Étienne DecrolyJe suis très heureux aujourd'hui de vous présenter justement la problématique des expériences de gain de fonction, mais de manière un petit peu plus large. L'intitulé de l'exposé, c'est « Expériences en virologie, quels bénéfices et quels risques ? » On comprend tout de suite dans l'intitulé de l'exposé que je vais me focaliser sur une approche qui est vraiment très pragmatique, qui est du type bénéfice-risque, pour essayer de classer finalement et d'analyser différents types d'expériences à l'aune de cette relation bénéfices-risques, et de manière un peu éclairée, la pensée des chercheurs sur comment on peut mitiger et limiter les risques, tout en ayant une pratique de recherche qui permette le développement de vaccins et d'antiviraux. Donc, avant de commencer, mon domaine d'expertise qui a été résumé, évidemment, très brièvement maintenant, je vais pas y revenir, mais ce que je voudrais vous dire surtout c'est que je n'ai pas de conflit d'intérêt dans le sujet que je vais développer aujourd'hui et surtout que ce que je vais exprimer comme opinion ici est une position qui est personnelle et qui ne reflète ni la position de la Société Française Virologie, je suis membre du conseil d'administration de cette société, ni la position de laboratoire AFMB, ni même celle du CNRS et donc c'est une pensée libre que je vais essayer de développer aujourd'hui avec vous. Donc, quels sont finalement les enjeux de la recherche en virologie dans le domaine de la santé publique ? Dans un premier temps, je vous invite à regarder à gauche de cette diapositive un diagramme qui représente l'historique des pandémies. Et ce qu'on voit, c'est que l'histoire de l'immunité est associée en fait à l'histoire des pandémies, avec des pandémies plus ou moins importantes qui ont janellé finalement l'histoire de l'interaction entre l'homme et les pathogènes. Évidemment, les pathogènes pandémiques sont de deux ordres. D'une part, les virus et d'autre part, les bactéries, mon domaine de compétence étant davantage le domaine de la virologie. Je tiens à relater quelques pandémies très importantes qui ont jalonné l'histoire de l'immunité. D'abord, l'épidémie de Smallpox en 1420, qui a fait environ 56 millions de morts, et surtout ce qui est important, c'est que les populations continuent à vivre avec la variole pendant très longtemps jusqu'à l'éradication récente grâce à un programme de vaccination qui a été mené par l'OMS. On voit également que la pandémie de grippe, juste à la fin de la Première Guerre mondiale, a été extrêmement importante, avec entre 50 et 60 millions de personnes qui sont mortes suite à cette pandémie. Ce qui montre vraiment que l'émergence brutale d'un pathogène dans les populations peut avoir des conséquences qui sont dramatiques sur la santé publique et sur les populations. Ensuite, comme émergence récente de pathogènes importantes, il y a en 1983 l'émergence du HIV qui est passé au stade pandémique et qui depuis son émergence a fait entre 30 et 40 millions de morts dans les populations humaines. Et c'est une épidémie qui est encore en cours. Sous un contrôle partiel grâce aux médicaments qui ont à la fois un effet gradif chez les patients qui sont infectés et traités, mais surtout aussi qui permet de limiter la transmission interhumaine quand on donne les médicaments suffisamment tôt en absence de vaccination. Et plus récemment, on a tous vécu en 2019-2020 l'émergence du SARS-CoV-2 qui a fait entre 12 et 20 millions de morts, selon qu'on regarde le nombre de patients qui sont décédés de l'infection directement et qui ont été notifiés comme étant décédés de l'infection à SARS-CoV-2, ou lorsque l'on analyse simplement des courbes qui relatent la surmortalité ces dernières quatre années, à ce moment-là on arrive à environ 20 millions de morts dues à l'épidémie du SARS-CoV-2. Tout ça montre qu'en fait, on reste dans une situation où on est potentiellement soumis à des pandémies importantes et donc qu'il est important d'avoir des programmes de prévention par rapport à l'émergence de ces pandémies. Alors, dans