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Quae Vox : paroles de sciences

CONFÉRENCE - Etienne Decroly - Expériences en virologie : quels bénéfices et risques ? (2/2)

CONFÉRENCE - Etienne Decroly - Expériences en virologie : quels bénéfices et risques ? (2/2)

37min |01/07/2025
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Description

Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Science en Question vous proposent de découvrir la conférence « Expériences en virologie : quels bénéfices et risques ? », animée par Etienne Decroly. Cette seconde partie expose des expérimentations à risques et permet de comprendre comment mieux adapter les contraintes de biosécurité à ces risques biologiques.


Quae Vox : paroles de sciences, un podcast des éditions Quae.

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Transcription

  • Speaker #0

    Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Science en question vous proposent de découvrir la conférence « Expérience en virologie, quels bénéfices et risques » animée par Étienne Decroly. Cette seconde partie vise à comprendre comment mieux adapter les contraintes de biosécurité aux risques biologiques. Dans la suite de cet exposé, je voudrais de manière relativement concrète vous montrer quelles sont des expériences typiques qu'on fait dans le laboratoire et peut-être discuter les risques biologiques et les avantages d'un certain nombre d'expériences qui sont réalisées dans les laboratoires. Je vais commencer par les expériences dites de passage en série. Ici est représentée une expérience de passage en série d'un virus. Vous voyez qu'il a des petites spicules à l'extérieur qui sont en rouge au début. Et donc, on va cultiver ces virus dans une boîte de culture cellulaire. Et suite à cette culture, vous savez que quand un virus se réplique, il va produire ce qu'on appelle des quasi-espèces, c'est-à-dire qu'on va avoir une soupe de mutants finalement. Et dans cette soupe de mutants, certains seront mieux adaptées à infecter de manière productive la lignée cellulaire et d'autres sont moins adaptées à l'infection productive. Au fur et à mesure de ces passages, on va sélectionner parmi les mutants, les mutants qui sont les plus adaptés à cette culture cellulaire. Vous voyez que petit à petit on est passé d'une spicule à l'extérieur qui était rouge à une spicule qui a changé de couleur, ce qui indique que ces mutations ont été sélectionnées. Ce type d'expérience est réalisé par les virologues depuis très longtemps et entre est utilisé largement développement de vaccins. C'est le cas par exemple des vaccins polio qui ont été réalisés par ces expériences de passage sur cellules de manière multiple. On considère que comme ils sont réalisés en absence finalement de pression de section du système immunitaire, mais également sur une lignée cellulaire donnée, petit à petit on va sélectionner finalement des virus qui sont très efficaces pour infecter cette culture cellulaire, mais qui vont perdre finalement des fonctions biologiques qui sont importantes pour leur réplication dans le contexte d'une infection virale normale chez l'humain. Dans ce cas-ci, c'est par exemple une des méthodes qui a été utilisée pour développer les vaccins du type polio et qui sont encore utilisés aujourd'hui. Donc ça vous montre qu'un passage en série n'est pas nécessairement associé à un gain de fonction. Oui, un gain de fonction. dans les cellules qui vont être utilisées ici, mais il y a une perte de fonction finalement quand on va regarder dans l'espèce humaine, parce que ces virus perdent leur pouvoir pathogène, mais gardent leur capacité à induire l'immunité. Un deuxième type d'expérience qui est représenté ici, c'est des expériences dans lesquelles on va faire des mutants d'échappement par rapport à des médicaments. Dans le processus de développement des médicaments thérapeutiques contre les virus, souvent on est amené à, par exemple, identifier parmi un ensemble de molécules, des molécules qui auraient des activités antivirales dans les cultures cellulaires. Mais quand on fait ce genre d'essai, et bien souvent, on n'est pas capable d'identifier la cible thérapeutique, c'est-à-dire quel est le gène du virus qui va être touché par ce médicament et comment ce médicament est capable de bloquer la réplication du virus. Alors, pour essayer de répondre à cette question, ce que font les chercheurs, c'est extrêmement simple. Eh bien, ils cultivent le virus dans des cellules. sous contrainte de la molécule antivirale. Et dans la mesure où la culture se fait sous contrainte de la molécule antivirale, petit à petit le virus va s'adapter de manière à éventuellement échapper à la pression de sélection et on va sélectionner des virus qui mutent et qui échappent aux médicaments. Et simplement en étudiant les mutations et en les identifiant dans le génome, on va pouvoir voir quels sont les gènes qui sont ciblés par la molécule antivirale et ainsi remonter finalement au mécanisme moléculaire par lequel ce médicament est capable d'inhiber la réplication du virus. Donc ici, on voit également que ces expériences de passage en série peuvent être extrêmement bénéfiques pour la recherche, parce qu'ils produisent finalement comme effet le fait qu'on va comprendre le monde d'action de molécules thérapeutiques, et ainsi éventuellement pouvoir les mettre sur le marché. Par là même, on produit également des virus qui, initialement, sont capables de résister aux médicaments qu'on est en train de développer. C'est quelque chose qui pourrait être problématique, mais ce qu'on observe dans la plupart des cas, c'est que si on arrive rapidement à avoir des mutants d'échappement dans ce type d'expérience, quand on va utiliser des médicaments en vie réelle chez les patients, on va également avoir des mutants d'échappement qui vont apparaître. Alors que s'il est difficile d'obtenir des mutants d'échappement, en général, en vie réelle, on aura difficilement des mutations d'échappement. On peut faire exactement la même chose pour les vaccinations. C'est-à-dire qu'on peut vacciner par exemple un modèle animal avec une préparation contre un virus et récupérer les anticorps neutralisants, donc capables de bloquer l'infection une quinzaine ou une vingtaine de jours post-vaccination. Et puis cultiver les virus sous contrainte des anticorps, de manière à voir s'il y a des virus qui sont capables d'échapper aux anticorps neutralisants qui vont apparaître et le plus souvent on détecte effectivement l'émergence de ces virus échappants et cela doit nous rappeler finalement ce qu'on a vu pendant la crise du SARS-CoV-2 où ce qu'on voit c'est qu'on a eu une émergence régulière de variants qui échappaient finalement à l'immunité qui est présente dans les populations, immunité qui est liée évidemment à la circulation du virus dans les populations mais également à la vaccination les deux contribuent significativement à la pression de sélection. Et donc on voit que des virus comme le SARS-CoV-2, sous cette pression de sélection, ont la capacité d'évoluer rapidement et de faire des souches virales finalement qui sont capables de se reproduire et de continuer à se propager même sous la contrainte de ces anticorps neutralisants. Et donc ça permet de comprendre les mécanismes d'échappement. Il y a d'autres virus pour lesquels il est très difficile de trouver justement des virus qui échappent à la contrainte de la vaccination. Et c'est ce qui explique que dans certains cas, la vaccination est très robuste et tient pendant des années, sans pour autant que les virus ne soient capables d'échapper. Alors, j'en viens à un quatrième type d'expérience, qui sont des expériences cette fois-ci de passage en série sur des souris dites humanisées. Je voudrais revenir sur ces fameuses souris dites humanisées, qui sont évidemment très très importantes comme modèle animaux en virologie. Comme je le disais tout à l'heure, il est souvent très difficile d'avoir des bons modèles animaux, et donc on a développé ces techniques de transgénèse qui permettent justement de faire ces souris humanisées et qui permettent d'avoir des modèles pour la vaccination. Alors ici, le type d'expérience qui est réalisé, c'est qu'on prend un virus sauvage et on a une souris par exemple qui était humanisée pour un récepteur qui est connu pour être le récepteur humain à ce virus. Si je fais exactement une expérience qui est équivalente à l'expérience du passage en série qui avait été présentée au début d'exposer sur des lignées cellulaires, mais cette fois-ci dans les souris humanisées, et bien petit à petit, je vais sélectionner des virus qui vont avoir une meilleure capacité à reconnaître, par exemple, le récepteur humain que j'aurais mis dans la souris. On va passer d'un virus qui, typiquement, au départ, était faiblement capable ou difficilement capable de se répliquer dans ces souris, un virus qui va être adapté par ce processus de passage et va être beaucoup plus capable de se répliquer efficacement dans ce modèle animal et qui va éventuellement conduire à des phénotypes qui vont être plus marqués, par exemple une létalité accrue, etc. Alors ce type d'expérience est utilisé en virologie, entre autres parce que souvent, on n'a pas de bons modèles animaux pour pouvoir étudier les infections virales. Et quand on a un modèle qui mime bien la maladie qu'on observe chez l'humain, on va pouvoir justement avoir un modèle pour pouvoir étudier l'efficacité de vaccins ou l'efficacité de molécules thérapeutiques. Et c'est ce type d'expérience qui va être conduite dans ce cas-là. Alors évidemment, si au départ, je prends un virus, le premier virus à gauche en rouge, et que ce virus est humain, je ne m'attends pas à avoir un virus qui va avoir une létalité accrue chez l'humain en faisant cette expérience. Mais par contre, si au départ de l'expérience, on imagine qu'on part d'un virus qui infecte une espèce animale, et que je le fais passer sur des souris qui sont transgéniques et humanisées pour le récepteur humain, on peut avoir la situation qui est la suivante, c'est-à-dire que le virus, lors de ces expériences, va acquérir des nouvelles compétences qui font qu'il sera plus efficace ou plus dangereux en termes de risque de franchissement de barrières d'espèce. Et donc ça, évidemment, c'est un véritable problème du développement de ces modèles de souris humanisés. Il n'y a pas de réponse simple et tranchée de dire si c'est dangereux ou pas dangereux. Ça dépend véritablement du contexte dans lequel on va réaliser ces expériences. Et dans certains cas, le passage dans ces modèles animaux peut diminuer finalement le risque biologique des virus qui vont être sélectionnés. Et dans d'autres cas, on va éventuellement sélectionner des virus dont le risque est infectieux chez l'homme pour être accru. Et c'est évidemment cette catégorie d'expérience qu'il va falloir réfléchir en termes de biosécurité, de voir s'ils sont acceptables du point de vue de la santé humaine et des risques biologiques. Alors j'en viens à un cinquième type d'expérience, qui sont maintenant les nouveaux outils de la biologie synthèse qui permettent d'assembler des virus par fragments. Vous savez que pendant très longtemps, on avait une grande difficulté qui était de collecter des virus infectieux pour pouvoir les répliquer, notamment dans des cellules au laboratoire. Alors que finalement avoir la séquence complète d'un pathogène est devenu quelque chose qui est extrêmement simple grâce à l'augmentation des capacités de séquençage dans les différents laboratoires. Et en fait, on n'a pas besoin d'avoir un l'échantillon de virus complet infectieux pour avoir les séquences complètes du virus. Il suffit qu'on ait différents fragments et c'est un petit peu comme un puzzle. On est capable de rassembler le puzzle complet du génome. Et une fois que le génome est connu, eh bien on peut, à partir du génome, resynthétiser à partir de la séquence directement un virus infectieux. Donc ça a été fait sur le virus de la grippe espagnole qui est, par exemple, en 2005, qui a été reconstitué à partir de la séquence directement. Ça a été fait, évidemment, pour le SARS-CoV-2, quand la séquence a été connue au début de l'émergence, vers le 15 janvier, à peu près un mois plus tard, une équipe suisse avait reconstitué par biologie de synthèse le génome complet et avait contruit le virus infectieux. Ça a également été fait pour des virus qui sont endogénéisés, qui étaient non infectieux parce qu'endogénéisés, qui ont été révertés même dans leur capacité d'infection. Et ce sont les méthodes maintenant qu'elles existent qui permettent également d'introduire un grand nombre de mutations dans le génome des virus de manière unique ou simultanée, mais aussi de faire des expériences de construction de virus chimériques, c'est-à-dire de, finalement par des expériences de type copier-coller, d'échanger un gène avec un autre gène qui est issu du séquençage, de manière à pouvoir évaluer au laboratoire la capacité de virus qui ont telle ou telle protéine d'enveloppe large de surface, d'infecter un type sévère donné, et notamment pour comprendre les mécanismes de franchissement de barrières d'espèces. J'attire votre attention sur ce type d'expérience qui, évidemment, pose beaucoup de questions, parce qu'aujourd'hui, les techniques de synthèse de gènes sont en train de s'accélérer avec une vitesse qui est fulgurante. Donc, le contrôle, finalement, sur ces gènes synthétiques va être très, très difficile. Et il va devoir être pensé et réfléchi collectivement, de savoir comment est-ce qu'on désire contrôler la synthèse de ces gènes et la production de ces virus recombinants. Quels seront les moyens à disposition, éventuellement, pour faire ce type de contrôle ? Je crois qu'aujourd'hui, on a peu d'éléments de réponse sur cette question. Alors, j'en viens vraiment aux expériences de gain de fonction, dont le débat sur ces expériences a débuté de manière très intense en 2012, avec des expériences qui ont été conduites en Hollande, entre autres, par le groupe de Ron Fouchier, qui consistait justement à construire des virus de la grippe avec un certain nombre de mutations. Alors juste pour rappel et pour introduire avant un petit peu ce sujet, je vous rappelle que les virus de la grippe sont connus pour infecter largement les oiseaux sauvages, entre autres les canards, mais également un certain nombre d'oiseaux migrateurs. Et usuellement, ces virus aviaires sont peu ou pas infectieux chez l'homme. La raison de cette difficulté des virus aviaires à infecter l'homme, c'est que pour entrer dans les cellules, ils reconnaissent un sucre, un acide sialique, et la manière dont les sucres chez l'homme sont branchés est différente de la manière dont les sucres sont branchés chez les animaux. Et donc normalement, il n'y a pas ou très peu d'infection directe de virus aviaires vers l'homme. De même, les virus humains sont très compétents pour infecter l'homme, mais peu ou pas compétents pour infecter les espèces aviaires. Le problème dans l'histoire, c'est qu'il existe un animal qu'on appelle un hôte intermédiaire, qui est le porc, qui est à la fois infectable par les virus aviaires et à la fois infectable par les virus dits humains. Il peut s'opérer lorsqu'un porc est infecté par un virus aviaire et un virus humain, une espèce de loterie génétique qu'on appelle un réassortiment, dans laquelle une partie des gènes qui sont issus du virus aviaire vont être conservés. Et donc vous voyez ici que le virus qui va être produit, il a deux gènes aviaires qui sont présentés en rouge au sein de la particule virale et il va conserver également des gènes du virus humain qui sont les gènes qui sont présentés en vert. Grâce à ce réassortiment, il peut être généré des virus qui ont la compétence d'infecter l'homme avec toute une série de déterminants génétiques qui proviennent du virus aviaire. On va voir par ce processus de réassortiment la génération de nouveaux pathogènes humains qui peuvent donner des pandémies, comme c'était le cas de la pandémie de 1917-18. Parce que le virus de l'influenza responsable de la grippe a ce type de génome disségmenté qui permet de faire cette loterie génétique, on considère que c'est un virus à potentiel pandémique important qui est extrêmement surveillé. Et entre autres, des études ont permis de montrer depuis 40 ans, par des analyses génétiques des franchements de barrières d'espèces, qu'il y avait des mutations qui étaient systématiquement associées à la virulence chez l'homme. Donc on sait qu'on a à certaines positions dans le génome, quand on a des mutations spécifiques qui apparaissent, on a des virus qui potentiellement vont avoir un risque de franchissement de la barrière d'espèce qui va être accrue. Et donc ça, ça a été caractérisé au fil de l'eau pendant les 50 dernières années. On connaît bien les facteurs de virulence qu'il faut surveiller et qui sont un risque potentiel pour ces virus franchis de la barrière d'espèce. Dans ce contexte, on n'a finalement pas de démonstration formelle que ces facteurs de virulence sont des vraies mutations qui sont associées au franchissement de la barrière de l'espèce. Ce qu'on a, c'est une évidence que les virus qui infectent bien l'humain ont plutôt telle mutation en telle position, et les virus aviaires ont plutôt telle mutation en telle position, mais on n'a pas la démonstration formelle. Et donc l'idée du groupe de Ron Fouchier a été la suivante, c'était de dire pour démontrer que ce sont bien des facteurs de virulence, on va prendre un virus aviaire et on va y introduire artificiellement les mutations de manière à voir s'ils sont bien des facteurs qui permettent à ces virus de devenir des agents très infectieux dans des espèces mammifères. Les espèces mammifères modèles utilisées dans ce cas-là sont les furets. Et donc l'expérience qui a été conduite est représentée ici. C'est assez simple, on a deux cages qui sont séparées au milieu par un domaine dans lequel les animaux ne peuvent pas avoir de contact direct, mais qui laisse passer la transmission par aérosol des virus. Et vous voyez que le virus, au départ, c'est un virus aviaire, avec un génome qui est uniquement représenté en rouge. Et quand on fait l'infection dans la cage des furets, initialement, la transmission dans la cage se fait extrêmement bien, c'est-à-dire que tous les animaux de la cage sont infectés. Par contre, on voit qu'il n'y a pas de transmission par aérosol. Et donc, il n'y pas d'animaux dans la cage voisine qui vont être infectés. Et après avoir infecté, enfin après avoir inséré cinq mutations dans des facteurs connus pour être des facteurs de virulence, on voit que la situation est complètement différente. C'est que la transmission entre les animaux dans la même cage est toujours très efficace avec l'ensemble des animaux qui sont infectés, mais on voit que cette fois-ci on a un virus qui se transmet par aérosol de manière efficace avec trois sur quatre animaux qui sont infectés. Donc évidemment ces expériences posent une question qui est vraiment importante, à savoir quel est le risque, quel est le bénéfice de ces expériences. Parce que finalement, à postériori, ce qu'on sait c'est que ces mutations étaient connues pour être des facteurs de virulence, et on a finalement fait que renforcer cette connaissance et apporter une preuve définitive par la méthode expérimentale. Mais par contre on a généré un virus qui n'existait pas dans la nature, et on