Speaker #0Les éditions Quae vous présentent Chroniques de la Nature. Printemps, épisode 3. Extrait de l'ouvrage de Philippe Gramet, lu par François Muller.
Un oiseau en promenade sous-marine
Savez-vous que, tout au long de l’année, un oiseau de notre faune se livre non seulement à la nage, à la plongée sous-marine – en ce domaine les exemples ne manquent pas – mais également « à la promenade sousmarine » ? Il s’agit du cincle plongeur, Cinclus cinclus, qui, étant donné son apparence, est souvent appelé aussi merle d’eau ou merle aquatique bien que ce ne soit pas un Turbidé. Mâles et femelles sont semblables, avec le dessus de la tête et la nuque brun chocolat foncé, le dos et la queue gris ardoise sombre avec des liserés brun noir. La gorge et le haut de la poitrine sont d’un blanc pur, le ventre brun marron. Les jeunes peuvent se distinguer des adultes à leur coloration ventrale blanchâtre tachée de gris. La queue est courte et l’oiseau la porte fréquemment dressée à la verticale ; ce qui cependant ne permet pas de le confondre avec un troglodyte étant donné leur taille respective. Cette espèce fréquente préférentiellement les eaux vives avec remous et tourbillons, milieux où elle prospecte ses proies composées essentiellement d’insectes, de petits crustacés, dont les gammares. Le complément est collecté hors de l’eau. À ce régime de base viennent s’ajouter des « occasions » : sangsues ou même petits poissons d’une taille inférieure à 6 cm (les chabots sont par exemple des victimes toutes désignées !). Pour se livrer à ses activités de chasse, de pêche, pardon ! il entre dans l’eau et suit le fond en progressant contre le courant, le corps penché en avant tandis qu’avec son bec il attrape ce qu’il voit. Il essaie aussi de débusquer des proies en retournant les petites pierres qu’il rencontre au cours de sa progression. Chaque incursion sous-marine est de courte durée, de 4 à 7 secondes en moyenne, car il opère « en plongée libre » et ses réserves pulmonaires sont réduites. À bout de souffle, il regagne la surface, les ailes à moitié ouvertes, et jaillit tel un bouchon. Il rejoint ensuite un de ses postes de guet et se remet à l’affût. Le remous de l’eau pouvant gêner l’observation de ce qui se passe sous la surface, le cincle met assez souvent la tête sous l’eau afin d’être… bien au courant ! Le vol, chez cette espèce, est en général direct, rectiligne et nécessite de nombreux battements d’ailes car celles-ci sont petites et ne présentent donc qu’une faible surface portante. Toutefois, cet oiseau est capable d’interrompre brusquement sa progression afin de fondre – ou plus exactement se laisser choir – sur une proie détectée au dernier moment. En France, sa répartition est relativement localisée, tout particulièrement aux massifs montagneux. Il peut cependant se rencontrer, çà et là, en Bretagne, dans l’Aube et en Côte-d’Or. Le nid du cincle se présente sous la forme d’une boule de 20 à 40 cm de hauteur et de 20 à 30 cm de largeur. L’oiseau l’encastre dans une cavité toujours assez proche de l’eau. Un couloir d’entrée ascendant conduit à la chambre de ponte. Les jeunes, dès leur sortie du nid, nagent et plongent comme des grands alors qu’ils sont encore inaptes au vol !
Être parent !
