- Speaker #0
Super Docteur, c'est le podcast des soignants qui redonne de la noblesse à notre métier pour soigner mieux et différemment. Aujourd'hui, nous partons à la rencontre d'une nouvelle génération de médecins-chercheurs qui veulent transformer la médecine de l'intérieur. Mon invité s'appelle Alaeddin Benani, interne en médecine vasculaire, doctorant à Sorbonne Université. Il consacre sa thèse à un sujet de pointe, l'intelligence artificielle multimodale appliquée à la décision clinique et à la prévention cardiovasculaire personnalisée. Chercheurs au sein du laboratoire Limix de l'Inserm et de la startup Zoi, Alaïdine explore comment la donnée, l'algorithme et la médecine peuvent surnir pour prévenir les maladies chroniques avant qu'elles n'apparaissent. Un projet à la frontière de la recherche, de la clinique et de l'éthique, porté par une vision claire, utiliser la technologie pour prolonger la santé. J'ai souhaité explorer avec lui les enjeux actuels de l'IA dans notre métier. Dans ce premier épisode, Nous allons explorer ensemble l'état réel de l'IA en médecine. Ce qui fonctionne déjà, ce qui n'est encore qu'un mythe, et ce que tout clinicien devrait comprendre avant de s'y confronter. Quelles IA changent déjà la pratique au quotidien ? Comment valider un modèle ? Quelles sont les illusions à éviter ? Et surtout, jusqu'où peut-on modéliser l'humain ? Salut Alain !
- Speaker #1
Salut Mathieu, merci beaucoup.
- Speaker #0
C'est moi qui te remercie beaucoup, c'est un honneur de t'avoir sur le podcast. Je sais que tu es un garçon très occupé, un garçon assez brillant, on va y venir. Je vais te poser directement, comme d'habitude, ma première question. Quelles sont, selon toi, les IA qui changent déjà aujourd'hui la pratique médicale au quotidien dans un hôpital ou dans un cabinet de médecine général ?
- Speaker #1
En appelant, c'est une excellente question. Celle qui a eu le plus de bruit dernièrement, c'est l'IA qui va te permettre de résumer ta consultation. C'est-à-dire que tu arrives, tu parles avec ton patient, tu fais ta consulte classique, quelle que soit d'ailleurs la spécialité. Tu fais ton anamnèse, ton examen clinique. Tu parles de la nièce qui veut faire médecine et du cousin qui a la même pathologie que le patient. Et en fait, tu as une IA qui va écouter ta consultation, qui va garder ce qui est intéressant et pertinent. Donc l'examen clinique, interrogatoire, etc. Qui va laisser de côté ce qu'il n'est pas, donc le cousin et la nièce, et qui va faire un compte-rendu structuré, c'est le rêve de tout interne.
- Speaker #0
Et ok, donc ça c'est une reconnaissance vocale qu'il a transcrite en texte, et je crois qu'on peut après faire des courriers, extraire certaines données de cette consultation. Donc ça, effectivement, ça commence à être démocratisé. Est-ce qu'il y a d'autres choses ? d'autres IA qui sont aujourd'hui à l'hôpital, au cabinet, peut-être dans d'autres spécialités, des choses qui sont courantes et validées ?
- Speaker #1
Oui, alors il y a celle-ci, c'est vraiment disponible en un clic, c'est-à-dire qu'il y a beaucoup d'entreprises qui la proposent, on ne va pas en même ici, mais je pense que tout le monde voit de qui je parle, et donc en un clic ça existe. Il y en a d'autres qui sont, qui existent, mais qui sont un peu plus de niche, un peu plus spécifique. Il y a par exemple des IA qui vont t'aider à prescrire le bon médicament au bon patient, qui vont analyser des interactions médicamenteuses. Par exemple, en se basant sur ce compte-rendu de consultation généré par IA, il va prendre tout ce que le patient a dit qu'il ne prenait que le médicament, il va faire tourner ça avec ta conclusion clinique, il va te proposer des médicaments. Ça, ça existe, c'est étudié, c'est validé, ce sont des dispositifs médicaux. On va en parler peut-être s'il y a... si on en a l'occasion, de comment est-ce qu'on valide ces IA. Et c'est tout de suite disponible pour aider le praticien dans sa vie quotidienne.