ne sait pas si ce virus éventuellement aurait émergé naturellement. Et même quand ils ont essayé de faire une évolution naturelle de ce virus vers un virus qui était capable de se transmettre par aérosol avant d'avoir fait cette expérience d'introduction de mutations systématiques, ils n'avaient pas été capables de faire ces mutants. Et ce qu'il faut savoir, c'est qu'ici, on a en fait une situation qui est assez différente d'une mutation progressive du génome vers un génome qui est hyper infectieux éventuellement dans le modèle animal parce qu'on a introduit d'un coup cinq mutations aux bonnes positions qui sont des mutations dans le facteur de VE1. Alors quand on regarde dans le modèle classique de réplication de ces virus, on a évidemment des quasi-espèces qui existent avec chacune des mutations individuelles qui apparaissent régulièrement dans les populations virales, mais la probabilité d'avoir les cinq mutations qui apparaissent simultanément dans le même génome est extrêmement faible. Et c'est entre autres ce qui confère à ces expériences dites de gain de fonction, où on met plusieurs mutations d'une seule fois dans le génome, une dangerosité qui, à mon sens, est très importante. Donc, suite à ces expériences qui ont été réalisées chez le virus de la grippe aviaire, il y a eu un débat dans la communauté scientifique qui n'a pas été complètement tranché, mais aux États-Unis en tout cas, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu un moratoire sur le financement des expériences dites de gain de fonction, qui a commencé en 2014 et qui s'est terminé en 2017. Et suite à la fin de ce moratoire, il y a eu un protocole spécifique qui a été attribué aux expériences dites de gain de fonction qui sont évaluées par un comité d'experts ad hoc pour définir les conditions de biosécurité et leur financement éventuel. En Europe, il n'y a, à ma connaissance, pas eu de protocole identique qui a existé. Et donc les expériences de gain de fonction, pourtant, elles ont continué. D'abord sur les coronavirus, développés notamment par des méthodologies développées par le groupe de Ralph Baric aux États-Unis qui ont commencé à construire, à mettre en œuvre des méthodes pour faire des coronavirus recombinants et synthétiques. Et puis, suite justement à ce moratoire, entre autres, qui interdisait le financement aux États-Unis, ces expériences ont été délocalisées en Chine, entre autres dans le laboratoire de Wuhan, où ils ont commencé à faire des expériences dites de gain de fonction sur les coronavirus, comme le SARS et le MERS coronavirus. Juste pour illustrer la problématique ici qui se pose, leur objectif, c'est de comprendre et d'identifier si dans les populations de chauves-souris qui sont les réservoirs de ces virus, est-ce qu'il existe des virus qui, éventuellement, sont capables de franchir la barrière d'espèce pour devenir des potentiels pandémiques humains. Et donc, comme je vous le disais tout à l'heure, il est très facile de séquencer sur base d'échantillons qu'on va collecter chez les chauves-souris ou dans les mines ou dans les caves ou les grottes qui sont colonisées par ces chauves-souris, on peut avoir évidemment des dizaines, voire des centaines de génomes de coronavirus sur base de la métagénomique. Par contre, quand on va explorer ces mines et ces caves, il est très difficile d'avoir des virus infectieux qu'on cultive au laboratoire. Juste pour fixer les idées, je crois qu'on a moins d'une dizaine de coronavirus du type bêta coronavirus qui sont réplicatifs dans le laboratoire alors qu'on a plus de 2000 génomes qui sont disponibles dans les banques de données. Ça montre le hiatus qu'il y a entre la capacité de produire, de cultiver ces virus et la capacité de les séquencer. Donc l'idée des projets qui ont été publiés, notamment dans PLOS Pathogens en 2017, était la suivante, c'est de construire des virus chimériques. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on a un virus qui est cultivable au laboratoire, on va finalement faire un échange génétique du domaine spike, c'est-à-dire la protéine qui est à la surface du virus à partir de protéines Spike qui auront été échantillonnées et séquencées sur base des collectes qui ont été faites dans les échantillons infectés chez les animaux. Ainsi, on va produire des virus chimériques et on va regarder si ces virus chimériques sont capables ou pas d'infecter des cellules humaines. Avec l'idée c'est que évidemment si les virus ne sont pas capables d'infecter les cellules humaines, ça voudrait dire que les virus sont les spikes de la séquence qui a été introduite dans ces virus chimérique ne sont pas à potentiel pandémique, alors que ceux qui auraient une bonne capacité d'infecter ces cellules, ils auront un potentiel pandémique qui est accru et ce sont des virus qu'il faut particulièrement surveiller. Ici est un exemple d'une expérience qui a été réalisée. Vous voyez qu'on a un génome de coronavirus ici qui est en gris. Il y a trois mutations en rouge qui sont indiquées, qui sont des mutations qui ont été introduites de manière à ce que ce virus se réplique efficacement dans le modèle animal qui est la souris ici. Et ce que vous pouvez voir ici, c'est en vert, ils ont échangé génétiquement finalement le gène initial qui était gris par un gène qui code pour une sclépale protéine verte, comme vous pouvez le voir ici. Et donc ça, c'est fait à partir de méthodologies de biologie moléculaire qui sont maintenant classiques dans le laboratoire de virologie. et qui ne laissent pas nécessairement de traces génétiques, c'est-à-dire qu'on peut difficilement, à postériori, savoir si les recombinants qui sont produits sont naturels ou ont été réalisés au laboratoire. Et donc voilà, typiquement, l'expérience qui a été faite. Ici, on compare l'infection d'un virus sauvage au-dessus et d'un virus qui a été modifié génétiquement comme représenté. On les injecte dans une souris et on va comparer la réplication et la pathogénèse de ce virus chez ces souris. Les courbes qui sont montrées ici sont des pertes de poids. Ce qu'on voit, c'est que le virus naturel, en noir, induit des pertes de poids qui sont supérieures au virus en vert, qui est le virus chimérique. Ce que cette courbe montre clairement, c'est que ce virus chimérique, ici construit, est potentiellement infectieux et induit des pertes de poids. Mais globalement, on estime que la virulence et l'infectiosité de ce virus chimérique est moindre que le virus initial et donc on considère ici que ce virus est potentiellement infectieux dans le modèle animal mais sans risque accru par rapport au virus initial. Ici sont représentés quatre nouveaux virus chimériques qui ne sont pas publiés dans la littérature, mais qui sont issus de rapports de recherche qui ont été remis au NIH. Ce que vous pouvez voir ici, c'est qu'on a quelque chose qui est complètement différent. Le virus sauvage initial, c'est le virus qui est représenté en rouge sur la courbe à droite. C'est-à-dire que c'est un virus qui induit à des pertes de poids qui sont modérées, comme vous voyez ici. Et vous voyez que parmi les virus chimériques qui ont été construits, il y a notamment le virus en vert, qui induit des pertes de poids qui sont beaucoup plus importantes, ce qui indique cette fois-ci qu'on a eu un gain de fonction dans l'espèce, c'est-à-dire que le virus chimérique, il est probablement nettement plus capable de se répliquer dans ce modèle animal, et donc il est potentiellement plus dangereux. Il faut savoir que les souris ici, elles sont humanisées pour le gène à ceux d'humains, donc on a vraiment un modèle qui permet d'évaluer le potentiel infectieux chez l'homme. Si vous regardez en bas, c'est des mesures à différents jours post-infectiés, des charges virales chez ces souris. Vous voyez que par rapport au virus sauvage, les trois virus chimériques qui ont été construits ont un à trois logs de viremi supplémentaires par rapport au virus initial. Ce qui indique qu'on a un gain de fonction vraiment important en termes de viremi. C'est ce qu'on observe ici et donc on a un virus qui est évidemment issu d'une expérience de gain de fonction et qui est pas tellement dangereux et donc il serait particulièrement inquiétant qu'il échappe de laboratoire. Ces expériences ont comme bénéfice le fait que maintenant on sait qu'il y a chez les chauves-souris des virus qui ont potentiellement un tropisme qui pourrait être élevé pour les récepteurs à ceux d'humains. Par contre, le risque qu'on a, c'est qu'on a vraiment produit au laboratoire un virus infectieux qui n'existait pas naturellement, vu que c'était une chimère qui n'est pas naturelle. Et s'il y avait un accident, c'est très difficile de savoir quelle pourrait être la trajectoire épidémiologique de ce genre de virus. Évidemment, le débat et toute la question éthique qui se pose est autour de cette question-là. Alors, huitième exemple que je vais vous donner, j'ai presque fini, il y a beaucoup d'exemples, mais je crois que c'est important d'aller dans les détails. C'est des expériences de perte de fonction au résultat inattendu. Parce qu'on pourrait se dire de manière un peu simpliste, c'est simple, il suffirait de dire on va interdire des expériences de gain de fonction. Et je vous expliquais que quand il y avait un gain de fonction, il y avait pratiquement toujours une perte de fonction qui était associée au gain de fonction. Et donc ici, c'est une expérience qui a été faite en Espagne, dans laquelle il y a un gène qui a été délété d'un virus qui est le MERS coronavirus. Je vous rappelle que le MERS coronavirus, c'est un virus qui n'est pas installé dans l'espèce humaine, mais qui se transmet sporadiquement des chameaux vers l'homme et quand il se transmet, environ un taux de létalité qui est de l'ordre de 30% et qui se transmet également par voie respiratoire et qui est considéré comme un potentiel pandémique. Et donc là, pour tous les biologistes moléculaires, l'idée est assez simple. En général, on considère que si on délète un gène, on va faire un virus qui est moins infectieux. Et ce qu'on peut observer ici, sur des courbes de mortalité par exemple, c'est que la déletion du gène MA, en fait, donc le virus MERS M1A Delta 5, il y a une pathologénicité qui est accrue dans le modèle animal, qui est énorme, et donc on croyait, les expérimentateurs croyaient faire une expérience de perte de fonction, et en fait ils ont eu un gain de fonction très significatif dans leur modèle animal, ce qui amène à questionner évidemment comment est-ce qu'on peut réguler cette expérience de manière cohérente et sûre, parce qu'on ne peut jamais prédire de manière définitive le résultat de l'expérience qu'on va conduire au laboratoire. Avant de finir, je voudrais quand même vous dire qu'il existe des méthodes alternatives pour essayer de comprendre ces mécanismes de franchissement de barrières d'espère et qui sont moins risqués, qu'on appelle les pseudovirus. Et donc là, l'idée, c'est en général de construire des virus qu'on appelle non réplicatifs ou pseudotypés, c'est-à-dire qu'on va s'arranger pour faire des virus qui sont chimériques. Ici, l'exemple qui est présenté, c'est un virus chimérique qui est fait entre le HIV et typiquement le coronavirus, ici, le SARS coronavirus. Mais on s'arrange pour expérimentalement séparer les constructions, c'est-à-dire que le virus qui est produit est capable de faire seulement un cycle d'infection, c'est-à-dire qu'il va infecter la cellule, on va voir si la cellule est infectée, parce qu'on va s'arranger pour mettre un gène fluorescent éventuellement dans le génome de cette particule virale. Mais les cellules, une fois infectées, ne sont plus capables de produire des particules virales infectieuses parce qu'elles n'auront pas le gène qui code pour la spike protéine. Alors évidemment, un des débats qui se pose également dans ces expériences de gain de fonction, c'est pourquoi est-ce que plutôt que de faire des expériences hautement risquées comme des expériences de gain de fonction, pourquoi est-ce qu'on ne ferait pas plutôt des expériences avec des virus chimériques comme ceux que je présente ici ? Et les éléments de réponse sont au moins doubles. Le premier élément, c'est qu'en général, ces expériences ne sont pas 100% prédictives de la réplication, elles ne donnent pas toujours les mêmes résultats que des expériences de construction de virus chimérique. Parce que, par exemple, selon les constructions utilisées, la densité des protéines spike à la surface des virus peut être plus élevée dans ces systèmes et donc ils peuvent être éventuellement plus sensibles. Et donc, on peut avoir des résultats qui sont d'un ordre ou deux ordres de grandeur, différents de ce qu'on observerait avec des véritables virus chimériques. Et le deuxième élément de réponse, c'est qu'il y a une pression de publication, c'est-à-dire qu'en temps général, les auteurs vont proposer des publications qui sont basées sur ces fameux virus pseudotypés aux grandes revues scientifiques. La première chose que vont demander les reviewers en général, c'est « mais confirmez-moi que c'est vrai en construisant les virus infectieux » et à ce moment-là, on va prendre votre article. Donc, il y a une pression finalement indirecte lors de la publication qui fait que les chercheurs sont d'une certaine manière poussés par la communauté à conduire ces expériences extrêmement dangereuses. Alors, tout ça pose la question de la régulation et des régulations futures. Donc, je crois que je dirais, dans un premier temps, que la régulation internationale de l'expérience en virologie est extrêmement insuffisante. Ça, c'est la première chose. C'est vrai qu'on a progressé en ayant des laboratoires de type 3 et 4 qui sont implémentés dans une série de pays. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que les réglementations qui visent à définir quels sont les virus qui doivent être travaillés dans quel type de confinement ne sont pas internationales, qu'il n'y a pas de communauté internationale qui vérifie et que les expériences en virologie se délocalisent là où la pression, où la difficulté d'expérience est la moindre. Et justement, pour revenir à ce dont j'ai parlé tout à l'heure, les expériences de gain de fonction qui étaient faites avant 2015 ou 2014 aux États-Unis étaient majoritairement faites sur les coronavirus en laboratoire du type 3. Et quand le moratoire américain a été mis en place, ça a conduit à une délocalisation des expériences en Chine où ces expériences ont été faites majoritairement en laboratoire du type 2. Et on peut s'interroger de savoir s'il est raisonnable ou pas de faire des expériences de cibles dans l'aventure du type 2. Alors, le risque biologique est international parce que les virus n'ont pas de passeport. Je crois que maintenant, on est tous convaincus de ce point. Il est nécessaire, à mon avis, de développer des outils tels que les boîtes noires biologiques qui permettent de suivre les activités dans l'aventure de type 3 et 4. Et ça particulièrement de manière à finalement, d'une part, protéger le laboratoire éventuellement d'accusations qui pourraient leur être faites. Parce qu'en cas d'émergence d'une nouvelle épidémie dans une ville, la question se pose de savoir si c'est une émergence zoonotique ou éventuellement une émergence qui est liée à un accident de laboratoire. Et si toutes les séquences sont bien décrites dans les clés de laboratoire et s'il y a des boîtes noires biologiques qui sont associées au laboratoire, et bien c'est ça permettra de montrer qu'une émergence n'est éventuellement pas associée à un laboratoire, justement parce qu'on démontre formellement que le pathogène qui émerge n'a pas des séquences qui correspondent aux séquences des virus qui sont réellement travaillés dans le laboratoire. Donc c'est finalement un outil pour protéger les chercheurs éventuellement d'une accusation qui pourrait leur être faite. Et donc ces boîtes noires devraient être constituées, à mon avis au moins de filtres à air qui devraient être collectés sur les hottes à flux laminaire et séquencés de manière régulière, et aussi d'un accès régulier des laboratoires, au fait qu'on ait rempli un cahier de laboratoire électronique, donc il y aurait une copie dans une instance internationale, de manière à assurer qu'il y ait une copie, et qu'il n'y puisse pas y avoir de manipulation politique en cas d'accident, de manière à ce qu'on puisse tracer les émergences liées éventuellement à des accidents de recherche. Et alors il serait nécessaire évidemment de créer une instance internationale de contrôle et qui devrait définir les normes éthiques et biologiques de sécurité associées aux différents pathogènes, plutôt que de se trouver dans la situation actuelle où chaque pays, ou chaque ensemble de pays, l'Europe par exemple, ou les États-Unis, définit des armes qui sont différentes, avec une espèce de dumping de la virologie dans certains cas, où les expériences vont se délocaliser forcément dans les endroits où le niveau de biosécurité qui sont demandés sont les plus faibles. Voilà, je termine peut-être par quelques messages à retenir de cette présentation avant de prendre les questions s'il y en a avec plaisir. Les virus émergents sont un problème de santé public majeur. Il est indispensable de pouvoir étudier le virus en laboratoire pour développer des vaccins et concevoir des médicaments. Les bénéfices en santé publique sont considérables et on considère par exemple que les vaccins, ça a été un des apports majeurs à l'augmentation de l'espècerance de vie sur les 60 dernières années de l'espèce humaine. Il est nécessaire de développer des nouveaux outils de biologie nucléaire pour travailler plus en sécurité. J'ai parlé des pseudotypes, mais je dirais qu'il y a aussi également des modèles animaux plus sécures qui devraient être générés. Il y a vraiment de la recherche qui doit être faite pour développer ces nouveaux modèles. Les accidents laboratoires sont documentés et l'analyse doit être faite avec plus de sérieux pour pouvoir justement mettre en place des contre-mesures et des formes de biologie qui sont plus sécuritaires dans les laboratoires. Les expériences gain de fonction, et en particulier ce qui concerne les virus à potentiel pandémique. pose une vraie question d'éthique à mon sens. Elle devrait être arbitrée par nos sociétés. Moi, personnellement, je ne ferai jamais ce genre d'expérience et je considère qu'elle devrait être interdite, mais je comprends qu'il doit éventuellement y avoir un débat dans la société civile et au sein de la communauté pour évaluer de manière conjointe le risque et le bénéfice des expériences. Et la régulation des expériences en biologie est très insuffisante. Il serait nécessaire de créer des instances de contrôle international. et de développer aussi les boîtes biologiques permettant le suivi des activités en laboratoire P4 et peut-être en laboratoire P3. Et je crois que la France et l'Europe devraient être moteurs là-dedans pour montrer un petit peu l'exemple pour l'ensemble de la communauté internationale. Et ça pourrait être une bonne manière de mettre le pied à l'étrier.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un extrait de la conférence d'Étienne Decroly sur le thème des expériences en virologie. Retrouvez-la en vidéo dans son intégralité sur le site de Sciences en questions et au format livre sous le titre « Expériences en virologie, bénéfices et risques » aux éditions Quae.

