Speaker #0Les éditions Quæ vous présentent "Chronique de la nature - HIVER - épisode 2", extrait de l'ouvrage de Philippe Gramet lu par François Muller.
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Un casse-noix fort utile
Ce casse-noix est très particulier car il possède deux pattes, deux ailes et est moucheté : Nucifraga caryocatactes, le casse-noix moucheté, apparte- nant à la famille des Corvidés, est un oiseau qui a eu bien du mal à obtenir son statut actuel d’espèce protégée. En effet, une mauvaise connaissance de son comportement lui avait valu l’opprobre des forestiers qui voyaient en lui un ravageur potentiel des plantations de pins Cembro.
Depuis, justice lui a été rendue et il est maintenant considéré comme prenant une part active dans la dissémination des semences : une nouvelle illustration de la méfiance que l’on doit avoir vis-à-vis des apparences même si elles sont concrétisées par un grand nombre de cônes décortiqués. Pour comprendre cette évolution des esprits, il suffit d’étudier le comportement alimentaire de cet oiseau.
Dès qu’un cône d’arole lui a attiré l’œil, le casse-noix moucheté s’affaire afin de le détacher de son support pour pouvoir, ensuite, « l’éplucher » à l’aise après l’avoir coincé dans une fente appropriée ou, à défaut, en le
maintenant solidement avec l’une de ses pattes. Cas extrême : il peut se poser directement dessus et mettre à contribution ses deux pattes.
À coups de bec fort efficaces, il réussit à atteindre les graines qu’il paraît avaler définitivement mais qui, en réalité, sont stockées momentanément dans une poche située sous le bec : la poche gulaire 25 des Corvidés très utilisée également par les mâles lors des nourrissages des couveuses puis par les deux partenaires du couple lors de la phase d’élevage des jeunes. Il poursuit son action « dévastatrice » jusqu’au moment où il considère avoir
« fait le plein ».
On a dénombré 134 graines chez un oiseau ayant atteint ce stade ! Prenant son essor, il va se poser en un endroit calme de son territoire afin, non seulement, d’en consommer une partie… pour conserver la forme mais, également, pour prévoir l’avenir en dissimulant le reste de son trésor. Chaque casse-noix cache de 25 000 à 100 000 graines.
Évidemment de tels stocks seront les bienvenus en hiver lorsque l’on sait que cette espèce vit dans les sites où la couverture neigeuse est souvent importante. Comment, dans ces conditions, lui sera-t-il possible de les retrouver en l’absence de repères matériels également enfouis sous la neige ? De plus, deuxième interrogation, comment pourra-t-il y accéder ? Les expériences réalisées semblent prouver que si nous nous posons ces problèmes, ceux-ci sont ignorés de l’oiseau ! Ainsi un casse-noix, sous 45 cm de neige, retrouve directement ses caches dans 86 % de ses tentatives. Les oiseaux ont dû parfois creuser dans la neige des tunnels de plus d’un mètre de longueur : en effet, la progression vers le but visé ne s’effectue pas à la verticale ; ce qui ne doit pas simplifier le problème à résoudre pour n’obtenir, en fin de compte, que quelques graines d’arole par cache ! Même si c’est un beau score, il n’en demeure pas moins que le stock non exploité est, lui aussi, important d’un point de vue sylvicole car le bref séjour des graines dans la poche gulaire de l’oiseau ne compromet en rien leur pouvoir germinatif. Le casse-noix est, dans le monde des oiseaux forestiers, ce que l’écureuil est dans le monde des rongeurs : un épargnant gérant mal son capital ; ce qui leur vaut la considération dont ils jouissent de nos jours !
En France, le casse-noix se rencontre en montagne. Il niche dans les Alpes
ainsi que dans les Vosges et le Jura. Évidemment, dans cette dernière région, il se trouve privé d’aroles et par force se transforme en un « casse-noisette »,
ces fructifications étant une nourriture de remplacement fort appréciée. En cas de disette momentanée ou d’une couverture neigeuse trop abon- dante, ces oiseaux peuvent être conduits à des écarts de régime : glands, faînes, myrtilles ou même décharges près des stations touristiques ! Autre solution pour nos casse-noix : des incursions rapides dans les plaines avoi- sinantes tandis que certaines années celles-ci pourront être, également parcourues par des casse-noix sibériens ayant dû, faute de ressources locales, abandonner leur aire traditionnelle d’hivernage. Bien peu survivront à cet exode; ce qui permettra aux rares rescapés de pouvoir trouver des condi- tions de vie satisfaisantes et, donc de se multiplier sans problème jusqu’à atteindre à nouveau le seuil de saturation du milieu, annonciatrice, pour nous, d’une nouvelle invasion !
