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Rôle Titre - femmes de fiction

Arlette (Minyana) Chambre à coucher l'indicible

Arlette (Minyana) Chambre à coucher l'indicible

22min |23/04/2024
Play
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Rôle Titre - femmes de fiction

Arlette (Minyana) Chambre à coucher l'indicible

Arlette (Minyana) Chambre à coucher l'indicible

22min |23/04/2024
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Description

“Tu te rends compte avoir enfin des souvenirs et pas les aimer.” Arlette.
La marginalité est le thème de fond de cet épisode qui s’écoute comme un cri saisissant du fond d’une chambre d’un HLM, d’un asile ou d’un centre d’hébergement. Au programme :
- les fragments qui composent Arlette, humaine reconstituée tant bien que mal
- mon cheminement pour travailler un rôle où se côtoient le banal et l’épique, le funèbre et le grotesque
- ce qu’Arlette nous apprend sur les monstres qui surgissent des marginaux qu’on croise chaque jour
Bonne écoute

📢 Rôle Titre c’est aussi :
Une newsletter
: du contenu exclusif sur chaque héroïne en avant-première des épisodes. ⏩⏩S’abonner : https://bit.ly/NLroletitre
Un compte Instagram : pour discuter, apprendre, se marrer, vous connaissez le principe… ⏩⏩Rejoindre la commu : https://www.instagram.com/roletitre/
Un
compte Ko-fi : une plateforme qui vous permet de soutenir le podcast par un don du montant de votre choix (CB, Paypal…). ⏩⏩Faire un don : https://ko-fi.com/roletitre 

🔎 Références sources :
Théâtre (Texte intégral): Chambre 3 : Arlette, Chambres,  Philippe Minyana, 1986, créée au Théâtre Ouvert
Théâtre (extraits) : Lettre aux acteurs, Valère Novarina, 1973

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Captation : Chambre 3 : Arlette, Théâtre Tristan Bernard, 2019, mise en scène d’Isabelle Rattier, interprétée par Camille Forbes 
Interview : Philippe Minyana interrogé par Vents contraires la revue en ligne du Théâtre du Rond-Point, 2013
Musique : Ouverture du ballet Notre-Dame-de-Paris, chorégraphie de Roland Petit, musique de Maurice Jarre, 1965


©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans Rôle titre, le podcast des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe, je suis comédienne et je vous emmène à la rencontre d'une héroïne. Pour profiter du son binaural, mettez votre casque aux vos écouteurs. Entrez en immersion sonore dans son univers. Cet épisode existe pour faire entendre sa voix. Alors j'espère que vous aussi, vous garderez un fragment d'elle.

  • Speaker #1

    Ça a débordé, c'est tout !

  • Speaker #0

    Arlette est dans sa chambre. Et elle parle à Kiki.

  • Speaker #1

    Il me reprochait son développement psychomoteur,

  • Speaker #0

    Kiki.

  • Speaker #1

    Il me reprochait ça, son développement psychomoteur.

  • Speaker #0

    Ainsi commence son histoire, directe. Comme un boulet de canon. Sans il était une fois De quel genre de chambre s'agit-il ? Chambre d'hôtel ? Chambre à coucher ?

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que t'as pas à foutre ?

  • Speaker #0

    Chambre d'hôpital psychiatrique, plutôt. Médicalisée à la rigueur. Surveillée à coup sûr. Arlette a la rage au ventre. Elle est isolée parce qu'elle est folle. Message de service. Rôle titre n'est pas une fiche de lecture, mais révèle tout de même l'histoire de ces héroïnes. Alors ça va spoiler. Rôle titre, c'est aussi une newsletter et des réseaux sociaux pour approfondir le podcast. Toutes les sources sont dans les notes de l'épisode. Mais pour l'instant, il est l'heure, pour rôle-titre, d'entrer en scène. À partir de quand devient-on marginal ? Est-ce qu'on décide de vivre en marge de la société ou on y est poussé par les autres ? Peut-on l'être dès la naissance sans l'avoir choisi ? Comment tracer cette frontière qui sépare les gens normaux, des fous et des monstres ? Philippe Mignana, dramaturge de notre époque, a beaucoup travaillé sur le fait divers, les événements tragiques du quotidien et de l'intime qui se jouent derrière les portes de nos maisons. Dans Chambre texte écrit en 1986, il crée six personnages, un homme et cinq femmes. Chacun a son monologue et nous raconte son drame. Parmi eux, Arlette, une femme folle qui tente de recomposer les morceaux de son existence brisée. Vous écoutez Rôles Titres, l'épisode Arlette, chambre à coucher l'indicible. Arlette est un personnage particulier, différent d'un rôle de théâtre comme on peut l'entendre. On sait peu de choses sur elle. Son existence tient en 1877 mots exactement. Ça fait un monologue d'aller 10 minutes maximum. Elle entre en scène, déballe tout ce qu'elle a à dire et c'est fini. Je ne crois pas qu'on puisse comprendre ni connaître quelqu'un en dix minutes. En revanche, ça suffit pour être marqué à vie par une histoire. Le récit d'Arlette comporte beaucoup de violence, de drame, de fractures. Et comme souvent chez Mignana, à un moment, il y a un point de non-retour, particulièrement atroce. Je ne vais pas révéler ce moment dans cet épisode, pour vous laisser l'occasion de lire l'histoire d'Arlette et d'en être frappée comme je l'ai été la première fois que je l'ai lue, à 13 ans. Vous pouvez donc continuer tranquillement votre écoute, mais je vous invite avant ou après à lire le texte intégral disponible en description. Prenez le temps de lire cette vie en 1877 mots. Le parcours d'Arlette est anarchique. Il ne faut que quelques secondes pour comprendre que sa vie a été très accidentée. Sa parole fuse, par bribes, on dirait un reportage BFM TV qui va de catastrophe en catastrophe et diffusée en accéléré. À un moment,

  • Speaker #1

    ça a débordé, c'est tout. Il me reprochait son développement psychomoteur,

  • Speaker #0

    Petit.

  • Speaker #1

    Il me reprochait ça, son développement psychomoteur.

  • Speaker #0

    Et mon enfance,

  • Speaker #1

    à moi. Ils ont voulu tout savoir sur mon enfance. Mais qu'est-ce que ça peut leur foutre ? Une cerf dans le Jura.

  • Speaker #0

    L'écriture de Mignana est particulière, empointillée. En plus, le récit d'Arlette est décousu, ça saute d'un sujet à l'autre et on n'a pas tous les morceaux. Arlette est une héroïne à reconstituer. Arlette n'est pas seulement chaotique, rapidement l'évidence s'impose, elle est folle. Elle n'a pas simplement une difficulté à reconstituer le récit, il y a de vraies incohérences dans son discours, et de vrais trous dans sa mémoire, avec une bonne dose d'impulsion violente. Pas de souvenir.

  • Speaker #1

    Ils m'ont dit le Jura c'est vert, il y a des vaches, je leur ai foutu un pot de moutarde à travers la gueule. À la maison familiale de Sochaux, tu leur parles de moi, ils te parlent des pots de moutarde.

  • Speaker #0

    Impossible d'imaginer ce qui a pu se passer de si terrible, mais il s'est passé quelque chose. Quelque chose qui l'a définitivement endommagée. À moins qu'elle ait toujours été comme ça. Ce genre de folie est facile à reconnaître. Arlette est folle parce qu'elle a perdu contact avec la réalité. Elle est devant nous, mais elle n'est plus avec nous. Elle parle à Kiki, mais on ne sait pas qui est Kiki. Elle est dans un lieu familier, une chambre. Elle nous parle du monde qui l'entoure, mais on l'a perdue. Je crois que je me suis liée à Arlette précisément parce qu'elle est folle. Sa folie lui donne une place particulière, par rapport aux autres personnages de chambre, je veux dire. Ce qui est sûr, c'est que dans les six monologues, Mignana aborde des sujets durs, de violence intrafamiliale, de deuil, d'inceste, de trahison. C'est une réflexion globale sur la place des marginaux, les destins brisés de la société. Et on ne devrait jamais hiérarchiser la souffrance, mais sur les six, je ne dirais pas forcément qu'Arlette a la pire des histoires, la plus horrible. Par contre, c'est la seule à être folle. Les autres personnages racontent des atrocités, ils sont choqués, parfois ils revivent leur trauma, mais ils ont toutes leurs têtes. Arlette, elle nous raconte très vite qu'elle a des problèmes de souvenirs.

  • Speaker #1

    Déjà que j'ai pas de souvenirs d'enfants.

  • Speaker #0

    Elle a des trous. Une amnésie pour oublier un trauma, je comprendrais. Mais étrangement, il y a des bons souvenirs qui sont partis et des mauvais qui sont restés.

  • Speaker #1

    Alors ils m'ont dit et la colonie de vacances de Moutier Pourquoi je parlerais de la colonie de vacances ? C'est un souvenir que je n'aime pas à cause de David.