ce diagramme, ce qu'on observe aussi, c'est que les virus sont la deuxième cause d'émergence infectieuse. Et donc, évidemment, ça justifie la recherche en virologie. Et il y a deux aspects en santé publique qui sont très importants dans la recherche en virologie. D'une part, le développement de vaccins et d'autre part, le développement des antiviraux. En ce qui concerne le vaccin, on est au pays de Pasteur et on sait que suite à la variabilisation, il y a des vaccins. anti-varioles qui ont été développées et que ces vaccins ont eu un effet très important sur la santé publique, notamment parce qu'ils ont permis d'éradiquer la variole grâce à un programme de l'OMS dont j'ai parlé tout à l'heure. On sait également que l'OMS ne s'est pas arrêté là et actuellement il y a un programme d'éradication de la polio qui est en cours, avec quelques soubresauts, on n'est pas sûr de pouvoir atteindre les objectifs, mais ce qui montre que globalement, la vaccination, en tout cas dans le champ de la virologie, peut avoir des implications sur le contrôle des épidémies qui est extrêmement important et donc qu'il faut poursuivre ces politiques de santé publique. En ce qui concerne les antiviraux, notre arsenal thérapeutique face au virus est beaucoup moins important finalement que ce qu'on a en termes de vaccination et la majorité des médicaments antiviraux qui sont aujourd'hui disponibles sur le marché ciblent le virus du Sida, avec environ une soixantaine de molécules et de principes actifs qui sont disponibles sur le marché, à peu près une quarantaine qui vise le HIV, d'autres qui visent des maladies comme les virus d'hépatite C ou d'autres virus à ADN, et principalement ciblés finalement sur des infections dites chroniques, les antiviraux n'ayant pas fait de preuves définitives d'efficacité en ce qui concerne les maladies aiguës. Tout ça illustre évidemment que la recherche en virologie est d'un intérêt fondamental. La recherche s'est développée et globalement, on peut résumer quatre axes de recherche qui sont particulièrement importants dans le domaine de la santé publique. D'une part, il s'agit de comprendre les fonctions des gènes viraux. Vous savez que les virus sont en général des entités dont le génome est assez petit. On va essayer de comprendre la fonction de chacun des gènes. On prend des interactions haute pathogène, mais aussi pour pouvoir développer des antiviraux ou des principes vaccinaux. On va tenter d'identifier les mécanismes de virulence et de pathogénèse des virus pour essayer justement de pouvoir mieux contrôler les maladies. On va essayer de développer des contre-mesures dont je viens de parler, c'est-à-dire les antiviraux et les vaccins. Et alors, quand on se place dans le contexte de l'émergence de nouvelles infections virales, on va essayer de comprendre comment ces infections virales peuvent apparaître finalement dans les populations. Et donc on va s'attacher à essayer de comprendre ce qu'on appelle les mécanismes de franchissement de barrières d'espèces, c'est-à-dire comment un virus finalement qui éventuellement est infectieux chez un animal, à un moment va pouvoir franchir cette barrière de manière à devenir un pathogène humain. Et je vous rappelle qu'on considère aujourd'hui que la grosse majorité des émergences virales dans le monde est liée évidemment à des mécanismes de zoonoses, qui sont liées à ces processus de franchissement de barrières d'espèces. Je crois qu'aujourd'hui, pour illustrer ce fait, c'est extrêmement simple. Il suffit de regarder ce qui se passe actuellement aux États-Unis en ce qui concerne la grippe aviaire, avec un franchissement de barrières d'espèces qui a eu lieu à partir des volailles vers les mammifères. Aujourd'hui, des élevages bovins sont largement contaminés aux États-Unis. On observe des premiers cas de transmission humaine du virus bovin vers les hommes, avec des inquiétudes qui sont vraiment importantes. En ce qui concerne la possibilité d'émergence d'une nouvelle pandémie de grippe dans les années qui viennent par rapport à ce qu'on observe aux