- Speaker #0
Super Docteur, c'est le podcast des médecins généralistes. Le podcast qui vous transmet les recommandations de bonne pratique et les résultats des grandes études qui vont changer vos habitudes. Super Docteur, c'est la découverte de méthodes de soins innovantes et des interviews de soignants inspirants qui boosteront votre motivation. Un contenu court et pratique, chaque semaine, pour tous les médecins. Bonjour à tous et bienvenue sur Super Docteur. L'idée d'un soignant toujours d'attaque, jamais malade, tolérant des horaires extensibles sans jamais défaillir, est aujourd'hui mise à mal. Selon l'étude Burnout des médecins français menée en 2020 par la revue Medscape, plus de la moitié de nos confrères présenterait des symptômes d'épuisement professionnel, dont les médecins généralistes représentent la malheureuse majorité. Les médecins, comme plus largement les professionnels du soin, sont de plus en plus nombreux à exprimer leur souffrance. Face à un système qui ne leur permet plus de se consacrer sereinement à leurs patients. Pour parler du burn-out médical, j'ai le plaisir aujourd'hui de recevoir Antoine Fournier, il est psychologue et spécialiste de la santé au travail. Bonjour Antoine.
- Speaker #1
Bonjour Mathieu.
- Speaker #0
Alors Antoine, pourriez-vous définir précisément ce qu'est le burn-out et quels sont les signes et symptômes clés qui permettent aux médecins de reconnaître qu'ils en souffrent ?
- Speaker #1
Le burn-out en fait c'est un état d'épuisement émotionnel, mental et surtout physique. qui va résulter d'un stress chronique qui est lié à une exposition prolongée à un environnement toxique. Mais c'est important que parfois on remette le mot en français parce que nous, on a la différence entre fatigue et épuisement. Et du coup, c'est deux notions assez différentes. On le voit beaucoup parce que c'est passé dans le langage populaire. Fatigue professionnelle, c'est normal d'être fatigué à la fin d'une journée compliquée de travail. Par contre, être épuisé, c'est-à-dire une fatigue qui va être chronique, et d'être revenu dessus, ça, on va dire, c'est anormal, même si je n'aime pas le terme, mais bon, c'est comme ça. Donc, c'est la question de comment le reconnaître. C'est assez difficile, pour être honnête. C'est-à-dire, soi-même, c'est brûler cette énergie, en fait, qui n'est pas là. C'est donc, comme on l'a dit, l'épuisement, c'est revenir sur... C'est un facteur de fréquence, mais surtout d'intensité, en termes de fatigue. Mais c'est venir taper, en fait, dans ses ressources individuelles pour compenser l'absence d'énergie. On dépense trop d'énergie à essayer de compenser. ce manque fameux d'énergie. Et c'est ce qui a créé l'épuisement, cette boucle de rétroaction, on va dire, négative. On va vouloir fournir plus d'efforts pour essayer de se sortir de cette situation, alors qu'en fait, on devrait déjà être dans une logique de restauration, de soin de soi, de soin de son énergie, de récupérer ou de protection de sa santé mentale. Alors qu'on est peut-être dans le guidon, et on continue, on accélère, en fait. classique, c'est qu'on va avoir l'apparition de la dépersonnalisation et donc du cynisme. Cette dépersonnalisation, c'est un mécanisme de protection qui s'active, c'est-à-dire que vu qu'on est épuisé, on commence à mettre de la distance par rapport à notre lieu de travail, c'est-à-dire au lieu qui va nous procurer de la souffrance dans un certain sens. Et on va commencer à se mettre à distance. Pour se mettre à distance, on a le cynisme, c'est-à-dire qu'on va commencer à être un petit peu... un petit peu négativiste ou négationniste, je ne sais plus si c'est le terme exact, mais par rapport à son lieu de travail. Simplement parce qu'on est obligé de se désinvestir, de se dépersonnaliser, en fait, pour éviter de prendre trop à cœur la réalisation de cette phase d'épuisement pour nous.
