- Speaker #0
Bienvenue dans TCA, etc., le podcast qui décrypte les troubles des conduites alimentaires et tout ce qui gravite autour, parce que ça n'est jamais seulement qu'une histoire de bouffe. Je suis Flavie Mitsono, et j'accompagne les mangeuses compulsives à devenir des mangeuses libres bien dans leur basket. Alimentation, peur du manque, insatisfaction corporelle, peur du jugement, du rejet, empreinte familiale, grossophobie, les sujets abordés dans ce podcast sont très vastes, et pour ce faire, mes invités sont aussi très variés. Retrouvez-moi aussi sur Instagram où j'aborde tous ces sujets au quotidien sur flavie.mtca. Très belle écoute. Bienvenue Caroline dans le podcast TCA etc. Je suis super contente de t'accueillir.
- Speaker #1
Merci, bonjour.
- Speaker #0
Si tu viens ici comme à peu près toutes les personnes qui viennent témoigner ici, c'est pour nous parler de ton parcours avec les troubles alimentaires. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, je te propose de commencer par te présenter de la manière dont tu as envie de le faire.
- Speaker #1
Ok, alors oui, ce n'est pas facile de se présenter. Je m'appelle Caroline, on va commencer par là. J'ai tout bientôt 38 ans, dans un mois. Je suis maman de trois enfants, ça m'occupe pas mal. Que dire de moi ? Je suis thérapeute en libération émotionnelle. Et à mi-temps, et le reste du temps, je suis en train de me former pour devenir apicultrice. Voilà où j'en suis dans ma vie actuellement. Que dire de plus ? J'habite dans le Jura. Et j'ai traversé les troubles du comportement alimentaire de long en large pendant quelques années. Pendant ma jeunesse et jusqu'à, je crois, jusqu'à mes 26-27 ans. Je tablerai sur ça. Donc de mes 9 ans, 8-9 ans à mes 26-27 ans. Voilà.
- Speaker #0
Ok, donc c'est arrivé très tôt dans ta vie.
- Speaker #1
C'est arrivé extrêmement tôt, oui.
- Speaker #0
Ok, on va en parler. Avant de parler des troubles à proprement parler, j'aime bien poser une question qui est de savoir quel est ton souvenir le plus ancien ou en tout cas le plus marquant, celui qui émerge, quand je te demande de penser à ta relation au corps et à ta relation avec la nourriture.
- Speaker #1
Alors, je ne sais pas si j'arriverai à dater ou à préciser. Mes troubles alimentaires, finalement, ils ont commencé pas forcément en relation avec mon corps. Vu que j'ai commencé très tôt, vers 8-9 ans, peut-être 7 ans, je ne sais pas. Ce n'était pas vraiment en lien avec une recherche de corps. C'était plus en lien avec une recherche de sécurité, de fuite. Mais avec mon corps, c'était plutôt peut-être à l'adolescence. où vraiment j'avais comme une dissociation de ma tête et de mon corps et je me revois seule dans ma chambre, je me revois mesurer mes poignets, mes jambes, mes cuisses. Je me revois faire ça pour essayer de vérifier que je n'avais pas pris le gramme de trop pendant la nuit ou avant de dormir. C'est des choses qui me rassuraient. Et ça, je me dis, quand ça me revient en tête, ce souvenir-là, ça faisait longtemps que je n'avais pas pensé à ça. Et je me dis, waouh, je faisais ça quand même. Donc je ne sais pas quel âge j'avais, j'avais 12, 13, 14 ans, je ne sais pas.
- Speaker #0
Et avec l'alimentation ?
- Speaker #1
Avec l'alimentation, ça a toujours été extrêmement compliqué. Dès mes 7-8 ans, j'ai commencé à développer de l'héméthophobie. Je ne sais pas si c'est quelque part assez courant dans les troubles alimentaires, enfin dans certains troubles alimentaires. Donc moi, j'ai développé une phobie de vomir toute petite. Et ça fait que je cherchais de la sécurité dans ce que j'allais manger. J'avais un cercle de choses que je pouvais avaler, qui était hyper restreint pour 7-8 ans. Et je me souviens, j'ai un flash, là je revois ma mère à côté de moi, qui devait me répéter, comme des tocs, qui devait me répéter plusieurs fois les mêmes phrases. Non, cette tranche de jambon blanc ne te fera pas vomir. Non, ce yaourt ne te fera pas vomir, tu peux le manger. Il fallait qu'elle me valide le truc quand j'étais en période de crise d'angoisse avant de manger. Il fallait qu'elle me valide le truc pour que je puisse manger.