Description

Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Science en Question vous proposent de découvrir la conférence « Expériences en virologie : quels bénéfices et risques ? », animée par Etienne Decroly. Cette seconde partie expose des expérimentations à risques et permet de comprendre comment mieux adapter les contraintes de biosécurité à ces risques biologiques.


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Transcription

  • Speaker #0

    Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Science en question vous proposent de découvrir la conférence « Expérience en virologie, quels bénéfices et risques » animée par Étienne Decroly. Cette seconde partie vise à comprendre comment mieux adapter les contraintes de biosécurité aux risques biologiques. Dans la suite de cet exposé, je voudrais de manière relativement concrète vous montrer quelles sont des expériences typiques qu'on fait dans le laboratoire et peut-être discuter les risques biologiques et les avantages d'un certain nombre d'expériences qui sont réalisées dans les laboratoires. Je vais commencer par les expériences dites de passage en série. Ici est représentée une expérience de passage en série d'un virus. Vous voyez qu'il a des petites spicules à l'extérieur qui sont en rouge au début. Et donc, on va cultiver ces virus dans une boîte de culture cellulaire. Et suite à cette culture, vous savez que quand un virus se réplique, il va produire ce qu'on appelle des quasi-espèces, c'est-à-dire qu'on va avoir une soupe de mutants finalement. Et dans cette soupe de mutants, certains seront mieux adaptées à infecter de manière productive la lignée cellulaire et d'autres sont moins adaptées à l'infection productive. Au fur et à mesure de ces passages, on va sélectionner parmi les mutants, les mutants qui sont les plus adaptés à cette culture cellulaire. Vous voyez que petit à petit on est passé d'une spicule à l'extérieur qui était rouge à une spicule qui a changé de couleur, ce qui indique que ces mutations ont été sélectionnées. Ce type d'expérience est réalisé par les virologues depuis très longtemps et entre est utilisé largement développement de vaccins. C'est le cas par exemple des vaccins polio qui ont été réalisés par ces expériences de passage sur cellules de manière multiple. On considère que comme ils sont réalisés en absence finalement de pression de section du système immunitaire, mais également sur une lignée cellulaire donnée, petit à petit on va sélectionner finalement des virus qui sont très efficaces pour infecter cette culture cellulaire, mais qui vont perdre finalement des fonctions biologiques qui sont importantes pour leur réplication dans le contexte d'une infection virale normale chez l'humain. Dans ce cas-ci, c'est par exemple une des méthodes qui a été utilisée pour développer les vaccins du type polio et qui sont encore utilisés aujourd'hui. Donc ça vous montre qu'un passage en série n'est pas nécessairement associé à un gain de fonction. Oui, un gain de fonction. dans les cellules qui vont être utilisées ici, mais il y a une perte de fonction finalement quand on va regarder dans l'espèce humaine, parce que ces virus perdent leur pouvoir pathogène, mais gardent leur capacité à induire l'immunité. Un deuxième type d'expérience qui est représenté ici, c'est des expériences dans lesquelles on va faire des mutants d'échappement par rapport à des médicaments. Dans le processus de développement des médicaments thérapeutiques contre les virus, souvent on est amené à, par exemple, identifier parmi un ensemble de molécules, des molécules qui auraient des activités antivirales dans les cultures cellulaires. Mais quand on fait ce genre d'essai, et bien souvent, on n'est pas capable d'identifier la cible thérapeutique, c'est-à-dire quel est le gène du virus qui va être touché par ce médicament et comment ce médicament est capable de bloquer la réplication du virus. Alors, pour essayer de répondre à cette question, ce que font les chercheurs, c'est extrêmement simple. Eh bien, ils cultivent le virus dans des cellules. sous contrainte de la molécule antivirale. Et dans la mesure où la culture se fait sous contrainte de la molécule antivirale, petit à petit le virus va s'adapter de manière à éventuellement échapper à la pression de sélection et on va sélectionner des virus qui mutent et qui échappent aux médicaments. Et simplement en étudiant les mutations et en les identifiant dans le génome, on va pouvoir voir quels sont les gènes qui sont ciblés par la molécule antivirale et ainsi remonter finalement au mécanisme moléculaire par lequel ce médicament est capable d'inhiber la réplication du virus. Donc ici, on voit également que ces expériences de passage en série peuvent être extrêmement bénéfiques pour la recherche, parce qu'ils produisent finalement comme effet le fait qu'on va comprendre le monde d'action de molécules thérapeutiques, et ainsi éventuellement pouvoir les mettre sur le marché. Par là même, on produit également des virus qui, initialement, sont capables de résister aux médicaments qu'on est en train de développer. C'est quelque chose qui pourrait être problématique, mais ce qu'on observe dans la plupart des cas, c'est que si on arrive rapidement à avoir des mutants d'échappement dans ce type d'expérience, quand on va utiliser des médicaments en vie réelle chez les patients, on va également avoir des mutants d'échappement qui vont apparaître. Alors que s'il est difficile d'obtenir des mutants d'échappement, en général, en vie réelle, on aura difficilement des mutations d'échappement. On peut faire exactement la même chose pour les vaccinations. C'est-à-dire qu'on peut vacciner par exemple un modèle animal avec une préparation contre un virus et récupérer les anticorps neutralisants, donc capables de bloquer l'infection une quinzaine ou une vingtaine de jours post-vaccination. Et puis cultiver les virus sous contrainte des anticorps, de manière à voir s'il y a des virus qui sont capables d'échapper aux anticorps neutralisants qui vont apparaître et le plus souvent on détecte effectivement l'émergence de ces virus échappants et cela doit nous rappeler finalement ce qu'on a vu pendant la crise du SARS-CoV-2 où ce qu'on voit c'est qu'on a eu une émergence régulière de variants qui échappaient finalement à l'immunité qui est présente dans les populations, immunité qui est liée évidemment à la circulation du virus dans les populations mais également à la vaccination les deux contribuent significativement à la pression de sélection. Et donc on voit que des virus comme le SARS-CoV-2, sous cette pression de sélection, ont la capacité d'évoluer rapidement et de faire des souches virales finalement qui sont capables de se reproduire et de continuer à se propager même sous la contrainte de ces anticorps neutralisants. Et donc ça permet de comprendre les mécanismes d'échappement. Il y a d'autres virus pour lesquels il est très difficile de trouver justement des virus qui échappent à la contrainte de la vaccination. Et c'est ce qui explique que dans certains cas, la vaccination est très robuste et tient pendant des années, sans pour autant que les virus ne soient capables d'échapper. Alors, j'en viens à un quatrième type d'expérience, qui sont des expériences cette fois-ci de passage en série sur des souris dites humanisées. Je voudrais revenir sur ces fameuses souris dites humanisées, qui sont évidemment très très importantes comme modèle animaux en virologie. Comme je le disais tout à l'heure, il est souvent très difficile d'avoir des bons modèles animaux, et donc on a développé ces techniques de transgénèse qui permettent justement de faire ces souris humanisées et qui permettent d'avoir des modèles pour la vaccination. Alors ici, le type d'expérience qui est réalisé, c'est qu'on prend un virus sauvage et on a une souris par exemple qui était humanisée pour un récepteur qui est connu pour être le récepteur humain à ce virus. Si je fais exactement une expérience qui est équivalente à l'expérience du passage en série qui avait été présentée au début d'exposer sur des lignées cellulaires, mais cette fois-ci dans les souris humanisées, et bien petit à petit, je vais sélectionner des virus qui vont avoir une meilleure capacité à reconnaître, par exemple, le récepteur humain que j'aurais mis dans la souris. On va passer d'un virus qui, typiquement, au départ, était faiblement capable ou difficilement capable de se répliquer dans ces souris, un virus qui va être adapté par ce processus de passage et va être beaucoup plus capable de se répliquer efficacement dans ce modèle animal et qui va éventuellement conduire à des phénotypes qui vont être plus marqués, par exemple une létalité accrue, etc. Alors ce type d'expérience est utilisé en virologie, entre autres parce que souvent, on n'a pas de bons modèles animaux pour pouvoir étudier les infections virales. Et quand on a un modèle qui mime bien la maladie qu'on observe chez l'humain, on va pouvoir justement avoir un modèle pour pouvoir étudier l'efficacité de vaccins ou l'efficacité de molécules thérapeutiques. Et c'est ce type d'expérience qui va être conduite dans ce cas-là. Alors évidemment, si au départ, je prends un virus, le premier virus à gauche en rouge, et que ce virus est humain, je ne m'attends pas à avoir un virus qui va avoir une létalité accrue chez l'humain en faisant cette expérience. Mais par contre, si au départ de l'expérience, on imagine qu'on part d'un virus qui infecte une espèce animale, et que je le fais passer sur des souris qui sont transgéniques et humanisées pour le récepteur humain, on peut avoir la situation qui est la suivante, c'est-à-dire que le virus, lors de ces expériences, va acquérir des nouvelles compétences qui font qu'il sera plus efficace ou plus dangereux en termes de risque de franchissement de barrières d'espèce. Et donc ça, évidemment, c'est un véritable problème du développement de ces modèles de souris humanisés. Il n'y a pas de réponse simple et tranchée de dire si c'est dangereux ou pas dangereux. Ça dépend véritablement du contexte dans lequel on va réaliser ces expériences. Et dans certains cas, le passage dans ces modèles animaux peut diminuer finalement le risque biologique des virus qui vont être sélectionnés. Et dans d'autres cas, on va éventuellement sélectionner des virus dont le risque est infectieux chez l'homme pour être accru. Et c'est évidemment cette catégorie d'expérience qu'il va falloir réfléchir en termes de biosécurité, de voir s'ils sont acceptables du point de vue de la santé humaine et des risques biologiques. Alors j'en viens à un cinquième type d'expérience, qui sont maintenant les nouveaux outils de la biologie synthèse qui permettent d'assembler des virus par fragments. Vous savez que pendant très longtemps, on avait une grande difficulté qui était de collecter des virus infectieux pour pouvoir les répliquer, notamment dans des cellules au laboratoire. Alors que finalement avoir la séquence complète d'un pathogène est devenu quelque chose qui est extrêmement simple grâce à l'augmentation des capacités de séquençage dans les différents laboratoires. Et en fait, on n'a pas besoin d'avoir un l'échantillon de virus complet infectieux pour avoir les séquences complètes du virus. Il suffit qu'on ait différents fragments et c'est un petit peu comme un puzzle. On est capable de rassembler le puzzle complet du génome. Et une fois que le génome est connu, eh bien on peut, à partir du génome, resynthétiser à partir de la séquence directement un virus infectieux. Donc ça a été fait sur le virus de la grippe espagnole qui est, par exemple, en 2005, qui a été reconstitué à partir de la séquence directement. Ça a été fait, évidemment, pour le SARS-CoV-2, quand la séquence a été connue au début de l'émergence, vers le 15 janvier, à peu près un mois plus tard, une équipe suisse avait reconstitué par biologie de synthèse le génome complet et avait contruit le virus infectieux. Ça a également été fait pour des virus qui sont endogénéisés, qui étaient non infectieux parce qu'endogénéisés, qui ont été révertés même dans leur capacité d'infection. Et ce sont les méthodes maintenant qu'elles existent qui permettent également d'introduire un grand nombre de mutations dans le génome des virus de manière unique ou simultanée, mais aussi de faire des expériences de construction de virus chimériques, c'est-à-dire de, finalement par des expériences de type copier-coller, d'échanger un gène avec un autre gène qui est issu du séquençage, de manière à pouvoir évaluer au laboratoire la capacité de virus qui ont telle ou telle protéine d'enveloppe large de surface, d'infecter un type sévère donné, et notamment pour comprendre les mécanismes de franchissement de barrières d'espèces. J'attire votre attention sur ce type d'expérience qui, évidemment, pose beaucoup de questions, parce qu'aujourd'hui, les techniques de synthèse de gènes sont en train de s'accélérer avec une vitesse qui est fulgurante. Donc, le contrôle, finalement, sur ces gènes synthétiques va être très, très difficile. Et il va devoir être pensé et réfléchi collectivement, de savoir comment est-ce qu'on désire contrôler la synthèse de ces gènes et la production de ces virus recombinants. Quels seront les moyens à disposition, éventuellement, pour faire ce type de contrôle ? Je crois qu'aujourd'hui, on a peu d'éléments de réponse sur cette question. Alors, j'en viens vraiment aux expériences de gain de fonction, dont le débat sur ces expériences a débuté de manière très intense en 2012, avec des expériences qui ont été conduites en Hollande, entre autres, par le groupe de Ron Fouchier, qui consistait justement à construire des virus de la grippe avec un certain nombre de mutations. Alors juste pour rappel et pour introduire avant un petit peu ce sujet, je vous rappelle que les virus de la grippe sont connus pour infecter largement les oiseaux sauvages, entre autres les canards, mais également un certain nombre d'oiseaux migrateurs. Et usuellement, ces virus aviaires sont peu ou pas infectieux chez l'homme. La raison de cette difficulté des virus aviaires à infecter l'homme, c'est que pour entrer dans les cellules, ils reconnaissent un sucre, un acide sialique, et la manière dont les sucres chez l'homme sont branchés est différente de la manière dont les sucres sont branchés chez les animaux. Et donc normalement, il n'y a pas ou très peu d'infection directe de virus aviaires vers l'homme. De même, les virus humains sont très compétents pour infecter l'homme, mais peu ou pas compétents pour infecter les espèces aviaires. Le problème dans l'histoire, c'est qu'il existe un animal qu'on appelle un hôte intermédiaire, qui est le porc, qui est à la fois infectable par les virus aviaires et à la fois infectable par les virus dits humains. Il peut s'opérer lorsqu'un porc est infecté par un virus aviaire et un virus humain, une espèce de loterie génétique qu'on appelle un réassortiment, dans laquelle une partie des gènes qui sont issus du virus aviaire vont être conservés. Et donc vous voyez ici que le virus qui va être produit, il a deux gènes aviaires qui sont présentés en rouge au sein de la particule virale et il va conserver également des gènes du virus humain qui sont les gènes qui sont présentés en vert. Grâce à ce réassortiment, il peut être généré des virus qui ont la compétence d'infecter l'homme avec toute une série de déterminants génétiques qui proviennent du virus aviaire. On va voir par ce processus de réassortiment la génération de nouveaux pathogènes humains qui peuvent donner des pandémies, comme c'était le cas de la pandémie de 1917-18. Parce que le virus de l'influenza responsable de la grippe a ce type de génome disségmenté qui permet de faire cette loterie génétique, on considère que c'est un virus à potentiel pandémique important qui est extrêmement surveillé. Et entre autres, des études ont permis de montrer depuis 40 ans, par des analyses génétiques des franchements de barrières d'espèces, qu'il y avait des mutations qui étaient systématiquement associées à la virulence chez l'homme. Donc on sait qu'on a à certaines positions dans le génome, quand on a des mutations spécifiques qui apparaissent, on a des virus qui potentiellement vont avoir un risque de franchissement de la barrière d'espèce qui va être accrue. Et donc ça, ça a été caractérisé au fil de l'eau pendant les 50 dernières années. On connaît bien les facteurs de virulence qu'il faut surveiller et qui sont un risque potentiel pour ces virus franchis de la barrière d'espèce. Dans ce contexte, on n'a finalement pas de démonstration formelle que ces facteurs de virulence sont des vraies mutations qui sont associées au franchissement de la barrière de l'espèce. Ce qu'on a, c'est une évidence que les virus qui infectent bien l'humain ont plutôt telle mutation en telle position, et les virus aviaires ont plutôt telle mutation en telle position, mais on n'a pas la démonstration formelle. Et donc l'idée du groupe de Ron Fouchier a été la suivante, c'était de dire pour démontrer que ce sont bien des facteurs de virulence, on va prendre un virus aviaire et on va y introduire artificiellement les mutations de manière à voir s'ils sont bien des facteurs qui permettent à ces virus de devenir des agents très infectieux dans des espèces mammifères. Les espèces mammifères modèles utilisées dans ce cas-là sont les furets. Et donc l'expérience qui a été conduite est représentée ici. C'est assez simple, on a deux cages qui sont séparées au milieu par un domaine dans lequel les animaux ne peuvent pas avoir de contact direct, mais qui laisse passer la transmission par aérosol des virus. Et vous voyez que le virus, au départ, c'est un virus aviaire, avec un génome qui est uniquement représenté en rouge. Et quand on fait l'infection dans la cage des furets, initialement, la transmission dans la cage se fait extrêmement bien, c'est-à-dire que tous les animaux de la cage sont infectés. Par contre, on voit qu'il n'y a pas de transmission par aérosol. Et donc, il n'y pas d'animaux dans la cage voisine qui vont être infectés. Et après avoir infecté, enfin après avoir inséré cinq mutations dans des facteurs connus pour être des facteurs de virulence, on voit que la situation est complètement différente. C'est que la transmission entre les animaux dans la même cage est toujours très efficace avec l'ensemble des animaux qui sont infectés, mais on voit que cette fois-ci on a un virus qui se transmet par aérosol de manière efficace avec trois sur quatre animaux qui sont infectés. Donc évidemment ces expériences posent une question qui est vraiment importante, à savoir quel est le risque, quel est le bénéfice de ces expériences. Parce que finalement, à postériori, ce qu'on sait c'est que ces mutations étaient connues pour être des facteurs de virulence, et on a finalement fait que renforcer cette connaissance et apporter une preuve définitive par la méthode expérimentale. Mais par contre on a généré un virus qui n'existait pas dans la nature, et on ne sait pas si ce virus éventuellement aurait émergé naturellement. Et même quand ils ont essayé de faire une évolution naturelle de ce virus vers un virus qui était capable de se transmettre par aérosol