Quel va être le devenir de ces oisillons incapables de se défendre contre les agressions du monde extérieur ? Tout va dépendre de la qualité des attentions qu’ils vont recevoir, au nid, de leur(s) parent(s) et ce, dès les premières heures de vie. Ils exigent tout d’abord d’être réchauffés, condition qui sera assurée par la présence continuelle d’un adulte qui « tiendra le nid ». Avoir chaud est indispensable mais ce n’est pas suffisant : il leur faut, de plus, recevoir une nourriture adaptée à leurs besoins qui sont grands. Chez un jeune nidicole, en fait, tout converge pour obtenir une croissance rapide, mais, pour cela, il faut alimenter la machine sans plaindre sa peine. À titre d’illustration sachez qu’un poussin de héron cendré qui pèse 42 g à l’éclosion en « accuse » 1 600, quarante jours plus tard ! Dès ce stade débute donc, pour les parents, une période des plus contraignantes qui, printemps après printemps, est pour nous, l’occasion de commentaires élogieux quant à leur « dévouement parental ». En réalité, si les observations précises sont nombreuses et variées selon les espèces, les conclusions qui les suivent sont (trop) souvent empreintes d’une sentimentalité déplacée ! Il est vrai que les déterminismes intimes de ces comportements sont loin d’être connus dans leur globalité. Chez la tourterelle à collier, comme chez tous les Colombidés, les poussins sont nourris à partir de « lait de pigeon » produit par les adultes. Ce lait est, en fait, une sécrétion caséeuse du jabot. L’engorgement de cet organe débute en fin de phase d’incubation et se traduit par une agitation permanente des adultes qui semblent être au bord de la nausée… On peut considérer les mouvements parentaux de nourrissage non seulement comme un acte instinctif évoluant en connexion avec son utilité dans le nourrissage de l’oisillon, mais, également, comme des « mouvements ordinaires de vomissements par des conditions spéciales ». Le mécanisme déclencheur du premier nourrissage serait alors le suivant : le poussin couvert par l’adulte, remue et excite la poitrine au niveau du jabot ; ce qui a une action émétique. L’adulte, de son côté, picore le poussin. Si le bec du poussin pénètre dans celui de l’adulte, la régurgitation du lait de pigeon se produit automatiquement, et, fait important pour le parent, ceci se traduit par une disparition quasi-instantanée de l’agitation antérieure. Un conditionnement se réalise très vite chez l’adulte qui, dès lors, fera le rapport entre l’agitation qu’il ressent et la présence d’un jeune comme un exutoire pouvant faire disparaître cette tension. Il a été, de plus, démontré que cette expérience demeure acquise : pour un couple en première année de reproduction, les temps de latence entre le moment de l’éclosion et le premier nourrissage diminuent au cours des cycles successifs. Par injection de prolactine, il est possible de provoquer un engorgement du jabot chez des tourterelles non en reproduction. Si, à ce stade, les oiseaux sont mis en présence de jeunes, leur comportement varie en fonction de leur vécu antérieur. Des adultes s’étant déjà reproduits vont au-devant des jeunes et les nourrissent : ils retrouvent ainsi leur calme. Au contraire les autres, ne s’étant jamais reproduits, ignorent les jeunes et restent agités. Les Colombidés ne constituent qu’une famille parmi beaucoup d’autres. Vis- à-vis de ces dernières – chez lesquelles les parents ne produisent pas de lait de pigeon – une hypothèse permet d’expliquer de façon homogène bien des phénomènes de natures différentes. Citons ainsi : • la création progressive d’un cérémonial de plus en plus strict dans les transferts des aliments de l’adulte vers le jeune est un fait d’observation. L’expliquer par un mécanisme de conditionnement apparaît des plus logiques ; • l’âge des oiseaux n’est pas un facteur déterminant et permet d’expliquer aussi bien l’adoption d’oisillons à la place de poussins (expériences personnelles) que les nourrissages de la femelle par son partenaire (Corvidés) • la distribution non équitable entre les jeunes de la niche de la nourriture rapportée : l’adulte recherche un exutoire… quel qu’il soit. En ce domaine, heureusement, Dame Nature a prévu des garde-fous limitant les injustices flagrantes. Mais, malgré tout, toute attrayante que soit cette hypothèse, elle nous laisse quand même « sur notre faim » et permet donc encore de « rêver ». En effet, à l’exception des Colombidés, elle ne permet pas d’expliquer pourquoi les parents, dans les minutes qui suivent les éclosions, éprouvent subitement l’impérieux besoin d’aller rechercher de la nourriture en quantité telle, qu’ils éprouvent ensuite la nécessité de régurgiter celle-ci dans des becs d’oiseaux grands ouverts « afin de se sentir soulagés » : une telle motivation pourrait être mise en parallèle avec l’histoire traditionnelle du fou se tapant sur le crâne avec un marteau car « cela est tellement agréable quand on arrête »… En attendant de pouvoir admirer, avec certitude, les mécanismes mis en jeu au cours de l’évolution, contentons-nous aujourd’hui d’admirer ces comportements parentaux.
