Speaker #0Les éditions Quae vous présentent Chroniques de la Nature. Printemps, épisode 4. Extrait de l'ouvrage de Philippe Gramet, lu par François Muller.
La marche vers l’indépendance…
La vision idyllique d’une nichée d’oisillons est en fait une déformation sentimentale de la dure réalité quotidienne ! Souvenez-vous : les parents connaissent leurs jeunes mais ne raisonnent pas leurs apports de nourriture, répondant simplement aux demandes « les plus efficaces ». Aussi, chaque oisillon doit-il se mettre en conditions telles que ses besoins aient le maximum de chances d’être satisfaits. C’est pour lui, une question de survie. Le regroupement des éclosions limite quelque peu les inégalités « au départ dans la vie » mais il est loin de les supprimer : les benjamins demeurent les plus menacés. Ce fait est clairement démontré dans le cas des rapaces, espèces où précisément les éclosions se succèdent à des temps équivalant à ceux séparant la ponte de deux oeufs. Si les parents découvrent assez de nourriture, le petit dernier pourra en profiter une fois ses frères – et soeurs ! – rassasiés sinon, il dépérira rapidement et mourra à moins qu’avant ce stade il ne soit tué par l’un des parents… et distribué aux autres. La nature, en plus de ce regroupement temporel des éclosions a prévu quelques autres garde-fous : un jeune venant d’être nourri s’assoupit durant sa digestion et donc s’élimine temporairement de la compétition. Un plus faible voit donc s’accroître ses chances d’être nourri si, pendant cette brève période, un de ses parents revient au nid avec des aliments. Chez les espèces nichant dans des cavités, la position privilégiée pour un jeune est évidemment celle située au trou d’envol du nid. En jouant des ailes, du corps, ils se disputent donc cette place et l’on assiste à une rotation plus ou moins régulière au sein de la nichée… Laissons à leur « triste sort » les jeunes cavernicoles bloqués dans leur trou pour observer des oisillons blottis dans la coupe d’un nid à ciel ouvert. Ceci va nous permettre de comprendre comment se réalise la phase d’abandon du nid par les jeunes. C’est en fait, la concrétisation matérielle de ces phénomènes compétitifs jointe au déterminisme des nourrissages sélectifs. La vigueur venant avec l’âge, le jeune utilise ses nouvelles forces pour accroître ses chances : tout d’abord il se dresse sur les bords du nid afin de bien se mettre en évidence et tenter ainsi d’avoir la préférence. Mais, tous, dès qu’ils le peuvent, tiennent le même « raisonnement » et les voici à nouveau à égalité. Nouvelle étape donc : « allons au-devant du porteur de nourriture ». Les sorties se multiplient, prennent de l’ampleur tandis que durant quelques jours encore, le nid reste le lieu exclusif de regroupement de la famille. Pour les adultes qui auparavant focalisaient leurs activités parentales au seul niveau du nid, cette évolution les conduit rapidement à s’en désintéresser au profit des jeunes de plus en plus mobiles dans l’espace. Peu après le nid sera totalement abandonné, les nourrissages ayant désormais lieu hors de celui-ci : à faible distance dans un premier temps puis, ultérieurement, sur les sites mêmes de collecte de la nourriture, les jeunes accompagnant leurs parents « aux champs ». Avant de les y rejoindre, permettons-nous quelques remarques : • les parents n’ont pas la notion de la durée spécifique de séjour au nid d’un jeune. Ce fait peut être mis assez facilement en évidence chez des espèces cavernicoles. C’est pour