- Speaker #0
A quoi ressemblerait ta crèche si tu pouvais t'entourer des meilleurs ? Moi, c'est ce que j'ai fait. Pendant les 15 dernières années, de la crèche collective associative à la micro-crèche privée, j'ai tout expérimenté. La petite enfance est un métier à forte contrainte, mais aussi à forte valeur ajoutée. Avec les meilleurs psys, pédiatres, directeurs pédagogiques et les meilleures formations, j'ai pu développer la qualité d'accueil et la qualité de vie au travail. Alors si toi aussi tu es motivé par la qualité, Bienvenue dans Références Petites Enfances, bienvenue dans ton podcast. Bonjour à tous et bienvenue sur Références Petites Enfances. Aujourd'hui, j'accueille Mathilde Lapostole. C'est la première fois qu'on accueille une maman sur le podcast Références Petites Enfances, mais ça fait longtemps que je voulais ouvrir le champ pour avoir un peu plus le point de vue des parents. Bonjour Mathilde.
- Speaker #1
Bonjour Amal.
- Speaker #0
Alors Mathilde, déjà en deux mots, est-ce que tu peux te présenter ?
- Speaker #1
Moi, je suis une maman de deux enfants qui vont à la crèche. Le premier qui a été à la crèche et ma deuxième qui va actuellement. Et j'ai décidé de lancer une pétition qui vise la crise des crèches actuelles vues par les parents. Une mobilisation pour essayer de soutenir les pros dans des demandes de réformes.
- Speaker #0
De soutenir les pros, mais de soutenir aussi les parents et les enfants. Finalement, on a tous un peu le même objectif. On est tous liés par le même intérêt de qualité d'accueil. Moi, ça fait longtemps que je veux interviewer des parents, parce que c'est un podcast qui s'adresse aux pros de la petite enfance, mais il y a une sorte de scission entre le monde de la crèche en intérieur et le monde extérieur. Et même si on a tous envie d'avoir des liens très forts avec les familles, parfois, je pense qu'on est loin de s'imaginer ce que ressentent les parents, ce qu'ils vivent et la façon dont ils le vivent. Bien sûr qu'on y pense, bien sûr que les professionnels de la petite enfance sont très concernés par la vie et le ressenti des familles. Mais je pense qu'être concernée, c'est une chose. Savoir vraiment ce que pensent les parents, c'en est une autre. Et moi-même, en tant que gestionnaire, j'ai souvent été surprise. Et je pense que de toute façon, c'est rare qu'on sache réellement, même quand on se penche sur un cas, même quand on a des échanges répétés sur un cas. Il y a une sorte de convention qui fait qu'on ne va pas se parler forcément hyper franchement. On va aussi arrondir un petit peu les angles. Donc moi, je trouve ça intéressant d'avoir des parents qui viennent témoigner aussi sur le podcast. Alors Mathilde, en février 2025, tu as lancé une pétition. Est-ce que tu pourrais expliquer ce qui a abouti à cette nouvelle pétition ?
- Speaker #1
Comme je te le disais, j'ai eu un enfant en 2021. Je travaillais, le père de l'enfant aussi. Donc on a réfléchi, on s'est dit, on découvrait un peu ce que c'était d'avoir un enfant, de voir lui, voilà, s'occuper de lui. Et on avait besoin d'un mode de garde. À ce moment-là, on m'a dit, tu verras, c'est pas facile, trouver une place en crèche. C'est un vrai parcours du combattant. Je n'avais aucune idée de à quoi m'attendre. J'ai fait le process, j'ai rencontré l'adjointe à la petite enfance de ma mairie, la directrice de la crèche concernée, et j'ai eu une place. On était en 2021. En fait, j'ai eu l'impression de l'avoir assez facilement à l'époque. On ne m'a rien évoqué de spécial. Je dirais que même à la crèche après, pendant deux ans, je n'ai pas vraiment, en tant que parent, je le dis, je n'ai pas vraiment réalisé ce qui se passait. C'est-à-dire que moi, je devais travailler.
- Speaker #0
Tu étais dans un système qui fonctionnait. Pour toi, il y avait une certaine passivité ?
- Speaker #1
Exactement.
- Speaker #0
Et tu faisais quoi comme travail à ce moment-là ?
- Speaker #1
J'étais avocate en libéral et Alexandre, mon compagnon, architecte en libéral aussi.
- Speaker #0
Et sur quelle commune vous habitez ? À Paris. Donc on a un petit peu le tableau, des parents assez jeunes avec un premier enfant qui habitent dans une grande ville avec des postes assez chronophages, beaucoup de travail. Et donc vous cherchez une place, vous la trouvez tout de suite et c'est une crèche municipale. Exactement. Et ça se passe bien ?