- Speaker #0
Ok, donc je comprends qu'il y a différents types de burn-out selon chaque individu, qu'il n'y a pas de signes ou symptômes clés, que les symptômes sont propres à chacun, il y a une notion de réserve d'énergie qui se tarirait, et il y a quand même une notion de dépersonnalisation qui est commune aux personnes qui subissent un burn-out. Est-ce qu'on sait pourquoi on fait un burn-out ?
- Speaker #1
C'est réellement une exposition prolongée à un état de stress chronique. Ce qu'on appelle stress chronique, c'est quand on fait face à un déséquilibre entre ses demandes professionnelles dans le cadre du travail. et les ressources personnelles qu'on a pour y faire face, c'est vraiment juste l'exposition au stress.
- Speaker #0
Est-ce qu'on n'est pas tous stressés au boulot ?
- Speaker #1
Ce n'est pas normal d'être sur-stressé par rapport à une situation. On en a besoin d'un certain niveau pour bien performer, mais ce qui est illogique, c'est que si je mets trop de stress, vous allez moins performer, et si je n'en mets pas du tout, c'est pareil, vous allez moins performer. Il faut juste le niveau optimal pour atteindre la performance optimale.
- Speaker #0
Est-ce qu'il existe des caractéristiques ou des traits de personnalité qui rendent certains médecins plus susceptibles de développer un burn-out ?
- Speaker #1
C'est là où moi j'interrogerais quand même la représentation même du médecin. Qu'est-ce qu'un médecin représente, par exemple, collectivement parlant ? Pour les patients, qu'est-ce que ça représente ? Est-ce que c'est un super-héros qui est censé tout savoir ? Être un médecin n'est jamais malade, par exemple. Cette phrase qui ressort assez souvent. Et je n'irais pas en fait qu'il y a réellement de caractéristiques faites, on en a cité quelques-unes tout à l'heure. Perfectionnisme, le fait de ne pas laisser de délégués de tâches, un peu le syndrome du sauveur ou du super-héros. Si on a effectivement de l'anxiété chronique ou autre chose, ça, c'est des facteurs qui viennent renforcer le fait que le trouble peut s'installer. Mais encore une fois, ça ne va pas déterminer son apparition. C'est vraiment complexe, le burn-out. C'est pour ça, d'ailleurs, qu'il ne fait toujours pas spécialement partie du DSM, parce qu'on ne sait toujours pas exactement comment il fonctionne. Mais la notion première, c'est qu'il est réellement multifactoriel.
- Speaker #0
Ok, je vois que c'est une entité complexe. Quel impact le burn-out peut avoir sur la pratique médicale et la vie personnelle des médecins ?
- Speaker #1
Si je suis assistante administrative et que je fais un burn-out, forcément ça va peut-être avoir un peu moins d'impact que si je suis médecin et que je suis sur un peu la pente glissante sur évaluation par exemple des situations. C'est-à-dire qu'on va potentiellement être plus prône aux erreurs médicales, erreurs de jugement. Dans le burn-out, on a beaucoup la notion de fatigue décisionnelle. c'est-à-dire qu'on va rentrer plus souvent en mode automatique, donc avoir une tendance à diagnostiquer plus rapidement les personnes, de faire moins attention à certains détails, mais c'est simplement parce que quand on a le cerveau qui est occupé, et c'est là où je ne veux pas déresponsabiliser les gens bien sûr, mais quand on est énormément occupé par des choses qui nous traînent, ou cet élément de stress qu'on n'arrive pas à résoudre, on ne peut pas prendre des décisions éclairées sur tout. Par exemple, c'est comme si demain je vous demande de faire une journée de consultation de 10 heures, je veux dire, vous n'apporterez pas la même qualité à une consultation qui se passe dès le matin, dès les premières heures, qu'une consultation en fin de journée. On peut ne pas prendre des décisions totalement éclairées à ce moment-là. Quelque chose de très facile à repérer chez les gens qui sont au début d'épuisement professionnel, quand on arrive vraiment vers la limite, et on en a un peu parlé tout à l'heure, c'est l'isolement, c'est-à-dire l'isolement social. Ce qui est contre-intuitif parce qu'en fait, c'est la première chose qui disparaît, mais c'est aussi la première ressource qui permet de guérir la personne.