aller au-devant des adultes que le jeune va s’élancer dans la vie sans aucune préparation préalable : s’il réussit « son baptême de l’air » il sera, dès lors, nourri en nature. Dès ce stade atteint, les parents se désintéressent de leur nid même si d’autres jeunes, plus faibles, y demeurent prisonniers… Là encore il n’y a pas incitation parentale mais adaptation très rapide à la situation nouvelle déclenchée par le ou les jeunes les plus développés ; • chez les espèces où le départ s’effectue de façon progressive, il y a des limites à ne pas dépasser ! Ceci est, par exemple, très net chez les freux nichant en colonies et où le territoire du couple est restreint : un jeune ayant pénétré chez un « des voisins » sera ignoré par ses parents tant qu’il ne regagnera pas, de lui-même, le « domicile familial ». À noter que les voisins toléreront sa présence tandis qu’un adulte serait aussitôt attaqué et chassé ; • cette tolérance vis-à-vis des jeunes va, peu après, évoluer lors de la constitution de « pouponnières » : les liaisons parents-jeunes cèdent en effet la place à des rapports adultes-jeunes sans que la « filiation » soit prise en considération. Progressivement, entre les nourrissages toujours attendus – et même réclamés – les jeunes commencent à rechercher eux-mêmes de quoi manger. Une analyse plus précise de cette évolution révèle qu’en réalité, l’indépendance alimentaire est une faculté acquise bien avant qu’elle ne se concrétise pratiquement. L’explication en est simple et, pourrait-on dire, bien « humaine » : même lorsqu’ils sont en mesure de subvenir seuls à leurs besoins les jeunes continuent à solliciter leurs parents. Ils ne se débrouilleront seuls que lorsque ces derniers resteront sourds à leurs cris… qu’ils continuent à percevoir mais qui ont perdu toute valeur de signal en raison de la révolution hormonale qui s’est réalisée chez les adultes. Ayant fait allusion aux rapports qui existent et se maintiennent plus ou moins longtemps entre parents et enfants je livrerai, pour terminer, un sujet de réflexion pour tous et plus particulièrement, à ceux qui se piquent de psychologie : vivait chez moi un freux incapable de voler. Craddock – tel était son nom ! – âgé de plus de 3 ans, savait fort bien exploiter les richesses locales même en dehors de sa gamelle. Chaque année, au printemps, il se trouvait momentanément entouré de jeunes freux et choucas prélevés au nid et que je devais donc nourrir (à la petite cuillère). Durant toute cette période, Craddock retombait « en enfance » et venait, lui aussi, solliciter sa ration refusant – du moins en ma présence ! – de toucher à sa gamelle… Dans ces conditions, ne pas sombrer dans l’anthropomorphisme devient difficile…
Vous dites : « Bédégar » ou HLM pour guêpes ?
Qui d’entre vous, un jour ou l’autre, ne s’est arrêté pour regarder ces galles énormes et hirsutes que l’on trouve sur certains églantiers. Rien à voir avec les cynorrhodons, les fruits rouges de cette plante dont on peut faire une excellente confiture en prenant la précaution de bien éliminer le poil à gratter ! Ces galles sont l’oeuvre du Cynips de l’églantier, Rhodites rosæ (aujourd’hui Diplolepis rosæ), qui est une petite guêpe brune et noire de 4 mm de longueur environ, inoffensive vis-à-vis de l’Homme. Il n’en est pas de même vis-à-vis de l’églantier dont les femelles, à l’époque de la ponte, percent les tissus à l’aide de leur tarière qu’elles dissimulent, en d’autres temps, en l’enroulant dans leur abdomen. Ce n’est pas la