- Speaker #0
Parmi les marques de rhum les plus emblématiques,
- Speaker #1
Bacardi et Havana Club se distinguent non seulement par leur qualité, mais aussi par leur histoire riche et complexe. Si je vous disais que dans une bouteille de Bacardi, on retrouve l'essence même du rhum Havana Club,
- Speaker #0
et que Havana Club s'est construit sur les anciennes distilleries de Bacardi,
- Speaker #1
est-ce que vous me croiriez ? Bacardi a été fondé en 1862 par Facundo Bacardi Mazo, un immigrant catalan, à Santiago de Cuba.
- Speaker #0
Facundo Bacardi a révolutionné la production de rhum en développant une méthode de filtration unique,
- Speaker #1
utilisant du charbon de bois pour éliminer les impuretés, ce qui donnait à un rhum plus doux et raffiné. Cette innovation a permis à Bacardi de se démarquer rapidement des autres producteurs de rhum, qui proposaient généralement des produits plus bruts et moins raffinés.
- Speaker #0
Dès ses débuts, Bacardi a su s'implanter fermement à Cuba,
- Speaker #1
en profitant de la richesse de la canne à sucre de l'île, et de la demande croissante pour des spiritueux de qualité.
- Speaker #0
La famille Bacardi, avec son sens aigu des affaires et de l'innovation,
- Speaker #1
a su développer une entreprise florissante qui devint rapidement synonyme de qualité et de prestige dans le monde du rhum. Au début du XXe siècle, Bacardi a commencé à s'étendre au-delà des frontières cubaines. En 1910, la première distillerie hors de Cuba fut ouverte à Barcelone, en Espagne, suivie par une à New York en 1916. Havana Club Quant à elle, a été fondée par José Arechabala, un immigré espagnol en 1934 à Cardenas, à Cuba. La famille Arechabala,
- Speaker #0
forte de son expérience dans l'industrie sucrière,
- Speaker #1
a créé Havana Club pour produire un rhum de haute qualité. Leur rhum s'est rapidement distingué par ses méthodes de production méticuleuses et son engagement envers l'excellence. S'ensuit une période de développement des deux marques avec une forte progression pendant la prohibition américaine. La période de la prohibition aux Etats-Unis de 1920 à 1933 a eu des répercussions sur ses voisins. A l'origine,
- Speaker #0
la prohibition a mené à la fermeture de nombreuses distilleries et bars aux Etats-Unis. Néanmoins, la demande pour l'alcool n'a pas diminué,
- Speaker #1
créant un marché clandestin florissant et une opportunité économique majeure pour des producteurs étrangers, notamment ceux de Cuba.
- Speaker #0
La proximité de Cuba et des Etats-Unis en faisait une destination idéale pour les Américains cherchant à contourner les lois de la prohibition.
- Speaker #1
et la courte distance entre la Floride et Cuba facilitaient le trafic illégal d'alcool.
- Speaker #0
La Havane devenu un centre majeur pour les Américains fuyant les restrictions de la prohibition.
- Speaker #1
Les hôtels, les casinos et clubs de la ville ont prospéré, attirant des touristes désireux de profiter de l'alcool libre. Des personnalités célèbres, écrivains, artistes ont afflué à la Havane, contribuant à son atmosphère cosmopolite et hédoniste. Et pour alimenter les Américains en Rome, des réseaux de contrebandes se sont établis pour transporter le Rome cubain aux Etats-Unis. Des bateaux rapides, souvent surnommés Rom-Runner faisaient des allers-retours entre Cuba et la côte américaine, déjouant les gares de côte.
- Speaker #0
Après la fin de la prohibition,
- Speaker #1
Bacardi a poursuivi son expansion internationale en ouvrant des distilleries et des bureaux dans des pays comme le Mexique et Porto Rico. Cette expansion a permis à Bacardi de devenir une marque mondiale.
- Speaker #0
Havana Club, quant à lui, mit l'accent sur la préservation de la qualité et de l'authenticité de ses rums,
- Speaker #1
en maintenant des méthodes de production traditionnelles et son concentrant sur le marché cubain. Les deux entreprises continuèrent leur expansion jusqu'au 1er janvier 1959.