- Speaker #0
Justement, est-ce que tu peux m'expliquer, comment est-ce qu'on peut s'assurer qu'un modèle d'IA est fiable ? Est-ce qu'il y a une forme d'AMM pour l'intelligence artificielle médicale ? Parce que je vois que tu ne me cites pas du tout ChatGPT, Dopeneye, Cloud, Anthropic, DeepSeq, tout ça. Ce n'est pas dans notre arsenal médical ?
- Speaker #1
Absolument pas. Absolument pas, c'est une contradiction claire. Quand on va voir dans les conditions générales d'utilisation, tout ce qu'on signe via une simple coche, on dit qu'on n'utilisera pas ces outils-là pour aviser médical, pour des choses graves, sans vérification. Pourquoi ? Parce que des études montrent assez clairement que quand on fait de la médecine sérieuse avec ces outils, donc Claw, Gemini, ChetGPT, etc. il se trompe plus de 5 fois sur 10, plus de la moitié du temps. Moi, je ne sais pas toi, mais je ne vais pas chez un médecin qui se trompe une fois sur deux en priant pour que je tombe sur le bon côté de la pièce. Ça, c'est vraiment problématique. C'est d'autant plus problématique que ces outils-là sont des excellents bonimenteurs. C'est-à-dire que même quand ils se trompent, il va te donner sa réponse avec une telle emphase, avec une telle conviction que même le plus spécialiste d'entre nous peut se faire avoir. Ce qui est très important, c'est de ne pas utiliser ces outils « généralistes » qui sont faits pour t'aider à faire ta recette de cuisine et à te planifier ton week-end dans le Gers. Merveilleuse région ! pour faire de la médecine. Ça n'est pas fait pour ça, ça n'est pas entraîné pour ça, ça n'est pas validé pour ça, et c'est strictement contre-indiqué, il ne faut pas le faire.
- Speaker #0
Mais pourtant, moi-même, j'ai fait un podcast sur le dernier benchmark, je crois que c'était celui de Microsoft ou de Penny High, ça date maintenant de plusieurs mois, c'était avant l'été dernier. Ils avaient pondu un benchmark médical sur, je ne sais pas si tu l'as vu passer, ça peut s'appeler DXAI, quelque chose comme ça. qui était entraîné spécifiquement. Il y avait même plusieurs agents IA qui portaient des noms de docteurs qui étaient chapeautés par une autre IA. Et on évaluait aussi les coûts, on évaluait la pertinence des réponses, on évaluait les bons diagnostics. Et on nous vantait, en tout cas ce benchmark, vantait des performances exceptionnelles qui sont bien au-delà de ce que tu m'annonces là.
- Speaker #1
Oui, je suis terriblement désolé. Mais en fait, c'est une fausse promesse. C'est terrible parce que moi, ça fait... Bientôt, disons que je m'intéresse à l'IA, à l'intelligence artificielle. J'ai fait mon Master 2 à Polytechnique à Hawking. Je ne sais pas si tu connais Hawking, c'est une pépite française. C'est là où j'ai fait mon premier stade de machine learning. Vraiment, je suis un aficionado de l'IA. Et si ça marchait bien, je serais le premier à le dire. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Ces benchmarks sont faits par des ingénieurs qui n'y connaissent strictement rien à la médecine. Je le dis d'autant plus facilement que je mène dans l'environnement des startups. plein d'ingénieurs que j'adore et avec qui je travaille quotidiennement et avec qui ça se passe parfaitement bien, ils sont les premiers à dire la médecine, c'est vraiment un truc de médecin. Et donc, les benchmarks et les bases de données sur lesquelles sont entraînées ces algorithmes ne correspondent pas à la vie réelle, ça correspond à l'ECN. Alors oui, vous pouvez entraîner un LLM, un CHGPT à avoir 70% de réponse juste à l'ECN, c'est très bien, mais tu le sais comme moi, parfois, tu peux finir très très bon à l'ECN et très très mauvais comme médecin.