piqûre elle-même, action mécanique qui détermine l’apparition de la galle, mais il s’agit là d’une réaction physiologique des tissus au liquide que cet Hyménoptère injecte à cette occasion. Localement la plante se développe de façon anarchique et le résultat en est... un bédégar entièrement couvert d’une « tignasse » ébouriffée jaune verdâtre. Les oeufs déposés lors de la piqûre éclosent peu après, chaque larve commençant à dévorer ce qui se trouve à portée de ses mandibules. Chacune vit dans sa petite logette : en quelque sorte, un bédégar est, initialement, une HLM pour Cynips mais celui-ci va bientôt se transformer en « centre d’accueil » pour divers Hyménoptères qui, incapables, eux-mêmes, d’assurer un logement à leur descendance, sont, par contre, fort capables de venir pondre à leur tour dans ceux qui se sont développés ! Chaque individu, là encore, vit en totale indépendance bien que n’étant souvent séparé de ses voisins que par une mince paroi végétale. Le temps passe, les nymphoses se produisent et donnent naissance aux adultes qui sortiront – ou non – aussitôt de cette galle. Les Cynips, quant à eux, resteront « au chaud » pendant tout l’hiver, n’abandonnant qu’au printemps leur abri, largement consommé et qui, à cette époque, a bien piètre allure… Voici pour le Cynips de l’églantier, si aisé à repérer, mais cette famille – les Hyménoptères Cynipidés – a bien d’autres représentants et le chêne, par exemple, en accueille souvent plusieurs espèces dont la distinction se fait bien plus aisément par l’étude de la forme des galles que par celles des adultes. Citons, parmi les plus communes : les galles en forme de bouton aplati au centre et renflé sur les bords ; celles en forme de pommes pouvant atteindre 2 cm de diamètre. Vertes au début, elles tournent progressivement au rougeâtre. Ne pas les confondre avec « les petites pommes » (7 mm) qui, elles, ne grossiront pas. Il en existe aussi en forme de coeurs, de lampions rayés de rouge et de blanc… La diversité est donc très grande mais accordons une mention spéciale à la galle en artichaut – due à Andricus fecundatrix – car celle-ci provient d’une piqûre effectuée dans un bourgeon. Cette origine explique d’ailleurs son allure générale. Relu par Alain Fraval
Plaidoyer pour l’orvet
Depuis qu’Eve a succombé à la tentation, les serpents n’ont pas, en général, bonne cote auprès des Hommes, pris dans le sens générique de ce terme. Certes, de nos jours, les reptiles dont les serpents appartiennent aux espèces protégées légalement mais en ce domaine trop souvent « pas vu pas pris » a encore priorité sur la Loi ! Parmi ces victimes de notre « imprégnation socio-culturelle » figure l’orvet ; ce qui zoologiquement parlant est une double aberration. En effet, l’orvet n’est pas un serpent mais un lézard parfaitement inoffensif : il possède des pattes… mais celles-ci sont atrophiées et ne peuvent se découvrir qu’à l’examen du squelette : ses deux demi-mâchoires inférieures sont unies par une structure solide et non pas simplement reliées par un ligament élastique comme chez les serpents. Cet animal ne peut même pas vous faire du mal par morsure. Enfin, l’oeil est doté d’une paupière, caractère que vous pouvez vérifier par vous-même. Le nom latin de l’orvet est Anguis fragilis. Anguis : de l’anguille au serpent il n’y a, pourrait-on dire, qu’un pas, bien que ces animaux n’aient pas de pattes mais, fragilis, pourquoi ? Saisi par un prédateur quelconque, vous par exemple car lui ne sait pas que vous ne lui