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Soi.s, Vi.e.s, Aime - Oser un leadership authentique et inspirant au service de Soi, des autres, de son écosystème et du vivant.

#19 S'inspirer du vivant pour créer et interagir, au service d'un leadership animé par l'altérité et ce qui compte vraiment

#19 S'inspirer du vivant pour créer et interagir, au service d'un leadership animé par l'altérité et ce qui compte vraiment

42min |15/05/2025
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#19 S'inspirer du vivant pour créer et interagir, au service d'un leadership animé par l'altérité et ce qui compte vraiment

#19 S'inspirer du vivant pour créer et interagir, au service d'un leadership animé par l'altérité et ce qui compte vraiment

42min |15/05/2025
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Description

Naturaliste, économiste, poète, Emmanuel Delannoy revient sur son parcours.

Admirateur du vivant  dès son plus jeune âge, il fait des études de biologie, puis se dirige plutôt par pragmatisme vers des études de commerce. Il constate vite dans l’entreprise des approches purement gestionnaires, cloisonnées et simplificatrices, là où il observe que la vie, elle, est complexité, émergence, interrelations.


Il souhaite relier ces mondes, ce qui l’amène à créer notamment l’Institut Inspire, un Think tank où naturalistes, scientifiques et entrepreneurs co-construisent des pistes économiques inspirées du vivant.


Il est un des pionniers du biomimétisme en France, inventeur du concept de permaéconomie, il invite à repenser en profondeur nos modèles économiques à l’aune des lois du vivant.


Nous échangeons sur :

  • l’économie symbiotique et les enseignements de la nature,

  • la nécessité de recréer des ponts entre des mondes qui ne se parlent plus,

  • la force des écotones – ces zones de rencontre où la vie explose,

  • la poésie comme boussole sensible pour éveiller les consciences,

  • ce que les leaders et entrepreneurs peuvent apprendre du vivant pour bâtir des organisations plus résiliantes, fertiles, humaines, en s’inspirant notamment de la coévolution, l’interdépendance, la diversité du vivant


Un échange fort, vibrant et inspirant pour « dépasser le culte de la performance, aller

moins vite en surface, plus vite au coeur des choses »

Une invitation à regarder autrement nos manières de vivre, interagir, décider, créer .

Belle écoute !


Dans cet épisode, Emmanuel cite :

  • Stephen Jay Gould : paléontologue, biologiste de l’évolution, grand humaniste.

  • Albert Camus : écrivain et philosophe, référence marquante dans son parcours.

  • Robert Barbault : écologue, auteur de la phrase « L’écologie, c’est la science des relations entre les êtres vivants ».

  • François Cheng : poète, philosophe, écrivain. Citation sur l’importance des relations.

  • Jean Guérin : philosophe spécialiste du quatrième âge, sur la dépendance.

  • Marc-André Selosse : biologiste, auteur de Jamais seul, sur les symbioses et interdépendances.

  • Alain Damasio et Baptiste Morizot : sur le concept de « cosmopolitesse ».

  • Théodore Monod : scientifique, humaniste, fondateur de la Ligue ROC.

  • Hubert Reeves : astrophysicien, président de la Ligue ROC à une époque.

  • Jacques Weber : économiste et anthropologue, mentor d’Emmanuel


Emmanuel nous fait aussi le cadeau de son blog poétique, beau voyage ! :

https://emmanueldelannoy.writeas.com



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et tous, je suis Stéphanie Pelleret-Delga. Vous écoutez le podcast Sois, Vie, Aime. Oser un leadership authentique et inspirant, au service de soi, des autres, de son écosystème et du vivant. Tous les mois, je reçois des dirigeantes, dirigeants, experts, expertes. entrepreneurs, entrepreneuses qui ont fait ce chemin entre vulnérabilité et puissance, qui ouvrent leur cœur et partagent leurs expériences professionnelles et plus personnelles. Par leur parcours et personnalité, ils, elles, sèment des graines sources d'inspiration. Et vous, quelles graines avez-vous envie de semer ? Quel leadership souhaitez-vous incarner ? À mon micro, aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir Emmanuel Delanois. Bonjour Emmanuel.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté mon invitation dans Sois, Vie, Aime. Merci pour ça. Et j'enregistre, on enregistre aujourd'hui cette interview dans mon salon, transformé en studio pour l'occasion. Cher Emmanuel, tu es l'un des pionniers du biomimétisme en France et inventeur du concept de permaéconomie. Tu accompagnes la transformation des organisations depuis plus de 20 ans. Tu es membre du bureau du comité français de l'UICN, président de l'incubateur spécialisé dans l'économie sociale et solidaire Intermaid et auteur de plusieurs ouvrages consacrés aux liens entre économie et vivant. L'économie expliquée aux humains, biomimétique, permaéconomie et les turbulents. On aura l'occasion d'en reparler. Tu as aussi été rapporteur pour le ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer, du rapport « La biodiversité, une opportunité pour le développement économique et la création d'emplois » . Tu es co-auteur de la fresque de l'économie « Régénératrice » . Promoteur de nouveaux imaginaires au service de la vie, tu es un poète. Economiste ? Naturaliste ? Poète ? Qu'est-ce qui t'a amené, cher Emmanuel, à devenir un expert des liens ? entre économie et vivant.

  • Speaker #1

    Alors, ça fait beaucoup, ça, effectivement. Merci pour ce portrait qui est quand même très efflateur. Ce qui m'a amené, je dirais qu'il y a plusieurs, comme tout le monde, plusieurs étapes et une construction. Déjà, je n'ai pas eu à me forcer pour être un admirateur du vivant, de ce qu'on appelle maintenant le vivant, la biodiversité, ce qu'on appelait la nature quand j'étais enfant. Je me souviens que tout petit, je passais déjà énormément de temps devant la moindre mare, le moindre trou d'eau, le moindre ruisseau. à regarder les petites grenouilles, les petits poissons, les petits crustacés qu'il y avait dedans, et franchement, à m'émerveiller de ça. Vous pouvez passer des heures. J'étais très bien en forêt, y compris dans les forêts parfois un peu sombres, où les gens ont parfois un peu peur. Et je me souviens par exemple d'une anecdote où mes parents m'ont perdu, où je me suis perdu, je devais avoir 3 ou 4 ans. Et quand ils m'ont retrouvé, ils étaient persuadés que j'allais être terrorisé, et en fait non, moi j'ai tout souri, j'étais très bien là où j'étais, je crois que j'avais même pas conscience de m'être perdu. Donc j'étais bien, j'étais mon élément. Et donc ça, c'est quelque chose qui est profond. qui est ancré, je me souviens aussi que petit garçon, un peu plus tard, je collectionnais déjà des coupures de journaux sur, malheureusement, tous ces faits divers un peu tristes de pollution, de marée noire, etc. J'ai grandi dans le nord de la France, on a été pas mal impacté aussi par des faits divers de ce type-là. Et je pense que ma sensibilité, elle a grandi petit à petit avec ça. Après, ce qui m'a amené... D'abord, j'ai fait des études de biologie qui m'ont passionné. Je crois que je dois rendre grâce d'ailleurs, je vais beaucoup parler de rencontres, à une professeure de sciences naturelles. J'ai oublié le nom malheureusement, mais qui a vraiment suscité une vocation. Une professeure qui faisait ses classes hors classe. On allait dans la forêt, on allait dans la nature à proximité d'école, on partait à pied et on se penchait, on observait. On faisait vraiment des cours de naturaliste. On parle aujourd'hui de naturaliste, c'est-à-dire qu'on va observer les fleurs, on va leur donner un nom, les papillons, etc. On va regarder ce qui se passe et on faisait déjà de l'écologie. Pourquoi telle plante pousse à tel endroit ? Qu'est-ce qui se passe à cet endroit-là ? etc. Donc ça, c'est déjà... Une sensibilité. Ça m'a donné envie de poursuivre dans ce domaine-là, de faire des études en biologie.

  • Speaker #0

    Ça, c'était au collège, quand tu parles de ta professeure ? Ça,

  • Speaker #1

    c'était au collège, tout à fait. Et donc, ça m'a donné envie de m'inscrire en fac après le bac, où j'ai fait un bac D. Curieusement, après la fac en bio, j'ai fait une école de commerce. École de commerce, c'est difficile. Parce que ce n'est pas un choix typique. J'aurais pu poursuivre dans des études strictement scientifiques ou naturalistes. Et puis, il y a un peu de... Question réaliste, il y a aussi des amis qui étaient plus avancés que moi dans les études et qui, jeunes docteurs, galéraient pour trouver du boulot. On était dans les années 80. Et je me dis, bon, peut-être qu'il faut être raisonnable. Je vais faire un vrai métier, comme on dit. Donc, je vais m'inscrire dans une école de commerce. Sauf que je pense que je n'étais pas du tout un étudiant en école de commerce comme les autres. Moi, ce qui me passionnait toujours, c'était à la fois les pensées humanistes. Par exemple, je me souviens que la lecture de Camus m'a beaucoup marqué. Et aussi la paléontologie. Donc, je me suis beaucoup intéressé à Stéphane Jégould, qui était un véritable maître pour moi, qui est quelqu'un que je n'ai jamais rencontré, que j'aurais adoré rencontrer. mais qui était contemporain, qui écrivait en même temps que je le lisais.

  • Speaker #0

    Et il y avait des cours de paléontologie dans ton école ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout, mais c'était une passion que j'avais maintenue à côté. En même temps que le cinéma d'arrêt-décès. Donc, tu vois, vraiment des choses très variées comme ça.

  • Speaker #0

    Très éclectiques.

  • Speaker #1

    Très éclectiques. Et Gould, ce qu'on sait peu, c'est que c'est un grand scientifique, un grand paléontologue, mais aussi un grand humaniste. Quelqu'un qui a énormément réfléchi. Il a cette phrase très forte, par exemple, qui est de dire l'égalité des races. est un hasard de l'histoire, de l'évolution. C'est-à-dire qu'imaginez qu'à un moment, il y a eu plusieurs espèces du genre homo qui coexistaient sur Terre, Néandertalensis, Sapiens, et puis peut-être d'autres encore. Et aujourd'hui, il se trouve que Sapiens est seul de son embranchement, le seul représentant du genre homo. C'est une anomalie, il n'y a aucune autre espèce pour laquelle il n'y a pas d'autres représentants dans le même embranchement, dans le même ordre. Donc là, on se dit, tiens... petite histoire, et ça fait réfléchir, et on se dit, tiens, est-ce que l'humanité aurait été différente si on avait dû coexister, cohabiter avec d'autres nous-mêmes ? Et en fait, je me dis, mais quand on voit à quel point on a du mal à accepter déjà la différence au sein de cette espèce qui est homo sapiens, de gens qui ont exactement la même biologie, le même ADN, les mêmes besoins que nous, etc., mais qui vont avoir une culture ou une histoire différente de la nôtre, rien que ça, on a du mal à l'accepter. Alors je me dis, waouh ! ça aurait été un sacré défi. Peut-être que ça nous aurait rendu meilleurs, d'ailleurs. Cette confrontation à l'altérité radicale, je trouve que c'est quelque chose qui nous manque. Mais enfin, on pourra y revenir.

  • Speaker #0

    Et ça, c'est des sensibilités, des sujets que tu avais déjà étudiants ?

  • Speaker #1

    Oui, qui ne m'ont jamais quitté. A la fois cette sensibilité artistique à travers le cinéma, j'étais très cinéphile, la littérature, bien sûr, et puis cette sensibilité scientifique à travers cette passion pour la biologie de l'évolution, ce qu'on appelle la biologie fonctionnelle, et donc l'écologie aussi fonctionnelle. Cette question de l'altérité m'a travaillé profondément. Et en écologie, on ne parle que de ça, finalement. Moi, j'aime beaucoup cette phrase de Robert Barbeau qui disait « L'écologie, c'est la science des relations entre les êtres vivants » . Je pense que quand on a dit ça, on a recadré les choses. L'écologie, ce n'est pas une doctrine, ce n'est pas un courant politique, c'est quelque chose qui devrait tous nous unir. Et c'est de se dire que nous sommes des êtres vivants et ce qui se passe entre nous, comme le dit François Tcheng, j'adore cette citation aussi, François Tcheng qui dit « Ce qui se passe entre les êtres est... » c'est au moins aussi important que les êtres eux-mêmes. Donc les relations entre l'individu, mais aussi entre les espèces dans les écosystèmes, sont au moins aussi importantes que l'existence même de ces espèces. Et ça, ça nous amène à l'émergence, à notre phénomène formidable aussi, quand on s'intéresse un peu à la complexité. Dans un système, et un écosystème est un système, dès qu'il y a des relations entre des entités, des individus, des espèces, des populations, il se passe des choses qui donnent à ce système des propriétés. émergentes, des propriétés nouvelles par rapport à ce qui pourrait se passer si ces espèces n'étaient pas là. Et ça, c'est la vie. C'est-à-dire que la vie, elle passe son temps à inventer, et elle invente d'une manière qui n'est pas magnifiable, qui n'est pas gérable, qui ne rentre pas dans les cases de la gestion des tableaux Excel, etc. Et alors ça, pour quelqu'un qui a fait une école de commerce et de gestion, c'est un sacré défi. Parce que dans une école de commerce, ce qu'on vous apprend, c'est de faire des business plans, c'était de faire du prévisionnel c'est de rentrer, par exemple, la population dans des cases. Quand on fait du marketing, on veut segmenter les choses. On veut des archétypes de telle population qui aura tel besoin. On va y répondre de telle manière, etc. Et puis, en fait, quand on a aussi cette pensée complexe et cette pensée écologique, on se rend compte que les choses ne sont jamais comme ça. Les choses ne sont jamais cloisonnées. Il y a des continuums partout et il y a des interrelations partout. Et il y a des changements partout et des émergences. Et ça, c'est malheureusement sans doute quelque chose qu'on oublie souvent. Et c'est une grande modestie qu'il faudrait qu'on réapprenne par rapport au vivant. Mais la modestie, elle va avec l'émerveillement aussi. Elle va avec la gratitude aussi d'être vivant, simplement de respirer, de se poser la question de, à chaque instant, qu'est-ce que je dois ? Et aujourd'hui, la lumière est merveilleuse, par exemple. Qu'est-ce que je dois à cet instant-là, à ce qui vit autour de moi ? C'est tout. C'est des choses qu'on a tendance à perdre par notre éducation et qu'il faut absolument se réapproprier.

  • Speaker #0

    On redevient peu de choses quand on s'émerveille de ce qui nous entoure.

  • Speaker #1

    On devient peu de choses et en même temps ça nous grandit énormément. On passe à une autre nature de choses. C'est toute la question du culte de la performance aussi aujourd'hui. Cette idée qu'il faut aller vite, qu'il faut être plus fort, plus rapide, parfois plus spécialisé. Et puis, en fait, est-ce que c'est ça la vie ? Est-ce que la vie, ce n'est pas plutôt d'aller plus en profondeur ? La richesse, en fait, elle va être beaucoup plus forte, parfois dans des choses qui vont être moins performantes. Aller moins vite en surface, mais plus vite au cœur des choses, plus en profondeur.

  • Speaker #0

    Et donc là, on parle, tu nous partages de façon globale ce qui est devenu. une vraiment de tes spécialités, comme l'économie symbiotique. J'aimerais juste revenir dans ton parcours. Toi, tu es plein de cette curiosité du vivant, artistique, et puis tu fais quand même des études en école de commerce. À quel moment, je crois que tu commences d'abord par l'entreprise classique, et à quel moment fort de cette curiosité, de tes connaissances de naturaliste, de ce que tu observes dans la manière de fonctionner du vivant, du lien ? de ce que la relation apporte, plus que les entités en tant que telles, à quel moment tu te dis je vais en faire quelque chose au service de l'économie ?

  • Speaker #1

    Oui, et effectivement il y a un moment où j'ai voulu rassembler les choses. C'est-à-dire que je n'ai jamais été que manager, que directeur de centre de profit, que directeur régional ou directeur général, etc. ou commercial dans les entreprises où j'étais. J'ai toujours été à côté le naturaliste. Mais le naturaliste, le week-end, le soir, par mes lectures, etc., ou par mes sorties, j'étais militant, associatif. Et ça, l'engagement militant dans des associations de protection de la nature est quelque chose qui m'a beaucoup forgé aussi, ne serait-ce que par les rencontres que j'ai pu faire. Et puis, à un moment, au début des années 2000, je me suis dit, en fait, ces deux traces qui sont parallèles et qui se croisent quasiment jamais, j'ai envie de les croiser maintenant, de les rassembler. Donc, j'ai repris les études, j'ai fait un master spécialisé en management de l'innovation, de la qualité de l'environnement. Et il se trouve que j'ai fait mon stage, j'avais envie de dire par chance, mais non, pas par chance, parce que j'ai vraiment voulu, j'ai presque fait le siège. J'ai fait mon stage de fin d'études au CIRAD, Centre de Recherche en Agronomie pour le Développement, à Montpellier. Et là, j'ai rencontré beaucoup de scientifiques, d'agronomes, d'écologues. J'ai rencontré un grand monsieur qui m'a mentoré, à qui je dois beaucoup, qui s'appelle Jacques Weber, et qui lui était économiste et anthropologue, deux casquettes qu'on ne voit pas souvent chez la même personne. Et puis en même temps, j'étais toujours militant associatif aussi à la Ligue Rock en particulier, qui a été fondée par Théodore Monod, mais à l'époque c'était Hubert Rives qui en avait pété le président. Et tout ça fait que, quand j'ai voulu remettre ces deux traces ensemble, j'ai fait ce master spécialisé, j'ai fait ce stage au CIRAD, et je me dis, là il faut que je fasse quelque chose avec tout ça. D'abord, j'essaye de trouver des missions en tant qu'indépendant, en tant que conseil. pour des entreprises, pour des associations, pour des ONG. J'organise des grands événements. Je participe à l'organisation et à la programmation d'événements scientifiques sur la vulgarisation, sur la diffusion de la connaissance, sur l'écologie, sur la biologie. Et puis, à un moment, tiens, un président est élu et il convoque ce qu'on appelle le Grenelle Environnement, quelques années après. Et là, à la Ligroc, on me dit, toi, tu es quand même un des seuls parmi nous, là, je t'ai membre du bureau, qui sait ce que c'est qu'une entreprise ? Bon, au Grenelle, il y a une table ronde sur les entreprises. C'est toi qui vas y aller. Donc je me suis retrouvé bombardé à être négociateur ou cher parent. Enfin voilà, je préparais des fiches, des notes, etc. Et j'assistais le négociateur de la Ligue Roque, en tout cas, sur ces sujets-là, sur la question de dire, mais qu'est-ce que ça pourrait être un développement économique et un développement écologique qui soit favorable à l'emploi, qui soit favorable à la performance économique ? On parlait encore de performance, de compétitivité. On en parle encore d'ailleurs beaucoup aujourd'hui aussi. Vous avez peut-être cassé un peu ces termes. Mais donc ça, ça m'a amené à rencontrer des tas de gens. Des agriculteurs, des syndicalistes agricoles, des gens du MEDEF, des syndicalistes de syndicats de salariés, des responsables d'entreprises, de différents réseaux, de différentes convictions, parce qu'il y a des gens très engagés parmi les responsables d'entreprises. Mais je me suis surtout rendu compte d'une chose, c'est que, que ce soit chez les scientifiques, chez les ONG ou chez les responsables du monde agricole ou du monde de l'entreprise, tout le monde est plein de bonne volonté dès qu'on est ensemble dans la même pièce. Et là, on se rend compte qu'on est tous des humains, qu'on parle. peu près le même langage et qu'on devrait être capable de se comprendre. Sauf que non, en fait, on ne parle pas le même langage et on ne se comprend pas. On ne met pas la même chose derrière les mêmes termes. Et puis surtout, mon monde de naturaliste n'est pas ton monde d'entrepreneur et vice-versa. Et donc, à un moment donné, je me suis dit « Eh, c'est vrai, on manque de passerelles. » Et c'est là que j'ai créé l'Institut Inspire, en me disant « L'Institut Inspire doit être un lieu de rencontre, un espèce de think-tank dans lequel des scientifiques, des naturalistes, des entrepreneurs vont se rencontrer et vont travailler ensemble sur des pistes qu'on avait posées comme ça sur la table, qui étaient de dire, on va parler d'économie circulaire, désintensifiée, en flux, matière, énergie, l'économie. On va parler d'économie de la fonctionnalité et de la coopération. C'était très innovant à l'époque, un peu moins maintenant. C'était de dire, on va parler de... donner une valeur à ce qu'il y a de la valeur, finalement. Et ce qu'il y a de la valeur, ce n'est pas le produit, c'est l'usage qu'on fait du produit. On va parler de biomimétisme, en se disant, tiens, comment la biodiversité, comment le monde vivant peut être une source d'inspiration, mais surtout, quelque part aussi, un cadre de référence. C'est-à-dire en se disant, tiens, qu'est-ce qui marche dans la nature, qu'est-ce qui ne marche pas, et pourquoi ça marche ? Et après tout, pourquoi le vivant est encore là depuis 4 milliards d'années ? Il y a peut-être des recettes dont on pourrait s'inspirer, des recettes de durabilité. quand on travaille en innovation d'entreprise. On peut s'inspirer de pas mal de choses quand même, y compris d'ailleurs à un niveau stratégique. Et puis le dernier point, c'est que...

  • Speaker #0

    Et juste pour illustrer, parce que ce n'est pas si évident des fois toujours à comprendre, est-ce que tu as un exemple dans ces travaux-là, en termes d'innovation, qui te viendrait de quelque chose qui est inspiré directement du vivant ?

  • Speaker #1

    Justement, j'ai envie de dire qu'on pourrait parler de l'innovation technique inspirée du vivant, on pourrait parler de ces fameuses surfaces à effet lotus, par exemple, qui ne se salissent pas quand l'eau ruisselle dessus, etc. Mais j'allais dire, c'est secondaire tout ça. Pour moi, ce qui est fondamental, c'est plutôt des stratégies inspirées du vivant et qui font que des espèces coexistent dans un écosystème. Et elles coexistent parce qu'il y a un nombre de règles non écrites, de règles qui sont acquises par coévolution. Il a fallu des millions d'années, des milliards d'années pour ça, que j'appellerais presque du savoir vivre ensemble, des règles de politesse. Et d'ailleurs, ce n'est pas de moi, c'est d'Alain Damasio et Baptiste Morisot qui parlent de cosmopolitesse. Mais de se dire finalement, dans les sociétés humaines, on a inventé la politesse pour se supporter les uns les autres et pour pouvoir vivre ensemble sans se taper dessus tout de suite. Entre espèces vivantes différentes, il faudrait qu'on invente des règles de politesse qui nous permettraient de coexister. Il se trouve que ces règles existent dans la nature et on peut s'en inspirer. Je vais donner quelques exemples. Aucune espèce vivante sur Terre ne produit une substance qui ne saurait être dégradée par une autre espèce. Même les poisons les plus violents, il faut le reconnaître, il y a des poisons extrêmement violents dans la nature, ces poisons-là seront un jour ou l'autre dégradés, soit par des UV d'ailleurs, qui n'est pas vivant, soit par des bactéries, des champignons, d'autres organismes. La deuxième chose, c'est finalement tout ce que produit un organisme vivant et qui pour lui est un déchet. Par exemple, quand une plante fait de la photosynthèse, elle va rejeter de l'oxygène dans l'atmosphère. Cet oxygène est pour elle un déchet, mais il se trouve que d'autres espèces profitent de la présence de l'oxygène. Et donc c'est ça ces règles de coévolution, ce qui font qu'à l'échelle globale, cette notion de déchet n'existe pas. Une autre, alors là on peut vite tomber dans l'anthropomorphisme, il faut faire attention à l'usage des termes, par exemple quand on parle de coopération. Coopération pour moi ça suppose une intention de faire quelque chose ensemble. C'est pas quelque chose qui existe dans la nature ça. Mais par contre, encore une fois, par coévolution, il y a une sorte d'apprentissage qui fait qu'il y a des relations à bénéfice réciproques. qui vont s'installer. Et ces relations à bénéfices réciproques font que le vivant est présent partout, dans toutes les niches écologiques, y compris là où les conditions sont extrêmes. Il peut faire très froid, il peut faire très chaud, il peut y avoir énormément d'eau ou pas assez d'eau. Mais il y a des espèces qui arrivent à survivre dans ces endroits-là. Et très souvent, c'est grâce à des symbioses ou grâce à des mutualismes. Donc voilà, quelques exemples, simplement, pour en citer plein d'autres.

  • Speaker #0

    Très chouette. Et ce que je comprends, ce n'est pas tant le résultat de cette symbiose, mais plutôt l'état d'esprit, la sagesse avec laquelle le vivant peut nous enseigner les interrelations.