Ravageurs, prédateurs utiles ou nuisibles ?
Nous commencerons cette nouvelle année par une réflexion sur la signi- fication à accorder au terme de ravageur. Peut-on l’employer à l’encontre de toute espèce animale susceptible de porter préjudice – ou ombrage – à l’Homme ? Théoriquement oui, mais restons objectif, pratique : dans de très nombreux cas, les prélèvements effectués par la faune sauvage demeurent compatibles avec les exigences économiques ou même font, pourrait-on dire, partie intégrante des interactions naturelles existant entre les animaux et l’Homme évoluant dans un biotope donné… Qui, par exemple, se mettrait martel en tête à la vue d’un étourneau venant
« goûter » ses cerises ? (sauf dans le cas où la récolte attendue ne dépasserait pas une dizaine de fruits mais de telles situations sont hors de nos propos !). Cette notion de ravageur, première constatation, dépasse donc, en général, le niveau individuel pour atteindre celui des populations locales qui, elles, sont susceptibles d’être à l’origine de dégâts intolérables et/ou économiquement insupportables. C’est à l’encontre de ces dernières qu’il conviendra, donc, d’envisager la mise en œuvre de méthodes de lutte visant à éviter leur apparition (prévention) ou leur développement (lutte curative). En réalité, tout n’est pas aussi simple et cette interprétation laisse encore à désirer car, très souvent, tous les animaux constituant ces popula-
tions locales ne participeront pas forcément aux déprédations.
Cette distinction, extrapolée au niveau régional, national et même international, conduit à rejeter de façon systématique l’adjonction de
ce qualificatif de ravageur à une espèce donnée prise dans sa globalité. Reprenons l’exemple des étourneaux et des cerises : dire que l’étourneau est un ravageur systématique de cette production serait une exagération outrancière. Dans le Midi, les cerises sont mûres et récoltées avant que ne se soient constituées les bandes erratiques de jeunes si redoutées – et à juste titre – dans les vergers plus nordiques. Les étourneaux « méridionaux » existent, prélèvent quelques fruits mais, dans ces milieux, ne constituent jamais un fléau.
Pour tenter de cerner au mieux la réalité biologique qui peut, selon les lieux, les saisons, les effectifs d’oiseaux, présenter bien des aspects divers, cette réflexion préliminaire nous conduit à la double conclusion suivante :
• rester très prudent – et très précis – dans l’emploi du terme de ravageur afin de ne pas fausser, par une terminologie inadaptée, la conduite à tenir lorsque des problèmes se posent ;
• condamner, dès maintenant et sans appel, le qualificatif de « nuisible » encore plus couramment utilisé… bien à tort.
En effet, une espèce donnée n’est jamais nuisible à 100 % et, surtout, ne l’est jamais 365 jours par an. Pour les étourneaux (toujours eux !) nous avons déjà vu qu’à la période des cerises, certains d’entre eux ne jouaient, pratiquement, aucun rôle. Il en est de même durant l’hiver tandis qu’en été, lors de la phase de nourrissage des oisillons au nid, tous chassent inlas- sablement des insectes pour subvenir aux grands besoins alimentaires de leurs jeunes.
« Attention, cela change tout : ils mangent des insectes… donc ils sont “utiles” ». « Encore une hérésie biologique à combattre ! Ce qualificatif est souvent aussi immérité que celui de “nuisible” »…
Avant de nous en expliquer brièvement, malgré la complexité du sujet, voici une petite question-piège : que doit-on penser d’un oiseau qui mange des coccinelles ? Est-il utile (consommateur d’insectes) ou nuisible (les coccinelles dévorant maints pucerons) ? Présentée ainsi, cette ques- tion ne peut que rester sans réponse objective car, pour juger de l’action réelle, non pas d’un individu là encore, mais d’une population, il est nécessaire de pouvoir établir un bilan global. Si la capture est un fait de prédation indéniable, ce qui intéresse l’écologiste est l’effet de cette prédation sur les populations-proies. Celui-ci, bien souvent, n’a pas de conséquences pratiques dans l’évolution des phénomènes. Un exemple simple vous permettra de comprendre « la philosophie» de cette approche écologique des phénomènes. Imaginez-vous adoptant un comportement
de prédateur vis-à-vis des bandes d’étourneaux venant piller votre ceri- sier : si vous capturez une dizaine d’entre eux, la prédation (le fait) sera effective mais votre récolte n’en sera pas sauvée pour autant car l’effet de cette prédation est dérisoire.