voulez pas de mal… il se « cassera » et tandis que son extrémité caudale continuera à se tortiller dans votre main, la partie antérieure en profitera pour prendre le large et se mettre à l’abri. Ce phénomène d’autotomie4 est rendu possible grâce à un dispositif anatomique particulier des points de moindre résistance étant répartis en plusieurs endroits de la colonne vertébrale. La cicatrisation est très rapide mais chez cette espèce de lézard, la régénération n’est que partielle : la nouvelle queue ne dépassera jamais 2 à 3 cm de long. Après le nom latin précisons que le nom français de l’orvet semble provenir du vieux français « Orb » signifiant aveugle ; ce qui est faux ! L’orvet est très commun dans toute la France et affectionne particulièrement les terrains frais. Son cycle d’activités est en liaison assez étroite avec la température ambiante. Dès qu’il fait moins de 20 °C, il réduit ses déplacements et arrête tout mouvement en dessous de 14 °C. Le régime alimentaire de l’orvet est assez éclectique, « l’occasion faisant le larron ». C’est ainsi qu’il ingérera aussi bien des limaces que des vers de terre, des escargots (pas trop gros en raison de la soudure des deux demi-mâchoires), des chenilles, des araignées… Il chasse « à la maraude » exploitant essentiellement semble-t-il ses capacités olfactives pour détecter et pister ses proies. La capture se réalise par saisie soudaine, le maintien de la proie étant alors assuré par morsure. Une précision supplémentaire concernant les escargots : ils ne seront attaqués que s’ils sont en mouvement tandis que les « animaux en boîte », n’offrant pas de prise, le laissent indifférent… Ce régime explique, pour une large part, que les heures d’activités de ce lézard coïncident avec celles de ses proies habituelles c’est-à-dire l’aube, le crépuscule ainsi qu’après les pluies ou les arrosages. Le reste du temps, il peut, toujours « à l’occasion », prospecter les galeries de rongeurs, les tas de feuilles riches en proies diverses tout en lui évitant de se déplacer à la chaleur. La période de reproduction s’étend, selon les conditions climatiques locales, de la mi-avril à la fin juin. La conquête d’une partenaire peut être l’aboutissement d’un combat entre différents mâles, vaincus et vainqueurs en gardant des plaies par morsure. L’orvet appartient aux espèces ovovivipares, les oeufs étant « couvés » dans le corps maternel si bien que l’éclosion suit de très près la ponte. Cette dernière comprend, en moyenne, de 6 à 12 oeufs. Dès sa naissance, le jeune recherche un abri puis, son logement étant assuré, il se met en chasse de proies… à sa taille c’est-à-dire ne dépassant pas de 6,5 à 9 cm. Les orvets, comme tous les reptiles, sont des animaux qui grandissent jusqu’à leur dernier jour de vie mais, l’âge venant, ce phénomène se ralentit : au bout d’un an, ils peuvent mesurer de 15 à 18 cm, 21 à 23 à 2 ans… Nous n’irons pas plus loin car en nature, l’espérance de vie de cette espèce est encore mal connue. En fonction des données acquises à partir d’animaux captifs, elle doit être élevée : des orvets de 27 à 33 ans sont connus, le record appartenant cependant à l’un des orvets du musée de Copenhague qui a vécu 54 ans et se reproduisait encore à 45 ans… Voilà : vous savez tout… ou presque et, surtout, vous avez, avec l’orvet, la démonstration qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Maintenant, si vous voyez un orvet, ne prenez pas vos jambes à votre cou mais, tranquillement, continuez… à lézarder !
