- Speaker #0
A quoi ressemblerait ta crèche si tu pouvais t'entourer des meilleurs ? Moi, c'est ce que j'ai fait. Pendant les 15 dernières années, de la crèche collective associative à la micro-crèche privée, j'ai tout expérimenté. La petite enfance est un métier à forte contrainte, mais aussi à forte valeur ajoutée. Avec les meilleurs psys, pédiatres, directeurs pédagogiques et les meilleures formations, j'ai pu développer la qualité d'accueil et la qualité de vie au travail. Alors si toi aussi tu es motivé par la qualité, Bienvenue dans Références Petite Enfance. Bienvenue dans ton podcast. Bonjour à tous, bienvenue dans Références Petite Enfance. Aujourd'hui, je suis hyper contente du thème qu'on va aborder. C'est un sujet qui me tient vraiment beaucoup à cœur et je pense que j'ai trouvé l'invité parfaite pour parler de ce thème. C'est Hélène Van Compernol que j'accueille aujourd'hui sur le sujet du sens au travail. Bonjour Hélène, je crois que toi tu dis le sens du métier ?
- Speaker #1
Oui. Je parle effectivement de sens du métier, bonjour d'abord, mais effectivement, je parle de sens du métier et pas de sens du travail.
- Speaker #0
Bon, moi, j'ai l'habitude de dire sens au travail, mais tu vas m'expliquer la différence. En tout cas, pour les auditeurs qui ne te connaissent pas, tu es docteur en psychologie sociale et du travail et tu as vraiment beaucoup creusé le sujet du sens du métier. Et en ce moment, tu travailles sur une étude qui va paraître à la rentrée. Donc là, on se parle en fin juillet 2025 et en septembre ou octobre 2025, on va avoir les résultats de... de ton étude que tu mènes avec l'Université catholique de Lille. Tu peux en dire quelques mots, si tu veux, de cette étude ?
- Speaker #1
Effectivement, c'est une étude qui s'appelle SAMPE, donc Sens des métiers dans la petite enfance, qui a démarré il y a deux ans. C'est une étude où on a déposé un appel à projets de recherche. auprès de la CNAF qui subventionne parfois des recherches d'universitaires. En fait, pour moi et mes collègues, l'objectif c'était de comprendre finalement aujourd'hui la crise actuelle dans la petite enfance en termes de pénurie, d'attractivité, de fidélisation des professionnels et vraiment en se centrant sur la question du sens. Alors le sens, nous on l'aborde à travers justement les conditions de travail et donc de voir comment les conditions de travail peuvent impacter le sens du métier et du coup amener les professionnels à quitter soit leur structure soit parfois même le métier complètement.
- Speaker #0
C'est vrai qu'à l'heure aujourd'hui où on traverse une pénurie de professionnels sans précédent, on peut se demander si le problème n'est pas là, c'est-à-dire qu'il y a une sorte de désillusion sur ce métier. Est-ce qu'on a encore intérêt à travailler dans ce métier et pourquoi on a perdu cet intérêt puisque dans le temps, il y avait beaucoup plus de monde qui trouvait ça assez beau de travailler auprès des jeunes enfants, d'être dans le caire, dans la... accueil dans le soin à l'autre. Aujourd'hui, il y a quand même un désamour, mais pas que, d'ailleurs, dans la petite enfance, ça peut être aussi dans le grand âge. Alors, je pense aussi, comme toi, que ça vient beaucoup d'une question de sens, c'est-à-dire qu'on peut être déçu, en fait, il y a une sorte de désillusion, oui, sur ce qu'on met dans ces métiers-là. Mais c'est quoi le sens du métier ou le sens au travail ? Et peut-être que c'est pas la même chose, mais déjà, qu'est-ce que c'est que cette notion ?
- Speaker #1
Alors, justement, c'est vrai qu'on parle beaucoup, et dans la littérature, et dans les médias, de sens du travail, ou même parfois de sens au travail. En fait, quand on regarde un peu théoriquement comment il est modélisé, ce sens du travail, ça renvoie finalement beaucoup à la question aussi des conditions de travail. En fait, quand on parle de sens du travail, c'est qu'est-ce qui donne du sens au travail. Et si on regarde les modèles, c'est par exemple la question de la reconnaissance, de faire... une tâche qui est considérée comme utile. On va avoir différents facteurs qui permettent de dire que notre travail a du sens et qui s'applique à tout type d'activité de travail. Nous, on a voulu dépasser aussi un peu ce modèle-là, parce que, comme tu l'as dit, la perte de sens est aussi liée à une forme de désillusion. On a plutôt creusé là-dessus et on a travaillé vraiment sur le sens du métier. Déjà, de base, c'est ce qui définit mon métier. Quand je suis professionnelle de la petite enfance ou quand je suis infirmière aussi, par exemple, dans ces métiers du soin, pourquoi je me dirige vers ce type d'activités qui sont quand même des métiers à forte vocation à la base ? Souvent, c'est parce qu'on est quand même dans une activité où on veut être au contact des patients ou des enfants, être dans l'aide, dans l'accompagnement, dans l'accueil. Et finalement, parfois, quand on se retrouve sur le terrain, donc dans une réalité de travail, c'est là où on observe qu'il y a un décalage important qui s'opère entre finalement mon idéal. la représentation que j'avais moi de ce métier-là et de ce qui se passe concrètement sur le terrain. Donc à partir déjà de ça, nous on a creusé cette question du sens du métier, qui est quand même un peu différent déjà du sens du travail, parce que dans le sens du travail, il n'y a pas cette question de représentation du métier. Pour vraiment dire que le sens du métier, en fait, c'est qu'on a du sens quand il y a un accord entre effectivement notre représentation du travail, presque une forme d'idéal professionnel, et ce qu'on fait concrètement sur le terrain. C'est-à-dire que si moi, par exemple, en tant qu'enseignant-chercheur, mon idéal de travail, c'est de pouvoir être au contact des étudiants, de faire de la recherche, et que finalement, sur le terrain, tout ce que je fais, c'est des tâches administratives ou de la gestion d'emploi du temps, parce qu'on a des contraintes aussi et des problématiques d'effectifs, il y a une forme d'incohérence, de dissonance qui s'opère. Et en fait, ce pourquoi j'ai voulu faire ce métier, je ne le retrouve pas dans mon activité de travail réelle. Donc ça, c'est une première dimension du sens du métier. La deuxième, qui est aussi très importante, c'est est-ce que les conditions de travail dans lesquelles j'exerce mon activité, elles me permettent de faire un travail que moi j'estime être de qualité ? Alors ça peut être des conditions de travail matériel, par exemple est-ce que j'ai le matériel pour pouvoir faire un travail de qualité ? Mais c'est aussi est-ce qu'on me donne les moyens en termes humains, en termes d'autonomie, en termes de reconnaissance, de pouvoir là aussi faire un travail que j'estime être de qualité ? Quelles ressources j'ai à disposition pour pouvoir le faire ? Une autre dimension du sens, c'est la question de l'adéquation entre nos valeurs personnelles et ce qu'on retrouve sur le terrain. Par exemple, dans le secteur hospitalier, il y a beaucoup de parallèles avec ce qui se passe aujourd'hui dans le milieu de la petite enfance. Il y a un certain nombre d'études qui démontrent qu'il y a un décalage entre les valeurs des soignants et ce qu'ils sont amenés à faire sur le terrain, parce que là encore, on est dans des logiques de rentabilité. de productivité, on est sur de la tarification à l'activité, il faut produire de l'acte. Et c'est pourquoi j'étais venue faire ce métier et ce qui m'a guidée, les valeurs, c'est ce qui nous guide vers aussi une activité. Là, les valeurs d'accompagnement, de bienveillance, on ne les retrouve pas nécessairement dans son activité de travail. Donc voilà, on est vraiment au niveau du sens du métier sur ces trois dimensions phares. D'abord, cette histoire de cohérence avec la représentation, notre idéal de métier. Est-ce qu'on a les conditions pour faire un travail de qualité ? Et est-ce qu'il y a une adéquation entre nos valeurs personnelles et ce qu'on fait sur le terrain en termes de pratiques professionnelles ?