Une exception mérite cependant d’être signalée : des expériences de longue durée ont permis de mettre en évidence que des communautés aviaires (toutes espèces d’oiseaux vivant dans un milieu donné) peuvent, à long terme, conduire à une réduction progressive des populations d’insectes ravageurs ; ce qui, en fin de compte, peut supprimer le risque de pullulations catastrophiques. Les oiseaux sont, dans ce cas, à considérer comme un moyen de lutte préventif.
Cette situation, très particulière et se rapportant non pas à une espèce mais à une communauté aviaire, ne doit pas faire oublier le principe général suivant : ce sont les populations-proies qui régulent le niveau des popu- lations de prédateurs et non l’inverse. Dans le Grand Nord, par exemple, l’abondance des rapaces dépend de l’abondance des lemmings, base de leur nourriture. Remarquons, en passant, que l’Homme est loin de maîtriser aussi bien les phénomènes et que, lui, se révèle très capable « de tuer la poule aux œufs d’or » en saignant « ses » populations-proies (gibier) parfois jusqu’au dernier individu…
Après avoir, je l’espère, réglé leur sort aussi bien aux « utiles » qu’aux
« nuisibles » intéressons-nous, à nouveau, aux ravageurs potentiels et à l’évolution de leurs effectifs.
La motivation de tout propriétaire risquant d’être la victime d’oiseaux est d’éviter que ceux-ci puissent arriver à leurs fins. Ce but n’implique nullement qu’il lui faille s’en prendre, systématiquement, à ces ravageurs potentiels. Si, par des moyens divers, il a la possibilité de protéger directe- ment ses récoltes « tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes »… sans effusion de sang et sans, pour autant, condamner les oiseaux à mourir de faim car de la « nourriture sauvage » existe. Il leur faudra juste un peu plus d’efforts car celle-ci est disséminée ici et là.
Cette priorité à donner aux techniques de protection est, pourrait-on dire, un impératif moral pour toute personne tenant à respecter la nature et nombre d’agriculteurs appartiennent à cette classe.
Chaque fois que possible, il sera bon d’intervenir de façon préventive. Si cette technique n’est pas réalisable il faudra, en traitement curatif, agir dès les premières attaques et non attendre une généralisation des dégâts entraînant inévitablement, des pertes économiques.
Ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’il pourra être envisagé d’avoir recours à des techniques de limitation des populations… si elles existent et si elles ne représentent pas un danger pour l’environnement.
Si l’aspect de la protection simultanée des cultures et de l’environnement doit être toujours présent à l’esprit des agriculteurs, il faut que s’y adjoigne, en plus, une réflexion quant à l’intérêt économique à attendre de telle ou telle technique d’intervention. Il serait en effet aberrant de faire appel à une méthode efficace si sa mise en œuvre implique des frais d’investisse- ment supérieurs à la valeur de la fraction de récolte que l’on espère ainsi sauvegarder. Agir autrement serait, finalement, « plus nuisible qu’utile » pour la saine gestion de l’exploitation.
Il faut bien se décider à conclure… sur cet inépuisable sujet.
La seule conclusion sera un appel à toutes les bonnes volontés, c’est-à- dire… à chacun de vous ! Rester indifférent n’est plus possible : chacun à son niveau doit devenir un « militant » en faveur d’une sauvegarde raisonnée de notre environnement.