L’Alsace et ses cigognes
La cigogne blanche est un magnifique oiseau d’un mètre, d’une envergure dépassant le mètre et demi et qui, pourtant, pèse moins de 5 kg. Elle ne pratique pas le vol battu mais exploite les courants aériens pour se déplacer en planant. Cette technique représente une économie d’énergie telle, que cette espèce n’est pas contrainte à faire « des provisions de voyage » (réserves graisseuses) avant le départ (ou le retour). Connue de tous, elle évoque presque automatiquement l’Alsace dont elle est l’emblème. Ce régionalisme constitue un bon thème de réflexion éco-éthologique : c’est, en effet, un excellent exemple de ce que l’Homme est en mesure de réaliser s’il est réellement motivé. Cette espèce risquait de disparaître des cieux alsaciens comme le démontrent les quelques données suivantes : à Strasbourg 60 couples nicheurs étaient dénombrés en 1870, 13 en 1896, 2 en 1904 et 1 seul en 1927. Jusqu’en 1960 environ, 150 couples subsistaient en Alsace ; à partir de cette décennie, une décroissance alarmante se manifeste. Diverses explications furent proposées dont, en premier lieu, la raréfaction des grenouilles. Une analyse du régime alimentaire de la cigogne montre son irréalisme, même s’il est évident que la canalisation du Rhin, l’assèchement de nombreux marais (dans le Ried) ne peuvent que défavoriser ces oiseaux dans leurs quêtes alimentaires. Les recherches entreprises ont permis de déterminer les deux facteurs principaux à l’origine de cette évolution : ils sont, tous deux, liés aux phénomènes migratoires. Il y a, d’une part, à déplorer une forte mortalité lors des trajets aller et retour par électrocution des oiseaux percutant des lignes à haute tension (nombreuses dans le couloir rhodanien). La sécheresse régnant dans les aires africaines d’hivernage compromet, d’autre part, la survie des individus ayant réussi à atteindre sans problème ces zones où, auparavant, ils trouvaient toutes facilités « pour se refaire une santé »… Les études réalisées à partir d’oiseaux bagués (et la population alsacienne l’est à plus de 90 % ; ce qui est remarquable) fournissent une illustration tragique de cette situation : seuls 10 % des cigognes partant d’Alsace y reviennent au printemps suivant alors que pour obtenir une simple stabilisation de cette population, il faudrait que ce pourcentage soit de 50 %... Un ornithologue alsacien fut l’un des premiers à tirer le signal d’alarme auprès de la population tout en se consacrant, lui-même, à la sauvegarde de ce patrimoine vivant. Son objectif initial : introduire en Alsace de jeunes cigognes, prélevées en Afrique du Nord, les garder en volières et ne leur rendre la liberté que lorsqu’elles seraient aptes à la reproduction. Précisons tout de suite que maintenir des cigognes en hiver ne soulevait pas de problèmes complexes dans la mesure où ces oiseaux sont fort capables de résister au froid s’ils disposent d’une nourriture adaptée, fournie par l’Homme. Cette idée généreuse ne fut malheureusement pas couronnée de succès : sur 36 cigognes relâchées en 1955 toutes migrèrent, ce qui « faisait partie du programme » ; mais une seule revint l’année suivante. C’est alors que les responsables de la désormais célèbre Volière des Aigles de Kientzheim, préconisèrent une autre stratégie : élever, en Alsace même, des cigognes afin d’obtenir des oiseaux n’ayant plus l’instinct migrateur. Les premières tentatives, avec des oiseaux maintenus deux ans en captivité, débouchèrent sur des résultats encourageants mais, néanmoins insuffisants : 25 % des individus demeurèrent en Alsace, les 75 % restants… demeurant des migrateurs ! La « période probatoire » fut portée à trois ans, ce qui conduisit à un accroissement sensible du taux de réussite tandis que la majeure partie des cigogneaux partaient, eux, en migration. Nouvelle évolution : arrêt des importations d’oiseaux au profit d’une production locale par incubation artificielle d’oeufs prélevés en nature ; ce qui ne représente pas un risque pour l’espèce, des pontes de remplacement venant, peu après, annuler « cette prédation humaine ». C’est ainsi que le Centre de Réintroduction des Loutres et des Cigognes de Hunawhir assure à l’Alsace une population de cigognes sédentaires dont la raison majeure d’être est de constituer un réservoir de futurs reproducteurs