avant d'avoir fait cette expérience d'introduction de mutations systématiques, ils n'avaient pas été capables de faire ces mutants. Et ce qu'il faut savoir, c'est qu'ici, on a en fait une situation qui est assez différente d'une mutation progressive du génome vers un génome qui est hyper infectieux éventuellement dans le modèle animal parce qu'on a introduit d'un coup cinq mutations aux bonnes positions qui sont des mutations dans le facteur de VE1. Alors quand on regarde dans le modèle classique de réplication de ces virus, on a évidemment des quasi-espèces qui existent avec chacune des mutations individuelles qui apparaissent régulièrement dans les populations virales, mais la probabilité d'avoir les cinq mutations qui apparaissent simultanément dans le même génome est extrêmement faible. Et c'est entre autres ce qui confère à ces expériences dites de gain de fonction, où on met plusieurs mutations d'une seule fois dans le génome, une dangerosité qui, à mon sens, est très importante. Donc, suite à ces expériences qui ont été réalisées chez le virus de la grippe aviaire, il y a eu un débat dans la communauté scientifique qui n'a pas été complètement tranché, mais aux États-Unis en tout cas, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu un moratoire sur le financement des expériences dites de gain de fonction, qui a commencé en 2014 et qui s'est terminé en 2017. Et suite à la fin de ce moratoire, il y a eu un protocole spécifique qui a été attribué aux expériences dites de gain de fonction qui sont évaluées par un comité d'experts ad hoc pour définir les conditions de biosécurité et leur financement éventuel. En Europe, il n'y a, à ma connaissance, pas eu de protocole identique qui a existé. Et donc les expériences de gain de fonction, pourtant, elles ont continué. D'abord sur les coronavirus, développés notamment par des méthodologies développées par le groupe de Ralph Baric aux États-Unis qui ont commencé à construire, à mettre en œuvre des méthodes pour faire des coronavirus recombinants et synthétiques. Et puis, suite justement à ce moratoire, entre autres, qui interdisait le financement aux États-Unis, ces expériences ont été délocalisées en Chine, entre autres dans le laboratoire de Wuhan, où ils ont commencé à faire des expériences dites de gain de fonction sur les coronavirus, comme le SARS et le MERS coronavirus. Juste pour illustrer la problématique ici qui se pose, leur objectif, c'est de comprendre et d'identifier si dans les populations de chauves-souris qui sont les réservoirs de ces virus, est-ce qu'il existe des virus qui, éventuellement, sont capables de franchir la barrière d'espèce pour devenir des potentiels pandémiques humains. Et donc, comme je vous le disais tout à l'heure, il est très facile de séquencer sur base d'échantillons qu'on va collecter chez les chauves-souris ou dans les mines ou dans les caves ou les grottes qui sont colonisées par ces chauves-souris, on peut avoir évidemment des dizaines, voire des centaines de génomes de coronavirus sur base de la métagénomique. Par contre, quand on va explorer ces mines et ces caves, il est très difficile d'avoir des virus infectieux qu'on cultive au laboratoire. Juste pour fixer les idées, je crois qu'on a moins d'une dizaine de coronavirus du type bêta coronavirus qui sont réplicatifs dans le laboratoire alors qu'on a plus de 2000 génomes qui sont disponibles dans les banques de données. Ça montre le hiatus qu'il y a entre la capacité de produire, de cultiver ces virus et la capacité de les séquencer. Donc l'idée des projets qui ont été publiés, notamment dans PLOS Pathogens en 2017, était la suivante, c'est de construire des virus chimériques. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on a un virus qui est cultivable au laboratoire, on va finalement faire un échange génétique du domaine spike, c'est-à-dire la protéine qui est à la surface du virus à partir de protéines Spike qui auront été échantillonnées et séquencées sur base des collectes qui ont été faites dans les échantillons infectés chez les animaux. Ainsi, on va produire des virus chimériques et on va regarder si ces virus chimériques sont capables ou pas d'infecter des cellules humaines. Avec l'idée c'est que évidemment si les virus ne sont pas capables d'infecter les cellules humaines, ça voudrait dire que les virus sont les spikes de la séquence qui a été introduite dans ces virus chimérique ne sont pas à potentiel pandémique, alors que ceux qui auraient une bonne capacité d'infecter ces cellules, ils auront un potentiel pandémique qui est accru et ce sont des virus qu'il faut particulièrement surveiller. Ici est un exemple d'une expérience qui a été réalisée. Vous voyez qu'on a un génome de coronavirus ici qui est en gris. Il y a trois mutations en rouge qui sont indiquées, qui sont des mutations qui ont été introduites de manière à ce que ce virus se réplique efficacement dans le modèle animal qui est la souris ici. Et ce que vous pouvez voir ici, c'est en vert, ils ont échangé génétiquement finalement le gène initial qui était gris par un gène qui code pour une sclépale protéine verte, comme vous pouvez le voir ici. Et donc ça, c'est fait à partir de méthodologies de biologie moléculaire qui sont maintenant classiques dans le laboratoire de virologie. et qui ne laissent pas nécessairement de traces génétiques, c'est-à-dire qu'on peut difficilement, à postériori, savoir si les recombinants qui sont produits sont naturels ou ont été réalisés au laboratoire. Et donc voilà, typiquement, l'expérience qui a été faite. Ici, on compare l'infection d'un virus sauvage au-dessus et d'un virus qui a été modifié génétiquement comme représenté. On les injecte dans une souris et on va comparer la réplication et la pathogénèse de ce virus chez ces souris. Les courbes qui sont montrées ici sont des pertes de poids. Ce qu'on voit, c'est que le virus naturel, en noir, induit des pertes de poids qui sont supérieures au virus en vert, qui est le virus chimérique. Ce que cette courbe montre clairement, c'est que ce virus chimérique, ici construit, est potentiellement infectieux et induit des pertes de poids. Mais globalement, on estime que la virulence et l'infectiosité de ce virus chimérique est moindre que le virus initial et donc on considère ici que ce virus est potentiellement infectieux dans le modèle animal mais sans risque accru par rapport au virus initial. Ici sont représentés quatre nouveaux virus chimériques qui ne sont pas publiés dans la littérature, mais qui sont issus de rapports de recherche qui ont été remis au NIH. Ce que vous pouvez voir ici, c'est qu'on a quelque chose qui est complètement différent. Le virus sauvage initial, c'est le virus qui est représenté en rouge sur la courbe à droite. C'est-à-dire que c'est un virus qui induit à des pertes de poids qui sont modérées, comme vous voyez ici. Et vous voyez que parmi les virus chimériques qui ont été construits, il y a notamment le virus en vert, qui induit des pertes de poids qui sont beaucoup plus importantes, ce qui indique cette fois-ci qu'on a eu un gain de fonction dans l'espèce, c'est-à-dire que le virus chimérique, il est probablement nettement plus capable de se répliquer dans ce modèle animal, et donc il est potentiellement plus dangereux. Il faut savoir que les souris ici, elles sont humanisées pour le gène à ceux d'humains, donc on a vraiment un modèle qui permet d'évaluer le potentiel infectieux chez l'homme. Si vous regardez en bas, c'est des mesures à différents jours post-infectiés, des charges virales chez ces souris. Vous voyez que par rapport au virus sauvage, les trois virus chimériques qui ont été construits ont un à trois logs de viremi supplémentaires par rapport au virus initial. Ce qui indique qu'on a un gain de fonction vraiment important en termes de viremi. C'est ce qu'on observe ici et donc on a un virus qui est évidemment issu d'une expérience de gain de fonction et qui est pas tellement dangereux et donc il serait particulièrement inquiétant qu'il échappe de laboratoire. Ces expériences ont comme bénéfice le fait que maintenant on sait qu'il y a chez les chauves-souris des virus qui ont potentiellement un tropisme qui pourrait être élevé pour les récepteurs à ceux d'humains. Par contre, le risque qu'on a, c'est qu'on a vraiment produit au laboratoire un virus infectieux qui n'existait pas naturellement, vu que c'était une chimère qui n'est pas naturelle. Et s'il y avait un accident, c'est très difficile de savoir quelle pourrait être la trajectoire épidémiologique de ce genre de virus. Évidemment, le débat et toute la question éthique qui se pose est autour de cette question-là. Alors, huitième exemple que je vais vous donner, j'ai presque fini, il y a beaucoup d'exemples, mais je crois que c'est important d'aller dans les détails. C'est des expériences de perte de fonction au résultat inattendu. Parce qu'on pourrait se dire de manière un peu simpliste, c'est simple, il suffirait de dire on va interdire des expériences de gain de fonction. Et je vous expliquais que quand il y avait un gain de fonction, il y avait pratiquement toujours une perte de fonction qui était associée au gain de fonction. Et donc ici, c'est une expérience qui a été faite en Espagne, dans laquelle il y a un gène qui a été délété d'un virus qui est le MERS coronavirus. Je vous rappelle que le MERS coronavirus, c'est un virus qui n'est pas installé dans l'espèce humaine, mais qui se transmet sporadiquement des chameaux vers l'homme et quand il se transmet, environ un taux de létalité qui est de l'ordre de 30% et qui se transmet également par voie respiratoire et qui est considéré comme un potentiel pandémique. Et donc là, pour tous les biologistes moléculaires, l'idée est assez simple. En général, on considère que si on délète un gène, on va faire un virus qui est moins infectieux. Et ce qu'on peut observer ici, sur des courbes de mortalité par exemple, c'est que la déletion du gène MA, en fait, donc le virus MERS M1A Delta 5, il y a une pathologénicité qui est accrue dans le modèle animal, qui est énorme, et donc on croyait, les expérimentateurs croyaient faire une expérience de perte de fonction, et en fait ils ont eu un gain de fonction très significatif dans leur modèle animal, ce qui amène à questionner évidemment comment est-ce qu'on peut réguler cette expérience de manière cohérente et sûre, parce qu'on ne peut jamais prédire de manière définitive le résultat de l'expérience qu'on va conduire au laboratoire. Avant de finir, je voudrais quand même vous dire qu'il existe des méthodes alternatives pour essayer de comprendre ces mécanismes de franchissement de barrières d'espère et qui sont moins risqués, qu'on appelle les pseudovirus. Et donc là, l'idée, c'est en général de construire des virus qu'on appelle non réplicatifs ou pseudotypés, c'est-à-dire qu'on va s'arranger pour faire des virus qui sont chimériques. Ici, l'exemple qui est présenté, c'est un virus chimérique qui est fait entre le HIV et typiquement le coronavirus, ici, le SARS coronavirus. Mais on s'arrange pour expérimentalement séparer les constructions, c'est-à-dire que le virus qui est produit est capable de faire seulement un cycle d'infection, c'est-à-dire qu'il va infecter la cellule, on va voir si la cellule est infectée, parce qu'on va s'arranger pour mettre un gène fluorescent éventuellement dans le génome de cette particule virale. Mais les cellules, une fois infectées, ne sont plus capables de produire des particules virales infectieuses parce qu'elles n'auront pas le gène qui code pour la spike protéine. Alors évidemment, un des débats qui se pose également dans ces expériences de gain de fonction, c'est pourquoi est-ce que plutôt que de faire des expériences hautement risquées comme des expériences de gain de fonction, pourquoi est-ce qu'on ne ferait pas plutôt des expériences avec des virus chimériques comme ceux que je présente ici ? Et les éléments de réponse sont au moins doubles. Le premier élément, c'est qu'en général, ces expériences ne sont pas 100% prédictives de la réplication, elles ne donnent pas toujours les mêmes résultats que des expériences de construction de virus chimérique. Parce que, par exemple, selon les constructions utilisées, la densité des protéines spike à la surface des virus peut être plus élevée dans ces systèmes et donc ils peuvent être éventuellement plus sensibles. Et donc, on peut avoir des résultats qui sont d'un ordre ou deux ordres de grandeur, différents de ce qu'on observerait avec des véritables virus chimériques. Et le deuxième élément de réponse, c'est qu'il y a une pression de publication, c'est-à-dire qu'en temps général, les auteurs vont proposer des publications qui sont basées sur ces fameux virus pseudotypés aux grandes revues scientifiques. La première chose que vont demander les reviewers en général, c'est « mais confirmez-moi que c'est vrai en construisant les virus infectieux » et à ce moment-là, on va prendre votre article. Donc, il y a une pression finalement indirecte lors de la publication qui fait que les chercheurs sont d'une certaine manière poussés par la communauté à conduire ces expériences extrêmement dangereuses. Alors, tout ça pose la question de la régulation et des régulations futures. Donc, je crois que je dirais, dans un premier temps, que la régulation internationale de l'expérience en virologie est extrêmement insuffisante. Ça, c'est la première chose. C'est vrai qu'on a progressé en ayant des laboratoires de type 3 et 4 qui sont implémentés dans une série de pays. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que les réglementations qui visent à définir quels sont les virus qui doivent être travaillés dans quel type de confinement ne sont pas internationales, qu'il n'y a pas de communauté internationale qui vérifie et que les expériences en virologie se délocalisent là où la pression, où la difficulté d'expérience est la moindre. Et justement, pour revenir à ce dont j'ai parlé tout à l'heure, les expériences de gain de fonction qui étaient faites avant 2015 ou 2014 aux États-Unis étaient majoritairement faites sur les coronavirus en laboratoire du type 3. Et quand le moratoire américain a été mis en place, ça a conduit à une délocalisation des expériences en Chine où ces expériences ont été faites majoritairement en laboratoire du type 2. Et on peut s'interroger de savoir s'il est raisonnable ou pas de faire des expériences de cibles dans l'aventure du type 2. Alors, le risque biologique est international parce que les virus n'ont pas de passeport. Je crois que maintenant, on est tous convaincus de ce point. Il est nécessaire, à mon avis, de développer des outils tels que les boîtes noires biologiques qui permettent de suivre les activités dans l'aventure de type 3 et 4. Et ça particulièrement de manière à finalement, d'une part, protéger le laboratoire éventuellement d'accusations qui pourraient leur être faites. Parce qu'en cas d'émergence d'une nouvelle épidémie dans une ville, la question se pose de savoir si c'est une émergence zoonotique ou éventuellement une émergence qui est liée à un accident de laboratoire. Et si toutes les séquences sont bien décrites dans les clés de laboratoire et s'il y a des boîtes noires biologiques qui sont associées au laboratoire, et bien c'est ça permettra de montrer qu'une émergence n'est éventuellement pas associée à un laboratoire, justement parce qu'on démontre formellement que le pathogène qui émerge n'a pas des séquences qui correspondent aux séquences des virus qui sont réellement travaillés dans le laboratoire. Donc c'est finalement un outil pour protéger les chercheurs éventuellement d'une accusation qui pourrait leur être faite. Et donc ces boîtes noires devraient être constituées, à mon avis au moins de filtres à air qui devraient être collectés sur les hottes à flux laminaire et séquencés de manière régulière, et aussi d'un accès régulier des laboratoires, au fait qu'on ait rempli un cahier de laboratoire électronique, donc il y aurait une copie dans une instance internationale, de manière à assurer qu'il y ait une copie, et qu'il n'y puisse pas y avoir de manipulation politique en cas d'accident, de manière à ce qu'on puisse tracer les émergences liées éventuellement à des accidents de recherche. Et alors il serait nécessaire évidemment de créer une instance internationale de contrôle et qui devrait définir les normes éthiques et biologiques de sécurité associées aux différents pathogènes, plutôt que de se trouver dans la situation actuelle où chaque pays, ou chaque ensemble de pays, l'Europe par exemple, ou les États-Unis, définit des armes qui sont différentes, avec une espèce de dumping de la virologie dans certains cas, où les expériences vont se délocaliser forcément dans les endroits où le niveau de biosécurité qui sont demandés sont les plus faibles. Voilà, je termine peut-être par quelques messages à retenir de cette présentation avant de prendre les questions s'il y en a avec plaisir. Les virus émergents sont un problème de santé public majeur. Il est indispensable de pouvoir étudier le virus en laboratoire pour développer des vaccins et concevoir des médicaments. Les bénéfices en santé publique sont considérables et on considère par exemple que les vaccins, ça a été un des apports majeurs à l'augmentation de l'espècerance de vie sur les 60 dernières années de l'espèce humaine. Il est nécessaire de développer des nouveaux outils de biologie nucléaire pour travailler plus en sécurité. J'ai parlé des pseudotypes, mais je dirais qu'il y a aussi également des modèles animaux plus sécures qui devraient être générés. Il y a vraiment de la recherche qui doit être faite pour développer ces nouveaux modèles. Les accidents laboratoires sont documentés et l'analyse doit être faite avec plus de sérieux pour pouvoir justement mettre en place des contre-mesures et des formes de biologie qui sont plus sécuritaires dans les laboratoires. Les expériences gain de fonction, et en particulier ce qui concerne les virus à potentiel pandémique. pose une vraie question d'éthique à mon sens. Elle devrait être arbitrée par nos sociétés. Moi, personnellement, je ne ferai jamais ce genre d'expérience et je considère qu'elle devrait être interdite, mais je comprends qu'il doit éventuellement y avoir un débat dans la société civile et au sein de la communauté pour évaluer de manière conjointe le risque et le bénéfice des expériences. Et la régulation des expériences en biologie est très insuffisante. Il serait nécessaire de créer des instances de contrôle international. et de développer aussi les boîtes biologiques permettant le suivi des activités en laboratoire P4 et peut-être en laboratoire P3. Et je crois que la France et l'Europe devraient être moteurs là-dedans pour montrer un petit peu l'exemple pour l'ensemble de la communauté internationale. Et ça pourrait être une bonne manière de mettre le pied à l'étrier.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un extrait de la conférence d'Étienne Decroly sur le thème des expériences en virologie. Retrouvez-la en vidéo dans son intégralité sur le site de Sciences en questions et au format livre sous le titre « Expériences en virologie, bénéfices et risques » aux éditions Quae.