- Speaker #0
Ok, tu as dit énormément de choses. Déjà, je reprends la notion même de sens du métier ou ce que j'entends, mais je ne sais pas si je me trompe. C'est peut-être la différence entre un métier et un travail. C'est justement de reprendre le métier en tant que métier technique. Ce n'est pas juste un truc qu'on fait intuitivement, que tout le monde peut faire, que n'importe qui peut faire. Il y a vraiment... Une connaissance, une compétence et une technique, c'est ça qui constitue peut-être le métier en fait. On acquiert un métier, on acquiert une expertise.
- Speaker #1
Oui, et puis c'est aussi la façon dont on le définit. Un métier en soi, il y a une définition. Le travail, c'est quelque chose de général. Par contre, le métier, il y a une identité de métier.
- Speaker #0
Une identité,
- Speaker #1
c'est ça. Exactement. Et donc, c'est cette perte d'identité de métier qui crée une crise de sens là aujourd'hui. quand on est dans une activité de travail qui ne ressemble plus à... notre identité de métier. Alors,
- Speaker #0
tu as cité trois dimensions de ce sens au métier. La dernière dont tu as parlé, c'est l'adéquation entre les valeurs personnelles et puis les valeurs peut-être de l'organisme dans lequel je travaille ou en tout cas, est-ce que c'est ces valeurs ou pas, mais en tout cas, ce qui est incarné réellement dans cette organisation, donc que ce soit une entreprise de crèche, que ce soit une municipalité, enfin, peu importe le type de gestionnaire. Mais en fait, quand je vais arriver dans cette crèche, qu'est-ce que je vais trouver sur le terrain ? En général, ce qu'on trouve sur le terrain, Ça doit découler d'une sorte de vision du gestionnaire. Donc ça peut être, si le projet d'établissement est bien appliqué, effectivement, on va retrouver les valeurs du projet d'établissement. Mais parfois, ce n'est pas du tout incarné non plus. Avant de te laisser répondre là-dessus, je rebondis aussi sur ce que tu as dit sur le milieu hospitalier. Ça fait écho en moi parce que moi, j'ai commencé à travailler dans les crèches en 2007. À l'époque, on commençait à appliquer la PSU et j'entendais beaucoup de gens. Alors moi, je n'avais jamais connu avant la PSU, mais tu sais, on entendait... les directrices de crèche et puis certains gestionnaires qui disaient « Oh là là, ça n'a pas de sens, avant c'était plus simple, on est obligé de forcer les parents à rester tard le soir parce qu'il faut qu'on fasse des heures, etc. » Et donc moi, j'ai eu le sentiment, effectivement, qu'il y avait cette idée de remplissage et de travail un peu à l'acte. Où en réalité, si on n'accueille pas l'enfant à telle heure, on n'est pas payé, donc on tombe dans quelque chose qui n'est pas du tout rentable. Et donc on est très contraints, nous, en tant que gestionnaire, déjà, peut-être que c'est ça. qui va venir impacter le professionnel sur le terrain. Quand tu parles de ce qu'il va vivre sur le terrain, il va peut-être vivre ce qui découle de nous, cette contrainte qu'on vit dans le bureau. On se dit « oh là là » .
- Speaker #1
Tout à fait. Les contraintes, elles ne viennent pas que de la direction ou de la hiérarchie. Souvent, on a cette impression-là que de toute façon, les grands méchants, c'est la direction, c'est la hiérarchie. En réalité, c'est aussi une application de réglementation, de politiques publiques qui parfois sont... pas nécessairement bien pensées ou en tout cas aussi en inadéquation avec une réalité de terrain. Et ce qu'on peut retrouver avec la PSU, effectivement, on le retrouvait dans le secteur hospitalier avec la tarification à l'activité, la T2A, qui a amené en fait une forme d'intensification du travail, c'est-à-dire que pour pouvoir être subventionné et avoir les subventions au niveau hospitalier, il faut produire de l'acte, ce qui amène effectivement les soignants. à produire de l'acte et être dans une logique de rentabilité. Forcément, ça se répercute aussi sur le « service client » , en tout cas la relation au patient. Comme pour la PSU, ça se répercute aussi sur la relation aux enfants, l'accompagnement qui peut être proposé. J'ai eu un certain nombre de professionnels, par exemple, quand la PSU est sortie, les craintes étaient de se retrouver à accueillir des enfants à l'heure. Parce que la logique, c'était quand même ça, la PSU, c'est de pouvoir accueillir aussi des enfants à l'heure. Comment on fait pour pouvoir mettre en place des activités pédagogiques, éducatives, qui aient aussi du sens ? Si on est sans cesse en train d'accueillir des enfants, de les faire repartir, il y a une forme de discontinuité du service qui a créé aussi une perte de sens.