Le héron cendré
Le héron cendré a un cou blanc avec deux rangées de taches noires sur le devant, la large raie noire allant de l’oeil à la pointe de la longue huppe. Chez les immatures, cette raie n’existe pas et le dessus de la tête est gris.Mâles et femelles sont identiques : leur envergure peut atteindre 1,60 m pour un poids de 1 700 g. En vol, le héron cendré – comme tous les représentants de cette famille d’ailleurs – replie son cou sur son dos ; ce qui lui confère une allure très caractéristique. La nidification est coloniale. L’occupation des lieux, parfois choisis loin des lieux de nourrissage habituels, se réalise très tôt dans l’année. Le mâle ayant conquis son territoire – de superficie très réduite ! – se livre alors à une parade des plus curieuses. Voici la description imagée qui en a été faite : « il se mue en un acteur bruyant qui s’étire et se cambre, le bec pointé vers le ciel. Pliant, alors, les pattes, roulant des mécaniques pour exhiber ses épaulettes noires, il émet quelques gargouillements puis recommence, inlassablement, son numéro de gymnastique ». Le contact établi avec une partenaire potentielle, l’agressivité tombe et fait place à des révérences, à des échanges de « baisers » entrecoupés de maintes salutations. La ponte comprend de 3 à 4 oeufs vert pâle. Les soins de l’incubation – qui dure de 25 à 26 jours – sont assurés par les deux parents. Il faut noter que les éclosions sont échelonnées dans le temps ; ce qui peut compromettre très sérieusement les chances de survie du ou des deux derniers-nés en cas de relative disette alimentaire. En conditions normales, les nourrissages sont fréquents – toutes les 3 à 4 heures – et se poursuivent la nuit pendant deux mois environ. La mortalité juvénile est, malgré tout, élevée et l’on estime que 4/5 des jeunes meurent au cours de la première année. Il n’est pas rare, dans une colonie de hérons cendrés, de pouvoir observer un ou plusieurs couples appartenant à une autre espèce : le pourpré, plus petit au plumage plus sombre, gris avec de grandes plumes rousses ou le bihoreau, encore plus petit, au dos noir. Il faut reconnaître que « le bon La Fontaine » en parlant de cet oiseau au long bec emmanché d’un long cou a affabulé… et c’était son but ! Ainsi, le héron cendré ne sélectionne pas ses proies mais attrape ce qu’il peut quand il le peut, si bien que, dans ces captures, il est possible de trouver des poissons dont la taille peut varier de 2 à 60 cm – ce dernier chiffre correspondant à des anguilles. Étudier le régime alimentaire du héron cendré n’est pas tâche aisée : elle nécessite de faire appel, simultanément à différentes techniques car, par exemple, l’examen des contenus stomacaux ne peut suffire à lui seul. Le tiers de ces derniers est, en effet, digéré en 2 à 3 heures environ. Les pelotes de réjection, d’autre part, ne peuvent donner qu’une image également imparfaite car elles contiennent essentiellement des restes de petits mammifères ou d’oiseaux tandis que les arêtes des poissons sont entièrement digérées. Un héron cendré absorbe quotidiennement de l’ordre de 300 à 350 g de nourriture. Toutes les études révèlent une grande diversité dans les prises alimentaires en fonction surtout des richesses locales, de la saison et des conditions météorologiques. Ce n’est pas un piscivore exclusif, loin s’en faut : voici au cours d’une saison de reproduction (6,5 mois) le « tableau de chasse » d’un individu : poissons divers, 748 ; insectes aquatiques, 705 ; invertébrés terrestres, 120 ; batraciens, 31 ; reptiles, 12 ; micromammifères, 4. Ne pouvant pas entrer dans les détails, examinons simplement les deux catégories les plus représentées. En tête viennent les poissons où les espèces les plus fréquentes sont variées : carpes, tanches, brèmes, ablettes ainsi que brochets et gardons ; ce qui révèle déjà que le héron n’est pas un spécialiste mais a de nettes tendances à l’opportunisme. Ces données doivent, pour prendre toute leur valeur, être ensuite examinées en tenant compte du mode de pêche de cet oiseau. Il faut savoir avant tout qu’un héron évite de pénétrer en « eau profonde », ne s’aventurant guère, c’est-à-dire évite de se mouiller au-dessus du « genou » qui, en réalité, correspond à l’articulation de la cheville, à