  • Speaker #0

    Et en particulier, l'événement horrible qui a fait basculer Arlette. Elle s'en souvient très bien, par exemple. Elle n'est pas dans le déni. C'est cette mémoire en miettes que je retiens d'Arlette. C'est un rôle où je ressens qu'elle est autant brisée par tous les drames qu'elle a traversés que par cette perte de mémoire. Quel genre de vie on peut avoir quand il vous manque tant de souvenirs ? En perdant la mémoire, Arlette a perdu tout un pan de son identité. Elle est amputée d'une partie de son humanité, et c'est ce qui la met à l'écart. C'est ce qui fait d'elle une marginale. J'ai retenu Arlette plus que les autres personnages, car la mémoire est quelque chose de très important pour moi. Quand je vois Arlette, je ne vois pas la souffrance en premier, alors que Dieu sait qu'elle a morflé. Je vois d'abord le trou. La béance. Arlette est isolée parce qu'elle est folle, et elle est folle parce qu'elle a oublié. Aussi terrible que soit son histoire, j'ai rencontré Arlette quand j'avais 13 ans et elle est entrée très facilement dans ma vie. En fait, j'ai travaillé le rôle en colonie de vacances, là où je faisais du théâtre pendant un mois chaque été. La prof de théâtre m'a donné à lire Chambre et Arlette m'a tapé dans l'œil. Je l'ai sûrement choisie aussi pour des raisons futiles. J'aimais bosser les monologues, j'aimais avoir beaucoup de textes. J'aimais occuper la scène seule avec ma parole. J'ai aimé aussi tous les atomes crochus que j'avais avec Arlette. Elle a grandi dans l'Est de la France, comme moi. Elle parle d'une colonie de vacances. Je trouvais que c'était un signe. Elle aime cueillir des framboises. J'avais compris l'horreur de sa situation. Et ça me plaisait. À 13 ans, j'avais une passion pour les faits divers sordides. C'était même la seule rubrique que je lisais dans le journal. Et puis il y avait des passages du texte que je trouvais drôles. Arlette parlait Kiki, on ne sait pas qui est Kiki. Alors j'avais décidé que Kiki, c'était une plante verte. Et je trouvais ça hilarant, surtout pour la dernière réplique. J'imaginais Kiki comme un glaïeul géant et j'arrivais à faire rire mon public avec une histoire horrible. Et même si je ne reprendrais pas certains de mes choix artistiques d'adolescente, je crois que j'avais déjà compris deux-trois choses sur Arlette. Dans un dossier du Cairn, que vous retrouverez en description, Philippe Mignana partage quelques analyses sur son écriture. Il explique que les rôles fragmentaires comme Arlette ne sont pas vraiment des personnages comme ceux qu'on a l'habitude de suivre tout au long d'une pièce de théâtre. Il les appelle des figures, et il les compare aux panneaux ou aux fresques du Moyen-Âge et de la Renaissance. Ces pièces fragments seraient conçues à la manière d'une série de tableaux unis par des thèmes. Lorsqu'on les additionne, on a l'histoire au complet. Mais entre les panneaux 1 et 2, il s'est passé du temps que l'on n'a pas pris en compte. C'est ce discontinu-là qui m'intéresse. Il ajoute Ces figures éternelles et archétypales ont du sens et de l'énergie. Elles me touchent par leur contenu dramatique ou grotesque. J'aime parcourir les deux aspects, la farcerie et le drame, le funèbre et le grotesque. Ces deux couleurs vont ensemble et fabriquent le réel, donnent l'effet de réel. Fin de citation. C'est pour ça qu'on rigole. Arlette est cette figure étrange, marionnette désarticulée, pas tout à fait humaine mais pourtant réelle. Elle est funèbre et grotesque. Et puis la place d'Arlette a évolué dans ma vie, parce que je l'ai jouée sur scène à nouveau il y a cinq ans, cette fois en allant plus loin que la figure que j'avais laissée en colonie de vacances. Un axe de travail de ma metteuse en scène qui m'a beaucoup apporté, c'était Incarner Arlette, pas seulement sa pensée Autrement dit, la faire exister par le corps et par le cœur. Heureusement, depuis mes 13 ans, j'avais lu La lettre aux acteurs de Valère Novarina. Pas tout couper, tout découper, en tranches intelligentes, en tranches intelligibles. Phrases découpées en sujets, verbes, compléments d'objets. Le jeu consistant à chercher le mot important, à souligner un membre de la phrase pour bien montrer qu'on est un bon élève intelligent. Alors que... Alors que... Alors que la parole forme plutôt quelque chose comme un tube d'air. Une colonne à échapper irrégulière, à spasme, à vanne, à flot coupé, à fuite, à pression. Où c'est qu'il est le cœur de tout ça ? Est-ce que c'est le cœur qui pompe ? Fait circuler tout ça ? Le cœur de tout ça, il est dans le fond du ventre, dans les muscles du ventre. Ce sont les mêmes muscles du ventre qui pressent boyaux et poumons nous servent à déféquer ou à accentuer la parole. Faut pas faire les intelligents, mais mettre les ventres, les dents, les mâchoires au travail. Eh ben ça tombait bien, parce que Arlette ne nous sert pas vraiment des tranches intelligibles, sa psychologie est instable et sa pensée pleine de trous. Alors on s'est mis au travail un peu différemment. Comment faire ? Pour jouer un personnage dont la pensée part dans tous les sens, saute dans le temps, entre l'enfance, les traumas, le moment présent, répète, reboucle et revient en arrière. J'ai pas la science infuse. Mais je vous partage quelques outils de comédienne qui m'ont été bien utiles. Déjà, on dégage la ponctuation. Là, c'est même déjà fait parce que Miana ne met quasiment pas de ponctuation dans ses textes. Ça permet de trouver de nouvelles respirations, pas trop intellectuelles. Ensuite, j'ai travaillé avec des images et sur la mémoire du corps. Arlette ne construit pas son discours. C'est son discours qui est plus fort qu'elle. Il faut que ça sorte. Il n'y a pas à articuler une pensée et encore moins intelligente. En revanche, par la répétition, le corps se souvient. Je joue la scène dix fois et la onzième fois. Au moment où il faudrait penser au paysage du Jura ou aux framboises dont Arlette parle, l'image du Jura et des framboises arrive toute seule. C'est magique. Et puis... se servir du corps pour garder l'énergie, la rage, trouver les accélérations, mettre les ventres au travail, comme dit Novarina. Pour ça, j'ai joué Arlette en déambulant. Ça a été très révélateur. Quand ma metteuse en scène m'a demandé de jouer la scène en marchant sans arrêt, sans m'en rendre compte, je me suis mise à boiter. La pensée d'Arlette était tellement discontinue que je n'arrivais pas à faire marcher droit le personnage. À force de travail, en distinguant le corps et la pensée, j'ai pu faire tenir debout mon héroïne. S'appuyer sur sa pensée, c'était trop casse-gueule. Mais le corps d'Arlette, lui, il va bien. Il est concret. Et présent. Honnêtement, c'était difficile en tant que comédienne de ne pas chercher à boucher les trous dans l'esprit d'Arlette. D'habitude, mais ça prouve bien qu'il n'y a pas d'habitude à avoir en théâtre. D'habitude, j'adore construire le passé de mon personnage, ses rapports aux autres personnages, lui donner de l'épaisseur. En général, il y a plein d'indices dans la pièce, et ce qui n'est pas écrit dans la pièce, on peut et on doit l'inventer en tant que comédienne. Par exemple, si je vous dis que vous jouez un personnage de 40 ans, même si la pièce n'aborde jamais son enfance, le personnage, lui, il a vécu 40 ans de sa vie. Donc c'est utile que vous ayez au moins posé dans les grandes lignes ce qui l'a affecté dans son enfance. C'est ça que j'appelle travailler l'épaisseur du personnage, pour pas ensuite jouer juste en surface ce qui est en train de se passer sur scène. Mais là, avec Arlette, ça marche pas. Elle a pas d'épaisseur. Elle a pas de souvenirs d'enfance, ou très peu.

  • Speaker #1

    À part les bonnes sœurs de Lonce ! J'avais pas demandé chez ces bonnes sœurs. Ceux de la ferme, ma maison d'accueil, qui ont dû dire foutez-la chez les bonnes sœurs, Arlette ! Alors j'étais chez les bonnes sœurs, point.

  • Speaker #0

    Alors les images, les situations, ça lui fait quelque chose, elle ressent bien sûr. mais il y a toute une part d'elle à laquelle elle n'a pas accès. Et lui créer des souvenirs, ou lui créer une continuité, c'est tricher. Et surtout, c'est pas elle. Au départ, ça me donnait l'impression de jouer un net de papier, un papier plein de trous, tout fin, sur des fondations hyper fragiles. Alors on lui a donné un corps solide à Arlette. Ça, c'était pour que moi, la comédienne, je me casse pas la gueule. Et j'accepte de jouer les trous. Et puis je me suis rappelée que la béance, C'est ce qui m'avait frappée et plu en premier chez Arlette. Y'a pas à tortiller Camille. Pour que le public voit les trous... Il faut laisser les trous. Ok, tout ça c'est intéressant pour la comédienne qui travaille. Enfin bon, j'espère que ça vous a intéressé aussi. Mais pour le public, c'est quoi le but de mettre une figure comme Arlette sur scène ? Je suis tombée sur une page web qui présentait Arlette comme un personnage à la fois banal et épique. Après funèbre et grotesque dont on a parlé tout à l'heure, j'ai trouvé que c'était une autre formule très juste. Banal et épique. Le théâtre classique nous donne de grandes héroïnes épiques, Antigone, Médée, Electre, Andromaque. On a l'habitude que ce théâtre nous montre comment nous, des petits êtres humains insignifiants, nous pouvons nous sentir proches de ces héroïnes au destin pourtant incroyable et ressentir les mêmes passions qu'elles. Là, c'est l'opération inverse. Comme héroïne, on a Arlette, femme de ménage, Mère de David et Lulu, et son rêve d'une grande banalité s'est posé avec un homme patronase dans une maison avec jardin.

  • Speaker #1

    Gérard, c'était comme mon deuxième prince charmant avec Gérard, je m'étais dit la maison, les enfants. Donc Lulu, c'est Gérard, t'as compris ? Un jardin et des framboises, je voyais que ça dans le jardin, des framboises. Dans le jardin, il y avait des framboises, je m'en souviens de ça.

  • Speaker #0

    On n'est pas sur le mont Olympe, mais à Sochaux. Cité industrielle des années 70 Quand soudain, le destin d'Arlette bascule dans le fait divers et devient hors du commun, extraordinaire C'est toute la démarche d'écriture de Philippe Mignana

  • Speaker #2

    Et chaque fois que je crée une pièce, je m'interroge pendant des mois avant d'y aller. Parce que, soit il y a un fait divers qui m'a frappé, comme récemment les cochons à Shanghai, dans les rivières. Il y a des cochons morts partout. Toute l'alimentation est foutue. Les gosses naissent dans les endroits où on fait des jeans sans bras, sans yeux. Il y a des tragédies comme ça, énormes, du monde, qui nous saisissent, dont on fera quelque chose peut-être. Après, il y a tous les souvenirs, il y a toute l'histoire personnelle. Il y a les maisons, il y a les chambres, il y a la maladie, il y a les soupirs, il y a les pleurs, il y a les volets qu'on ouvre, qu'on ferme, en fait, les saisons, les quatre saisons. Tout ça, on a envie de transmettre, de le donner, de le mettre en partition.

  • Speaker #0

    Là. La petite vie banale à laquelle personne ne prêtait attention devient ce truc énorme, mythologique. Vous assistez à la naissance d'un mythe et même d'un monstre. Dans Rôle titre, j'ai l'habitude de me demander comment des héroïnes de fiction interviennent dans notre quotidien. Comment nous gagnons à les connaître pour les convoquer ou les prendre pour guide ? Par exception, Arlette, c'est pas un rôle à prendre pour guide. C'est un rôle d'avertissement. Un panneau danger de ce qui peut résulter de monstrueux d'une vie banale laissée à la dérive. Par son histoire, Arlette témoigne de nombreuses violences sourdes faites aux enfants, aux femmes, aux laissés pour compte. Les rêves de princes charmants, les injonctions à la maternité, les hommes qui ne sont pas à la hauteur ou... Les porcs qu'il faut castrer, pour reprendre les mots d'Arlette. La défaillance des structures sociales.

  • Speaker #1

    C'est ça leur processus. Les mères sans leurs enfants. Les enfants chez des nourrices, des nourrices qui te les foutent chez les bonnes sœurs.

  • Speaker #0

    La solitude, simplement. Est-ce que tu m'aimes, Kiki ? Toujours. J'ai toujours entendu rire dans le public, quand Arlette se raconte. Par ses décalages ? Parce qu'elle est banale et épique, funèbre et grotesque ? Par gêne sûrement aussi. Et même quand on arrive au point culminant, à la fin de son monologue, il y a un rire d'effroi dans la salle. L'écoute du public est très forte à ce moment-là. Mais c'est trop tard. On parle de l'indicible, d'un des plus grands tabous de toutes les sociétés. Et comme c'est Arlette la folle qui raconte, Ça ajoute à son mystère, à sa mythologie. Du trou béant a surgi le monstre. Et jusque-là, on ne l'écoutait pas vraiment. Pendant toute sa vie, pendant tout le début de son récit, la pensée d'Arlette était boiteuse, déformée. Mais on la voyait comme... comme un Quasimodo mental. Et Quasimodo est inoffensif. Qui s'en méfierait ? Pour conclure, Je vous lis un extrait de la préface de Chambre, écrit par Noël Renaud. Peut-on dire qu'on a croisé un jour, dans la rue ou ailleurs, l'un ou l'autre des personnages de Chambre ? Au premier abord, on dirait que oui. Peut-être que ces silhouettes nous disent quelque chose. Et puis au deuxième abord, on se dit que ces gens-là approchent plus du monstre mythologique que de l'humain répertorié. Ils sont exclusivement ce qu'ils émettent, et ce qu'ils émettent, c'est de la parole en fusion. Un tricotage de bidules existentielles ficelées dans l'urgence, et sans aucun souci hiérarchique. Philippe Mignana donne la parole aux marginaux. Ils sont parmi nous, on les croise, ils nous disent quelque chose, c'est vrai. Il y a un double sens ici, car littéralement, ils montent sur scène et ils viennent dire leurs choses. Arlette est un rôle qui m'accompagne depuis des années. Elle me dit des choses rarement claires. C'est flou, comme sa pensée. Mais j'essaye de l'écouter. Et vous ? Elle vous dit quelque chose, Arlette ? Est-ce que vous l'écoutez vraiment ? Merci d'avoir écouté Rôles Titres. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. 1. Vous abonner à Rôles Titres sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles si c'est Apple Podcasts ou Spotify. 2. Rejoindre la newsletter de Roll Titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant 3. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode Une dernière chose Roll Titre abrite les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous Parlez du podcast autour de vous, partagez ces épisodes sur les réseaux sociaux c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, faites entendre sa voix, faites résonner au titre.