- Speaker #0
Ok.
- Speaker #1
Donc ça, c'était vers 7, 8, 9.
- Speaker #0
Ok. Donc là, c'est tes premiers souvenirs marquants avec l'alimentation. Et en fait, on voit bien que c'est des souvenirs où la pathologie, elle est déjà là.
- Speaker #1
Oui. En tout cas,
- Speaker #0
c'est le début. Et justement, rentrons pleinement dans le sujet. Allons-y. Est-ce que... Donc là, tu nous parles de comment... Tu ne nous parles pas vraiment de comment, mais de à quel âge ça a débuté. Et donc justement, la question que je me pose, c'est comment, pourquoi, est-ce qu'aujourd'hui... Tu as une idée ? Est-ce que tu as plusieurs pistes de compréhension ?
- Speaker #1
Alors, j'ai plusieurs pistes. J'ai un tempérament qui aide à tomber là-dedans, on va dire, à avoir cette béquille-là des TCA. C'est que je suis quelqu'un de perfectionniste. Je suis quelqu'un, je pense que je suis, quand je suis née, je suis un... Ah oui, je n'ai pas dit ça. Je ne sais pas si on appelle ça les bébés arc-en-ciel. Un jour, on m'avait dit ça. Je suis un bébé qui arrive après la mort d'un autre bébé. Je suis comme un bébé réparateur. C'est-à-dire que je suis arrivée dans ce monde, je pense, avec une certaine pression sur les épaules de devoir rendre mes parents heureux. J'ai toujours eu ça, du plus loin que je m'en souvienne, cette pression de me dire, je dois être parfaite et je dois correspondre aux attentes de mon entourage pour tenter de les rendre heureux et tenter de réparer ce qu'ils ont vécu. Donc petite, j'avais déjà ça, cette espèce de lourdeur ou cette espèce de truc sur les épaules. Et on va dire, de mes 7 ans à mes 9 ans, j'ai vécu des traumas qui m'ont... qui ont complètement brisé toute la sécurité que je pouvais avoir envers le monde des adultes. Et du coup, je pense que j'ai traduit ça... L'hémétophobie a vraiment commencé à cette époque-là. Et je traduis ça par un besoin de me sécuriser au travers du contrôle de ce que je prenais comme aliment. Je pense que ça a démarré comme ça. Mais j'avais une... Voilà, j'avais, on va dire, une prédisposition, ce côté... perfectionniste, ce côté j'ai besoin de répondre aux attentes, ce côté j'ai besoin de cette peur du rejet finalement, j'ai besoin de m'intégrer en me suradaptant aux attentes.
- Speaker #0
C'est clair que le perfectionnisme c'est vraiment le trait de caractère si je puis dire, qu'on retrouve chez toutes les personnes qui viennent de TCA, mais en t'écoutant je peux pas m'empêcher de me demander est-ce qu'on naît comme ça, ah tiens je suis née perfectionniste ou est-ce qu'on, enfin tu vois, est-ce que c'est un truc inné acquis dans le sens où qu'est-ce qui se passe dans la vie d'un enfant pour qu'il devienne perfectionniste, tu vois ?
- Speaker #1
Je pense qu'il suffit de micro-blessures, de micro-traumas, que ce soit des petites remarques, des petites choses, ou qu'un enfant soit... Alors moi, j'étais une enfant assez sensible au niveau des émotions. Alors ça me sert aujourd'hui, mais ça m'a pourri la vie pendant 20 ans. C'est-à-dire que j'avais comme cette capacité de ressentir les émotions des autres, de fusionner, notamment avec les émotions de ma maman. Et si je percevais ma maman extrêmement triste, Je pense que je tentais de réparer. J'ai toujours tenté de réparer les gens autour de moi. Dans une espèce de, je ne sais pas, une quête qui est vaine. Et ce côté-là, je pense que ça m'a fait développer mon perfectionnisme. De me dire, si je suis là, il faut que j'assure. J'ai le besoin d'assurer parce que j'arrive en second plan et j'ai besoin d'être à la hauteur et d'être parfaite pour qu'on m'aime.
- Speaker #0
Si je suis là, oui. Et puis, il y a le si je suis là.