Le hamster gris
À cette époque de l’année, vous ne verrez pas notre sujet d’intérêt : il y a de fortes chances, en effet, pour qu’il soit en train de dormir profon- dément. Si, par hasard, il était passagèrement actif, sûr qu’il ne pointera pas son nez à l’extérieur préférant rester à l’abri dans son terrier où il s’est volontairement enfermé en octobre après y avoir apporté d’importantes réserves. Quel est donc ce sujet invisible ? Le hamster gris ou commun, dont la France héberge, bien malgré elle ! une petite population dans la plaine alsacienne (entre le Rhin et les premiers contreforts des Vosges). C’est une espèce de rongeur chez laquelle les mâles sont nettement plus développés que les femelles. Donner un poids sans préciser l’époque serait une aberration : avant d’entrer en hibernation, un mâle adulte pèse dans les 350 g – quelques individus atteignent la livre ! – tandis qu’à son réveil il n’en fera plus que 200 environ… Pour les femelles, l’amaigrissement hivernal est relativement plus faible : de 240 g à un peu moins de 200. Cet animal peut, à première vue, faire penser à un gros cobaye : cette confusion est d’autant plus pardonnable que le hamster ne circule qu’au crépuscule ou durant la nuit.
Le terrier comporte plusieurs gueules de 7 cm de diamètre environ
tandis que, dans le réseau complexe de galeries qui peut s’enfoncer jusqu’à
2 m de profondeur, sont réparties de nombreuses chambres où sont stoc- kées les provisions. Cette espèce est prévoyante : plusieurs dizaines de kilos ne lui font pas peur. Ces quantités, il faut le noter, sont peut-être moins importantes de nos jours que dans le passé. En 1884, celles-ci étaient estimées à une centaine de kilos par terrier. Une explication a été proposée pour justifier cette diminution : avant la mécanisation des travaux agricoles le hamster disposait d’un délai bien plus long pour constituer ses greniers, les céréales demeurant sur le champ. Encore une
« victime » du progrès…
Pour transporter ses trésors, le hamster met à contribution ses bajoues : à chaque voyage il peut engranger, par exemple, 100 g de grains… C’est ce comportement d’amassement qui lui confère, pour une large part, son caractère de ravageur.
Les portées peuvent comprendre jusqu’à 18 jeunes mais la mortalité est importante surtout que la femelle ne possède que 8 mamelles…
Le « cousin oriental » du hamster gris, le hamster doré, est nettement plus petit et ne peut se rencontrer en France que sous la forme domestiquée. Animal de laboratoire ou animal « de compagnie », les hamsters dorés du monde entier ont une filiation connue : ils descendent tous, en effet, d’une seule et même nichée découverte en 1930 en Syrie. Celle-ci comprenait une femelle et 12 petits : « Papa Adam Hamster doré » n’a pas été capturé… Même domestiqués, il y a tout intérêt à garder ces animaux en cage : cela vaudra mieux pour vos biens domestiques et peut, en même temps, permettre d’éviter que ne se renouvelle le phénomène noté en Grande- Bretagne, à savoir des échappées en nature suivies d’implantation. Notre faune sauvage comprend déjà assez de rongeurs ravageurs : n’en rajoutons pas par négligence sinon par plaisir !
L’oiseau qui « joue » au Saint-Esprit…
Le faucon crécerelle, Falco tinnunculus, est avec la buse, Buteo buteo, l’un des rapaces diurnes de notre faune le plus facile à observer et dont l’identification peut être aisée même à distance et à contre-jour : en effet, c’est le seul qui soit capable de pratiquer le vol sur place plus connu sous l’appellation de « vol en Saint-Esprit ». Avant de tenter une approche de cet oiseau qui a bonne vue, intéressons-nous un instant à cette spécialisation originale ainsi qu’à sa motivation. La technique : il s’agit d’une maîtrise parfaite des lois de la sustentation. Pour effectuer un vol stationnaire, le
crécerelle bat vivement des ailes dans un plan tel, que ces mouvements ne produisent aucune force de traction mais sont suffisants, par contre, pour contrebalancer l’effet de la pesanteur.