plus de 35 cm environ. Il en découle que, de par leur mode de vie même, les poissons d’eau profonde lui échappent sauf s’ils nagent entre deux eaux ou viennent en surface ; ce qui souvent est la traduction tangible d’un état physiologique déficient. Une prédation de ces spécimens peut fort bien alors ne pas être préjudiciable. D’autre part, un étang, une rivière constituent des biocénoses où les rapports interspécifiques sont régis par la « loi de la jungle » : les plus gros mangent les plus petits et tous les pêcheurs savent bien par exemple qu’un très faible nombre de carnassiers peut suffire à compromettre le maintien d’une faune diversifiée. La capture, par les hérons, de quelques carpes ou brochets ne peut pas a priori être toujours qualifiée de regrettable. Après ces éléments de réflexions relatifs aux poissons, examinons le tableau des insectes aquatiques beaucoup moins connus des pêcheurs ; ce qui est regrettable ! Parmi les espèces les plus abondantes, des coléoptères – dont des dytiques et des donacia – des hémiptères – nèpes, ranâtres, notonectes – aussi bien à l’état larvaire qu’à l’état adulte, sont eux aussi des prédateurs potentiels de poissons, au stade alevin bien sûr mais « petit poisson peut devenir grand » ! Un dytique, une ranâtre peuvent consommer de 5 à 7 alevins par jour ; une notonecte peut, elle, en éliminer jusqu’à une vingtaine. Ceci revient à dire que le héron cendré, dans ses activités de recherche de nourriture, est à la fois prédateur et « protecteur » de la faune piscicole. Dire par contre que son action est équilibrée, puisqu’en première approximation il capture autant de poissons que d’insectes serait ridicule. La conclusion est laissée à chacun en fonction de ses préoccupations personnelles et la situation locale à laquelle il se trouve confronté. Il existe, en effet, des cas où, c’est indiscutable, le héron cendré est un ravageur sinon redoutable mais qui du moins doit être redouté. En premier lieu, il faut penser aux piscicultures qui « attirent » les hérons : bassins souvent peu profonds, d’abords aisés, renfermant une densité élevée de poissons, les oiseaux se conditionnent très vite à ces tables bien fournies tandis que les propriétaires exacerbés ont trop souvent tendance à oublier le statut légal de cette espèce pour donner la parole à la poudre. Sans insister sur les conséquences pratiques que peuvent entraîner de telles décisions, il semble préférable de souligner que cette « méthode », en fait, ne résout rien car elle ne change pas le milieu qui demeure favorable aux hérons. Même si cela leur impose des contraintes supplémentaires, des investissements, il faut qu’ils se tournent vers des systèmes de protection mécanique. Nous en signalerons un seul qui, de prime abord, apparaît être « un truc » – mais dont l’efficacité pratique s’est vérifiée à plusieurs reprises : interdire aux hérons l’accès aux bordures des bassins. Si ces derniers ont plus de 50 cm de profondeur, les oiseaux ne se poseront pas directement dedans mais pêcheront au bord, les pattes au sec ! S’ils ne peuvent plus opérer ainsi… ils iront ailleurs. L’Homme, créateur de piscicultures ou exploitant d’étangs, modifie de façon permanente – ou passagère – l’environnement. Il n’avait conçu cette évolution qu’à son seul profit mais les faits lui montrent qu’il n’est pas le seul être vivant à exploiter la nature. Mis « au pied du mur », qu’il sache se comporter en Homo sapiens et raisonne donc ses interventions ultérieures de la manière la plus écologique possible. Pour terminer ce rapide « survol », il convient : • de signaler une curiosité biologique propre à cette famille : les hérons possèdent un duvet très particulier qui se décompose régulièrement en une fine poudre grise dont les oiseaux se servent pour nettoyer et imperméabiliser leur plumage ; • de donner un conseil : si, un jour, vous vous trouvez en présence d’un héron blessé ne vous approchez pas de lui sans prendre de grandes précautions car ses coups de bec sont redoutables et ces oiseaux ont tendance à viser les yeux. Il faut d’ailleurs comprendre cette réaction de défense : vous voulez lui venir en aide, ce qui est très louable mais lui… n’en sait rien ! Les hérons sont protégés mais protégez-vous, vous aussi.