  • Speaker #1

    Plus que la sagesse du vivant, moi je dirais que tu as dit à un moment, c'était pas tant le résultat qui est important que la sagesse. Dans sagesse, je parlerais de processus, c'est-à-dire de ces processus de coévolution, de rétroaction. Et c'est d'ailleurs ce qui a énormément nourri la pensée des concepteurs de la permaculture, par exemple. C'est cette observation de ce qui se passe dans le vivant. Et ils ont retenu un truc qui était essentiel, c'était la nécessité de ces interactions, de ces rétroactions, de ces zones d'échange, ces zones de contact, par exemple ce qu'on appelle les écotones en économie, en écologie, ce qu'on va appeler une lisière par exemple. Ces endroits où des milieux se rencontrent sont des endroits qui sont toujours extrêmement riches en biodiversité et extrêmement riches en termes de fonctionnalités écologiques, en termes de production, en termes de résilience, de capacité d'adaptation, etc. Et donc ça, ça m'amène à une autre idée, c'est que très souvent, comme on dit d'ailleurs, la destination n'est pas le voyage, c'est le chemin. Dans une négociation, le processus est au moins aussi important que le résultat. Et quand je parlais du Grenelle Environnement tout à l'heure, je pense que le principal bénéfice de ça, qui a été beaucoup perdu depuis, qui a besoin d'être revitalisé évidemment, c'est le fait qu'on se parle, c'est le fait qu'on se mette autour d'une table, c'est le fait qu'on apprenne à se respecter. et qu'on apprenne à reconnaître nos différences. Il y a un mot que j'aime beaucoup, c'est le mot respect. Respecter, respectare, en italien. Spectare, c'est regarder. Respect à respect, c'est regarder deux fois. Le fait qu'on soit dans des processus de réunion où on se revoit comme ça régulièrement, toutes les semaines, pendant des périodes qui vont durer assez longtemps, ce tenue des liens. On prend l'habitude de se rencontrer. Et c'est là que le respect naît. On se regarde une fois, on se regarde une deuxième fois, on se reconnaît finalement. Et on se reconnaît dans nos différences aussi. Et on se reconnaît, y compris dans, peut-être, des schémas de pensée, peut-être des manières de voir le monde qui vont être très différentes. finalement, d'être capable de prêter à l'autre un regard que nous n'avons pas, mais que lui, il a, c'est la théorie de l'esprit, c'est la naissance de l'empathie. Et à partir de ça, on peut faire beaucoup de choses.

  • Speaker #0

    Et j'ai l'impression même que c'est l'essence même du vivre ensemble. Dit de façon un peu moins poétique, excuse-moi, c'est aussi pouvoir échanger de lunettes et dans une même pièce, comme tu dis, à partir du moment où il peut y avoir cette notion de... « Ok, là, j'ai tel avis, mais en fait, ça ne parle que de moi. Et si finalement, j'essaye de mettre les lunettes de telle personne, ça fait quoi ? » Je trouve que c'est la base d'un échange.

  • Speaker #1

    Oui, encore une fois, c'est là aussi la base de la permaculture. C'est de confronter des choses, de permettre ces échanges-là. Quand tu dis changer de lunettes, c'est regarder des choses autrement, finalement. C'est apprendre à respecter, encore une fois, cette altérité différente. Et je trouve ça intéressant. De se dire finalement... Tiens, je vais prendre un autre exemple. On voit qu'on a du mal aujourd'hui dans nos sociétés humaines à coexister avec les grands prédateurs, avec le loup, l'ours, c'est des sujets qui font polémique depuis très longtemps. Mais imaginons qu'il y a... Allez, il y a mille ans, c'est pas il y a si longtemps que ça encore. C'est rien à l'échelle des temps géologiques. Il y a mille ans, il y avait des troupeaux de grands herbivores sauvages. Il y avait des troupeaux de bisons, il y avait des troupeaux de grands cervidés, en très grande quantité, etc. Imaginez aujourd'hui un troupeau de bisons. traverser un autoroute ou un truc comme ça. C'est même pas imaginable. Notre manière d'habiter le territoire, notre manière d'habiter la planète, n'est plus compatible aujourd'hui avec la manière d'habiter d'autres espèces. Et ça, je pense que ça devrait nous interpeller aussi. C'est-à-dire que dès qu'une espèce, par son existence même, devient gênante, on en fait un ennemi, on en fait un adversaire, quelque chose à éliminer, alors que, évidemment, nous aussi, on a des droits. Et il faut aussi qu'on les fasse valoir. mais Simplement, cette gêne qu'on a devrait nous interpeller, devrait nous faire poser la question de, tiens, est-ce que c'est pas nous qu'on devrait remettre en cause ? On adore trouver des boucs émissaires en tout. Et on dit d'ailleurs que souvent, une civilisation, elle se construit sur son ennemi, contre son ennemi, mais donc elle se renforce. Les liens au sein de la cité, par exemple, se renforcent parce qu'il y a la cité adversaire ou la cité ennemie de l'autre côté, à quelques centaines de kilomètres. Et je... croit malheureusement que ce qui unit une bonne partie de la société occidentale aujourd'hui, je précise occidentale parce que ce n'est pas vrai de toutes les sociétés, c'est cette espèce de ségrégation d'avec la nature, d'avec le vivant non humain, cette espèce de coupure, et qu'on n'arrive plus à accepter en fait ce qui fait cette différence radicale, cette altérité radicale du vivant non humain. Et là on a perdu quelque chose, et je pense qu'en perdant cette chose-là, on ne sait pas. perdu aussi nous-mêmes, qui fait qu'on est confrontés à des difficultés extrêmes aujourd'hui. Ne serait-ce qu'à accepter nous-mêmes les différences au sein de nos sociétés.

  • Speaker #0

    Et à l'intérieur de nous.

  • Speaker #1

    Et à l'intérieur de nous.

  • Speaker #0

    Le propre parc, des fois, s'affronte à l'intérieur.

  • Speaker #1

    Exactement. Parfois, on est un peu pluriel. On est tous pluriel, d'ailleurs. Et de l'assumer, de l'accepter, de se dire, tiens, je suis un entrepreneur, je suis un bon manager, je suis un expert dans tel et tel domaine. Mais, je peux pleurer en écoutant une chanson, en lisant un poème, ben pourquoi pas ? Après tout, c'est la même personne. De se dire, ah, il y a des nouveaux voisins, ils cassent les pieds, ils font du bruit, machin, etc. Mais en même temps, le jour où il me demande de les aider, parce que je vois qu'il y a vraiment un gros problème, je vais les aider, spontanément. Et c'est les mêmes personnes. Je ne sais plus qui écrivait ça, les Français qui votent pour l'extrême droite, les Français qui sont racistes, les Français qui ont peur des étrangers, qui sont xénophobes. C'est les mêmes, finalement, en tout cas statistiquement, qui donnent beaucoup aux associations, qui donnent à l'UNICEF quand il y a une catastrophe. Et c'est intéressant de noter que les gens sont pluriels. Il n'y a pas des grands blocs qui s'affrontent. Encore une fois, il y a des continuums. Alors pourquoi je dis ça ? C'est que malheureusement, on a tendance à chasser la diversité ou en tout cas à la rendre invisible. Il y a un point qui est important aussi, qui me touche beaucoup, c'est que, sortez dans la rue, là où vous habitez, vous avez... peu de chances de rencontrer des personnes dites handicapées, en situation de handicap. Vous avez peu de chances de rencontrer en particulier des personnes qui ont un fort handicap cognitif, neurologique. Je ne les croise pas. On les croisait il y a 50 ans, il y a 100 ans. Aujourd'hui, non, ces gens-là sont des personnes dans des structures spécialisées. Des personnes âgées, très âgées, on ne les croise plus dans la rue. Elles sont dans des EHPAD. Des enfants, ils sont dans des crèches, dans des écoles. Les lieux de mixité, à part sur des terrains de sport, parfois, à part parfois des lieux culturels, les lieux de mixité sont quand même de plus en plus rares. Et donc, c'est toujours pareil. On vit dans des bulles, on critique beaucoup d'ailleurs ce côté bulle. Des réseaux sociaux où je suis en contact avec des gens qui vont penser comme moi et chacun à sa tribu et ces bulles ne se mélangent pas. Et donc ça donne l'illusion que je vis dans un monde où tout le monde pense comme moi. Mais c'est vrai aussi dans la vie de tous les jours. In real life, comme on dit dans les réseaux sociaux, sur Internet. Oui, mais malheureusement, on a créé une société où la ségrégation est beaucoup plus importante que les interactions.

  • Speaker #0

    On est à l'optimum de l'opposé de ce que nous enseigne le vivant. Donc toi, quand tu soulignes ça, tu soulignes aussi peut-être qu'il est urgent de prendre conscience. Comment t'amènes à faire prendre conscience, là ?

  • Speaker #1

    Une chose très importante, et d'ailleurs quand je parlais de l'Institut Inspire, le quatrième pilier dont je n'ai pas parlé, c'est justement la dépendance à la biodiversité. Je pense que je dois être le tout premier Français à s'être formé à un outil qui s'appelle l'évaluation des services rendus par les écosystèmes, que j'ai fait traduire en français. et qui a permis à beaucoup d'entreprises de faire le premier pas dans leur démarche biodiversité. Mais finalement, c'est un truc qui est cardinal, qui est absolu, qui est partout dans le vivant, c'est-à-dire que tout le monde dépend de quelqu'un d'autre. Nous dépendons en tant qu'organisme de notre microbiote, mais par exemple, je crois que c'est Marc-André Solos qui en parle très bien dans « Jamais seul » , les termites sont incapables de digérer la cellulose, elles digèrent la cellulose parce que dans leur système digestif, il y a un petit protiste. qui lui est capable de l'être. Mais en fait, quand on regarde, ce protiste, il abrite lui-même une bactérie qui lui permet de digérer la cellulose. Donc on se rend compte qu'il y a un système de poupées russes comme ça et que les systèmes de dépendance sont partout dans le vivant. Il y a une dépendance généralisée. Et nous, en tant que société humaine, nous ne sommes pas différents. Nous sommes radicalement, profondément dépendants de tout ce qui vit sur Terre et qui n'est pas humain et que nous ne contrôlons pas. Et aussi, on peut aussi prendre conscience que, en tant qu'individu, on est dépendant. De tas de choses. En tant qu'entreprise, je suis dépendant de tas de choses aussi. J'utilise par exemple en tant qu'entrepreneur des infrastructures, routières, ferroviaires, internet ou énergétiques, qui permettent de faire tourner mes usines, mes machines, mes salariés de venir, etc. Je dépends de fournisseurs, mais je dépends aussi finalement de communs sociaux, de structures éducatives qui permettent de créer du savoir, de diffuser du savoir sans lequel les gens que je recruterais n'auraient pas de compétences. Je dépends aussi des systèmes d'accès aux soins sans lesquels mes salariés tomberaient malades et j'aurais des taux d'absentéisme absolument impouvantables. Ou alors, quand ils sont malades, ils ne pourraient pas guérir. Et puis, je dépends des communs écologiques aussi, puisque ces services rendus par les écosystèmes permettent à mon entreprise de fonctionner. Mais je crois que c'est quelque chose que...

  • Speaker #0

    Je crois que c'est Jean Guérin qui est un philosophe spécialiste du quatrième âge des seniors. Il disait « mais en fait on se rend compte que quand on devient senior, on est dépendant des autres. » Mais cette expérience de la dépendance, il faudrait qu'on l'ait beaucoup plus tôt. Il faudrait que beaucoup plus tôt on puisse comprendre qu'on est dépendant radicalement des autres, que ce soit des institutions mais des autres individus. Il se trouve que moi j'ai vécu il n'y a pas longtemps une expérience de dépendance radicale, j'ai été hospitalisé, incapable de faire quoi que ce soit tout seul. Donc j'ai vécu avec 30 ans d'avance, peut-être qu'un senior en âge très avancé doit vivre. Le moindre geste de la vie quotidienne, on le fait grâce à des infirmières et des aides-soignantes, sans lesquelles je n'étais plus rien. Cette expérience de la dépendance profonde et radicale, je ne dis pas que tout le monde doit en passer par là, mais il faudrait qu'au moins, en exercice de pensée, on puisse être capable d'anticiper et de comprendre que, non, le mythe du self-made-mad, ça n'existe pas. Le mythe « je me suis fait tout seul, j'ai le mérite de ce que j'ai réalisé, etc. et ce mérite ne revient qu'à moi » , non, ça n'existe pas. Tout ce qu'on fait, on le fait grâce à des quantités d'autres personnes, qui sont souvent invisibilisées d'ailleurs. Et après, c'est à chacun de dire « oui, je reconnais ça, je rends grâce à ces personnes, à ces structures, à ces communs sociaux, écologiques, qui m'ont permis de réaliser ce que j'ai réalisé » .

  • Speaker #1

    Et puis, on en revient à la notion de gratitude et d'humilité, dont tu parlais tout à l'heure. Quand je peux rendre grâce à ces personnes qui m'aident à être, je suis au contact de cette humilité et de cette gratitude. Mais j'ai l'impression que toi, Emmanuel, tu écris des ouvrages, tu fais des conférences, tu proposes des espaces de rencontres. Tu parlais de ce respect, d'apprendre à se connaître. Est-ce qu'il y a des conseils que tu pourrais donner à des leaders, des hommes, des femmes ? qui ont cette envie, cette appétence à faire rentrer, à s'inspirer plus de vivants, que ce soit des dirigeants d'entreprises, des entrepreneurs. Quels conseils tu peux leur donner ?

  • Speaker #0

    C'est toujours difficile de donner des conseils. Je dirais que la première chose, sans doute, c'est de prendre un peu de recul, c'est de savoir lever le nez du guidon. Et c'est vrai, quand on est entrepreneur, quand on est chef d'entreprise, on a des agendas extrêmement chargés. On a l'impression que chaque respiration qu'on s'autorise... est un peu une perte de temps et on va culpabiliser pour ça. En fait, non, on ne va pas culpabiliser. C'est au contraire quelque chose qui va être extrêmement important de garder cette nourriture-là, cette nourriture intellectuelle, cette nourriture, on pourrait presque dire spirituelle, ce fait de s'enrichir. En fait, je pense qu'on peut très vite se stériliser par un exercice qui est celui d'une quête de performance permanente dans un contexte qui favorise, il est vrai, la compétition. en permanence aussi. Donc vous avez le fameux faux mot, la fear of missing out, l'impression que je vais rater un stimulus, je vais rater une information qui pourrait être cruciale, que les autres l'auront avant moi, etc. Non, parfois, effectivement, c'est bien de décoller un tout petit peu et de faire ses pas de côté. Et alors, moi, ce que j'adore faire, par exemple, c'est le pas de côté. Je parlais de permaculture, d'emmener des chefs d'entreprise dans un jardin potager en permaculture et de simplement leur demander, mais il y a quelque chose qui vous étonne, regardez ce qu'il y a autour de vous. Et oui, il y a toujours des tas de choses qui vont les étonner. Et donc, sur ce qui va les étonner, on va pouvoir après tirer des fils et revenir à leur entreprise, revenir à ces cas de figure. On peut faire le même exercice en forêt. On va en forêt, on regarde, on écoute. Qu'est-ce qui vous étonne aujourd'hui ? Qu'est-ce que vous regardez et que vous n'avez pas l'habitude de voir ? Même chose, c'est quelque chose sur lequel on va pouvoir faire les pas de côté et retirer tout ça. Peut-être que j'insisterais à aller sur deux choses, qui sont deux choses en plus un peu attaquées en ce moment. C'est la nécessité de la reconnaissance justement de cette dépendance, de cette vulnérabilité, de se dire que non, la solidité, elle ne se construit pas tout seul, elle se construit ensemble. C'est par des réseaux d'alliances qu'on va pouvoir consolider, au lieu d'essayer de les couper, ces liens d'interdépendance, il faut les consolider. Et donc, il faut travailler ensemble, l'ensemble des parties prenantes, avec les fournisseurs en amont, avec les clients en aval, y compris parfois avec les concurrents sur certains terrains. On aura besoin de coopérer parce qu'à un moment donné, il y a des marches qui sont tellement grandes à franchir que seules, on n'y arrivera pas. Et que c'est que par des logiques de filière et donc d'alliance, y compris avec des concurrents, qu'on va pouvoir franchir ces marches-là. Et la deuxième chose, c'est la nécessité de la diversité. Mais encore une fois, ça revient. Je garde que ces deux principes-là, j'aurais pu en évoquer plein d'autres. Mais ça revient à se dire que finalement, la réponse à quelque chose d'inattendu, elle vient toujours de là où on ne l'attend pas non plus. Et donc, pour ça, il faut de la diversité. Si vous, à un instant T, vous pensez que tel type de profil va être le plus adapté pour mon entreprise, etc., vous n'allez recruter que des gens qui ont ce type de diplôme, ce type de profil, ce type d'expérience, etc. Sauf qu'un jour, il va se passer un truc que vous n'avez pas anticipé. Et vous allez être face à une rupture, qui va être une rupture technologique, une rupture géopolitique, une crise énergétique, une pandémie, n'importe quoi.

  • Speaker #1

    Des petites choses qui peuvent nous parler en ce moment.

  • Speaker #0

    Et voilà, ça, si vous n'êtes pas préparé, si vous n'avez pas la possibilité d'avoir des antennes déployées dans des directions où vous n'avez pas l'habitude d'aller écouter, vous n'aurez pas la réponse tout seul. Donc je pense que cette diversité, quand je parle de diversité, c'est y compris de diversité dans les sensibilités. capacité d'écoute, une capacité d'explorer des champs un peu inattendus, si vous n'avez pas ça, vous n'aurez pas la réponse et vous allez passer à côté de quelque chose qui se passe, ou vous allez vous effondrer tout simplement.

  • Speaker #1

    Merci, c'est concret de pouvoir faire ce pas de côté, de pouvoir observer, de pouvoir se relier aux autres, de pouvoir créer la diversité et de là laisser advenir ce qui n'était pas prévu au départ puisque par définition, dans cette complexité, on ne sait pas où elle est. On ne sait pas où elle est la réponse.

  • Speaker #0

    Oui, ce que j'aime bien dire, c'est que l'avenir est par nature incertain. Et je préfère d'ailleurs qu'il reste incertain parce que l'avenir déterminé, peut-être que certains nous le promettent, pour moi, il ressemble plutôt à un cauchemar. Donc je préfère laisser l'avenir ouvert et incertain. Et justement, pour laisser une chance à ces avenirs incertains d'advenir, il faut garder ce champ des possibles le plus largement ouvert possible. et ça c'est alors quelque chose que j'appelle l'évo-compatibilité, on parle fois de de biocompatibilité, on parle parfois d'éco-compatibilité, on voit à peu près de quoi il s'agit, mais l'évo-compatibilité c'est finalement de laisser ouvert le champ des possibles, c'est-à-dire de laisser les sociétés humaines évoluer comme elles doivent évoluer, dans des sens qu'on ne va pas toujours pouvoir déterminer à l'avance, mais aussi de laisser les espèces, les écosystèmes évoluer et s'adapter. Et donc ça veut dire que, y compris dans les politiques de protection de la nature par exemple, C'est différent de se dire on va mettre des réserves sous cloche et on va dépenser des millions d'euros pour protéger tel et tel espace. Il faut le faire, mais ça ne suffit pas. En fait, c'est la question du, encore une fois, est-ce qu'on se sépare de la nature ou est-ce qu'on laisse la nature venir là où elle a envie de venir ? Et est-ce qu'on ne laisse pas les choses se passer là où elles doivent se passer, y compris là où nous, nous avons des activités ? Donc, il n'y a pas d'un côté des zones protégées où on ne va rien faire et de l'autre côté des zones où on peut faire n'importe quoi et tout saccager. L'idée, c'est de laisser s'interpénétrer le vivant, la nature, entre guillemets, et nos activités, et donc de profiter de ce brassage, de profiter de ces zones de rencontre, et qui sont encore une fois, ces zones de rencontre, ce sont les zones de tous les possibles, ce sont les zones d'expression de la créativité du vivant. Donc ces écotones, il faut en créer le plus possible. Et quand je dis laisser le champ des possibles ouvert, c'est vraiment ça, ce trésor à préserver, c'est la possibilité d'un surgissement de quelque chose d'inattendu. C'est vraiment ça qui est fondamental.

  • Speaker #1

    Surgissement de quelque chose d'inattendu, c'est de là aussi que vient l'émerveillement. Et en termes d'émerveillement, moi, je suis sensible aussi à ta poésie. Qu'est-ce qui t'a amené à écrire dans tout ton chemin ? Tu as fait des ouvrages concrets, puis tu as fait des ouvrages de poésie.

  • Speaker #0

    Oui, mais par exemple, le premier, dès 2011, L'économie expliquée aux humains, je donne la parole à un petit coléoptère qui s'appelle Serambic Cerdo. Il y a quelque chose de... de poésie, de poétique au sens un peu foutraque. C'est quoi cette espèce d'insecte qui se met à parler tout d'un coup et qui se fout un peu de notre gueule finalement. Mais donc, il y a un truc un peu décalé.

  • Speaker #1

    Changement de regard.

  • Speaker #0

    Voilà, changement de regard et accepter de subir le regard de quelqu'un qu'on n'écoute pas d'habitude et qui va en l'occurrence être un représentant de la biodiversité. Mais globalement, je pense que la poésie, c'est comme... tout mode d'expression artistique, d'ailleurs poésie c'est la création, ça peut être la musique, ça peut être la peinture, ça peut être la sculpture, c'est une manière d'exprimer notre créativité et c'est une manière de toucher non pas forcément la raison mais les sens, l'émotion. Et on sait que et notamment les personnes qui sont frappées d'Alzheimer par exemple, l'émotion, la trace d'une émotion reste bien plus longtemps que la trace d'une connaissance. Et ce qui fait « Bouger les gens aussi, c'est l'émotion. C'est quelque chose qui est irrationnel. Et d'ailleurs, le mythe de l'homo economicus, il y a longtemps que plus personne n'y croit, aucune décision que nous prenons dans nos vies quotidiennes n'est une décision rationnelle. Je ne sais pas qui disait, mais si on prenait tout le temps des décisions rationnelles, personne n'achèterait une voiture neuve, par exemple. Parce qu'une voiture neuve, vous avez à peine franchi la porte du garage, qu'elle a perdu 30% de sa valeur. » Donc c'est irrationnel, on achèterait tous des voitures d'occasion. Sauf que si on achetait toutes des voitures d'occasion, il n'y aurait plus de voitures. Bref, mais en tout cas, les impulsions d'achat... et les spécialistes du marketing le savent très bien, sont toujours faites par des impulsions, des émotions, et pas par une décision mûrement réfléchie. Et on pense parfois que les grands stratèges d'entreprise échappent à cette règle-là et qu'eux auraient un raisonnement pur et parfait, seraient parfaitement informés, etc. Mais non, là aussi, c'est un mythe. Aucun acteur du marché n'a accès à toute l'information et n'est en mesure de prendre une décision complètement rationnelle. Donc c'est toujours un pari. Et un pari qui va être basé sur des convictions, sur des croyances. Je me dis que la poésie, tiens, c'est une manière de toucher cette corde sensible aussi. Il ne suffit pas d'expliquer, il ne suffit pas d'écrire des faits, d'accroître le volume de connaissances, etc. Il faut aussi donner envie et toucher la corde sensible. Et voilà, pour moi, la poésie, c'est ça. Alors, je ne me suis pas forcé un jour à écrire de la poésie parce que c'était dans une stratégie de faire bouger les gens, etc. C'est quelque chose que j'avais depuis une bonne dizaine d'années. Et d'ailleurs, je pense que c'est notamment au moment où mon père était malade. quelques années avant son décès, où j'ai commencé à lui écrire de la poésie qui lui touchait beaucoup, qui lui faisait du bien. Et moi, ça me faisait du bien de lui écrire aussi. Et je me suis rendu compte que il y avait quelque chose qui passait qui était très fort, plus fort que des échanges rationnels, des conversations. Je ne sais pas quoi dire, mais pour moi, la poésie... Et encore une fois...

  • Speaker #1

    Tu ne sais pas quoi dire, mais tu dis beaucoup de choses.

  • Speaker #0

    La musique, c'est pareil. Il y a des choses. qui font que c'est pour ça qu'on vit. Voilà, c'est là où je voulais en venir. L'économie, le travail, la gestion de la vie quotidienne, notre image sur les réseaux sociaux, tout ça c'est très bien, mais c'est par ça qu'on vit, c'est des moyens de faire des choses. Mais ce pourquoi on vit, ce qui donne du sens, et ce qui fait qu'on est authentiquement et pleinement humain, c'est d'abord des choses sensibles, et ces choses irrationnelles qu'on a tendance à essayer de refouler, au contraire, il faut les révéler et les accepter.

  • Speaker #1

    Et merci de nous aider à les révéler de par ce que tu fais. Tu aurais envie ou pas de nous partager un texte de ton livre ?

  • Speaker #0

    Les Turbulents, oui, qui a été...

  • Speaker #1

    On ne voit pas la belle couverture, mais...

  • Speaker #0

    Voilà, illustré avec beaucoup de talent par Chloé Lequette. Et alors, je vais vous en lire deux comme ça. Le premier, qui n'est pas vraiment un texte du livre, d'ailleurs, qui est plutôt la dédicace que j'ai voulu comme ça. À vous qu'on dit nuisible. À vous, les Turbulents. les inutiles, les différents, les pas pareils, les déplacés, les désaxés, les fatigués, les inadaptés, les déprimés, les opprimés, les énervés, les pas jolis, les trop typés, les trop visibles, les invisibles, les discrets, les timides, les sensibles, les fragiles, les mal aimés, les pas aimés du tout. N'attendez pas qu'on vous dise « Bienvenue, vous êtes chez vous » . Et puis un autre, qui conclut presque, c'est l'avant-dernier texte du livre. Tous, ensemble, après moi, répétez. Le monde est une promesse. La vie est un miracle de beauté. Faites-le savoir. Chantez-le. Criez. N'attendez pas demain. Faites-le maintenant. Tant que brûle encore en vous le feu du désir. Et avant que ne soit plus ici que souvenir.

  • Speaker #1

    Merci. Merci beaucoup, Emmanuel, de ce moment-là d'émotion, en tout cas pour moi.

  • Speaker #0

    Merci. Merci pour ce temps.

  • Speaker #1

    Et j'ai encore une question. Est-ce que je peux te proposer un petit voyage ?

  • Speaker #0

    Allez.

  • Speaker #1

    Alors, je t'invite à fermer les yeux et je t'invite à aller en 2035. On est en 2035. Qu'est-ce qui fait battre ton cœur ?