Description

“Tu te rends compte avoir enfin des souvenirs et pas les aimer.” Arlette.
La marginalité est le thème de fond de cet épisode qui s’écoute comme un cri saisissant du fond d’une chambre d’un HLM, d’un asile ou d’un centre d’hébergement. Au programme :
- les fragments qui composent Arlette, humaine reconstituée tant bien que mal
- mon cheminement pour travailler un rôle où se côtoient le banal et l’épique, le funèbre et le grotesque
- ce qu’Arlette nous apprend sur les monstres qui surgissent des marginaux qu’on croise chaque jour
Bonne écoute

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🔎 Références sources :
Théâtre (Texte intégral): Chambre 3 : Arlette, Chambres,  Philippe Minyana, 1986, créée au Théâtre Ouvert
Théâtre (extraits) : Lettre aux acteurs, Valère Novarina, 1973

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Captation : Chambre 3 : Arlette, Théâtre Tristan Bernard, 2019, mise en scène d’Isabelle Rattier, interprétée par Camille Forbes 
Interview : Philippe Minyana interrogé par Vents contraires la revue en ligne du Théâtre du Rond-Point, 2013
Musique : Ouverture du ballet Notre-Dame-de-Paris, chorégraphie de Roland Petit, musique de Maurice Jarre, 1965


©️ Crédits
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Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans Rôle titre, le podcast des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe, je suis comédienne et je vous emmène à la rencontre d'une héroïne. Pour profiter du son binaural, mettez votre casque aux vos écouteurs. Entrez en immersion sonore dans son univers. Cet épisode existe pour faire entendre sa voix. Alors j'espère que vous aussi, vous garderez un fragment d'elle.

  • Speaker #1

    Ça a débordé, c'est tout !

  • Speaker #0

    Arlette est dans sa chambre. Et elle parle à Kiki.

  • Speaker #1

    Il me reprochait son développement psychomoteur,

  • Speaker #0

    Kiki.

  • Speaker #1

    Il me reprochait ça, son développement psychomoteur.

  • Speaker #0

    Ainsi commence son histoire, directe. Comme un boulet de canon. Sans il était une fois De quel genre de chambre s'agit-il ? Chambre d'hôtel ? Chambre à coucher ?

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que t'as pas à foutre ?

  • Speaker #0

    Chambre d'hôpital psychiatrique, plutôt. Médicalisée à la rigueur. Surveillée à coup sûr. Arlette a la rage au ventre. Elle est isolée parce qu'elle est folle. Message de service. Rôle titre n'est pas une fiche de lecture, mais révèle tout de même l'histoire de ces héroïnes. Alors ça va spoiler. Rôle titre, c'est aussi une newsletter et des réseaux sociaux pour approfondir le podcast. Toutes les sources sont dans les notes de l'épisode. Mais pour l'instant, il est l'heure, pour rôle-titre, d'entrer en scène. À partir de quand devient-on marginal ? Est-ce qu'on décide de vivre en marge de la société ou on y est poussé par les autres ? Peut-on l'être dès la naissance sans l'avoir choisi ? Comment tracer cette frontière qui sépare les gens normaux, des fous et des monstres ? Philippe Mignana, dramaturge de notre époque, a beaucoup travaillé sur le fait divers, les événements tragiques du quotidien et de l'intime qui se jouent derrière les portes de nos maisons. Dans Chambre texte écrit en 1986, il crée six personnages, un homme et cinq femmes. Chacun a son monologue et nous raconte son drame. Parmi eux, Arlette, une femme folle qui tente de recomposer les morceaux de son existence brisée. Vous écoutez Rôles Titres, l'épisode Arlette, chambre à coucher l'indicible. Arlette est un personnage particulier, différent d'un rôle de théâtre comme on peut l'entendre. On sait peu de choses sur elle. Son existence tient en 1877 mots exactement. Ça fait un monologue d'aller 10 minutes maximum. Elle entre en scène, déballe tout ce qu'elle a à dire et c'est fini. Je ne crois pas qu'on puisse comprendre ni connaître quelqu'un en dix minutes. En revanche, ça suffit pour être marqué à vie par une histoire. Le récit d'Arlette comporte beaucoup de violence, de drame, de fractures. Et comme souvent chez Mignana, à un moment, il y a un point de non-retour, particulièrement atroce. Je ne vais pas révéler ce moment dans cet épisode, pour vous laisser l'occasion de lire l'histoire d'Arlette et d'en être frappée comme je l'ai été la première fois que je l'ai lue, à 13 ans. Vous pouvez donc continuer tranquillement votre écoute, mais je vous invite avant ou après à lire le texte intégral disponible en description. Prenez le temps de lire cette vie en 1877 mots. Le parcours d'Arlette est anarchique. Il ne faut que quelques secondes pour comprendre que sa vie a été très accidentée. Sa parole fuse, par bribes, on dirait un reportage BFM TV qui va de catastrophe en catastrophe et diffusée en accéléré. À un moment,

  • Speaker #1

    ça a débordé, c'est tout. Il me reprochait son développement psychomoteur,

  • Speaker #0

    Petit.

  • Speaker #1

    Il me reprochait ça, son développement psychomoteur.

  • Speaker #0

    Et mon enfance,

  • Speaker #1

    à moi. Ils ont voulu tout savoir sur mon enfance. Mais qu'est-ce que ça peut leur foutre ? Une cerf dans le Jura.

  • Speaker #0

    L'écriture de Mignana est particulière, empointillée. En plus, le récit d'Arlette est décousu, ça saute d'un sujet à l'autre et on n'a pas tous les morceaux. Arlette est une héroïne à reconstituer. Arlette n'est pas seulement chaotique, rapidement l'évidence s'impose, elle est folle. Elle n'a pas simplement une difficulté à reconstituer le récit, il y a de vraies incohérences dans son discours, et de vrais trous dans sa mémoire, avec une bonne dose d'impulsion violente. Pas de souvenir.

  • Speaker #1

    Ils m'ont dit le Jura c'est vert, il y a des vaches, je leur ai foutu un pot de moutarde à travers la gueule. À la maison familiale de Sochaux, tu leur parles de moi, ils te parlent des pots de moutarde.

  • Speaker #0

    Impossible d'imaginer ce qui a pu se passer de si terrible, mais il s'est passé quelque chose. Quelque chose qui l'a définitivement endommagée. À moins qu'elle ait toujours été comme ça. Ce genre de folie est facile à reconnaître. Arlette est folle parce qu'elle a perdu contact avec la réalité. Elle est devant nous, mais elle n'est plus avec nous. Elle parle à Kiki, mais on ne sait pas qui est Kiki. Elle est dans un lieu familier, une chambre. Elle nous parle du monde qui l'entoure, mais on l'a perdue. Je crois que je me suis liée à Arlette précisément parce qu'elle est folle. Sa folie lui donne une place particulière, par rapport aux autres personnages de chambre, je veux dire. Ce qui est sûr, c'est que dans les six monologues, Mignana aborde des sujets durs, de violence intrafamiliale, de deuil, d'inceste, de trahison. C'est une réflexion globale sur la place des marginaux, les destins brisés de la société. Et on ne devrait jamais hiérarchiser la souffrance, mais sur les six, je ne dirais pas forcément qu'Arlette a la pire des histoires, la plus horrible. Par contre, c'est la seule à être folle. Les autres personnages racontent des atrocités, ils sont choqués, parfois ils revivent leur trauma, mais ils ont toutes leurs têtes. Arlette, elle nous raconte très vite qu'elle a des problèmes de souvenirs.

  • Speaker #1

    Déjà que j'ai pas de souvenirs d'enfants.

  • Speaker #0

    Elle a des trous. Une amnésie pour oublier un trauma, je comprendrais. Mais étrangement, il y a des bons souvenirs qui sont partis et des mauvais qui sont restés.

  • Speaker #1

    Alors ils m'ont dit et la colonie de vacances de Moutier Pourquoi je parlerais de la colonie de vacances ? C'est un souvenir que je n'aime pas à cause de David.

