Speaker #028 août 1905, nous nous trouvons dans un petit village suisse où les vignes s'étendent à perte de vue. Tout commence comme une journée ordinaire. Jean L'Enfray avale deux verres d'absinthe pour se mettre en route. L'Enfray, comme beaucoup d'hommes de sa génération, aime lever le coude. Et parmi ses boissons favorites, l'absinthe, cette mystérieuse liqueur verte aux accents de légende. Après sa journée de travail, L'Enfray se dispute violemment avec sa femme Louise. La colère monte en lui comme un torrent déchaîné. Soudain... Dans un accès de rage incontrôlable, il saisit un fusil. Un coup de feu retentit. Louise s'effondre, tuée sur le coup. Aveuglée par la folie, Jean retourne son arme contre ses propres enfants. Ils ne survivront pas à cette journée. Après avoir commis l'irréparable, l'enfret tente de se suicider. Mais il échoue et il est arrêté de peu. Lorsque le procès de l'enfret débute, la Suisse est en émou. Comment un homme a-t-il pu sombrer dans une telle folie ? Les experts se penchent sur la question et rapidement, un coupable émerge. La boisson verte est accusée d'être la cause de cette tragédie. Mais comment une boisson qui jusque-là était la star de nos apéritifs au début du 20e siècle a pu être accusée de tous les maux ? Entre poésie, mensonges et descente aux enfers, retour sur le spiritueux le plus controversé de l'histoire, l'absinthe. L'absinthe trouve ses origines dans la région suisse de Val de Travers au 18e siècle. C'est là qu'une femme nommée Marie-Henriette Henriot, une guérisseuse locale, aurait créé une recette à base de plantes, incluant de l'absinthe, de l'anis et du fenouil. Cette potion, appelée extrait d'absinthe ou bon extrait d'absinthe, était utilisée à des fins médicinales pour traiter d'hiverons. En 1792, un médecin français, le docteur Pierre Ordinaire, qui s'était installé en Suisse pour échapper à la Révolution française, aurait repris la recette de Madame Henriot et l'aurait perfectionnée. Le docteur ordinaire est souvent crédité d'avoir popularisé l'absinthe en tant qu'élixir médicinal, qu'il vendait pour ses propriétés curatives. Sa formule est devenue la base de la boisson que nous connaissons aujourd'hui. Plus tard, les sœurs Henriot, qui avaient hérité la recette de leur mère, ont décidé de vendre celle-ci à un entrepreneur suisse, du nom de Henri-Louis Pernot. En 1997, Henri-Louis Pernot, avec son associé Daniel-Henri Dubé, décide d'ouvrir la première distillerie d'absinthe à Couvet. sous le nom d'Ubet Père et Fils. Peu après, la production fut transférée en France, où la maison Père-Nous-Fils fut fondée en 1805 à Pontarlier. C'est cette distillerie qui a fait de l'absinthe une boisson populaire en la produisant à grande échelle. Au XIXe siècle, l'absinthe a gagné en popularité, non seulement en tant que remède, mais aussi comme boisson récréative. En France, suite à l'invasion du phylloxéra sur les vignes françaises à partir de 1875, le vin se raréfie. passant d'une production de 85 millions de litres annuels à à peine 25 millions. Cette raréfaction du produit le plus consommé en France permet à l'absinthe de devenir particulièrement prisée dans les cafés parisiens, notamment durant la période du 17 à 19 heures, surnommée l'heure verte en raison de la couleur caractéristique de la boisson. Les soldats français en poste en Afrique du Nord durant les campagnes coloniales buvaient également de l'absinthe pour ses propriétés désinfectantes et pour purifier l'eau, ce qui a contribué à la réduction de l'eau. à sa diffusion en France. Le cœur de Consommateur était quant à lui artistique. Surnommée La Fée Verte elle occupait une place prépondérante dans le milieu culturel français de la fin du XIXe et début du XXe siècle. Son influence sur le monde artistique, notamment en France, a été profonde, inspirant certains des plus grands écrivains, poètes et peintres de l'époque. L'absinthe était plus qu'une simple boisson pour eux, consommée rituellement, souvent dans les cafés et les salons littéraires, elle était perçue comme une source d'inspiration et un moyen de libérer l'imagination. Le rituel de la préparation de l'absinthe, avec l'eau glacée versée lentement sur un sucre pour libérer l'essence de la boisson, était lui-même une sorte de préambule à la création artistique. Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, poètes symbolistes, sont parmi les plus célèbres consommateurs d'absinthe. Leur relation tumultueuse et destructrice, alimentée par la boisson, a marqué l'histoire littéraire française. Verlaine, en particulier, voyait l'absinthe comme un moyen d'accéder à un état de conscience poétique. Henri Toulouse-Lautrec, quant à lui, peintre post-impressionniste, était un consommateur régulier d'absinthes. Son histoire, souvent centrée sur la vie nocturne parisienne, capture la culture des cafés et des cabarets où l'absinthe régnait en maître. De nombreux peintres ont immortalisé l'absinthe dans leurs œuvres, utilisant souvent la boisson comme un symbole de la condition humaine, de l'alignation ou de la décadence de l'époque. L'idée que l'absinthe pouvait provoquer des hallucinations et des comportements irrationnels a alimenté le mythe de la fée verte, une figure qui hantait l'esprit des artistes. Mais n'oublions pas une chose, jusqu'en 1916 et la première loi d'interdiction de consommation de drogue en France, les cercles artistiques étaient très friands d'un produit qui était l'opium, et cela de manière tout à fait légale. Cette consommation d'absinthe dans les milieux artistiques va lui permettre de se déployer dans toute l'Europe. De façon anecdotique, en Allemagne et en Italie, mais avec fulgurance en Espagne et en Angleterre. L'ascension fulgurante de l'absinthe à travers l'Europe au XIXe siècle, bien qu'impressionnante, s'accompagne d'une montée en flèche des controverses. La boisson, autrefois célèbre pour ses prétendues vertus médicinales et sa popularité dans les milieux artistiques, devient rapidement une cible pour les mouvements de tempérance et les gouvernements soucieux de la santé publique et de l'ordre moral. À mesure que l'absinthe gagne en popularité, notamment en France, des voix commencent à s'élever contre celles qu'on considère comme une menace pour la santé publique. Plusieurs facteurs contribuent à la montée de cette perception négative. L'absinthe contient de la thuyone, un composé chimique présent dans l'armoise. Au début du XXe siècle, on croit que la thuyone est responsable des effets hallucinogènes de la boisson, conduisant à des troubles mentaux et à des comportements violents. Cette croyance, bien qu'exagérée, alimente la peur que l'absinthe ne soit pas seulement un alcool. mais un poison. Ainsi, plusieurs incidents violents potentiellement liés à la consommation excessive d'absinthe, tels que le célèbre cas de Jean Lanfray en Suisse en 1905, viennent renforcer l'idée que l'absinthe est dangereuse. Ce qui déclenche une onde de choc et une réaction publique massive contre la boisson. De plus, les mouvements de tempérance qui gagnent en influence en Europe à la fin du XIXe siècle voient en l'absinthe un symbole de décadence et un ennemi à combattre. Ces mouvements, soutenus par des groupes religieux et des réformateurs sociaux, mènent à des contours. virulente contre l'absinthe, utilisant la peur de ses effets supposés pour justifier leur cause. Face à la montée des inquiétudes sur l'absinthe, des mouvements de répression vont commencer à émerger dans toute l'Europe. Elles sont souvent initiées par des coalitions de mouvements de tempérance, scientifiques ou politiciennes. Les médias jouent un rôle crucial dans la propagation de l'hystérie anti-absinthe. Des articles de journaux, des caricatures et des pamphlets dépeignent la boisson comme une menace pour la société, souvent en exagérant ses effets aussi. en la représentant comme la cause directe de la folie, de la criminalité et de la décadence morale. Des images effrayantes de la fée verte sont diffusées montrant la boisson comme une force maléfique. En réponse à la pression publique et médiatique, des politiciens commencent à proposer des lois pour restreindre ou interdire la production et la consommation d'absinthe. Ces propositions sont souvent justifiées par des préoccupations de santé publique, mais elles sont également motivées par des intérêts économiques, notamment ceux des producteurs de vin et de bière, qui voient dans l'absinthe... une dangereuse concurrente. Oui, oui, certaines campagnes anti-absinthe étaient largement financées par des producteurs de vin. Du fait de la consommation d'absinthe et du phylloxéra sur les vignes françaises, l'alcool numéro 1 le plus consommé en France voit malheureusement sa consommation diminuer. Les producteurs de vin sont des groupes puissants et influents en France et ils