- Speaker #1
Alors oui, moi je dirais que ça se passait même très bien. Mais en fait, je pense que je n'ai pas réalisé. Je ne me suis posé aucune question.
- Speaker #0
Tu ne connaissais pas les enjeux du travail en crèche ? Non.
- Speaker #1
En fait, on déposait notre fils à la crèche. On revenait le chercher. C'était très basique. Alors évidemment, j'avais des conversations avec les professionnels, les restitutions, etc. Mais je n'ai pas réfléchi à la chose. Pour moi, c'était on a un enfant, on met son enfant à la crèche.
- Speaker #0
C'est un peu le principe en même temps. Quand tu déposes ton enfant à la crèche, c'est aussi pour ne pas être parent-employeur. C'est aussi... Tu fais confiance à quelqu'un qui s'occupe de ce service, qui est spécialiste. Donc l'idée, ce n'est pas que tu dois devenir toi-même spécialiste de ce service, comme tout travail. C'est comme si toi, tes clients, on devait comprendre exactement le travail d'avocat pour faire appel à toi.
- Speaker #1
Exactement. Mais en fait, ce qui s'est passé après, c'est que j'ai eu ma fille. Et donc pour ma fille, ça a été assez différent. J'ai demandé une place en crèche à nouveau. Et là, l'adjointe à la petite enfance de la mairie m'a expliqué qu'il y avait de vrais problèmes depuis quelques années. Elle me dit que ce n'est plus du tout le même contexte. Là, on a une vraie pénurie, pas du tout sûr que vous ayez une place. Donc, le discours était très différent.
- Speaker #0
C'est en quelle année ?
- Speaker #1
C'était en 2023.
- Speaker #0
Donc, en 2023, tu fais appel au même service, même ville, etc. Et là, tu reçois un discours complètement différent.
- Speaker #1
Exactement. Et elle le disait elle-même.
- Speaker #0
Et là, tu prends de plein fouet la crise. En même temps, en 2023, il y avait quand même une médiatisation de la crise. Est-ce que tu avais été un petit peu alerte ? Est-ce que tu t'étais un petit peu rendu compte qu'il y avait une crise dans les médias ?
- Speaker #1
Je n'avais pas vraiment compris que c'était à ce point-là, quoi. En deux années, je me suis dit, ça peut être ma ville, je ne sais pas.
- Speaker #0
Quand tu arrives en 2023 et que tu entends ce discours, est-ce que c'est vraiment une nouveauté pour toi ? Ou est-ce que tu as déjà entendu des choses ? Est-ce que tu es déjà un petit peu... alertée par les médias, par ce qu'on entend dire sur des décès, des faits divers ou ce genre de choses ?
- Speaker #1
Je pense qu'en 2023, je ne suis pas du tout sensibilisée par les médias à un problème. Par contre, j'entends mes amis me dire « j'ai pas eu de place en crèche » . Je pense que c'est assez compliqué de réaliser que le système de la petite enfance va mal, en fait, pour les non-initiés comme moi, comme les parents, parce que c'est vraiment contre-intuitif, en fait, de se dire que ça va mal.
- Speaker #0
Pourquoi ?
- Speaker #1
Je pense que c'est peut-être nos cerveaux logiques, tu vois, qui se disent En fait, c'est le système à qui je confie ce que j'ai de plus cher au monde, mon enfant. Donc, c'est forcément une priorité pour l'État, en fait. C'est forcément bien organisé. Je pense qu'il y a vraiment un côté très contre-intuitif dans le problème actuel. Et c'est ça aussi qui m'a fait réagir.
- Speaker #0
Alors, du coup, en 2023, elle te dit tout ça. Tu y vas quand même. Elle te donne une place. Tu y vas quand même. Oui. Et finalement, ça se passe bien aussi à ce moment-là. Comment on évolue jusqu'à la pétition ?
- Speaker #1
Donc, j'ai une place. J'ai la chance d'avoir cette place. Donc ma fille arrive dans cette crèche à six mois, je crois à peu près. C'est une plus petite crèche. Et comme j'ai entendu parler du sujet, je m'y intéresse en fait un peu plus. Je me pose des questions, donc je dépose plus ma fille, je ne sais pas. Je suis curieuse, en fait, je ne comprends pas trop. Je discute avec les professionnels, avec la directrice. Il y a des absences. Là, finalement, je vois une professionnelle le matin avec huit enfants. Je me dis que c'est quand même hyper dur. Moi, j'ai deux enfants à ce moment-là aussi, donc je ne m'imagine pas. garder 8 enfants, ne serait-ce que quelques heures, je trouve ça difficile. Je réalise que ça implique aussi tout l'être de garder autant d'enfants. Ce n'est pas seulement physique, c'est aussi psychologique. Il y a une vraie pénibilité derrière que je constate. Peut-être pour la première fois, je m'en rends vraiment compte. Finalement, ces enfants ne parlent pas. Elles doivent décoder sans arrêt leurs comportements, leurs signes, leurs cris pour les rassurer. Ça me semble... hyper difficile.