Tritons et salamandres
Les tritons et les salamandres sont des espèces auxquelles me rattachent bien des souvenirs d’enfance… Chez les tritons, la queue est comprimée latéralement tandis qu’elle est cylindrique chez les salamandres. Ce sont des animaux aquatiques à l’exception de la salamandre noire : il faut toujours une exception ! Totalement aquatiques à l’état larvaire, ces animaux, une fois adultes, ne vivent réellement dans l’eau qu’à la période de reproduction. Chez les tritons Il existe très fréquemment un dimorphisme sexuel développé en période de reproduction. Les parades amoureuses peuvent être spectaculaires mais ne s’achèvent pas par un accouplement au sens traditionnel de ce terme ; il peut être comparé à un ballet aquatique bien orchestré. Le mâle « élu » ayant reçu le consentement de sa partenaire, libère un spermatophore (un « container » de spermatozoïdes) qui tombe sur le fond. Le mâle se place en face de la partenaire convoitée et lui fait part de ses intentions en repliant sa queue à mi-longueur tout en lui imprimant un mouvement vibratoire caractéristique. À sa vue, la femelle se met à nager rapidement au-dessus du point de chute puis, à la suite de mouvements d’une précision remarquable, réussit à introduire ce spermatophore dans son cloaque. L’enveloppe de ce dernier se dissout progressivement : les spermatozoïdes qui s’en échappent sont provisoirement stockés dans une vésicule spéciale qui ne les libérera que lorsque la femelle commencera à pondre, oeuf par oeuf. Le couple ne reste uni que le temps nécessaire. Dès qu’un oeuf est expulsé, la femelle le saisit entre ses pattes et le fixe aussitôt sur une plante aquatique puis replie l’herbe sur elle-même afin tout à la fois, d’assurer une meilleure fixation et de dissimuler cet oeuf. Cette anti-prédation est capitale même vis-à-vis de la mère qui, sans cela, les mangerait sans aucun complexe… L’éclosion interviendra environ trois semaines plus tard pour donner naissance à des têtards possédant déjà la forme générale d’un adulte. À ce stade, ils respirent à l’aide de branchies. Ils n’acquerront la respiration pulmonée qu’à trois mois. Les métamorphoses des Urodèles sont donc plus limitées que chez les Anoures. Le plus typique est l’apparition et le développement des membres. Il est curieux de noter que chez les tritons (et les salamandres !) ce sont les membres antérieurs qui se développent d’abord alors que chez les Anoures ce sont les postérieurs… Dans l’eau, ces animaux utilisent leur queue comme godille tandis qu’ils n’utilisent pas leurs pattes qu’ils gardent plaquées contre le corps. Ils ont, en revanche, recours à leurs membres pour des déplacements sur le fond, pour s’accrocher aux herbes… Sur terre leur démarche n’est pas des plus lestes : ils progressent assez lentement par ondulations latérales du corps. Ceci peut être facilement observé en terrain poussiéreux ou sableux : les traces laissées n’ont rien d’une ligne droite ! Ces animaux ont un appétit féroce mais savent, si les circonstances sont défavorables, résister à d’assez longues périodes de jeûne. Ils sont très éclectiques quant aux proies capturées : pratiquement tout ce qui bouge et n’est pas trop gros leur conviendra. Sur terre la recherche de la nourriture fait appel à différents sens tandis qu’en milieu aquatique ils chassent à vue (raison pour laquelle ils nagent les yeux ouverts). Dans cet éclectisme alimentaire, il ne faut pas oublier de mentionner le cannibalisme pouvant porter aussi bien sur les oeufs que sur les larves ou des congénères plus faibles… Les tritons ont surtout des activités nocturnes, ce qui, pour une large part, doit pouvoir s’expliquer par le fait que leur peau est perméable à l’eau et qu’ainsi, ils doivent se protéger des phénomènes