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Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Science en Question vous proposent de découvrir la conférence « Expériences en virologie : quels bénéfices et risques ? », animée par Etienne Decroly. Cette seconde partie expose des expérimentations à risques et permet de comprendre comment mieux adapter les contraintes de biosécurité à ces risques biologiques.


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Transcription

  • Speaker #0

    Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Science en question vous proposent de découvrir la conférence « Expérience en virologie, quels bénéfices et risques » animée par Étienne Decroly. Cette seconde partie vise à comprendre comment mieux adapter les contraintes de biosécurité aux risques biologiques. Dans la suite de cet exposé, je voudrais de manière relativement concrète vous montrer quelles sont des expériences typiques qu'on fait dans le laboratoire et peut-être discuter les risques biologiques et les avantages d'un certain nombre d'expériences qui sont réalisées dans les laboratoires. Je vais commencer par les expériences dites de passage en série. Ici est représentée une expérience de passage en série d'un virus. Vous voyez qu'il a des petites spicules à l'extérieur qui sont en rouge au début. Et donc, on va cultiver ces virus dans une boîte de culture cellulaire. Et suite à cette culture, vous savez que quand un virus se réplique, il va produire ce qu'on appelle des quasi-espèces, c'est-à-dire qu'on va avoir une soupe de mutants finalement. Et dans cette soupe de mutants, certains seront mieux adaptées à infecter de manière productive la lignée cellulaire et d'autres sont moins adaptées à l'infection productive. Au fur et à mesure de ces passages, on va sélectionner parmi les mutants, les mutants qui sont les plus adaptés à cette culture cellulaire. Vous voyez que petit à petit on est passé d'une spicule à l'extérieur qui était rouge à une spicule qui a changé de couleur, ce qui indique que ces mutations ont été sélectionnées. Ce type d'expérience est réalisé par les virologues depuis très longtemps et entre est utilisé largement développement de vaccins. C'est le cas par exemple des vaccins polio qui ont été réalisés par ces expériences de passage sur cellules de manière multiple. On considère que comme ils sont réalisés en absence finalement de pression de section du système immunitaire, mais également sur une lignée cellulaire donnée, petit à petit on va sélectionner finalement des virus qui sont très efficaces pour infecter cette culture cellulaire, mais qui vont perdre finalement des fonctions biologiques qui sont importantes pour leur réplication dans le contexte d'une infection virale normale chez l'humain. Dans ce cas-ci, c'est par exemple une des méthodes qui a été utilisée pour développer les vaccins du type polio et qui sont encore utilisés aujourd'hui. Donc ça vous montre qu'un passage en série n'est pas nécessairement associé à un gain de fonction. Oui, un gain de fonction. dans les cellules qui vont être utilisées ici, mais il y a une perte de fonction finalement quand on va regarder dans l'espèce humaine, parce que ces virus perdent leur pouvoir pathogène, mais gardent leur capacité à induire l'immunité. Un deuxième type d'expérience qui est représenté ici, c'est des expériences dans lesquelles on va faire des mutants d'échappement par rapport à des médicaments. Dans le processus de développement des médicaments thérapeutiques contre les virus, souvent on est amené à, par exemple, identifier parmi un ensemble de molécules, des molécules qui auraient des activités antivirales dans les cultures cellulaires. Mais quand on fait ce genre d'essai, et bien souvent, on n'est pas capable d'identifier la cible thérapeutique, c'est-à-dire quel est le gène du virus qui va être touché par ce médicament et comment ce médicament est capable de bloquer la réplication du virus. Alors, pour essayer de répondre à cette question, ce que font les chercheurs, c'est extrêmement simple. Eh bien, ils cultivent le virus dans des cellules. sous contrainte de la molécule antivirale. Et dans la mesure où la culture se fait sous contrainte de la molécule antivirale, petit à petit le virus va s'adapter de manière à éventuellement échapper à la pression de sélection et on va sélectionner des virus qui mutent et qui échappent aux médicaments. Et simplement en étudiant les mutations et en les identifiant dans le génome, on va pouvoir voir quels sont les gènes qui sont ciblés par la molécule antivirale et ainsi remonter finalement au mécanisme moléculaire par lequel ce médicament est capable d'inhiber la réplication du virus. Donc ici, on voit également que ces expériences de passage en série peuvent être extrêmement bénéfiques pour la recherche, parce qu'ils produisent finalement comme effet le fait qu'on va comprendre le monde d'action de molécules thérapeutiques, et ainsi éventuellement pouvoir les mettre sur le marché. Par là même, on produit également des virus qui, initialement, sont capables de résister aux médicaments qu'on est en train de développer. C'est quelque chose qui pourrait être problématique, mais ce qu'on observe dans la plupart des cas, c'est que si on arrive rapidement à avoir des mutants d'échappement dans ce type d'expérience, quand on va utiliser des médicaments en vie réelle chez les patients, on va également avoir des mutants d'échappement qui vont apparaître. Alors que s'il est difficile d'obtenir des mutants d'échappement, en général, en vie réelle, on aura difficilement des mutations d'échappement. On peut faire exactement la même chose pour les vaccinations. C'est-à-dire qu'on peut vacciner par exemple un modèle animal avec une préparation contre un virus et récupérer les anticorps neutralisants, donc capables de bloquer l'infection une quinzaine ou une vingtaine de jours post-vaccination. Et puis cultiver les virus sous contrainte des anticorps, de manière à voir s'il y a des virus qui sont capables d'échapper aux anticorps neutralisants qui vont apparaître et le plus souvent on détecte effectivement l'émergence de ces virus échappants et cela doit nous rappeler finalement ce qu'on a vu pendant la crise du SARS-CoV-2 où ce qu'on voit c'est qu'on a eu une émergence régulière de variants qui échappaient finalement à l'immunité qui est présente dans les populations, immunité qui est liée évidemment à la circulation du virus dans les populations mais également à la vaccination les deux contribuent significativement à la pression de sélection. Et donc on voit que des virus comme le SARS-CoV-2, sous cette pression de sélection, ont la capacité d'évoluer rapidement et de faire des souches virales finalement qui sont capables de se reproduire et de continuer à se propager même sous la contrainte de ces anticorps neutralisants. Et donc ça permet de comprendre les mécanismes d'échappement. Il y a d'autres virus pour lesquels il est très difficile de trouver justement des virus qui échappent à la contrainte de la vaccination. Et c'est ce qui explique que dans certains cas, la vaccination est très robuste et tient pendant des années, sans pour autant que les virus ne soient capables d'échapper. Alors, j'en viens à un quatrième type d'expérience, qui sont des expériences cette fois-ci de passage en série sur des souris dites humanisées. Je voudrais revenir sur ces fameuses souris dites humanisées, qui sont évidemment très très importantes comme modèle animaux en virologie. Comme je le disais tout à l'heure, il est souvent très difficile d'avoir des bons modèles animaux, et donc on a développé ces techniques de transgénèse qui permettent justement de faire ces souris humanisées et qui permettent d'avoir des modèles pour la vaccination. Alors ici, le type d'expérience qui est réalisé, c'est qu'on prend un virus sauvage et on a une souris par exemple qui était humanisée pour un récepteur qui est connu pour être le récepteur humain à ce virus. Si je fais exactement une expérience qui est équivalente à l'expérience du passage en série qui avait été présentée au début d'exposer sur des lignées cellulaires, mais cette fois-ci dans les souris humanisées, et bien petit à petit, je vais sélectionner des virus qui vont avoir une meilleure capacité à reconnaître, par exemple, le récepteur humain que j'aurais mis dans la souris. On va passer d'un virus qui, typiquement, au départ, était faiblement capable ou difficilement capable de se répliquer dans ces souris, un virus qui va être adapté par ce processus de passage et va être beaucoup plus capable de se répliquer efficacement dans ce modèle animal et qui va éventuellement conduire à des phénotypes qui vont être plus marqués, par exemple une létalité accrue, etc. Alors ce type d'expérience est utilisé en virologie, entre autres parce que souvent, on n'a pas de bons modèles animaux pour pouvoir étudier les infections virales. Et quand on a un modèle qui mime bien la maladie qu'on observe chez l'humain, on va pouvoir justement avoir un modèle pour pouvoir étudier l'efficacité de vaccins ou l'efficacité de molécules thérapeutiques. Et c'est ce type d'expérience qui va être conduite dans ce cas-là. Alors évidemment, si au départ, je prends un virus, le premier virus à gauche en rouge, et que ce virus est humain, je ne m'attends pas à avoir un virus qui va avoir une létalité accrue chez l'humain en faisant cette expérience. Mais par contre, si au départ de l'expérience, on imagine qu'on part d'un virus qui infecte une espèce animale, et que je le fais passer sur des souris qui sont transgéniques et humanisées pour le récepteur humain, on peut avoir la situation qui est la suivante, c'est-à-dire que le virus, lors de ces expériences, va acquérir des nouvelles compétences qui font qu'il sera plus efficace ou plus dangereux en termes de risque de franchissement de barrières d'espèce. Et donc ça, évidemment, c'est un véritable problème du développement de ces modèles de souris humanisés. Il n'y a pas de réponse simple et tranchée de dire si c'est dangereux ou pas dangereux. Ça dépend véritablement du contexte dans lequel on va réaliser ces expériences. Et dans certains cas, le passage dans ces modèles animaux peut diminuer finalement le risque biologique des virus qui vont être sélectionnés. Et dans d'autres cas, on va éventuellement sélectionner des virus dont le risque est infectieux chez l'homme pour être accru. Et c'est évidemment cette catégorie d'expérience qu'il va falloir réfléchir en termes de biosécurité, de voir s'ils sont acceptables du point de vue de la santé humaine et des risques biologiques. Alors j'en viens à un cinquième type d'expérience, qui sont maintenant les nouveaux outils de la biologie synthèse qui permettent d'assembler des virus par fragments. Vous savez que pendant très longtemps, on avait une grande difficulté qui était de collecter des virus infectieux pour pouvoir les répliquer, notamment dans des cellules au laboratoire. Alors que finalement avoir la séquence complète d'un pathogène est devenu quelque chose qui est extrêmement simple grâce à l'augmentation des capacités de séquençage dans les différents laboratoires. Et en fait, on n'a pas besoin d'avoir un l'échantillon de virus complet infectieux pour avoir les séquences complètes du virus. Il suffit qu'on ait différents fragments et c'est un petit peu comme un puzzle. On est capable de rassembler le puzzle complet du génome. Et une fois que le génome est connu, eh bien on peut, à partir du génome, resynthétiser à partir de la séquence directement un virus infectieux. Donc ça a été fait sur le virus de la grippe espagnole qui est, par exemple, en 2005, qui a été reconstitué à partir de la séquence directement. Ça a été fait, évidemment, pour le SARS-CoV-2, quand la séquence a été connue au début de l'émergence, vers le 15 janvier, à peu près un mois plus tard, une équipe suisse avait reconstitué par biologie de synthèse le génome complet et avait contruit le virus infectieux. Ça a également été fait pour des virus qui sont endogénéisés, qui étaient non infectieux parce qu'endogénéisés, qui ont été révertés même dans leur capacité d'infection. Et ce sont les méthodes maintenant qu'elles existent qui permettent également d'introduire un grand nombre de mutations dans le génome des virus de manière unique ou simultanée, mais aussi de faire des expériences de construction de virus chimériques, c'est-à-dire de, finalement par des expériences de type copier-coller, d'échanger un gène avec un autre gène qui est issu du séquençage, de manière à pouvoir évaluer au laboratoire la capacité de virus qui ont telle ou telle protéine d'enveloppe large de surface, d'infecter un type sévère donné, et notamment pour comprendre les mécanismes de franchissement de barrières d'espèces. J'attire votre attention sur ce type d'expérience qui, évidemment, pose beaucoup de questions, parce qu'aujourd'hui, les techniques de synthèse de gènes sont en train de s'accélérer avec une vitesse qui est fulgurante. Donc, le contrôle, finalement, sur ces gènes synthétiques va être très, très difficile. Et il va devoir être pensé et réfléchi collectivement, de savoir comment est-ce qu'on désire contrôler la synthèse de ces gènes et la production de ces virus recombinants. Quels seront les moyens à disposition, éventuellement, pour faire ce type de contrôle ? Je crois qu'aujourd'hui, on a peu d'éléments de réponse sur cette question. Alors, j'en viens vraiment aux expériences de gain de fonction, dont le débat sur ces expériences a débuté de manière très intense en 2012, avec des expériences qui ont été conduites en Hollande, entre autres, par le groupe de Ron Fouchier, qui consistait justement à construire des virus de la grippe avec un certain nombre de mutations. Alors juste pour rappel et pour introduire avant un petit peu ce sujet, je vous rappelle que les virus de la grippe sont connus pour infecter largement les oiseaux sauvages, entre autres les canards, mais également un certain nombre d'oiseaux migrateurs. Et usuellement, ces virus aviaires sont peu ou pas infectieux chez l'homme. La raison de cette difficulté des virus aviaires à infecter l'homme, c'est que pour entrer dans les cellules, ils reconnaissent un sucre, un acide sialique, et la manière dont les sucres chez l'homme sont branchés est différente de la manière dont les sucres sont branchés chez les animaux. Et donc normalement, il n'y a pas ou très peu d'infection directe de virus aviaires vers l'homme. De même, les virus humains sont très compétents pour infecter l'homme, mais peu ou pas compétents pour infecter les espèces aviaires. Le problème dans l'histoire, c'est qu'il existe un animal qu'on appelle un hôte intermédiaire, qui est le porc, qui est à la fois infectable par les virus aviaires et à la fois infectable par les virus dits humains. Il peut s'opérer lorsqu'un porc est infecté par un virus aviaire et un virus humain, une espèce de loterie génétique qu'on appelle un réassortiment, dans laquelle une partie des gènes qui sont issus du virus aviaire vont être conservés. Et donc vous voyez ici que le virus qui va être produit, il a deux gènes aviaires qui sont présentés en rouge au sein de la particule virale et il va conserver également des gènes du virus humain qui sont les gènes qui sont présentés en vert. Grâce à ce réassortiment, il peut être généré des virus qui ont la compétence d'infecter l'homme avec toute une série de déterminants génétiques qui proviennent du virus aviaire. On va voir par ce processus de réassortiment la génération de nouveaux pathogènes humains qui peuvent donner des pandémies, comme c'était le cas de la pandémie de 1917-18. Parce que le virus de l'influenza responsable de la grippe a ce type de génome disségmenté qui permet de faire cette loterie génétique, on considère que c'est un virus à potentiel pandémique important qui est extrêmement surveillé. Et entre autres, des études ont permis de montrer depuis 40 ans, par des analyses génétiques des franchements de barrières d'espèces, qu'il y avait des mutations qui étaient systématiquement associées à la virulence chez l'homme. Donc on sait qu'on a à certaines positions dans le génome, quand on a des mutations spécifiques qui apparaissent, on a des virus qui potentiellement vont avoir un risque de franchissement de la barrière d'espèce qui va être accrue. Et donc ça, ça a été caractérisé au fil de l'eau pendant les 50 dernières années. On connaît bien les facteurs de virulence qu'il faut surveiller et qui sont un risque potentiel pour ces virus franchis de la barrière d'espèce. Dans ce contexte, on n'a finalement pas de démonstration formelle que ces facteurs de virulence sont des vraies mutations qui sont associées au franchissement de la barrière de l'espèce. Ce qu'on a, c'est une évidence que les virus qui infectent bien l'humain ont plutôt telle mutation en telle position, et les virus aviaires ont plutôt telle mutation en telle position, mais on n'a pas la démonstration formelle. Et donc l'idée du groupe de Ron Fouchier a été la suivante, c'était de dire pour démontrer que ce sont bien des facteurs de virulence, on va prendre un virus aviaire et on va y introduire artificiellement les mutations de manière à voir s'ils sont bien des facteurs qui permettent à ces virus de devenir des agents très infectieux dans des espèces mammifères. Les espèces mammifères modèles utilisées dans ce cas-là sont les furets. Et donc l'expérience qui a été conduite est représentée ici. C'est assez simple, on a deux cages qui sont séparées au milieu par un domaine dans lequel les animaux ne peuvent pas avoir de contact direct, mais qui laisse passer la transmission par aérosol des virus. Et vous voyez que le virus, au départ, c'est un virus aviaire, avec un génome qui est uniquement représenté en rouge. Et quand on fait l'infection dans la cage des furets, initialement, la transmission dans la cage se fait extrêmement bien, c'est-à-dire que tous les animaux de la cage sont infectés. Par contre, on voit qu'il n'y a pas de transmission par aérosol. Et donc, il n'y pas d'animaux dans la cage voisine qui vont être infectés. Et après avoir infecté, enfin après avoir inséré cinq mutations dans des facteurs connus pour être des facteurs de virulence, on voit que la situation est complètement différente. C'est que la transmission entre les animaux dans la même cage est toujours très efficace avec l'ensemble des animaux qui sont infectés, mais on voit que cette fois-ci on a un virus qui se transmet par aérosol de manière efficace avec trois sur quatre animaux qui sont infectés. Donc évidemment ces expériences posent une question qui est vraiment importante, à savoir quel est le risque, quel est le bénéfice de ces expériences. Parce que finalement, à postériori, ce qu'on sait c'est que ces mutations étaient connues pour être des facteurs de virulence, et on a finalement fait que renforcer cette connaissance et apporter une preuve définitive par la méthode expérimentale. Mais par contre on a généré un virus qui n'existait pas dans la nature, et on ne sait pas si ce virus éventuellement aurait émergé naturellement. Et même quand ils ont essayé de faire une évolution naturelle de ce virus vers un virus qui était capable de se