  • Speaker #0

    Et en particulier, l'événement horrible qui a fait basculer Arlette. Elle s'en souvient très bien, par exemple. Elle n'est pas dans le déni. C'est cette mémoire en miettes que je retiens d'Arlette. C'est un rôle où je ressens qu'elle est autant brisée par tous les drames qu'elle a traversés que par cette perte de mémoire. Quel genre de vie on peut avoir quand il vous manque tant de souvenirs ? En perdant la mémoire, Arlette a perdu tout un pan de son identité. Elle est amputée d'une partie de son humanité, et c'est ce qui la met à l'écart. C'est ce qui fait d'elle une marginale. J'ai retenu Arlette plus que les autres personnages, car la mémoire est quelque chose de très important pour moi. Quand je vois Arlette, je ne vois pas la souffrance en premier, alors que Dieu sait qu'elle a morflé. Je vois d'abord le trou. La béance. Arlette est isolée parce qu'elle est folle, et elle est folle parce qu'elle a oublié. Aussi terrible que soit son histoire, j'ai rencontré Arlette quand j'avais 13 ans et elle est entrée très facilement dans ma vie. En fait, j'ai travaillé le rôle en colonie de vacances, là où je faisais du théâtre pendant un mois chaque été. La prof de théâtre m'a donné à lire Chambre et Arlette m'a tapé dans l'œil. Je l'ai sûrement choisie aussi pour des raisons futiles. J'aimais bosser les monologues, j'aimais avoir beaucoup de textes. J'aimais occuper la scène seule avec ma parole. J'ai aimé aussi tous les atomes crochus que j'avais avec Arlette. Elle a grandi dans l'Est de la France, comme moi. Elle parle d'une colonie de vacances. Je trouvais que c'était un signe. Elle aime cueillir des framboises. J'avais compris l'horreur de sa situation. Et ça me plaisait. À 13 ans, j'avais une passion pour les faits divers sordides. C'était même la seule rubrique que je lisais dans le journal. Et puis il y avait des passages du texte que je trouvais drôles. Arlette parlait Kiki, on ne sait pas qui est Kiki. Alors j'avais décidé que Kiki, c'était une plante verte. Et je trouvais ça hilarant, surtout pour la dernière réplique. J'imaginais Kiki comme un glaïeul géant et j'arrivais à faire rire mon public avec une histoire horrible. Et même si je ne reprendrais pas certains de mes choix artistiques d'adolescente, je crois que j'avais déjà compris deux-trois choses sur Arlette. Dans un dossier du Cairn, que vous retrouverez en description, Philippe Mignana partage quelques analyses sur son écriture. Il explique que les rôles fragmentaires comme Arlette ne sont pas vraiment des personnages comme ceux qu'on a l'habitude de suivre tout au long d'une pièce de théâtre. Il les appelle des figures, et il les compare aux panneaux ou aux fresques du Moyen-Âge et de la Renaissance. Ces pièces fragments seraient conçues à la manière d'une série de tableaux unis par des thèmes. Lorsqu'on les additionne, on a l'histoire au complet. Mais entre les panneaux 1 et 2, il s'est passé du temps que l'on n'a pas pris en compte. C'est ce discontinu-là qui m'intéresse. Il ajoute Ces figures éternelles et archétypales ont du sens et de l'énergie. Elles me touchent par leur contenu dramatique ou grotesque. J'aime parcourir les deux aspects, la farcerie et le drame, le funèbre et le grotesque. Ces deux couleurs vont ensemble et fabriquent le réel, donnent l'effet de réel. Fin de citation. C'est pour ça qu'on rigole. Arlette est cette figure étrange, marionnette désarticulée, pas tout à fait humaine mais pourtant réelle. Elle est funèbre et grotesque. Et puis la place d'Arlette a évolué dans ma vie, parce que je l'ai jouée sur scène à nouveau il y a cinq ans, cette fois en allant plus loin que la figure que j'avais laissée en colonie de vacances. Un axe de travail de ma metteuse en scène qui m'a beaucoup apporté, c'était Incarner Arlette, pas seulement sa pensée Autrement dit, la faire exister par le corps et par le cœur. Heureusement, depuis mes 13 ans, j'avais lu La lettre aux acteurs de Valère Novarina. Pas tout couper, tout découper, en tranches intelligentes, en tranches intelligibles. Phrases découpées en sujets, verbes, compléments d'objets. Le jeu consistant à chercher le mot important, à souligner un membre de la phrase pour bien montrer qu'on est un bon élève intelligent. Alors que... Alors que... Alors que la parole forme plutôt quelque chose comme un tube d'air. Une colonne à échapper irrégulière, à spasme, à vanne, à flot coupé, à fuite, à pression. Où c'est qu'il est le cœur de tout ça ? Est-ce que c'est le cœur qui pompe ? Fait circuler tout ça ? Le cœur de tout ça, il est dans le fond du ventre, dans les muscles du ventre. Ce sont les mêmes muscles du ventre qui pressent boyaux et poumons nous servent à déféquer ou à accentuer la parole. Faut pas faire les intelligents, mais mettre les ventres, les dents, les mâchoires au travail. Eh ben ça tombait bien, parce que Arlette ne nous sert pas vraiment des tranches intelligibles, sa psychologie est instable et sa pensée pleine de trous. Alors on s'est mis au travail un peu différemment. Comment faire ? Pour jouer un personnage dont la pensée part dans tous les sens, saute dans le temps, entre l'enfance, les traumas, le moment présent, répète, reboucle et revient en arrière. J'ai pas la science infuse. Mais je vous partage quelques outils de comédienne qui m'ont été bien utiles. Déjà, on dégage la ponctuation. Là, c'est même déjà fait parce que Miana ne met quasiment pas de ponctuation dans ses textes. Ça permet de trouver de nouvelles respirations, pas trop intellectuelles. Ensuite, j'ai travaillé avec des images et sur la mémoire du corps. Arlette ne construit pas son discours. C'est son discours qui est plus fort qu'elle. Il faut que ça sorte. Il n'y a pas à articuler une pensée et encore moins intelligente. En revanche, par la répétition, le corps se souvient. Je joue la scène dix fois et la onzième fois. Au moment où il faudrait penser au paysage du Jura ou aux framboises dont Arlette parle, l'image du Jura et des framboises arrive toute seule. C'est magique. Et puis... se servir du corps pour garder l'énergie, la rage, trouver les accélérations, mettre les ventres au travail, comme dit Novarina. Pour ça, j'ai joué Arlette en déambulant. Ça a été très révélateur. Quand ma metteuse en scène m'a demandé de jouer la scène en marchant sans arrêt, sans m'en rendre compte, je me suis mise à boiter. La pensée d'Arlette était tellement discontinue que je n'arrivais pas à faire marcher droit le personnage. À force de travail, en distinguant le corps et la pensée, j'ai pu faire tenir debout mon héroïne. S'appuyer sur sa pensée, c'était trop casse-gueule. Mais le corps d'Arlette, lui, il va bien. Il est concret. Et présent. Honnêtement, c'était difficile en tant que comédienne de ne pas chercher à boucher les trous dans l'esprit d'Arlette. D'habitude, mais ça prouve bien qu'il n'y a pas d'habitude à avoir en théâtre. D'habitude, j'adore construire le passé de mon personnage, ses rapports aux autres personnages, lui donner de l'épaisseur. En général, il y a plein d'indices dans la pièce, et ce qui n'est pas écrit dans la pièce, on peut et on doit l'inventer en tant que comédienne. Par exemple, si je vous dis que vous jouez un personnage de 40 ans, même si la pièce n'aborde jamais son enfance, le personnage, lui, il a vécu 40 ans de sa vie. Donc c'est utile que vous ayez au moins posé dans les grandes lignes ce qui l'a affecté dans son enfance. C'est ça que j'appelle travailler l'épaisseur du personnage, pour pas ensuite jouer juste en surface ce qui est en train de se passer sur scène. Mais là, avec Arlette, ça marche pas. Elle a pas d'épaisseur. Elle a pas de souvenirs d'enfance, ou très peu.

  • Speaker #1

    À part les bonnes sœurs de Lonce ! J'avais pas demandé chez ces bonnes sœurs. Ceux de la ferme, ma maison d'accueil, qui ont dû dire foutez-la chez les bonnes sœurs, Arlette ! Alors j'étais chez les bonnes sœurs, point.

  • Speaker #0

    Alors les images, les situations, ça lui fait quelque chose, elle ressent bien sûr. mais il y a toute une part d'elle à laquelle elle n'a pas accès. Et lui créer des souvenirs, ou lui créer une continuité, c'est tricher. Et surtout, c'est pas elle. Au départ, ça me donnait l'impression de jouer un net de papier, un papier plein de trous, tout fin, sur des fondations hyper fragiles. Alors on lui a donné un corps solide à Arlette. Ça, c'était pour que moi, la comédienne, je me casse pas la gueule. Et j'accepte de jouer les trous. Et puis je me suis rappelée que la béance, C'est ce qui m'avait frappée et plu en premier chez Arlette. Y'a pas à tortiller Camille. Pour que le public voit les trous... Il faut laisser les trous. Ok, tout ça c'est intéressant pour la comédienne qui travaille. Enfin bon, j'espère que ça vous a intéressé aussi. Mais pour le public, c'est quoi le but de mettre une figure comme Arlette sur scène ? Je suis tombée sur une page web qui présentait Arlette comme un personnage à la fois banal et épique. Après funèbre et grotesque dont on a parlé tout à l'heure, j'ai trouvé que c'était une autre formule très juste. Banal et épique. Le théâtre classique nous donne de grandes héroïnes épiques, Antigone, Médée, Electre, Andromaque. On a l'habitude que ce théâtre nous montre comment nous, des petits êtres humains insignifiants, nous pouvons nous sentir proches de ces héroïnes au destin pourtant incroyable et ressentir les mêmes passions qu'elles. Là, c'est l'opération inverse. Comme héroïne, on a Arlette, femme de ménage, Mère de David et Lulu, et son rêve d'une grande banalité s'est posé avec un homme patronase dans une maison avec jardin.

  • Speaker #1

    Gérard, c'était comme mon deuxième prince charmant avec Gérard, je m'étais dit la maison, les enfants. Donc Lulu, c'est Gérard, t'as compris ? Un jardin et des framboises, je voyais que ça dans le jardin, des framboises. Dans le jardin, il y avait des framboises, je m'en souviens de ça.

  • Speaker #0

    On n'est pas sur le mont Olympe, mais à Sochaux. Cité industrielle des années 70 Quand soudain, le destin d'Arlette bascule dans le fait divers et devient hors du commun, extraordinaire C'est toute la démarche d'écriture de Philippe Mignana

  • Speaker #2

    Et chaque fois que je crée une pièce, je m'interroge pendant des mois avant d'y aller. Parce que, soit il y a un fait divers qui m'a frappé, comme récemment les cochons à Shanghai, dans les rivières. Il y a des cochons morts partout. Toute l'alimentation est foutue. Les gosses naissent dans les endroits où on fait des jeans sans bras, sans yeux. Il y a des tragédies comme ça, énormes, du monde, qui nous saisissent, dont on fera quelque chose peut-être. Après, il y a tous les souvenirs, il y a toute l'histoire personnelle. Il y a les maisons, il y a les chambres, il y a la maladie, il y a les soupirs, il y a les pleurs, il y a les volets qu'on ouvre, qu'on ferme, en fait, les saisons, les quatre saisons. Tout ça, on a envie de transmettre, de le donner, de le mettre en partition.

  • Speaker #0

    Là. La petite vie banale à laquelle personne ne prêtait attention devient ce truc énorme, mythologique. Vous assistez à la naissance d'un mythe et même d'un monstre. Dans Rôle titre, j'ai l'habitude de me demander comment des héroïnes de fiction interviennent dans notre quotidien. Comment nous gagnons à les connaître pour les convoquer ou les prendre pour guide ? Par exception, Arlette, c'est pas un rôle à prendre pour guide. C'est un rôle d'avertissement. Un panneau danger de ce qui peut résulter de monstrueux d'une vie banale laissée à la dérive. Par son histoire, Arlette témoigne de nombreuses violences sourdes faites aux enfants, aux femmes, aux laissés pour compte. Les rêves de princes charmants, les injonctions à la maternité, les hommes qui ne sont pas à la hauteur ou... Les porcs qu'il faut castrer, pour reprendre les mots d'Arlette. La défaillance des structures sociales.

  • Speaker #1

    C'est ça leur processus. Les mères sans leurs enfants. Les enfants chez des nourrices, des nourrices qui te les foutent chez les bonnes sœurs.

  • Speaker #0

    La solitude, simplement. Est-ce que tu m'aimes, Kiki ? Toujours. J'ai toujours entendu rire dans le public, quand Arlette se raconte. Par ses décalages ? Parce qu'elle est banale et épique, funèbre et grotesque ? Par gêne sûrement aussi. Et même quand on arrive au point culminant, à la fin de son monologue, il y a un rire d'effroi dans la salle. L'écoute du public est très forte à ce moment-là. Mais c'est trop tard. On parle de l'indicible, d'un des plus grands tabous de toutes les sociétés. Et comme c'est Arlette la folle qui raconte, Ça ajoute à son mystère, à sa mythologie. Du trou béant a surgi le monstre. Et jusque-là, on ne l'écoutait pas vraiment. Pendant toute sa vie, pendant tout le début de son récit, la pensée d'Arlette était boiteuse, déformée. Mais on la voyait comme... comme un Quasimodo mental. Et Quasimodo est inoffensif. Qui s'en méfierait ? Pour conclure, Je vous lis un extrait de la préface de Chambre, écrit par Noël Renaud. Peut-on dire qu'on a croisé un jour, dans la rue ou ailleurs, l'un ou l'autre des personnages de Chambre ? Au premier abord, on dirait que oui. Peut-être que ces silhouettes nous disent quelque chose. Et puis au deuxième abord, on se dit que ces gens-là approchent plus du monstre mythologique que de l'humain répertorié. Ils sont exclusivement ce qu'ils émettent, et ce qu'ils émettent, c'est de la parole en fusion. Un tricotage de bidules existentielles ficelées dans l'urgence, et sans aucun souci hiérarchique. Philippe Mignana donne la parole aux marginaux. Ils sont parmi nous, on les croise, ils nous disent quelque chose, c'est vrai. Il y a un double sens ici, car littéralement, ils montent sur scène et ils viennent dire leurs choses. Arlette est un rôle qui m'accompagne depuis des années. Elle me dit des choses rarement claires. C'est flou, comme sa pensée. Mais j'essaye de l'écouter. Et vous ? Elle vous dit quelque chose, Arlette ? Est-ce que vous l'écoutez vraiment ? Merci d'avoir écouté Rôles Titres. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. 1. Vous abonner à Rôles Titres sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles si c'est Apple Podcasts ou Spotify. 2. Rejoindre la newsletter de Roll Titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant 3. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode Une dernière chose Roll Titre abrite les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous Parlez du podcast autour de vous, partagez ces épisodes sur les réseaux sociaux c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, faites entendre sa voix, faites résonner au titre.