  • Speaker #0

    Des rires d'enfants, le bruit du vent dans les arbres, les grillons, la sensation de l'air sur ma peau, la chaleur du soleil. modérée quand même.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Si vous avez aimé ce podcast, vous pouvez favoriser sa diffusion en lui donnant 5 étoiles sur Apple Podcasts. Et puis, vous pouvez bien sûr vous abonner sur toutes les plateformes Spotify, Apple Podcasts ou toutes autres plateformes que vous souhaitez. À bientôt sur SoisVM.

Description

Naturaliste, économiste, poète, Emmanuel Delannoy revient sur son parcours.

Admirateur du vivant  dès son plus jeune âge, il fait des études de biologie, puis se dirige plutôt par pragmatisme vers des études de commerce. Il constate vite dans l’entreprise des approches purement gestionnaires, cloisonnées et simplificatrices, là où il observe que la vie, elle, est complexité, émergence, interrelations.


Il souhaite relier ces mondes, ce qui l’amène à créer notamment l’Institut Inspire, un Think tank où naturalistes, scientifiques et entrepreneurs co-construisent des pistes économiques inspirées du vivant.


Il est un des pionniers du biomimétisme en France, inventeur du concept de permaéconomie, il invite à repenser en profondeur nos modèles économiques à l’aune des lois du vivant.


Nous échangeons sur :

  • l’économie symbiotique et les enseignements de la nature,

  • la nécessité de recréer des ponts entre des mondes qui ne se parlent plus,

  • la force des écotones – ces zones de rencontre où la vie explose,

  • la poésie comme boussole sensible pour éveiller les consciences,

  • ce que les leaders et entrepreneurs peuvent apprendre du vivant pour bâtir des organisations plus résiliantes, fertiles, humaines, en s’inspirant notamment de la coévolution, l’interdépendance, la diversité du vivant


Un échange fort, vibrant et inspirant pour « dépasser le culte de la performance, aller

moins vite en surface, plus vite au coeur des choses »

Une invitation à regarder autrement nos manières de vivre, interagir, décider, créer .

Belle écoute !


Dans cet épisode, Emmanuel cite :

  • Stephen Jay Gould : paléontologue, biologiste de l’évolution, grand humaniste.

  • Albert Camus : écrivain et philosophe, référence marquante dans son parcours.

  • Robert Barbault : écologue, auteur de la phrase « L’écologie, c’est la science des relations entre les êtres vivants ».

  • François Cheng : poète, philosophe, écrivain. Citation sur l’importance des relations.

  • Jean Guérin : philosophe spécialiste du quatrième âge, sur la dépendance.

  • Marc-André Selosse : biologiste, auteur de Jamais seul, sur les symbioses et interdépendances.

  • Alain Damasio et Baptiste Morizot : sur le concept de « cosmopolitesse ».

  • Théodore Monod : scientifique, humaniste, fondateur de la Ligue ROC.

  • Hubert Reeves : astrophysicien, président de la Ligue ROC à une époque.

  • Jacques Weber : économiste et anthropologue, mentor d’Emmanuel


Emmanuel nous fait aussi le cadeau de son blog poétique, beau voyage ! :

https://emmanueldelannoy.writeas.com



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et tous, je suis Stéphanie Pelleret-Delga. Vous écoutez le podcast Sois, Vie, Aime. Oser un leadership authentique et inspirant, au service de soi, des autres, de son écosystème et du vivant. Tous les mois, je reçois des dirigeantes, dirigeants, experts, expertes. entrepreneurs, entrepreneuses qui ont fait ce chemin entre vulnérabilité et puissance, qui ouvrent leur cœur et partagent leurs expériences professionnelles et plus personnelles. Par leur parcours et personnalité, ils, elles, sèment des graines sources d'inspiration. Et vous, quelles graines avez-vous envie de semer ? Quel leadership souhaitez-vous incarner ? À mon micro, aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir Emmanuel Delanois. Bonjour Emmanuel.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté mon invitation dans Sois, Vie, Aime. Merci pour ça. Et j'enregistre, on enregistre aujourd'hui cette interview dans mon salon, transformé en studio pour l'occasion. Cher Emmanuel, tu es l'un des pionniers du biomimétisme en France et inventeur du concept de permaéconomie. Tu accompagnes la transformation des organisations depuis plus de 20 ans. Tu es membre du bureau du comité français de l'UICN, président de l'incubateur spécialisé dans l'économie sociale et solidaire Intermaid et auteur de plusieurs ouvrages consacrés aux liens entre économie et vivant. L'économie expliquée aux humains, biomimétique, permaéconomie et les turbulents. On aura l'occasion d'en reparler. Tu as aussi été rapporteur pour le ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer, du rapport « La biodiversité, une opportunité pour le développement économique et la création d'emplois » . Tu es co-auteur de la fresque de l'économie « Régénératrice » . Promoteur de nouveaux imaginaires au service de la vie, tu es un poète. Economiste ? Naturaliste ? Poète ? Qu'est-ce qui t'a amené, cher Emmanuel, à devenir un expert des liens ? entre économie et vivant.

  • Speaker #1

    Alors, ça fait beaucoup, ça, effectivement. Merci pour ce portrait qui est quand même très efflateur. Ce qui m'a amené, je dirais qu'il y a plusieurs, comme tout le monde, plusieurs étapes et une construction. Déjà, je n'ai pas eu à me forcer pour être un admirateur du vivant, de ce qu'on appelle maintenant le vivant, la biodiversité, ce qu'on appelait la nature quand j'étais enfant. Je me souviens que tout petit, je passais déjà énormément de temps devant la moindre mare, le moindre trou d'eau, le moindre ruisseau. à regarder les petites grenouilles, les petits poissons, les petits crustacés qu'il y avait dedans, et franchement, à m'émerveiller de ça. Vous pouvez passer des heures. J'étais très bien en forêt, y compris dans les forêts parfois un peu sombres, où les gens ont parfois un peu peur. Et je me souviens par exemple d'une anecdote où mes parents m'ont perdu, où je me suis perdu, je devais avoir 3 ou 4 ans. Et quand ils m'ont retrouvé, ils étaient persuadés que j'allais être terrorisé, et en fait non, moi j'ai tout souri, j'étais très bien là où j'étais, je crois que j'avais même pas conscience de m'être perdu. Donc j'étais bien, j'étais mon élément. Et donc ça, c'est quelque chose qui est profond. qui est ancré, je me souviens aussi que petit garçon, un peu plus tard, je collectionnais déjà des coupures de journaux sur, malheureusement, tous ces faits divers un peu tristes de pollution, de marée noire, etc. J'ai grandi dans le nord de la France, on a été pas mal impacté aussi par des faits divers de ce type-là. Et je pense que ma sensibilité, elle a grandi petit à petit avec ça. Après, ce qui m'a amené... D'abord, j'ai fait des études de biologie qui m'ont passionné. Je crois que je dois rendre grâce d'ailleurs, je vais beaucoup parler de rencontres, à une professeure de sciences naturelles. J'ai oublié le nom malheureusement, mais qui a vraiment suscité une vocation. Une professeure qui faisait ses classes hors classe. On allait dans la forêt, on allait dans la nature à proximité d'école, on partait à pied et on se penchait, on observait. On faisait vraiment des cours de naturaliste. On parle aujourd'hui de naturaliste, c'est-à-dire qu'on va observer les fleurs, on va leur donner un nom, les papillons, etc. On va regarder ce qui se passe et on faisait déjà de l'écologie. Pourquoi telle plante pousse à tel endroit ? Qu'est-ce qui se passe à cet endroit-là ? etc. Donc ça, c'est déjà... Une sensibilité. Ça m'a donné envie de poursuivre dans ce domaine-là, de faire des études en biologie.

  • Speaker #0

    Ça, c'était au collège, quand tu parles de ta professeure ? Ça,

  • Speaker #1

    c'était au collège, tout à fait. Et donc, ça m'a donné envie de m'inscrire en fac après le bac, où j'ai fait un bac D. Curieusement, après la fac en bio, j'ai fait une école de commerce. École de commerce, c'est difficile. Parce que ce n'est pas un choix typique. J'aurais pu poursuivre dans des études strictement scientifiques ou naturalistes. Et puis, il y a un peu de... Question réaliste, il y a aussi des amis qui étaient plus avancés que moi dans les études et qui, jeunes docteurs, galéraient pour trouver du boulot. On était dans les années 80. Et je me dis, bon, peut-être qu'il faut être raisonnable. Je vais faire un vrai métier, comme on dit. Donc, je vais m'inscrire dans une école de commerce. Sauf que je pense que je n'étais pas du tout un étudiant en école de commerce comme les autres. Moi, ce qui me passionnait toujours, c'était à la fois les pensées humanistes. Par exemple, je me souviens que la lecture de Camus m'a beaucoup marqué. Et aussi la paléontologie. Donc, je me suis beaucoup intéressé à Stéphane Jégould, qui était un véritable maître pour moi, qui est quelqu'un que je n'ai jamais rencontré, que j'aurais adoré rencontrer. mais qui était contemporain, qui écrivait en même temps que je le lisais.

  • Speaker #0

    Et il y avait des cours de paléontologie dans ton école ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout, mais c'était une passion que j'avais maintenue à côté. En même temps que le cinéma d'arrêt-décès. Donc, tu vois, vraiment des choses très variées comme ça.

  • Speaker #0

    Très éclectiques.

  • Speaker #1

    Très éclectiques. Et Gould, ce qu'on sait peu, c'est que c'est un grand scientifique, un grand paléontologue, mais aussi un grand humaniste. Quelqu'un qui a énormément réfléchi. Il a cette phrase très forte, par exemple, qui est de dire l'égalité des races. est un hasard de l'histoire, de l'évolution. C'est-à-dire qu'imaginez qu'à un moment, il y a eu plusieurs espèces du genre homo qui coexistaient sur Terre, Néandertalensis, Sapiens, et puis peut-être d'autres encore. Et aujourd'hui, il se trouve que Sapiens est seul de son embranchement, le seul représentant du genre homo. C'est une anomalie, il n'y a aucune autre espèce pour laquelle il n'y a pas d'autres représentants dans le même embranchement, dans le même ordre. Donc là, on se dit, tiens... petite histoire, et ça fait réfléchir, et on se dit, tiens, est-ce que l'humanité aurait été différente si on avait dû coexister, cohabiter avec d'autres nous-mêmes ? Et en fait, je me dis, mais quand on voit à quel point on a du mal à accepter déjà la différence au sein de cette espèce qui est homo sapiens, de gens qui ont exactement la même biologie, le même ADN, les mêmes besoins que nous, etc., mais qui vont avoir une culture ou une histoire différente de la nôtre, rien que ça, on a du mal à l'accepter. Alors je me dis, waouh ! ça aurait été un sacré défi. Peut-être que ça nous aurait rendu meilleurs, d'ailleurs. Cette confrontation à l'altérité radicale, je trouve que c'est quelque chose qui nous manque. Mais enfin, on pourra y revenir.

  • Speaker #0

    Et ça, c'est des sensibilités, des sujets que tu avais déjà étudiants ?

  • Speaker #1

    Oui, qui ne m'ont jamais quitté. A la fois cette sensibilité artistique à travers le cinéma, j'étais très cinéphile, la littérature, bien sûr, et puis cette sensibilité scientifique à travers cette passion pour la biologie de l'évolution, ce qu'on appelle la biologie fonctionnelle, et donc l'écologie aussi fonctionnelle. Cette question de l'altérité m'a travaillé profondément. Et en écologie, on ne parle que de ça, finalement. Moi, j'aime beaucoup cette phrase de Robert Barbeau qui disait « L'écologie, c'est la science des relations entre les êtres vivants » . Je pense que quand on a dit ça, on a recadré les choses. L'écologie, ce n'est pas une doctrine, ce n'est pas un courant politique, c'est quelque chose qui devrait tous nous unir. Et c'est de se dire que nous sommes des êtres vivants et ce qui se passe entre nous, comme le dit François Tcheng, j'adore cette citation aussi, François Tcheng qui dit « Ce qui se passe entre les êtres est... » c'est au moins aussi important que les êtres eux-mêmes. Donc les relations entre l'individu, mais aussi entre les espèces dans les écosystèmes, sont au moins aussi importantes que l'existence même de ces espèces. Et ça, ça nous amène à l'émergence, à notre phénomène formidable aussi, quand on s'intéresse un peu à la complexité. Dans un système, et un écosystème est un système, dès qu'il y a des relations entre des entités, des individus, des espèces, des populations, il se passe des choses qui donnent à ce système des propriétés. émergentes, des propriétés nouvelles par rapport à ce qui pourrait se passer si ces espèces n'étaient pas là. Et ça, c'est la vie. C'est-à-dire que la vie, elle passe son temps à inventer, et elle invente d'une manière qui n'est pas magnifiable, qui n'est pas gérable, qui ne rentre pas dans les cases de la gestion des tableaux Excel, etc. Et alors ça, pour quelqu'un qui a fait une école de commerce et de gestion, c'est un sacré défi. Parce que dans une école de commerce, ce qu'on vous apprend, c'est de faire des business plans, c'était de faire du prévisionnel c'est de rentrer, par exemple, la population dans des cases. Quand on fait du marketing, on veut segmenter les choses. On veut des archétypes de telle population qui aura tel besoin. On va y répondre de telle manière, etc. Et puis, en fait, quand on a aussi cette pensée complexe et cette pensée écologique, on se rend compte que les choses ne sont jamais comme ça. Les choses ne sont jamais cloisonnées. Il y a des continuums partout et il y a des interrelations partout. Et il y a des changements partout et des émergences. Et ça, c'est malheureusement sans doute quelque chose qu'on oublie souvent. Et c'est une grande modestie qu'il faudrait qu'on réapprenne par rapport au vivant. Mais la modestie, elle va avec l'émerveillement aussi. Elle va avec la gratitude aussi d'être vivant, simplement de respirer, de se poser la question de, à chaque instant, qu'est-ce que je dois ? Et aujourd'hui, la lumière est merveilleuse, par exemple. Qu'est-ce que je dois à cet instant-là, à ce qui vit autour de moi ? C'est tout. C'est des choses qu'on a tendance à perdre par notre éducation et qu'il faut absolument se réapproprier.

  • Speaker #0

    On redevient peu de choses quand on s'émerveille de ce qui nous entoure.

  • Speaker #1

    On devient peu de choses et en même temps ça nous grandit énormément. On passe à une autre nature de choses. C'est toute la question du culte de la performance aussi aujourd'hui. Cette idée qu'il faut aller vite, qu'il faut être plus fort, plus rapide, parfois plus spécialisé. Et puis, en fait, est-ce que c'est ça la vie ? Est-ce que la vie, ce n'est pas plutôt d'aller plus en profondeur ? La richesse, en fait, elle va être beaucoup plus forte, parfois dans des choses qui vont être moins performantes. Aller moins vite en surface, mais plus vite au cœur des choses, plus en profondeur.

  • Speaker #0

    Et donc là, on parle, tu nous partages de façon globale ce qui est devenu. une vraiment de tes spécialités, comme l'économie symbiotique. J'aimerais juste revenir dans ton parcours. Toi, tu es plein de cette curiosité du vivant, artistique, et puis tu fais quand même des études en école de commerce. À quel moment, je crois que tu commences d'abord par l'entreprise classique, et à quel moment fort de cette curiosité, de tes connaissances de naturaliste, de ce que tu observes dans la manière de fonctionner du vivant, du lien ? de ce que la relation apporte, plus que les entités en tant que telles, à quel moment tu te dis je vais en faire quelque chose au service de l'économie ?

  • Speaker #1

    Oui, et effectivement il y a un moment où j'ai voulu rassembler les choses. C'est-à-dire que je n'ai jamais été que manager, que directeur de centre de profit, que directeur régional ou directeur général, etc. ou commercial dans les entreprises où j'étais. J'ai toujours été à côté le naturaliste. Mais le naturaliste, le week-end, le soir, par mes lectures, etc., ou par mes sorties, j'étais militant, associatif. Et ça, l'engagement militant dans des associations de protection de la nature est quelque chose qui m'a beaucoup forgé aussi, ne serait-ce que par les rencontres que j'ai pu faire. Et puis, à un moment, au début des années 2000, je me suis dit, en fait, ces deux traces qui sont parallèles et qui se croisent quasiment jamais, j'ai envie de les croiser maintenant, de les rassembler. Donc, j'ai repris les études, j'ai fait un master spécialisé en management de l'innovation, de la qualité de l'environnement. Et il se trouve que j'ai fait mon stage, j'avais envie de dire par chance, mais non, pas par chance, parce que j'ai vraiment voulu, j'ai presque fait le siège. J'ai fait mon stage de fin d'études au CIRAD, Centre de Recherche en Agronomie pour le Développement, à Montpellier. Et là, j'ai rencontré beaucoup de scientifiques, d'agronomes, d'écologues. J'ai rencontré un grand monsieur qui m'a mentoré, à qui je dois beaucoup, qui s'appelle Jacques Weber, et qui lui était économiste et anthropologue, deux casquettes qu'on ne voit pas souvent chez la même personne. Et puis en même temps, j'étais toujours militant associatif aussi à la Ligue Rock en particulier, qui a été fondée par Théodore Monod, mais à l'époque c'était Hubert Rives qui en avait pété le président. Et tout ça fait que, quand j'ai voulu remettre ces deux traces ensemble, j'ai fait ce master spécialisé, j'ai fait ce stage au CIRAD, et je me dis, là il faut que je fasse quelque chose avec tout ça. D'abord, j'essaye de trouver des missions en tant qu'indépendant, en tant que conseil. pour des entreprises, pour des associations, pour des ONG. J'organise des grands événements. Je participe à l'organisation et à la programmation d'événements scientifiques sur la vulgarisation, sur la diffusion de la connaissance, sur l'écologie, sur la biologie. Et puis, à un moment, tiens, un président est élu et il convoque ce qu'on appelle le Grenelle Environnement, quelques années après. Et là, à la Ligroc, on me dit, toi, tu es quand même un des seuls parmi nous, là, je t'ai membre du bureau, qui sait ce que c'est qu'une entreprise ? Bon, au Grenelle, il y a une table ronde sur les entreprises. C'est toi qui vas y aller. Donc je me suis retrouvé bombardé à être négociateur ou cher parent. Enfin voilà, je préparais des fiches, des notes, etc. Et j'assistais le négociateur de la Ligue Roque, en tout cas, sur ces sujets-là, sur la question de dire, mais qu'est-ce que ça pourrait être un développement économique et un développement écologique qui soit favorable à l'emploi, qui soit favorable à la performance économique ? On parlait encore de performance, de compétitivité. On en parle encore d'ailleurs beaucoup aujourd'hui aussi. Vous avez peut-être cassé un peu ces termes. Mais donc ça, ça m'a amené à rencontrer des tas de gens. Des agriculteurs, des syndicalistes agricoles, des gens du MEDEF, des syndicalistes de syndicats de salariés, des responsables d'entreprises, de différents réseaux, de différentes convictions, parce qu'il y a des gens très engagés parmi les responsables d'entreprises. Mais je me suis surtout rendu compte d'une chose, c'est que, que ce soit chez les scientifiques, chez les ONG ou chez les responsables du monde agricole ou du monde de l'entreprise, tout le monde est plein de bonne volonté dès qu'on est ensemble dans la même pièce. Et là, on se rend compte qu'on est tous des humains, qu'on parle. peu près le même langage et qu'on devrait être capable de se comprendre. Sauf que non, en fait, on ne parle pas le même langage et on ne se comprend pas. On ne met pas la même chose derrière les mêmes termes. Et puis surtout, mon monde de naturaliste n'est pas ton monde d'entrepreneur et vice-versa. Et donc, à un moment donné, je me suis dit « Eh, c'est vrai, on manque de passerelles. » Et c'est là que j'ai créé l'Institut Inspire, en me disant « L'Institut Inspire doit être un lieu de rencontre, un espèce de think-tank dans lequel des scientifiques, des naturalistes, des entrepreneurs vont se rencontrer et vont travailler ensemble sur des pistes qu'on avait posées comme ça sur la table, qui étaient de dire, on va parler d'économie circulaire, désintensifiée, en flux, matière, énergie, l'économie. On va parler d'économie de la fonctionnalité et de la coopération. C'était très innovant à l'époque, un peu moins maintenant. C'était de dire, on va parler de... donner une valeur à ce qu'il y a de la valeur, finalement. Et ce qu'il y a de la valeur, ce n'est pas le produit, c'est l'usage qu'on fait du produit. On va parler de biomimétisme, en se disant, tiens, comment la biodiversité, comment le monde vivant peut être une source d'inspiration, mais surtout, quelque part aussi, un cadre de référence. C'est-à-dire en se disant, tiens, qu'est-ce qui marche dans la nature, qu'est-ce qui ne marche pas, et pourquoi ça marche ? Et après tout, pourquoi le vivant est encore là depuis 4 milliards d'années ? Il y a peut-être des recettes dont on pourrait s'inspirer, des recettes de durabilité. quand on travaille en innovation d'entreprise. On peut s'inspirer de pas mal de choses quand même, y compris d'ailleurs à un niveau stratégique. Et puis le dernier point, c'est que...

  • Speaker #0

    Et juste pour illustrer, parce que ce n'est pas si évident des fois toujours à comprendre, est-ce que tu as un exemple dans ces travaux-là, en termes d'innovation, qui te viendrait de quelque chose qui est inspiré directement du vivant ?

  • Speaker #1

    Justement, j'ai envie de dire qu'on pourrait parler de l'innovation technique inspirée du vivant, on pourrait parler de ces fameuses surfaces à effet lotus, par exemple, qui ne se salissent pas quand l'eau ruisselle dessus, etc. Mais j'allais dire, c'est secondaire tout ça. Pour moi, ce qui est fondamental, c'est plutôt des stratégies inspirées du vivant et qui font que des espèces coexistent dans un écosystème. Et elles coexistent parce qu'il y a un nombre de règles non écrites, de règles qui sont acquises par coévolution. Il a fallu des millions d'années, des milliards d'années pour ça, que j'appellerais presque du savoir vivre ensemble, des règles de politesse. Et d'ailleurs, ce n'est pas de moi, c'est d'Alain Damasio et Baptiste Morisot qui parlent de cosmopolitesse. Mais de se dire finalement, dans les sociétés humaines, on a inventé la politesse pour se supporter les uns les autres et pour pouvoir vivre ensemble sans se taper dessus tout de suite. Entre espèces vivantes différentes, il faudrait qu'on invente des règles de politesse qui nous permettraient de coexister. Il se trouve que ces règles existent dans la nature et on peut s'en inspirer. Je vais donner quelques exemples. Aucune espèce vivante sur Terre ne produit une substance qui ne saurait être dégradée par une autre espèce. Même les poisons les plus violents, il faut le reconnaître, il y a des poisons extrêmement violents dans la nature, ces poisons-là seront un jour ou l'autre dégradés, soit par des UV d'ailleurs, qui n'est pas vivant, soit par des bactéries, des champignons, d'autres organismes. La deuxième chose, c'est finalement tout ce que produit un organisme vivant et qui pour lui est un déchet. Par exemple, quand une plante fait de la photosynthèse, elle va rejeter de l'oxygène dans l'atmosphère. Cet oxygène est pour elle un déchet, mais il se trouve que d'autres espèces profitent de la présence de l'oxygène. Et donc c'est ça ces règles de coévolution, ce qui font qu'à l'échelle globale, cette notion de déchet n'existe pas. Une autre, alors là on peut vite tomber dans l'anthropomorphisme, il faut faire attention à l'usage des termes, par exemple quand on parle de coopération. Coopération pour moi ça suppose une intention de faire quelque chose ensemble. C'est pas quelque chose qui existe dans la nature ça. Mais par contre, encore une fois, par coévolution, il y a une sorte d'apprentissage qui fait qu'il y a des relations à bénéfice réciproques. qui vont s'installer. Et ces relations à bénéfices réciproques font que le vivant est présent partout, dans toutes les niches écologiques, y compris là où les conditions sont extrêmes. Il peut faire très froid, il peut faire très chaud, il peut y avoir énormément d'eau ou pas assez d'eau. Mais il y a des espèces qui arrivent à survivre dans ces endroits-là. Et très souvent, c'est grâce à des symbioses ou grâce à des mutualismes. Donc voilà, quelques exemples, simplement, pour en citer plein d'autres.

  • Speaker #0

    Très chouette. Et ce que je comprends, ce n'est pas tant le résultat de cette symbiose, mais plutôt l'état d'esprit, la sagesse avec laquelle le vivant peut nous enseigner les interrelations.