voient dans cette situation une menace sérieuse à leur industrie. Le vin est non seulement une boisson, mais aussi une part importante de l'identité culturelle et économique de la France. Les producteurs craignent que la popularité croissante de l'absinthe ne vienne aggraver leurs difficultés économiques. Pour contrer la montée en puissance de l'absinthe, certains producteurs de vin et leurs représentants commencent à financer des campagnes de tempérance ciblant spécifiquement cette boisson. Ils s'allient avec les mouvements de tempérance qui prônent la modération ou l'abstinence totale d'alcool pour diaboliser l'absinthe en l'associant à des problèmes de santé mentale, de criminalité et de crime. et de décadence morale. Ces campagnes mettent l'accent sur les dangers supposés de la thuyone, un composé chimique présent dans l'absinthe, et exagèrent souvent ses effets négatifs. Les campagnes de répression aboutissent finalement à des interdictions officielles de l'absinthe. Les campagnes de répression aboutissent finalement... à une interdiction officielle de la consommation d'absinthe. La Suisse, où l'absinthe est née, est le premier pays à interdire la boisson. En 1908, après le scandale de l'enferée et sous la pression des groupes de tempérance, un référendum national conduit à l'interdiction de l'absinthe en Suisse, une mesure qui marque la fin de la production légale dans ce pays. En France, où l'absinthe est plus populaire, le débat est particulièrement intense. La pression des mouvements anti-absinthe soutenus par les producteurs de vin et les politiciens conservateurs conduit. à l'interdiction de l'absinthe en 1915. La loi interdit la production, la vente et la consommation d'absinthe dans tout le territoire français. Cela inclut toutes les boissons qui contiennent de l'armoise, la plante contenant la tuyonne, l'un des ingrédients principaux de l'absinthe. Les autorités ordonnent également la confiscation et la destruction des stocks d'absinthe existants. Les distilleries doivent détruire leur production et les vendeurs doivent éliminer les stocks restants. Mais ne vous inquiétez pas, S'il y a bien quelque chose où on est très fort en France, c'est de trouver des solutions quand on s'attaque à nos apéros. En 1932, deux entreprises élaborent leur propre dérivé de l'absinthe sans thuyone. Pernod, basé à Pontarlier, qui produisait à l'époque l'absinthe, et Ricard, à Marseille, avec, pour tous deux, la succès story qu'on leur connaît jusqu'à nos jours. A partir des années 80, de nouvelles études scientifiques commencent à examiner les effets de la thuyone de manière plus rigoureuse. Les chercheurs découvrent que la concentration de thuyone présente dans l'absinthe traditionnelle en réalité trop faibles pour provoquer les effets hallucinogènes ou neurotoxiques graves qui leur avaient été attribués. Ces recherches montrent que l'absinthe n'est pas plus dangereuse que d'autres spiritueux lorsqu'elle est consommée avec modération. Parallèlement, un mouvement de renaissance de l'absinthe émerge, porté par des amateurs et des distillateurs passionnés, notamment en Suisse, où l'absinthe était produite clandestinement malgré l'interdiction. Ces groupes commencent à promouvoir la réintégration de l'absinthe sur le marché, en s'appuyant sur les nouvelles données scientifiques pour plaider en faveur de la levée de l'interdiction. En 1988, l'Union européenne adopte une directive permettant la commercialisation de l'absinthe sous certaines conditions. Celle-ci ne doit pas dépasser 35 mg de thuyone par litre dans le spiritueux, histoire de ne pas non plus avouer qu'ils ont interdit l'absinthe pour des raisons erronées. En 2005, après des décennies de production clandestine, la Suisse lève officiellement l'interdiction de l'absinthe permettant à nouveau sa production et sa vente sous certaines conditions. En France, l'interdiction de l'absinthe reste en vigueur jusqu'en 2011, bien que des produits similaires appelés spiritueux aux plantes d'absinthe aient été commercialisés sous un autre nom dès 1988. La réhabilitation de l'absinthe est un exemple frappant de comment les lois peuvent évoluer au fil du temps. De boissons diabolisées à spiritueux raffinés, l'absinthe a su se réinventer au cours du temps. Cette renaissance témoigne de l'importance des recherches scientifiques et de la préservation. dans la redécouverte de nos produits culturels.