transmettre par aérosol avant d'avoir fait cette expérience d'introduction de mutations systématiques, ils n'avaient pas été capables de faire ces mutants. Et ce qu'il faut savoir, c'est qu'ici, on a en fait une situation qui est assez différente d'une mutation progressive du génome vers un génome qui est hyper infectieux éventuellement dans le modèle animal parce qu'on a introduit d'un coup cinq mutations aux bonnes positions qui sont des mutations dans le facteur de VE1. Alors quand on regarde dans le modèle classique de réplication de ces virus, on a évidemment des quasi-espèces qui existent avec chacune des mutations individuelles qui apparaissent régulièrement dans les populations virales, mais la probabilité d'avoir les cinq mutations qui apparaissent simultanément dans le même génome est extrêmement faible. Et c'est entre autres ce qui confère à ces expériences dites de gain de fonction, où on met plusieurs mutations d'une seule fois dans le génome, une dangerosité qui, à mon sens, est très importante. Donc, suite à ces expériences qui ont été réalisées chez le virus de la grippe aviaire, il y a eu un débat dans la communauté scientifique qui n'a pas été complètement tranché, mais aux États-Unis en tout cas, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu un moratoire sur le financement des expériences dites de gain de fonction, qui a commencé en 2014 et qui s'est terminé en 2017. Et suite à la fin de ce moratoire, il y a eu un protocole spécifique qui a été attribué aux expériences dites de gain de fonction qui sont évaluées par un comité d'experts ad hoc pour définir les conditions de biosécurité et leur financement éventuel. En Europe, il n'y a, à ma connaissance, pas eu de protocole identique qui a existé. Et donc les expériences de gain de fonction, pourtant, elles ont continué. D'abord sur les coronavirus, développés notamment par des méthodologies développées par le groupe de Ralph Baric aux États-Unis qui ont commencé à construire, à mettre en œuvre des méthodes pour faire des coronavirus recombinants et synthétiques. Et puis, suite justement à ce moratoire, entre autres, qui interdisait le financement aux États-Unis, ces expériences ont été délocalisées en Chine, entre autres dans le laboratoire de Wuhan, où ils ont commencé à faire des expériences dites de gain de fonction sur les coronavirus, comme le SARS et le MERS coronavirus. Juste pour illustrer la problématique ici qui se pose, leur objectif, c'est de comprendre et d'identifier si dans les populations de chauves-souris qui sont les réservoirs de ces virus, est-ce qu'il existe des virus qui, éventuellement, sont capables de franchir la barrière d'espèce pour devenir des potentiels pandémiques humains. Et donc, comme je vous le disais tout à l'heure, il est très facile de séquencer sur base d'échantillons qu'on va collecter chez les chauves-souris ou dans les mines ou dans les caves ou les grottes qui sont colonisées par ces chauves-souris, on peut avoir évidemment des dizaines, voire des centaines de génomes de coronavirus sur base de la métagénomique. Par contre, quand on va explorer ces mines et ces caves, il est très difficile d'avoir des virus infectieux qu'on cultive au laboratoire. Juste pour fixer les idées, je crois qu'on a moins d'une dizaine de coronavirus du type bêta coronavirus qui sont réplicatifs dans le laboratoire alors qu'on a plus de 2000 génomes qui sont disponibles dans les banques de données. Ça montre le hiatus qu'il y a entre la capacité de produire, de cultiver ces virus et la capacité de les séquencer. Donc l'idée des projets qui ont été publiés, notamment dans PLOS Pathogens en 2017, était la suivante, c'est de construire des virus chimériques. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on a un virus qui est cultivable au laboratoire, on va finalement faire un échange génétique du domaine spike, c'est-à-dire la protéine qui est à la surface du virus à partir de protéines Spike qui auront été échantillonnées et séquencées sur base des collectes qui ont été faites dans les échantillons infectés chez les animaux. Ainsi, on va produire des virus chimériques et on va regarder si ces virus chimériques sont capables ou pas d'infecter des cellules humaines. Avec l'idée c'est que évidemment si les virus ne sont pas capables d'infecter les cellules humaines, ça voudrait dire que les virus sont les spikes de la séquence qui a été introduite dans ces virus chimérique ne sont pas à potentiel pandémique, alors que ceux qui auraient une bonne capacité d'infecter ces cellules, ils auront un potentiel pandémique qui est accru et ce sont des virus qu'il faut particulièrement surveiller. Ici est un exemple d'une expérience qui a été réalisée. Vous voyez qu'on a un génome de coronavirus ici qui est en gris. Il y a trois mutations en rouge qui sont indiquées, qui sont des mutations qui ont été introduites de manière à ce que ce virus se réplique efficacement dans le modèle animal qui est la souris ici. Et ce que vous pouvez voir ici, c'est en vert, ils ont échangé génétiquement finalement le gène initial qui était gris par un gène qui code pour une sclépale protéine verte, comme vous pouvez le voir ici. Et donc ça, c'est fait à partir de méthodologies de biologie moléculaire qui sont maintenant classiques dans le laboratoire de virologie. et qui ne laissent pas nécessairement de traces génétiques, c'est-à-dire qu'on peut difficilement, à postériori, savoir si les recombinants qui sont produits sont naturels ou ont été réalisés au laboratoire. Et donc voilà, typiquement, l'expérience qui a été faite. Ici, on compare l'infection d'un virus sauvage au-dessus et d'un virus qui a été modifié génétiquement comme représenté. On les injecte dans une souris et on va comparer la réplication et la pathogénèse de ce virus chez ces souris. Les courbes qui sont montrées ici sont des pertes de poids. Ce qu'on voit, c'est que le virus naturel, en noir, induit des pertes de poids qui sont supérieures au virus en vert, qui est le virus chimérique. Ce que cette courbe montre clairement, c'est que ce virus chimérique, ici construit, est potentiellement infectieux et induit des pertes de poids. Mais globalement, on estime que la virulence et l'infectiosité de ce virus chimérique est moindre que le virus initial et donc on considère ici que ce virus est potentiellement infectieux dans le modèle animal mais sans risque accru par rapport au virus initial. Ici sont représentés quatre nouveaux virus chimériques qui ne sont pas publiés dans la littérature, mais qui sont issus de rapports de recherche qui ont été remis au NIH. Ce que vous pouvez voir ici, c'est qu'on a quelque chose qui est complètement différent. Le virus sauvage initial, c'est le virus qui est représenté en rouge sur la courbe à droite. C'est-à-dire que c'est un virus qui induit à des pertes de poids qui sont modérées, comme vous voyez ici. Et vous voyez que parmi les virus chimériques qui ont été construits, il y a notamment le virus en vert, qui induit des pertes de poids qui sont beaucoup plus importantes, ce qui indique cette fois-ci qu'on a eu un gain de fonction dans l'espèce, c'est-à-dire que le virus chimérique, il est probablement nettement plus capable de se répliquer dans ce modèle animal, et donc il est potentiellement plus dangereux. Il faut savoir que les souris ici, elles sont humanisées pour le gène à ceux d'humains, donc on a vraiment un modèle qui permet d'évaluer le potentiel infectieux chez l'homme. Si vous regardez en bas, c'est des mesures à différents jours post-infectiés, des charges virales chez ces souris. Vous voyez que par rapport au virus sauvage, les trois virus chimériques qui ont été construits ont un à trois logs de viremi supplémentaires par rapport au virus initial. Ce qui indique qu'on a un gain de fonction vraiment important en termes de viremi. C'est ce qu'on observe ici et donc on a un virus qui est évidemment issu d'une expérience de gain de fonction et qui est pas tellement dangereux et donc il serait particulièrement inquiétant qu'il échappe de laboratoire. Ces expériences ont comme bénéfice le fait que maintenant on sait qu'il y a chez les chauves-souris des virus qui ont potentiellement un tropisme qui pourrait être élevé pour les récepteurs à ceux d'humains. Par contre, le risque qu'on a, c'est qu'on a vraiment produit au laboratoire un virus infectieux qui n'existait pas naturellement, vu que c'était une chimère qui n'est pas naturelle. Et s'il y avait un accident, c'est très difficile de savoir quelle pourrait être la trajectoire épidémiologique de ce genre de virus. Évidemment, le débat et toute la question éthique qui se pose est autour de cette question-là. Alors, huitième exemple que je vais vous donner, j'ai presque fini, il y a beaucoup d'exemples, mais je crois que c'est important d'aller dans les détails. C'est des expériences de perte de fonction au résultat inattendu. Parce qu'on pourrait se dire de manière un peu simpliste, c'est simple, il suffirait de dire on va interdire des expériences de gain de fonction. Et je vous expliquais que quand il y avait un gain de fonction, il y avait pratiquement toujours une perte de fonction qui était associée au gain de fonction. Et donc ici, c'est une expérience qui a été faite en Espagne, dans laquelle il y a un gène qui a été délété d'un virus qui est le MERS coronavirus. Je vous rappelle que le MERS coronavirus, c'est un virus qui n'est pas installé dans l'espèce humaine, mais qui se transmet sporadiquement des chameaux vers l'homme et quand il se transmet, environ un taux de létalité qui est de l'ordre de 30% et qui se transmet également par voie respiratoire et qui est considéré comme un potentiel pandémique. Et donc là, pour tous les biologistes moléculaires, l'idée est assez simple. En général, on considère que si on délète un gène, on va faire un virus qui est moins infectieux. Et ce qu'on peut observer ici, sur des courbes de mortalité par exemple, c'est que la déletion du gène MA, en fait, donc le virus MERS M1A Delta 5, il y a une pathologénicité qui est accrue dans le modèle animal, qui est énorme, et donc on croyait, les expérimentateurs croyaient faire une expérience de perte de fonction, et en fait ils ont eu un gain de fonction très significatif dans leur modèle animal, ce qui amène à questionner évidemment comment est-ce qu'on peut réguler cette expérience de manière cohérente et sûre, parce qu'on ne peut jamais prédire de manière définitive le résultat de l'expérience qu'on va conduire au laboratoire. Avant de finir, je voudrais quand même vous dire qu'il existe des méthodes alternatives pour essayer de comprendre ces mécanismes de franchissement de barrières d'espère et qui sont moins risqués, qu'on appelle les pseudovirus. Et donc là, l'idée, c'est en général de construire des virus qu'on appelle non réplicatifs ou pseudotypés, c'est-à-dire qu'on va s'arranger pour faire des virus qui sont chimériques. Ici, l'exemple qui est présenté, c'est un virus chimérique qui est fait entre le HIV et typiquement le coronavirus, ici, le SARS coronavirus. Mais on s'arrange pour expérimentalement séparer les constructions, c'est-à-dire que le virus qui est produit est capable de faire seulement un cycle d'infection, c'est-à-dire qu'il va infecter la cellule, on va voir si la cellule est infectée, parce qu'on va s'arranger pour mettre un gène fluorescent éventuellement dans le génome de cette particule virale. Mais les cellules, une fois infectées, ne sont plus capables de produire des particules virales infectieuses parce qu'elles n'auront pas le gène qui code pour la spike protéine. Alors évidemment, un des débats qui se pose également dans ces expériences de gain de fonction, c'est pourquoi est-ce que plutôt que de faire des expériences hautement risquées comme des expériences de gain de fonction, pourquoi est-ce qu'on ne ferait pas plutôt des expériences avec des virus chimériques comme ceux que je présente ici ? Et les éléments de réponse sont au moins doubles. Le premier élément, c'est qu'en général, ces expériences ne sont pas 100% prédictives de la réplication, elles ne donnent pas toujours les mêmes résultats que des expériences de construction de virus chimérique. Parce que, par exemple, selon les constructions utilisées, la densité des protéines spike à la surface des virus peut être plus élevée dans ces systèmes et donc ils peuvent être éventuellement plus sensibles. Et donc, on peut avoir des résultats qui sont d'un ordre ou deux ordres de grandeur, différents de ce qu'on observerait avec des véritables virus chimériques. Et le deuxième élément de réponse, c'est qu'il y a une pression de publication, c'est-à-dire qu'en temps général, les auteurs vont proposer des publications qui sont basées sur ces fameux virus pseudotypés aux grandes revues scientifiques. La première chose que vont demander les reviewers en général, c'est « mais confirmez-moi que c'est vrai en construisant les virus infectieux » et à ce moment-là, on va prendre votre article. Donc, il y a une pression finalement indirecte lors de la publication qui fait que les chercheurs sont d'une certaine manière poussés par la communauté à conduire ces expériences extrêmement dangereuses. Alors, tout ça pose la question de la régulation et des régulations futures. Donc, je crois que je dirais, dans un premier temps, que la régulation internationale de l'expérience en virologie est extrêmement insuffisante. Ça, c'est la première chose. C'est vrai qu'on a progressé en ayant des laboratoires de type 3 et 4 qui sont implémentés dans une série de pays. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que les réglementations qui visent à définir quels sont les virus qui doivent être travaillés dans quel type de confinement ne sont pas internationales, qu'il n'y a pas de communauté internationale qui vérifie et que les expériences en virologie se délocalisent là où la pression, où la difficulté d'expérience est la moindre. Et justement, pour revenir à ce dont j'ai parlé tout à l'heure, les expériences de gain de fonction qui étaient faites avant 2015 ou 2014 aux États-Unis étaient majoritairement faites sur les coronavirus en laboratoire du type 3. Et quand le moratoire américain a été mis en place, ça a conduit à une délocalisation des expériences en Chine où ces expériences ont été faites majoritairement en laboratoire du type 2. Et on peut s'interroger de savoir s'il est raisonnable ou pas de faire des expériences de cibles dans l'aventure du type 2. Alors, le risque biologique est international parce que les virus n'ont pas de passeport. Je crois que maintenant, on est tous convaincus de ce point. Il est nécessaire, à mon avis, de développer des outils tels que les boîtes noires biologiques qui permettent de suivre les activités dans l'aventure de type 3 et 4. Et ça particulièrement de manière à finalement, d'une part, protéger le laboratoire éventuellement d'accusations qui pourraient leur être faites. Parce qu'en cas d'émergence d'une nouvelle épidémie dans une ville, la question se pose de savoir si c'est une émergence zoonotique ou éventuellement une émergence qui est liée à un accident de laboratoire. Et si toutes les séquences sont bien décrites dans les clés de laboratoire et s'il y a des boîtes noires biologiques qui sont associées au laboratoire, et bien c'est ça permettra de montrer qu'une émergence n'est éventuellement pas associée à un laboratoire, justement parce qu'on démontre formellement que le pathogène qui émerge n'a pas des séquences qui correspondent aux séquences des virus qui sont réellement travaillés dans le laboratoire. Donc c'est finalement un outil pour protéger les chercheurs éventuellement d'une accusation qui pourrait leur être faite. Et donc ces boîtes noires devraient être constituées, à mon avis au moins de filtres à air qui devraient être collectés sur les hottes à flux laminaire et séquencés de manière régulière, et aussi d'un accès régulier des laboratoires, au fait qu'on ait rempli un cahier de laboratoire électronique, donc il y aurait une copie dans une instance internationale, de manière à assurer qu'il y ait une copie, et qu'il n'y puisse pas y avoir de manipulation politique en cas d'accident, de manière à ce qu'on puisse tracer les émergences liées éventuellement à des accidents de recherche. Et alors il serait nécessaire évidemment de créer une instance internationale de contrôle et qui devrait définir les normes éthiques et biologiques de sécurité associées aux différents pathogènes, plutôt que de se trouver dans la situation actuelle où chaque pays, ou chaque ensemble de pays, l'Europe par exemple, ou les États-Unis, définit des armes qui sont différentes, avec une espèce de dumping de la virologie dans certains cas, où les expériences vont se délocaliser forcément dans les endroits où le niveau de biosécurité qui sont demandés sont les plus faibles. Voilà, je termine peut-être par quelques messages à retenir de cette présentation avant de prendre les questions s'il y en a avec plaisir. Les virus émergents sont un problème de santé public majeur. Il est indispensable de pouvoir étudier le virus en laboratoire pour développer des vaccins et concevoir des médicaments. Les bénéfices en santé publique sont considérables et on considère par exemple que les vaccins, ça a été un des apports majeurs à l'augmentation de l'espècerance de vie sur les 60 dernières années de l'espèce humaine. Il est nécessaire de développer des nouveaux outils de biologie nucléaire pour travailler plus en sécurité. J'ai parlé des pseudotypes, mais je dirais qu'il y a aussi également des modèles animaux plus sécures qui devraient être générés. Il y a vraiment de la recherche qui doit être faite pour développer ces nouveaux modèles. Les accidents laboratoires sont documentés et l'analyse doit être faite avec plus de sérieux pour pouvoir justement mettre en place des contre-mesures et des formes de biologie qui sont plus sécuritaires dans les laboratoires. Les expériences gain de fonction, et en particulier ce qui concerne les virus à potentiel pandémique. pose une vraie question d'éthique à mon sens. Elle devrait être arbitrée par nos sociétés. Moi, personnellement, je ne ferai jamais ce genre d'expérience et je considère qu'elle devrait être interdite, mais je comprends qu'il doit éventuellement y avoir un débat dans la société civile et au sein de la communauté pour évaluer de manière conjointe le risque et le bénéfice des expériences. Et la régulation des expériences en biologie est très insuffisante. Il serait nécessaire de créer des instances de contrôle international. et de développer aussi les boîtes biologiques permettant le suivi des activités en laboratoire P4 et peut-être en laboratoire P3. Et je crois que la France et l'Europe devraient être moteurs là-dedans pour montrer un petit peu l'exemple pour l'ensemble de la communauté internationale. Et ça pourrait être une bonne manière de mettre le pied à l'étrier.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un extrait de la conférence d'Étienne Decroly sur le thème des expériences en virologie. Retrouvez-la en vidéo dans son intégralité sur le site de Sciences en questions et au format livre sous le titre « Expériences en virologie, bénéfices et risques » aux éditions Quae.