- Speaker #1
Moi,
- Speaker #0
je suis là. Moi, je suis vivante. Je suis là. Donc, il faut que j'assure. Pas le droit à l'erreur. Ok. Ben oui, c'est lourd pour des petites épaules.
- Speaker #1
Oui, je pense que ça a contribué au fait que j'avais ce besoin. Et puis, cette sensibilité, ça me mettait comme en dehors. Je ne sais pas comment dire. Je me sentais différente. Ça, c'est un truc aussi. Alors, on le voit souvent dans les TCA. Mais cette sensation de ne pas être comme tout le monde, de fonctionner différemment. Et ça, c'était lourd. Je veux dire, la vie est lourde quand on a l'impression de fonctionner différemment. On est tout le temps en suradaptation. Moi, j'étais très observatrice. On me disait, Caroline, toi, t'étais toute facile quand t'étais petite. T'étais sage comme une nage. On te mettait dans un coin d'une pièce et limite, tu jouais avec tes mains. Tu ne dérangeais absolument pas. C'est des enfants qui sont complètement effacés. Et j'avais ce côté, je devais observer d'abord avant d'agir pour être sûre. que j'allais comprendre les codes. C'est fou ça. Je n'étais pas du tout une enfant hyper spontanée.
- Speaker #0
Ça me parle beaucoup ce que tu dis. J'ai l'impression qu'on parle de moi petite ou même genre quand j'étais bébé. Fallait même te réveiller pour te faire manger. Jamais tu pleurais.
- Speaker #1
Souvent, c'est des enfants effacés qui peut-être ont perçu des blessures ou des attentes, qui perçoivent inconsciemment des attentes de l'adulte. Si par exemple, on arrive après un enfant qui a été malade ou qui demande beaucoup de temps, on va avoir des bébés effacés. et ça peut après, voilà.
- Speaker #0
Oui, complètement. Ok. Tu parlais aussi de traumas que tu as vécu. Est-ce que tu as envie d'en dire quelque chose ou pas ?
- Speaker #1
Alors, je n'ai pas spécialement envie de développer. On va dire que c'est des attouchements que j'ai vécu de mes 7 ans à mes 9 ans. Et c'est quelque chose que je n'ai jamais dit à mes parents. Je crois que j'ai abordé le sujet, mais j'étais déjà très, très adulte. C'est très récent. Mais c'est quelque chose dont j'avais honte et que j'ai tué. Et je me souviens que j'ai juste ressenti une... Il y a eu une cassure entre moi enfant et le monde des adultes en qui je n'avais absolument plus confiance. Je me disais, je ne veux pas appartenir à ce monde. Donc après, il y a peut-être eu un facteur de, si j'arrête de manger, je reste enfant. Donc je ne grandis pas, donc je n'appartiens pas à ce monde-là. Enfin, ça m'a marquée sur ce point-là. Le côté insécurité et le côté, c'est un monde, c'est horrible comme monde, le monde des adultes. J'ai peut-être essayé d'en parler et on m'a dit non, non, mais non. Je sais qu'on m'a renvoyé bouler, j'ai ce souvenir-là. Et je me suis dit, en fait, OK, je n'ai pas le droit de parler. Et ça a renforcé ce côté, je me mets à part et je fais ma coquille.
- Speaker #0
Oui, et puis dans la relation au corps, ce que ça construit en termes de relation pourrie avec le corps aussi.
- Speaker #1
Oui, c'est pas mal ça.
- Speaker #0
OK, donc effectivement, il y a quand même plein de choses qui viennent expliquer.
- Speaker #1
Il y a plein de petites blessures, on va dire. Mais après, ça peut être... Ce n'est pas forcément des choses graves qui peuvent conduire à ça, je pense. Mais il suffit des fois d'une remarque. Ou des fois, quand on est un peu con à l'adolescence, on a des gamins qui viennent nous faire des remarques sur notre physique. J'ai ce souvenir qui me vient. J'avais un gros ventre quand j'étais petite. Comment expliquer ça ? Tu vois les enfants qui sont limite en famine ? Oui,
- Speaker #0
en Somalie, tout ça, les enfants qu'on voyait.
- Speaker #1
J'avais ce ventre-là. Et je me souviens, j'ai des photos de moi où je suis assise en tailleur, on ne voit pas mon maillot de bain le bas. Et j'avais ce gros ventre-là. Et je me souviens qu'on se moquait de moi à l'école primaire et qu'on disait, Caro, elle a un bébé dans le ventre. Ça m'avait marqué, ça. Et en fait, je l'ai perdu à l'adolescence, ce ventre. Il est parti comme il est venu. Mais j'avais ce ventre-là petit aussi. Est-ce que ça a contribué ? Je ne sais pas.