- Speaker #0
Comme tu dis, ça a créé de la discontinuité et puis ça a créé aussi de l'insécurité pour l'organisation. Moi, tu vois, je conseille pas mal de gestionnaires sur leur gestion de l'entreprise parce que souvent, ils sont en difficulté. par rapport à leur accueil, parce que ce n'est pas suffisamment rentable. Et donc, eux, ils ont cette vision idéale du métier en se disant « je vais avoir des crèches, des professionnels de la petite enfance, accueillir des enfants, des familles, ça va être super » . Ils n'ont pas du tout envie d'être dans une logique de remplissage. Et à un moment, on est obligé de leur dire « oui, mais regarde, en fait, ça ne marche pas, ça ne fonctionne pas, parce que tu veux travailler à l'heure, parce que tu ne veux pas faire de remplissage, etc. » Sauf que la réalité, c'est que l'équipe ne pourra pas être payée à la fin du mois. Nous, ce qu'on leur conseille souvent, c'est d'être très direct, en fait, et d'expliquer à l'équipe. Oui, on va devoir accueillir plus d'enfants, remplir la crèche, tout simplement, parce que sinon, on met la clé sous la porte. C'est assez simple et direct. C'est vrai que les gestionnaires ont parfois du mal à assumer ça, en fait. Assumer le fait que, pour que la crèche, elle fonctionne, il va falloir avoir un certain niveau de financement, ce que ne permet pas toujours, en fait, la PSU. Donc voilà, je pense qu'il y a vraiment cette problématique de dissonance entre le système dans lequel on s'inscrit en tant qu'organisation et puis l'idéal qu'on a. À savoir souvent l'idéal, je pense que tu le sais, c'est je vais avoir une crèche, on va accueillir des gens, ça va être génial, on va s'occuper de tranquillement, on va les écouter. En réalité, ce n'est pas tout à fait ça qui se passe. Est-ce que tu as interrogé des professionnels sur leur quotidien ? Est-ce que tu as pu constater ? Peut-être plus concrètement, des cas où il y avait justement une déception, une dissonance ou une envie peut-être de partir ?
- Speaker #1
Oui, alors en tout cas dans le cadre effectivement du projet de recherche, mais pas que d'ailleurs, puisque en parallèle j'ai aussi une activité de consultante, de psychologue du travail, sur des problématiques de santé psychologique au travail. Mais là en tout cas dans le cadre de cette recherche, on a travaillé avec une méthodologie qui s'appelle Fierté-Frustration. C'est assez simple, on demande aux professionnels de nous évoquer une situation de fierté, une situation de frustration, la plus récente possible, pour que ça soit très incarné et très concret, qu'elles ont vécu en situation de travail. Et donc ça nous permet ensuite de réussir aussi à catégoriser ces situations-là et de voir les situations de fierté et les situations de frustration, à quoi elles se rattachent en termes de conditions de travail, de qualité de vie au travail. Donc on a procédé comme ça et effectivement ce qu'on observe en fait c'est que la majorité des situations de frustration qui nous sont rapportées, ça renvoie à cette idée vraiment de métier empêché. C'est-à-dire qu'il y a un décalage entre des ambitions éducatives qui sont portées par les professionnels, portées aussi par le métier en tant que tel, et puis d'autre part les conditions concrètes d'exercice professionnel. Par exemple, on a une fois une auxiliaire de périculture qui nous dit Oui, c'est très bien, toutes ces nouvelles approches pédagogiques qu'on nous apprend, elle était, oui, tout à fait, j'adhère à 100%. Par contre, sur le terrain, en fait, on n'a pas les moyens de mettre ça en place en termes de charges de travail, en termes d'effectifs aussi d'équipe. Et c'était intéressant parce qu'elle a utilisé le terme de schizophrénie professionnelle. Elle nous a dit, voilà, à un moment, on a l'impression d'être dans une forme de schizophrénie professionnelle. parce qu'on a les ambitions éducatives, les projets qui sont portés et qui sont tout à fait louables. Mais sur le terrain, ce n'est pas possible de le mettre en place. Donc, il y a aussi ce décalage-là qui se crée. C'est vrai même au niveau recherche en petite enfance, où on a des nouveaux modèles qui émergent, des nouvelles pratiques à mettre en place. Et ça, c'est super. Sauf qu'en réalité, les professionnels sur le terrain, parfois, il y a une forme de déception encore plus importante parce qu'ils ont envie de s'emparer de tout ça. et de réussir à le mettre en place. Et en réalité, ce n'est pas possible concrètement.
- Speaker #0
En fait, cette déception, elle peut venir en plus du recrutement parce que souvent, on a choisi une crèche par rapport à ce qui était écrit sur l'annonce et ce qu'on m'a dit en entretien. Effectivement, si le gestionnaire, encore une fois, quel que soit son statut, s'imagine, parce qu'en général, ce n'est pas forcément de la mauvaise foi. Il pense vraiment qu'on va faire Montessori, Snozellen, etc. Il y croit à fond. Alors, il y en a peut-être qui n'y croient pas et qui font semblant, mais en tout cas, c'est pas forcément malveillants, mal intentionnés, il y a vraiment on vend quelque chose, même aux familles, on leur dit voilà dans cette crèche, il y aura ci, il y aura ça et puis en fait le pro il se rend compte que c'est pas possible les jeunes directrices d'ailleurs disent souvent qu'elles se rendaient pas compte du niveau de compétence des équipes alors bien sûr que moi j'ai énormément de respect et d'estime pour mes équipes de crèche, il n'empêche qu'elles ont pas forcément le niveau d'autonomie, d'expertise et de compétence sur tous ces sujets Et je vais devoir beaucoup les alimenter et beaucoup les soutenir si je veux qu'elles appliquent, je ne sais pas quoi, de l'anglais, du Montessori. Moi, j'ai vu des crèches avec, tu sais, sur la façade, il y avait cinq trucs différents. Et tu te dis, mon Dieu, mais si déjà ils arrivent à en appliquer un, ce sera déjà une prouesse, quoi. Qu'est-ce qui se passe par rapport à ça ? Est-ce que c'est une sorte de mode ? Pourquoi les crèches se lancent dans des trucs infaisables qu'elles n'ont pas les moyens de faire ?