La motivation : c’est un mode de chasse permettant à l’oiseau de déceler la présence de proies potentielles sur une grande surface et donc accroître ses chances de capture. Précisons un peu plus : ces prospections aériennes se font, en général, à 10-20 m du sol. Il a été mis en évidence qu’un faucon peut repérer une proie jusqu’à une distance double de celle à laquelle il évolue normalement ; ce qui, dans le cas présent, représente une zone importante. Il ne faut pas oublier, d’autre part, que les oiseaux utilisent leurs deux yeux de façon simultanée mais indépendante, le cerveau sachant trier les informations reçues sans les mélanger… Cette recherche demeure malgré tout quelque peu imprécise si bien que pour se déterminer, le créce- relle devra avoir recours à la vision binoculaire ; ce qui déclenche l’arrêt du vol sur place pour passer à la vérification c’est-à-dire « à la plongée » qui parfois peut se poursuivre jusqu’au sol tandis que d’autres fois, il « s’arrê- tera » en cours de route. Dans la pratique, bien des tentatives s’achèvent sur des échecs car les proies visées connaissent leurs domaines et les caches que ceux-ci leur offrent. La plus grande chance pour le faucon demeure donc l’effet de surprise qui lui permet de les prendre en défaut.
Chez nous, ce sont les petits rongeurs champêtres qui payent le plus lourd tribut à ce rapace… qui mérite donc bien les mesures de protection prises en sa faveur. C’est également ce régime alimentaire qui a incité les Hollandais à favoriser son implantation dans les polders, biotopes très vite adoptés par les campagnols mais où les crécerelles ne pouvaient, elles, se développer faute de sites propices pour la nidification. Dans cette optique, ils ont « planté » des nichoirs fixés sur piquets ainsi que des piquets sans nichoirs servant de poste de chasse à l’affût cette fois.
Dans les régions méditerranéennes, les menus sont souvent plus diver- sifiés grâce à l’abondance locale des insectes et des lézards. En conclusion, on pourrait dire que « l’occasion fait le larron » même si – dans le cas des insectes au moins – il est nécessaire « d’éplucher » quelque peu la proie avant de l’ingérer. Cet éclectisme permet aussi de comprendre pourquoi, dans l’Ancienne Egypte, le faucon crécerelle était un oiseau sacré en raison de « sa redoutable efficacité » à l’encontre des serpents et des scorpions.
Pour leur aire (c’est un rapace : il n’a donc pas de « nid » !) les couples adoptent des sites très diversifiés : certains pondent en plein air, d’autres préfèrent s’installer dans des cavités naturelles ou artificielles (cf. la
Hollande). Il a été démontré que le succès de la reproduction est plus grand pour des pontes déposées dans des cavités que pour celles effectuées dans des aires à ciel ouvert : 3,3 jeunes à l’envol contre seulement 2,4 dans le second cas.
À la période des éclosions, étalées dans le temps comme chez tous les rapaces, les parents ne manquent pas de travail afin de répondre aux grandes exigences alimentaires de leurs poussins. Ceux-ci, à la naissance pèsent environ 14 g tandis qu’ils en accusent plus de 220 trois semaines après. Ensuite, leurs besoins diminuent mais une nourriture de haute valeur nutritive demeure une exigence vitale.
Après ce rapide survol – non en Saint-Esprit – une supplique : si un jour vous découvrez un faucon crécerelle (jeune ou adulte) en difficulté prévenez aussitôt la LPO/FIR26 qui vous indiquera la conduite à tenir.
Les pelotes de réjection, un sujet à fouiller !
Non seulement les oiseaux ne cuisinent pas mais la grande majorité d’entre eux ingèrent les aliments, animaux ou végétaux, sans préparation. Si cette manière de procéder ne pose pas de problème particulier sur le moment, il n’en va pas de même par la suite car, après l’attaque des sucs digestifs, l’estomac se trouve encombré par tous les éléments qui ne peuvent être expulsés par la voie du transit intestinal. La seule solution est « le retour à l’envoyeur », sous forme de pelotes de réjection consti- tuées par des amas de matériaux des plus divers, agglomérés et enduits de mucus afin de faciliter leur progression à rebours, dans l’œsophage. Rejetées dans la nature par le bec, ces pelotes se désagrègeront plus ou moins facilement. C’est ainsi que dans les corbeautières (colonies de freux), au pied des arbres portant des nids occupés, l’observateur pourra découvrir des amas de glumes27 de céréales à la durée de vie très fugace
car elles se délitent à la première pluie.