- Speaker #0
Mais c'était avant ?
- Speaker #1
C'était au même moment, vers 7-8 ans. Oui, 7-8, j'avais à avoir ce ventre-là, mais je l'avais spontanément. J'étais très cambrée, je faisais de la gym et j'avais un espèce de ventre. Pas que j'étais en surpoids du tout, mais j'avais un ventre proéminent.
- Speaker #0
Mais en fait, pour faire le lien avec les enfants qui subissent la famine, c'est à se demander aussi si ce n'était pas relié à une forme de malnutrition.
- Speaker #1
Oui, c'est vrai que je n'ai pas recoché ça. Oui, c'est vrai, peut-être. Je ne sais pas.
- Speaker #0
Ok, et donc ça commence... À cet âge-là, et donc tu dis que c'est une hémétophobie qui fait que tu deviens rigide sur les aliments que tu peux manger ou non. Donc ça restreint énormément le jeu des possibles.
- Speaker #1
Je sais que je ne mangeais que du riz, du jambon blanc ou des yaourts nature.
- Speaker #0
Wow.
- Speaker #1
C'est peu. Et en termes de panel, je me souviens que ma maman galérait. Vraiment, des fois je repense à elle, je me dis mais qu'est-ce que je lui ai fait subir ? C'est assez terrible, l'entourage qui est impuissant. Et je pouvais partir en crise de pleurs, en crise de panique, vraiment à l'idée de me dire, si je mange quelque chose qui va me provoquer un vomissement, ça va être assez terrible.
- Speaker #0
Ok. Et j'imagine que ça, c'est donc le début du trouble alimentaire. J'imagine que ce n'est pas resté comme ça jusqu'à tes 26 ans. Donc, par quelle phase t'es passée ? Comment ça a évolué ? Tu dis qu'il y a eu quand même aussi une étape... C'est important, tout à l'heure, tu en parlais dans la relation à ton corps avec le début de l'adolescence.
- Speaker #1
Oui, je dirais que le corps est arrivé vers, quand il commence à changer, vers 11, 12, 13 ans, je ne sais plus trop, je ne saurais pas dire. Parce que pour tout te dire, j'ai l'impression d'avoir eu plusieurs vies dans cette vie-là. C'est comme si, aujourd'hui pour moi, c'est tellement loin, ces troubles alimentaires, que c'est comme si ça vient par flash. Je me dis, oui, c'est vrai, je fonctionnais comme ça, c'est vrai, j'ai vécu ça, c'est vrai. C'est comme si aujourd'hui, ça ne m'impacte pas. tellement plus, et c'est tellement plus un problème que des fois j'ai du mal à me dire oui c'est vrai que j'ai vécu ça. Donc ça va peut-être être brouillon, ce que je vais dire. Je sais que mon rapport au corps a changé à l'adolescence. On va dire que j'ai traversé l'anorexie, on va dire, de mes, je dirais 7-8 ans ou 9 ans, jusqu'à 17-18 ans. C'était de l'anorexie pure. J'avais pas de phase boulimique ou hyperphagique à ce moment-là. Ça s'est développé par la suite, on va dire. Donc, comment ça se traduisait à l'adolescence ? Je me souviens que ma tête, c'était complètement... J'avais comme une... C'est comme si c'était scindé en deux, tu sais. Je ne sais pas comment on appelle ça. Une espèce de... Ouais, d'énormes écarts entre ma tête et mon corps. Et ma tête devait contrôler mon corps. Ok. Et je contrôlais ce que je mangeais et c'était jouissif pour moi d'être capable de me contrôler, d'observer les autres autour de moi manger. Je me souviens que je les gavais parce que je faisais beaucoup de pâtisserie, des choses comme ça. Et je prenais un malin plaisir à les gaver, à observer qui mangeait et moi à avoir ce contrôle-là parce que la nourriture ne me faisait pas spécialement envie. Alors à côté de ça, c'était fascinant pour moi la nourriture. Je regardais des recettes tout le temps. Ça avait un côté... J'en avais peur, ça me fascinait, mais je le maintenais terriblement loin de moi et j'en étais très... C'était jouissif pour moi de le maintenir loin. Et donc, j'avais ce contrôle sur mon corps, je mangeais le minimum possible. J'étais très rigide au niveau de ce que j'absorbais et je me souviens que j'avais certains aliments que je mangeais. C'était presque... C'était tous les jours la même chose. C'était hyper rassurant pour moi d'avoir des repas qui se ressemblaient et d'avoir toujours les mêmes aliments. C'était très sacralisé, je me rappelle. Je pense que c'était ma manière de m'opposer aussi au monde des adultes, à mes parents peut-être, de me dire je suis à table avec vous, mais je n'avalerai rien et je tiendrai bon. Vous pouvez me laisser des heures à table, je ne ferai rien. C'est horrible quand je y repense. Parce que c'est comme une torture pour eux finalement.