- Speaker #0
C'était exactement la critique que j'avais formulée dans mon analyse de ce benchmark. C'était que c'était calibré pour répondre. En l'occurrence, c'était des cas du New England, je crois. Ils étaient calibrés pour répondre à des cas du New England. Et évidemment, ils étaient exceptionnellement bons. Et en fait, quand tu te planches sur le papier, tu comprenais que les cas, ils étaient extraordinairement complexes. C'était des cas que chaque médecin... Je ne sais pas, moi, je n'en ai jamais vu de tels cas. J'en regardais un petit peu à quoi ressemblaient les cas cliniques. Je n'en ai jamais vu de ma vie. Après, je n'ai pas 60 ans non plus. mais j'imagine bien qu'un médecin généraliste comme moi, ne voient pas ce genre de cas. Donc, on a calibré des IA sur des dossiers volontairement ultra complexes qui ne reflètent pas la vraie vie. Je te remercie beaucoup pour cette précision parce que c'est salutaire. Donc, du coup, on a une forme d'AMM pour valider des IA.
- Speaker #1
Absolument. C'est un... Je suis très heureux que tu aies eu cette analyse. C'est un véritable scandale. Je vais prendre juste un petit exemple. Il y a un biais absolument... immense dans cette étude en particulier que tu cites sur le New England Journal of Medicine. C'est-à-dire qu'on n'a pas vérifié que ces IA à qui on présente des cas du New England n'ont pas été entraînés sur le site du New England. Est-ce que tu vois ce que je veux dire ?
- Speaker #2
Wow ! Ah ouais !
- Speaker #1
C'est-à-dire que je prends une IA, je vais l'entraîner sur plein de sites, Le Monde, Wall Street Journal pour qu'elle apprenne à écrire. Ensuite, je vais l'entraîner sur des sites médicaux, RecoMedical, je crois. synapse, etc., pour Vidal, pour qu'elle apprenne la médecine. Et ensuite, je vais l'évaluer sur des cas cliniques. Mais il faudrait qu'elle n'ait jamais vu ces cas cliniques avant. Sinon, c'est comme si elle avait les réponses auparavant. Tu es d'accord ?
- Speaker #0
Est-ce que tu sous-entends qu'on leur a carrément donné les cas cliniques avant de plancher dessus ?
- Speaker #1
En fait, on n'a pas vérifié de manière scientifique que les cas cliniques qui ont été présentés à l'IA pour les évaluer... ni soit pertinent sur le plan médical, c'est ce que tu viens de dire, dedans il y a un cas d'endocardite qui est vraiment what the fuck, c'est-à-dire si j'ai un lien qui me prédit que c'est une endocardite à partir de ces données, c'est que vraiment, il est un peu fifonne, parce que vraiment, c'était un cas très extrême, on n'a pas envie d'apprendre ça. Et pour le plan purement méthodologique de machine learning, il faut toujours, c'est une règle générale, une vérité générale, il faut toujours vérifier que que les données que tu testes n'aient jamais été vues par l'IA, parce que sinon, ce serait comme lui donner les réponses à l'avance.
- Speaker #0
Bien sûr.
- Speaker #1
Je ne l'ai pas vue. être fait dans ce budget.
- Speaker #0
Fascinant, fascinant. Merci beaucoup. Donc, ces grandes IA de GAFAM ne sont pas recommandées dans l'usage médical, c'est bien compris. Du coup, selon toi, est-ce qu'il y a des fausses promesses de l'IA ? C'est vrai que beaucoup de gens parlent d'une bulle, ne serait-ce qu'économique. Il y a des investissements de centaines de milliards de dollars dans le monde et on nous vend quelque chose d'extraordinaire. On nous vend le remplacement des cerveaux, le remplacement des cols blancs, surtout et particulièrement dans notre métier, est-ce que selon toi, il y a des illusions, de promesses autour de l'IA médicale ?