  • Speaker #1

    Plus que la sagesse du vivant, moi je dirais que tu as dit à un moment, c'était pas tant le résultat qui est important que la sagesse. Dans sagesse, je parlerais de processus, c'est-à-dire de ces processus de coévolution, de rétroaction. Et c'est d'ailleurs ce qui a énormément nourri la pensée des concepteurs de la permaculture, par exemple. C'est cette observation de ce qui se passe dans le vivant. Et ils ont retenu un truc qui était essentiel, c'était la nécessité de ces interactions, de ces rétroactions, de ces zones d'échange, ces zones de contact, par exemple ce qu'on appelle les écotones en économie, en écologie, ce qu'on va appeler une lisière par exemple. Ces endroits où des milieux se rencontrent sont des endroits qui sont toujours extrêmement riches en biodiversité et extrêmement riches en termes de fonctionnalités écologiques, en termes de production, en termes de résilience, de capacité d'adaptation, etc. Et donc ça, ça m'amène à une autre idée, c'est que très souvent, comme on dit d'ailleurs, la destination n'est pas le voyage, c'est le chemin. Dans une négociation, le processus est au moins aussi important que le résultat. Et quand je parlais du Grenelle Environnement tout à l'heure, je pense que le principal bénéfice de ça, qui a été beaucoup perdu depuis, qui a besoin d'être revitalisé évidemment, c'est le fait qu'on se parle, c'est le fait qu'on se mette autour d'une table, c'est le fait qu'on apprenne à se respecter. et qu'on apprenne à reconnaître nos différences. Il y a un mot que j'aime beaucoup, c'est le mot respect. Respecter, respectare, en italien. Spectare, c'est regarder. Respect à respect, c'est regarder deux fois. Le fait qu'on soit dans des processus de réunion où on se revoit comme ça régulièrement, toutes les semaines, pendant des périodes qui vont durer assez longtemps, ce tenue des liens. On prend l'habitude de se rencontrer. Et c'est là que le respect naît. On se regarde une fois, on se regarde une deuxième fois, on se reconnaît finalement. Et on se reconnaît dans nos différences aussi. Et on se reconnaît, y compris dans, peut-être, des schémas de pensée, peut-être des manières de voir le monde qui vont être très différentes. finalement, d'être capable de prêter à l'autre un regard que nous n'avons pas, mais que lui, il a, c'est la théorie de l'esprit, c'est la naissance de l'empathie. Et à partir de ça, on peut faire beaucoup de choses.

  • Speaker #0

    Et j'ai l'impression même que c'est l'essence même du vivre ensemble. Dit de façon un peu moins poétique, excuse-moi, c'est aussi pouvoir échanger de lunettes et dans une même pièce, comme tu dis, à partir du moment où il peut y avoir cette notion de... « Ok, là, j'ai tel avis, mais en fait, ça ne parle que de moi. Et si finalement, j'essaye de mettre les lunettes de telle personne, ça fait quoi ? » Je trouve que c'est la base d'un échange.

  • Speaker #1

    Oui, encore une fois, c'est là aussi la base de la permaculture. C'est de confronter des choses, de permettre ces échanges-là. Quand tu dis changer de lunettes, c'est regarder des choses autrement, finalement. C'est apprendre à respecter, encore une fois, cette altérité différente. Et je trouve ça intéressant. De se dire finalement... Tiens, je vais prendre un autre exemple. On voit qu'on a du mal aujourd'hui dans nos sociétés humaines à coexister avec les grands prédateurs, avec le loup, l'ours, c'est des sujets qui font polémique depuis très longtemps. Mais imaginons qu'il y a... Allez, il y a mille ans, c'est pas il y a si longtemps que ça encore. C'est rien à l'échelle des temps géologiques. Il y a mille ans, il y avait des troupeaux de grands herbivores sauvages. Il y avait des troupeaux de bisons, il y avait des troupeaux de grands cervidés, en très grande quantité, etc. Imaginez aujourd'hui un troupeau de bisons. traverser un autoroute ou un truc comme ça. C'est même pas imaginable. Notre manière d'habiter le territoire, notre manière d'habiter la planète, n'est plus compatible aujourd'hui avec la manière d'habiter d'autres espèces. Et ça, je pense que ça devrait nous interpeller aussi. C'est-à-dire que dès qu'une espèce, par son existence même, devient gênante, on en fait un ennemi, on en fait un adversaire, quelque chose à éliminer, alors que, évidemment, nous aussi, on a des droits. Et il faut aussi qu'on les fasse valoir. mais Simplement, cette gêne qu'on a devrait nous interpeller, devrait nous faire poser la question de, tiens, est-ce que c'est pas nous qu'on devrait remettre en cause ? On adore trouver des boucs émissaires en tout. Et on dit d'ailleurs que souvent, une civilisation, elle se construit sur son ennemi, contre son ennemi, mais donc elle se renforce. Les liens au sein de la cité, par exemple, se renforcent parce qu'il y a la cité adversaire ou la cité ennemie de l'autre côté, à quelques centaines de kilomètres. Et je... croit malheureusement que ce qui unit une bonne partie de la société occidentale aujourd'hui, je précise occidentale parce que ce n'est pas vrai de toutes les sociétés, c'est cette espèce de ségrégation d'avec la nature, d'avec le vivant non humain, cette espèce de coupure, et qu'on n'arrive plus à accepter en fait ce qui fait cette différence radicale, cette altérité radicale du vivant non humain. Et là on a perdu quelque chose, et je pense qu'en perdant cette chose-là, on ne sait pas. perdu aussi nous-mêmes, qui fait qu'on est confrontés à des difficultés extrêmes aujourd'hui. Ne serait-ce qu'à accepter nous-mêmes les différences au sein de nos sociétés.

  • Speaker #0

    Et à l'intérieur de nous.

  • Speaker #1

    Et à l'intérieur de nous.

  • Speaker #0

    Le propre parc, des fois, s'affronte à l'intérieur.

  • Speaker #1

    Exactement. Parfois, on est un peu pluriel. On est tous pluriel, d'ailleurs. Et de l'assumer, de l'accepter, de se dire, tiens, je suis un entrepreneur, je suis un bon manager, je suis un expert dans tel et tel domaine. Mais, je peux pleurer en écoutant une chanson, en lisant un poème, ben pourquoi pas ? Après tout, c'est la même personne. De se dire, ah, il y a des nouveaux voisins, ils cassent les pieds, ils font du bruit, machin, etc. Mais en même temps, le jour où il me demande de les aider, parce que je vois qu'il y a vraiment un gros problème, je vais les aider, spontanément. Et c'est les mêmes personnes. Je ne sais plus qui écrivait ça, les Français qui votent pour l'extrême droite, les Français qui sont racistes, les Français qui ont peur des étrangers, qui sont xénophobes. C'est les mêmes, finalement, en tout cas statistiquement, qui donnent beaucoup aux associations, qui donnent à l'UNICEF quand il y a une catastrophe. Et c'est intéressant de noter que les gens sont pluriels. Il n'y a pas des grands blocs qui s'affrontent. Encore une fois, il y a des continuums. Alors pourquoi je dis ça ? C'est que malheureusement, on a tendance à chasser la diversité ou en tout cas à la rendre invisible. Il y a un point qui est important aussi, qui me touche beaucoup, c'est que, sortez dans la rue, là où vous habitez, vous avez... peu de chances de rencontrer des personnes dites handicapées, en situation de handicap. Vous avez peu de chances de rencontrer en particulier des personnes qui ont un fort handicap cognitif, neurologique. Je ne les croise pas. On les croisait il y a 50 ans, il y a 100 ans. Aujourd'hui, non, ces gens-là sont des personnes dans des structures spécialisées. Des personnes âgées, très âgées, on ne les croise plus dans la rue. Elles sont dans des EHPAD. Des enfants, ils sont dans des crèches, dans des écoles. Les lieux de mixité, à part sur des terrains de sport, parfois, à part parfois des lieux culturels, les lieux de mixité sont quand même de plus en plus rares. Et donc, c'est toujours pareil. On vit dans des bulles, on critique beaucoup d'ailleurs ce côté bulle. Des réseaux sociaux où je suis en contact avec des gens qui vont penser comme moi et chacun à sa tribu et ces bulles ne se mélangent pas. Et donc ça donne l'illusion que je vis dans un monde où tout le monde pense comme moi. Mais c'est vrai aussi dans la vie de tous les jours. In real life, comme on dit dans les réseaux sociaux, sur Internet. Oui, mais malheureusement, on a créé une société où la ségrégation est beaucoup plus importante que les interactions.

  • Speaker #0

    On est à l'optimum de l'opposé de ce que nous enseigne le vivant. Donc toi, quand tu soulignes ça, tu soulignes aussi peut-être qu'il est urgent de prendre conscience. Comment t'amènes à faire prendre conscience, là ?

  • Speaker #1

    Une chose très importante, et d'ailleurs quand je parlais de l'Institut Inspire, le quatrième pilier dont je n'ai pas parlé, c'est justement la dépendance à la biodiversité. Je pense que je dois être le tout premier Français à s'être formé à un outil qui s'appelle l'évaluation des services rendus par les écosystèmes, que j'ai fait traduire en français. et qui a permis à beaucoup d'entreprises de faire le premier pas dans leur démarche biodiversité. Mais finalement, c'est un truc qui est cardinal, qui est absolu, qui est partout dans le vivant, c'est-à-dire que tout le monde dépend de quelqu'un d'autre. Nous dépendons en tant qu'organisme de notre microbiote, mais par exemple, je crois que c'est Marc-André Solos qui en parle très bien dans « Jamais seul » , les termites sont incapables de digérer la cellulose, elles digèrent la cellulose parce que dans leur système digestif, il y a un petit protiste. qui lui est capable de l'être. Mais en fait, quand on regarde, ce protiste, il abrite lui-même une bactérie qui lui permet de digérer la cellulose. Donc on se rend compte qu'il y a un système de poupées russes comme ça et que les systèmes de dépendance sont partout dans le vivant. Il y a une dépendance généralisée. Et nous, en tant que société humaine, nous ne sommes pas différents. Nous sommes radicalement, profondément dépendants de tout ce qui vit sur Terre et qui n'est pas humain et que nous ne contrôlons pas. Et aussi, on peut aussi prendre conscience que, en tant qu'individu, on est dépendant. De tas de choses. En tant qu'entreprise, je suis dépendant de tas de choses aussi. J'utilise par exemple en tant qu'entrepreneur des infrastructures, routières, ferroviaires, internet ou énergétiques, qui permettent de faire tourner mes usines, mes machines, mes salariés de venir, etc. Je dépends de fournisseurs, mais je dépends aussi finalement de communs sociaux, de structures éducatives qui permettent de créer du savoir, de diffuser du savoir sans lequel les gens que je recruterais n'auraient pas de compétences. Je dépends aussi des systèmes d'accès aux soins sans lesquels mes salariés tomberaient malades et j'aurais des taux d'absentéisme absolument impouvantables. Ou alors, quand ils sont malades, ils ne pourraient pas guérir. Et puis, je dépends des communs écologiques aussi, puisque ces services rendus par les écosystèmes permettent à mon entreprise de fonctionner. Mais je crois que c'est quelque chose que...

  • Speaker #0

    Je crois que c'est Jean Guérin qui est un philosophe spécialiste du quatrième âge des seniors. Il disait « mais en fait on se rend compte que quand on devient senior, on est dépendant des autres. » Mais cette expérience de la dépendance, il faudrait qu'on l'ait beaucoup plus tôt. Il faudrait que beaucoup plus tôt on puisse comprendre qu'on est dépendant radicalement des autres, que ce soit des institutions mais des autres individus. Il se trouve que moi j'ai vécu il n'y a pas longtemps une expérience de dépendance radicale, j'ai été hospitalisé, incapable de faire quoi que ce soit tout seul. Donc j'ai vécu avec 30 ans d'avance, peut-être qu'un senior en âge très avancé doit vivre. Le moindre geste de la vie quotidienne, on le fait grâce à des infirmières et des aides-soignantes, sans lesquelles je n'étais plus rien. Cette expérience de la dépendance profonde et radicale, je ne dis pas que tout le monde doit en passer par là, mais il faudrait qu'au moins, en exercice de pensée, on puisse être capable d'anticiper et de comprendre que, non, le mythe du self-made-mad, ça n'existe pas. Le mythe « je me suis fait tout seul, j'ai le mérite de ce que j'ai réalisé, etc. et ce mérite ne revient qu'à moi » , non, ça n'existe pas. Tout ce qu'on fait, on le fait grâce à des quantités d'autres personnes, qui sont souvent invisibilisées d'ailleurs. Et après, c'est à chacun de dire « oui, je reconnais ça, je rends grâce à ces personnes, à ces structures, à ces communs sociaux, écologiques, qui m'ont permis de réaliser ce que j'ai réalisé » .

  • Speaker #1

    Et puis, on en revient à la notion de gratitude et d'humilité, dont tu parlais tout à l'heure. Quand je peux rendre grâce à ces personnes qui m'aident à être, je suis au contact de cette humilité et de cette gratitude. Mais j'ai l'impression que toi, Emmanuel, tu écris des ouvrages, tu fais des conférences, tu proposes des espaces de rencontres. Tu parlais de ce respect, d'apprendre à se connaître. Est-ce qu'il y a des conseils que tu pourrais donner à des leaders, des hommes, des femmes ? qui ont cette envie, cette appétence à faire rentrer, à s'inspirer plus de vivants, que ce soit des dirigeants d'entreprises, des entrepreneurs. Quels conseils tu peux leur donner ?

  • Speaker #0

    C'est toujours difficile de donner des conseils. Je dirais que la première chose, sans doute, c'est de prendre un peu de recul, c'est de savoir lever le nez du guidon. Et c'est vrai, quand on est entrepreneur, quand on est chef d'entreprise, on a des agendas extrêmement chargés. On a l'impression que chaque respiration qu'on s'autorise... est un peu une perte de temps et on va culpabiliser pour ça. En fait, non, on ne va pas culpabiliser. C'est au contraire quelque chose qui va être extrêmement important de garder cette nourriture-là, cette nourriture intellectuelle, cette nourriture, on pourrait presque dire spirituelle, ce fait de s'enrichir. En fait, je pense qu'on peut très vite se stériliser par un exercice qui est celui d'une quête de performance permanente dans un contexte qui favorise, il est vrai, la compétition. en permanence aussi. Donc vous avez le fameux faux mot, la fear of missing out, l'impression que je vais rater un stimulus, je vais rater une information qui pourrait être cruciale, que les autres l'auront avant moi, etc. Non, parfois, effectivement, c'est bien de décoller un tout petit peu et de faire ses pas de côté. Et alors, moi, ce que j'adore faire, par exemple, c'est le pas de côté. Je parlais de permaculture, d'emmener des chefs d'entreprise dans un jardin potager en permaculture et de simplement leur demander, mais il y a quelque chose qui vous étonne, regardez ce qu'il y a autour de vous. Et oui, il y a toujours des tas de choses qui vont les étonner. Et donc, sur ce qui va les étonner, on va pouvoir après tirer des fils et revenir à leur entreprise, revenir à ces cas de figure. On peut faire le même exercice en forêt. On va en forêt, on regarde, on écoute. Qu'est-ce qui vous étonne aujourd'hui ? Qu'est-ce que vous regardez et que vous n'avez pas l'habitude de voir ? Même chose, c'est quelque chose sur lequel on va pouvoir faire les pas de côté et retirer tout ça. Peut-être que j'insisterais à aller sur deux choses, qui sont deux choses en plus un peu attaquées en ce moment. C'est la nécessité de la reconnaissance justement de cette dépendance, de cette vulnérabilité, de se dire que non, la solidité, elle ne se construit pas tout seul, elle se construit ensemble. C'est par des réseaux d'alliances qu'on va pouvoir consolider, au lieu d'essayer de les couper, ces liens d'interdépendance, il faut les consolider. Et donc, il faut travailler ensemble, l'ensemble des parties prenantes, avec les fournisseurs en amont, avec les clients en aval, y compris parfois avec les concurrents sur certains terrains. On aura besoin de coopérer parce qu'à un moment donné, il y a des marches qui sont tellement grandes à franchir que seules, on n'y arrivera pas. Et que c'est que par des logiques de filière et donc d'alliance, y compris avec des concurrents, qu'on va pouvoir franchir ces marches-là. Et la deuxième chose, c'est la nécessité de la diversité. Mais encore une fois, ça revient. Je garde que ces deux principes-là, j'aurais pu en évoquer plein d'autres. Mais ça revient à se dire que finalement, la réponse à quelque chose d'inattendu, elle vient toujours de là où on ne l'attend pas non plus. Et donc, pour ça, il faut de la diversité. Si vous, à un instant T, vous pensez que tel type de profil va être le plus adapté pour mon entreprise, etc., vous n'allez recruter que des gens qui ont ce type de diplôme, ce type de profil, ce type d'expérience, etc. Sauf qu'un jour, il va se passer un truc que vous n'avez pas anticipé. Et vous allez être face à une rupture, qui va être une rupture technologique, une rupture géopolitique, une crise énergétique, une pandémie, n'importe quoi.

  • Speaker #1

    Des petites choses qui peuvent nous parler en ce moment.

  • Speaker #0

    Et voilà, ça, si vous n'êtes pas préparé, si vous n'avez pas la possibilité d'avoir des antennes déployées dans des directions où vous n'avez pas l'habitude d'aller écouter, vous n'aurez pas la réponse tout seul. Donc je pense que cette diversité, quand je parle de diversité, c'est y compris de diversité dans les sensibilités. capacité d'écoute, une capacité d'explorer des champs un peu inattendus, si vous n'avez pas ça, vous n'aurez pas la réponse et vous allez passer à côté de quelque chose qui se passe, ou vous allez vous effondrer tout simplement.

  • Speaker #1

    Merci, c'est concret de pouvoir faire ce pas de côté, de pouvoir observer, de pouvoir se relier aux autres, de pouvoir créer la diversité et de là laisser advenir ce qui n'était pas prévu au départ puisque par définition, dans cette complexité, on ne sait pas où elle est. On ne sait pas où elle est la réponse.

  • Speaker #0

    Oui, ce que j'aime bien dire, c'est que l'avenir est par nature incertain. Et je préfère d'ailleurs qu'il reste incertain parce que l'avenir déterminé, peut-être que certains nous le promettent, pour moi, il ressemble plutôt à un cauchemar. Donc je préfère laisser l'avenir ouvert et incertain. Et justement, pour laisser une chance à ces avenirs incertains d'advenir, il faut garder ce champ des possibles le plus largement ouvert possible. et ça c'est alors quelque chose que j'appelle l'évo-compatibilité, on parle fois de de biocompatibilité, on parle parfois d'éco-compatibilité, on voit à peu près de quoi il s'agit, mais l'évo-compatibilité c'est finalement de laisser ouvert le champ des possibles, c'est-à-dire de laisser les sociétés humaines évoluer comme elles doivent évoluer, dans des sens qu'on ne va pas toujours pouvoir déterminer à l'avance, mais aussi de laisser les espèces, les écosystèmes évoluer et s'adapter. Et donc ça veut dire que, y compris dans les politiques de protection de la nature par exemple, C'est différent de se dire on va mettre des réserves sous cloche et on va dépenser des millions d'euros pour protéger tel et tel espace. Il faut le faire, mais ça ne suffit pas. En fait, c'est la question du, encore une fois, est-ce qu'on se sépare de la nature ou est-ce qu'on laisse la nature venir là où elle a envie de venir ? Et est-ce qu'on ne laisse pas les choses se passer là où elles doivent se passer, y compris là où nous, nous avons des activités ? Donc, il n'y a pas d'un côté des zones protégées où on ne va rien faire et de l'autre côté des zones où on peut faire n'importe quoi et tout saccager. L'idée, c'est de laisser s'interpénétrer le vivant, la nature, entre guillemets, et nos activités, et donc de profiter de ce brassage, de profiter de ces zones de rencontre, et qui sont encore une fois, ces zones de rencontre, ce sont les zones de tous les possibles, ce sont les zones d'expression de la créativité du vivant. Donc ces écotones, il faut en créer le plus possible. Et quand je dis laisser le champ des possibles ouvert, c'est vraiment ça, ce trésor à préserver, c'est la possibilité d'un surgissement de quelque chose d'inattendu. C'est vraiment ça qui est fondamental.

  • Speaker #1

    Surgissement de quelque chose d'inattendu, c'est de là aussi que vient l'émerveillement. Et en termes d'émerveillement, moi, je suis sensible aussi à ta poésie. Qu'est-ce qui t'a amené à écrire dans tout ton chemin ? Tu as fait des ouvrages concrets, puis tu as fait des ouvrages de poésie.

  • Speaker #0

    Oui, mais par exemple, le premier, dès 2011, L'économie expliquée aux humains, je donne la parole à un petit coléoptère qui s'appelle Serambic Cerdo. Il y a quelque chose de... de poésie, de poétique au sens un peu foutraque. C'est quoi cette espèce d'insecte qui se met à parler tout d'un coup et qui se fout un peu de notre gueule finalement. Mais donc, il y a un truc un peu décalé.

  • Speaker #1

    Changement de regard.

  • Speaker #0

    Voilà, changement de regard et accepter de subir le regard de quelqu'un qu'on n'écoute pas d'habitude et qui va en l'occurrence être un représentant de la biodiversité. Mais globalement, je pense que la poésie, c'est comme... tout mode d'expression artistique, d'ailleurs poésie c'est la création, ça peut être la musique, ça peut être la peinture, ça peut être la sculpture, c'est une manière d'exprimer notre créativité et c'est une manière de toucher non pas forcément la raison mais les sens, l'émotion. Et on sait que et notamment les personnes qui sont frappées d'Alzheimer par exemple, l'émotion, la trace d'une émotion reste bien plus longtemps que la trace d'une connaissance. Et ce qui fait « Bouger les gens aussi, c'est l'émotion. C'est quelque chose qui est irrationnel. Et d'ailleurs, le mythe de l'homo economicus, il y a longtemps que plus personne n'y croit, aucune décision que nous prenons dans nos vies quotidiennes n'est une décision rationnelle. Je ne sais pas qui disait, mais si on prenait tout le temps des décisions rationnelles, personne n'achèterait une voiture neuve, par exemple. Parce qu'une voiture neuve, vous avez à peine franchi la porte du garage, qu'elle a perdu 30% de sa valeur. » Donc c'est irrationnel, on achèterait tous des voitures d'occasion. Sauf que si on achetait toutes des voitures d'occasion, il n'y aurait plus de voitures. Bref, mais en tout cas, les impulsions d'achat... et les spécialistes du marketing le savent très bien, sont toujours faites par des impulsions, des émotions, et pas par une décision mûrement réfléchie. Et on pense parfois que les grands stratèges d'entreprise échappent à cette règle-là et qu'eux auraient un raisonnement pur et parfait, seraient parfaitement informés, etc. Mais non, là aussi, c'est un mythe. Aucun acteur du marché n'a accès à toute l'information et n'est en mesure de prendre une décision complètement rationnelle. Donc c'est toujours un pari. Et un pari qui va être basé sur des convictions, sur des croyances. Je me dis que la poésie, tiens, c'est une manière de toucher cette corde sensible aussi. Il ne suffit pas d'expliquer, il ne suffit pas d'écrire des faits, d'accroître le volume de connaissances, etc. Il faut aussi donner envie et toucher la corde sensible. Et voilà, pour moi, la poésie, c'est ça. Alors, je ne me suis pas forcé un jour à écrire de la poésie parce que c'était dans une stratégie de faire bouger les gens, etc. C'est quelque chose que j'avais depuis une bonne dizaine d'années. Et d'ailleurs, je pense que c'est notamment au moment où mon père était malade. quelques années avant son décès, où j'ai commencé à lui écrire de la poésie qui lui touchait beaucoup, qui lui faisait du bien. Et moi, ça me faisait du bien de lui écrire aussi. Et je me suis rendu compte que il y avait quelque chose qui passait qui était très fort, plus fort que des échanges rationnels, des conversations. Je ne sais pas quoi dire, mais pour moi, la poésie... Et encore une fois...

  • Speaker #1

    Tu ne sais pas quoi dire, mais tu dis beaucoup de choses.

  • Speaker #0

    La musique, c'est pareil. Il y a des choses. qui font que c'est pour ça qu'on vit. Voilà, c'est là où je voulais en venir. L'économie, le travail, la gestion de la vie quotidienne, notre image sur les réseaux sociaux, tout ça c'est très bien, mais c'est par ça qu'on vit, c'est des moyens de faire des choses. Mais ce pourquoi on vit, ce qui donne du sens, et ce qui fait qu'on est authentiquement et pleinement humain, c'est d'abord des choses sensibles, et ces choses irrationnelles qu'on a tendance à essayer de refouler, au contraire, il faut les révéler et les accepter.

  • Speaker #1

    Et merci de nous aider à les révéler de par ce que tu fais. Tu aurais envie ou pas de nous partager un texte de ton livre ?

  • Speaker #0

    Les Turbulents, oui, qui a été...

  • Speaker #1

    On ne voit pas la belle couverture, mais...

  • Speaker #0

    Voilà, illustré avec beaucoup de talent par Chloé Lequette. Et alors, je vais vous en lire deux comme ça. Le premier, qui n'est pas vraiment un texte du livre, d'ailleurs, qui est plutôt la dédicace que j'ai voulu comme ça. À vous qu'on dit nuisible. À vous, les Turbulents. les inutiles, les différents, les pas pareils, les déplacés, les désaxés, les fatigués, les inadaptés, les déprimés, les opprimés, les énervés, les pas jolis, les trop typés, les trop visibles, les invisibles, les discrets, les timides, les sensibles, les fragiles, les mal aimés, les pas aimés du tout. N'attendez pas qu'on vous dise « Bienvenue, vous êtes chez vous » . Et puis un autre, qui conclut presque, c'est l'avant-dernier texte du livre. Tous, ensemble, après moi, répétez. Le monde est une promesse. La vie est un miracle de beauté. Faites-le savoir. Chantez-le. Criez. N'attendez pas demain. Faites-le maintenant. Tant que brûle encore en vous le feu du désir. Et avant que ne soit plus ici que souvenir.

  • Speaker #1

    Merci. Merci beaucoup, Emmanuel, de ce moment-là d'émotion, en tout cas pour moi.

  • Speaker #0

    Merci. Merci pour ce temps.

  • Speaker #1

    Et j'ai encore une question. Est-ce que je peux te proposer un petit voyage ?

  • Speaker #0

    Allez.

  • Speaker #1

    Alors, je t'invite à fermer les yeux et je t'invite à aller en 2035. On est en 2035. Qu'est-ce qui fait battre ton cœur ?