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Description

“Tu te rends compte avoir enfin des souvenirs et pas les aimer.” Arlette.
La marginalité est le thème de fond de cet épisode qui s’écoute comme un cri saisissant du fond d’une chambre d’un HLM, d’un asile ou d’un centre d’hébergement. Au programme :
- les fragments qui composent Arlette, humaine reconstituée tant bien que mal
- mon cheminement pour travailler un rôle où se côtoient le banal et l’épique, le funèbre et le grotesque
- ce qu’Arlette nous apprend sur les monstres qui surgissent des marginaux qu’on croise chaque jour
Bonne écoute

📢 Rôle Titre c’est aussi :
Une newsletter
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Un compte Instagram : pour discuter, apprendre, se marrer, vous connaissez le principe… ⏩⏩Rejoindre la commu : https://www.instagram.com/roletitre/
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🔎 Références sources :
Théâtre (Texte intégral): Chambre 3 : Arlette, Chambres,  Philippe Minyana, 1986, créée au Théâtre Ouvert
Théâtre (extraits) : Lettre aux acteurs, Valère Novarina, 1973

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Captation : Chambre 3 : Arlette, Théâtre Tristan Bernard, 2019, mise en scène d’Isabelle Rattier, interprétée par Camille Forbes 
Interview : Philippe Minyana interrogé par Vents contraires la revue en ligne du Théâtre du Rond-Point, 2013
Musique : Ouverture du ballet Notre-Dame-de-Paris, chorégraphie de Roland Petit, musique de Maurice Jarre, 1965


©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans Rôle titre, le podcast des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe, je suis comédienne et je vous emmène à la rencontre d'une héroïne. Pour profiter du son binaural, mettez votre casque aux vos écouteurs. Entrez en immersion sonore dans son univers. Cet épisode existe pour faire entendre sa voix. Alors j'espère que vous aussi, vous garderez un fragment d'elle.

  • Speaker #1

    Ça a débordé, c'est tout !

  • Speaker #0

    Arlette est dans sa chambre. Et elle parle à Kiki.

  • Speaker #1

    Il me reprochait son développement psychomoteur,

  • Speaker #0

    Kiki.

  • Speaker #1

    Il me reprochait ça, son développement psychomoteur.

  • Speaker #0

    Ainsi commence son histoire, directe. Comme un boulet de canon. Sans il était une fois De quel genre de chambre s'agit-il ? Chambre d'hôtel ? Chambre à coucher ?

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que t'as pas à foutre ?

  • Speaker #0

    Chambre d'hôpital psychiatrique, plutôt. Médicalisée à la rigueur. Surveillée à coup sûr. Arlette a la rage au ventre. Elle est isolée parce qu'elle est folle. Message de service. Rôle titre n'est pas une fiche de lecture, mais révèle tout de même l'histoire de ces héroïnes. Alors ça va spoiler. Rôle titre, c'est aussi une newsletter et des réseaux sociaux pour approfondir le podcast. Toutes les sources sont dans les notes de l'épisode. Mais pour l'instant, il est l'heure, pour rôle-titre, d'entrer en scène. À partir de quand devient-on marginal ? Est-ce qu'on décide de vivre en marge de la société ou on y est poussé par les autres ? Peut-on l'être dès la naissance sans l'avoir choisi ? Comment tracer cette frontière qui sépare les gens normaux, des fous et des monstres ? Philippe Mignana, dramaturge de notre époque, a beaucoup travaillé sur le fait divers, les événements tragiques du quotidien et de l'intime qui se jouent derrière les portes de nos maisons. Dans Chambre texte écrit en 1986, il crée six personnages, un homme et cinq femmes. Chacun a son monologue et nous raconte son drame. Parmi eux, Arlette, une femme folle qui tente de recomposer les morceaux de son existence brisée. Vous écoutez Rôles Titres, l'épisode Arlette, chambre à coucher l'indicible. Arlette est un personnage particulier, différent d'un rôle de théâtre comme on peut l'entendre. On sait peu de choses sur elle. Son existence tient en 1877 mots exactement. Ça fait un monologue d'aller 10 minutes maximum. Elle entre en scène, déballe tout ce qu'elle a à dire et c'est fini. Je ne crois pas qu'on puisse comprendre ni connaître quelqu'un en dix minutes. En revanche, ça suffit pour être marqué à vie par une histoire. Le récit d'Arlette comporte beaucoup de violence, de drame, de fractures. Et comme souvent chez Mignana, à un moment, il y a un point de non-retour, particulièrement atroce. Je ne vais pas révéler ce moment dans cet épisode, pour vous laisser l'occasion de lire l'histoire d'Arlette et d'en être frappée comme je l'ai été la première fois que je l'ai lue, à 13 ans. Vous pouvez donc continuer tranquillement votre écoute, mais je vous invite avant ou après à lire le texte intégral disponible en description. Prenez le temps de lire cette vie en 1877 mots. Le parcours d'Arlette est anarchique. Il ne faut que quelques secondes pour comprendre que sa vie a été très accidentée. Sa parole fuse, par bribes, on dirait un reportage BFM TV qui va de catastrophe en catastrophe et diffusée en accéléré. À un moment,

  • Speaker #1

    ça a débordé, c'est tout. Il me reprochait son développement psychomoteur,

  • Speaker #0

    Petit.

  • Speaker #1

    Il me reprochait ça, son développement psychomoteur.

  • Speaker #0

    Et mon enfance,

  • Speaker #1

    à moi. Ils ont voulu tout savoir sur mon enfance. Mais qu'est-ce que ça peut leur foutre ? Une cerf dans le Jura.

  • Speaker #0

    L'écriture de Mignana est particulière, empointillée. En plus, le récit d'Arlette est décousu, ça saute d'un sujet à l'autre et on n'a pas tous les morceaux. Arlette est une héroïne à reconstituer. Arlette n'est pas seulement chaotique, rapidement l'évidence s'impose, elle est folle. Elle n'a pas simplement une difficulté à reconstituer le récit, il y a de vraies incohérences dans son discours, et de vrais trous dans sa mémoire, avec une bonne dose d'impulsion violente. Pas de souvenir.

  • Speaker #1

    Ils m'ont dit le Jura c'est vert, il y a des vaches, je leur ai foutu un pot de moutarde à travers la gueule. À la maison familiale de Sochaux, tu leur parles de moi, ils te parlent des pots de moutarde.

  • Speaker #0

    Impossible d'imaginer ce qui a pu se passer de si terrible, mais il s'est passé quelque chose. Quelque chose qui l'a définitivement endommagée. À moins qu'elle ait toujours été comme ça. Ce genre de folie est facile à reconnaître. Arlette est folle parce qu'elle a perdu contact avec la réalité. Elle est devant nous, mais elle n'est plus avec nous. Elle parle à Kiki, mais on ne sait pas qui est Kiki. Elle est dans un lieu familier, une chambre. Elle nous parle du monde qui l'entoure, mais on l'a perdue. Je crois que je me suis liée à Arlette précisément parce qu'elle est folle. Sa folie lui donne une place particulière, par rapport aux autres personnages de chambre, je veux dire. Ce qui est sûr, c'est que dans les six monologues, Mignana aborde des sujets durs, de violence intrafamiliale, de deuil, d'inceste, de trahison. C'est une réflexion globale sur la place des marginaux, les destins brisés de la société. Et on ne devrait jamais hiérarchiser la souffrance, mais sur les six, je ne dirais pas forcément qu'Arlette a la pire des histoires, la plus horrible. Par contre, c'est la seule à être folle. Les autres personnages racontent des atrocités, ils sont choqués, parfois ils revivent leur trauma, mais ils ont toutes leurs têtes. Arlette, elle nous raconte très vite qu'elle a des problèmes de souvenirs.

  • Speaker #1

    Déjà que j'ai pas de souvenirs d'enfants.

  • Speaker #0

    Elle a des trous. Une amnésie pour oublier un trauma, je comprendrais. Mais étrangement, il y a des bons souvenirs qui sont partis et des mauvais qui sont restés.

  • Speaker #1

    Alors ils m'ont dit et la colonie de vacances de Moutier Pourquoi je parlerais de la colonie de vacances ? C'est un souvenir que je n'aime pas à cause de David.