- Speaker #0
Donc là, tu commences à prendre conscience de certains enjeux du travail, de dire, il y a le groupe, la composition du groupe, la complexité de décoder, de décrypter, d'être attentif aux besoins et d'y répondre. Ok, donc là, j'imagine qu'on est début 2024, si j'ai bien compris. Et là, ça commence à s'aggraver. Il y avait eu quelques absences et puis tu sens que ça s'aggrave.
- Speaker #1
Là, je sens que ça s'aggrave parce qu'il y a des départs, des départs de professionnels. Et j'entends aussi, du coup, la voix des parents à côté des problématiques qu'ils rencontrent liées à ces départs et ces absences. De devoir garder les enfants à la maison, annuler une journée de travail, prendre un congé. Peut-être moins dans ma crèche, mais aussi dans d'autres crèches, parce que j'ai des amis qui ont leurs enfants dans d'autres crèches. J'entends aussi ça, j'entends ce son de cloche de beaucoup d'absences, etc.
- Speaker #0
Tu te rends compte que ça généralise, que ce n'est pas qu'une situation isolée.
- Speaker #1
Exactement. Et je me dis qu'il faut essayer de... de comprendre. On a tous besoin de comprendre à ce moment-là. J'ai vraiment envie de comprendre pourquoi rien ne change si on a un vrai problème, qui est aussi bien un problème de parent qu'un problème de professionnel.
- Speaker #0
À ce moment-là, tu décides spontanément de créer une pétition pour alerter. Est-ce que c'est quelque chose que tu avais déjà fait avant ou c'est une nouvelle idée ?
- Speaker #1
Je n'avais jamais fait ça. En fait, ça m'est venu un peu comme ça.
- Speaker #0
Ce n'est pas que tu es une militante dans l'âme depuis ta plus jeune enfance ?
- Speaker #1
Non, mais... Disons qu'en tant qu'ancienne avocate, j'ai eu cette proactivité, peut-être, de me dire qu'il y a quand même quelque chose d'absurde, d'aberrant. Je ne dis pas ce qu'il faut faire. Je ne suis pas du tout une professionnelle de ce secteur. Mais je dis qu'il faut faire quelque chose, en fait. Et qu'il faut vraiment le faire. Et qu'il faut le faire vite. Et ça, je pense que tous les parents sont d'accord avec ça. Tous les parents à qui on explique. Parce qu'il faut, comme je le disais en introduction, on met du temps en tant que parent. Et j'ai mis du temps à comprendre qu'il y avait un problème. On confie ce qu'on a de plus cher au monde aux professionnels. Et pourtant, tout le monde ne réalise pas ce qui se passe. Et concrètement, si je vais être très concrète, c'est un risque pour nos enfants, si on parle du côté des parents.
- Speaker #0
Quand tu parles de risque, qu'est-ce qui t'inquiète à ce moment-là ?
- Speaker #1
Je me dis, aujourd'hui, on sait tous, avec l'importance qu'ont pris les neurosciences, tout ce qu'on découvre. On le sait, c'est récent en plus. Tout ça, c'est très récent en fait. Ça vient d'un mouvement, je dirais, d'un changement sociétal majeur. qui est qu'on a pris conscience du rôle hyper important des interactions sociales, de l'attachement dans le développement du bébé.
- Speaker #0
C'est quelque chose auquel tu étais sensible, tu lisais des livres, des articles, tu suis peut-être des neuroscientifiques sur les réseaux.
- Speaker #1
Oui, un peu comme tous les parents aujourd'hui. On entend parler de beaucoup de choses. Oui, on a des réseaux sociaux, on voit passer plein de trucs. Maintenant, on sait beaucoup plus qu'avant que le bébé, quand il naît, il a des besoins énormes en termes émotionnels, d'attachement. On parle des mille premiers jours de vie. Tout le monde a entendu parler. Tout le monde le sait, on en entend parler.