  • Speaker #0

    Des rires d'enfants, le bruit du vent dans les arbres, les grillons, la sensation de l'air sur ma peau, la chaleur du soleil. modérée quand même.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Si vous avez aimé ce podcast, vous pouvez favoriser sa diffusion en lui donnant 5 étoiles sur Apple Podcasts. Et puis, vous pouvez bien sûr vous abonner sur toutes les plateformes Spotify, Apple Podcasts ou toutes autres plateformes que vous souhaitez. À bientôt sur SoisVM.

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Description

Naturaliste, économiste, poète, Emmanuel Delannoy revient sur son parcours.

Admirateur du vivant  dès son plus jeune âge, il fait des études de biologie, puis se dirige plutôt par pragmatisme vers des études de commerce. Il constate vite dans l’entreprise des approches purement gestionnaires, cloisonnées et simplificatrices, là où il observe que la vie, elle, est complexité, émergence, interrelations.


Il souhaite relier ces mondes, ce qui l’amène à créer notamment l’Institut Inspire, un Think tank où naturalistes, scientifiques et entrepreneurs co-construisent des pistes économiques inspirées du vivant.


Il est un des pionniers du biomimétisme en France, inventeur du concept de permaéconomie, il invite à repenser en profondeur nos modèles économiques à l’aune des lois du vivant.


Nous échangeons sur :

  • l’économie symbiotique et les enseignements de la nature,

  • la nécessité de recréer des ponts entre des mondes qui ne se parlent plus,

  • la force des écotones – ces zones de rencontre où la vie explose,

  • la poésie comme boussole sensible pour éveiller les consciences,

  • ce que les leaders et entrepreneurs peuvent apprendre du vivant pour bâtir des organisations plus résiliantes, fertiles, humaines, en s’inspirant notamment de la coévolution, l’interdépendance, la diversité du vivant


Un échange fort, vibrant et inspirant pour « dépasser le culte de la performance, aller

moins vite en surface, plus vite au coeur des choses »

Une invitation à regarder autrement nos manières de vivre, interagir, décider, créer .

Belle écoute !


Dans cet épisode, Emmanuel cite :

  • Stephen Jay Gould : paléontologue, biologiste de l’évolution, grand humaniste.

  • Albert Camus : écrivain et philosophe, référence marquante dans son parcours.

  • Robert Barbault : écologue, auteur de la phrase « L’écologie, c’est la science des relations entre les êtres vivants ».

  • François Cheng : poète, philosophe, écrivain. Citation sur l’importance des relations.

  • Jean Guérin : philosophe spécialiste du quatrième âge, sur la dépendance.

  • Marc-André Selosse : biologiste, auteur de Jamais seul, sur les symbioses et interdépendances.

  • Alain Damasio et Baptiste Morizot : sur le concept de « cosmopolitesse ».

  • Théodore Monod : scientifique, humaniste, fondateur de la Ligue ROC.

  • Hubert Reeves : astrophysicien, président de la Ligue ROC à une époque.

  • Jacques Weber : économiste et anthropologue, mentor d’Emmanuel


Emmanuel nous fait aussi le cadeau de son blog poétique, beau voyage ! :

https://emmanueldelannoy.writeas.com



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et tous, je suis Stéphanie Pelleret-Delga. Vous écoutez le podcast Sois, Vie, Aime. Oser un leadership authentique et inspirant, au service de soi, des autres, de son écosystème et du vivant. Tous les mois, je reçois des dirigeantes, dirigeants, experts, expertes. entrepreneurs, entrepreneuses qui ont fait ce chemin entre vulnérabilité et puissance, qui ouvrent leur cœur et partagent leurs expériences professionnelles et plus personnelles. Par leur parcours et personnalité, ils, elles, sèment des graines sources d'inspiration. Et vous, quelles graines avez-vous envie de semer ? Quel leadership souhaitez-vous incarner ? À mon micro, aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir Emmanuel Delanois. Bonjour Emmanuel.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté mon invitation dans Sois, Vie, Aime. Merci pour ça. Et j'enregistre, on enregistre aujourd'hui cette interview dans mon salon, transformé en studio pour l'occasion. Cher Emmanuel, tu es l'un des pionniers du biomimétisme en France et inventeur du concept de permaéconomie. Tu accompagnes la transformation des organisations depuis plus de 20 ans. Tu es membre du bureau du comité français de l'UICN, président de l'incubateur spécialisé dans l'économie sociale et solidaire Intermaid et auteur de plusieurs ouvrages consacrés aux liens entre économie et vivant. L'économie expliquée aux humains, biomimétique, permaéconomie et les turbulents. On aura l'occasion d'en reparler. Tu as aussi été rapporteur pour le ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer, du rapport « La biodiversité, une opportunité pour le développement économique et la création d'emplois » . Tu es co-auteur de la fresque de l'économie « Régénératrice » . Promoteur de nouveaux imaginaires au service de la vie, tu es un poète. Economiste ? Naturaliste ? Poète ? Qu'est-ce qui t'a amené, cher Emmanuel, à devenir un expert des liens ? entre économie et vivant.

  • Speaker #1

    Alors, ça fait beaucoup, ça, effectivement. Merci pour ce portrait qui est quand même très efflateur. Ce qui m'a amené, je dirais qu'il y a plusieurs, comme tout le monde, plusieurs étapes et une construction. Déjà, je n'ai pas eu à me forcer pour être un admirateur du vivant, de ce qu'on appelle maintenant le vivant, la biodiversité, ce qu'on appelait la nature quand j'étais enfant. Je me souviens que tout petit, je passais déjà énormément de temps devant la moindre mare, le moindre trou d'eau, le moindre ruisseau. à regarder les petites grenouilles, les petits poissons, les petits crustacés qu'il y avait dedans, et franchement, à m'émerveiller de ça. Vous pouvez passer des heures. J'étais très bien en forêt, y compris dans les forêts parfois un peu sombres, où les gens ont parfois un peu peur. Et je me souviens par exemple d'une anecdote où mes parents m'ont perdu, où je me suis perdu, je devais avoir 3 ou 4 ans. Et quand ils m'ont retrouvé, ils étaient persuadés que j'allais être terrorisé, et en fait non, moi j'ai tout souri, j'étais très bien là où j'étais, je crois que j'avais même pas conscience de m'être perdu. Donc j'étais bien, j'étais mon élément. Et donc ça, c'est quelque chose qui est profond. qui est ancré, je me souviens aussi que petit garçon, un peu plus tard, je collectionnais déjà des coupures de journaux sur, malheureusement, tous ces faits divers un peu tristes de pollution, de marée noire, etc. J'ai grandi dans le nord de la France, on a été pas mal impacté aussi par des faits divers de ce type-là. Et je pense que ma sensibilité, elle a grandi petit à petit avec ça. Après, ce qui m'a amené... D'abord, j'ai fait des études de biologie qui m'ont passionné. Je crois que je dois rendre grâce d'ailleurs, je vais beaucoup parler de rencontres, à une professeure de sciences naturelles. J'ai oublié le nom malheureusement, mais qui a vraiment suscité une vocation. Une professeure qui faisait ses classes hors classe. On allait dans la forêt, on allait dans la nature à proximité d'école, on partait à pied et on se penchait, on observait. On faisait vraiment des cours de naturaliste. On parle aujourd'hui de naturaliste, c'est-à-dire qu'on va observer les fleurs, on va leur donner un nom, les papillons, etc. On va regarder ce qui se passe et on faisait déjà de l'écologie. Pourquoi telle plante pousse à tel endroit ? Qu'est-ce qui se passe à cet endroit-là ? etc. Donc ça, c'est déjà... Une sensibilité. Ça m'a donné envie de poursuivre dans ce domaine-là, de faire des études en biologie.

  • Speaker #0

    Ça, c'était au collège, quand tu parles de ta professeure ? Ça,

  • Speaker #1

    c'était au collège, tout à fait. Et donc, ça m'a donné envie de m'inscrire en fac après le bac, où j'ai fait un bac D. Curieusement, après la fac en bio, j'ai fait une école de commerce. École de commerce, c'est difficile. Parce que ce n'est pas un choix typique. J'aurais pu poursuivre dans des études strictement scientifiques ou naturalistes. Et puis, il y a un peu de... Question réaliste, il y a aussi des amis qui étaient plus avancés que moi dans les études et qui, jeunes docteurs, galéraient pour trouver du boulot. On était dans les années 80. Et je me dis, bon, peut-être qu'il faut être raisonnable. Je vais faire un vrai métier, comme on dit. Donc, je vais m'inscrire dans une école de commerce. Sauf que je pense que je n'étais pas du tout un étudiant en école de commerce comme les autres. Moi, ce qui me passionnait toujours, c'était à la fois les pensées humanistes. Par exemple, je me souviens que la lecture de Camus m'a beaucoup marqué. Et aussi la paléontologie. Donc, je me suis beaucoup intéressé à Stéphane Jégould, qui était un véritable maître pour moi, qui est quelqu'un que je n'ai jamais rencontré, que j'aurais adoré rencontrer. mais qui était contemporain, qui écrivait en même temps que je le lisais.

  • Speaker #0

    Et il y avait des cours de paléontologie dans ton école ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout, mais c'était une passion que j'avais maintenue à côté. En même temps que le cinéma d'arrêt-décès. Donc, tu vois, vraiment des choses très variées comme ça.

  • Speaker #0

    Très éclectiques.

  • Speaker #1

    Très éclectiques. Et Gould, ce qu'on sait peu, c'est que c'est un grand scientifique, un grand paléontologue, mais aussi un grand humaniste. Quelqu'un qui a énormément réfléchi. Il a cette phrase très forte, par exemple, qui est de dire l'égalité des races. est un hasard de l'histoire, de l'évolution. C'est-à-dire qu'imaginez qu'à un moment, il y a eu plusieurs espèces du genre homo qui coexistaient sur Terre, Néandertalensis, Sapiens, et puis peut-être d'autres encore. Et aujourd'hui, il se trouve que Sapiens est seul de son embranchement, le seul représentant du genre homo. C'est une anomalie, il n'y a aucune autre espèce pour laquelle il n'y a pas d'autres représentants dans le même embranchement, dans le même ordre. Donc là, on se dit, tiens... petite histoire, et ça fait réfléchir, et on se dit, tiens, est-ce que l'humanité aurait été différente si on avait dû coexister, cohabiter avec d'autres nous-mêmes ? Et en fait, je me dis, mais quand on voit à quel point on a du mal à accepter déjà la différence au sein de cette espèce qui est homo sapiens, de gens qui ont exactement la même biologie, le même ADN, les mêmes besoins que nous, etc., mais qui vont avoir une culture ou une histoire différente de la nôtre, rien que ça, on a du mal à l'accepter. Alors je me dis, waouh ! ça aurait été un sacré défi. Peut-être que ça nous aurait rendu meilleurs, d'ailleurs. Cette confrontation à l'altérité radicale, je trouve que c'est quelque chose qui nous manque. Mais enfin, on pourra y revenir.

  • Speaker #0

    Et ça, c'est des sensibilités, des sujets que tu avais déjà étudiants ?

  • Speaker #1

    Oui, qui ne m'ont jamais quitté. A la fois cette sensibilité artistique à travers le cinéma, j'étais très cinéphile, la littérature, bien sûr, et puis cette sensibilité scientifique à travers cette passion pour la biologie de l'évolution, ce qu'on appelle la biologie fonctionnelle, et donc l'écologie aussi fonctionnelle. Cette question de l'altérité m'a travaillé profondément. Et en écologie, on ne parle que de ça, finalement. Moi, j'aime beaucoup cette phrase de Robert Barbeau qui disait « L'écologie, c'est la science des relations entre les êtres vivants » . Je pense que quand on a dit ça, on a recadré les choses. L'écologie, ce n'est pas une doctrine, ce n'est pas un courant politique, c'est quelque chose qui devrait tous nous unir. Et c'est de se dire que nous sommes des êtres vivants et ce qui se passe entre nous, comme le dit François Tcheng, j'adore cette citation aussi, François Tcheng qui dit « Ce qui se passe entre les êtres est... » c'est au moins aussi important que les êtres eux-mêmes. Donc les relations entre l'individu, mais aussi entre les espèces dans les écosystèmes, sont au moins aussi importantes que l'existence même de ces espèces. Et ça, ça nous amène à l'émergence, à notre phénomène formidable aussi, quand on s'intéresse un peu à la complexité. Dans un système, et un écosystème est un système, dès qu'il y a des relations entre des entités, des individus, des espèces, des populations, il se passe des choses qui donnent à ce système des propriétés. émergentes, des propriétés nouvelles par rapport à ce qui pourrait se passer si ces espèces n'étaient pas là. Et ça, c'est la vie. C'est-à-dire que la vie, elle passe son temps à inventer, et elle invente d'une manière qui n'est pas magnifiable, qui n'est pas gérable, qui ne rentre pas dans les cases de la gestion des tableaux Excel, etc. Et alors ça, pour quelqu'un qui a fait une école de commerce et de gestion, c'est un sacré défi. Parce que dans une école de commerce, ce qu'on vous apprend, c'est de faire des business plans, c'était de faire du prévisionnel c'est de rentrer, par exemple, la population dans des cases. Quand on fait du marketing, on veut segmenter les choses. On veut des archétypes de telle population qui aura tel besoin. On va y répondre de telle manière, etc. Et puis, en fait, quand on a aussi cette pensée complexe et cette pensée écologique, on se rend compte que les choses ne sont jamais comme ça. Les choses ne sont jamais cloisonnées. Il y a des continuums partout et il y a des interrelations partout. Et il y a des changements partout et des émergences. Et ça, c'est malheureusement sans doute quelque chose qu'on oublie souvent. Et c'est une grande modestie qu'il faudrait qu'on réapprenne par rapport au vivant. Mais la modestie, elle va avec l'émerveillement aussi. Elle va avec la gratitude aussi d'être vivant, simplement de respirer, de se poser la question de, à chaque instant, qu'est-ce que je dois ? Et aujourd'hui, la lumière est merveilleuse, par exemple. Qu'est-ce que je dois à cet instant-là, à ce qui vit autour de moi ? C'est tout. C'est des choses qu'on a tendance à perdre par notre éducation et qu'il faut absolument se réapproprier.

  • Speaker #0

    On redevient peu de choses quand on s'émerveille de ce qui nous entoure.

  • Speaker #1

    On devient peu de choses et en même temps ça nous grandit énormément. On passe à une autre nature de choses. C'est toute la question du culte de la performance aussi aujourd'hui. Cette idée qu'il faut aller vite, qu'il faut être plus fort, plus rapide, parfois plus spécialisé. Et puis, en fait, est-ce que c'est ça la vie ? Est-ce que la vie, ce n'est pas plutôt d'aller plus en profondeur ? La richesse, en fait, elle va être beaucoup plus forte, parfois dans des choses qui vont être moins performantes. Aller moins vite en surface, mais plus vite au cœur des choses, plus en profondeur.

  • Speaker #0

    Et donc là, on parle, tu nous partages de façon globale ce qui est devenu. une vraiment de tes spécialités, comme l'économie symbiotique. J'aimerais juste revenir dans ton parcours. Toi, tu es plein de cette curiosité du vivant, artistique, et puis tu fais quand même des études en école de commerce. À quel moment, je crois que tu commences d'abord par l'entreprise classique, et à quel moment fort de cette curiosité, de tes connaissances de naturaliste, de ce que tu observes dans la manière de fonctionner du vivant, du lien ? de ce que la relation apporte, plus que les entités en tant que telles, à quel moment tu te dis je vais en faire quelque chose au service de l'économie ?

  • Speaker #1

    Oui, et effectivement il y a un moment où j'ai voulu rassembler les choses. C'est-à-dire que je n'ai jamais été que manager, que directeur de centre de profit, que directeur régional ou directeur général, etc. ou commercial dans les entreprises où j'étais. J'ai toujours été à côté le naturaliste. Mais le naturaliste, le week-end, le soir, par mes lectures, etc., ou par mes sorties, j'étais militant, associatif. Et ça, l'engagement militant dans des associations de protection de la nature est quelque chose qui m'a beaucoup forgé aussi, ne serait-ce que par les rencontres que j'ai pu faire. Et puis, à un moment, au début des années 2000, je me suis dit, en fait, ces deux traces qui sont parallèles et qui se croisent quasiment jamais, j'ai envie de les croiser maintenant, de les rassembler. Donc, j'ai repris les études, j'ai fait un master spécialisé en management de l'innovation, de la qualité de l'environnement. Et il se trouve que j'ai fait mon stage, j'avais envie de dire par chance, mais non, pas par chance, parce que j'ai vraiment voulu, j'ai presque fait le siège. J'ai fait mon stage de fin d'études au CIRAD, Centre de Recherche en Agronomie pour le Développement, à Montpellier. Et là, j'ai rencontré beaucoup de scientifiques, d'agronomes, d'écologues. J'ai rencontré un grand monsieur qui m'a mentoré, à qui je dois beaucoup, qui s'appelle Jacques Weber, et qui lui était économiste et anthropologue, deux casquettes qu'on ne voit pas souvent chez la même personne. Et puis en même temps, j'étais toujours militant associatif aussi à la Ligue Rock en particulier, qui a été fondée par Théodore Monod, mais à l'époque c'était Hubert Rives qui en avait pété le président. Et tout ça fait que, quand j'ai voulu remettre ces deux traces ensemble, j'ai fait ce master spécialisé, j'ai fait ce stage au CIRAD, et je me dis, là il faut que je fasse quelque chose avec tout ça. D'abord, j'essaye de trouver des missions en tant qu'indépendant, en tant que conseil. pour des entreprises, pour des associations, pour des ONG. J'organise des grands événements. Je participe à l'organisation et à la programmation d'événements scientifiques sur la vulgarisation, sur la diffusion de la connaissance, sur l'écologie, sur la biologie. Et puis, à un moment, tiens, un président est élu et il convoque ce qu'on appelle le Grenelle Environnement, quelques années après. Et là, à la Ligroc, on me dit, toi, tu es quand même un des seuls parmi nous, là, je t'ai membre du bureau, qui sait ce que c'est qu'une entreprise ? Bon, au Grenelle, il y a une table ronde sur les entreprises. C'est toi qui vas y aller. Donc je me suis retrouvé bombardé à être négociateur ou cher parent. Enfin voilà, je préparais des fiches, des notes, etc. Et j'assistais le négociateur de la Ligue Roque, en tout cas, sur ces sujets-là, sur la question de dire, mais qu'est-ce que ça pourrait être un développement économique et un développement écologique qui soit favorable à l'emploi, qui soit favorable à la performance économique ? On parlait encore de performance, de compétitivité. On en parle encore d'ailleurs beaucoup aujourd'hui aussi. Vous avez peut-être cassé un peu ces termes. Mais donc ça, ça m'a amené à rencontrer des tas de gens. Des agriculteurs, des syndicalistes agricoles, des gens du MEDEF, des syndicalistes de syndicats de salariés, des responsables d'entreprises, de différents réseaux, de différentes convictions, parce qu'il y a des gens très engagés parmi les responsables d'entreprises. Mais je me suis surtout rendu compte d'une chose, c'est que, que ce soit chez les scientifiques, chez les ONG ou chez les responsables du monde agricole ou du monde de l'entreprise, tout le monde est plein de bonne volonté dès qu'on est ensemble dans la même pièce. Et là, on se rend compte qu'on est tous des humains, qu'on parle. peu près le même langage et qu'on devrait être capable de se comprendre. Sauf que non, en fait, on ne parle pas le même langage et on ne se comprend pas. On ne met pas la même chose derrière les mêmes termes. Et puis surtout, mon monde de naturaliste n'est pas ton monde d'entrepreneur et vice-versa. Et donc, à un moment donné, je me suis dit « Eh, c'est vrai, on manque de passerelles. » Et c'est là que j'ai créé l'Institut Inspire, en me disant « L'Institut Inspire doit être un lieu de rencontre, un espèce de think-tank dans lequel des scientifiques, des naturalistes, des entrepreneurs vont se rencontrer et vont travailler ensemble sur des pistes qu'on avait posées comme ça sur la table, qui étaient de dire, on va parler d'économie circulaire, désintensifiée, en flux, matière, énergie, l'économie. On va parler d'économie de la fonctionnalité et de la coopération. C'était très innovant à l'époque, un peu moins maintenant. C'était de dire, on va parler de... donner une valeur à ce qu'il y a de la valeur, finalement. Et ce qu'il y a de la valeur, ce n'est pas le produit, c'est l'usage qu'on fait du produit. On va parler de biomimétisme, en se disant, tiens, comment la biodiversité, comment le monde vivant peut être une source d'inspiration, mais surtout, quelque part aussi, un cadre de référence. C'est-à-dire en se disant, tiens, qu'est-ce qui marche dans la nature, qu'est-ce qui ne marche pas, et pourquoi ça marche ? Et après tout, pourquoi le vivant est encore là depuis 4 milliards d'années ? Il y a peut-être des recettes dont on pourrait s'inspirer, des recettes de durabilité. quand on travaille en innovation d'entreprise. On peut s'inspirer de pas mal de choses quand même, y compris d'ailleurs à un niveau stratégique. Et puis le dernier point, c'est que...

  • Speaker #0

    Et juste pour illustrer, parce que ce n'est pas si évident des fois toujours à comprendre, est-ce que tu as un exemple dans ces travaux-là, en termes d'innovation, qui te viendrait de quelque chose qui est inspiré directement du vivant ?

  • Speaker #1

    Justement, j'ai envie de dire qu'on pourrait parler de l'innovation technique inspirée du vivant, on pourrait parler de ces fameuses surfaces à effet lotus, par exemple, qui ne se salissent pas quand l'eau ruisselle dessus, etc. Mais j'allais dire, c'est secondaire tout ça. Pour moi, ce qui est fondamental, c'est plutôt des stratégies inspirées du vivant et qui font que des espèces coexistent dans un écosystème. Et elles coexistent parce qu'il y a un nombre de règles non écrites, de règles qui sont acquises par coévolution. Il a fallu des millions d'années, des milliards d'années pour ça, que j'appellerais presque du savoir vivre ensemble, des règles de politesse. Et d'ailleurs, ce n'est pas de moi, c'est d'Alain Damasio et Baptiste Morisot qui parlent de cosmopolitesse. Mais de se dire finalement, dans les sociétés humaines, on a inventé la politesse pour se supporter les uns les autres et pour pouvoir vivre ensemble sans se taper dessus tout de suite. Entre espèces vivantes différentes, il faudrait qu'on invente des règles de politesse qui nous permettraient de coexister. Il se trouve que ces règles existent dans la nature et on peut s'en inspirer. Je vais donner quelques exemples. Aucune espèce vivante sur Terre ne produit une substance qui ne saurait être dégradée par une autre espèce. Même les poisons les plus violents, il faut le reconnaître, il y a des poisons extrêmement violents dans la nature, ces poisons-là seront un jour ou l'autre dégradés, soit par des UV d'ailleurs, qui n'est pas vivant, soit par des bactéries, des champignons, d'autres organismes. La deuxième chose, c'est finalement tout ce que produit un organisme vivant et qui pour lui est un déchet. Par exemple, quand une plante fait de la photosynthèse, elle va rejeter de l'oxygène dans l'atmosphère. Cet oxygène est pour elle un déchet, mais il se trouve que d'autres espèces profitent de la présence de l'oxygène. Et donc c'est ça ces règles de coévolution, ce qui font qu'à l'échelle globale, cette notion de déchet n'existe pas. Une autre, alors là on peut vite tomber dans l'anthropomorphisme, il faut faire attention à l'usage des termes, par exemple quand on parle de coopération. Coopération pour moi ça suppose une intention de faire quelque chose ensemble. C'est pas quelque chose qui existe dans la nature ça. Mais par contre, encore une fois, par coévolution, il y a une sorte d'apprentissage qui fait qu'il y a des relations à bénéfice réciproques. qui vont s'installer. Et ces relations à bénéfices réciproques font que le vivant est présent partout, dans toutes les niches écologiques, y compris là où les conditions sont extrêmes. Il peut faire très froid, il peut faire très chaud, il peut y avoir énormément d'eau ou pas assez d'eau. Mais il y a des espèces qui arrivent à survivre dans ces endroits-là. Et très souvent, c'est grâce à des symbioses ou grâce à des mutualismes. Donc voilà, quelques exemples, simplement, pour en citer plein d'autres.

  • Speaker #0

    Très chouette. Et ce que je comprends, ce n'est pas tant le résultat de cette symbiose, mais plutôt l'état d'esprit, la sagesse avec laquelle le vivant peut nous enseigner les interrelations.

  • Speaker #1

    Plus que la sagesse du vivant, moi je dirais que tu as dit à un moment, c'était pas tant le résultat qui est important que la sagesse. Dans sagesse, je parlerais de processus, c'est-à-dire de ces processus de coévolution, de rétroaction. Et c'est d'ailleurs ce qui a énormément nourri la pensée des concepteurs de la permaculture, par exemple. C'est cette observation de ce qui se passe dans le vivant. Et ils ont retenu un truc qui était essentiel, c'était la nécessité de ces interactions, de ces rétroactions, de ces zones d'échange, ces zones de contact, par exemple ce qu'on appelle les écotones en économie, en écologie, ce qu'on va appeler une lisière par exemple. Ces endroits où des milieux se rencontrent sont des endroits qui sont toujours extrêmement riches en biodiversité et extrêmement riches en termes de fonctionnalités écologiques, en termes de production, en termes de résilience, de capacité d'adaptation, etc. Et donc ça, ça m'amène à une autre idée, c'est que très souvent, comme on dit d'ailleurs, la destination n'est pas le voyage, c'est le chemin. Dans une négociation, le processus est au moins aussi important que le résultat. Et quand je parlais du Grenelle Environnement tout à l'heure, je pense que le principal bénéfice de ça, qui a été beaucoup perdu depuis, qui a besoin d'être revitalisé évidemment, c'est le fait qu'on se parle, c'est le fait qu'on se mette autour d'une table, c'est le fait qu'on apprenne à se respecter. et qu'on apprenne à reconnaître nos différences. Il y a un mot que j'aime beaucoup, c'est le mot respect. Respecter, respectare, en italien. Spectare, c'est regarder. Respect à respect, c'est regarder deux fois. Le fait qu'on soit dans des processus de réunion où on se revoit comme ça régulièrement, toutes les semaines, pendant des périodes qui vont durer assez longtemps, ce tenue des liens. On prend l'habitude de se rencontrer. Et c'est là que le respect naît. On se regarde une fois, on se regarde une deuxième fois, on se reconnaît finalement. Et on se reconnaît dans nos différences aussi. Et on se reconnaît, y compris dans, peut-être, des schémas de pensée, peut-être des manières de voir le monde qui vont être très différentes. finalement, d'être capable de prêter à l'autre un regard que nous n'avons pas, mais que lui, il a, c'est la théorie de l'esprit, c'est la naissance de l'empathie. Et à partir de ça, on peut faire beaucoup de choses.