- Speaker #0
Depuis le 26 juillet 1953, une révolution est en marche à Cuba,
- Speaker #1
aboutissant au renversement du régime de Batista et la mise en place de la République de Cuba par Fidel Castro. Ce gouvernement communiste et anticapitaliste se dressa contre les Etats-Unis et toute entreprise commerçant avec ceux-ci. Le nouveau gouvernement cubain a rapidement commencé à nationaliser les entreprises privées. En 1960,
- Speaker #0
les actifs cubains de Bacardi, y compris ses distilleries et son siège social,
- Speaker #1
furent expropriés par le gouvernement de Fidel Castro.
- Speaker #0
Cette expropriation a forcé Bacardi à quitter Cuba et à réévaluer ses opérations internationales.
- Speaker #1
Anticipant les troubles politiques, Bacardi avait déjà commencé à déplacer certains de ses actifs à l'étranger dans les années précédant la Révolution.
- Speaker #0
Des distilleries avaient été établies à Porto Rico et au Mexique,
- Speaker #1
fournissant ainsi à Bacardi une base opérationnelle en dehors de Cuba. Cette stratégie préventive a permis à Bacardi de continuer ses opérations malgré la perte de ses installations cubaines.
- Speaker #0
De même que la famille Bacardi, les actifs de la famille Arachabala, incluant la distillerie Havana Club, furent saisis par l'État.
- Speaker #1
La famille Arachabala a dû fuir le pays sous peine d'y laisser la vie.
- Speaker #0
Arrivé aux États-Unis,
- Speaker #1
les membres de la famille Arachabala ont dû reconstruire leur vie à partir de rien. Ils ont travaillé dans divers secteurs, utilisant leurs compétences et leurs expériences pour trouver des opportunités économiques et se réintégrer dans un nouveau. contexte socio-économique. Malgré les difficultés, la famille Arechabala a cherché à préserver l'héritage de Havana Club. Ils ont gardé les recettes originales et les techniques de production, espérant un jour pouvoir relancer la marque. Afin d'être sûr que ce jour arrive, la famille Arechabala avait déposé le nom de marque Havana Club aux Etats-Unis dès 1940, continuant ainsi de revendiquer la marque afin que personne d'autre que eux ne puisse l'utiliser.
- Speaker #0
De son côté, le gouvernement cubain a nationalisé les sites industriels et utilisa les sites de Havana Club à Cardenas,
- Speaker #1
mais aussi ceux de Bacardi à Santiago de Cuba, pour produire une seule marque de rhum, Havana Club.
- Speaker #0
Pendant une dizaine d'années, la famille Bacardi va prospérer et continuer son développement international,
- Speaker #1
réalisant jusqu'à 1,9 milliard de dollars de ventes mondiales et devenant l'un des leaders de fabrication du rhum. A contrario,
- Speaker #0
la famille Rechabalan arrivera,
- Speaker #1
faute de moyens, à construire de l'istillerie. Ce qui les poussera à vendre les droits de la marque Havana Club à leur ancien rival, Bacardi.
- Speaker #0
Cette vente incluait les droits de production et de commercialisation de Havana Club aux Etats-Unis.
- Speaker #1
Bacardi, afin de faire renaître le pur rhum cubain dans la tradition et le savoir-faire de celle-ci, commença dès 1994 à produire du rhum sous le nom Havana Club.
- Speaker #0
Mais cela s'était sans compter sur un groupe français qui,
- Speaker #1
leader de la vente et de la production de spiritueux, sentaient que dans les années 2000, le rhum allait devenir l'alcool incontournable. En 1993, le groupe Pernod Ricard réalisa une joint venture avec l'État cubain. Ce partenariat entre Cuba Export, qui représente l'État cubain, et Pernod Ricard vise à maximiser les forces de chacune des parties. Cuba Export a porté l'expertise dans la production du rhum cubain et la propriété de la marque Havana Club,
- Speaker #0
tandis que Pernod Ricard contribuait à son réseau mondial de distribution,
- Speaker #1
son expertise en marketing et ses ressources financières. Une des caractéristiques clés est la capacité d'introduire et de distribuer efficacement le rhum Havana Club sur les marchés internationaux. Pernod Ricard a utilisé son réseau mondial de filiales et de partenaires pour rendre le produit disponible dans de nombreux pays à travers l'Europe, l'Amérique du Nord, l'Amérique Latine et l'Asie. Et ils vont littéralement inonder le marché de rhum. D'ailleurs,
- Speaker #0
vous savez le Morito, le cocktail le plus consommé au monde ?