- Speaker #1
Oui, beaucoup, beaucoup. Je suis heureux qu'on en parle et si tu veux, après, on reviendra à la question sur les AMM, parce que c'est un petit peu... Oui, bien sûr. Effectivement, les fausses promesses sont répandues, malheureusement et heureusement. il y a beaucoup d'investissement dans l'IA donc il y a beaucoup d'argent et les gens qui mettent de l'argent dessus les fonds d'investissement qui mettent de l'argent dessus à un moment ils veulent un retour sur investissement et le plus tôt sera le mieux donc toutes les startups, les équipes qui recueillent cet argent là sont obligées de faire des promesses qui relèvent du marketing donc on sort de la science, on sort de la médecine et tu tu vas sur n'importe quel site web, tu lances une vidéo YouTube, tu as une chance sur trois pour que tu aies au début une pub sur une IA, voire faite avec une IA, et qui te promet mon zémervée. Ce qui est très important, c'est de prendre un pas de recul, de garder les pieds sur terre et de voir les choses avec froideur. Qu'est-ce qui va nous impacter ? Quel va être l'impact pour les médecins au jour le jour ? Les LLM, les algorithmes de langage type chat GPT, Ils ont fait leur entrée fracassante dans le monde, disons en 2022, c'est-à-dire maintenant trois ans. En trois ans, est-ce qu'il y a eu une grosse révolution, une croissance exponentielle des capacités de ces IA, etc. ? La réponse est non. Ce n'est pas exponentiel. Ça progresse, on a des IA, des LLM de plus en plus meilleurs, plus précis, qui font moins d'hallucinations, etc. Mais il faut garder en tête... et ça pareil on s'approche de la vérité générale c'est le cas depuis le début de l'intelligence artificielle dans les années 50 l'évolution des IA n'est pas exponentielle elle est logarithmique qu'est-ce que ça veut dire c'est que t'as une avancée très très forte pendant quelques mois donc hiver enfin automne 2022 avec Tchagéleté été automne 2022 Tchagéleté et puis après ça stagne ça stagne ça stagne pendant plusieurs années et puis ensuite t'as à nouveau une grosse trouvaille incroyable ça avance en quelques mois, en quelques semaines. Et puis après, ça se tagne pendant des années, des années, des années. Et petit à petit, c'est comme ça qu'on évolue depuis vraiment les années 50. Donc, les LLM qui progressent, quel impact sur nous ? Pas beaucoup plus que ce qu'on a dit au début, c'est-à-dire le compte-rendu de consultation, l'aide à la prescription, la communication avec le patient. Je vais pouvoir faire du télésuivi, de la télésurveillance. Il y a des outils qui vont nous aider là-dessus plus facilement. Il ne faut pas oublier l'aide à la pédagogie, c'est-à-dire qu'on va avoir des outils qui vont aider les médecins à se former, que ce soit en formation initiale ou en formation continue, des outils qui génèrent des QCM, des outils qui génèrent des ECOS, on pense à nos camarades externes, mais aussi des outils qui vont aider dans la formation continue, qui vont résumer, personne n'a le temps de lire sa revue de spécialité toutes les semaines, c'est pas grave, vous allez avoir... un digest, ça va être digéré par une IA qui va vous en sortir les éléments principaux. Et si cette IA est connectée à l'IA qui fait des comptes-rendus de consultation, tu as parlé des agents tout à l'heure, elle va pouvoir voir quel type de patient vous voyez et va pouvoir sélectionner tel ou tel article qui est le plus intéressant pour vous. Donc formation continue, formation initiale, prise en charge des patients authentés, télésuivi, et puis après vous avez des outils plus... de nos niches qui vont vous aider, l'épidémiologie, la santé publique, etc.
- Speaker #0
Très bien, merci Alain Hedin. C'est hyper informatif et je vois que ça évolue beaucoup et je suis très heureux de te recevoir parce qu'en fait, tu remets un petit peu l'église au milieu du village et tu nous racontes des avancées qui sont, sommes toutes, assez raisonnables. On comprend qu'en fait, l'IA ne va pas faire de meilleures diagnostics, de meilleures prises en charge globales que nous. Demain matin, je te remercie beaucoup. Je fais une petite parenthèse aussi pour, tu as mentionné la pédagogie et l'apprentissage. Je sais que tu as monté aussi, c'était pas FreeOCN, c'était OCN Free pour les ailes externes à l'époque, toi qui es sensible au sujet. Les IA sont de très très bons outils pour apprendre parce qu'ils peuvent transformer un cours. en QCM et transformer une lecture passive en un environnement cognitif exigeant de la part de celui qui a envie d'apprendre avec un retour du LLM qui est hyper intéressant.
- Speaker #1
Oui, absolument, à condition qu'on vérifie ce que l'IA sort. Parce que ces LLM sont entraînés à produire du langage, ils ne sont pas entraînés à produire de la vérité. Donc, ils vont pouvoir te sortir de super QCM avec une super syntaxe, un super orthographe, une super correction, une justification du feu de Dieu extraordinaire, complètement fausse. Et si juste toi, tu n'as pas l'information de base, tu ne vas pas t'en rendre compte.