  • Speaker #0

    Et j'ai l'impression même que c'est l'essence même du vivre ensemble. Dit de façon un peu moins poétique, excuse-moi, c'est aussi pouvoir échanger de lunettes et dans une même pièce, comme tu dis, à partir du moment où il peut y avoir cette notion de... « Ok, là, j'ai tel avis, mais en fait, ça ne parle que de moi. Et si finalement, j'essaye de mettre les lunettes de telle personne, ça fait quoi ? » Je trouve que c'est la base d'un échange.

  • Speaker #1

    Oui, encore une fois, c'est là aussi la base de la permaculture. C'est de confronter des choses, de permettre ces échanges-là. Quand tu dis changer de lunettes, c'est regarder des choses autrement, finalement. C'est apprendre à respecter, encore une fois, cette altérité différente. Et je trouve ça intéressant. De se dire finalement... Tiens, je vais prendre un autre exemple. On voit qu'on a du mal aujourd'hui dans nos sociétés humaines à coexister avec les grands prédateurs, avec le loup, l'ours, c'est des sujets qui font polémique depuis très longtemps. Mais imaginons qu'il y a... Allez, il y a mille ans, c'est pas il y a si longtemps que ça encore. C'est rien à l'échelle des temps géologiques. Il y a mille ans, il y avait des troupeaux de grands herbivores sauvages. Il y avait des troupeaux de bisons, il y avait des troupeaux de grands cervidés, en très grande quantité, etc. Imaginez aujourd'hui un troupeau de bisons. traverser un autoroute ou un truc comme ça. C'est même pas imaginable. Notre manière d'habiter le territoire, notre manière d'habiter la planète, n'est plus compatible aujourd'hui avec la manière d'habiter d'autres espèces. Et ça, je pense que ça devrait nous interpeller aussi. C'est-à-dire que dès qu'une espèce, par son existence même, devient gênante, on en fait un ennemi, on en fait un adversaire, quelque chose à éliminer, alors que, évidemment, nous aussi, on a des droits. Et il faut aussi qu'on les fasse valoir. mais Simplement, cette gêne qu'on a devrait nous interpeller, devrait nous faire poser la question de, tiens, est-ce que c'est pas nous qu'on devrait remettre en cause ? On adore trouver des boucs émissaires en tout. Et on dit d'ailleurs que souvent, une civilisation, elle se construit sur son ennemi, contre son ennemi, mais donc elle se renforce. Les liens au sein de la cité, par exemple, se renforcent parce qu'il y a la cité adversaire ou la cité ennemie de l'autre côté, à quelques centaines de kilomètres. Et je... croit malheureusement que ce qui unit une bonne partie de la société occidentale aujourd'hui, je précise occidentale parce que ce n'est pas vrai de toutes les sociétés, c'est cette espèce de ségrégation d'avec la nature, d'avec le vivant non humain, cette espèce de coupure, et qu'on n'arrive plus à accepter en fait ce qui fait cette différence radicale, cette altérité radicale du vivant non humain. Et là on a perdu quelque chose, et je pense qu'en perdant cette chose-là, on ne sait pas. perdu aussi nous-mêmes, qui fait qu'on est confrontés à des difficultés extrêmes aujourd'hui. Ne serait-ce qu'à accepter nous-mêmes les différences au sein de nos sociétés.

  • Speaker #0

    Et à l'intérieur de nous.

  • Speaker #1

    Et à l'intérieur de nous.

  • Speaker #0

    Le propre parc, des fois, s'affronte à l'intérieur.

  • Speaker #1

    Exactement. Parfois, on est un peu pluriel. On est tous pluriel, d'ailleurs. Et de l'assumer, de l'accepter, de se dire, tiens, je suis un entrepreneur, je suis un bon manager, je suis un expert dans tel et tel domaine. Mais, je peux pleurer en écoutant une chanson, en lisant un poème, ben pourquoi pas ? Après tout, c'est la même personne. De se dire, ah, il y a des nouveaux voisins, ils cassent les pieds, ils font du bruit, machin, etc. Mais en même temps, le jour où il me demande de les aider, parce que je vois qu'il y a vraiment un gros problème, je vais les aider, spontanément. Et c'est les mêmes personnes. Je ne sais plus qui écrivait ça, les Français qui votent pour l'extrême droite, les Français qui sont racistes, les Français qui ont peur des étrangers, qui sont xénophobes. C'est les mêmes, finalement, en tout cas statistiquement, qui donnent beaucoup aux associations, qui donnent à l'UNICEF quand il y a une catastrophe. Et c'est intéressant de noter que les gens sont pluriels. Il n'y a pas des grands blocs qui s'affrontent. Encore une fois, il y a des continuums. Alors pourquoi je dis ça ? C'est que malheureusement, on a tendance à chasser la diversité ou en tout cas à la rendre invisible. Il y a un point qui est important aussi, qui me touche beaucoup, c'est que, sortez dans la rue, là où vous habitez, vous avez... peu de chances de rencontrer des personnes dites handicapées, en situation de handicap. Vous avez peu de chances de rencontrer en particulier des personnes qui ont un fort handicap cognitif, neurologique. Je ne les croise pas. On les croisait il y a 50 ans, il y a 100 ans. Aujourd'hui, non, ces gens-là sont des personnes dans des structures spécialisées. Des personnes âgées, très âgées, on ne les croise plus dans la rue. Elles sont dans des EHPAD. Des enfants, ils sont dans des crèches, dans des écoles. Les lieux de mixité, à part sur des terrains de sport, parfois, à part parfois des lieux culturels, les lieux de mixité sont quand même de plus en plus rares. Et donc, c'est toujours pareil. On vit dans des bulles, on critique beaucoup d'ailleurs ce côté bulle. Des réseaux sociaux où je suis en contact avec des gens qui vont penser comme moi et chacun à sa tribu et ces bulles ne se mélangent pas. Et donc ça donne l'illusion que je vis dans un monde où tout le monde pense comme moi. Mais c'est vrai aussi dans la vie de tous les jours. In real life, comme on dit dans les réseaux sociaux, sur Internet. Oui, mais malheureusement, on a créé une société où la ségrégation est beaucoup plus importante que les interactions.

  • Speaker #0

    On est à l'optimum de l'opposé de ce que nous enseigne le vivant. Donc toi, quand tu soulignes ça, tu soulignes aussi peut-être qu'il est urgent de prendre conscience. Comment t'amènes à faire prendre conscience, là ?

  • Speaker #1

    Une chose très importante, et d'ailleurs quand je parlais de l'Institut Inspire, le quatrième pilier dont je n'ai pas parlé, c'est justement la dépendance à la biodiversité. Je pense que je dois être le tout premier Français à s'être formé à un outil qui s'appelle l'évaluation des services rendus par les écosystèmes, que j'ai fait traduire en français. et qui a permis à beaucoup d'entreprises de faire le premier pas dans leur démarche biodiversité. Mais finalement, c'est un truc qui est cardinal, qui est absolu, qui est partout dans le vivant, c'est-à-dire que tout le monde dépend de quelqu'un d'autre. Nous dépendons en tant qu'organisme de notre microbiote, mais par exemple, je crois que c'est Marc-André Solos qui en parle très bien dans « Jamais seul » , les termites sont incapables de digérer la cellulose, elles digèrent la cellulose parce que dans leur système digestif, il y a un petit protiste. qui lui est capable de l'être. Mais en fait, quand on regarde, ce protiste, il abrite lui-même une bactérie qui lui permet de digérer la cellulose. Donc on se rend compte qu'il y a un système de poupées russes comme ça et que les systèmes de dépendance sont partout dans le vivant. Il y a une dépendance généralisée. Et nous, en tant que société humaine, nous ne sommes pas différents. Nous sommes radicalement, profondément dépendants de tout ce qui vit sur Terre et qui n'est pas humain et que nous ne contrôlons pas. Et aussi, on peut aussi prendre conscience que, en tant qu'individu, on est dépendant. De tas de choses. En tant qu'entreprise, je suis dépendant de tas de choses aussi. J'utilise par exemple en tant qu'entrepreneur des infrastructures, routières, ferroviaires, internet ou énergétiques, qui permettent de faire tourner mes usines, mes machines, mes salariés de venir, etc. Je dépends de fournisseurs, mais je dépends aussi finalement de communs sociaux, de structures éducatives qui permettent de créer du savoir, de diffuser du savoir sans lequel les gens que je recruterais n'auraient pas de compétences. Je dépends aussi des systèmes d'accès aux soins sans lesquels mes salariés tomberaient malades et j'aurais des taux d'absentéisme absolument impouvantables. Ou alors, quand ils sont malades, ils ne pourraient pas guérir. Et puis, je dépends des communs écologiques aussi, puisque ces services rendus par les écosystèmes permettent à mon entreprise de fonctionner. Mais je crois que c'est quelque chose que...

  • Speaker #0

    Je crois que c'est Jean Guérin qui est un philosophe spécialiste du quatrième âge des seniors. Il disait « mais en fait on se rend compte que quand on devient senior, on est dépendant des autres. » Mais cette expérience de la dépendance, il faudrait qu'on l'ait beaucoup plus tôt. Il faudrait que beaucoup plus tôt on puisse comprendre qu'on est dépendant radicalement des autres, que ce soit des institutions mais des autres individus. Il se trouve que moi j'ai vécu il n'y a pas longtemps une expérience de dépendance radicale, j'ai été hospitalisé, incapable de faire quoi que ce soit tout seul. Donc j'ai vécu avec 30 ans d'avance, peut-être qu'un senior en âge très avancé doit vivre. Le moindre geste de la vie quotidienne, on le fait grâce à des infirmières et des aides-soignantes, sans lesquelles je n'étais plus rien. Cette expérience de la dépendance profonde et radicale, je ne dis pas que tout le monde doit en passer par là, mais il faudrait qu'au moins, en exercice de pensée, on puisse être capable d'anticiper et de comprendre que, non, le mythe du self-made-mad, ça n'existe pas. Le mythe « je me suis fait tout seul, j'ai le mérite de ce que j'ai réalisé, etc. et ce mérite ne revient qu'à moi » , non, ça n'existe pas. Tout ce qu'on fait, on le fait grâce à des quantités d'autres personnes, qui sont souvent invisibilisées d'ailleurs. Et après, c'est à chacun de dire « oui, je reconnais ça, je rends grâce à ces personnes, à ces structures, à ces communs sociaux, écologiques, qui m'ont permis de réaliser ce que j'ai réalisé » .

  • Speaker #1

    Et puis, on en revient à la notion de gratitude et d'humilité, dont tu parlais tout à l'heure. Quand je peux rendre grâce à ces personnes qui m'aident à être, je suis au contact de cette humilité et de cette gratitude. Mais j'ai l'impression que toi, Emmanuel, tu écris des ouvrages, tu fais des conférences, tu proposes des espaces de rencontres. Tu parlais de ce respect, d'apprendre à se connaître. Est-ce qu'il y a des conseils que tu pourrais donner à des leaders, des hommes, des femmes ? qui ont cette envie, cette appétence à faire rentrer, à s'inspirer plus de vivants, que ce soit des dirigeants d'entreprises, des entrepreneurs. Quels conseils tu peux leur donner ?

  • Speaker #0

    C'est toujours difficile de donner des conseils. Je dirais que la première chose, sans doute, c'est de prendre un peu de recul, c'est de savoir lever le nez du guidon. Et c'est vrai, quand on est entrepreneur, quand on est chef d'entreprise, on a des agendas extrêmement chargés. On a l'impression que chaque respiration qu'on s'autorise... est un peu une perte de temps et on va culpabiliser pour ça. En fait, non, on ne va pas culpabiliser. C'est au contraire quelque chose qui va être extrêmement important de garder cette nourriture-là, cette nourriture intellectuelle, cette nourriture, on pourrait presque dire spirituelle, ce fait de s'enrichir. En fait, je pense qu'on peut très vite se stériliser par un exercice qui est celui d'une quête de performance permanente dans un contexte qui favorise, il est vrai, la compétition. en permanence aussi. Donc vous avez le fameux faux mot, la fear of missing out, l'impression que je vais rater un stimulus, je vais rater une information qui pourrait être cruciale, que les autres l'auront avant moi, etc. Non, parfois, effectivement, c'est bien de décoller un tout petit peu et de faire ses pas de côté. Et alors, moi, ce que j'adore faire, par exemple, c'est le pas de côté. Je parlais de permaculture, d'emmener des chefs d'entreprise dans un jardin potager en permaculture et de simplement leur demander, mais il y a quelque chose qui vous étonne, regardez ce qu'il y a autour de vous. Et oui, il y a toujours des tas de choses qui vont les étonner. Et donc, sur ce qui va les étonner, on va pouvoir après tirer des fils et revenir à leur entreprise, revenir à ces cas de figure. On peut faire le même exercice en forêt. On va en forêt, on regarde, on écoute. Qu'est-ce qui vous étonne aujourd'hui ? Qu'est-ce que vous regardez et que vous n'avez pas l'habitude de voir ? Même chose, c'est quelque chose sur lequel on va pouvoir faire les pas de côté et retirer tout ça. Peut-être que j'insisterais à aller sur deux choses, qui sont deux choses en plus un peu attaquées en ce moment. C'est la nécessité de la reconnaissance justement de cette dépendance, de cette vulnérabilité, de se dire que non, la solidité, elle ne se construit pas tout seul, elle se construit ensemble. C'est par des réseaux d'alliances qu'on va pouvoir consolider, au lieu d'essayer de les couper, ces liens d'interdépendance, il faut les consolider. Et donc, il faut travailler ensemble, l'ensemble des parties prenantes, avec les fournisseurs en amont, avec les clients en aval, y compris parfois avec les concurrents sur certains terrains. On aura besoin de coopérer parce qu'à un moment donné, il y a des marches qui sont tellement grandes à franchir que seules, on n'y arrivera pas. Et que c'est que par des logiques de filière et donc d'alliance, y compris avec des concurrents, qu'on va pouvoir franchir ces marches-là. Et la deuxième chose, c'est la nécessité de la diversité. Mais encore une fois, ça revient. Je garde que ces deux principes-là, j'aurais pu en évoquer plein d'autres. Mais ça revient à se dire que finalement, la réponse à quelque chose d'inattendu, elle vient toujours de là où on ne l'attend pas non plus. Et donc, pour ça, il faut de la diversité. Si vous, à un instant T, vous pensez que tel type de profil va être le plus adapté pour mon entreprise, etc., vous n'allez recruter que des gens qui ont ce type de diplôme, ce type de profil, ce type d'expérience, etc. Sauf qu'un jour, il va se passer un truc que vous n'avez pas anticipé. Et vous allez être face à une rupture, qui va être une rupture technologique, une rupture géopolitique, une crise énergétique, une pandémie, n'importe quoi.

  • Speaker #1

    Des petites choses qui peuvent nous parler en ce moment.

  • Speaker #0

    Et voilà, ça, si vous n'êtes pas préparé, si vous n'avez pas la possibilité d'avoir des antennes déployées dans des directions où vous n'avez pas l'habitude d'aller écouter, vous n'aurez pas la réponse tout seul. Donc je pense que cette diversité, quand je parle de diversité, c'est y compris de diversité dans les sensibilités. capacité d'écoute, une capacité d'explorer des champs un peu inattendus, si vous n'avez pas ça, vous n'aurez pas la réponse et vous allez passer à côté de quelque chose qui se passe, ou vous allez vous effondrer tout simplement.

  • Speaker #1

    Merci, c'est concret de pouvoir faire ce pas de côté, de pouvoir observer, de pouvoir se relier aux autres, de pouvoir créer la diversité et de là laisser advenir ce qui n'était pas prévu au départ puisque par définition, dans cette complexité, on ne sait pas où elle est. On ne sait pas où elle est la réponse.

  • Speaker #0

    Oui, ce que j'aime bien dire, c'est que l'avenir est par nature incertain. Et je préfère d'ailleurs qu'il reste incertain parce que l'avenir déterminé, peut-être que certains nous le promettent, pour moi, il ressemble plutôt à un cauchemar. Donc je préfère laisser l'avenir ouvert et incertain. Et justement, pour laisser une chance à ces avenirs incertains d'advenir, il faut garder ce champ des possibles le plus largement ouvert possible. et ça c'est alors quelque chose que j'appelle l'évo-compatibilité, on parle fois de de biocompatibilité, on parle parfois d'éco-compatibilité, on voit à peu près de quoi il s'agit, mais l'évo-compatibilité c'est finalement de laisser ouvert le champ des possibles, c'est-à-dire de laisser les sociétés humaines évoluer comme elles doivent évoluer, dans des sens qu'on ne va pas toujours pouvoir déterminer à l'avance, mais aussi de laisser les espèces, les écosystèmes évoluer et s'adapter. Et donc ça veut dire que, y compris dans les politiques de protection de la nature par exemple, C'est différent de se dire on va mettre des réserves sous cloche et on va dépenser des millions d'euros pour protéger tel et tel espace. Il faut le faire, mais ça ne suffit pas. En fait, c'est la question du, encore une fois, est-ce qu'on se sépare de la nature ou est-ce qu'on laisse la nature venir là où elle a envie de venir ? Et est-ce qu'on ne laisse pas les choses se passer là où elles doivent se passer, y compris là où nous, nous avons des activités ? Donc, il n'y a pas d'un côté des zones protégées où on ne va rien faire et de l'autre côté des zones où on peut faire n'importe quoi et tout saccager. L'idée, c'est de laisser s'interpénétrer le vivant, la nature, entre guillemets, et nos activités, et donc de profiter de ce brassage, de profiter de ces zones de rencontre, et qui sont encore une fois, ces zones de rencontre, ce sont les zones de tous les possibles, ce sont les zones d'expression de la créativité du vivant. Donc ces écotones, il faut en créer le plus possible. Et quand je dis laisser le champ des possibles ouvert, c'est vraiment ça, ce trésor à préserver, c'est la possibilité d'un surgissement de quelque chose d'inattendu. C'est vraiment ça qui est fondamental.

  • Speaker #1

    Surgissement de quelque chose d'inattendu, c'est de là aussi que vient l'émerveillement. Et en termes d'émerveillement, moi, je suis sensible aussi à ta poésie. Qu'est-ce qui t'a amené à écrire dans tout ton chemin ? Tu as fait des ouvrages concrets, puis tu as fait des ouvrages de poésie.

  • Speaker #0

    Oui, mais par exemple, le premier, dès 2011, L'économie expliquée aux humains, je donne la parole à un petit coléoptère qui s'appelle Serambic Cerdo. Il y a quelque chose de... de poésie, de poétique au sens un peu foutraque. C'est quoi cette espèce d'insecte qui se met à parler tout d'un coup et qui se fout un peu de notre gueule finalement. Mais donc, il y a un truc un peu décalé.

  • Speaker #1

    Changement de regard.

  • Speaker #0

    Voilà, changement de regard et accepter de subir le regard de quelqu'un qu'on n'écoute pas d'habitude et qui va en l'occurrence être un représentant de la biodiversité. Mais globalement, je pense que la poésie, c'est comme... tout mode d'expression artistique, d'ailleurs poésie c'est la création, ça peut être la musique, ça peut être la peinture, ça peut être la sculpture, c'est une manière d'exprimer notre créativité et c'est une manière de toucher non pas forcément la raison mais les sens, l'émotion. Et on sait que et notamment les personnes qui sont frappées d'Alzheimer par exemple, l'émotion, la trace d'une émotion reste bien plus longtemps que la trace d'une connaissance. Et ce qui fait « Bouger les gens aussi, c'est l'émotion. C'est quelque chose qui est irrationnel. Et d'ailleurs, le mythe de l'homo economicus, il y a longtemps que plus personne n'y croit, aucune décision que nous prenons dans nos vies quotidiennes n'est une décision rationnelle. Je ne sais pas qui disait, mais si on prenait tout le temps des décisions rationnelles, personne n'achèterait une voiture neuve, par exemple. Parce qu'une voiture neuve, vous avez à peine franchi la porte du garage, qu'elle a perdu 30% de sa valeur. » Donc c'est irrationnel, on achèterait tous des voitures d'occasion. Sauf que si on achetait toutes des voitures d'occasion, il n'y aurait plus de voitures. Bref, mais en tout cas, les impulsions d'achat... et les spécialistes du marketing le savent très bien, sont toujours faites par des impulsions, des émotions, et pas par une décision mûrement réfléchie. Et on pense parfois que les grands stratèges d'entreprise échappent à cette règle-là et qu'eux auraient un raisonnement pur et parfait, seraient parfaitement informés, etc. Mais non, là aussi, c'est un mythe. Aucun acteur du marché n'a accès à toute l'information et n'est en mesure de prendre une décision complètement rationnelle. Donc c'est toujours un pari. Et un pari qui va être basé sur des convictions, sur des croyances. Je me dis que la poésie, tiens, c'est une manière de toucher cette corde sensible aussi. Il ne suffit pas d'expliquer, il ne suffit pas d'écrire des faits, d'accroître le volume de connaissances, etc. Il faut aussi donner envie et toucher la corde sensible. Et voilà, pour moi, la poésie, c'est ça. Alors, je ne me suis pas forcé un jour à écrire de la poésie parce que c'était dans une stratégie de faire bouger les gens, etc. C'est quelque chose que j'avais depuis une bonne dizaine d'années. Et d'ailleurs, je pense que c'est notamment au moment où mon père était malade. quelques années avant son décès, où j'ai commencé à lui écrire de la poésie qui lui touchait beaucoup, qui lui faisait du bien. Et moi, ça me faisait du bien de lui écrire aussi. Et je me suis rendu compte que il y avait quelque chose qui passait qui était très fort, plus fort que des échanges rationnels, des conversations. Je ne sais pas quoi dire, mais pour moi, la poésie... Et encore une fois...

  • Speaker #1

    Tu ne sais pas quoi dire, mais tu dis beaucoup de choses.

  • Speaker #0

    La musique, c'est pareil. Il y a des choses. qui font que c'est pour ça qu'on vit. Voilà, c'est là où je voulais en venir. L'économie, le travail, la gestion de la vie quotidienne, notre image sur les réseaux sociaux, tout ça c'est très bien, mais c'est par ça qu'on vit, c'est des moyens de faire des choses. Mais ce pourquoi on vit, ce qui donne du sens, et ce qui fait qu'on est authentiquement et pleinement humain, c'est d'abord des choses sensibles, et ces choses irrationnelles qu'on a tendance à essayer de refouler, au contraire, il faut les révéler et les accepter.

  • Speaker #1

    Et merci de nous aider à les révéler de par ce que tu fais. Tu aurais envie ou pas de nous partager un texte de ton livre ?

  • Speaker #0

    Les Turbulents, oui, qui a été...

  • Speaker #1

    On ne voit pas la belle couverture, mais...

  • Speaker #0

    Voilà, illustré avec beaucoup de talent par Chloé Lequette. Et alors, je vais vous en lire deux comme ça. Le premier, qui n'est pas vraiment un texte du livre, d'ailleurs, qui est plutôt la dédicace que j'ai voulu comme ça. À vous qu'on dit nuisible. À vous, les Turbulents. les inutiles, les différents, les pas pareils, les déplacés, les désaxés, les fatigués, les inadaptés, les déprimés, les opprimés, les énervés, les pas jolis, les trop typés, les trop visibles, les invisibles, les discrets, les timides, les sensibles, les fragiles, les mal aimés, les pas aimés du tout. N'attendez pas qu'on vous dise « Bienvenue, vous êtes chez vous » . Et puis un autre, qui conclut presque, c'est l'avant-dernier texte du livre. Tous, ensemble, après moi, répétez. Le monde est une promesse. La vie est un miracle de beauté. Faites-le savoir. Chantez-le. Criez. N'attendez pas demain. Faites-le maintenant. Tant que brûle encore en vous le feu du désir. Et avant que ne soit plus ici que souvenir.

  • Speaker #1

    Merci. Merci beaucoup, Emmanuel, de ce moment-là d'émotion, en tout cas pour moi.

  • Speaker #0

    Merci. Merci pour ce temps.

  • Speaker #1

    Et j'ai encore une question. Est-ce que je peux te proposer un petit voyage ?

  • Speaker #0

    Allez.

  • Speaker #1

    Alors, je t'invite à fermer les yeux et je t'invite à aller en 2035. On est en 2035. Qu'est-ce qui fait battre ton cœur ?

  • Speaker #0

    Des rires d'enfants, le bruit du vent dans les arbres, les grillons, la sensation de l'air sur ma peau, la chaleur du soleil. modérée quand même.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Si vous avez aimé ce podcast, vous pouvez favoriser sa diffusion en lui donnant 5 étoiles sur Apple Podcasts. Et puis, vous pouvez bien sûr vous abonner sur toutes les plateformes Spotify, Apple Podcasts ou toutes autres plateformes que vous souhaitez. À bientôt sur SoisVM.