  • Speaker #0

    Et en particulier, l'événement horrible qui a fait basculer Arlette. Elle s'en souvient très bien, par exemple. Elle n'est pas dans le déni. C'est cette mémoire en miettes que je retiens d'Arlette. C'est un rôle où je ressens qu'elle est autant brisée par tous les drames qu'elle a traversés que par cette perte de mémoire. Quel genre de vie on peut avoir quand il vous manque tant de souvenirs ? En perdant la mémoire, Arlette a perdu tout un pan de son identité. Elle est amputée d'une partie de son humanité, et c'est ce qui la met à l'écart. C'est ce qui fait d'elle une marginale. J'ai retenu Arlette plus que les autres personnages, car la mémoire est quelque chose de très important pour moi. Quand je vois Arlette, je ne vois pas la souffrance en premier, alors que Dieu sait qu'elle a morflé. Je vois d'abord le trou. La béance. Arlette est isolée parce qu'elle est folle, et elle est folle parce qu'elle a oublié. Aussi terrible que soit son histoire, j'ai rencontré Arlette quand j'avais 13 ans et elle est entrée très facilement dans ma vie. En fait, j'ai travaillé le rôle en colonie de vacances, là où je faisais du théâtre pendant un mois chaque été. La prof de théâtre m'a donné à lire Chambre et Arlette m'a tapé dans l'œil. Je l'ai sûrement choisie aussi pour des raisons futiles. J'aimais bosser les monologues, j'aimais avoir beaucoup de textes. J'aimais occuper la scène seule avec ma parole. J'ai aimé aussi tous les atomes crochus que j'avais avec Arlette. Elle a grandi dans l'Est de la France, comme moi. Elle parle d'une colonie de vacances. Je trouvais que c'était un signe. Elle aime cueillir des framboises. J'avais compris l'horreur de sa situation. Et ça me plaisait. À 13 ans, j'avais une passion pour les faits divers sordides. C'était même la seule rubrique que je lisais dans le journal. Et puis il y avait des passages du texte que je trouvais drôles. Arlette parlait Kiki, on ne sait pas qui est Kiki. Alors j'avais décidé que Kiki, c'était une plante verte. Et je trouvais ça hilarant, surtout pour la dernière réplique. J'imaginais Kiki comme un glaïeul géant et j'arrivais à faire rire mon public avec une histoire horrible. Et même si je ne reprendrais pas certains de mes choix artistiques d'adolescente, je crois que j'avais déjà compris deux-trois choses sur Arlette. Dans un dossier du Cairn, que vous retrouverez en description, Philippe Mignana partage quelques analyses sur son écriture. Il explique que les rôles fragmentaires comme Arlette ne sont pas vraiment des personnages comme ceux qu'on a l'habitude de suivre tout au long d'une pièce de théâtre. Il les appelle des figures, et il les compare aux panneaux ou aux fresques du Moyen-Âge et de la Renaissance. Ces pièces fragments seraient conçues à la manière d'une série de tableaux unis par des thèmes. Lorsqu'on les additionne, on a l'histoire au complet. Mais entre les panneaux 1 et 2, il s'est passé du temps que l'on n'a pas pris en compte. C'est ce discontinu-là qui m'intéresse. Il ajoute Ces figures éternelles et archétypales ont du sens et de l'énergie. Elles me touchent par leur contenu dramatique ou grotesque. J'aime parcourir les deux aspects, la farcerie et le drame, le funèbre et le grotesque. Ces deux couleurs vont ensemble et fabriquent le réel, donnent l'effet de réel. Fin de citation. C'est pour ça qu'on rigole. Arlette est cette figure étrange, marionnette désarticulée, pas tout à fait humaine mais pourtant réelle. Elle est funèbre et grotesque. Et puis la place d'Arlette a évolué dans ma vie, parce que je l'ai jouée sur scène à nouveau il y a cinq ans, cette fois en allant plus loin que la figure que j'avais laissée en colonie de vacances. Un axe de travail de ma metteuse en scène qui m'a beaucoup apporté, c'était Incarner Arlette, pas seulement sa pensée Autrement dit, la faire exister par le corps et par le cœur. Heureusement, depuis mes 13 ans, j'avais lu La lettre aux acteurs de Valère Novarina. Pas tout couper, tout découper, en tranches intelligentes, en tranches intelligibles. Phrases découpées en sujets, verbes, compléments d'objets. Le jeu consistant à chercher le mot important, à souligner un membre de la phrase pour bien montrer qu'on est un bon élève intelligent. Alors que... Alors que... Alors que la parole forme plutôt quelque chose comme un tube d'air. Une colonne à échapper irrégulière, à spasme, à vanne, à flot coupé, à fuite, à pression. Où c'est qu'il est le cœur de tout ça ? Est-ce que c'est le cœur qui pompe ? Fait circuler tout ça ? Le cœur de tout ça, il est dans le fond du ventre, dans les muscles du ventre. Ce sont les mêmes muscles du ventre qui pressent boyaux et poumons nous servent à déféquer ou à accentuer la parole. Faut pas faire les intelligents, mais mettre les ventres, les dents, les mâchoires au travail. Eh ben ça tombait bien, parce que Arlette ne nous sert pas vraiment des tranches intelligibles, sa psychologie est instable et sa pensée pleine de trous. Alors on s'est mis au travail un peu différemment. Comment faire ? Pour jouer un personnage dont la pensée part dans tous les sens, saute dans le temps, entre l'enfance, les traumas, le moment présent, répète, reboucle et revient en arrière. J'ai pas la science infuse. Mais je vous partage quelques outils de comédienne qui m'ont été bien utiles. Déjà, on dégage la ponctuation. Là, c'est même déjà fait parce que Miana ne met quasiment pas de ponctuation dans ses textes. Ça permet de trouver de nouvelles respirations, pas trop intellectuelles. Ensuite, j'ai travaillé avec des images et sur la mémoire du corps. Arlette ne construit pas son discours. C'est son discours qui est plus fort qu'elle. Il faut que ça sorte. Il n'y a pas à articuler une pensée et encore moins intelligente. En revanche, par la répétition, le corps se souvient. Je joue la scène dix fois et la onzième fois. Au moment où il faudrait penser au paysage du Jura ou aux framboises dont Arlette parle, l'image du Jura et des framboises arrive toute seule. C'est magique. Et puis... se servir du corps pour garder l'énergie, la rage, trouver les accélérations, mettre les ventres au travail, comme dit Novarina. Pour ça, j'ai joué Arlette en déambulant. Ça a été très révélateur. Quand ma metteuse en scène m'a demandé de jouer la scène en marchant sans arrêt, sans m'en rendre compte, je me suis mise à boiter. La pensée d'Arlette était tellement discontinue que je n'arrivais pas à faire marcher droit le personnage. À force de travail, en distinguant le corps et la pensée, j'ai pu faire tenir debout mon héroïne. S'appuyer sur sa pensée, c'était trop casse-gueule. Mais le corps d'Arlette, lui, il va bien. Il est concret. Et présent. Honnêtement, c'était difficile en tant que comédienne de ne pas chercher à boucher les trous dans l'esprit d'Arlette. D'habitude, mais ça prouve bien qu'il n'y a pas d'habitude à avoir en théâtre. D'habitude, j'adore construire le passé de mon personnage, ses rapports aux autres personnages, lui donner de l'épaisseur. En général, il y a plein d'indices dans la pièce, et ce qui n'est pas écrit dans la pièce, on peut et on doit l'inventer en tant que comédienne. Par exemple, si je vous dis que vous jouez un personnage de 40 ans, même si la pièce n'aborde jamais son enfance, le personnage, lui, il a vécu 40 ans de sa vie. Donc c'est utile que vous ayez au moins posé dans les grandes lignes ce qui l'a affecté dans son enfance. C'est ça que j'appelle travailler l'épaisseur du personnage, pour pas ensuite jouer juste en surface ce qui est en train de se passer sur scène. Mais là, avec Arlette, ça marche pas. Elle a pas d'épaisseur. Elle a pas de souvenirs d'enfance, ou très peu.

  • Speaker #1

    À part les bonnes sœurs de Lonce ! J'avais pas demandé chez ces bonnes sœurs. Ceux de la ferme, ma maison d'accueil, qui ont dû dire foutez-la chez les bonnes sœurs, Arlette ! Alors j'étais chez les bonnes sœurs, point.

  • Speaker #0

    Alors les images, les situations, ça lui fait quelque chose, elle ressent bien sûr. mais il y a toute une part d'elle à laquelle elle n'a pas accès. Et lui créer des souvenirs, ou lui créer une continuité, c'est tricher. Et surtout, c'est pas elle. Au départ, ça me donnait l'impression de jouer un net de papier, un papier plein de trous, tout fin, sur des fondations hyper fragiles. Alors on lui a donné un corps solide à Arlette. Ça, c'était pour que moi, la comédienne, je me casse pas la gueule. Et j'accepte de jouer les trous. Et puis je me suis rappelée que la béance, C'est ce qui m'avait frappée et plu en premier chez Arlette. Y'a pas à tortiller Camille. Pour que le public voit les trous... Il faut laisser les trous. Ok, tout ça c'est intéressant pour la comédienne qui travaille. Enfin bon, j'espère que ça vous a intéressé aussi. Mais pour le public, c'est quoi le but de mettre une figure comme Arlette sur scène ? Je suis tombée sur une page web qui présentait Arlette comme un personnage à la fois banal et épique. Après funèbre et grotesque dont on a parlé tout à l'heure, j'ai trouvé que c'était une autre formule très juste. Banal et épique. Le théâtre classique nous donne de grandes héroïnes épiques, Antigone, Médée, Electre, Andromaque. On a l'habitude que ce théâtre nous montre comment nous, des petits êtres humains insignifiants, nous pouvons nous sentir proches de ces héroïnes au destin pourtant incroyable et ressentir les mêmes passions qu'elles. Là, c'est l'opération inverse. Comme héroïne, on a Arlette, femme de ménage, Mère de David et Lulu, et son rêve d'une grande banalité s'est posé avec un homme patronase dans une maison avec jardin.

  • Speaker #1

    Gérard, c'était comme mon deuxième prince charmant avec Gérard, je m'étais dit la maison, les enfants. Donc Lulu, c'est Gérard, t'as compris ? Un jardin et des framboises, je voyais que ça dans le jardin, des framboises. Dans le jardin, il y avait des framboises, je m'en souviens de ça.

  • Speaker #0

    On n'est pas sur le mont Olympe, mais à Sochaux. Cité industrielle des années 70 Quand soudain, le destin d'Arlette bascule dans le fait divers et devient hors du commun, extraordinaire C'est toute la démarche d'écriture de Philippe Mignana

  • Speaker #2

    Et chaque fois que je crée une pièce, je m'interroge pendant des mois avant d'y aller. Parce que, soit il y a un fait divers qui m'a frappé, comme récemment les cochons à Shanghai, dans les rivières. Il y a des cochons morts partout. Toute l'alimentation est foutue. Les gosses naissent dans les endroits où on fait des jeans sans bras, sans yeux. Il y a des tragédies comme ça, énormes, du monde, qui nous saisissent, dont on fera quelque chose peut-être. Après, il y a tous les souvenirs, il y a toute l'histoire personnelle. Il y a les maisons, il y a les chambres, il y a la maladie, il y a les soupirs, il y a les pleurs, il y a les volets qu'on ouvre, qu'on ferme, en fait, les saisons, les quatre saisons. Tout ça, on a envie de transmettre, de le donner, de le mettre en partition.

  • Speaker #0

    Là. La petite vie banale à laquelle personne ne prêtait attention devient ce truc énorme, mythologique. Vous assistez à la naissance d'un mythe et même d'un monstre. Dans Rôle titre, j'ai l'habitude de me demander comment des héroïnes de fiction interviennent dans notre quotidien. Comment nous gagnons à les connaître pour les convoquer ou les prendre pour guide ? Par exception, Arlette, c'est pas un rôle à prendre pour guide. C'est un rôle d'avertissement. Un panneau danger de ce qui peut résulter de monstrueux d'une vie banale laissée à la dérive. Par son histoire, Arlette témoigne de nombreuses violences sourdes faites aux enfants, aux femmes, aux laissés pour compte. Les rêves de princes charmants, les injonctions à la maternité, les hommes qui ne sont pas à la hauteur ou... Les porcs qu'il faut castrer, pour reprendre les mots d'Arlette. La défaillance des structures sociales.

  • Speaker #1

    C'est ça leur processus. Les mères sans leurs enfants. Les enfants chez des nourrices, des nourrices qui te les foutent chez les bonnes sœurs.

  • Speaker #0

    La solitude, simplement. Est-ce que tu m'aimes, Kiki ? Toujours. J'ai toujours entendu rire dans le public, quand Arlette se raconte. Par ses décalages ? Parce qu'elle est banale et épique, funèbre et grotesque ? Par gêne sûrement aussi. Et même quand on arrive au point culminant, à la fin de son monologue, il y a un rire d'effroi dans la salle. L'écoute du public est très forte à ce moment-là. Mais c'est trop tard. On parle de l'indicible, d'un des plus grands tabous de toutes les sociétés. Et comme c'est Arlette la folle qui raconte, Ça ajoute à son mystère, à sa mythologie. Du trou béant a surgi le monstre. Et jusque-là, on ne l'écoutait pas vraiment. Pendant toute sa vie, pendant tout le début de son récit, la pensée d'Arlette était boiteuse, déformée. Mais on la voyait comme... comme un Quasimodo mental. Et Quasimodo est inoffensif. Qui s'en méfierait ? Pour conclure, Je vous lis un extrait de la préface de Chambre, écrit par Noël Renaud. Peut-on dire qu'on a croisé un jour, dans la rue ou ailleurs, l'un ou l'autre des personnages de Chambre ? Au premier abord, on dirait que oui. Peut-être que ces silhouettes nous disent quelque chose. Et puis au deuxième abord, on se dit que ces gens-là approchent plus du monstre mythologique que de l'humain répertorié. Ils sont exclusivement ce qu'ils émettent, et ce qu'ils émettent, c'est de la parole en fusion. Un tricotage de bidules existentielles ficelées dans l'urgence, et sans aucun souci hiérarchique. Philippe Mignana donne la parole aux marginaux. Ils sont parmi nous, on les croise, ils nous disent quelque chose, c'est vrai. Il y a un double sens ici, car littéralement, ils montent sur scène et ils viennent dire leurs choses. Arlette est un rôle qui m'accompagne depuis des années. Elle me dit des choses rarement claires. C'est flou, comme sa pensée. Mais j'essaye de l'écouter. Et vous ? Elle vous dit quelque chose, Arlette ? Est-ce que vous l'écoutez vraiment ? Merci d'avoir écouté Rôles Titres. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. 1. Vous abonner à Rôles Titres sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles si c'est Apple Podcasts ou Spotify. 2. Rejoindre la newsletter de Roll Titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant 3. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode Une dernière chose Roll Titre abrite les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous Parlez du podcast autour de vous, partagez ces épisodes sur les réseaux sociaux c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, faites entendre sa voix, faites résonner au titre.