États-Unis, entre autres. Donc, pour essayer de répondre à ces questions, on a développé, enfin les virologues ont différents outils de recherche qui, évidemment, permettent de répondre à ces questions, mais qui sont associés aussi à des des risques biologiques qui sont croissants, comme vous pouvez le voir ici. Et les premiers types d'outils de recherche sont la culture de virus dans des modèles cellulaires. Pour rappel, pour les personnes qui ne sont pas virologues ici, un virus n'est pas capable de se répliquer de manière autonome, il a besoin d'une cellule pour pouvoir se répliquer. Donc on ne peut pas simplement en étalant des virus sur une gélose, comme on le fait pour des bactéries, produire la multiplication des virus et les étudier. Donc il a fallu développer des modèles cellulaires pour pouvoir infecter ces cellules, pouvoir répliquer ces virus, pouvoir commencer à comprendre les relations pathogènes et le rôle des différents gènes biologiques. Un deuxième type d'outil qui a été évidemment nécessaire et très utile au développement de la virologie, c'est le clonage des génomes, c'est-à-dire de s'arranger pour faire ce qu'on appelle des clones moléculaires, qui sont finalement la capacité de mettre dans des plasmides génomes complets de virus, de manière à pouvoir avoir des systèmes expérimentaux qui sont robustes et reproductibles d'une part, mais d'autre part, pouvoir exercer le processus de mutagénèse sur ces clones moléculaires. moléculaire, de manière à justement pouvoir faire des expériences dites de génétique inverse, dans lesquelles on va produire des mutants viraux dans un certain nombre de gènes, de manière à étudier au laboratoire les conséquences de ces mutations en termes de réplication et ainsi comprendre la fonction des gènes qui sont codés dans le génome des virus. Ensuite, en ce qui concerne le développement des vaccins et des antiviraux et la compréhension de la pathogène, il a fallu développer des modèles animaux. Et à cet effet, dans ce premier temps, évidemment, on a travaillé sur des animaux dits sauvages, dans le sens où c'était des animaux non modifiés génétiquement. Mais souvent, quand on veut étudier un virus, il est relativement spécifique d'une espèce. Et donc, on a souvent une difficulté d'avoir des modèles animaux qui sont robustes. Ce qui a été développé dans les 15 dernières années, c'est ce qu'on appelle des souris "humanisés", c'est-à-dire des souris qui sont transgéniques. On va s'arranger par exemple pour substituer leur récepteur à un virus naturel par la molécule humaine, de manière à avoir un modèle qui sera facilement infectable par les virus, et pouvoir ainsi infecter ces modèles animaux par des virus et pouvoir voir l'efficacité thérapeutique de molécules thérapeutiques par exemple, ou évaluer l'efficacité de vaccins. Et enfin, le dernier type d'expérience qui est apparu dans la littérature, c'est l'expérience de gain de fonction, qui consiste à modifier génétiquement le génome de virus de manière à leur faire acquérir des nouvelles propriétés, favorisant leur transmission ou leur réplication dans un système donné. Et typiquement, justement, ces expériences de dites de gain de fonction sont régulièrement utilisées par les scientifiques pour essayer de comprendre comment les virus sont capables de franchir la barrière d'espèce et éventuellement identifier comment est-ce qu'on va pouvoir éventuellement surveiller les virus qui circulent dans les populations animales pour l'apparition de mutations qui pourraient faire craindre que ces virus soient capables de franchir la barrière d'espèce. Donc, évidemment, j'arrive à la définition finalement des expériences dites de gain de fonction. Et en préliminaire, ce qu'il faut rappeler, c'est que quand on parle de gain de fonction, il y a toujours des pertes de fonction qui sont associées à un gain de fonction. C'est-à-dire qu'un gain de fonction, c'est quelque chose qu'on va observer dans un système donné. Un exemple pour illustrer ce concept. Si par exemple je prends un virus et en l'adaptant à une culture cellulaire