- Speaker #0
Alors, il y a un hack pour ça, c'est de lui donner les fichiers sur lesquels tu veux qu'il te réponde. Tu peux lui donner des PDF, des cours, des vidéos, etc. Et tu peux lui demander, ça c'est très facile avec notamment Notebook LM de Google. où tu lui donnes les sources et tu lui questionnes là-dessus. Et ça, c'est plus fiable, il me semble.
- Speaker #1
Absolument, c'est beaucoup plus fiable. Ce n'est pas du 100%, mais effectivement, c'est beaucoup plus fiable de lui donner en contexte, dans les promptes, tes fichiers. Donc, BookLM, d'ailleurs, qui peut même te les sortir en podcast.
- Speaker #0
Exactement. Pas encore en français, c'est en anglais pour le moment. Tu as un petit hack pour le mec en français québécois, mais pas en français... Mais c'est assez incroyable. Moi, j'apprends des cours, je suis en formation aux Etats-Unis actuellement, heureusement beaucoup en distanciel, et ça m'aide incroyablement parce qu'il peut te challenger sur tes cours. Tu peux lui dire que tu as une heure pour réviser cinq heures de cours. Il va pouvoir te condenser comme ça à la substantifique moelle et te challenger dessus, voire même te faire des rappels. C'est exceptionnel. Donc, pour cet usage, je te remercie beaucoup Alain Hedin. J'ai parlé de ton travail de thèse. tu explores la donnée, l'algorithme. Donc actuellement, à ce que j'ai compris, tu vas me dire si je me trompe, mais tu travailles sur l'intelligence artificielle multimodale appliquée à la décision clinique et la prévention cardiovasculaire. À ce que j'ai compris, mais tu vas me décrire ça. Ton travail, c'est d'essayer de construire une fonction mathématique par méthode d'apprentissage pour adapter, je crois, à une conduite à tenir, en tout cas dans ta spécialité de médecine vasculaire. Tu vas me corriger si je me trompe. en prenant en compte énormément de données, des données qui peuvent par ailleurs interagir entre eux, pour essayer de modéliser quelque chose qu'on va pouvoir se servir pour une conduite à tenir pratique en médecine. Est-ce qu'à ce point-là, j'ai faux ? Est-ce que tu as précisé quelque chose avant que j'enchaîne ma question ?
- Speaker #1
Mathieu, notre vérité générale, tu as tout le trop juste.
- Speaker #0
Ok, bon, j'aime ça, c'est ce que je demande à mes invités.
- Speaker #1
Je suis comme les IA, je suis toujours dans l'affirmation. Pour s'amplifier pour nos éditeurs, c'est quoi le but des IA au final ? C'est d'aider les médecins à prendre la meilleure décision, la bonne décision pour le bon patient au bon moment. Et donc, ce qu'on essaie de faire au labo, c'est de prendre des bases de données de plusieurs milliers de patients ou des experts. On prie en charge ces patients, on dit que c'est le gold standard. Ils ont décidé de la prescription, du dosage, de la méthode de suivi, de la méthode d'exploration complémentaire, etc., dans le domaine du vasculaire. Et on essaie de modéliser ça, c'est-à-dire de faire une lia qui apprend à partir de ces experts pour pouvoir aider les médecins moins experts sur ces pathologies. On s'intéresse à la maladie athéromateuse, au risque cardiovasculaire, c'est-à-dire j'ai mon patient qui arrive. il a une probabilité statistiquement non nulle de faire un aparthuse dans les 30 prochaines années. Comment est-ce que je l'explore et comment est-ce que je le prends en charge de manière à réduire ce risque au maximum, que ce soit d'une partie médicamenteuse, c'est-à-dire quand est-ce que je mets ma statine, quand est-ce que je mets mon aspirine, quel cible de LDL je dois viser, est-ce que je vais surveiller, je sais qu'on va bientôt avoir les médicaments contre la lipoprotéine petit a, est-ce que c'est intéressant que j'adoche chez lui ou pas, ce que je viens de dire. doser son rapport entre la polypoprotéine A1 et B, et comment est-ce que je vais suivre ? On a pris des milliers de patients qui ont été utilisés en recherche par des experts et on essaie de modéliser ça. Spoiler, ce n'est pas facile.
- Speaker #0
J'imagine. Est-ce qu'on peut tout modéliser ?