Description

“Tu te rends compte avoir enfin des souvenirs et pas les aimer.” Arlette.
La marginalité est le thème de fond de cet épisode qui s’écoute comme un cri saisissant du fond d’une chambre d’un HLM, d’un asile ou d’un centre d’hébergement. Au programme :
- les fragments qui composent Arlette, humaine reconstituée tant bien que mal
- mon cheminement pour travailler un rôle où se côtoient le banal et l’épique, le funèbre et le grotesque
- ce qu’Arlette nous apprend sur les monstres qui surgissent des marginaux qu’on croise chaque jour
Bonne écoute

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🔎 Références sources :
Théâtre (Texte intégral): Chambre 3 : Arlette, Chambres,  Philippe Minyana, 1986, créée au Théâtre Ouvert
Théâtre (extraits) : Lettre aux acteurs, Valère Novarina, 1973

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Captation : Chambre 3 : Arlette, Théâtre Tristan Bernard, 2019, mise en scène d’Isabelle Rattier, interprétée par Camille Forbes 
Interview : Philippe Minyana interrogé par Vents contraires la revue en ligne du Théâtre du Rond-Point, 2013
Musique : Ouverture du ballet Notre-Dame-de-Paris, chorégraphie de Roland Petit, musique de Maurice Jarre, 1965


©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans Rôle titre, le podcast des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe, je suis comédienne et je vous emmène à la rencontre d'une héroïne. Pour profiter du son binaural, mettez votre casque aux vos écouteurs. Entrez en immersion sonore dans son univers. Cet épisode existe pour faire entendre sa voix. Alors j'espère que vous aussi, vous garderez un fragment d'elle.

  • Speaker #1

    Ça a débordé, c'est tout !

  • Speaker #0

    Arlette est dans sa chambre. Et elle parle à Kiki.

  • Speaker #1

    Il me reprochait son développement psychomoteur,

  • Speaker #0

    Kiki.

  • Speaker #1

    Il me reprochait ça, son développement psychomoteur.

  • Speaker #0

    Ainsi commence son histoire, directe. Comme un boulet de canon. Sans il était une fois De quel genre de chambre s'agit-il ? Chambre d'hôtel ? Chambre à coucher ?

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que t'as pas à foutre ?

  • Speaker #0

    Chambre d'hôpital psychiatrique, plutôt. Médicalisée à la rigueur. Surveillée à coup sûr. Arlette a la rage au ventre. Elle est isolée parce qu'elle est folle. Message de service. Rôle titre n'est pas une fiche de lecture, mais révèle tout de même l'histoire de ces héroïnes. Alors ça va spoiler. Rôle titre, c'est aussi une newsletter et des réseaux sociaux pour approfondir le podcast. Toutes les sources sont dans les notes de l'épisode. Mais pour l'instant, il est l'heure, pour rôle-titre, d'entrer en scène. À partir de quand devient-on marginal ? Est-ce qu'on décide de vivre en marge de la société ou on y est poussé par les autres ? Peut-on l'être dès la naissance sans l'avoir choisi ? Comment tracer cette frontière qui sépare les gens normaux, des fous et des monstres ? Philippe Mignana, dramaturge de notre époque, a beaucoup travaillé sur le fait divers, les événements tragiques du quotidien et de l'intime qui se jouent derrière les portes de nos maisons. Dans Chambre texte écrit en 1986, il crée six personnages, un homme et cinq femmes. Chacun a son monologue et nous raconte son drame. Parmi eux, Arlette, une femme folle qui tente de recomposer les morceaux de son existence brisée. Vous écoutez Rôles Titres, l'épisode Arlette, chambre à coucher l'indicible. Arlette est un personnage particulier, différent d'un rôle de théâtre comme on peut l'entendre. On sait peu de choses sur elle. Son existence tient en 1877 mots exactement. Ça fait un monologue d'aller 10 minutes maximum. Elle entre en scène, déballe tout ce qu'elle a à dire et c'est fini. Je ne crois pas qu'on puisse comprendre ni connaître quelqu'un en dix minutes. En revanche, ça suffit pour être marqué à vie par une histoire. Le récit d'Arlette comporte beaucoup de violence, de drame, de fractures. Et comme souvent chez Mignana, à un moment, il y a un point de non-retour, particulièrement atroce. Je ne vais pas révéler ce moment dans cet épisode, pour vous laisser l'occasion de lire l'histoire d'Arlette et d'en être frappée comme je l'ai été la première fois que je l'ai lue, à 13 ans. Vous pouvez donc continuer tranquillement votre écoute, mais je vous invite avant ou après à lire le texte intégral disponible en description. Prenez le temps de lire cette vie en 1877 mots. Le parcours d'Arlette est anarchique. Il ne faut que quelques secondes pour comprendre que sa vie a été très accidentée. Sa parole fuse, par bribes, on dirait un reportage BFM TV qui va de catastrophe en catastrophe et diffusée en accéléré. À un moment,

  • Speaker #1

    ça a débordé, c'est tout. Il me reprochait son développement psychomoteur,

  • Speaker #0

    Petit.

  • Speaker #1

    Il me reprochait ça, son développement psychomoteur.

  • Speaker #0

    Et mon enfance,

  • Speaker #1

    à moi. Ils ont voulu tout savoir sur mon enfance. Mais qu'est-ce que ça peut leur foutre ? Une cerf dans le Jura.

  • Speaker #0

    L'écriture de Mignana est particulière, empointillée. En plus, le récit d'Arlette est décousu, ça saute d'un sujet à l'autre et on n'a pas tous les morceaux. Arlette est une héroïne à reconstituer. Arlette n'est pas seulement chaotique, rapidement l'évidence s'impose, elle est folle. Elle n'a pas simplement une difficulté à reconstituer le récit, il y a de vraies incohérences dans son discours, et de vrais trous dans sa mémoire, avec une bonne dose d'impulsion violente. Pas de souvenir.

  • Speaker #1

    Ils m'ont dit le Jura c'est vert, il y a des vaches, je leur ai foutu un pot de moutarde à travers la gueule. À la maison familiale de Sochaux, tu leur parles de moi, ils te parlent des pots de moutarde.

  • Speaker #0

    Impossible d'imaginer ce qui a pu se passer de si terrible, mais il s'est passé quelque chose. Quelque chose qui l'a définitivement endommagée. À moins qu'elle ait toujours été comme ça. Ce genre de folie est facile à reconnaître. Arlette est folle parce qu'elle a perdu contact avec la réalité. Elle est devant nous, mais elle n'est plus avec nous. Elle parle à Kiki, mais on ne sait pas qui est Kiki. Elle est dans un lieu familier, une chambre. Elle nous parle du monde qui l'entoure, mais on l'a perdue. Je crois que je me suis liée à Arlette précisément parce qu'elle est folle. Sa folie lui donne une place particulière, par rapport aux autres personnages de chambre, je veux dire. Ce qui est sûr, c'est que dans les six monologues, Mignana aborde des sujets durs, de violence intrafamiliale, de deuil, d'inceste, de trahison. C'est une réflexion globale sur la place des marginaux, les destins brisés de la société. Et on ne devrait jamais hiérarchiser la souffrance, mais sur les six, je ne dirais pas forcément qu'Arlette a la pire des histoires, la plus horrible. Par contre, c'est la seule à être folle. Les autres personnages racontent des atrocités, ils sont choqués, parfois ils revivent leur trauma, mais ils ont toutes leurs têtes. Arlette, elle nous raconte très vite qu'elle a des problèmes de souvenirs.

  • Speaker #1

    Déjà que j'ai pas de souvenirs d'enfants.

  • Speaker #0

    Elle a des trous. Une amnésie pour oublier un trauma, je comprendrais. Mais étrangement, il y a des bons souvenirs qui sont partis et des mauvais qui sont restés.

  • Speaker #1

    Alors ils m'ont dit et la colonie de vacances de Moutier Pourquoi je parlerais de la colonie de vacances ? C'est un souvenir que je n'aime pas à cause de David.