- Speaker #0
C'est une bonne nouvelle de savoir que les parents, ça arrive jusqu'à eux. Donc je suis ravie d'entendre que pour toi, tous les parents d'après toi sont quand même relativement sensibles à tout ça. Et donc ta plus grande peur, si je comprends bien, c'était ce manque de lien, ce manque de soutien affectif pour l'enfant dans la crèche. Ce n'était pas forcément peur de violence ou de choses comme ça ?
- Speaker #1
Non, non, non. Pour moi, quand on ne peut pas faire quelque chose, on ne peut pas le faire en fait. Quand on ne donne pas les moyens à quelqu'un de faire son métier, on ne peut pas le faire. Donc, si moi, en tant qu'avocate, on ne me donne pas un stylo, une feuille et un bureau et on m'assoit dans l'herbe avec rien, je ne vais rien faire. Là, bon, c'est un mauvais exemple, mais en gros...
- Speaker #0
Non, c'est un bon exemple. J'ai compris ce que tu voulais dire. Toi, ce qui te faisait peur, ce n'était pas que les professionnels soient très, très mal ajustés, donc violentes ou qu'elles fassent du mal à ton enfant. C'était qu'elles n'aient pas les moyens de faire de la qualité d'accueil.
- Speaker #1
Exactement. Et je pense que c'est vraiment ça le sujet. Encore une fois, je ne suis pas une professionnelle, donc j'entends les choses. comme une non-sachante de ce secteur. Et ce que j'entends souvent dans les médias est beaucoup trop tourné vers ce sensationnel d'un accident grave. Mais ce n'est pas ça le sujet, en fait. On détourne la réalité des choses. On nous empêche, on empêche les gens de réfléchir à la vraie conséquence et des vraies raisons de cette crise de crèche. Ce n'est pas un enfant va mourir, ça arrive une fois tous les 50 ans. Ce n'est pas ça, en fait. C'est que des personnes ne sont pas mises en possibilité. de faire leur métier, alors que déjà, c'est un métier extrêmement difficile. Comme quand on construit une crèche, il faut que l'architecte consulte les personnes concernées pour savoir comment faire une salle pour accueillir les bébés, comment faire le lieu pour la sieste. Moi, je suis juste là pour constater que dans les médias, on ne s'intéresse pas assez à la vraie cause du problème. Et la vraie cause, c'est qu'en empêchant des professionnels, et ça, tous les parents doivent le savoir, comme les professionnels sont empêchés de bien faire leur métier, Les enfants n'ont probablement parfois pas assez de soutien. Et comme on sait que ce soutien est essentiel dans les premières années de vie, et que les crèches, c'est très récent, le système de crèche est extrêmement récent, pareil comme les neurosciences, on ne sait pas ce que ça va donner sur la génération de ces bébés qui deviendront bientôt adultes. Parce que pour le rappeler, le système des crèches, il est ultra récent. En fait, ok, les premières crèches, c'est post-Deuxième Guerre mondiale, mais les femmes ne travaillaient pas encore à cette période toute. Ça s'est vraiment développé dans les années.
- Speaker #0
Ça s'est répandu récemment, c'est ça que tu as dit. Il y a eu une explosion des crèches, ce qui explique aussi la pénurie de professionnels à laquelle on aboutit aujourd'hui. Entre autres, ce n'est pas que le fait qu'il y ait un désamour, il est là certes, mais c'est aussi un concours de plusieurs facteurs parce qu'on a fait énormément augmenter le nombre de crèches à un moment sans faire augmenter le nombre de professionnels. Donc, on s'est retrouvés dans une situation très tendue et ça a dégradé la qualité du travail. Alors, pas que ça. Il y a aussi le manque de financement et le manque de moyens. Donc c'est tout un tas de facteurs, c'est multifactoriel, qui a fait qu'on est arrivé à une crise aujourd'hui qui est sans précédent et qui est extrêmement grave. J'ai regardé ce matin, j'ai vu que tu avais dépassé les 19 000 signatures. Est-ce que tu sais comment ça se répartit ? C'est-à-dire, est-ce que tu as la possibilité de savoir si c'est plutôt des parents, etc. Ou bien tu sais juste qu'il y a 19 000 personnes ? Et qu'est-ce que ça a généré pour toi ?
- Speaker #1
Alors, je ne sais pas du tout. la proportion de parents et la proportion de professionnels ou autres grands-parents. Je pense qu'il y a un peu de tout.
- Speaker #0
Mais tu as des retours, tu as des interactions avec des gens qui ont signé, des commentaires sur les réseaux, je ne sais pas.