- Speaker #1
Je pense que oui. Je pense que c'est le sens de ce que fait la science depuis des milliers d'années, c'est modéliser la gravité. On observe un phénomène naturel, on va essayer de mettre une formule derrière. C'est à modéliser la météo, on voit des mouvements de flux et on va essayer de les modéliser. Alors plus on a de données, c'est-à-dire plus on peut aller suivre la molécule d'air de manière granulaire, et plus on va être capable de prédire la météo de manière efficace, plus on aura de satellites, plus on aura de stations. de stations qui acquièrent des données, et plus on va être bon pour le météo, c'est pareil en médecine. Plus on aura de données pour entraîner des algorithmes, et plus on sera capable de prédire comment se comporte un corps humain face à des molécules, des molécules médicamenteuses, face à des événements adverses, des infarctus, des AVC, etc.
- Speaker #0
Je te posais la question parce que pour moi, il y avait toujours une zone d'ombre, une boîte noire dans tout ça. C'est par exemple la psychologie des gens. C'est par exemple l'observance qu'ils ont à prendre leurs médicaments. C'est par exemple, je ne sais pas, les certains polymorphismes génétiques qu'ils auraient. Par exemple, on sait qu'il y a une proportion non négligeable des gens qui manquent une enzyme qui permet de convertir la T4 en T3, qu'on ne cherche pas en pratique clinique. Ça, ça existe. Pourtant, comment on fait en pratique ? La psychologie et l'observance des patients, comment tu fais pour modéliser ça ?
- Speaker #1
C'est pour ça que les ingénieurs ont beaucoup de mal à comprendre la médecine, c'est qu'ils pensent que c'est une science, alors qu'en fait c'est un art. J'ai une école de bio-réf, très heureux d'y être, c'est l'école Pierre-Louis. Pierre-Louis, c'est un des fondateurs de l'évidence-médecine. Les Canadiens diront que c'est canadien, les Américains que c'est américain, mais nous Français, on sait que c'est Pierre-Louis qui l'a inventé. Pierre-Louis disait une chose extrêmement simple, la médecine c'est la rencontre entre la science, donc l'évidence, confronté aux valeurs du patient, parce que tous les patients ne vont pas me dire oui parce qu'il y a eu un essai fini, mais surtout enrichi par l'expertise du médecin. Pour un même patient, tu vas avoir le médecin qui va avoir une prise en charge hétérogène. Alors, comment ça se fait ? Il n'est pas fou, le médecin ? Non, il n'est pas fou. Ce n'est pas de la magie. Il a senti des choses. Il a eu un échange avec le patient qui ont fait qu'il a choisi telle prise en charge plutôt que telle autre. parce qu'il pensait que c'était mieux pour son patient. Eh bien, ça, si on accepte de dire que 1, ça existe, que 2, c'est pas de la magie, c'est-à-dire que c'est rationnel, c'est-à-dire qu'il y a des raisons, et donc ce qu'il nous faut faire, c'est chercher ces raisons-là et essayer de les modéliser.
- Speaker #0
Très bien, donc tu baisses pas les bras. Tu rappelles le triptyque de l'Evidence-Based Medicine. D'ailleurs, je le répète souvent dans ce podcast, on a gardé que les grandes études, les grands essais cliniques, mais en fait, on a complètement oublié le souhait du patient et les habitudes et le souhait du médecin dans cette équation. Et pourtant... Tu penses que ça, ça se modélise quand même. Tu me parles d'art au lieu de science. Donc, on peut modéliser notre art.
- Speaker #1
Oui, je crois. Je pense qu'on peut suffisamment le modéliser pour aider les médecins. L'art, c'est une science très complexe. Il y a des milliers de paramètres. Je prends un exemple pour l'observance. Dans la base de données que l'on a, on demande les antécédents familiaux, de manière structurée. parfois, il y a des patients qui font te dire « Mon père, il était diabétique. Ma mère, elle était diabétique de type 1. Mon père, diabétique de type 2. » Figure-toi qu'en fonction de cette ascendance, ils vont avoir une observance plus ou moins forte sur leurs médicaments antidiabétiques à eux. Et en fait, le médecin, quand il est avec son patient, il peut le sentir. À la manière dont le patient lui a dit votre père, votre mère, est-ce qu'il y a des pathologies dans la famille ? On dit oui, diabétique. La façon dont le patient exprime ses antécédents familiaux, le médecin va sentir que il y a peut-être un souci là, peut-être qu'il a mal vécu, peut-être qu'il est un peu traumatisé. S'il voit la botte de metformine, ça va le rappeler à beaucoup de choses, à son vécu, etc. On peut essayer d'approcher ces raisons-là et de faire un peu de causalité là-dessus.