Description

Naturaliste, économiste, poète, Emmanuel Delannoy revient sur son parcours.

Admirateur du vivant  dès son plus jeune âge, il fait des études de biologie, puis se dirige plutôt par pragmatisme vers des études de commerce. Il constate vite dans l’entreprise des approches purement gestionnaires, cloisonnées et simplificatrices, là où il observe que la vie, elle, est complexité, émergence, interrelations.


Il souhaite relier ces mondes, ce qui l’amène à créer notamment l’Institut Inspire, un Think tank où naturalistes, scientifiques et entrepreneurs co-construisent des pistes économiques inspirées du vivant.


Il est un des pionniers du biomimétisme en France, inventeur du concept de permaéconomie, il invite à repenser en profondeur nos modèles économiques à l’aune des lois du vivant.


Nous échangeons sur :

  • l’économie symbiotique et les enseignements de la nature,

  • la nécessité de recréer des ponts entre des mondes qui ne se parlent plus,

  • la force des écotones – ces zones de rencontre où la vie explose,

  • la poésie comme boussole sensible pour éveiller les consciences,

  • ce que les leaders et entrepreneurs peuvent apprendre du vivant pour bâtir des organisations plus résiliantes, fertiles, humaines, en s’inspirant notamment de la coévolution, l’interdépendance, la diversité du vivant


Un échange fort, vibrant et inspirant pour « dépasser le culte de la performance, aller

moins vite en surface, plus vite au coeur des choses »

Une invitation à regarder autrement nos manières de vivre, interagir, décider, créer .

Belle écoute !


Dans cet épisode, Emmanuel cite :

  • Stephen Jay Gould : paléontologue, biologiste de l’évolution, grand humaniste.

  • Albert Camus : écrivain et philosophe, référence marquante dans son parcours.

  • Robert Barbault : écologue, auteur de la phrase « L’écologie, c’est la science des relations entre les êtres vivants ».

  • François Cheng : poète, philosophe, écrivain. Citation sur l’importance des relations.

  • Jean Guérin : philosophe spécialiste du quatrième âge, sur la dépendance.

  • Marc-André Selosse : biologiste, auteur de Jamais seul, sur les symbioses et interdépendances.

  • Alain Damasio et Baptiste Morizot : sur le concept de « cosmopolitesse ».

  • Théodore Monod : scientifique, humaniste, fondateur de la Ligue ROC.

  • Hubert Reeves : astrophysicien, président de la Ligue ROC à une époque.

  • Jacques Weber : économiste et anthropologue, mentor d’Emmanuel


Emmanuel nous fait aussi le cadeau de son blog poétique, beau voyage ! :

https://emmanueldelannoy.writeas.com



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et tous, je suis Stéphanie Pelleret-Delga. Vous écoutez le podcast Sois, Vie, Aime. Oser un leadership authentique et inspirant, au service de soi, des autres, de son écosystème et du vivant. Tous les mois, je reçois des dirigeantes, dirigeants, experts, expertes. entrepreneurs, entrepreneuses qui ont fait ce chemin entre vulnérabilité et puissance, qui ouvrent leur cœur et partagent leurs expériences professionnelles et plus personnelles. Par leur parcours et personnalité, ils, elles, sèment des graines sources d'inspiration. Et vous, quelles graines avez-vous envie de semer ? Quel leadership souhaitez-vous incarner ? À mon micro, aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir Emmanuel Delanois. Bonjour Emmanuel.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté mon invitation dans Sois, Vie, Aime. Merci pour ça. Et j'enregistre, on enregistre aujourd'hui cette interview dans mon salon, transformé en studio pour l'occasion. Cher Emmanuel, tu es l'un des pionniers du biomimétisme en France et inventeur du concept de permaéconomie. Tu accompagnes la transformation des organisations depuis plus de 20 ans. Tu es membre du bureau du comité français de l'UICN, président de l'incubateur spécialisé dans l'économie sociale et solidaire Intermaid et auteur de plusieurs ouvrages consacrés aux liens entre économie et vivant. L'économie expliquée aux humains, biomimétique, permaéconomie et les turbulents. On aura l'occasion d'en reparler. Tu as aussi été rapporteur pour le ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer, du rapport « La biodiversité, une opportunité pour le développement économique et la création d'emplois » . Tu es co-auteur de la fresque de l'économie « Régénératrice » . Promoteur de nouveaux imaginaires au service de la vie, tu es un poète. Economiste ? Naturaliste ? Poète ? Qu'est-ce qui t'a amené, cher Emmanuel, à devenir un expert des liens ? entre économie et vivant.

  • Speaker #1

    Alors, ça fait beaucoup, ça, effectivement. Merci pour ce portrait qui est quand même très efflateur. Ce qui m'a amené, je dirais qu'il y a plusieurs, comme tout le monde, plusieurs étapes et une construction. Déjà, je n'ai pas eu à me forcer pour être un admirateur du vivant, de ce qu'on appelle maintenant le vivant, la biodiversité, ce qu'on appelait la nature quand j'étais enfant. Je me souviens que tout petit, je passais déjà énormément de temps devant la moindre mare, le moindre trou d'eau, le moindre ruisseau. à regarder les petites grenouilles, les petits poissons, les petits crustacés qu'il y avait dedans, et franchement, à m'émerveiller de ça. Vous pouvez passer des heures. J'étais très bien en forêt, y compris dans les forêts parfois un peu sombres, où les gens ont parfois un peu peur. Et je me souviens par exemple d'une anecdote où mes parents m'ont perdu, où je me suis perdu, je devais avoir 3 ou 4 ans. Et quand ils m'ont retrouvé, ils étaient persuadés que j'allais être terrorisé, et en fait non, moi j'ai tout souri, j'étais très bien là où j'étais, je crois que j'avais même pas conscience de m'être perdu. Donc j'étais bien, j'étais mon élément. Et donc ça, c'est quelque chose qui est profond. qui est ancré, je me souviens aussi que petit garçon, un peu plus tard, je collectionnais déjà des coupures de journaux sur, malheureusement, tous ces faits divers un peu tristes de pollution, de marée noire, etc. J'ai grandi dans le nord de la France, on a été pas mal impacté aussi par des faits divers de ce type-là. Et je pense que ma sensibilité, elle a grandi petit à petit avec ça. Après, ce qui m'a amené... D'abord, j'ai fait des études de biologie qui m'ont passionné. Je crois que je dois rendre grâce d'ailleurs, je vais beaucoup parler de rencontres, à une professeure de sciences naturelles. J'ai oublié le nom malheureusement, mais qui a vraiment suscité une vocation. Une professeure qui faisait ses classes hors classe. On allait dans la forêt, on allait dans la nature à proximité d'école, on partait à pied et on se penchait, on observait. On faisait vraiment des cours de naturaliste. On parle aujourd'hui de naturaliste, c'est-à-dire qu'on va observer les fleurs, on va leur donner un nom, les papillons, etc. On va regarder ce qui se passe et on faisait déjà de l'écologie. Pourquoi telle plante pousse à tel endroit ? Qu'est-ce qui se passe à cet endroit-là ? etc. Donc ça, c'est déjà... Une sensibilité. Ça m'a donné envie de poursuivre dans ce domaine-là, de faire des études en biologie.

  • Speaker #0

    Ça, c'était au collège, quand tu parles de ta professeure ? Ça,

  • Speaker #1

    c'était au collège, tout à fait. Et donc, ça m'a donné envie de m'inscrire en fac après le bac, où j'ai fait un bac D. Curieusement, après la fac en bio, j'ai fait une école de commerce. École de commerce, c'est difficile. Parce que ce n'est pas un choix typique. J'aurais pu poursuivre dans des études strictement scientifiques ou naturalistes. Et puis, il y a un peu de... Question réaliste, il y a aussi des amis qui étaient plus avancés que moi dans les études et qui, jeunes docteurs, galéraient pour trouver du boulot. On était dans les années 80. Et je me dis, bon, peut-être qu'il faut être raisonnable. Je vais faire un vrai métier, comme on dit. Donc, je vais m'inscrire dans une école de commerce. Sauf que je pense que je n'étais pas du tout un étudiant en école de commerce comme les autres. Moi, ce qui me passionnait toujours, c'était à la fois les pensées humanistes. Par exemple, je me souviens que la lecture de Camus m'a beaucoup marqué. Et aussi la paléontologie. Donc, je me suis beaucoup intéressé à Stéphane Jégould, qui était un véritable maître pour moi, qui est quelqu'un que je n'ai jamais rencontré, que j'aurais adoré rencontrer. mais qui était contemporain, qui écrivait en même temps que je le lisais.

  • Speaker #0

    Et il y avait des cours de paléontologie dans ton école ?

  • Speaker #1

    Non, pas du tout, mais c'était une passion que j'avais maintenue à côté. En même temps que le cinéma d'arrêt-décès. Donc, tu vois, vraiment des choses très variées comme ça.

  • Speaker #0

    Très éclectiques.

  • Speaker #1

    Très éclectiques. Et Gould, ce qu'on sait peu, c'est que c'est un grand scientifique, un grand paléontologue, mais aussi un grand humaniste. Quelqu'un qui a énormément réfléchi. Il a cette phrase très forte, par exemple, qui est de dire l'égalité des races. est un hasard de l'histoire, de l'évolution. C'est-à-dire qu'imaginez qu'à un moment, il y a eu plusieurs espèces du genre homo qui coexistaient sur Terre, Néandertalensis, Sapiens, et puis peut-être d'autres encore. Et aujourd'hui, il se trouve que Sapiens est seul de son embranchement, le seul représentant du genre homo. C'est une anomalie, il n'y a aucune autre espèce pour laquelle il n'y a pas d'autres représentants dans le même embranchement, dans le même ordre. Donc là, on se dit, tiens... petite histoire, et ça fait réfléchir, et on se dit, tiens, est-ce que l'humanité aurait été différente si on avait dû coexister, cohabiter avec d'autres nous-mêmes ? Et en fait, je me dis, mais quand on voit à quel point on a du mal à accepter déjà la différence au sein de cette espèce qui est homo sapiens, de gens qui ont exactement la même biologie, le même ADN, les mêmes besoins que nous, etc., mais qui vont avoir une culture ou une histoire différente de la nôtre, rien que ça, on a du mal à l'accepter. Alors je me dis, waouh ! ça aurait été un sacré défi. Peut-être que ça nous aurait rendu meilleurs, d'ailleurs. Cette confrontation à l'altérité radicale, je trouve que c'est quelque chose qui nous manque. Mais enfin, on pourra y revenir.

  • Speaker #0

    Et ça, c'est des sensibilités, des sujets que tu avais déjà étudiants ?

  • Speaker #1

    Oui, qui ne m'ont jamais quitté. A la fois cette sensibilité artistique à travers le cinéma, j'étais très cinéphile, la littérature, bien sûr, et puis cette sensibilité scientifique à travers cette passion pour la biologie de l'évolution, ce qu'on appelle la biologie fonctionnelle, et donc l'écologie aussi fonctionnelle. Cette question de l'altérité m'a travaillé profondément. Et en écologie, on ne parle que de ça, finalement. Moi, j'aime beaucoup cette phrase de Robert Barbeau qui disait « L'écologie, c'est la science des relations entre les êtres vivants » . Je pense que quand on a dit ça, on a recadré les choses. L'écologie, ce n'est pas une doctrine, ce n'est pas un courant politique, c'est quelque chose qui devrait tous nous unir. Et c'est de se dire que nous sommes des êtres vivants et ce qui se passe entre nous, comme le dit François Tcheng, j'adore cette citation aussi, François Tcheng qui dit « Ce qui se passe entre les êtres est... » c'est au moins aussi important que les êtres eux-mêmes. Donc les relations entre l'individu, mais aussi entre les espèces dans les écosystèmes, sont au moins aussi importantes que l'existence même de ces espèces. Et ça, ça nous amène à l'émergence, à notre phénomène formidable aussi, quand on s'intéresse un peu à la complexité. Dans un système, et un écosystème est un système, dès qu'il y a des relations entre des entités, des individus, des espèces, des populations, il se passe des choses qui donnent à ce système des propriétés. émergentes, des propriétés nouvelles par rapport à ce qui pourrait se passer si ces espèces n'étaient pas là. Et ça, c'est la vie. C'est-à-dire que la vie, elle passe son temps à inventer, et elle invente d'une manière qui n'est pas magnifiable, qui n'est pas gérable, qui ne rentre pas dans les cases de la gestion des tableaux Excel, etc. Et alors ça, pour quelqu'un qui a fait une école de commerce et de gestion, c'est un sacré défi. Parce que dans une école de commerce, ce qu'on vous apprend, c'est de faire des business plans, c'était de faire du prévisionnel c'est de rentrer, par exemple, la population dans des cases. Quand on fait du marketing, on veut segmenter les choses. On veut des archétypes de telle population qui aura tel besoin. On va y répondre de telle manière, etc. Et puis, en fait, quand on a aussi cette pensée complexe et cette pensée écologique, on se rend compte que les choses ne sont jamais comme ça. Les choses ne sont jamais cloisonnées. Il y a des continuums partout et il y a des interrelations partout. Et il y a des changements partout et des émergences. Et ça, c'est malheureusement sans doute quelque chose qu'on oublie souvent. Et c'est une grande modestie qu'il faudrait qu'on réapprenne par rapport au vivant. Mais la modestie, elle va avec l'émerveillement aussi. Elle va avec la gratitude aussi d'être vivant, simplement de respirer, de se poser la question de, à chaque instant, qu'est-ce que je dois ? Et aujourd'hui, la lumière est merveilleuse, par exemple. Qu'est-ce que je dois à cet instant-là, à ce qui vit autour de moi ? C'est tout. C'est des choses qu'on a tendance à perdre par notre éducation et qu'il faut absolument se réapproprier.

  • Speaker #0

    On redevient peu de choses quand on s'émerveille de ce qui nous entoure.

  • Speaker #1

    On devient peu de choses et en même temps ça nous grandit énormément. On passe à une autre nature de choses. C'est toute la question du culte de la performance aussi aujourd'hui. Cette idée qu'il faut aller vite, qu'il faut être plus fort, plus rapide, parfois plus spécialisé. Et puis, en fait, est-ce que c'est ça la vie ? Est-ce que la vie, ce n'est pas plutôt d'aller plus en profondeur ? La richesse, en fait, elle va être beaucoup plus forte, parfois dans des choses qui vont être moins performantes. Aller moins vite en surface, mais plus vite au cœur des choses, plus en profondeur.

  • Speaker #0

    Et donc là, on parle, tu nous partages de façon globale ce qui est devenu. une vraiment de tes spécialités, comme l'économie symbiotique. J'aimerais juste revenir dans ton parcours. Toi, tu es plein de cette curiosité du vivant, artistique, et puis tu fais quand même des études en école de commerce. À quel moment, je crois que tu commences d'abord par l'entreprise classique, et à quel moment fort de cette curiosité, de tes connaissances de naturaliste, de ce que tu observes dans la manière de fonctionner du vivant, du lien ? de ce que la relation apporte, plus que les entités en tant que telles, à quel moment tu te dis je vais en faire quelque chose au service de l'économie ?

  • Speaker #1

    Oui, et effectivement il y a un moment où j'ai voulu rassembler les choses. C'est-à-dire que je n'ai jamais été que manager, que directeur de centre de profit, que directeur régional ou directeur général, etc. ou commercial dans les entreprises où j'étais. J'ai toujours été à côté le naturaliste. Mais le naturaliste, le week-end, le soir, par mes lectures, etc., ou par mes sorties, j'étais militant, associatif. Et ça, l'engagement militant dans des associations de protection de la nature est quelque chose qui m'a beaucoup forgé aussi, ne serait-ce que par les rencontres que j'ai pu faire. Et puis, à un moment, au début des années 2000, je me suis dit, en fait, ces deux traces qui sont parallèles et qui se croisent quasiment jamais, j'ai envie de les croiser maintenant, de les rassembler. Donc, j'ai repris les études, j'ai fait un master spécialisé en management de l'innovation, de la qualité de l'environnement. Et il se trouve que j'ai fait mon stage, j'avais envie de dire par chance, mais non, pas par chance, parce que j'ai vraiment voulu, j'ai presque fait le siège. J'ai fait mon stage de fin d'études au CIRAD, Centre de Recherche en Agronomie pour le Développement, à Montpellier. Et là, j'ai rencontré beaucoup de scientifiques, d'agronomes, d'écologues. J'ai rencontré un grand monsieur qui m'a mentoré, à qui je dois beaucoup, qui s'appelle Jacques Weber, et qui lui était économiste et anthropologue, deux casquettes qu'on ne voit pas souvent chez la même personne. Et puis en même temps, j'étais toujours militant associatif aussi à la Ligue Rock en particulier, qui a été fondée par Théodore Monod, mais à l'époque c'était Hubert Rives qui en avait pété le président. Et tout ça fait que, quand j'ai voulu remettre ces deux traces ensemble, j'ai fait ce master spécialisé, j'ai fait ce stage au CIRAD, et je me dis, là il faut que je fasse quelque chose avec tout ça. D'abord, j'essaye de trouver des missions en tant qu'indépendant, en tant que conseil. pour des entreprises, pour des associations, pour des ONG. J'organise des grands événements. Je participe à l'organisation et à la programmation d'événements scientifiques sur la vulgarisation, sur la diffusion de la connaissance, sur l'écologie, sur la biologie. Et puis, à un moment, tiens, un président est élu et il convoque ce qu'on appelle le Grenelle Environnement, quelques années après. Et là, à la Ligroc, on me dit, toi, tu es quand même un des seuls parmi nous, là, je t'ai membre du bureau, qui sait ce que c'est qu'une entreprise ? Bon, au Grenelle, il y a une table ronde sur les entreprises. C'est toi qui vas y aller. Donc je me suis retrouvé bombardé à être négociateur ou cher parent. Enfin voilà, je préparais des fiches, des notes, etc. Et j'assistais le négociateur de la Ligue Roque, en tout cas, sur ces sujets-là, sur la question de dire, mais qu'est-ce que ça pourrait être un développement économique et un développement écologique qui soit favorable à l'emploi, qui soit favorable à la performance économique ? On parlait encore de performance, de compétitivité. On en parle encore d'ailleurs beaucoup aujourd'hui aussi. Vous avez peut-être cassé un peu ces termes. Mais donc ça, ça m'a amené à rencontrer des tas de gens. Des agriculteurs, des syndicalistes agricoles, des gens du MEDEF, des syndicalistes de syndicats de salariés, des responsables d'entreprises, de différents réseaux, de différentes convictions, parce qu'il y a des gens très engagés parmi les responsables d'entreprises. Mais je me suis surtout rendu compte d'une chose, c'est que, que ce soit chez les scientifiques, chez les ONG ou chez les responsables du monde agricole ou du monde de l'entreprise, tout le monde est plein de bonne volonté dès qu'on est ensemble dans la même pièce. Et là, on se rend compte qu'on est tous des humains, qu'on parle. peu près le même langage et qu'on devrait être capable de se comprendre. Sauf que non, en fait, on ne parle pas le même langage et on ne se comprend pas. On ne met pas la même chose derrière les mêmes termes. Et puis surtout, mon monde de naturaliste n'est pas ton monde d'entrepreneur et vice-versa. Et donc, à un moment donné, je me suis dit « Eh, c'est vrai, on manque de passerelles. » Et c'est là que j'ai créé l'Institut Inspire, en me disant « L'Institut Inspire doit être un lieu de rencontre, un espèce de think-tank dans lequel des scientifiques, des naturalistes, des entrepreneurs vont se rencontrer et vont travailler ensemble sur des pistes qu'on avait posées comme ça sur la table, qui étaient de dire, on va parler d'économie circulaire, désintensifiée, en flux, matière, énergie, l'économie. On va parler d'économie de la fonctionnalité et de la coopération. C'était très innovant à l'époque, un peu moins maintenant. C'était de dire, on va parler de... donner une valeur à ce qu'il y a de la valeur, finalement. Et ce qu'il y a de la valeur, ce n'est pas le produit, c'est l'usage qu'on fait du produit. On va parler de biomimétisme, en se disant, tiens, comment la biodiversité, comment le monde vivant peut être une source d'inspiration, mais surtout, quelque part aussi, un cadre de référence. C'est-à-dire en se disant, tiens, qu'est-ce qui marche dans la nature, qu'est-ce qui ne marche pas, et pourquoi ça marche ? Et après tout, pourquoi le vivant est encore là depuis 4 milliards d'années ? Il y a peut-être des recettes dont on pourrait s'inspirer, des recettes de durabilité. quand on travaille en innovation d'entreprise. On peut s'inspirer de pas mal de choses quand même, y compris d'ailleurs à un niveau stratégique. Et puis le dernier point, c'est que...

  • Speaker #0

    Et juste pour illustrer, parce que ce n'est pas si évident des fois toujours à comprendre, est-ce que tu as un exemple dans ces travaux-là, en termes d'innovation, qui te viendrait de quelque chose qui est inspiré directement du vivant ?

  • Speaker #1

    Justement, j'ai envie de dire qu'on pourrait parler de l'innovation technique inspirée du vivant, on pourrait parler de ces fameuses surfaces à effet lotus, par exemple, qui ne se salissent pas quand l'eau ruisselle dessus, etc. Mais j'allais dire, c'est secondaire tout ça. Pour moi, ce qui est fondamental, c'est plutôt des stratégies inspirées du vivant et qui font que des espèces coexistent dans un écosystème. Et elles coexistent parce qu'il y a un nombre de règles non écrites, de règles qui sont acquises par coévolution. Il a fallu des millions d'années, des milliards d'années pour ça, que j'appellerais presque du savoir vivre ensemble, des règles de politesse. Et d'ailleurs, ce n'est pas de moi, c'est d'Alain Damasio et Baptiste Morisot qui parlent de cosmopolitesse. Mais de se dire finalement, dans les sociétés humaines, on a inventé la politesse pour se supporter les uns les autres et pour pouvoir vivre ensemble sans se taper dessus tout de suite. Entre espèces vivantes différentes, il faudrait qu'on invente des règles de politesse qui nous permettraient de coexister. Il se trouve que ces règles existent dans la nature et on peut s'en inspirer. Je vais donner quelques exemples. Aucune espèce vivante sur Terre ne produit une substance qui ne saurait être dégradée par une autre espèce. Même les poisons les plus violents, il faut le reconnaître, il y a des poisons extrêmement violents dans la nature, ces poisons-là seront un jour ou l'autre dégradés, soit par des UV d'ailleurs, qui n'est pas vivant, soit par des bactéries, des champignons, d'autres organismes. La deuxième chose, c'est finalement tout ce que produit un organisme vivant et qui pour lui est un déchet. Par exemple, quand une plante fait de la photosynthèse, elle va rejeter de l'oxygène dans l'atmosphère. Cet oxygène est pour elle un déchet, mais il se trouve que d'autres espèces profitent de la présence de l'oxygène. Et donc c'est ça ces règles de coévolution, ce qui font qu'à l'échelle globale, cette notion de déchet n'existe pas. Une autre, alors là on peut vite tomber dans l'anthropomorphisme, il faut faire attention à l'usage des termes, par exemple quand on parle de coopération. Coopération pour moi ça suppose une intention de faire quelque chose ensemble. C'est pas quelque chose qui existe dans la nature ça. Mais par contre, encore une fois, par coévolution, il y a une sorte d'apprentissage qui fait qu'il y a des relations à bénéfice réciproques. qui vont s'installer. Et ces relations à bénéfices réciproques font que le vivant est présent partout, dans toutes les niches écologiques, y compris là où les conditions sont extrêmes. Il peut faire très froid, il peut faire très chaud, il peut y avoir énormément d'eau ou pas assez d'eau. Mais il y a des espèces qui arrivent à survivre dans ces endroits-là. Et très souvent, c'est grâce à des symbioses ou grâce à des mutualismes. Donc voilà, quelques exemples, simplement, pour en citer plein d'autres.

  • Speaker #0

    Très chouette. Et ce que je comprends, ce n'est pas tant le résultat de cette symbiose, mais plutôt l'état d'esprit, la sagesse avec laquelle le vivant peut nous enseigner les interrelations.

  • Speaker #1

    Plus que la sagesse du vivant, moi je dirais que tu as dit à un moment, c'était pas tant le résultat qui est important que la sagesse. Dans sagesse, je parlerais de processus, c'est-à-dire de ces processus de coévolution, de rétroaction. Et c'est d'ailleurs ce qui a énormément nourri la pensée des concepteurs de la permaculture, par exemple. C'est cette observation de ce qui se passe dans le vivant. Et ils ont retenu un truc qui était essentiel, c'était la nécessité de ces interactions, de ces rétroactions, de ces zones d'échange, ces zones de contact, par exemple ce qu'on appelle les écotones en économie, en écologie, ce qu'on va appeler une lisière par exemple. Ces endroits où des milieux se rencontrent sont des endroits qui sont toujours extrêmement riches en biodiversité et extrêmement riches en termes de fonctionnalités écologiques, en termes de production, en termes de résilience, de capacité d'adaptation, etc. Et donc ça, ça m'amène à une autre idée, c'est que très souvent, comme on dit d'ailleurs, la destination n'est pas le voyage, c'est le chemin. Dans une négociation, le processus est au moins aussi important que le résultat. Et quand je parlais du Grenelle Environnement tout à l'heure, je pense que le principal bénéfice de ça, qui a été beaucoup perdu depuis, qui a besoin d'être revitalisé évidemment, c'est le fait qu'on se parle, c'est le fait qu'on se mette autour d'une table, c'est le fait qu'on apprenne à se respecter. et qu'on apprenne à reconnaître nos différences. Il y a un mot que j'aime beaucoup, c'est le mot respect. Respecter, respectare, en italien. Spectare, c'est regarder. Respect à respect, c'est regarder deux fois. Le fait qu'on soit dans des processus de réunion où on se revoit comme ça régulièrement, toutes les semaines, pendant des périodes qui vont durer assez longtemps, ce tenue des liens. On prend l'habitude de se rencontrer. Et c'est là que le respect naît. On se regarde une fois, on se regarde une deuxième fois, on se reconnaît finalement. Et on se reconnaît dans nos différences aussi. Et on se reconnaît, y compris dans, peut-être, des schémas de pensée, peut-être des manières de voir le monde qui vont être très différentes. finalement, d'être capable de prêter à l'autre un regard que nous n'avons pas, mais que lui, il a, c'est la théorie de l'esprit, c'est la naissance de l'empathie. Et à partir de ça, on peut faire beaucoup de choses.

