après, l’insecte adulte prendra son vol, abandonnant sur place sa dernière
« peau larvaire » : l’exsuvie. Ces exsuvies sont fortement serrées sur le support et peuvent ainsi résister assez longtemps aux intempéries. Dans les secteurs à forte densité de libellules, il est donc possible d’en découvrir un nombre élevé, témoignages immobiles de naissance à la vie aérienne, pour assurer la pérennité de l’espèce. De tels phénomènes incitent à mieux connaître les mœurs de ces insectes aussi bien à l’état larvaire qu’à l’état adulte. Quand, en plus, il est possible de réaliser soi-même la majorité des observations en restant sagement assis au bord d’une mare, il serait dommage de s’en priver. Un coup d’œil à la tête fait tout de suite remar- quer le grand développement des yeux chez ces espèces. Ils sont, en réalité, composés d’une multitude d’yeux simples, chacun pouvant enre- gistrer « son » information. Les libellules possèdent ainsi un vaste champ visuel, même en gardant la tête immobile; ce qui est rarement le cas. Ceci explique donc qu’il soit très difficile de surprendre un tel animal qui, malgré les précautions prises, « vous voit venir ». Des expériences ont mis en évidence qu’une libellule pouvait discerner 175 images par seconde. Nos possibilités humaines s’arrêtent à 20…
Guano, anchois, un choix fertile
Le problème de l’utilisation des nitrates12 comme engrais agricoles fait, de nos jours, couler beaucoup d’encre et est l’objet de maintes controverses. Délaissant ces feux de l’actualité, retournons au temps où ces fertilisants provenaient, pour une très grande part, de l’exploitation des gisements de guano au large des côtes de l’Amérique du Sud et, tout particulièrement, du Pérou.
Il convient toutefois, au préalable, d’insister sur la différence fonda- mentale qui existe entre des fientes fraîches d’oiseaux et le guano. Les premières sont constituées, à plus de 90 %, d’acide urique et, épandues à ce stade, elles se révèlent être très phytotoxiques : une promenade dans un dortoir d’étourneaux en apporte une démonstration éclatante – et nauséa- bonde ! Toute végétation disparaît, complètement brûlée tandis que des arbres, eux-mêmes, peuvent avoir de la peine à survivre. Ce n’est qu’après une longue période d’exposition à l’air libre que ces fientes se transfor- ment en guano, composé très riche en azote sous une forme directement assimilable par les plantes : la phytotoxicité initiale a cédé la place à un grand pouvoir fertilisant.
Abandonnons ces préoccupations agronomiques pour examiner l’évolu- tion réalisée dans la zone même de production et de récolte. Tout d’abord, comment expliquer la création de cette richesse locale ? Tout simplement en s’intéressant aux chaînes alimentaires. Les courants marins, dans ce secteur, amènent en surface une grande quantité d’éléments nutritifs qui autorisent le développement d’un abondant plancton.
Ce dernier constitue une source alimentaire fort appréciée de nombreux poissons qui, eux-mêmes, sont à leur tour des proies pour divers pois- sons et oiseaux prédateurs. Parmi eux, nous citerons, comme proies, les anchois et comme prédateurs les cormorans de Bougainville. Les cormo- rans sont de piètres voiliers qui, de ce fait, évitent de s’éloigner de leurs lieux de pêche. Des rochers leur offrant cette possibilité, ils demeuraient donc pratiquement toute leur vie dans ces secteurs si propices qui, ainsi, recevaient toutes leurs déjections.