qui, eux, continueront à être des migrateurs. Il est donc possible de dire que « la cigogne d’Alsace est sauvée » sans oublier, toutefois, que ceci implique que les efforts entrepris soient poursuivis sans défaillance humaine… Mais il est curieux de noter que les cigognes blanches sauvages font montre de moins de régionalisme si bien que, d’année en année, se multiplient des nidifications hors Alsace : la population alsacienne (oiseaux sauvages ou provenant d’enclos) ne représente plus que les 3/4 des effectifs nicheurs de France si bien qu’il est maintenant possible d’entendre craqueter des cigognes en Normandie, dans les Charentes, les Landes…
Des poissons au courant…
En forêt équatoriale, l’eau des rivières est rarement limpide et c’est ainsi par exemple, que les eaux de l’Ivindo, une rivière du Gabon, sont souvent comparées à du coca-cola ! Dans ces conditions « être heureux comme un poisson (prédateur) dans l’eau » peut devenir une expression à courte vue. Ceci explique qu’au cours de l’évolution environ 500 espèces de poissons – pour la plupart d’eaux douces – ont « opté » pour « le confort électrique » et se sont équipées, par transformation de masses musculaires, en batteries constituées d’un nombre variable de cellules spécialisées – les électrocytes – capables de produire des décharges électriques grâce au principe de la dépolarisation des cellules. Deux types de décharges peuvent être distingués : • les faibles, comparables en tension à celle d’une pile de poche qui permettent aux poissons-émetteurs d’avoir une excellente connaissance de leur environnement ; • les fortes (pouvant atteindre les 100 volts) qui sont utilisées pour électrocuter les proies. Seules quelques espèces exploitent cette technique de chasse. Parmi les plus connues, il faut citer le gymnote et, en mer, les raies torpilles. La connaissance du milieu extérieur se réalise par électrolocation : par émissions régulières, le poisson crée autour de lui un champ électrique déterminé. Toute variation dans cette image électrique de son environnement sera récupérée par des électro-récepteurs et l’information aussitôt transmise au cerveau ; ce qui amènera le poisson à réagir en temps opportun et de la façon la plus adaptée. Ce système est très sensible : un gymnote est capable d’apprécier le millionième de volt/cm ! Si l’électrolocation autorise essentiellement le repérage des obstacles, les autres êtres vivants évoluant dans le milieu, pour se reconnaître les gymnotes font appel à l’électro communication. C’est ainsi que dans l’Ivindo cohabitent sans aucun problème de communication spécifique 23 espèces de Mormyridés. Après ces considérations générales approchons-nous, avec prudence, du gymnote qui n’est vraiment pas un poisson comme les autres. Ses impulsions électriques sont émises avec une régularité de métronome. Cet animal vit au rythme de 250 périodes par seconde. Des chercheurs se sont même « amusés » à exploiter les impulsions émises par ce « bio-chronomètre » pour alimenter une horloge ! Les « décharges pour tuer » sont redoutables et ce qu’il faut savoir c’est, qu’au contraire des raies torpilles, ce poisson ne se fatigue pas rapidement : après 150 décharges données en 1 heure, son pouvoir électrogène n’est que peu réduit en tension. On rapporte, à ce sujet, une scène de pêche des plus curieuses : afin de capturer des gymnotes dans des mares guyanaises, les Indiens y font pénétrer des chevaux et les y maintiennent de force tant que les poissons manifestent des facultés de réaction, ce qui peut demander plusieurs heures… Original dans son mode de chasse, le gymnote l’est aussi dans son mode de nidification : il édifie en effet, un nid flottant qui peut atteindre 1,50 m de longueur sur 0,80 de large. L’orifice d’entrée – et de sortie ! – se trouve sous la surface de l’eau. Les oeufs – au nombre d’un millier et de la taille d’une petite cerise – sont déposés sur la végétation immergée. Le nid est gardé jusqu’à la phase d’éclosion des oeufs : une clôture électrique mobile en quelque sorte ! Les alevins sont dotés d’un énorme sac vitellin leur interdisant tout déplacement. Ils profitent durant quelques jours de la protection offerte par le nid avant de s’échapper pour gagner le courant (souvent faible ou même inexistant dans les mares soyons honnête !).