ou à un récepteur particulier qui est présent dans une cellule donnée, je vais sélectionner des mutants qui vont être mieux adaptés à l'infection d'une lignée cellulaire type, j'ai dans cette lignée cellulaire un gain de fonction. Mais au contraire, ce même virus qui a gagné une fonction dans mon système modèle peut avoir perdu des fonctions parce que, par exemple, les mutations qui vont être sélectionnées Ce virus va être moins compétent pour infecter l'animal initial qu'il a infecté, par exemple, parce qu'il y avait des mutations dans le récepteur de la cellule que j'ai utilisée. Il y a toujours une perte de fonction qui est associée à un gain de fonction. Qu'est-ce que le gain de fonction ? Ce sont des méthodologies qui permettent aux scientifiques d'étudier les agents pathogènes. Ces approches de recherche modifient les génomes des agents pathogènes afin d'y ajouter ou de supprimer des fonctionnalités, ce qui permet aux scientifiques d'examiner et de mieux comprendre le fonctionnement de ces agents pathogènes. Et donc, en particulier, on va parler de gain de fonction quand on a des expériences dans lesquelles on va produire des virus, par exemple, qui vont se répliquer de manière plus productive, qui vont être éventuellement avoir une pathogenicité accrue, qui vont éventuellement avoir une altération dans le taux de survie des animaux qui sont infectés, ou qui vont aggraver les symptômes dans les organismes qui sont infectés, qui vont augmenter la transmission ou augmenter éventuellement la résistance par rapport à des médicaments, des vaccins. Et dans ce cas-là, on va avoir ce qu'on appelle des gains de fonction. Tant qu'on est aux définitions, je crois qu'il faut également prendre en compte d'autres définitions qui sont importantes dans le contexte de l'idée de gain de fonction. Quand on va parler de gain de fonction, on va parler de pathogènes à potentiel pandémique. Les pathogènes à potentiel pandémique, c'est l'ensemble des pathogènes dont on estime, après l'analyse par différents comités scientifiques, qu'ils ont un potentiel. de devenir un jour des pathogènes qui pourraient donner une épidémie ou une pandémie mondiale. En général, ils sont classés dans des pathogènes à potentiel pandémique, des virus qui sont assez infectieux, mais surtout qui vont se transmettre typiquement par aérosols ou qui vont donner des infections respiratoires ou qui sont fortement létaux, et pour lesquels, en général, on n'a pas d'immunité qui est installée dans les populations. Donc c'est une définition qui est évidemment un petit peu floue et qui doit être évalué au fil de l'eau parce qu'à un moment, on peut considérer qu'un pathogène n'est pas potentiel pandémique qui va le devenir parce que les virus ont évolué. Cette espèce de flou dans la définition fait qu'il n'y a pas tout à fait accord sur la régulation des expériences qui vont être faites sur les différentes pathogénèses et qu'il n'y a pas de consensus entre les scientifiques, entre les pathogènes pour lesquelles on va demander un niveau de biosécurité très élevé par rapport à ceux pour lesquels on demanderait un niveau de biosécurité plus faible. Alors souvent, on va aussi parler de GOFROC, c'est-à-dire les expériences gain de fonction, justement qui concernent les pathogènes à potentiel pandémique. Et c'est ce type d'expérience qui pose le plus de problèmes, évidemment, en termes de biosécurité, parce qu'évidemment, on pourrait imaginer, par exemple, de faire du gain de fonction sur un phage, qui est un virus de bactéries, de manière à, par exemple, lui permettre d'infecter de manière productive et de détruire une bactérie multirésistante. Et je crois que ça poserait peu de problèmes globalement du point de vue éthique pour l'ensemble de la communauté scientifique, parce qu'on pourrait, en développant des phages qui tuent particulièrement justement des bactéries multirésistantes, avoir finalement un système pour pouvoir lutter contre des bactéries pour lesquelles on n'a pas de moyens thérapeutiques. Par contre, dès lors qu'on travaille sur des virus qui