- Speaker #1
Je pense que tu l'as dit, qu'elles n'aient pas les moyens. En fait, au départ, il y a quand même une volonté aussi d'être sur ces modèles-là. Alors moi, je ne suis pas spécialiste de Montessori, etc. Mais en tout cas, ce qu'on voit, c'est qu'il y a une vraie appétence pour les structures de mettre en place ce type de pédagogie. Mais que finalement, ce qui se passe sur le terrain, c'est qu'il y a un manque de temps concrètement. Moi, les professionnels, ils me disent que si j'arrive à faire une activité une fois par semaine, c'est bien. Je suis contente si j'arrive à le mettre en place une fois par semaine. La réalité de travail, c'est que le matin, on accueille les enfants, on met en place des temps d'accueil, des petites activités, etc. Il y a tout un tas de tâches qui s'enchaînent. C'est presque parfois une forme de travail invisible. On ne se rend pas compte de la multiplicité des tâches à réaliser. La préparation des repas, après il faut aller les coucher. À quel moment est-ce qu'elles ont vraiment le temps ? D'une, de se poser pour savoir aujourd'hui qu'est-ce qu'on pourrait mettre en place, qu'est-ce qui aurait du sens, comment on le fait, collectivement. Il y a une espèce de routine qui s'installe, et cette bonne volonté de mettre en place des activités un peu innovantes, c'est vraiment quand les conditions de travail le permettent. Et en ce moment, ce n'est pas trop le cas.
- Speaker #0
Non, ce n'est pas trop le cas parce qu'on sait que le travail est extrêmement contraint par le financement, qu'il n'a pas augmenté du tout, alors qu'avec l'inflation, les charges ne font qu'augmenter. Donc le gestionnaire, lui, il a de moins en moins de marge de manœuvre. Donc il est obligé de faire un petit peu, entre guillemets, le minimum syndical. Donc c'est une sorte d'incitation low cost que le système induit, malheureusement. Après, moi, je pense quand même qu'il y a peut-être un problème de réalisme. C'est-à-dire qu'en tant que gestionnaire, peut-être qu'on met la barre trop haut, qu'on n'est pas suffisamment réaliste. Et que si on ne faisait pas ça, le professionnel serait moins déçu. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux arrêter de lui vendre du rêve à ce professionnel et en rabattre un peu, tu vois ?
- Speaker #1
Moi, je pense qu'en fait, ce qu'il faut, c'est que ça se parle. La frustration, elle se crée aussi quand effectivement, il y a une forme de désillusion quand on arrive sur le terrain et surtout qu'il n'y a pas d'explication derrière. Je l'ai dit aussi tout à l'heure, quand on parlait de la PSU, cette histoire de remplissage où il faut être dans cette logique de remplissage, là, c'est pareil, c'est de pouvoir expliquer aux équipes Merci. qui ne sont pas forcément au courant de toutes ces logiques derrière, de gestion, etc. De pouvoir expliquer aux équipes ce qui guide aujourd'hui l'action, la pratique et l'organisation de travail. D'être aussi dans une forme de transparence sur les difficultés qu'on rencontre en tant que gestionnaire et à ce qui est possible de mettre en place sur le terrain. C'est aussi une forme de reconnaissance des difficultés rencontrées par les professionnels de terrain, de pouvoir leur dire « oui, moi aussi j'aimerais bien mettre en place tel type d'activité, j'aimerais bien qu'on soit sur ceci ou sur cela » . Là, aujourd'hui, ce n'est pas possible. Comment est-ce qu'on peut, à notre niveau, réussir à trouver des ressources, des marges de manœuvre pour mettre en place des activités ? qui puisse quand même donner encore aujourd'hui du sens aux professionnels. Et je pense que rien que de pouvoir échanger librement et en toute transparence avec les professionnels sur les difficultés qui sont rencontrées à différents niveaux, déjà ça permet aussi de recréer du lien et de la compréhension mutuelle.
- Speaker #0
Il y a un point que tu as évoqué, c'est qu'est-ce qu'elles avaient en tête ? Tu disais, nous on leur demande ce qu'elles imaginent et pourquoi elles ont voulu travailler là-dedans, etc. Elles sont quand même très taiseuses, donc peut-être qu'à toi elles parlent, mais nous... quand on les recrute, quand on les reçoit et qu'on leur dit pourquoi vous avez voulu travailler dans la petite enfance. C'est quand même pas très très clair souvent. Peut-être qu'elles osent pas dire les choses, qu'elles pensent qu'il faut tenir une forme de rôle, je sais pas. Mais en tout cas, c'est vrai que c'est intéressant de pouvoir savoir c'est quoi leurs attentes, pourquoi elles voulaient faire ça. Peut-être qu'on y verrait plus clair, parce qu'en effet ça va pas forcément correspondre. Nos attentes à nous vis-à-vis d'elles vont pas forcément leur permettre de rencontrer les leurs. Mais déjà, Si les gestionnaires étaient plus précis dans leurs attentes sur le métier, je pense qu'il y aurait moins de problèmes. Parce que tu vois, moi, ce que je constate, c'est que souvent, on n'est pas au clair avec nos attentes de gestionnaire envers les professionnels. Donc, on peut vite glisser dans tous les sens et le pro, il ne sait plus où donner la tête, il ne sait plus ce qu'on attend de lui. Tu as parlé du travail invisible. Alors, pour moi, il est très visible, ce travail. C'est un peu notre spécialité, tu vois, chez Références Petites Enfances. c'est vraiment comment je vais faire pour que toutes ces tâches, elles deviennent un peu plus... pas automatique, mais tu vois qu'on ne soit pas tout le temps en train de se pencher dessus pour libérer un peu le professionnel de cette charge mentale et qu'il puisse passer à autre chose. Donc si j'ai bien compris ce que tu as dit, elles se sentent quand même un peu envahies par toutes ces questions récurrentes. C'est des questions qui reviennent tout le temps. Comment je vais faire ci ? À quelle heure je vais donner le biberon à un tel ? Donc on se pose mille questions dans la journée, on n'a plus le temps de faire autre chose. Oui,
- Speaker #1
tout à fait, c'est ça.
- Speaker #0
Donc voilà, moi ce que j'identifie dans ce que tu dis, c'est cette nécessité. D'alléger le professionnel de toutes ces questions qui finalement peuvent être résolues par une organisation du travail un peu plus définie, pour lui permettre d'avoir un peu plus de bande passante, pour être dans sa personnalité, sa singularité dans le travail peut-être ?