  • Speaker #0

    Et j'ai l'impression même que c'est l'essence même du vivre ensemble. Dit de façon un peu moins poétique, excuse-moi, c'est aussi pouvoir échanger de lunettes et dans une même pièce, comme tu dis, à partir du moment où il peut y avoir cette notion de... « Ok, là, j'ai tel avis, mais en fait, ça ne parle que de moi. Et si finalement, j'essaye de mettre les lunettes de telle personne, ça fait quoi ? » Je trouve que c'est la base d'un échange.

  • Speaker #1

    Oui, encore une fois, c'est là aussi la base de la permaculture. C'est de confronter des choses, de permettre ces échanges-là. Quand tu dis changer de lunettes, c'est regarder des choses autrement, finalement. C'est apprendre à respecter, encore une fois, cette altérité différente. Et je trouve ça intéressant. De se dire finalement... Tiens, je vais prendre un autre exemple. On voit qu'on a du mal aujourd'hui dans nos sociétés humaines à coexister avec les grands prédateurs, avec le loup, l'ours, c'est des sujets qui font polémique depuis très longtemps. Mais imaginons qu'il y a... Allez, il y a mille ans, c'est pas il y a si longtemps que ça encore. C'est rien à l'échelle des temps géologiques. Il y a mille ans, il y avait des troupeaux de grands herbivores sauvages. Il y avait des troupeaux de bisons, il y avait des troupeaux de grands cervidés, en très grande quantité, etc. Imaginez aujourd'hui un troupeau de bisons. traverser un autoroute ou un truc comme ça. C'est même pas imaginable. Notre manière d'habiter le territoire, notre manière d'habiter la planète, n'est plus compatible aujourd'hui avec la manière d'habiter d'autres espèces. Et ça, je pense que ça devrait nous interpeller aussi. C'est-à-dire que dès qu'une espèce, par son existence même, devient gênante, on en fait un ennemi, on en fait un adversaire, quelque chose à éliminer, alors que, évidemment, nous aussi, on a des droits. Et il faut aussi qu'on les fasse valoir. mais Simplement, cette gêne qu'on a devrait nous interpeller, devrait nous faire poser la question de, tiens, est-ce que c'est pas nous qu'on devrait remettre en cause ? On adore trouver des boucs émissaires en tout. Et on dit d'ailleurs que souvent, une civilisation, elle se construit sur son ennemi, contre son ennemi, mais donc elle se renforce. Les liens au sein de la cité, par exemple, se renforcent parce qu'il y a la cité adversaire ou la cité ennemie de l'autre côté, à quelques centaines de kilomètres. Et je... croit malheureusement que ce qui unit une bonne partie de la société occidentale aujourd'hui, je précise occidentale parce que ce n'est pas vrai de toutes les sociétés, c'est cette espèce de ségrégation d'avec la nature, d'avec le vivant non humain, cette espèce de coupure, et qu'on n'arrive plus à accepter en fait ce qui fait cette différence radicale, cette altérité radicale du vivant non humain. Et là on a perdu quelque chose, et je pense qu'en perdant cette chose-là, on ne sait pas. perdu aussi nous-mêmes, qui fait qu'on est confrontés à des difficultés extrêmes aujourd'hui. Ne serait-ce qu'à accepter nous-mêmes les différences au sein de nos sociétés.

  • Speaker #0

    Et à l'intérieur de nous.

  • Speaker #1

    Et à l'intérieur de nous.

  • Speaker #0

    Le propre parc, des fois, s'affronte à l'intérieur.

  • Speaker #1

    Exactement. Parfois, on est un peu pluriel. On est tous pluriel, d'ailleurs. Et de l'assumer, de l'accepter, de se dire, tiens, je suis un entrepreneur, je suis un bon manager, je suis un expert dans tel et tel domaine. Mais, je peux pleurer en écoutant une chanson, en lisant un poème, ben pourquoi pas ? Après tout, c'est la même personne. De se dire, ah, il y a des nouveaux voisins, ils cassent les pieds, ils font du bruit, machin, etc. Mais en même temps, le jour où il me demande de les aider, parce que je vois qu'il y a vraiment un gros problème, je vais les aider, spontanément. Et c'est les mêmes personnes. Je ne sais plus qui écrivait ça, les Français qui votent pour l'extrême droite, les Français qui sont racistes, les Français qui ont peur des étrangers, qui sont xénophobes. C'est les mêmes, finalement, en tout cas statistiquement, qui donnent beaucoup aux associations, qui donnent à l'UNICEF quand il y a une catastrophe. Et c'est intéressant de noter que les gens sont pluriels. Il n'y a pas des grands blocs qui s'affrontent. Encore une fois, il y a des continuums. Alors pourquoi je dis ça ? C'est que malheureusement, on a tendance à chasser la diversité ou en tout cas à la rendre invisible. Il y a un point qui est important aussi, qui me touche beaucoup, c'est que, sortez dans la rue, là où vous habitez, vous avez... peu de chances de rencontrer des personnes dites handicapées, en situation de handicap. Vous avez peu de chances de rencontrer en particulier des personnes qui ont un fort handicap cognitif, neurologique. Je ne les croise pas. On les croisait il y a 50 ans, il y a 100 ans. Aujourd'hui, non, ces gens-là sont des personnes dans des structures spécialisées. Des personnes âgées, très âgées, on ne les croise plus dans la rue. Elles sont dans des EHPAD. Des enfants, ils sont dans des crèches, dans des écoles. Les lieux de mixité, à part sur des terrains de sport, parfois, à part parfois des lieux culturels, les lieux de mixité sont quand même de plus en plus rares. Et donc, c'est toujours pareil. On vit dans des bulles, on critique beaucoup d'ailleurs ce côté bulle. Des réseaux sociaux où je suis en contact avec des gens qui vont penser comme moi et chacun à sa tribu et ces bulles ne se mélangent pas. Et donc ça donne l'illusion que je vis dans un monde où tout le monde pense comme moi. Mais c'est vrai aussi dans la vie de tous les jours. In real life, comme on dit dans les réseaux sociaux, sur Internet. Oui, mais malheureusement, on a créé une société où la ségrégation est beaucoup plus importante que les interactions.

  • Speaker #0

    On est à l'optimum de l'opposé de ce que nous enseigne le vivant. Donc toi, quand tu soulignes ça, tu soulignes aussi peut-être qu'il est urgent de prendre conscience. Comment t'amènes à faire prendre conscience, là ?

  • Speaker #1

    Une chose très importante, et d'ailleurs quand je parlais de l'Institut Inspire, le quatrième pilier dont je n'ai pas parlé, c'est justement la dépendance à la biodiversité. Je pense que je dois être le tout premier Français à s'être formé à un outil qui s'appelle l'évaluation des services rendus par les écosystèmes, que j'ai fait traduire en français. et qui a permis à beaucoup d'entreprises de faire le premier pas dans leur démarche biodiversité. Mais finalement, c'est un truc qui est cardinal, qui est absolu, qui est partout dans le vivant, c'est-à-dire que tout le monde dépend de quelqu'un d'autre. Nous dépendons en tant qu'organisme de notre microbiote, mais par exemple, je crois que c'est Marc-André Solos qui en parle très bien dans « Jamais seul » , les termites sont incapables de digérer la cellulose, elles digèrent la cellulose parce que dans leur système digestif, il y a un petit protiste. qui lui est capable de l'être. Mais en fait, quand on regarde, ce protiste, il abrite lui-même une bactérie qui lui permet de digérer la cellulose. Donc on se rend compte qu'il y a un système de poupées russes comme ça et que les systèmes de dépendance sont partout dans le vivant. Il y a une dépendance généralisée. Et nous, en tant que société humaine, nous ne sommes pas différents. Nous sommes radicalement, profondément dépendants de tout ce qui vit sur Terre et qui n'est pas humain et que nous ne contrôlons pas. Et aussi, on peut aussi prendre conscience que, en tant qu'individu, on est dépendant. De tas de choses. En tant qu'entreprise, je suis dépendant de tas de choses aussi. J'utilise par exemple en tant qu'entrepreneur des infrastructures, routières, ferroviaires, internet ou énergétiques, qui permettent de faire tourner mes usines, mes machines, mes salariés de venir, etc. Je dépends de fournisseurs, mais je dépends aussi finalement de communs sociaux, de structures éducatives qui permettent de créer du savoir, de diffuser du savoir sans lequel les gens que je recruterais n'auraient pas de compétences. Je dépends aussi des systèmes d'accès aux soins sans lesquels mes salariés tomberaient malades et j'aurais des taux d'absentéisme absolument impouvantables. Ou alors, quand ils sont malades, ils ne pourraient pas guérir. Et puis, je dépends des communs écologiques aussi, puisque ces services rendus par les écosystèmes permettent à mon entreprise de fonctionner. Mais je crois que c'est quelque chose que...

  • Speaker #0

    Je crois que c'est Jean Guérin qui est un philosophe spécialiste du quatrième âge des seniors. Il disait « mais en fait on se rend compte que quand on devient senior, on est dépendant des autres. » Mais cette expérience de la dépendance, il faudrait qu'on l'ait beaucoup plus tôt. Il faudrait que beaucoup plus tôt on puisse comprendre qu'on est dépendant radicalement des autres, que ce soit des institutions mais des autres individus. Il se trouve que moi j'ai vécu il n'y a pas longtemps une expérience de dépendance radicale, j'ai été hospitalisé, incapable de faire quoi que ce soit tout seul. Donc j'ai vécu avec 30 ans d'avance, peut-être qu'un senior en âge très avancé doit vivre. Le moindre geste de la vie quotidienne, on le fait grâce à des infirmières et des aides-soignantes, sans lesquelles je n'étais plus rien. Cette expérience de la dépendance profonde et radicale, je ne dis pas que tout le monde doit en passer par là, mais il faudrait qu'au moins, en exercice de pensée, on puisse être capable d'anticiper et de comprendre que, non, le mythe du self-made-mad, ça n'existe pas. Le mythe « je me suis fait tout seul, j'ai le mérite de ce que j'ai réalisé, etc. et ce mérite ne revient qu'à moi » , non, ça n'existe pas. Tout ce qu'on fait, on le fait grâce à des quantités d'autres personnes, qui sont souvent invisibilisées d'ailleurs. Et après, c'est à chacun de dire « oui, je reconnais ça, je rends grâce à ces personnes, à ces structures, à ces communs sociaux, écologiques, qui m'ont permis de réaliser ce que j'ai réalisé » .

  • Speaker #1

    Et puis, on en revient à la notion de gratitude et d'humilité, dont tu parlais tout à l'heure. Quand je peux rendre grâce à ces personnes qui m'aident à être, je suis au contact de cette humilité et de cette gratitude. Mais j'ai l'impression que toi, Emmanuel, tu écris des ouvrages, tu fais des conférences, tu proposes des espaces de rencontres. Tu parlais de ce respect, d'apprendre à se connaître. Est-ce qu'il y a des conseils que tu pourrais donner à des leaders, des hommes, des femmes ? qui ont cette envie, cette appétence à faire rentrer, à s'inspirer plus de vivants, que ce soit des dirigeants d'entreprises, des entrepreneurs. Quels conseils tu peux leur donner ?

  • Speaker #0

    C'est toujours difficile de donner des conseils. Je dirais que la première chose, sans doute, c'est de prendre un peu de recul, c'est de savoir lever le nez du guidon. Et c'est vrai, quand on est entrepreneur, quand on est chef d'entreprise, on a des agendas extrêmement chargés. On a l'impression que chaque respiration qu'on s'autorise... est un peu une perte de temps et on va culpabiliser pour ça. En fait, non, on ne va pas culpabiliser. C'est au contraire quelque chose qui va être extrêmement important de garder cette nourriture-là, cette nourriture intellectuelle, cette nourriture, on pourrait presque dire spirituelle, ce fait de s'enrichir. En fait, je pense qu'on peut très vite se stériliser par un exercice qui est celui d'une quête de performance permanente dans un contexte qui favorise, il est vrai, la compétition. en permanence aussi. Donc vous avez le fameux faux mot, la fear of missing out, l'impression que je vais rater un stimulus, je vais rater une information qui pourrait être cruciale, que les autres l'auront avant moi, etc. Non, parfois, effectivement, c'est bien de décoller un tout petit peu et de faire ses pas de côté. Et alors, moi, ce que j'adore faire, par exemple, c'est le pas de côté. Je parlais de permaculture, d'emmener des chefs d'entreprise dans un jardin potager en permaculture et de simplement leur demander, mais il y a quelque chose qui vous étonne, regardez ce qu'il y a autour de vous. Et oui, il y a toujours des tas de choses qui vont les étonner. Et donc, sur ce qui va les étonner, on va pouvoir après tirer des fils et revenir à leur entreprise, revenir à ces cas de figure. On peut faire le même exercice en forêt. On va en forêt, on regarde, on écoute. Qu'est-ce qui vous étonne aujourd'hui ? Qu'est-ce que vous regardez et que vous n'avez pas l'habitude de voir ? Même chose, c'est quelque chose sur lequel on va pouvoir faire les pas de côté et retirer tout ça. Peut-être que j'insisterais à aller sur deux choses, qui sont deux choses en plus un peu attaquées en ce moment. C'est la nécessité de la reconnaissance justement de cette dépendance, de cette vulnérabilité, de se dire que non, la solidité, elle ne se construit pas tout seul, elle se construit ensemble. C'est par des réseaux d'alliances qu'on va pouvoir consolider, au lieu d'essayer de les couper, ces liens d'interdépendance, il faut les consolider. Et donc, il faut travailler ensemble, l'ensemble des parties prenantes, avec les fournisseurs en amont, avec les clients en aval, y compris parfois avec les concurrents sur certains terrains. On aura besoin de coopérer parce qu'à un moment donné, il y a des marches qui sont tellement grandes à franchir que seules, on n'y arrivera pas. Et que c'est que par des logiques de filière et donc d'alliance, y compris avec des concurrents, qu'on va pouvoir franchir ces marches-là. Et la deuxième chose, c'est la nécessité de la diversité. Mais encore une fois, ça revient. Je garde que ces deux principes-là, j'aurais pu en évoquer plein d'autres. Mais ça revient à se dire que finalement, la réponse à quelque chose d'inattendu, elle vient toujours de là où on ne l'attend pas non plus. Et donc, pour ça, il faut de la diversité. Si vous, à un instant T, vous pensez que tel type de profil va être le plus adapté pour mon entreprise, etc., vous n'allez recruter que des gens qui ont ce type de diplôme, ce type de profil, ce type d'expérience, etc. Sauf qu'un jour, il va se passer un truc que vous n'avez pas anticipé. Et vous allez être face à une rupture, qui va être une rupture technologique, une rupture géopolitique, une crise énergétique, une pandémie, n'importe quoi.

  • Speaker #1

    Des petites choses qui peuvent nous parler en ce moment.

  • Speaker #0

    Et voilà, ça, si vous n'êtes pas préparé, si vous n'avez pas la possibilité d'avoir des antennes déployées dans des directions où vous n'avez pas l'habitude d'aller écouter, vous n'aurez pas la réponse tout seul. Donc je pense que cette diversité, quand je parle de diversité, c'est y compris de diversité dans les sensibilités. capacité d'écoute, une capacité d'explorer des champs un peu inattendus, si vous n'avez pas ça, vous n'aurez pas la réponse et vous allez passer à côté de quelque chose qui se passe, ou vous allez vous effondrer tout simplement.

  • Speaker #1

    Merci, c'est concret de pouvoir faire ce pas de côté, de pouvoir observer, de pouvoir se relier aux autres, de pouvoir créer la diversité et de là laisser advenir ce qui n'était pas prévu au départ puisque par définition, dans cette complexité, on ne sait pas où elle est. On ne sait pas où elle est la réponse.

  • Speaker #0

    Oui, ce que j'aime bien dire, c'est que l'avenir est par nature incertain. Et je préfère d'ailleurs qu'il reste incertain parce que l'avenir déterminé, peut-être que certains nous le promettent, pour moi, il ressemble plutôt à un cauchemar. Donc je préfère laisser l'avenir ouvert et incertain. Et justement, pour laisser une chance à ces avenirs incertains d'advenir, il faut garder ce champ des possibles le plus largement ouvert possible. et ça c'est alors quelque chose que j'appelle l'évo-compatibilité, on parle fois de de biocompatibilité, on parle parfois d'éco-compatibilité, on voit à peu près de quoi il s'agit, mais l'évo-compatibilité c'est finalement de laisser ouvert le champ des possibles, c'est-à-dire de laisser les sociétés humaines évoluer comme elles doivent évoluer, dans des sens qu'on ne va pas toujours pouvoir déterminer à l'avance, mais aussi de laisser les espèces, les écosystèmes évoluer et s'adapter. Et donc ça veut dire que, y compris dans les politiques de protection de la nature par exemple, C'est différent de se dire on va mettre des réserves sous cloche et on va dépenser des millions d'euros pour protéger tel et tel espace. Il faut le faire, mais ça ne suffit pas. En fait, c'est la question du, encore une fois, est-ce qu'on se sépare de la nature ou est-ce qu'on laisse la nature venir là où elle a envie de venir ? Et est-ce qu'on ne laisse pas les choses se passer là où elles doivent se passer, y compris là où nous, nous avons des activités ? Donc, il n'y a pas d'un côté des zones protégées où on ne va rien faire et de l'autre côté des zones où on peut faire n'importe quoi et tout saccager. L'idée, c'est de laisser s'interpénétrer le vivant, la nature, entre guillemets, et nos activités, et donc de profiter de ce brassage, de profiter de ces zones de rencontre, et qui sont encore une fois, ces zones de rencontre, ce sont les zones de tous les possibles, ce sont les zones d'expression de la créativité du vivant. Donc ces écotones, il faut en créer le plus possible. Et quand je dis laisser le champ des possibles ouvert, c'est vraiment ça, ce trésor à préserver, c'est la possibilité d'un surgissement de quelque chose d'inattendu. C'est vraiment ça qui est fondamental.

  • Speaker #1

    Surgissement de quelque chose d'inattendu, c'est de là aussi que vient l'émerveillement. Et en termes d'émerveillement, moi, je suis sensible aussi à ta poésie. Qu'est-ce qui t'a amené à écrire dans tout ton chemin ? Tu as fait des ouvrages concrets, puis tu as fait des ouvrages de poésie.

  • Speaker #0

    Oui, mais par exemple, le premier, dès 2011, L'économie expliquée aux humains, je donne la parole à un petit coléoptère qui s'appelle Serambic Cerdo. Il y a quelque chose de... de poésie, de poétique au sens un peu foutraque. C'est quoi cette espèce d'insecte qui se met à parler tout d'un coup et qui se fout un peu de notre gueule finalement. Mais donc, il y a un truc un peu décalé.

  • Speaker #1

    Changement de regard.

  • Speaker #0

    Voilà, changement de regard et accepter de subir le regard de quelqu'un qu'on n'écoute pas d'habitude et qui va en l'occurrence être un représentant de la biodiversité. Mais globalement, je pense que la poésie, c'est comme... tout mode d'expression artistique, d'ailleurs poésie c'est la création, ça peut être la musique, ça peut être la peinture, ça peut être la sculpture, c'est une manière d'exprimer notre créativité et c'est une manière de toucher non pas forcément la raison mais les sens, l'émotion. Et on sait que et notamment les personnes qui sont frappées d'Alzheimer par exemple, l'émotion, la trace d'une émotion reste bien plus longtemps que la trace d'une connaissance. Et ce qui fait « Bouger les gens aussi, c'est l'émotion. C'est quelque chose qui est irrationnel. Et d'ailleurs, le mythe de l'homo economicus, il y a longtemps que plus personne n'y croit, aucune décision que nous prenons dans nos vies quotidiennes n'est une décision rationnelle. Je ne sais pas qui disait, mais si on prenait tout le temps des décisions rationnelles, personne n'achèterait une voiture neuve, par exemple. Parce qu'une voiture neuve, vous avez à peine franchi la porte du garage, qu'elle a perdu 30% de sa valeur. » Donc c'est irrationnel, on achèterait tous des voitures d'occasion. Sauf que si on achetait toutes des voitures d'occasion, il n'y aurait plus de voitures. Bref, mais en tout cas, les impulsions d'achat... et les spécialistes du marketing le savent très bien, sont toujours faites par des impulsions, des émotions, et pas par une décision mûrement réfléchie. Et on pense parfois que les grands stratèges d'entreprise échappent à cette règle-là et qu'eux auraient un raisonnement pur et parfait, seraient parfaitement informés, etc. Mais non, là aussi, c'est un mythe. Aucun acteur du marché n'a accès à toute l'information et n'est en mesure de prendre une décision complètement rationnelle. Donc c'est toujours un pari. Et un pari qui va être basé sur des convictions, sur des croyances. Je me dis que la poésie, tiens, c'est une manière de toucher cette corde sensible aussi. Il ne suffit pas d'expliquer, il ne suffit pas d'écrire des faits, d'accroître le volume de connaissances, etc. Il faut aussi donner envie et toucher la corde sensible. Et voilà, pour moi, la poésie, c'est ça. Alors, je ne me suis pas forcé un jour à écrire de la poésie parce que c'était dans une stratégie de faire bouger les gens, etc. C'est quelque chose que j'avais depuis une bonne dizaine d'années. Et d'ailleurs, je pense que c'est notamment au moment où mon père était malade. quelques années avant son décès, où j'ai commencé à lui écrire de la poésie qui lui touchait beaucoup, qui lui faisait du bien. Et moi, ça me faisait du bien de lui écrire aussi. Et je me suis rendu compte que il y avait quelque chose qui passait qui était très fort, plus fort que des échanges rationnels, des conversations. Je ne sais pas quoi dire, mais pour moi, la poésie... Et encore une fois...

  • Speaker #1

    Tu ne sais pas quoi dire, mais tu dis beaucoup de choses.

  • Speaker #0

    La musique, c'est pareil. Il y a des choses. qui font que c'est pour ça qu'on vit. Voilà, c'est là où je voulais en venir. L'économie, le travail, la gestion de la vie quotidienne, notre image sur les réseaux sociaux, tout ça c'est très bien, mais c'est par ça qu'on vit, c'est des moyens de faire des choses. Mais ce pourquoi on vit, ce qui donne du sens, et ce qui fait qu'on est authentiquement et pleinement humain, c'est d'abord des choses sensibles, et ces choses irrationnelles qu'on a tendance à essayer de refouler, au contraire, il faut les révéler et les accepter.

  • Speaker #1

    Et merci de nous aider à les révéler de par ce que tu fais. Tu aurais envie ou pas de nous partager un texte de ton livre ?

  • Speaker #0

    Les Turbulents, oui, qui a été...

  • Speaker #1

    On ne voit pas la belle couverture, mais...

  • Speaker #0

    Voilà, illustré avec beaucoup de talent par Chloé Lequette. Et alors, je vais vous en lire deux comme ça. Le premier, qui n'est pas vraiment un texte du livre, d'ailleurs, qui est plutôt la dédicace que j'ai voulu comme ça. À vous qu'on dit nuisible. À vous, les Turbulents. les inutiles, les différents, les pas pareils, les déplacés, les désaxés, les fatigués, les inadaptés, les déprimés, les opprimés, les énervés, les pas jolis, les trop typés, les trop visibles, les invisibles, les discrets, les timides, les sensibles, les fragiles, les mal aimés, les pas aimés du tout. N'attendez pas qu'on vous dise « Bienvenue, vous êtes chez vous » . Et puis un autre, qui conclut presque, c'est l'avant-dernier texte du livre. Tous, ensemble, après moi, répétez. Le monde est une promesse. La vie est un miracle de beauté. Faites-le savoir. Chantez-le. Criez. N'attendez pas demain. Faites-le maintenant. Tant que brûle encore en vous le feu du désir. Et avant que ne soit plus ici que souvenir.

  • Speaker #1

    Merci. Merci beaucoup, Emmanuel, de ce moment-là d'émotion, en tout cas pour moi.

  • Speaker #0

    Merci. Merci pour ce temps.

  • Speaker #1

    Et j'ai encore une question. Est-ce que je peux te proposer un petit voyage ?

  • Speaker #0

    Allez.

  • Speaker #1

    Alors, je t'invite à fermer les yeux et je t'invite à aller en 2035. On est en 2035. Qu'est-ce qui fait battre ton cœur ?

  • Speaker #0

    Des rires d'enfants, le bruit du vent dans les arbres, les grillons, la sensation de l'air sur ma peau, la chaleur du soleil. modérée quand même.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Si vous avez aimé ce podcast, vous pouvez favoriser sa diffusion en lui donnant 5 étoiles sur Apple Podcasts. Et puis, vous pouvez bien sûr vous abonner sur toutes les plateformes Spotify, Apple Podcasts ou toutes autres plateformes que vous souhaitez. À bientôt sur SoisVM.

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