Il a été estimé que 80 % d’entre elles tombaient en mer contre seulement 20 % qui s’accumulaient sur les sites de repos des oiseaux. La première frac- tion assurait la fertilité des eaux et le maintien d’une vie animale intense, la seconde n’attendait que son exploitation par l’Homme… Il a été prouvé que, dès l’époque pré-colombienne, les Indiens ont su profiter de cette richesse tandis que celle-ci n’a retenu l’attention des Européens qu’au cours du XIXe siècle. Il faut se rappeler que les engrais alors disponibles avaient une teneur en azote 30 fois plus faible que celle du guano. De plus, l’abon- dance des anchois dans ces eaux permettait encore mieux de valoriser ces expéditions lointaines. Mais, tout évolue et c’est ainsi que l’industrie des engrais a fait de rapides progrès d’où un intérêt de plus en plus faible pour le guano. Au contraire la pêche aux anchois connut un essor considérable (jusqu’à 14 millions de tonnes pêchés par an ; ce qui porta un préjudice
certain aux populations de cormorans dont la quête alimentaire devenait plus aléatoire). Leur effectif a chuté, entraînant une forte réduction de la fertilisation antérieure des eaux. La pêche aux anchois s’en est très vite ressentie et les campagnes ont été stoppées n’étant plus rentables…
Encore un exemple concret, relativement récent qui mériterait d’être pris en considération afin d’éviter de retomber dans de telles erreurs écologiques déclenchées par des intérêts commerciaux dont l’unique préoccupation est la recherche d’une rentabilité immédiate quelles qu’en puissent être les conséquences vis-à-vis du patrimoine international qu’est la nature.
Un crustacé d’eau douce pour notre table
Doit-on dire un ou une écrevisse ? Une consultation du dictionnaire vous précisera que ce substantif est féminin… même s’il s’agit d’un indi- vidu mâle. Sur votre lancée lisez donc aussi les quelques lignes consacrées à ce crustacé décapode (10 pattes ambulatoires), macroure (à abdomen bien développé; ce qui en fait son charme gastronomique). Vous n’aurez certes pas droit à la définition prévue initialement par l’Académie fran- çaise en raison d’une intervention pleine de tact du naturaliste Cuvier : ayant demandé à cette noble Assemblée le résultat de leurs cogitations, il eut la surprise d’apprendre que pour les « Verts », l’écrevisse était un « petit poisson rouge » qui marche à reculons. Ceci conduisit Cuvier au commen- taire suivant : « Mes chers collègues, l’écrevisse n’est pas un poisson : elle n’est point rouge et elle ne marche pas à reculons : sauf ces légères rectifications, votre définition est parfaite »…
En France existent ou existaient trois espèces indigènes d’écrevisses : celle à pattes blanches, celle à pattes rouges et l’écrevisse des torrents mais il n’est pas sûr que cette dernière subsiste encore de nos jours.
Elles peuvent maintenant coexister avec diverses espèces étrangères intro- duites volontairement ou non dans certaines rivières ou étangs :
• l’écrevisse américaine, qui a fait son apparition entre 1911 et 1913. C’est un animal fort peu délicat quant à la qualité des eaux qu’il fréquente et c’est d’ailleurs pourquoi il vit fort bien, même dans le canal Saint-Denis à Paris…
• l’écrevisse à pattes grêles, venue des pays de l’Est dite aussi parfois turque. C’est elle que vous rencontrerez en abondance… dans les poissonneries et çà et là en nature, des individus s’étant échappés de divers élevages tentés par des particuliers ;
• la dernière arrivée, après un crochet par la Suède, est l’écrevisse du Pacifique. Espèce d’eaux calmes ou courantes, froides ou chaudes, il faut cependant s’en méfier car il semblerait qu’elle soit une compétitrice redoutable vis-à-vis des autres écrevisses. De plus, elle peut attaquer sérieusement les berges pour y creuser ses terriers. Ceci explique que les repeuplements soient soumis à réglementation : en étangs, il est possible de déverser diverses espèces tandis qu’en eaux libres seuls les lâchers d’écrevisses peuvent être pratiqués.
Les éleveurs de ce crustacé sont des astaciculteurs, ce terme provenant du nom latin de l’écrevisse à pattes rouges, l’espèce noble, l’Astacus astacus. Noble peut-être mais qui au moment des amours présente comme les autres un comportement brutal vis-à-vis de sa future partenaire ! Le mâle doit réussir à la renverser sur le dos afin de pouvoir déposer son liquide spermatique près de l’orifice des canaux de ponte. Au cours de ce prélude amoureux, la femelle peut fort bien perdre une ou deux pattes. Si elle en meurt, le mâle la dévore, sinon la ponte aura lieu quelques jours plus tard. Une écrevisse pond 300 œufs environ, qu’elle stocke sous son ventre : elle est dite alors « grainée ». À la naissance, fin mai, les jeunes mesurent
environ 8 mm.