sont potentiellement pandémiques, la question éthique, évidemment, du risque-bénéfice sur les expériences de gain de fonction est beaucoup plus aiguë. Et alors, un terme également très important, c'est les recherches à usage dual, le dual use ou DURC, qui sont l'ensemble des recherches finalement qui sont conduites dans les laboratoires, qui ont des implications en termes de risques biologiques, du point de vue du biothéotérisme ou du point de vue finalement de l'utilisation comme arme biologique par les armées. Et donc c'est évidemment également quelque chose qui est assez important, c'est de se questionner finalement sur dans quelle mesure les expériences qui sont conduites dans le laboratoire, dans quelle mesure des recettes qui sont issues des recherches qui sont faites dans le laboratoire ne peuvent pas fournir finalement les plans pour des personnes à l'usage mal intentionné de virus dans le contexte de bioterrorisme ou dans le contexte finalement de guerre bactériologique. Donc ça, ce sont différents termes qu'il faut bien comprendre dans ce contexte. Alors en ce qui concerne les expériences gain de fonction, on a toujours l'impression que les expériences gain de fonction ne concernent que le domaine de la virologie. Ce n'est pas du tout le cas. Et donc ici, c'est une analyse de la littérature qui a été faite sur les 20 dernières années à peu près, pour essayer de voir quels étaient les domaines de recherche qui étaient particulièrement concernés par ces expériences dites de gain de fonction. Et ce qu'on voit finalement, c'est qu'environ 65% des expériences de gain de fonction dans la littérature concernent la biologie, environ une trentaine les bactéries, et puis il y a un petit nombre de gains de fonction qui sont réalisés sur les champignons et d'autres parasites ou les prions qui sont vraiment minoritaires. Un autre point important, c'est qu'on pourrait aussi se dire que la majorité des expériences gain de fonction est conduite dans un laboratoire de haut niveau de biosécurité. L'analyse de la littérature montre également que cette notion est tout à fait inexacte. Ce qu'on voit ici, c'est que la majorité des expériences gain de fonction sont réalisées dans un laboratoire de type 2, dont BSL2. Et finalement, que les expériences gain de fonction sont très minoritairement présentes dans le laboratoire du type 4, comme vous pouvez le voir ici, avec seulement 1% des expériences de gain de fonction. Donc ça c'est évidemment ce qui est décrit dans la littérature. On n'a pas accès dans la littérature à l'ensemble des expériences qui sont réalisées dans le laboratoire, notamment dans les laboratoires militaires pour lesquels on a extrêmement peu d'informations. Donc, ça situe l'enjeu du débat finalement, c'est que par rapport à la dangerosité de l'expérience dont on vous a parlé tout à l'heure, on voit bien qu'il n'y a pas un accord strict entre les niveaux de confinement et la dangerosité des expériences qui sont conduites. Alors, pour revenir justement à la biosécurité, on considère en général que la biosécurité repose sur trois aspects principaux. Le premier aspect qui est évidemment clé à prendre en compte quand on va discuter de biosécurité, c'est la nature des virus sur lesquels on va réaliser des expériences. Et je crois que tout le monde comprend que travailler sur des virus qui sont uniquement des pathogènes animaux, de plantes, est moins dangereux que de travailler sur des pathogènes humains. Et si on travaille sur des virus à potentiel pandémique, on comprend aussi que le risque biologique est plus important si on travaille sur des pathogènes humains qui ont un faible potentiel de transmission. Donc ça, c'est le premier élément qui va être important à prendre en compte, avec évidemment quelques nuances, notamment sur les virus animaux, dès lors qu'on sait que les virus animaux dans certains cas peut franchir la barrière d'espèce. Parfois l'évaluation des risques biologiques va être assez difficile quand on va devoir évaluer si tel pathogène qui pour l'instant est connu pour infecter uniquement