- Speaker #1
Effectivement, d'avoir un cadre clair sur comment on fait les choses, à quel moment, et aussi la question du pourquoi. Et ça c'est pareil, je pense que c'est quelque chose qui doit être discuté. collectivement. Alors oui, c'est un temps supplémentaire à prendre, mais finalement, ça permet d'avoir une organisation qui roule, entre guillemets. C'est vrai que souvent, il y a aussi ce défaut-là d'avoir l'impression qu'il n'y a pas besoin de cadrer ce travail-là parce que c'est un travail qui est naturel, qui coule de source. Mais en réalité, si, il y a une organisation de travail à avoir, il y a une concertation collective qui doit s'opérer sur qui fait quoi, quand, comment. D'une aussi pour éviter qu'il y ait des espèces d'ambiguïté de rôle. Ça, on en parle beaucoup, alors je fais un petit aparté, mais avec les professionnels, il y en a aussi qui sont aujourd'hui dans une forme de frustration parce qu'elles ont l'impression que tout le monde fait la même chose. C'est-à-dire qu'il n'y a plus de différence entre les métiers. Et bien justement, de pouvoir à un moment reclarifier les rôles, les missions de chacun de chacune au sein de la structure, de la clarifier et de la formaliser en fait. Ça, ça permet d'avoir une organisation de travail qui est définie et qui évite d'avoir parfois des... La gestion de l'urgence, il y en aura toujours. Ça, c'est... On travaille en crèche, donc forcément. Mais en tout cas, d'avoir des espèces de protocoles sur vraiment l'organisation du travail, ça, c'est important. Parce que ça permet aussi de sécuriser les professionnels. Ça permet de savoir qui fait quoi et ça évite aussi les tensions, souvent aussi, entre professionnels, parce qu'au moins c'est clairement défini. Là où on est dans une organisation qui est trop vague, trop floue, alors l'autonomie c'est très bien, mais l'autonomie justement elle est possible à partir du moment où les choses sont clarifiées. Sinon, c'est plus de l'autonomie, c'est un peu le bordel.
- Speaker #0
C'est ça, tu as dit des choses hyper intéressantes là, donc je reformule. Et je pense que c'est très important ce que tu viens de dire, c'est comment on va sécuriser nos professionnels. Ils ont des responsabilités qui sont énormes. Et le fait que les choses soient un peu diluées, un peu floues, c'est hyper déconcertant. Quand on charge la vie d'enfants qui peuvent être très petits en plus, de deux mois et demi à trois, quatre ans. Donc nous, on doit les sécuriser. Et cette période dans laquelle il y a une sorte de déspécialisation, de polyvalence qui se généralise, où tout le monde fait un peu de... de tout, où on ne sait plus trop ce qu'on sait faire, enfin, ce qu'on a appris à faire, ce qu'on doit faire, mais qu'on ne fait pas, mais voilà. C'est clairement un très gros problème dans le travail, parce qu'il n'y a plus d'expertise, quoi. On fait tous un peu de tout, on ne fait pas trop grand-chose très bien, très précisément. Moi, je crois beaucoup à ce que tu viens de dire, c'est-à-dire spécialiser nos professionnels, vraiment les affecter à une mission, plutôt que de dire, il faut être équitable, donc tout le monde va tout faire, quoi. Et puis,
- Speaker #1
là encore, si on reprend la question du sens, du métier. On n'est pas sur les mêmes métiers et il y a une identité de métier que chaque professionnel veut défendre, quel que soit le niveau. En tant que professionnel, on a besoin de se rattacher à son identité de métier. Et si on se rend compte qu'en fait, dans une structure, on fait tous la même chose, en fait, on n'a plus d'identité. Et ça, ça crée aussi une souffrance importante.
- Speaker #0
On est un peu interchangeable. On ne sait pas trop ce qu'on apporte de plus qu'une autre. Alors que peut-être que Paulette, elle est très bonne dans les soins. Et que Martine, elle, elle est vraiment très bonne dans les activités créatives. Chacun, c'est vrai, peut avoir une sorte de talent pour des missions spécifiques. Et puis une formation aussi, on n'a pas tous la même formation. Mais je pense qu'au-delà de la formation, il y a vraiment dans le savoir-être, dans la personnalité. Il y a aussi des traits qu'on peut identifier chez nos pros pour se dire, tiens, elle, elle serait vraiment très forte dans une sélection de bébés cette année. Et on va pouvoir, en lui donnant cette casquette, On va pouvoir mettre en place un dispositif de travail avec elle pour la faire évoluer sur la question des soins, sur ceci, sur cela. Donc voilà, ce que tu viens de dire, je trouve que c'est vraiment fondamental, tu vois, sur cette idée de spécialiser le professionnel et d'éviter cette polyvalence qui se généralise. Tu as aussi parlé de l'autonomie, de rendre l'autonomie possible, c'est-à-dire on a trop tendance, je pense, à vouloir que nos équipes soient autonomes et à se mettre des œillères. En vrai, pour être autonome, il faut qu'on nous tienne la main. D'ailleurs, c'est Maria Montessori qui le disait. Donc d'abord, on accompagne et ensuite, les personnes finissent par être autonomes. Est-ce qu'il y a ça dans les témoignages que tu reçois ? Peut-être des pros qui sont déçus, qu'on ne les accompagne pas assez, qu'on les lâche un peu sur le terrain ?
- Speaker #1
Il y a souvent des frustrations en termes un peu d'isolement et de relation à la hiérarchie qui est un peu distendue. parce que chacun est dans son activité et qu'il n'y a plus le temps de se parler. Et c'est vrai que ça peut les mettre en difficulté, notamment là encore pour des questions d'urgence. Par exemple, quand il y a un enfant qui est malade et qu'on n'arrive pas à joindre la direction et que du coup, il faut appeler la directrice d'une autre crèche parce qu'on ne sait pas ce qu'il faut faire à ce moment-là. Et ça, ça crée une tension forte chez les professionnels.
- Speaker #0
Elles parlent beaucoup de ça, des risques plutôt physiques, plutôt la sécurité. Vraiment, c'est-à-dire qu'elles ont peur de ça, d'être face à une maladie, face à quelque chose de l'ordre de la santé.
- Speaker #1
Ce qui ressort, c'est effectivement quand ça arrive et qu'en fait, ça n'a pas été préparé en amont et qu'on ne sait pas quoi faire à ce moment-là.
- Speaker #0
Donc, c'est ce manque d'anticipation de la part de leur direction, de leur hiérarchie. On n'a pas tellement pensé l'accueil pour qu'il soit nickel, chrome et que je n'ai plus qu'à sortir la bonne fiche.
- Speaker #1
On parlait tout à l'heure de protocole. Là, c'est un peu ça. C'est-à-dire que quand il y a une situation comme ça qui arrive, qu'est-ce que je dois faire en premier lieu ? Qui je dois appeler ? Parce qu'il y a aussi après la problématique, ça s'est ressorti assez fréquemment, mais des parents par exemple. On appelle les parents et ils ne répondent jamais. Voilà, on a des professionnels qui se retrouvent vraiment entre deux. Les parents qui ne répondent pas, la direction qui ne répond pas. Là, je me sens un peu livrée à moi-même. Je dois gérer cette situation toute seule. Et ça, c'est difficile. D'autant plus là, en ce moment où il y a un manque d'effectifs, où il y a vraiment cette sensation d'être seule à gérer des situations parfois difficiles.