d’évaporation (surtout en atmosphère sèche). Comme tous les animaux à sang froid les Urodèles entrent en hibernation dès que les températures s’abaissent. Ils choisissent, pour ce faire, des caches les mieux calorifugées qu’ils puissent trouver Chez les salamandres Les accouplements – analogues à ceux des tritons – ont lieu sur la terre ferme. Après fécondation, les femelles n’expulsent pas les oeufs mais les conservent dans leurs oviductes. La salamandre tachetée, Salamandra salamandra, ira déposer ceux-ci dans des ruisseaux à eau fraîche et fortement oxygénée. Ils écloront presque aussitôt. Chez la salamandre noire, S. atra, il n’y a plus « ponte » mais mise bas : ce sont des jeunes qui sortent de l’organisme maternel et qui se comportent immédiatement « en adultes miniatures », qu’ils soient ou non en milieu aquatique. Cette espèce est donc, de ce fait même, classée parmi les espèces vivipares3. La salamandre noire est un animal d’altitude que l’on peut découvrir de 1 000 m à parfois 3 000 m (plus souvent 2 000). Elle est inféodée aux milieux humides et ombragés. En France, il est possible d’en trouver – et non d’en capturer ! – dans les Hautes-Alpes, la Savoie et, en plus petit nombre, dans le Doubs et le Jura. Cette salamandre recherche, préférentiellement, les vallées, les pentes boisées proches de la limite supérieure de la forêt, les prairies. C’est une espèce surtout nocturne mais qui, les jours de pluie, peut fort bien être active en plein jour. Étant donné sa viviparité, un seul oeuf peut se développer par oviducte maternel. À la naissance, une jeune salamandre noire mesure déjà de 3 à 4 cm. La salamandre tachetée – ou salamandre de feu – peut vivre dans des habitats divers mais elle affectionne particulièrement les forêts de feuillus et, surtout, les hêtraies. Elle peut se rencontrer partout en France à l’exception des Alpes-Maritimes et de la Corse. Pour elle, la proximité de mares, de sources, de points d’eau demeure un impératif vital, la ponte s’effectuant en milieu aquatique. Il me semble impossible de ne pas évoquer, pour finir, certaines des légendes se rapportant à ces animaux. Contrairement à la croyance populaire encore trop répandue, il faut savoir que ces animaux sont inoffensifs. Certes, certaines glandes cutanées contiennent du venin mais celui-ci peut, tout au plus, provoquer une irritation des yeux… si vous avez pris « soin » de vous les frotter après avoir manipulé une salamandre ! Qui, dans ces conditions, est le fautif ? D’autres personnes sont persuadées, à tort disons-le tout de suite, que les salamandres sont incombustibles et seraient même capables de traverser des flammes sans subir de dommages. Cette croyance trouverait, peutêtre, son origine dans la surprise de témoins voyant ces animaux sortir de leur cheminée après y avoir mis des souches plus ou moins pourries. Le phénomène est pourtant simple à interpréter : ayant adopté celles-ci comme sites d’hibernation, les salamandres se hâtent de les abandonner avant qu’elles ne s’enflamment… Un autre facteur a pu, également, favoriser le développement de cette croyance : une salamandre se trouvant à proximité d’une source de chaleur réagit en sécrétant un liquide blanchâtre qui peut faire penser à la mousse sortant d’un extincteur ! Les seules salamandres qui, à ma connaissance, ont pu supporter l’épreuve du feu étaient celles… figurant sur les oriflammes des régiments de François 1er. Pour terminer sur une note plus pacifique, rappelons que tritons et salamandres sont totalement protégés, interdits à la vente et que, malgré ces mesures, l’avenir de certaines espèces apparaît des plus compromis sauf réintroductions contrôlées (respect du patrimoine génétique des populations) et sauvegarde des milieux qui leur sont propices.