- Speaker #0
Est-ce qu'on peut mettre en place des stratégies pour éviter de faire un burn-out ?
- Speaker #1
La première chose réellement à faire, c'est de la prévention. Dans le sens que, qu'est-ce que c'est ? En fait, quand on va réellement regarder le burn-out, on va surtout faire attention aux signaux faibles. L'enseignement, on le voit souvent apparaître dans plusieurs études, mais c'est simplement, qu'est-ce que c'est ? Fatigue chronique. irritabilité, cynisme diminution de la satisfaction personnelle et professionnelle, problème de sommeil on arrive un peu sur cette multidimensionnalité du trouble problème de sommeil, problème de concentration très important, c'est à dire réellement des problèmes de mémoire donc réellement au niveau du cognitif symptômes physiques, maux de tête douleurs musculaires, troubles digestifs en fait c'est principalement lié au stress ça je ne cache rien et isolement social Et en fait, quand on a tout ça, c'est réellement laisser signe aux faibles où il faut être assez attentif. Ça peut être anodin de ressentir ça de manière parcellaire, mais quand on est réellement exposé de manière fréquente et durable à ce genre de trouble, c'est là où ça doit nous poser question. Et effectivement, en termes de technique... C'est là où on revient sur des fondamentaux que vous pouvez trouver dans n'importe quel article ou autre chose. Mais ça va être des règles de déconnexion entre la vie professionnelle et la vie personnelle, ce qui peut être assez difficile à faire. Mais il y a des techniques. Ce n'est pas en fait absolu. Mais aujourd'hui, quand on commence à avoir une mauvaise hygiène de santé mentale ou de mauvaise hygiène de travail, le but, c'est dans un premier temps, souvent, de rétablir cette hygiène. C'est-à-dire, qu'est-ce que c'est ? une bonne journée de travail ? Comment est-ce qu'on aborde cette journée de travail ? Est-ce que c'est commencer à 8h et finir à 17h ? Et après, on coupe totalement. Donc c'est parfois, dans le premier temps, un retrait un petit peu ou un désinvestissement du travail, pour ensuite revenir, pour avoir une meilleure relation à son travail. Et ça, en fait, c'est beaucoup la prévention. Au final, l'acte de soin, il est très complexe et il est très difficile pour les gens, surtout avec des métiers à fortes qualifications, comme les médecins. Ça, réellement, ce n'est vraiment pas quelque chose de facile à faire.
- Speaker #0
C'est-à-dire que quand on a les premiers signes qui nous font reconnaître qu'on est sur la pente glissante, si je peux m'exprimer ainsi, il faut réfléchir aux façons de se réorganiser soi-même et de réorganiser son travail pour éviter de tomber dans le burn-out.
- Speaker #1
Exactement, et surtout c'est bien identifier d'où est-ce que ça vient. Je dirais que le plus important c'est de définir, est-ce que ce stress il est plus ressenti par exemple dans ma vie courante, est-ce que moi je peux y faire quelque chose, est-ce que c'est au travail, pareil, est-ce que je peux y faire quelque chose, quelles sont mes tentatives, mes solutions, c'est là où on rentre dans cet esprit un petit peu logique de résolution de problème, plutôt que subir ou souffrir de cette situation pendant trop longtemps. Et comme on l'a dit, en fait, ce qui est dangereux, le burn-out, c'est réellement l'exposition prolongée et durable à ce facteur de stress. Donc, plus en fait, on le résout rapidement et vite ou qu'on change, par exemple, notre perception de le voir ou de le ressentir, et plus on a de chances de l'éviter, tout simplement.