- Speaker #0
On en revient toujours à cette organisation qui doit être pensée. avec tout le panel des outils, donc les protocoles, etc., pour que le professionnel puisse s'y référer. Et puis, on peut aussi, nous, c'est ce qu'on préconise, c'est d'organiser des journées pédagogiques en équipe. On va revoir, tu vois, refaire le point sur les outils qui sont à la disposition de l'équipe, donc régulièrement, au moins tous les six mois, se refaire une journée pour revoir ce qu'on fait en cas de ci, en cas de ça, comment on gère les adaptations, comment on gère les absences, les maladies, etc., etc.
- Speaker #1
C'est hyper important. Je sais que les journées pédagogiques, elles sont malheureusement assez peu fréquentes.
- Speaker #0
À cause de la PSU, aussi, toujours pareil, parce que tu ne peux pas fermer ta crèche pour faire une journée pédagogique vu que tu n'es pas payé.
- Speaker #1
Et que ces journées, on a aussi envie d'en profiter pour en parler de la relation à l'enfant. Mais finalement, il faut aussi conserver un temps dans ces journées-là, effectivement, pour vraiment parler du travail et de l'organisation du travail, de comment on le fait. parce que c'est aussi ça qui va permettre pour la suite de l'année à ce que ce soit plus simple, plus clair en fait pour chacune.
- Speaker #0
Pour qu'on se mette au travail dans un même mouvement, avec une sorte d'action collective vers un même objectif. Vraiment, ces journées pédagogiques que je faisais avec mes équipes, c'était fondamental pour le travail d'équipe. Alors, tu as interrogé combien de professionnels pour ton étude là ?
- Speaker #1
On a d'abord une étude quantitative, donc ça c'était par questionnaire. Là, on a eu 7 851 réponses, très exactement. En plus, un questionnaire qui était assez long parce qu'il y a à la fois des dimensions sur la qualité de vie et des conditions de travail, sur la question du sens du métier et aussi sur l'intention de quitter l'organisation et le métier. Et puis, la deuxième étude dans ce projet de recherche, là, c'était une étude qualitative et on a interrogé 30 professionnels. Ce qui n'est pas, évidemment, représentatif, mais qui nous a quand même déjà permis de ressortir des situations, encore une fois, avec cette méthode fierté-frustration très concrète, des situations de travail très concrètes. Pouvoir mettre en parallèle, c'est pour ça qu'on a utilisé fierté et frustration, à la fois qu'est-ce qui est un frein à la construction du sens, donc ce qui freine ce sens dans le quotidien, et puis à l'inverse, qu'est-ce qui est ressource et qu'est-ce qui fait levier aussi dans la construction du sens à travers justement toutes ces situations de fierté professionnelle qui ont aussi été évoquées dans les structures.
- Speaker #0
Est-ce que tu as une sorte de segmentation entre les différents postes ? Est-ce que c'est différent si on est directrice, si on est pro-terrain, si on est… Agents, polyvalents, est-ce que tu as pu identifier des groupes où on est un peu tous dans les mêmes problématiques de sens ? Quand on allait dans les structures, la direction ne participait pas au focus group des professionnels de terrain, tout simplement pour des questions de confidentialité et puis aussi de libre parole. Donc les professionnels étaient ensemble, là par contre c'était tout métier confondu, et on a fait aussi des focus group, donc des entretiens collectifs si on veut, avec des directions. Et effectivement les problématiques ne sont pas les mêmes. Ce qui est ressorti finalement dans le groupe direction, c'était vraiment cette tension-là entre la valorisation du rôle de coordination finalement. où il y a une volonté d'accompagner, d'aider à coordonner le travail. Et puis finalement, sur le terrain, ce n'est pas si simple que ça, parce que parfois il y a des équipes qui sont réticentes à appliquer telle ou telle règle ou telle norme. Donc ça, c'est quand même pas mal ressorti sur le fait aussi d'avoir l'impression de devoir expliquer tout le temps et de répéter tout le temps les mêmes choses. Ça s'est ressorti à plusieurs reprises chez les directrices.
- Speaker #1
Est-ce qu'il s'agit d'un manque peut-être de leadership ? Est-ce que c'est qu'elles ne sont pas encore suffisamment soutenues sur le management et que du coup, elles ne savent pas trop comment faire appliquer les choses ?
- Speaker #0
Ça, c'est clair qu'il y a un manque de formation. Ça, c'est une évidence sur comment on accompagne les équipes. Et puis aussi d'outils. Tu parlais tout à l'heure de... En fait, j'ai l'impression que les professionnels, elles ne nous parlent pas à nous. parler c'est pas si simple que ça et pour pouvoir créer les conditions qui favorisent la parole des professionnels en fait Parfois, il y a des outils un peu simples qui permettent de détourner les choses un peu et de faire en sorte que ça devienne aussi une habitude pour les professionnels de s'adresser à la direction, de ne pas non plus tout de suite percevoir une espèce de distance entre « moi, je suis professionnelle de terrain, je suis là, la direction, elle est là » . Donc déjà, ma parole, elle n'est pas légitime. C'est comment on amène aussi cette légitimation de la parole en tant que directrice, comment on accompagne ça et comment on pense aussi l'équipe. Quelle représentation on a aussi de son équipe ? Ça, c'est des choses aussi qui sont importantes à discuter.
- Speaker #1
En tout cas, c'est vrai que devenir manager, c'est tout un projet. Donc, ce n'est pas si simple. Et donc, faire appliquer ce que tu dis, elles sont frustrées parfois parce que faire appliquer, ce n'est pas aussi simple que ça. Donc, comment on fait pour faire appliquer un projet ? Donc, ça, c'est côté directrice. Et est-ce que tu as des illustrations de ce que tu as entendu sur les pros de terrain ? Qu'est-ce qui, elles, vient les frustrer et les démotiver ?
- Speaker #0
On en a parlé un peu tout à l'heure. Ce qui ressort le plus, c'est vraiment ce côté métier empêché. C'est avoir envie d'être dans l'accompagnement de l'enfant, de pouvoir faire un travail de qualité. Et finalement, sur le terrain, je n'ai pas la possibilité. Je reprends un autre exemple. Une JE qui, par exemple, me disait « Oui, ce matin, je voyais qu'il y avait une maman qui voulait me parler, qui voulait me faire part de ses difficultés. Et en fait, je n'ai pas pu prendre le temps de l'écouter parce que c'était l'accueil du matin, il y avait l'arrivée des familles. »
- Speaker #1
Il y a la queue.