Description

Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Science en Question vous proposent de découvrir la conférence « Expériences en virologie : quels bénéfices et risques ? », animée par Etienne Decroly. Cette seconde partie expose des expérimentations à risques et permet de comprendre comment mieux adapter les contraintes de biosécurité à ces risques biologiques.


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Transcription

  • Speaker #0

    Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Science en question vous proposent de découvrir la conférence « Expérience en virologie, quels bénéfices et risques » animée par Étienne Decroly. Cette seconde partie vise à comprendre comment mieux adapter les contraintes de biosécurité aux risques biologiques. Dans la suite de cet exposé, je voudrais de manière relativement concrète vous montrer quelles sont des expériences typiques qu'on fait dans le laboratoire et peut-être discuter les risques biologiques et les avantages d'un certain nombre d'expériences qui sont réalisées dans les laboratoires. Je vais commencer par les expériences dites de passage en série. Ici est représentée une expérience de passage en série d'un virus. Vous voyez qu'il a des petites spicules à l'extérieur qui sont en rouge au début. Et donc, on va cultiver ces virus dans une boîte de culture cellulaire. Et suite à cette culture, vous savez que quand un virus se réplique, il va produire ce qu'on appelle des quasi-espèces, c'est-à-dire qu'on va avoir une soupe de mutants finalement. Et dans cette soupe de mutants, certains seront mieux adaptées à infecter de manière productive la lignée cellulaire et d'autres sont moins adaptées à l'infection productive. Au fur et à mesure de ces passages, on va sélectionner parmi les mutants, les mutants qui sont les plus adaptés à cette culture cellulaire. Vous voyez que petit à petit on est passé d'une spicule à l'extérieur qui était rouge à une spicule qui a changé de couleur, ce qui indique que ces mutations ont été sélectionnées. Ce type d'expérience est réalisé par les virologues depuis très longtemps et entre est utilisé largement développement de vaccins. C'est le cas par exemple des vaccins polio qui ont été réalisés par ces expériences de passage sur cellules de manière multiple. On considère que comme ils sont réalisés en absence finalement de pression de section du système immunitaire, mais également sur une lignée cellulaire donnée, petit à petit on va sélectionner finalement des virus qui sont très efficaces pour infecter cette culture cellulaire, mais qui vont perdre finalement des fonctions biologiques qui sont importantes pour leur réplication dans le contexte d'une infection virale normale chez l'humain. Dans ce cas-ci, c'est par exemple une des méthodes qui a été utilisée pour développer les vaccins du type polio et qui sont encore utilisés aujourd'hui. Donc ça vous montre qu'un passage en série n'est pas nécessairement associé à un gain de fonction. Oui, un gain de fonction. dans les cellules qui vont être utilisées ici, mais il y a une perte de fonction finalement quand on va regarder dans l'espèce humaine, parce que ces virus perdent leur pouvoir pathogène, mais gardent leur capacité à induire l'immunité. Un deuxième type d'expérience qui est représenté ici, c'est des expériences dans lesquelles on va faire des mutants d'échappement par rapport à des médicaments. Dans le processus de développement des médicaments thérapeutiques contre les virus, souvent on est amené à, par exemple, identifier parmi un ensemble de molécules, des molécules qui auraient des activités antivirales dans les cultures cellulaires. Mais quand on fait ce genre d'essai, et bien souvent, on n'est pas capable d'identifier la cible thérapeutique, c'est-à-dire quel est le gène du virus qui va être touché par ce médicament et comment ce médicament est capable de bloquer la réplication du virus. Alors, pour essayer de répondre à cette question, ce que font les chercheurs, c'est extrêmement simple. Eh bien, ils cultivent le virus dans des cellules. sous contrainte de la molécule antivirale. Et dans la mesure où la culture se fait sous contrainte de la molécule antivirale, petit à petit le virus va s'adapter de manière à éventuellement échapper à la pression de sélection et on va sélectionner des virus qui mutent et qui échappent aux médicaments. Et simplement en étudiant les mutations et en les identifiant dans le génome, on va pouvoir voir quels sont les gènes qui sont ciblés par la molécule antivirale et ainsi remonter finalement au mécanisme moléculaire par lequel ce médicament est capable d'inhiber la réplication du virus. Donc ici, on voit également que ces expériences de passage en série peuvent être extrêmement bénéfiques pour la recherche, parce qu'ils produisent finalement comme effet le fait qu'on va comprendre le monde d'action de molécules thérapeutiques, et ainsi éventuellement pouvoir les mettre sur le marché. Par là même, on produit également des virus qui, initialement, sont capables de résister aux médicaments qu'on est en train de développer. C'est quelque chose qui pourrait être problématique, mais ce qu'on observe dans la plupart des cas, c'est que si on arrive rapidement à avoir des mutants d'échappement dans ce type d'expérience, quand on va utiliser des médicaments en vie réelle chez les patients, on va également avoir des mutants d'échappement qui vont apparaître. Alors que s'il est difficile d'obtenir des mutants d'échappement, en général, en vie réelle, on aura difficilement des mutations d'échappement. On peut faire exactement la même chose pour les vaccinations. C'est-à-dire qu'on peut vacciner par exemple un modèle animal avec une préparation contre un virus et récupérer les anticorps neutralisants, donc capables de bloquer l'infection une quinzaine ou une vingtaine de jours post-vaccination. Et puis cultiver les virus sous contrainte des anticorps, de manière à voir s'il y a des virus qui sont capables d'échapper aux anticorps neutralisants qui vont apparaître et le plus souvent on détecte effectivement l'émergence de ces virus échappants et cela doit nous rappeler finalement ce qu'on a vu pendant la crise du SARS-CoV-2 où ce qu'on voit c'est qu'on a eu une émergence régulière de variants qui échappaient finalement à l'immunité qui est présente dans les populations, immunité qui est liée évidemment à la circulation du virus dans les populations mais également à la vaccination les deux contribuent significativement à la pression de sélection. Et donc on voit que des virus comme le SARS-CoV-2, sous cette pression de sélection, ont la capacité d'évoluer rapidement et de faire des souches virales finalement qui sont capables de se reproduire et de continuer à se propager même sous la contrainte de ces anticorps neutralisants. Et donc ça permet de comprendre les mécanismes d'échappement. Il y a d'autres virus pour lesquels il est très difficile de trouver justement des virus qui échappent à la contrainte de la vaccination. Et c'est ce qui explique que dans certains cas, la vaccination est très robuste et tient pendant des années, sans pour autant que les virus ne soient capables d'échapper. Alors, j'en viens à un quatrième type d'expérience, qui sont des expériences cette fois-ci de passage en série sur des souris dites humanisées. Je voudrais revenir sur ces fameuses souris dites humanisées, qui sont évidemment très très importantes comme modèle animaux en virologie. Comme je le disais tout à l'heure, il est souvent très difficile d'avoir des bons modèles animaux, et donc on a développé ces techniques de transgénèse qui permettent justement de faire ces souris humanisées et qui permettent d'avoir des modèles pour la vaccination. Alors ici, le type d'expérience qui est réalisé, c'est qu'on prend un virus sauvage et on a une souris par exemple qui était humanisée pour un récepteur qui est connu pour être le récepteur humain à ce virus. Si je fais exactement une expérience qui est équivalente à l'expérience du passage en série qui avait été présentée au début d'exposer sur des lignées cellulaires, mais cette fois-ci dans les souris humanisées, et bien petit à petit, je vais sélectionner des virus qui vont avoir une meilleure capacité à reconnaître, par exemple, le récepteur humain que j'aurais mis dans la souris. On va passer d'un virus qui, typiquement, au départ, était faiblement capable ou difficilement capable de se répliquer dans ces souris, un virus qui va être adapté par ce processus de passage et va être beaucoup plus capable de se répliquer efficacement dans ce modèle animal et qui va éventuellement conduire à des phénotypes qui vont être plus marqués, par exemple une létalité accrue, etc. Alors ce type d'expérience est utilisé en virologie, entre autres parce que souvent, on n'a pas de bons modèles animaux pour pouvoir étudier les infections virales. Et quand on a un modèle qui mime bien la maladie qu'on observe chez l'humain, on va pouvoir justement avoir un modèle pour pouvoir étudier l'efficacité de vaccins ou l'efficacité de molécules thérapeutiques. Et c'est ce type d'expérience qui va être conduite dans ce cas-là. Alors évidemment, si au départ, je prends un virus, le premier virus à gauche en rouge, et que ce virus est humain, je ne m'attends pas à avoir un virus qui va avoir une létalité accrue chez l'humain en faisant cette expérience. Mais par contre, si au départ de l'expérience, on imagine qu'on part d'un virus qui infecte une espèce animale, et que je le fais passer sur des souris qui sont transgéniques et humanisées pour le récepteur humain, on peut avoir la situation qui est la suivante, c'est-à-dire que le virus, lors de ces expériences, va acquérir des nouvelles compétences qui font qu'il sera plus efficace ou plus dangereux en termes de risque de franchissement de barrières d'espèce. Et donc ça, évidemment, c'est un véritable problème du développement de ces modèles de souris humanisés. Il n'y a pas de réponse simple et tranchée de dire si c'est dangereux ou pas dangereux. Ça dépend véritablement du contexte dans lequel on va réaliser ces expériences. Et dans certains cas, le passage dans ces modèles animaux peut diminuer finalement le risque biologique des virus qui vont être sélectionnés. Et dans d'autres cas, on va éventuellement sélectionner des virus dont le risque est infectieux chez l'homme pour être accru. Et c'est évidemment cette catégorie d'expérience qu'il va falloir réfléchir en termes de biosécurité, de voir s'ils sont acceptables du point de vue de la santé humaine et des risques biologiques. Alors j'en viens à un cinquième type d'expérience, qui sont maintenant les nouveaux outils de la biologie synthèse qui permettent d'assembler des virus par fragments. Vous savez que pendant très longtemps, on avait une grande difficulté qui était de collecter des virus infectieux pour pouvoir les répliquer, notamment dans des cellules au laboratoire. Alors que finalement avoir la séquence complète d'un pathogène est devenu quelque chose qui est extrêmement simple grâce à l'augmentation des capacités de séquençage dans les différents laboratoires. Et en fait, on n'a pas besoin d'avoir un l'échantillon de virus complet infectieux pour avoir les séquences complètes du virus. Il suffit qu'on ait différents fragments et c'est un petit peu comme un puzzle. On est capable de rassembler le puzzle complet du génome. Et une fois que le génome est connu, eh bien on peut, à partir du génome, resynthétiser à partir de la séquence directement un virus infectieux. Donc ça a été fait sur le virus de la grippe espagnole qui est, par exemple, en 2005, qui a été reconstitué à partir de la séquence directement. Ça a été fait, évidemment, pour le SARS-CoV-2, quand la séquence a été connue au début de l'émergence, vers le 15 janvier, à peu près un mois plus tard, une équipe suisse avait reconstitué par biologie de synthèse le génome complet et avait contruit le virus infectieux. Ça a également été fait pour des virus qui sont endogénéisés, qui étaient non infectieux parce qu'endogénéisés, qui ont été révertés même dans leur capacité d'infection. Et ce sont les méthodes maintenant qu'elles existent qui permettent également d'introduire un grand nombre de mutations dans le génome des virus de manière unique ou simultanée, mais aussi de faire des expériences de construction de virus chimériques, c'est-à-dire de, finalement par des expériences de type copier-coller, d'échanger un gène avec un autre gène qui est issu du séquençage, de manière à pouvoir évaluer au laboratoire la capacité de virus qui ont telle ou telle protéine d'enveloppe large de surface, d'infecter un type sévère donné, et notamment pour comprendre les mécanismes de franchissement de barrières d'espèces. J'attire votre attention sur ce type d'expérience qui, évidemment, pose beaucoup de questions, parce qu'aujourd'hui, les techniques de synthèse de gènes sont en train de s'accélérer avec une vitesse qui est fulgurante. Donc, le contrôle, finalement, sur ces gènes synthétiques va être très, très difficile. Et il va devoir être pensé et réfléchi collectivement, de savoir comment est-ce qu'on désire contrôler la synthèse de ces gènes et la production de ces virus recombinants. Quels seront les moyens à disposition, éventuellement, pour faire ce type de contrôle ? Je crois qu'aujourd'hui, on a peu d'éléments de réponse sur cette question. Alors, j'en viens vraiment aux expériences de gain de fonction, dont le débat sur ces expériences a débuté de manière très intense en 2012, avec des expériences qui ont été conduites en Hollande, entre autres, par le groupe de Ron Fouchier, qui consistait justement à construire des virus de la grippe avec un certain nombre de mutations. Alors juste pour rappel et pour introduire avant un petit peu ce sujet, je vous rappelle que les virus de la grippe sont connus pour infecter largement les oiseaux sauvages, entre autres les canards, mais également un certain nombre d'oiseaux migrateurs. Et usuellement, ces virus aviaires sont peu ou pas infectieux chez l'homme. La raison de cette difficulté des virus aviaires à infecter l'homme, c'est que pour entrer dans les cellules, ils reconnaissent un sucre, un acide sialique, et la manière dont les sucres chez l'homme sont branchés est différente de la manière dont les sucres sont branchés chez les animaux. Et donc normalement, il n'y a pas ou très peu d'infection directe de virus aviaires vers l'homme. De même, les virus humains sont très compétents pour infecter l'homme, mais peu ou pas compétents pour infecter les espèces aviaires. Le problème dans l'histoire, c'est qu'il existe un animal qu'on appelle un hôte intermédiaire, qui est le porc, qui est à la fois infectable par les virus aviaires et à la fois infectable par les virus dits humains. Il peut s'opérer lorsqu'un porc est infecté par un virus aviaire et un virus humain, une espèce de loterie génétique qu'on appelle un réassortiment, dans laquelle une partie des gènes qui sont issus du virus aviaire vont être conservés. Et donc vous voyez ici que le virus qui va être produit, il a deux gènes aviaires qui sont présentés en rouge au sein de la particule virale et il va conserver également des gènes du virus humain qui sont les gènes qui sont présentés en vert. Grâce à ce réassortiment, il peut être généré des virus qui ont la compétence d'infecter l'homme avec toute une série de déterminants génétiques qui proviennent du virus aviaire. On va voir par ce processus de réassortiment la génération de nouveaux pathogènes humains qui peuvent donner des pandémies, comme c'était le cas de la pandémie de 1917-18. Parce que le virus de l'influenza responsable de la grippe a ce type de génome disségmenté qui permet de faire cette loterie génétique, on considère que c'est un virus à potentiel pandémique important qui est extrêmement surveillé. Et entre autres, des études ont permis de montrer depuis 40 ans, par des analyses génétiques des franchements de barrières d'espèces, qu'il y avait des mutations qui étaient systématiquement associées à la virulence chez l'homme. Donc on sait qu'on a à certaines positions dans le génome, quand on a des mutations spécifiques qui apparaissent, on a des virus qui potentiellement vont avoir un risque de franchissement de la barrière d'espèce qui va être accrue. Et donc ça, ça a été caractérisé au fil de l'eau pendant les 50 dernières années. On connaît bien les facteurs de virulence qu'il faut surveiller et qui sont un risque potentiel pour ces virus franchis de la barrière d'espèce. Dans ce contexte, on n'a finalement pas de démonstration formelle que ces facteurs de virulence sont des vraies mutations qui sont associées au franchissement de la barrière de l'espèce. Ce qu'on a, c'est une évidence que les virus qui infectent bien l'humain ont plutôt telle mutation en telle position, et les virus aviaires ont plutôt telle mutation en telle position, mais on n'a pas la démonstration formelle. Et donc l'idée du groupe de Ron Fouchier a été la suivante, c'était de dire pour démontrer que ce sont bien des facteurs de virulence, on va prendre un virus aviaire et on va y introduire artificiellement les mutations de manière à voir s'ils sont bien des facteurs qui permettent à ces virus de devenir des agents très infectieux dans des espèces mammifères. Les espèces mammifères modèles utilisées dans ce cas-là sont les furets. Et donc l'expérience qui a été conduite est représentée ici. C'est assez simple, on a deux cages qui sont séparées au milieu par un domaine dans lequel les animaux ne peuvent pas avoir de contact direct, mais qui laisse passer la transmission par aérosol des virus. Et vous voyez que le virus, au départ, c'est un virus aviaire, avec un génome qui est uniquement représenté en rouge. Et quand on fait l'infection dans la cage des furets, initialement, la transmission dans la cage se fait extrêmement bien, c'est-à-dire que tous les animaux de la cage sont infectés. Par contre, on voit qu'il n'y a pas de transmission par aérosol. Et donc, il n'y pas d'animaux dans la cage voisine qui vont être infectés. Et après avoir infecté, enfin après avoir inséré cinq mutations dans des facteurs connus pour être des facteurs de virulence, on voit que la situation est complètement différente. C'est que la transmission entre les animaux dans la même cage est toujours très efficace avec l'ensemble des animaux qui sont infectés, mais on voit que cette fois-ci on a un virus qui se transmet par aérosol de manière efficace avec trois sur quatre animaux qui sont infectés. Donc évidemment ces expériences posent une question qui est vraiment importante, à savoir quel est le risque, quel est le bénéfice de ces expériences. Parce que finalement, à postériori, ce qu'on sait c'est que ces mutations étaient connues pour être des facteurs de virulence, et on a finalement fait que renforcer cette connaissance et apporter une preuve définitive par la méthode expérimentale. Mais par contre on a généré un virus qui n'existait pas dans la nature, et on ne sait pas si ce virus éventuellement aurait émergé naturellement. Et même quand ils ont essayé de faire une évolution naturelle de ce virus vers un virus qui était capable de se transmettre par aérosol avant d'avoir fait cette