En bord de mer, mouettes et goélands se délestent, par cette technique, des arêtes, os, débris de coquillages qui font des taches d’aspect bien diffé- rent des fientes blanchâtres de ces oiseaux. Pour l’anecdote, j’ai pu faire une belle récolte de coquillages divers, sur le toit d’un immeuble de neuf étages… à La Courneuve (93), lors du traitement acoustique d’un dortoir de mouettes.
Chez les rapaces nocturnes, tels la chouette et le hibou, les phénomènes revêtent une tout autre allure car leurs pelotes de réjection sont consti- tuées d’un enchevêtrement dense de poils, de plumes et d’os. Le mucus qui facilite « leur remontée » a la propriété de durcir à l’air emprisonnant, en quelque sorte, ces déchets qui, pour trop de gens encore, évoquent un bon fonctionnement du transit intestinal. Il y a pourtant un critère qui ne trompe pas : les pelotes de réjection n’ont aucune odeur.
Chez ces espèces, ces « documents scientifiques » sont souvent groupés : il s’agit, alors, de la seconde pelote de réjection quotidienne expulsée par l’oiseau lors de son repos diurne ; la première, l’étant au cours d’un arrêt, çà ou là, durant les activités de chasse nocturne.
Pour un spécialiste, l’observation de la morphologie externe, forme et taille, de ces rejets permet l’identification des « émetteurs ». L’intérêt est d’en percer la composition intime car en ce domaine « la curiosité n’est pas un vilain défaut »… Pour le « profane », ce désir peut également exister mais qu’il sache que toute tentative d’émiettage à sec conduira à une destruc- tion en pure perte de sa collecte : une désagrégation nécessaire avant de pouvoir en extraire, avec précaution, le contenu et ainsi mieux connaître la prédation exercée par cet oiseau.
Quelques indications générales destinées à vous aider dans le cadre de vos premières enquêtes : les crânes, tout d’abord ; si le crâne est prolongé par un bec, regardez sa forme pour savoir s’il s’agit d’un insectivore (bec fin et effilé) ou d’un granivore (bec conique, type moineau) ; si le crâne est de forme allongée et présente des mâchoires porteuses de nombreuses petites dents fines et acérées, ce rapace aura capturé soit une musaraigne, soit une taupe. Par contre, si l’on constate un espace sans dents et sans empreintes de racines, mais avec les incisives développées, il s’agit alors des restes d’un rongeur (comme le campagnol).
Quant aux os, longs ou courts, ils peuvent être d’origines variées car les rapaces puisent, selon les occasions du moment, dans un large éventail de proies ; ce qui n’exclut pas l’existence de préférences alimentaires individuelles. Une surprise est toujours possible : c’est ainsi que l’on a découvert un jour, dans une pelote rejetée par un hibou moyen duc, une bague posée en Estonie à un petit passereau avant qu’il vienne pour hiverner en France, le tarin des aulnes.
L’étude des pelotes de réjection permet bien d’autres possibilités d’inves- tigations scientifiques. En voici deux exemples :
• l’analyse du régime alimentaire de rapaces nocturnes du quaternaire moyen et supérieur à partir de l’examen de pelotes subfossiles ;
• l’établissement de la diversité faunistique d’une région par découverte dans les pelotes d’ossements de micro-mammifères ayant réussi à déjouer tous les pièges posés pour les capturer…
Si l’occasion se présente, n’hésitez pas à passer aux travaux pratiques sur les pelotes de réjection. Leur contenu alimentaire vous révélera l’une des raisons pour laquelle tous les rapaces, nocturnes et diurnes, appartiennent aux espèces protégées.
Qu’est-ce qui pousse les étourneaux à venir dormir en ville ?
Chaque année de nouvelles municipalités se trouvent confrontées aux nuisances, de natures diverses, provoquées par la création de rassemblements nocturnes – les dortoirs – d’étourneaux sansonnets. Comment expliquer cette évolution, somme toute récente, dans notre pays car la première observation d’un tel comportement ne date que de 1963 ? Pour répondre à cette question il nous faut, tout d’abord, comprendre ce qui pousse les oiseaux à se réunir ainsi pour la nuit. Moineaux, corbeaux, mouettes et bien d’autres espèces adoptent également ce même rituel. Il répond donc à des motivations qui ne sont pas propres à l’étourneau et qui doivent, en fin de compte, être bénéfiques à ces animaux car ces dortoirs peuvent être éloignés de plusieurs kilomètres des lieux de gagnages29 fréquentés dans la journée : quelle dépense énergétique consacrée à ces retours vespéraux et ces départs matinaux !