- Speaker #1
Eh bien, sachez que la recette que nous avons en France ne correspond... absolument pas à la recette d'origine cubaine. Et c'est bien Pernod Ricard qui l'a adapté et qui l'a poussé à la vente pour augmenter les volumes de Havana Club. En 1960, les États-Unis décident d'appliquer un embargo commercial sur Cuba en réponse à la nationalisation des entreprises américaines sur le sol cubain.
- Speaker #0
L'objectif initial était de renverser le gouvernement cubain et de ramener le pays à un système politique plus favorable aux intérêts américains.
- Speaker #1
L'embargo interdit aux entreprises américaines de faire commerce direct avec Cuba. Cela inclut l'importation de produits cubains aux Etats-Unis et l'exportation de biens et de services américains vers Cuba.
- Speaker #0
Cuba Export avait bien tenté en 1976 de déposer la marque Havana Club aux Etats-Unis,
- Speaker #1
mais à cause de l'embarco, celle-ci fut annulée. Bacardi et Pernod Ricard ayant tous les deux revendiqué les droits exclusifs d'utiliser le nom Havana Club. Bacardi se fondant sur son acquisition des droits de la famille Arechabala et Pernod Ricard son partenariat avec le gouvernement cubain et Cuba Export. Cette situation va déclencher une levée de boucliers de part et d'autre et va même dépasser la simple sphère juridique. En 1996, un tribunal fédéral a interdit à Bacardi d'utiliser la marque Havana Club, mais cette décision a été annulée en appel, permettant à Bacardi de continuer à vendre son rhum sous ce nœud. Lui, en 2006, l'USPTO, l'Office National des Marques Américaines, a refusé l'enregistrement de la marque Havana Club par Cuba Export, citant des restrictions sur les transactions avec les entités cubaines en vertu de l'embargo. Pour contester cette décision, Cuba Export et Pernod Ricard poursuivit l'Office des brevets et des marques, indiquant que c'est bien une entreprise française et non cubaine qui exporte la marque.
- Speaker #0
Malheureusement,
- Speaker #1
en 2012, un juge fédéral a confirmé la décision de l'Office des brevets, empêchant à jamais Cuba Export et Pernod Ricard d'utiliser la marque Havana Club aux États-Unis.
- Speaker #0
puisque le marché américain qui représente 40% de vente de rhum pour Bacardi,
- Speaker #1
le cœur de la bataille est bien l'utilisation de la marque Havana Club. Pernod Ricard ayant réussi le tour de force à grand renfort de campagne commerciale et du développement de produits associés, a inondé le marché mondial et fait du rhum le produit le plus tendance des deux dernières décennies, écoulant en 2021 36 millions de litres de Havana Club. Jusqu'en 2010, où la goutte d'eau va déborder. Afin de protéger les actifs de Pernod Ricard, les tribunaux espagnols et les cours de justice de l'Union européenne ont confirmé les droits de Cuba Export et Pernod Ricard sur la marque Havana Club, empêchant Bacardi de vendre son rhum sous ce nom en Espagne et dans tous les pays de l'Union européenne.
- Speaker #0
La Commission européenne a soutenu cette décision en utilisant une loi sur la protection des indications géographiques,
- Speaker #1
signée en 1996.
- Speaker #0
Qui, bizarrement, a été votée juste après que Pernod Ricard ait perdu son procès aux Etats-Unis.
- Speaker #1
D'ailleurs,
- Speaker #0
vous pouvez voir sur les bouteilles,
- Speaker #1
il y a une petite étiquette, toute verte, avec marqué Produits à Cuba Cette étiquette a bien été inventée et ajoutée sur les bouteilles de Havana Club par Pernod Ricard pour rentrer sur la réglementation des indications géographiques.
- Speaker #0
Mais si vous vous rendez aux Etats-Unis,
- Speaker #1
au Canada, en Australie, au Mexique ou encore au Brésil, il y a de fortes chances que vous tombiez sur une bouteille de Havana Club, produite par Bacardi, avec, du coup, la vraie recette de la famille Arechabal. Ce conflit a dépassé le simple fait de produire des spiritueux. Il est le reflet de revendications politiques internationales. Preuve que les spiritueux ne sont pas qu'une affaire de goût.