une espèce d'animaux, on ne sait pas nécessairement quel est le risque de franchissement de la barrière d'espèce associée à ces virus. Le deuxième point en ce qui concerne la biosécurité, c'est la nature des expériences qui vont être réalisées au laboratoire sur les virus justement, qui peuvent aller de la part de fonctions à des expériences dites de passage en série, que je décrirai un petit peu plus en détail après, à la reconstitution de virus synthétiques simplement sur base des séquences des génomes de ces virus, aux expériences de gain de fonction. Je crois que tout le monde comprend qu'il y a également des risques biologiques qui sont croissants en fonction du type d'expérience qui sont faites ici. Et donc associé à ça, pour garantir la biosécurité, ce qui a été mis en place, c'est des mesures de confinement qui vont du niveau 1 au niveau 4. Et donc, pour ceux qui ne sont pas familiers avec ces mesures de confinement, le niveau 1, globalement, c'est quand on travaille sur des paillasses de laboratoire typiques. Le niveau 2, c'est quand on va travailler dans une pièce confinée et dans laquelle on va travailler sur les virus globalement dans des hôtes à flux laminaire. Le niveau 3, pour faire simple, on va avoir un sas à l'entrée, une dépression de manière à ce que les virus ne puissent pas sortir du laboratoire, travailler sous hottes à flux laminaire, on va avoir des équipements personnels de protection du type bouse de laboratoire et surtout des décontaminations systématiques quand on sort du laboratoire, des personnes mais surtout des échantillons avec un autoclave qui est adossé à ces laboratoires. Et le niveau 4 est évidemment le niveau de sécurité le plus élevé dans lequel cette fois-ci les expérimentateurs se protègent par l'utilisation de scaphandres. Alors bien que la biosécurité soit un sujet de préoccupation vraiment important des scientifiques, les accidents de laboratoire existent et sont largement répertoriés dans la littérature. Moi-même qui étais virologue pendant très longtemps, je croyais que c'était des événements qui étaient rares et quand on regarde la littérature, on se rend compte qu'il y a assez bien un nombre important d'accidents de laboratoire qui sont décrits. La plupart de ces accidents de laboratoire ne conduisent bien heureusement pas à des infections importantes ni à des épidémies, mais c'est arrivé dans l'histoire qu'il y a eu soit des foyers épidémiques infectieux locaux suite à ces accidents de laboratoire, soit même des épidémies mondiales. Et donc ici est représenté un petit histogramme dans lequel on voit quelques grands accidents de laboratoire qui sont décrits dans a littérature en détail. Et je vais en illustrer quelques-uns juste pour un petit peu planter le décor, et surtout pour montrer dans quelle mesure finalement la compréhension de ces accidents de laboratoire permet d'améliorer les pratiques. Et donc à cet effet, le premier accident important de recherche, c'est un accident qui a eu lieu dans la ville de Marbourg en 1967, où des singes infectés par ce fameux virus apparenté à "Ebola Marbourg", ont été importés dans le laboratoire pour pouvoir faire de l'expérimentation animale. Et ça a conduit à l'infection d'expérimentateurs. Et il y a eu une trentaine ou une quarantaine de cas secondaires suite à l'infection des premiers expérimentateurs, avec sept morts liées à cette infection acquise par les expérimentateurs. Et surtout, ce qui est intéressant de retenir dans cet épisode, c'est que justement l'analyse a été faite avec beaucoup de rigueur de cet accident de recherche et a conduit au fait qu'on change véritablement les pratiques. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on ne peut plus travailler directement sur des animaux qui sont directement importés à partir de pays où ils vont être collectés dans la faune sauvage. Mais par contre, toutes les expérimentations animales sont réalisées sur des animaux qui sont produits à dessein et qui sont absolument contrôlés sur l'absence de pathogènes de manière à éviter justement d'avoir le même type d'accidents de recherche. Un deuxième exemple sur lequel je vais m'attarder, c'est la grippe de 1977, qui est une grippe liée à un virus qu'on appelle le H1N1, et qui est une grippe qui a fait environ 700 000 cas dans le monde, avec une épidémie qui a duré quelques années, et pendant très longtemps on ne savait pas du tout que c'était un accident de recherche. Et ce qui a été observé une quinzaine d'années après, c'est que, par des analyses de séquences, on s'est rendu compte que ce virus de 1977, quand on a séquencé les souches virales de ce virus, on s'est rendu compte qu'au niveau génétique, sa séquence était rigoureusement identique à un virus qui circulait 25 ans plus tôt. Or, tous les virologistes moléculaires savent que les virus, chaque fois qu'ils se répliquent, font des erreurs dans la réplication. Il est impossible d'avoir deux virus de séquences identiques à 25 ans d'écart. Et donc aujourd'hui, bien qu'on ne sache pas quel est le laboratoire qui était concerné par cet accident de laboratoire, on sait que c'est un virus qui a été congelé à un moment dans un congélateur et qui est sorti d'un de ces congélateurs et qui a donné naissance à cette pandémie, sans pour autant que le laboratoire n'ait été identifié. Ensuite, je passerai d'autres exemples, mais je passerai brièvement sur les accidents de recherche liés au coronavirus. Et avec quatre accidents qui sont très bien décrits dans la littérature avec le SARS-CoV-1. Un des quatre concerne un laboratoire de type 4, dans lequel il y a eu un accident de recherche avec une contamination à Taïwan, et un accident à Beijing, dans un laboratoire de type P3, dans lequel il y a eu un petit foyer épidémique secondaire suite à cet accident de laboratoire, qui montre que finalement, travailler sur des virus comme les coronavirus qui se transmettent. par aérosol en laboratoire de type 3 ou de type 4, comporte des dangers et qu'on peut avoir des infections même dans ces conditions de biosécurité importantes. Alors, face à ce risque finalement d'infection, il y a eu une croissance tout à fait importante du niveau de biosécurité sur les 30 ou les 40 dernières années. D'abord, les normes des laboratoires de type BSL-3 ont largement augmenté autour des 40 dernières années, mais surtout on a une construction d'un nombre très important de laboratoires de type 4 sur les 30 dernières années. La majorité des laboratoires de type 4 sont aujourd'hui en Europe, comme vous pouvez le voir ici. Ensuite, on a environ 17 laboratoires de type 4 aux États-Unis et quelques laboratoires en Afrique, qui sont au nombre de deux aujourd'hui et une petite dizaine en Asie du Sud-Est et Chine, avec une construction qui s'accélère. Et notamment, suite à la pandémie du SARS-CoV-2, la Chine a annoncé qu'ils allaient construire un P4 par région. Donc, il y a une trentaine de laboratoires de type 4 qui sont attendus pour être construits en Chine. Alors, ça pourrait être une excellente nouvelle, parce que se dire finalement qu'on va déplacer des recherches qui faisaient un laboratoire de type 3, parce qu'on les considère dangereuses en laboratoire de type 4, et déplacer des expériences qui faisaient en laboratoire de type 2 en type 3, on pourrait se dire qu'on va accroître la biosécurité. C'est une manière évidemment de voir cette problématique. Et c'est probablement une partie de l'enjeu du développement de ces laboratoires hautement confinés. Mais il ne faudrait pas tomber dans le travers qui consisterait à faire des expériences de plus en plus dangereuses parce qu'on a justement des laboratoires dont le niveau de biosécurité est croissant. Parce que si on augmente le nombre de laboratoires et si on augmente également le risque biologique lié aux expérimentations qui sont faites, on pourrait avoir l'effet parabioxale inverse à celui qui est attendu. C'est finalement avoir un accroissement du nombre de laboratoires P4 associé à un accroissement du risque biologique. Et donc, il faudra évidemment s'interroger sur les expériences qu'on conduit dans chacun de ces types de laboratoires.