- Speaker #0
Super intéressant, très bien. Je vais te poser une question qui va plus relever de l'opinion, de ton opinion plutôt que des faits du chercheur que tu affectionnes. Mais toi qui es au sein de ce milieu, toi qui travailles dans la tech, dans la santé depuis longtemps, est-ce que tu penses que l'IA, globalement, va humaniser la médecine ou au contraire la déshumaniser ? Est-ce que ça va libérer du temps aux médecins qui vont pouvoir se consacrer à ces humanités, à ces patients ? et à retrouver quelque chose qu'on a peut-être oublié ? Ou est-ce qu'au contraire, tu penses qu'on va passer vers quelque chose de très technologique, très froid, très algorithmique, en mettant de côté ce dont on vient de parler, l'intuition, l'intersubjectivité, la rencontre ?
- Speaker #1
Écoute, là tu me mets en difficulté parce que c'est une question pas facile. Effectivement très subjective. Moi, mon sentiment et ma conviction profonde, c'est que l'IA, on va en faire ce qu'on veut. Je te prends un exemple. tu as cité tout à l'heure je fais une partie de ma thèse de science chez ZOEI on utilise l'IA et on l'utilise d'une certaine manière qui rend les interactions plus humaines. Quand tu arrives dans la salle de consultation de l'institution, tu as une IA qui te résume cette consultation et qui permet, ça ne fait pas, on n'utilise pas pour réduire le temps de consulte, il dure toujours une heure, ça permet de faire en sorte que le médecin ne soit pas obligé de taper sur son ordi et d'avoir un écran en face de lui. Et du coup, le médecin et le patient ne sont pas face à face avec une table qui les sépare, mais de côté et regardent ensemble vers un écran. Le médecin parle à voix haute, regarde son patient, le patient regarde et il l'interrompt. Le médecin est libre de ses mouvements et se concentre essentiellement à construire sa relation de confiance avec son patient. Tu as d'autres startups qui font l'inverse. Tu utilises l'IA pour libérer du temps à ton praticien. Donc en fait, la consulte qui dure 15 minutes, maintenant elle ne doit plus durer que 12 minutes. Donc tu rajoutes un patient. Ça, ce n'est pas l'IA qui va décider, c'est nous. Est-ce que le temps qu'on gagne, les efforts qu'on gagne, la charge cognitive qu'on gagne, parce que ça va nous décharger aussi cognitivement, c'est-à-dire sur le télésuivi, etc., on va avoir des IA qui interprètent automatiquement les comptes rendus, etc. Est-ce que je l'utilise pour voir plus de patients, pour augmenter mon service ? si je le chanotise, ou est-ce que je l'utilise pour passer plus de temps avec mes patients actuels ? C'est une vraie question qui se pose à chacun d'entre nous et honnêtement, moi je te dis de manière très transparente, les deux se justifient, tu vois, avec ce qui se passe côté sécurité sociale, on se fait tabasser la tête avec le secteur 2 en vasculaire, on s'est fait prendre moins 15% sur les échos, etc. C'est pas du tout honteux de vouloir... prendre en charge plus de patients, on nous y pousse. On nous y pousse. Mais c'est un choix à faire.
- Speaker #0
Très bien, je te remercie pour cette réponse. Réponse très honnête, réponse d'un soignant de terrain. Merci beaucoup, cher Alain Hidin, pour cet éclairage précieux sur ce que l'intelligence artificielle fait déjà dans nos pratiques et sur ce qu'elle ne fait pas encore et peut-être même jamais. Dans le prochain épisode, on va aller un peu plus loin. L'IA est-elle en train de redéfinir notre rôle de médecin ? et à quoi ressemblera la consultation du futur ? Si cet échange vous a plu, prenez quelques secondes pour vous abonner à ce podcast sur votre plateforme d'écoute préférée, ou bien me laisser un commentaire sur votre plateforme d'écoute ou même sur YouTube. C'est le meilleur moyen de faire connaître ce podcast et de soutenir ce média libre et indépendant. On se retrouve plus tard pour le deuxième épisode. Salut !