- Speaker #0
Voilà, il y a la queue. Donc en fait, j'ai dû écourter la discussion. Et en fait, ça a vraiment créé un sentiment de frustration important chez elle. parce que Mais encore une fois, elle faisait des liens avec le sens même de son métier. Cette mission d'accompagnement à la parentalité, de soutien à la parentalité, elle me dit, là, voilà. Par exemple, je n'ai pas pu le faire. Alors que c'est une dimension hyper importante de son identité à elle de métier et que sur le terrain, ce n'est pas possible de le faire.
- Speaker #1
Ça, c'est très intéressant. Alors, tu vois, là, on arrive un petit peu à la fin de notre épisode et je trouve qu'il y a encore mille choses à dire. Mais si je reprends ton exemple, si cette professionnelle, elle sent qu'elle n'a pas le temps de parler aux familles, C'est à nous, justement, encore une fois, l'équipe encadrante, donc soit le gestionnaire ou la coordinatrice ou autre, de penser ces temps de parole et de faire en sorte qu'ils aient lieu. Ce n'est pas à elle de se débrouiller avec ça. Elle ne peut pas créer le temps pour parler avec le parent. Donc, c'est encore une fois le soutien qu'on va venir apporter à notre équipe qui peut-être est la clé de tout ça. En tout cas, c'est ma conviction. Mais je veux dire quand même, mesurer le propos, c'est qu'en fait, on n'a pas tellement de marge de manœuvre, encore une fois. puisque ces temps-là ne sont pas financés. Donc tous les temps qui ne sont pas productifs, aujourd'hui, le système n'en veut pas. On finance les heures d'accueil, les heures de garde, les heures de soins, les heures de... Voilà, il faut être productif, quoi. Clairement, penser, parler, etc., ça ne fait pas trop partie de la cible.
- Speaker #0
On ne peut pas faire correctement son travail si on n'a pas justement, et d'autant plus dans ces métiers-là, des temps où on se pose, que ce soit entre professionnels, mais aussi avec les familles, avec les parents.
- Speaker #1
Ton étude, quand tu l'as pensée, quand tu l'as créée, est-ce que tu avais une sorte de projet ? Est-ce que tu t'es dit, on va faire bouger les lignes ? C'est quoi pour toi l'objectif de ce travail ?
- Speaker #0
Le sens de mon métier, tu veux dire.
- Speaker #1
Voilà. Est-ce qu'on va avoir un rapport qui va finir au fond d'un tiroir ou est-ce que tu penses que...
- Speaker #0
Non, alors j'espère pas. Il y a toujours... En tout cas, moi, c'est comme ça que je pense mon métier de chercheur. Si je le fais, c'est parce que j'ai envie aussi de faire avancer les choses. et c'est pour ça que je fais aussi beaucoup de... beaucoup de recherche-action, où on va aussi sur le terrain. Ce n'est pas juste de l'étude quantitative, on fait passer un questionnaire, puis hop, c'est bon, c'est d'aller aussi à la rencontre des professionnels. Donc là, d'une part, la CNAF va l'avoir, ce rapport, puisqu'ils participent notamment, ils subventionnent une partie du projet.
- Speaker #1
Ton ambition à toi sur le sens du métier, et notamment avec cette étude, ce serait quoi ton rêve ?
- Speaker #0
de prendre conscience que ces métiers-là, c'est des métiers à valoriser et que les conditions de travail dans ces métiers-là, elles sont hyper importantes. Et tu vois, par exemple, dans les résultats, ce qu'on observe, parce qu'on dit souvent, oui, dans les métiers de la petite enfance, on n'a plus envie d'y aller parce que de toute façon, il n'y a pas d'évolution professionnelle et puis les salaires et les machins. Alors, soit, mais sauf qu'en réalité, quand on regarde les résultats, ce qui amène les professionnels à partir, Ce n'est pas tant l'évolution professionnelle, parce que ça, c'est une des dimensions de la qualité de vie au travail. Ce n'est pas non plus tant cette dimension salariale. C'est vraiment ce côté de contenu, de mission, de condition de travail effective, en fait, pour pouvoir bien faire son métier. C'est ça qui compte.
- Speaker #1
Très intéressant, ça.
- Speaker #0
C'est comment on donne aux professionnels, aux gestionnaires, les moyens de faire un travail de qualité pour chacun et pour chacune.
- Speaker #1
Alors là, tu vois, tu as dit quelque chose que je trouve vraiment très intéressant. c'est que Plutôt que de faire des campagnes pour valoriser les évolutions professionnelles, dire qu'on peut évoluer, qu'on peut mieux gagner sa vie, etc. En fait, les pros, ce qu'ils veulent, c'est qu'on valorise leur travail sur le terrain. Enfin, ce qu'ils font pour de vrai. Ce n'est pas juste donner une meilleure image. Alors oui, bien sûr, on a envie d'attirer des nouveaux professionnels. Donc, on essaye de redorer un peu l'image du métier. Mais la réalité, c'est que ce qui va faire peut-être rester les pros, c'est de redonner les clés du métier. que le métier redevienne intéressant au quotidien. C'est un peu ça que tu viens de me dire.
- Speaker #0
Oui, et puis qu'il y ait une reconnaissance aussi symbolique de leur métier. Je prends un dernier exemple. Il y a une professionnelle qui nous dit, elle travaille dans une collectivité, et elle nous dit, le service com de la mairie nous ont demandé des photos pour pouvoir publier, faire un poste, machin. Sauf qu'en fait, quand ils ont publié, ils se sont trompés de nom de crèche. Elle dit, ben voilà. Et en fait, pour elle, c'était vraiment aussi une grosse maladresse. Oui, une grosse maladresse, mais de non-reconnaissance aussi de leur travail. C'est comme si, bon, ce n'est pas grave, on ne fait pas trop attention, on s'en fiche. Déjà, de pouvoir valoriser le plus possible les professionnels dans ce qu'ils font, de montrer la réalité des métiers, la complexité aussi de ces métiers-là et de ne pas penser que c'est facile de garder des enfants. De vraiment mettre ça en valeur, cette expertise, ces compétences.