- Speaker #1
Oui, alors honnêtement, elle est récente cette pétition et c'est ça qui m'a le plus étonnée. J'aurais pu m'y attendre, mais je pense qu'il y a une espèce d'énorme consensus. C'est-à-dire que tout le monde à peu près est d'accord. J'ai eu des commentaires, mais moi je suis un peu nulle en tout ce qui est réseaux sociaux. Je n'utilise pas vraiment ni Instagram ni rien.
- Speaker #0
Oui, tu n'as pas cherché à vraiment lancer un mouvement, un groupement, etc. Tu voulais juste un message.
- Speaker #1
Je voulais surtout avoir la possibilité de dire que beaucoup de gens sont d'accord avec le fait qu'il faut changer les choses. Parce que moi, toute seule, je ne représente rien du tout. Mais à la force du collectif de cette pétition, c'est ça en fait. C'est la force de 19 000 personnes, parmi les personnes qui ont eu accès à cette pétition. Parce qu'encore une fois, je l'ai relayée, je n'ai pas de réseau sociaux particulier. Je ne suis vraiment pas... La seule force de cette pétition dont les gens ont pris connaissance sur Change, je pense, grâce au soutien de Change. Il y a eu 19 000 signatures. Donc, si aujourd'hui, quelqu'un doué dans les réseaux sociaux se met à la propager...
- Speaker #0
Il y a eu les pros de la petite enfance qui l'ont diffusée. Oui. Moi, en tout cas, je suis tombée dessus plus sur LinkedIn que sur Change. J'ai trouvé que c'était intéressant qu'il y ait des parents qui se mobilisent, puisque à ce moment-là, quand je l'ai vu, il y avait eu aussi deux pétitions de professionnels. Il y a eu la pétition du Rémi et la pétition de la Fédération française des entreprises de crèche. Est-ce que ces pétitions-là, tu les as vues aussi ?
- Speaker #1
Non. je les ai pas vus.
- Speaker #0
Ok, donc je vois qu'il y a vraiment une séparation entre le monde des pros et le monde des parents, donc c'est intéressant. En tout cas, voilà, moi j'ai vu les trois pétitions en même temps. Tu pourras regarder, je t'enverrai les liens. Il y a un mouvement où tout le monde, en fait, est un petit peu en détresse en ce moment. Les parents, les professionnels, c'est général, et tout le monde se tourne vers les politiques en disant « Au secours, faites quelque chose ! » La réaction est en cours. Est-ce que t'as un petit peu suivi ? les réformes qui sont annoncées et les projets qui ont été, pour l'instant, dévoilés.
- Speaker #1
Je ne m'estime pas assez compétente pour entrer dans le détail d'un débat autour de ces réformes-là. J'ai compris que ça divisait certaines personnes. C'est pour ça que je parle d'une table ronde. Je pense qu'il faut que tout le monde puisse s'exprimer et donner son avis.
- Speaker #0
Tu as vu que ça divisait, tu as vu qu'il y avait des désaccords et que c'était assez crispé. Bon, tu dis que tu ne te sens pas légitime, en fait, à donner un avis sur vraiment le fond des réformes, mais tu as quand même... Dans ta pétition, tu as quand même inscrit des éléments de réponse que toi, tu suggères. Est-ce que c'est toi individuellement ou vous avez fait un groupement ? Vous avez réfléchi à plusieurs ?
- Speaker #1
En fait, on y a réfléchi à plusieurs. C'est ce que j'entends aussi tout le temps autour de moi. Je pense que c'est quelque chose qui rassemble les parents et en tout cas, j'ai certaines professionnelles avec qui j'ai parlé, pas mal de professionnelles, qui me disent que pour ce qui est du taux d'encadrement, et là, très récemment, je crois que c'était la semaine dernière, il y a eu cette réunion au Sénat qui a parlé des systèmes nordiques. où c'est une professionnelle pour trois enfants. Il faut savoir qu'en France, c'est une professionnelle pour cinq enfants non-marqueurs et huit enfants marqueurs. Il y a une telle différence entre ces systèmes et la France. Moi, ça me semble complètement absurde qu'une professionnelle puisse garder cinq enfants comme ma fille de un an et demi, puisse s'en occuper et répondre à tous ses besoins. Ça me paraît impossible. Après, c'est ma vision et la vision des parents et des professionnels elles-mêmes à qui je parle, qui me parlent d'un problème de taux d'encadrement.