Promenons-nous dans les bois
Au mois de mai « promenons-nous dans les bois… que le muguet y soit ou non » : prendre au moins un brin d’air pur est salutaire et, à cette époque, que de spectacles s’offrent aussi bien à l’oeil qu’à l’oreille ! Dois-je vous conseiller d’avoir une pièce d’argent dans votre poche pour le cas où vous entendriez le coucou chanter ? Non, faites comme bon vous semble car en mai « faites ce qu’il vous plaît » mais, en revanche, « ne courez jamais deux lièvres à la fois » est un adage raisonnable et c’est pourquoi nous nous intéresserons, successivement, à deux espèces de papillons… encore au stade chenille, les vols se produisant seulement vers la fin juin. Ce sont deux Liparidés 5 qui peuvent être caractérisés par leur corps épais et feutré de longs poils. La forme des antennes est une des manifestations du dimorphisme sexuel : elles sont pectinées chez les mâles et presque filiformes chez les femelles. Les ailes, blanches, sont plus développées chez les mâles que chez les femelles. Ces dernières, il est vrai, ne volent que très peu de temps étant très vite alourdies par le poids des oeufs contenus dans leur abdomen. Chez ces deux espèces, les chenilles sont très velues et grand nombre de ces poils sont urticants : attention ! Il est temps, maintenant, de différencier ces deux papillons. Le premier est l’Euproctis pharrhaea6 dont le nom vernaculaire est plus imagé et explicite : c’est le Cul brun en raison de la couleur brun rouille de la touffe de poils anale des adultes. Ce sont les chenilles qui retiendront – et attireront – notre attention. Vous les connaissez, d’ailleurs : ce sont elles qui tissent les bourses soyeuses « ornant », par exemple, certains arbustes de bordures de chemins. Ce réseau arachnéen englobe pousses et feuilles et renferme les chenilles qui y vivent en colonies. Ces bourses leur servent de dortoirs tandis qu’elles peuvent les quitter dans la journée pour aller s’alimenter aux alentours. Elles en profitent, également, pour passer la mauvaise saison. La dispersion ne se réalise qu’au moment de la nymphose, les premiers adultes apparaissant vers la fin juin. Les femelles vivent peu de temps après avoir pondu. Les oeufs sont déposés en amas – qui peuvent regrouper jusqu’à 200 oeufs – et sont plus ou moins recouverts, en fin d’opération, par des poils que la femelle arrache de la partie terminale de son abdomen. Cette protection est non seulement mécanique mais également chimique en raison des poils urticants. Une colonie isolée ne représente pas un très grave danger pour la végétation mais il n’en est plus de même si elles sont nombreuses. Il n’est pas rare de découvrir des arbustes ou des arbres complètement recouverts de soie ; ne pas confondre avec des projections mécaniques par pose de voiles de viscose ! Dans ces conditions, les dégâts deviennent très vite catastrophiques comme, par exemple, sur les chênes ou diverses essences fruitières. C’est d’ailleurs essentiellement à l’encontre de cette espèce qu’a été édictée, en 1796, la première loi rendant l’échenillage obligatoire. La seconde espèce, l’Euproctis similis, peut être désignée sous différents noms qui, tous, se réfèrent, là encore, à la touffe terminale des poils abdominaux colorés qui sont jaune d’or : le Cul doré, la Queue d’or, le Cul jaune. Plus petit que le précédent – envergure de 2,5 à 3 cm – ce papillon ne représente pas un véritable danger pour les plantes-hôtes, sauf les années de grands vols, car les chenilles vivent de façon isolée ; ce qui répartit les prélèvements. Ce n’est qu’après avoir effectué leur seconde mue qu’elles se constituent, individuellement, une petite logette soyeuse dans une feuille recroquevillée sur elle-même ou dans une fente d’écorce. Celle-ci est connue sous le nom d’hibernarium ; ce qui, en même temps, révèle sa fonction ! Relu par Alain Fraval
Vous venez d'écouter Printemps épisode 4, extrait des chroniques de la nature, publié aux éditions Quae en 2022. Retrouvez ce titre et nos ouvrages au format papier et numérique sur www.quae.com