- Speaker #1
Oui, parce que dans l'exemple que tu viens de donner, typiquement, ça a l'air anodin, mais en fait, ça montre qu'il n'y a pas de réel. prise en compte des personnes et des établissements, tout est un peu interchangeable. C'est un peu ce qu'on disait tout à l'heure sur aussi la déspécialisation et la polyvalence. Une crèche ou l'autre, un pro ou l'autre, c'est un peu un espèce de truc flou. Alors que c'est un secteur où il faut être extrêmement précis sur qui fait quoi, pourquoi il le fait, etc. Et donc, il faut avoir une bonne connaissance aussi de nos équipes, bien les connaître, savoir en quoi elles excellent, en quoi elles sont plus faibles, sur quoi on peut les faire évoluer, les aider. Donc là, dans ton exemple, on voit que c'est un peu flou. On ne sait pas trop à qui on s'adresse et de qui on parle. Et ça peut être hyper vexant pour la personne en face.
- Speaker #0
Complètement. Parce qu'en plus, il y a une envie trop contente de pouvoir envoyer des photos. Et puis finalement, quand on voit ce qui est rendu, c'est bon, OK, alors ils n'ont rien compris. Enfin, oui, il y a vraiment ce double discours. Oui, c'est important, je pense, cette reconnaissance symbolique aussi.
- Speaker #1
En ayant fait ce travail, et je crois que tu as fait ta thèse aussi là-dessus, donc ça fait combien d'années que tu travailles là-dessus sur le sens du métier ?
- Speaker #0
Ça fait, ça va bientôt faire dix ans, même un peu plus, ouais.
- Speaker #1
Donc en ayant fait ce travail de recherche pendant dix ans, et tu fais beaucoup de conférences aussi sur ces sujets-là, est-ce qu'aujourd'hui tu as l'impression qu'on peut sortir de l'ornière, qu'on peut justement sortir de cette dévalorisation, de cette pénurie ? Est-ce que finalement, si on s'en tient au système, de toute façon c'est impossible, parce que c'est quand même une question d'argent ? Qu'est-ce que tu penses de tout ça ? Est-ce qu'il suffit de changer d'état d'esprit dans les établissements ? C'est quoi ta perspective à toi ?
- Speaker #0
Ce que moi j'observe depuis des ans, c'est quand même une dégradation. Et des conditions de travail, et de la question du sens. De toute façon, là aujourd'hui, ça se ressent avec la pénurie actuelle. Mais pour avancer, je crois que vraiment il y a cette question du dialogue professionnel. pouvoir avoir des échanges plus réguliers sur les pratiques. Tout simplement parce que rien que là, quand on a fait ce travail de recherche et qu'on allait sur le terrain faire ces entretiens collectifs, finalement les structures réussissaient à trouver une heure, une heure trente pour réunir les professionnels et échanger avec nous. Et à la fin, en fait, toutes, elles étaient toujours ravies d'avoir pu partager leur frustration, mais aussi ce qui donne du sens à leur activité. Et ça permettait aussi d'avoir une meilleure connaissance des difficultés des unes et des autres. Et puis aussi de pouvoir se partager des petites stratégies quand il y a des difficultés. Ah bah tiens, moi aussi j'ai déjà vécu ça, voilà ce que j'ai mis en place. Et en fait ça, ce soutien du collectif, il est hyper important. Je pense que ça passe aussi par ça, c'est retrouver des temps de réflexivité, de penser le travail en collectif. Et pour ça, il faut donner les moyens aux équipes de pouvoir le faire et considérer que c'est bien, c'est du travail. Ce n'est pas un temps en plus, ça fait partie du travail.
- Speaker #1
Ce n'est pas une pause.
- Speaker #0
Non, ce n'est pas du tout une pause.
- Speaker #1
Ce n'est pas une pause, mais c'est nécessaire. Je suis complètement d'accord avec toi. Je dirais, pour résumer ce que tu viens de dire, faites des réunions, trouvez des temps d'échange. On n'a pas forcément beaucoup de moyens dans ce système actuel, dans ce financement actuel. On s'adapte, on essaye de trouver des solutions. Nous, sur le podcast, on a fait des épisodes sur les temps de réunion, etc. Mais j'espère vraiment que ton rapport va être entendu et que ça va... poussé peut-être la CNAF à rallonger un petit peu les financements, notamment sur les heures de réflexion, le temps de penser l'accueil. Ça a déjà été un petit peu revu, mais bon, de façon très minime, notamment tout ce qui est support comme le RSAI ou les APP, c'est quand même, ça ne pèse pas lourd. Donc on attend vraiment que ça évolue, quoi. Donc bon, moi j'ai très hâte de lire ton rapport qui devrait sortir donc si j'ai bien compris, en septembre ou en octobre 2025.
- Speaker #0
Oui, c'est ça. Le rapport va faire une 150 pages environ, mais on va quand même faire une petite version résumée.
- Speaker #1
Je pense que ça va intéresser beaucoup de gens. Tu le sais Hélène, il y a énormément de gestionnaires de crèche qui essayent de comprendre pourquoi leurs équipes s'en vont, pourquoi il y a du turnover, pourquoi on n'arrive plus à recruter. Je pense qu'en lisant ça, ça va peut-être... Ça va peut-être éclairer tout ça. Ouais,
- Speaker #0
peut-être quelques réponses, quoi.
- Speaker #1
Je crois qu'il y aura des réponses. Merci d'être venue sur le podcast nous parler de cette étude qu'on a vraiment hâte de lire. Et puis, je te proposerai sans doute de revenir une fois qu'il sera publié. Peut-être que tu pourras plus détailler certains exemples. Une fois que je l'aurai lu, en tout cas, je suis sûre que j'aurai plein de questions. Donc, si tu es d'accord, je te dis à bientôt, Hélène.
- Speaker #0
Plaisir.
- Speaker #1
Et un grand merci à toi d'être venue sur le podcast.
- Speaker #0
Merci.
- Speaker #1
Bravo, tu as écouté jusqu'au bout. c'est que la gestion de crèche, ça t'intéresse ? Tu as envie de monter ta crèche, mais tu ne sais pas par où commencer ? Ou tu as déjà tes crèches, mais tu te sens seul ? Tu as peur des projets de réforme ? Tu sens que les inscriptions ne sont plus aussi automatiques ? Mais tu n'es pas seul. Aurélie et moi, on a vu beaucoup de gestionnaires qui traversent les mêmes doutes que toi. C'est pour ça qu'on a créé Références Petite Enfance. Ce n'est pas qu'un podcast, c'est aussi une agence de conseil. On te partage nos 17 années d'expertise, nos techniques de travail, et on t'aide à apprendre de la hauteur pour faire décoller tes crèches. On est là pour en parler avec toi, alors prends rendez-vous, le lien est en description de l'épisode. A bientôt !