  • Speaker #0

    Et en particulier, l'événement horrible qui a fait basculer Arlette. Elle s'en souvient très bien, par exemple. Elle n'est pas dans le déni. C'est cette mémoire en miettes que je retiens d'Arlette. C'est un rôle où je ressens qu'elle est autant brisée par tous les drames qu'elle a traversés que par cette perte de mémoire. Quel genre de vie on peut avoir quand il vous manque tant de souvenirs ? En perdant la mémoire, Arlette a perdu tout un pan de son identité. Elle est amputée d'une partie de son humanité, et c'est ce qui la met à l'écart. C'est ce qui fait d'elle une marginale. J'ai retenu Arlette plus que les autres personnages, car la mémoire est quelque chose de très important pour moi. Quand je vois Arlette, je ne vois pas la souffrance en premier, alors que Dieu sait qu'elle a morflé. Je vois d'abord le trou. La béance. Arlette est isolée parce qu'elle est folle, et elle est folle parce qu'elle a oublié. Aussi terrible que soit son histoire, j'ai rencontré Arlette quand j'avais 13 ans et elle est entrée très facilement dans ma vie. En fait, j'ai travaillé le rôle en colonie de vacances, là où je faisais du théâtre pendant un mois chaque été. La prof de théâtre m'a donné à lire Chambre et Arlette m'a tapé dans l'œil. Je l'ai sûrement choisie aussi pour des raisons futiles. J'aimais bosser les monologues, j'aimais avoir beaucoup de textes. J'aimais occuper la scène seule avec ma parole. J'ai aimé aussi tous les atomes crochus que j'avais avec Arlette. Elle a grandi dans l'Est de la France, comme moi. Elle parle d'une colonie de vacances. Je trouvais que c'était un signe. Elle aime cueillir des framboises. J'avais compris l'horreur de sa situation. Et ça me plaisait. À 13 ans, j'avais une passion pour les faits divers sordides. C'était même la seule rubrique que je lisais dans le journal. Et puis il y avait des passages du texte que je trouvais drôles. Arlette parlait Kiki, on ne sait pas qui est Kiki. Alors j'avais décidé que Kiki, c'était une plante verte. Et je trouvais ça hilarant, surtout pour la dernière réplique. J'imaginais Kiki comme un glaïeul géant et j'arrivais à faire rire mon public avec une histoire horrible. Et même si je ne reprendrais pas certains de mes choix artistiques d'adolescente, je crois que j'avais déjà compris deux-trois choses sur Arlette. Dans un dossier du Cairn, que vous retrouverez en description, Philippe Mignana partage quelques analyses sur son écriture. Il explique que les rôles fragmentaires comme Arlette ne sont pas vraiment des personnages comme ceux qu'on a l'habitude de suivre tout au long d'une pièce de théâtre. Il les appelle des figures, et il les compare aux panneaux ou aux fresques du Moyen-Âge et de la Renaissance. Ces pièces fragments seraient conçues à la manière d'une série de tableaux unis par des thèmes. Lorsqu'on les additionne, on a l'histoire au complet. Mais entre les panneaux 1 et 2, il s'est passé du temps que l'on n'a pas pris en compte. C'est ce discontinu-là qui m'intéresse. Il ajoute Ces figures éternelles et archétypales ont du sens et de l'énergie. Elles me touchent par leur contenu dramatique ou grotesque. J'aime parcourir les deux aspects, la farcerie et le drame, le funèbre et le grotesque. Ces deux couleurs vont ensemble et fabriquent le réel, donnent l'effet de réel. Fin de citation. C'est pour ça qu'on rigole. Arlette est cette figure étrange, marionnette désarticulée, pas tout à fait humaine mais pourtant réelle. Elle est funèbre et grotesque. Et puis la place d'Arlette a évolué dans ma vie, parce que je l'ai jouée sur scène à nouveau il y a cinq ans, cette fois en allant plus loin que la figure que j'avais laissée en colonie de vacances. Un axe de travail de ma metteuse en scène qui m'a beaucoup apporté, c'était Incarner Arlette, pas seulement sa pensée Autrement dit, la faire exister par le corps et par le cœur. Heureusement, depuis mes 13 ans, j'avais lu La lettre aux acteurs de Valère Novarina. Pas tout couper, tout découper, en tranches intelligentes, en tranches intelligibles. Phrases découpées en sujets, verbes, compléments d'objets. Le jeu consistant à chercher le mot important, à souligner un membre de la phrase pour bien montrer qu'on est un bon élève intelligent. Alors que... Alors que... Alors que la parole forme plutôt quelque chose comme un tube d'air. Une colonne à échapper irrégulière, à spasme, à vanne, à flot coupé, à fuite, à pression. Où c'est qu'il est le cœur de tout ça ? Est-ce que c'est le cœur qui pompe ? Fait circuler tout ça ? Le cœur de tout ça, il est dans le fond du ventre, dans les muscles du ventre. Ce sont les mêmes muscles du ventre qui pressent boyaux et poumons nous servent à déféquer ou à accentuer la parole. Faut pas faire les intelligents, mais mettre les ventres, les dents, les mâchoires au travail. Eh ben ça tombait bien, parce que Arlette ne nous sert pas vraiment des tranches intelligibles, sa psychologie est instable et sa pensée pleine de trous. Alors on s'est mis au travail un peu différemment. Comment faire ? Pour jouer un personnage dont la pensée part dans tous les sens, saute dans le temps, entre l'enfance, les traumas, le moment présent, répète, reboucle et revient en arrière. J'ai pas la science infuse. Mais je vous partage quelques outils de comédienne qui m'ont été bien utiles. Déjà, on dégage la ponctuation. Là, c'est même déjà fait parce que Miana ne met quasiment pas de ponctuation dans ses textes. Ça permet de trouver de nouvelles respirations, pas trop intellectuelles. Ensuite, j'ai travaillé avec des images et sur la mémoire du corps. Arlette ne construit pas son discours. C'est son discours qui est plus fort qu'elle. Il faut que ça sorte. Il n'y a pas à articuler une pensée et encore moins intelligente. En revanche, par la répétition, le corps se souvient. Je joue la scène dix fois et la onzième fois. Au moment où il faudrait penser au paysage du Jura ou aux framboises dont Arlette parle, l'image du Jura et des framboises arrive toute seule. C'est magique. Et puis... se servir du corps pour garder l'énergie, la rage, trouver les accélérations, mettre les ventres au travail, comme dit Novarina. Pour ça, j'ai joué Arlette en déambulant. Ça a été très révélateur. Quand ma metteuse en scène m'a demandé de jouer la scène en marchant sans arrêt, sans m'en rendre compte, je me suis mise à boiter. La pensée d'Arlette était tellement discontinue que je n'arrivais pas à faire marcher droit le personnage. À force de travail, en distinguant le corps et la pensée, j'ai pu faire tenir debout mon héroïne. S'appuyer sur sa pensée, c'était trop casse-gueule. Mais le corps d'Arlette, lui, il va bien. Il est concret. Et présent. Honnêtement, c'était difficile en tant que comédienne de ne pas chercher à boucher les trous dans l'esprit d'Arlette. D'habitude, mais ça prouve bien qu'il n'y a pas d'habitude à avoir en théâtre. D'habitude, j'adore construire le passé de mon personnage, ses rapports aux autres personnages, lui donner de l'épaisseur. En général, il y a plein d'indices dans la pièce, et ce qui n'est pas écrit dans la pièce, on peut et on doit l'inventer en tant que comédienne. Par exemple, si je vous dis que vous jouez un personnage de 40 ans, même si la pièce n'aborde jamais son enfance, le personnage, lui, il a vécu 40 ans de sa vie. Donc c'est utile que vous ayez au moins posé dans les grandes lignes ce qui l'a affecté dans son enfance. C'est ça que j'appelle travailler l'épaisseur du personnage, pour pas ensuite jouer juste en surface ce qui est en train de se passer sur scène. Mais là, avec Arlette, ça marche pas. Elle a pas d'épaisseur. Elle a pas de souvenirs d'enfance, ou très peu.

  • Speaker #1

    À part les bonnes sœurs de Lonce ! J'avais pas demandé chez ces bonnes sœurs. Ceux de la ferme, ma maison d'accueil, qui ont dû dire foutez-la chez les bonnes sœurs, Arlette ! Alors j'étais chez les bonnes sœurs, point.

  • Speaker #0

    Alors les images, les situations, ça lui fait quelque chose, elle ressent bien sûr. mais il y a toute une part d'elle à laquelle elle n'a pas accès. Et lui créer des souvenirs, ou lui créer une continuité, c'est tricher. Et surtout, c'est pas elle. Au départ, ça me donnait l'impression de jouer un net de papier, un papier plein de trous, tout fin, sur des fondations hyper fragiles. Alors on lui a donné un corps solide à Arlette. Ça, c'était pour que moi, la comédienne, je me casse pas la gueule. Et j'accepte de jouer les trous. Et puis je me suis rappelée que la béance, C'est ce qui m'avait frappée et plu en premier chez Arlette. Y'a pas à tortiller Camille. Pour que le public voit les trous... Il faut laisser les trous. Ok, tout ça c'est intéressant pour la comédienne qui travaille. Enfin bon, j'espère que ça vous a intéressé aussi. Mais pour le public, c'est quoi le but de mettre une figure comme Arlette sur scène ? Je suis tombée sur une page web qui présentait Arlette comme un personnage à la fois banal et épique. Après funèbre et grotesque dont on a parlé tout à l'heure, j'ai trouvé que c'était une autre formule très juste. Banal et épique. Le théâtre classique nous donne de grandes héroïnes épiques, Antigone, Médée, Electre, Andromaque. On a l'habitude que ce théâtre nous montre comment nous, des petits êtres humains insignifiants, nous pouvons nous sentir proches de ces héroïnes au destin pourtant incroyable et ressentir les mêmes passions qu'elles. Là, c'est l'opération inverse. Comme héroïne, on a Arlette, femme de ménage, Mère de David et Lulu, et son rêve d'une grande banalité s'est posé avec un homme patronase dans une maison avec jardin.

  • Speaker #1

    Gérard, c'était comme mon deuxième prince charmant avec Gérard, je m'étais dit la maison, les enfants. Donc Lulu, c'est Gérard, t'as compris ? Un jardin et des framboises, je voyais que ça dans le jardin, des framboises. Dans le jardin, il y avait des framboises, je m'en souviens de ça.

  • Speaker #0

    On n'est pas sur le mont Olympe, mais à Sochaux. Cité industrielle des années 70 Quand soudain, le destin d'Arlette bascule dans le fait divers et devient hors du commun, extraordinaire C'est toute la démarche d'écriture de Philippe Mignana

  • Speaker #2

    Et chaque fois que je crée une pièce, je m'interroge pendant des mois avant d'y aller. Parce que, soit il y a un fait divers qui m'a frappé, comme récemment les cochons à Shanghai, dans les rivières. Il y a des cochons morts partout. Toute l'alimentation est foutue. Les gosses naissent dans les endroits où on fait des jeans sans bras, sans yeux. Il y a des tragédies comme ça, énormes, du monde, qui nous saisissent, dont on fera quelque chose peut-être. Après, il y a tous les souvenirs, il y a toute l'histoire personnelle. Il y a les maisons, il y a les chambres, il y a la maladie, il y a les soupirs, il y a les pleurs, il y a les volets qu'on ouvre, qu'on ferme, en fait, les saisons, les quatre saisons. Tout ça, on a envie de transmettre, de le donner, de le mettre en partition.

  • Speaker #0

    Là. La petite vie banale à laquelle personne ne prêtait attention devient ce truc énorme, mythologique. Vous assistez à la naissance d'un mythe et même d'un monstre. Dans Rôle titre, j'ai l'habitude de me demander comment des héroïnes de fiction interviennent dans notre quotidien. Comment nous gagnons à les connaître pour les convoquer ou les prendre pour guide ? Par exception, Arlette, c'est pas un rôle à prendre pour guide. C'est un rôle d'avertissement. Un panneau danger de ce qui peut résulter de monstrueux d'une vie banale laissée à la dérive. Par son histoire, Arlette témoigne de nombreuses violences sourdes faites aux enfants, aux femmes, aux laissés pour compte. Les rêves de princes charmants, les injonctions à la maternité, les hommes qui ne sont pas à la hauteur ou... Les porcs qu'il faut castrer, pour reprendre les mots d'Arlette. La défaillance des structures sociales.

  • Speaker #1

    C'est ça leur processus. Les mères sans leurs enfants. Les enfants chez des nourrices, des nourrices qui te les foutent chez les bonnes sœurs.

  • Speaker #0

    La solitude, simplement. Est-ce que tu m'aimes, Kiki ? Toujours. J'ai toujours entendu rire dans le public, quand Arlette se raconte. Par ses décalages ? Parce qu'elle est banale et épique, funèbre et grotesque ? Par gêne sûrement aussi. Et même quand on arrive au point culminant, à la fin de son monologue, il y a un rire d'effroi dans la salle. L'écoute du public est très forte à ce moment-là. Mais c'est trop tard. On parle de l'indicible, d'un des plus grands tabous de toutes les sociétés. Et comme c'est Arlette la folle qui raconte, Ça ajoute à son mystère, à sa mythologie. Du trou béant a surgi le monstre. Et jusque-là, on ne l'écoutait pas vraiment. Pendant toute sa vie, pendant tout le début de son récit, la pensée d'Arlette était boiteuse, déformée. Mais on la voyait comme... comme un Quasimodo mental. Et Quasimodo est inoffensif. Qui s'en méfierait ? Pour conclure, Je vous lis un extrait de la préface de Chambre, écrit par Noël Renaud. Peut-on dire qu'on a croisé un jour, dans la rue ou ailleurs, l'un ou l'autre des personnages de Chambre ? Au premier abord, on dirait que oui. Peut-être que ces silhouettes nous disent quelque chose. Et puis au deuxième abord, on se dit que ces gens-là approchent plus du monstre mythologique que de l'humain répertorié. Ils sont exclusivement ce qu'ils émettent, et ce qu'ils émettent, c'est de la parole en fusion. Un tricotage de bidules existentielles ficelées dans l'urgence, et sans aucun souci hiérarchique. Philippe Mignana donne la parole aux marginaux. Ils sont parmi nous, on les croise, ils nous disent quelque chose, c'est vrai. Il y a un double sens ici, car littéralement, ils montent sur scène et ils viennent dire leurs choses. Arlette est un rôle qui m'accompagne depuis des années. Elle me dit des choses rarement claires. C'est flou, comme sa pensée. Mais j'essaye de l'écouter. Et vous ? Elle vous dit quelque chose, Arlette ? Est-ce que vous l'écoutez vraiment ? Merci d'avoir écouté Rôles Titres. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. 1. Vous abonner à Rôles Titres sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles si c'est Apple Podcasts ou Spotify. 2. Rejoindre la newsletter de Roll Titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant 3. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode Une dernière chose Roll Titre abrite les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous Parlez du podcast autour de vous, partagez ces épisodes sur les réseaux sociaux c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, faites entendre sa voix, faites résonner au titre.

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