- Speaker #0
Je vais rebondir parce que je ne veux pas non plus... complètement plomber les auditeurs. Donc, je vais donner, moi, mon vécu de gestionnaire de crèche. Évidemment que c'est difficile. Je ne vais pas dire que c'est facile. Bon, de toute façon, le travail, ce n'est pas facile par principe, puisque le travail, c'est le travail et ce n'est pas les vacances. Donc, je ne vais pas essayer de dire qu'il y a une façon facile de faire ce travail-là. En revanche, ce que je peux dire, c'est que quand on le fait avec beaucoup d'entourage de l'équipe, c'est-à-dire que quand le terrain est extrêmement soutenu, qu'il y a une élaboration autour du travail de terrain, que c'est extrêmement pensé, organisé, qu'on a vraiment allégé la charge du professionnel en lui donnant des process, en lui expliquant comment il peut s'occuper des enfants, etc. Le travail devient plus faisable. Le souci, c'est quand on se retrouve démuni face à un groupe d'enfants et qu'il n'y a aucune réflexion qui a été menée sur la composition du groupe, les besoins de tel ou tel enfant. la spécificité individuelle de ces enfants-là. Par exemple, si tu es référente, si on est dans une crèche où il y a un système de référence, la professionnelle connaît extrêmement bien les cinq enfants, les familles, connaît tout l'historique, etc. Elle va avoir des réponses beaucoup plus pointues, appropriées, que si on est dans une crèche où tout le monde est polyvalent. Donc tu vois, il y a plein de façons, en fait, de répondre à cette problématique de taux d'encadrement. Et bien entendu, si demain, le ministère, enfin le gouvernement nous disait... qu'on va avoir 1 pour 3 en France, ce serait formidable, mais pour l'instant, je n'y crois pas trop, parce que ça fait une différence de budget qui est absolument colossale entre 1 pour 5, 1 pour 8, et tout d'un coup 1 pour 3. Donc je rassure quand même d'une certaine manière en disant, tout n'est pas perdu, on peut aussi travailler, il ne suffit pas d'avoir des bras et de dire il faut plus de bras, mais on peut aussi travailler sur la façon dont on accueille et dont on soutient nos professionnels sur le terrain. Et ça, c'est vrai que... Aujourd'hui, il y a des progrès à faire sur le management, la formation et ce qu'on met en place autour du professionnel pour qu'il puisse accueillir son groupe dans de bonnes conditions. Donc ça, c'était juste mon vécu de gestionnaire que je voulais apporter sur le taux d'encadrement pour donner de l'espoir sur le terrain.
- Speaker #1
Ce que tu dis là, je le comprends. D'ailleurs, comme tu le dis, je pense que pour qu'on arrive à un pour trois, il faudrait déjà qu'on puisse recruter.
- Speaker #0
Déjà, ça n'existe pas aujourd'hui. Ils n'existent pas ces gens-là.
- Speaker #1
Exactement. Donc, je crois qu'il faut partir de la formation d'abord. Il y a un problème de rémunération, il y a un problème de formation. La rémunération des professionnels de la petite enfance me semble improbable. Demain, on parle de milliers de métiers qui vont être remplacés par l'IA, l'intelligence artificielle. On en entend parler tous les jours de ça, ça va remplacer tous les métiers de bureau, même le mien. Beaucoup de métiers qui aujourd'hui sont des métiers qui certes peuvent demander beaucoup de travail, mais nous on peut, moi je peux prendre, si je suis épuisée ou que j'en peux plus, je peux prendre une pause quand je veux. Je peux m'arrêter deux ans, je peux me mettre en télétravail un jour. Ces métiers-là qui vont être amenés à peut-être disparaître, j'en sais rien, ces métiers du care, de la petite enfance, de s'occuper d'autrui, que l'on soit aussi dans les maisons de retraite, ces métiers-là vont au contraire être complètement revalorisés. À mon avis, c'est ceux qui ne disparaîtront jamais, et au contraire du coup, ils vont prendre de la valeur. Donc c'est dans une perspective d'un changement qui va bientôt probablement arriver, qu'on doit prendre les devants en formation, en rémunération. Je pense qu'on doit prendre les devants, attirer, fidéliser des professionnels. Ça crée des places en crèche, ça fait en sorte que les parents peuvent déposer leur enfant, avoir une place. Ça fait en sorte de réduire les inégalités entre les hommes et les femmes, parce que souvent, trop souvent, c'est encore la femme qui s'arrête de travailler, quand il n'y a pas de mode de garde. Ça réduit les inégalités sociales, parce qu'aussi il y a ce sujet qui est vraiment important. On remarque quand. La femme arrête de travailler, c'est souvent aussi dans des milieux sociaux pauvres. Enfin, tout ça, en fait, il y a tellement d'enjeux sociétaux au milieu d'un simple débat autour des places en crèche.