En regardant vers le ciel…
Les aoûtiens du bord de mer, comme les autres, sacrifieront au rite des cartes postales à envoyer aux amis. Seront, sans doute assez nombreux, ceux qui fixeront leur choix sur des photographies de goélands pour évoquer le cadre de leurs vacances. Mais combien parmi eux sélectionneront le goéland grisard, légende fort répandue qui, en réalité, ne correspond à aucune espèce bien déterminée ! Tous les goélands immatures possèdent en effet un plumage taché de brun (et non de gris, qui plus est !) et une queue barrée. Distinguer les espèces, à ce stade, demande une certaine attention tandis que l’effort est vraiment minime pour reconnaître un goéland argenté adulte à la couleur gris clair (et non argenté : ce qui serait trop simple) de ses ailes aux extrémités noires et blanches, d’un goéland marin déjà d’une taille supérieure et surtout remarquable à ses ailes d’un beau noir, bordées de blanc. Ces animaux n’étant pas farouches… familia- risez-vous avec eux, c’est l’occasion ou jamais !
Lorsque viendra votre tour de regagner « l’intérieur des terres », pensez, qu’à cette époque, bien des oiseaux se préparent eux aussi, à partir. Certes, leur motivation est bien différente : il leur faut gagner en temps opportun
des cieux plus cléments afin de pouvoir survivre pour revenir au printemps dans leur aire de reproduction. La réalisation pratique de ces migrations selon l’espèce considérée, des modalités des plus variées. C’est ainsi que le loriot, ce magnifique oiseau à la parure jaune et noir, au chant si mélo- dieux, adopte une direction sud-est ; ce qui est relativement rare. Ce choix lui permet ainsi de faire escale en Grèce au moment où les figues arrivent à maturité… Ayant reconstitué ses réserves, il peut alors repartir vers l’Afrique orientale, but de son périple où il arrivera en octobre après avoir traversé l’Egypte et la Lybie. Au retour, pourquoi passer par la Grèce, privée de figues à cette époque ? Autant filer tout droit quitte pour cela à traverser directement la Méditerranée et être sur place en avril-mai afin de mériter son appellation locale « d’oiseau de la Pentecôte ».
Autre espèce joignant… le tourisme à la nécessité : la pie grièche écorcheur. Partant de France elle gagne, comme le loriot, la Grèce puis l’Égypte tandis qu’au retour elle fera « un crochet » par l’Asie région qui mérite d’être connue !
Que prévoir pour cette fin d’été ? De la neige ? Ce n’est pas impossible en certains lieux du moins mais ces « accidents météorologiques » sont… on ne peut plus naturels car ils correspondent, en fait, à des rassemblements d’éphémères de l’espèce Polymitarcis virgo, au vol très papillonnant et aux ailes blanches d’où cette évocation de flocons de neige. Cette « manne des pêcheurs » est à l’automne, ce que sont « les mouches de mai » au printemps. Là, les vols sont constitués d’Ephemera vulgata, aux ailes transparentes, brunâtres, tachetées de points sombres. Les danses nuptiales, fort spec- taculaires, permettent la survie de ces animaux qui meurent peu après : une vie adulte très éphémère, certes, mais qui est, cela est trop souvent ignoré, précédé d’une à deux années de vie larvaire ! Chaque femelle peut pondre plusieurs milliers d’œufs soit en les laissant tomber, par grappes, à la surface de l’eau, soit en se sacrifiant pour aller les dissimuler, elle-même, sous une pierre immergée ou dans des algues.
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Vous venez d'écouter "ÉTÉ - épisode 3", extrait des "Chroniques de la nature" publié aux éditions Quae en 2022. Retrouvez ce titre et nos ouvrages au format papier et numérique sur www.quae.com.