Chenilles en balade et mésanges
Observer les déplacements d’une chenille est un spectacle qui vaut un moment d’attention. Si l’on se trouve en présence d’un représentant de la famille des Géométridés là, le spectacle offre un caractère insolite : on se croirait en train de regarder fonctionner un automate ou, pour se rapprocher de la classification zoologique, en train de regarder un géomètre en plein travail. L’origine du mode de progression très particulier de ces espèces est à rechercher dans leur anatomie : d’une part, seules, comme fausses pattes, subsistent la paire anale et celle du sixième segment abdominal. D’autre part, les segments médiaux se sont fortement allongés. Pour ses déplacements, la chenille doit exploiter, au mieux, « les moyens du bord » dont elle dispose ; ce qui conduit aux différentes phases successives suivantes, très nettement séparées dans le temps : • elle s’accroche solidement au support à l’aide de ses vraies pattes ; • elle rapproche, ensuite, ses fausses pattes contre les premières ; ce qui contraint le corps à former une boucle ; • la fixation étant assurée, cette fois, par les fausses pattes, l’animal se projette en avant à la recherche d’un nouvel appui ; • celui-ci trouvé – après divers tâtonnements typiques – le cycle décrit précédemment se reproduira. Au repos, en revanche, il vous sera difficile de déceler la présence de ces chenilles : fixées par leurs fausses pattes, elles se tiennent droites et sont très aisément prises soit pour des brindilles soit pour des bourgeons si leur corps est « orné » de diverses verrues ou protubérances… Avec un peu de patience, vous réussirez bien à découvrir – et observer – au moins l’une des 550 espèces susceptibles d’être rencontrées en France ! La mésange En mai, vous aurez peut- être la surprise de découvrir un nid ovoïde, allongé dans le sens de la hauteur, accroché à un buisson. Malgré votre curiosité justifiée, respectez-le car il s’agit d’un nid de mésange à longue queue, Ægithalos caudatus. Cette appellation n’est pas usurpée car chez cette espèce, la queue mesure de 7 à 9 cm tandis que la longueur totale de l’oiseau n’est que de 13,5 cm ! L’intérieur du nid est rempli de plumes parfois plus de 2 000 ; l’orifice d’entrée est latéral. L’extérieur comprend une couche de lichens tandis que les parois proprement dites sont un enchevêtrement de mousses, de toiles d’araignée et de crins ; il a été observé qu’à proximité de certains vignobles ou vergers protégés par des réseaux de voiles de viscose, cette matière première est souvent mise à profit (les résidus), au moment de la nidification, par divers oiseaux dont la mésange huppée. En France, cette espèce est sédentaire et poursuit donc tout au long de l’année, une chasse acharnée aux petites proies animales parmi lesquelles figurent maintes vermines : une raison de plus pour respecter cette espèce qui est si agréable à regarder évoluer. À chacun son menu… Les mésanges Un oiseau insectivore est-il utile ou nuisible ? Beaucoup penseront qu’il s’agit là d’une question piège car, si cet animal mange des insectes, il est utile – c’est évident. À moi, maintenant, de donner ma réponse et là, les choses se compliquent car : • la nature ne connaît pas de réponses par « tout ou rien » ; • elle est toujours beaucoup plus nuancée ; ce qui rend, d’ailleurs, son étude si passionnante : la question posée mélange deux approches totalement étrangères l’une à l’autre. La première a trait aux rapports prédateur-proie ; la seconde, au jugement humain porté sur le rôle des insectes vis-à-vis de ses propres intérêts. Ce dernier aspect est complètement ignoré des oiseaux insectivores : pour eux, le monde des insectes représente juste une