- Speaker #0
Oui, en fait, tu as vraiment pris conscience de tous les enjeux, non seulement sur le terrain pour les professionnels, mais aussi dans la société. Est-ce que tu as un point de vue sur la typologie des crèches ? Là, tu es dans une crèche publique. Est-ce que tu as des a priori ou un point de vue ? Ou est-ce que tu te sens légitime, en tout cas ? à avoir un point de vue, parce que je ne sais pas si tu en as entendu parler, mais il y a énormément de polémiques sur les statuts des crèches en ce moment, privées, publiques.
- Speaker #1
Moi, je n'ai aucun a priori. En fait, d'un point de vue de parent, tu vois, je confie mon enfant à quelqu'un, que ce soit une crèche publique, privée, une assistante maternelle. Pour moi, c'est pareil, en fait. Tout le monde devrait être un peu sous la même enseigne et avoir les mêmes moyens.
- Speaker #0
Ce que j'ai pu voir dans ta pétition, c'est que tu détailles aussi l'importance des modes d'accueil pour la société. Donc là, tu en as parlé pour l'égalité homme-femme, pour le travail des parents, etc. Pour la vie économique, pour le bien-être aussi des familles. Donc, pour toi, c'est important d'avoir une place en crèche. C'est-à-dire que tu en es contente d'avoir eu des places. Aujourd'hui, je ne sais pas si tu as entendu ça, mais on entend parler du « quoi qu'il en coûte » . C'est-à-dire que dans l'administration, il y a des personnes qui disent « il vaut… » mieux faire une réforme qui va aboutir à la fermeture des crèches, mais qui permet d'avoir une meilleure qualité d'accueil. Coûte que coûte, on va mettre en place des contraintes, et si les crèches ferment à cause de ces contraintes, eh bien tant pis. Au moins, on va réduire les risques d'avoir de la mauvaise qualité. Est-ce que ce quoi qu'il en coûte, tu penses qu'il est judicieux ? Est-ce que tu penses qu'il est pertinent ? Ou est-ce que tu penses que les parents aujourd'hui... ne sont pas du tout prêts à l'entendre, qu'on va avoir encore moins de place.
- Speaker #1
Pour moi, c'est un vrai problème, ça. C'est vraiment déporter le problème, d'ailleurs. Ça me paraît totalement déraisonnable, en fait. Puisque aujourd'hui, les parents ont besoin de place en crèche. Les parents travaillent aujourd'hui. Normalement, le père et la mère, c'est l'évolution de notre société qui veut ça. Société dans laquelle un citoyen, aujourd'hui, doit travailler. Donc, si demain, cette réforme passe, ça va avoir un impact énorme sur les parents. Ce quoi qu'il en coûte, il n'a aucun sens maintenant.
- Speaker #0
T'imposerais en fait un cadre auquel on sait que les crèches ne pourront pas répondre, en tout cas une partie, et donc on dit voilà on va augmenter les contraintes pour augmenter la qualité, quitte à ce qu'on ferme des crèches.
- Speaker #1
On va mettre sur le carreau beaucoup de parents. On prend les choses pas dans l'ordre. C'est-à-dire qu'aujourd'hui on est dans un système qui marche quand même, enfin en tout cas se dégrade. C'est-à-dire qu'il faut modifier les choses à partir du financement en fait. Il faut financer plus. payer plus les professionnels. Il faut que leur rémunération soit revalorisée. C'est ça, le départ. Comme je te le disais, je pense qu'il faut tous se mettre autour d'une table et prendre les choses dans le bon ordre. Ça ne va pas se faire en deux jours, un changement de ce système. Ça ne va pas se faire là, même pas en six mois. C'est pour ça aussi que parfois quand je parle de la pétition à d'autres parents, ils me disent « Ah, ce serait tellement génial d'avoir des places l'année prochaine ! » Je dis « Non,
- Speaker #0
mais je ne suis pas sûre que ça... » Non, là, on n'en est pas là.
- Speaker #1
Mais il faut être réaliste. Là,
- Speaker #0
aujourd'hui... On a constaté en tout cas dans les crèches privées une baisse de 45% des créations de places en 2024 par rapport à 2023. Donc tu vois, avant il y avait des créations de places qui étaient assez régulières, voire en augmentation tous les ans. Et là en fait on est sur moins 45% d'ouverture, alors que les annonces du gouvernement c'était qu'il fallait ouvrir 200 000 places avant 2030. Là on n'est plus du tout du tout sur ce type d'objectif je pense. En tout cas, la crise s'est énormément accentuée. Aujourd'hui, en tant que maman qui a un enfant en crèche, depuis cette pétition, est-ce que les choses ont changé ? Comment ça se passe ? Est-ce que toi, ta fille, elle est toujours accueillie ? Et est-ce que ça se passe bien ?