- Speaker #0
Ok. Antoine, je vais vous poser ma dernière question. Parmi tous nos confrères qui ont subi un burn-out, quelles sont les clés d'une réintégration réussie ? dans leur pratique professionnelle, parce que nombre d'entre eux s'arrêtent de travailler, sont en arrêt de travail, forcés par leur psychologue, leur psychiatre, voire même leur entourage. On connaît nombre de cas de personnes qui ne peuvent pas travailler, parfois ça dure même très longtemps, je crois. Vient un moment où il faut retourner au travail, il faut retourner à ses patients. Est-ce qu'il y a des conseils que vous pourriez donner à nos confrères ? pour une réintégration réussie de leur poste ?
- Speaker #1
Moi, déjà, un conseil personnel, c'est alors, je n'aime pas trop l'utiliser, mais dire l'autocompassion. C'est-à-dire qu'effectivement, vous êtes humain, comme moi, comme vous, Mathieu, et que ce n'est pas notre fonction qui nous détermine, qui détermine notre qualité d'être un humain. Dans le sens que vous êtes exposé, comme n'importe qui, à avoir un rhume, à être atteint du Covid, à avoir un cancer, faire un burn-out, et ce n'est pas grave, ça ne vous définit pas, en fait. qui vous êtes en termes de compétences et simplement du bon professionnel que vous êtes et ne remettez jamais ça en cause. Alors, je ne vais pas utiliser jamais, mais bon, ce n'est pas grave. Mais ça ne redétermine pas votre identité. Et donc, par rapport à ça, je sais que c'est facile à dire, mais surtout parce que ça a des implications derrière. Par exemple, dans le parcours d'après, quand vous revenez au travail, ce qui est difficile, ça peut être le regard des gens, avoir l'impression que ce regard est modifié. qu'aujourd'hui c'est un peu honteux ou que vous êtes nul ou autre chose et c'est pas vrai justement vous êtes revenu au travail c'est déjà énorme, il y a des gens qui ne sont pas capables de revenir, dites le vous surtout et que ça fait partie du chemin se réexposer à cette souffrance, c'est le parcours de soins bien sûr, accompagné c'est toujours mieux soit d'avoir un thérapeute ou d'avoir un groupe de soutien des groupes de pairs ça fait énormément de bien et puis surtout ne revenez pas brut de décoffrage, à sec, c'est-à-dire au travail, préparer ce retour, organiser ce retour au travail. Parce que la pire des erreurs à faire, c'est de dire comme si ça n'était jamais rien passé. Un burn-out, c'est un indicateur organisationnel, individuel, mais aussi collectif. Ce n'est pas ni votre faute, c'est sûr que si la situation, par exemple, si vous n'en avez pas parlé, que la situation de travail n'a pas changé, si vous revenez, vous avez de fortes chances, effectivement, de repartir dans les mêmes symptômes. On vaut mieux, au contraire, pas être vulnérable. mais s'ouvrir et en discuter avec son employeur ou autre chose, simplement pour faire que ça change pour vous, et ça change pour les autres aussi.
- Speaker #0
Je me permettrais de rappeler deux choses à nos confrères. La première, c'est d'être vigilant au niveau de sa prévoyance santé, parce que bon nombre de nos confrères qui ont subi un burn-out ne s'étaient pas assurés pour ça. Donc je vous conseillerais de vous assurer que votre prévoyance santé vous couvre bien en cas de burn-out. Et enfin, je voulais vous rappeler le numéro que l'Ordre des médecins a destiné à l'écoute et l'assistance des médecins et de tous les professionnels de santé. C'est le 0800 288 038. C'est un numéro qui est disponible 24h sur 24, 7 jours sur 7. Et vous pouvez avoir en ligne un confrère, un médecin, un psychologue pour vous épauler dans ce moment difficile. Je vous remercie beaucoup Antoine et puis je vous dis à bientôt.
- Speaker #1
Merci beaucoup Mathieu. Au revoir. Au revoir.
- Speaker #0
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