Dans ce déterminisme, l’Homme n’intervient pas sinon indirectement comme fournisseur – bien involontaire ! – de sources de nourriture. Si la majorité des espèces aviaires qui se regroupent pour la nuit adoptent des sites en milieu rural, cela semble des plus logique. Pourquoi certaines d’entre elles – ou, plus exactement, une fraction de certaines d’entre elles – ont-elles délaissé ce comportement ancestral « au profit » d’agglomérations urbaines ? La réponse se trouve dans l’acquisition, par ces oiseaux, de comportements anthropophiles qui leur permettent, dès lors, de ne plus
autant redouter l’Homme… tout en continuant, à juste raison, de s’en méfier. Ces conséquences peuvent s’illustrer dans d’autres domaines que celui des dortoirs : c’est ainsi, qu’en ville, vous pouvez approcher aisément les merles des parcs urbains tandis qu’à la campagne leur distance de fuite est bien plus grande.
Cette possibilité existant, pourquoi l’exploitent-ils ? Tout simplement, serait-on tenté de dire, en application des trois facteurs à l’origine de la formation des dortoirs.
Expliquons-nous :
• la sécurité individuelle. En ville, les prédateurs sont moins nombreux ; ce qui est déjà un avantage mais c’est loin d’être le seul. Les oiseaux n’ont plus à redouter « les descentes intempestives de porteurs de fusil » tandis que, même par nuit noire, ils peuvent évoluer sans problème – si la nécessité s’en présente – grâce à l’éclairage urbain qui résout le danger que représen- teraient, pour eux, les phases d’envol et de repos sans visibilité : ce sont des oiseaux à vision diurne ;
• la régulation thermique par diminution des pertes calorifiques en raison de « l’effet de masse » : au sein d’un dortoir d’étourneaux la température ambiante peut être supérieure de plusieurs degrés à celle des zones conti- guës. Les villes bénéficient, en général, d’un microclimat plus doux ; ce qui, en hiver, n’est pas à dédaigner…
• l’échange « de bonnes adresses » : une possibilité de s’informer des sites de gagnages les plus riches, les bandes venant d’horizons différents.
Chacun de vous est donc, maintenant, en mesure de conclure pourquoi cette menace est réelle et risque de se développer encore dans les années à venir.
Que faire pour s’en prémunir ?
Appliquer le protocole d’interventions mis au point par l’Inra pour une exploitation rationnelle de la méthode d’effarouchement acoustique (diffusion de cris de détresse de geai ou d’étourneau) et qui doit assurer un abandon des lieux en trois jours.
Cette affirmation relative à l’abandon des lieux, vérifiée par maintes municipalités, déclenche trop fréquemment encore des commentaires moins enthousiastes que je résumerai ainsi : « votre méthode, c’est bien beau mais ne fait que déplacer le problème». Ce jugement, sans appel, est théoriquement justifié puisqu’il s’agit d’une technique de protection et non d’une méthode de destruction mais, « objection votre Honneur », la pratique et la théorie ne sont pas toujours en accord !
Expliquons-nous :
• première erreur d’appréciation due à une globalisation des problèmes posés par ces oiseaux ravageurs de cultures : en milieu urbain, il s’agit de problèmes « d’hôtellerie » (sans « restaurant »). Les problèmes de restaurant (et, parfois, d’hôtellerie) sont localisés en milieu rural. Faire évacuer un hôtel attaqué par les étourneaux résout le problème local : c’est ce qui, pour les municipalités, motive et justifie l’intervention qui ne prend pas en compte, par contre, les problèmes de dégâts diurnes dans les cultures ;
• deuxième erreur, de prospective cette fois. La découverte et l’adoption d’un dortoir de remplacement ne sous-tend pas, automatiquement, que des problèmes similaires vont se poser en ce lieu : bien des sites – en milieu rural et même en ville – sont à la disposition des étourneaux sans que leur occupation déclenche une levée de boucliers. Dans une certaine mesure, il peut être attribué à la méthode d’effarouchement acoustique, une valeur d’incitation pour les « aider » à découvrir ceux-ci !
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