- Speaker #1
La crèche de ma fille n'était pas du tout inquiétante. Je reviens dessus encore une fois pour que le discours soit très clair. Ça m'a permis de prendre conscience des difficultés de ce métier et d'avoir envie d'agir avec d'autres parents pour aider les professionnels à obtenir des changements. Très concret, moi je suis très concrète, c'est augmenter leur salaire, prendre en compte leur pénibilité, restaurer une reconnaissance. Moi, ma fille, elle est extrêmement heureuse dans cette crèche. D'ailleurs, c'est assez impressionnant parce que moi, je suis plutôt très admirative de leur courage. Ma fille, elle est ultra épanouie. Elle a le système dont vous parliez tout à l'heure de référent. La directrice a mis en place un projet pédagogique très solide, incroyable. C'est une directrice que j'admire aussi beaucoup. Moi, je trouve qu'elles prennent beaucoup sur elle, toutes ces personnes. C'est ça que je trouve remarquable. ancienne avocate en droit du travail et juriste en droit du travail aujourd'hui, j'ai une petite expérience dans différentes revendications de différentes personnes qui travaillent dans différents métiers. J'avoue que là, je suis admirative de leur résilience, de la résilience des directrices, des professionnels, alors que pour moi, c'est un secteur qui est crucial, central et qui devrait être prioritaire.
- Speaker #0
Et d'ailleurs, ta pétition maintenant, elle va bientôt être clôturée. Elle a quand même été beaucoup, beaucoup relayée et signée. On a un nombre de signatures qui est important. Donc, tu vas être peut-être être reçue par Sarah El Haïry, là, au commissaire ?
- Speaker #1
Ben, j'espère. En tout cas, je pense que chaque citoyen, même sans une pétition signée à 19 000 signatures, doit pouvoir être reçue par les personnes qui ont été élues par les citoyens. Donc, j'espère être reçue, j'espère pouvoir porter cette voix des parents, en soutien aux professionnels. On veut la même chose. Je pense que tout le monde veut la même chose. En fait, d'ailleurs, c'était mon plus grand étonnement de constater un tel immobilisme sur un sujet qui, pourtant, concerne tout le monde, tous les gens. qui ont des enfants ou qui en ont eu ou qui en auront ou qui en ont eu il y a très longtemps, comme les grands-parents. Ça concerne tout le monde, c'est un investissement pour l'État. Comme je le rappelle dans ma pétition, c'est un investissement rentable. Il y a eu des études là-dessus. Voilà, je me suis juste vraiment questionnée.
- Speaker #0
Si tu es reçue par Sarah El Haïry, j'espère que tu vas pouvoir justement insister sur la valeur que ça a et l'impact que peut avoir l'investissement dans la petite enfance. Et j'espère aussi que tu vas pouvoir leur dire que non, ce n'est pas possible de laisser des places de crèche fermées, que les parents en ont besoin. En tout cas, nous, tu vois, on y tient beaucoup à nos crèches. Moi, je suis passionnée par le travail dans la petite enfance et dans les crèches. Donc, j'ai du mal à voir les crèches fermées. Il y a des crèches qui, en ce moment, sont en grande difficulté à cause du manque de moyens, à cause de l'inflation, à cause de la pénurie de professionnels, n'ont plus assez de ressources pour augmenter les salaires. Donc, forcément, il peut y avoir aussi des départs, du désamour de la profession. Donc, c'est un cercle vicieux. qui s'installent parce que quand on a moins d'argent, on peut aussi moins mettre de choses en place pour retenir notre équipe. Donc ce désamour de la profession, il est en train de s'aggraver, de faire effet boule de neige. Mais pour autant, on les aime nos crèches et on n'aime pas les voir fermer. Donc je trouve ça vraiment chouette qu'il y ait des parents qui se battent aussi pour nous. Donc je suis derrière toi et j'espère que tu vas pouvoir aller voir Madame El Haïry.
- Speaker #1
Merci beaucoup Amal. D'accord avec tout ça. Et pour moi... toutes les personnes qui ont signé cette pétition, c'est aussi très important que nos crèches restent ouvertes, dans de bonnes conditions, avec des conditions de travail et de rémunération décentes, et à la hauteur de la difficulté des métiers.
- Speaker #0
Tu me tiens au courant de l'avancée du projet et on relaiera sur LinkedIn et sur le podcast. À bientôt Mathilde, au revoir.