expérience d'introduction de mutations systématiques, ils n'avaient pas été capables de faire ces mutants. Et ce qu'il faut savoir, c'est qu'ici, on a en fait une situation qui est assez différente d'une mutation progressive du génome vers un génome qui est hyper infectieux éventuellement dans le modèle animal parce qu'on a introduit d'un coup cinq mutations aux bonnes positions qui sont des mutations dans le facteur de VE1. Alors quand on regarde dans le modèle classique de réplication de ces virus, on a évidemment des quasi-espèces qui existent avec chacune des mutations individuelles qui apparaissent régulièrement dans les populations virales, mais la probabilité d'avoir les cinq mutations qui apparaissent simultanément dans le même génome est extrêmement faible. Et c'est entre autres ce qui confère à ces expériences dites de gain de fonction, où on met plusieurs mutations d'une seule fois dans le génome, une dangerosité qui, à mon sens, est très importante. Donc, suite à ces expériences qui ont été réalisées chez le virus de la grippe aviaire, il y a eu un débat dans la communauté scientifique qui n'a pas été complètement tranché, mais aux États-Unis en tout cas, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu un moratoire sur le financement des expériences dites de gain de fonction, qui a commencé en 2014 et qui s'est terminé en 2017. Et suite à la fin de ce moratoire, il y a eu un protocole spécifique qui a été attribué aux expériences dites de gain de fonction qui sont évaluées par un comité d'experts ad hoc pour définir les conditions de biosécurité et leur financement éventuel. En Europe, il n'y a, à ma connaissance, pas eu de protocole identique qui a existé. Et donc les expériences de gain de fonction, pourtant, elles ont continué. D'abord sur les coronavirus, développés notamment par des méthodologies développées par le groupe de Ralph Baric aux États-Unis qui ont commencé à construire, à mettre en œuvre des méthodes pour faire des coronavirus recombinants et synthétiques. Et puis, suite justement à ce moratoire, entre autres, qui interdisait le financement aux États-Unis, ces expériences ont été délocalisées en Chine, entre autres dans le laboratoire de Wuhan, où ils ont commencé à faire des expériences dites de gain de fonction sur les coronavirus, comme le SARS et le MERS coronavirus. Juste pour illustrer la problématique ici qui se pose, leur objectif, c'est de comprendre et d'identifier si dans les populations de chauves-souris qui sont les réservoirs de ces virus, est-ce qu'il existe des virus qui, éventuellement, sont capables de franchir la barrière d'espèce pour devenir des potentiels pandémiques humains. Et donc, comme je vous le disais tout à l'heure, il est très facile de séquencer sur base d'échantillons qu'on va collecter chez les chauves-souris ou dans les mines ou dans les caves ou les grottes qui sont colonisées par ces chauves-souris, on peut avoir évidemment des dizaines, voire des centaines de génomes de coronavirus sur base de la métagénomique. Par contre, quand on va explorer ces mines et ces caves, il est très difficile d'avoir des virus infectieux qu'on cultive au laboratoire. Juste pour fixer les idées, je crois qu'on a moins d'une dizaine de coronavirus du type bêta coronavirus qui sont réplicatifs dans le laboratoire alors qu'on a plus de 2000 génomes qui sont disponibles dans les banques de données. Ça montre le hiatus qu'il y a entre la capacité de produire, de cultiver ces virus et la capacité de les séquencer. Donc l'idée des projets qui ont été publiés, notamment dans PLOS Pathogens en 2017, était la suivante, c'est de construire des virus chimériques. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on a un virus qui est cultivable au laboratoire, on va finalement faire un échange génétique du domaine spike, c'est-à-dire la protéine qui est à la surface du virus à partir de protéines Spike qui auront été échantillonnées et séquencées sur base des collectes qui ont été faites dans les échantillons infectés chez les animaux. Ainsi, on va produire des virus chimériques et on va regarder si ces virus chimériques sont capables ou pas d'infecter des cellules humaines. Avec l'idée c'est que évidemment si les virus ne sont pas capables d'infecter les cellules humaines, ça voudrait dire que les virus sont les spikes de la séquence qui a été introduite dans ces virus chimérique ne sont pas à potentiel pandémique, alors que ceux qui auraient une bonne capacité d'infecter ces cellules, ils auront un potentiel pandémique qui est accru et ce sont des virus qu'il faut particulièrement surveiller. Ici est un exemple d'une expérience qui a été réalisée. Vous voyez qu'on a un génome de coronavirus ici qui est en gris. Il y a trois mutations en rouge qui sont indiquées, qui sont des mutations qui ont été introduites de manière à ce que ce virus se réplique efficacement dans le modèle animal qui est la souris ici. Et ce que vous pouvez voir ici, c'est en vert, ils ont échangé génétiquement finalement le gène initial qui était gris par un gène qui code pour une sclépale protéine verte, comme vous pouvez le voir ici. Et donc ça, c'est fait à partir de méthodologies de biologie moléculaire qui sont maintenant classiques dans le laboratoire de virologie. et qui ne laissent pas nécessairement de traces génétiques, c'est-à-dire qu'on peut difficilement, à postériori, savoir si les recombinants qui sont produits sont naturels ou ont été réalisés au laboratoire. Et donc voilà, typiquement, l'expérience qui a été faite. Ici, on compare l'infection d'un virus sauvage au-dessus et d'un virus qui a été modifié génétiquement comme représenté. On les injecte dans une souris et on va comparer la réplication et la pathogénèse de ce virus chez ces souris. Les courbes qui sont montrées ici sont des pertes de poids. Ce qu'on voit, c'est que le virus naturel, en noir, induit des pertes de poids qui sont supérieures au virus en vert, qui est le virus chimérique. Ce que cette courbe montre clairement, c'est que ce virus chimérique, ici construit, est potentiellement infectieux et induit des pertes de poids. Mais globalement, on estime que la virulence et l'infectiosité de ce virus chimérique est moindre que le virus initial et donc on considère ici que ce virus est potentiellement infectieux dans le modèle animal mais sans risque accru par rapport au virus initial. Ici sont représentés quatre nouveaux virus chimériques qui ne sont pas publiés dans la littérature, mais qui sont issus de rapports de recherche qui ont été remis au NIH. Ce que vous pouvez voir ici, c'est qu'on a quelque chose qui est complètement différent. Le virus sauvage initial, c'est le virus qui est représenté en rouge sur la courbe à droite. C'est-à-dire que c'est un virus qui induit à des pertes de poids qui sont modérées, comme vous voyez ici. Et vous voyez que parmi les virus chimériques qui ont été construits, il y a notamment le virus en vert, qui induit des pertes de poids qui sont beaucoup plus importantes, ce qui indique cette fois-ci qu'on a eu un gain de fonction dans l'espèce, c'est-à-dire que le virus chimérique, il est probablement nettement plus capable de se répliquer dans ce modèle animal, et donc il est potentiellement plus dangereux. Il faut savoir que les souris ici, elles sont humanisées pour le gène à ceux d'humains, donc on a vraiment un modèle qui permet d'évaluer le potentiel infectieux chez l'homme. Si vous regardez en bas, c'est des mesures à différents jours post-infectiés, des charges virales chez ces souris. Vous voyez que par rapport au virus sauvage, les trois virus chimériques qui ont été construits ont un à trois logs de viremi supplémentaires par rapport au virus initial. Ce qui indique qu'on a un gain de fonction vraiment important en termes de viremi. C'est ce qu'on observe ici et donc on a un virus qui est évidemment issu d'une expérience de gain de fonction et qui est pas tellement dangereux et donc il serait particulièrement inquiétant qu'il échappe de laboratoire. Ces expériences ont comme bénéfice le fait que maintenant on sait qu'il y a chez les chauves-souris des virus qui ont potentiellement un tropisme qui pourrait être élevé pour les récepteurs à ceux d'humains. Par contre, le risque qu'on a, c'est qu'on a vraiment produit au laboratoire un virus infectieux qui n'existait pas naturellement, vu que c'était une chimère qui n'est pas naturelle. Et s'il y avait un accident, c'est très difficile de savoir quelle pourrait être la trajectoire épidémiologique de ce genre de virus. Évidemment, le débat et toute la question éthique qui se pose est autour de cette question-là. Alors, huitième exemple que je vais vous donner, j'ai presque fini, il y a beaucoup d'exemples, mais je crois que c'est important d'aller dans les détails. C'est des expériences de perte de fonction au résultat inattendu. Parce qu'on pourrait se dire de manière un peu simpliste, c'est simple, il suffirait de dire on va interdire des expériences de gain de fonction. Et je vous expliquais que quand il y avait un gain de fonction, il y avait pratiquement toujours une perte de fonction qui était associée au gain de fonction. Et donc ici, c'est une expérience qui a été faite en Espagne, dans laquelle il y a un gène qui a été délété d'un virus qui est le MERS coronavirus. Je vous rappelle que le MERS coronavirus, c'est un virus qui n'est pas installé dans l'espèce humaine, mais qui se transmet sporadiquement des chameaux vers l'homme et quand il se transmet, environ un taux de létalité qui est de l'ordre de 30% et qui se transmet également par voie respiratoire et qui est considéré comme un potentiel pandémique. Et donc là, pour tous les biologistes moléculaires, l'idée est assez simple. En général, on considère que si on délète un gène, on va faire un virus qui est moins infectieux. Et ce qu'on peut observer ici, sur des courbes de mortalité par exemple, c'est que la déletion du gène MA, en fait, donc le virus MERS M1A Delta 5, il y a une pathologénicité qui est accrue dans le modèle animal, qui est énorme, et donc on croyait, les expérimentateurs croyaient faire une expérience de perte de fonction, et en fait ils ont eu un gain de fonction très significatif dans leur modèle animal, ce qui amène à questionner évidemment comment est-ce qu'on peut réguler cette expérience de manière cohérente et sûre, parce qu'on ne peut jamais prédire de manière définitive le résultat de l'expérience qu'on va conduire au laboratoire. Avant de finir, je voudrais quand même vous dire qu'il existe des méthodes alternatives pour essayer de comprendre ces mécanismes de franchissement de barrières d'espère et qui sont moins risqués, qu'on appelle les pseudovirus. Et donc là, l'idée, c'est en général de construire des virus qu'on appelle non réplicatifs ou pseudotypés, c'est-à-dire qu'on va s'arranger pour faire des virus qui sont chimériques. Ici, l'exemple qui est présenté, c'est un virus chimérique qui est fait entre le HIV et typiquement le coronavirus, ici, le SARS coronavirus. Mais on s'arrange pour expérimentalement séparer les constructions, c'est-à-dire que le virus qui est produit est capable de faire seulement un cycle d'infection, c'est-à-dire qu'il va infecter la cellule, on va voir si la cellule est infectée, parce qu'on va s'arranger pour mettre un gène fluorescent éventuellement dans le génome de cette particule virale. Mais les cellules, une fois infectées, ne sont plus capables de produire des particules virales infectieuses parce qu'elles n'auront pas le gène qui code pour la spike protéine. Alors évidemment, un des débats qui se pose également dans ces expériences de gain de fonction, c'est pourquoi est-ce que plutôt que de faire des expériences hautement risquées comme des expériences de gain de fonction, pourquoi est-ce qu'on ne ferait pas plutôt des expériences avec des virus chimériques comme ceux que je présente ici ? Et les éléments de réponse sont au moins doubles. Le premier élément, c'est qu'en général, ces expériences ne sont pas 100% prédictives de la réplication, elles ne donnent pas toujours les mêmes résultats que des expériences de construction de virus chimérique. Parce que, par exemple, selon les constructions utilisées, la densité des protéines spike à la surface des virus peut être plus élevée dans ces systèmes et donc ils peuvent être éventuellement plus sensibles. Et donc, on peut avoir des résultats qui sont d'un ordre ou deux ordres de grandeur, différents de ce qu'on observerait avec des véritables virus chimériques. Et le deuxième élément de réponse, c'est qu'il y a une pression de publication, c'est-à-dire qu'en temps général, les auteurs vont proposer des publications qui sont basées sur ces fameux virus pseudotypés aux grandes revues scientifiques. La première chose que vont demander les reviewers en général, c'est « mais confirmez-moi que c'est vrai en construisant les virus infectieux » et à ce moment-là, on va prendre votre article. Donc, il y a une pression finalement indirecte lors de la publication qui fait que les chercheurs sont d'une certaine manière poussés par la communauté à conduire ces expériences extrêmement dangereuses. Alors, tout ça pose la question de la régulation et des régulations futures. Donc, je crois que je dirais, dans un premier temps, que la régulation internationale de l'expérience en virologie est extrêmement insuffisante. Ça, c'est la première chose. C'est vrai qu'on a progressé en ayant des laboratoires de type 3 et 4 qui sont implémentés dans une série de pays. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que les réglementations qui visent à définir quels sont les virus qui doivent être travaillés dans quel type de confinement ne sont pas internationales, qu'il n'y a pas de communauté internationale qui vérifie et que les expériences en virologie se délocalisent là où la pression, où la difficulté d'expérience est la moindre. Et justement, pour revenir à ce dont j'ai parlé tout à l'heure, les expériences de gain de fonction qui étaient faites avant 2015 ou 2014 aux États-Unis étaient majoritairement faites sur les coronavirus en laboratoire du type 3. Et quand le moratoire américain a été mis en place, ça a conduit à une délocalisation des expériences en Chine où ces expériences ont été faites majoritairement en laboratoire du type 2. Et on peut s'interroger de savoir s'il est raisonnable ou pas de faire des expériences de cibles dans l'aventure du type 2. Alors, le risque biologique est international parce que les virus n'ont pas de passeport. Je crois que maintenant, on est tous convaincus de ce point. Il est nécessaire, à mon avis, de développer des outils tels que les boîtes noires biologiques qui permettent de suivre les activités dans l'aventure de type 3 et 4. Et ça particulièrement de manière à finalement, d'une part, protéger le laboratoire éventuellement d'accusations qui pourraient leur être faites. Parce qu'en cas d'émergence d'une nouvelle épidémie dans une ville, la question se pose de savoir si c'est une émergence zoonotique ou éventuellement une émergence qui est liée à un accident de laboratoire. Et si toutes les séquences sont bien décrites dans les clés de laboratoire et s'il y a des boîtes noires biologiques qui sont associées au laboratoire, et bien c'est ça permettra de montrer qu'une émergence n'est éventuellement pas associée à un laboratoire, justement parce qu'on démontre formellement que le pathogène qui émerge n'a pas des séquences qui correspondent aux séquences des virus qui sont réellement travaillés dans le laboratoire. Donc c'est finalement un outil pour protéger les chercheurs éventuellement d'une accusation qui pourrait leur être faite. Et donc ces boîtes noires devraient être constituées, à mon avis au moins de filtres à air qui devraient être collectés sur les hottes à flux laminaire et séquencés de manière régulière, et aussi d'un accès régulier des laboratoires, au fait qu'on ait rempli un cahier de laboratoire électronique, donc il y aurait une copie dans une instance internationale, de manière à assurer qu'il y ait une copie, et qu'il n'y puisse pas y avoir de manipulation politique en cas d'accident, de manière à ce qu'on puisse tracer les émergences liées éventuellement à des accidents de recherche. Et alors il serait nécessaire évidemment de créer une instance internationale de contrôle et qui devrait définir les normes éthiques et biologiques de sécurité associées aux différents pathogènes, plutôt que de se trouver dans la situation actuelle où chaque pays, ou chaque ensemble de pays, l'Europe par exemple, ou les États-Unis, définit des armes qui sont différentes, avec une espèce de dumping de la virologie dans certains cas, où les expériences vont se délocaliser forcément dans les endroits où le niveau de biosécurité qui sont demandés sont les plus faibles. Voilà, je termine peut-être par quelques messages à retenir de cette présentation avant de prendre les questions s'il y en a avec plaisir. Les virus émergents sont un problème de santé public majeur. Il est indispensable de pouvoir étudier le virus en laboratoire pour développer des vaccins et concevoir des médicaments. Les bénéfices en santé publique sont considérables et on considère par exemple que les vaccins, ça a été un des apports majeurs à l'augmentation de l'espècerance de vie sur les 60 dernières années de l'espèce humaine. Il est nécessaire de développer des nouveaux outils de biologie nucléaire pour travailler plus en sécurité. J'ai parlé des pseudotypes, mais je dirais qu'il y a aussi également des modèles animaux plus sécures qui devraient être générés. Il y a vraiment de la recherche qui doit être faite pour développer ces nouveaux modèles. Les accidents laboratoires sont documentés et l'analyse doit être faite avec plus de sérieux pour pouvoir justement mettre en place des contre-mesures et des formes de biologie qui sont plus sécuritaires dans les laboratoires. Les expériences gain de fonction, et en particulier ce qui concerne les virus à potentiel pandémique. pose une vraie question d'éthique à mon sens. Elle devrait être arbitrée par nos sociétés. Moi, personnellement, je ne ferai jamais ce genre d'expérience et je considère qu'elle devrait être interdite, mais je comprends qu'il doit éventuellement y avoir un débat dans la société civile et au sein de la communauté pour évaluer de manière conjointe le risque et le bénéfice des expériences. Et la régulation des expériences en biologie est très insuffisante. Il serait nécessaire de créer des instances de contrôle international. et de développer aussi les boîtes biologiques permettant le suivi des activités en laboratoire P4 et peut-être en laboratoire P3. Et je crois que la France et l'Europe devraient être moteurs là-dedans pour montrer un petit peu l'exemple pour l'ensemble de la communauté internationale. Et ça pourrait être une bonne manière de mettre le pied à l'étrier.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un extrait de la conférence d'Étienne Decroly sur le thème des expériences en virologie. Retrouvez-la en vidéo dans son intégralité sur le site de Sciences en questions et au format livre sous le titre « Expériences en virologie, bénéfices et risques » aux éditions Quae.

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