source de nourriture. Que ceux qu’ils prélèvent soient utiles, indifférents ou nuisibles pour l’Homme est, pourrait-on dire, le dernier de leurs soucis ! Intéressons-nous donc, tout d’abord, aux comportements de ces prédateurs afin de tenter, ensuite, de répondre malgré tout à cette question quelque peu machiavélique… Premier écueil à éviter : nous mettre, une fois encore, en avant et avoir tendance à juger de l’abondance de la nourriture disponible en fonction de critères humains d’appréciation. Une abondance de chenilles ne représente pas forcément par exemple une période faste pour toutes les espèces insectivores. En effet… et en nous référant principalement aux mésanges : • les oiseaux ne recherchent pas également tous les insectes. À chaque espèce correspond, en général, une liste d’insectes-proies caractéristique ; ce qui a pour conséquence directe d’éviter, pour une large part et en un lieu donné, une compétition alimentaire entre espèces voisines ; • la nourriture n’est pas recherchée dans les mêmes zones. Dans l’exemple précédent d’une abondance de chenilles sur des chênes ou des charmes, il faut savoir que leur répartition spatiale jouera quant à l’intensité de prédation qu’elles auront à redouter de la part des mésanges. Dans une chênaie de Grande- Bretagne, il a été montré que les mésanges charbonnières s’alimentent principalement au sol et consomment, de préférence, des insectes adultes ; les mésanges bleues par contre explorent surtout la fine ramure des arbres pour y découvrir des insectes défoliateurs, des larves et des nymphes de petite taille. En boisement mixte, on trouve : mésanges nonettes au niveau des branches, mésanges à longue queue et mésanges bleues sur les rameaux, mésanges noires sur les feuilles, les mésanges charbonnières étant encore au sol… Certes, ce schéma peut subir des variations locales et saisonnières : c’est ainsi qu’à la période de nourrissage des jeunes, on assiste à une concentration de ces différentes espèces dans la zone des branches qui, à cette époque, accueille le plus de proies potentielles ; • le comportement territorial limite la surface – ou, plus exactement, le volume – dans lequel la nourriture indispensable doit être trouvée à partir du nid. Pour des espèces cavernicoles – comme les mésanges – le facteur limitant les effectifs de populations n’est pas, bien souvent, la nourriture mais le nombre de sites de nidification : ceci est prouvé par le fait que la mise en place, dans ces lieux, de nichoirs adaptés permet d’accroître très sensiblement les effectifs locaux. Le phénomène n’est pas immédiat : cette évolution exige en général quelques années ; • les facteurs divers ne doivent pas être oubliés et nous citerons, pour mémoire : la taille de la proie, chaque espèce ayant ses dimensions préférentielles ; le stade de développement de celle-ci (larve, nymphe, adulte) ; l’environnement et les conditions climatiques du moment… Après cette rapide évocation de la complexité des phénomènes, il est évident que conclure en quelques mots est des plus délicats. C’est pourquoi je vous demanderai de me faire confiance : les affirmations qui vont suivre sont étayées par bien d’autres études. Dans certaines conditions, des oiseaux insectivores – mais pas tous systématiquement – peuvent agir en tant que facteur dominant de limitation de populations d’insectes mais on ne peut pas, par contre, espérer les utiliser pour une lutte curative. Celle-ci doit être envisagée à titre préventif et doit se programmer longtemps à l’avance. Les mésanges sont parmi les espèces pouvant être « exploitées » : aussi dans votre – et leur – intérêt pensez, dès maintenant, à mettre en place des nichoirs correspondant à leurs « désirs »…