- Speaker #0
C'est marrant parce que ça fait plusieurs fois que tu dis « Oh là là, qu'est-ce que j'aurais fait vivre ? »
- Speaker #1
Parce que tu m'amends aujourd'hui et je me dis « C'est terrible ! »
- Speaker #0
Oui, mais d'un autre côté, l'enfant que tu étais a vécu des choses terribles, que tu n'as pas pu nommer aux adultes autour de toi. Enfin, tu vois, il y a quelque chose de...
- Speaker #1
C'était un mode de survie pour moi. Je ne pouvais pas vivre autrement que comme ça, à cette époque-là. Et la nourriture, c'était tout pour moi dans ma vie. Ça avait une telle place. que j'avais pas le temps de penser à autre chose finalement. C'était ma manière à moi de survivre. C'est comme quelqu'un qui, je sais pas, qui ferait du sport à outrance ou quelqu'un qui ferait... Peu importe. Moi, j'avais la nourriture et j'avais ce contrôle-là. Et si je... Je pense que si à l'époque, j'avais perdu ce contrôle-là, je ne serais pas là aujourd'hui parce que je l'aurais pas supporté.
- Speaker #0
Ouais. Ouais, c'est important de le dire, ça.
- Speaker #1
Ouais, vraiment.
- Speaker #0
OK. Donc ça, tu dis que ça a duré vraiment jusqu'à tes 18 ans ?
- Speaker #1
Ouais, 17-18 ans, je dirais.
- Speaker #0
OK. C'est quoi ton élément de repère du changement ? Je ne sais pas comment le nommer, tu sais, à un moment donné, ça bouge.
- Speaker #1
Je me souviens que vers 18 ans, j'ai peut-être eu des moments de stress et d'angoisse, je crois que c'était pour le bac, peut-être, pour mes études, parce que pareil, j'étais extrêmement perfectionniste dans les études. Oui, oui, tout bien. C'est-à-dire que je devais être chiante, je devais être la... La copine chiante qui dit « Ah, j'ai encore loupé le devoir et puis j'ai une sale note et tout et puis j'avais 19 et puis non, ça devait être hyper agaçant. » Je me souviens que je stressais pas mal et j'ai peut-être eu à cette époque-là un début peut-être d'hyperphagie. Parce que peut-être que j'ai des souvenirs de moi le samedi ou le dimanche où je m'autorise un goûter et où je dérape sur le goûter. Et alors, ce n'était pas les gros dérapages, mais à l'époque où j'étais anorexique, c'était juste insupportable pour moi d'avoir mangé deux princes au chocolat. Alors que quand je comptais les calories le soir, je me disais non, mais ce truc de fou. Alors que c'était deux princes au chocolat. Et ça a commencé comme ça, où j'ai comme réintégré certains aliments que je m'interdisais et où j'avais l'impression de perdre pied. Je dirais que c'est à cette époque-là où je... J'étais tellement dans le stress du bac et dans ce stress, ce perfectionnisme, ces révisions. Ça me prenait tout mon temps que peut-être que j'avais besoin de lâcher dans ces moments-là où je m'autorisais à manger. Et après, je le regrettais terriblement. Et je n'avais pas peur de grossir aussi. Je me souviens d'avoir un... Parce que je me souviens... Enfin, moins on mange, plus notre métabolisme se ralentit. Donc du coup, si jamais j'avais des périodes où je me remettais à manger un peu plus... J'avais l'impression de prendre du poids de fou ou d'être lourde ou d'avoir mal au ventre. Pareil, je remesurais mes poignets, mes chevilles, mes cuisses.
- Speaker #0
C'est vrai qu'on n'a pas parlé de ton poids. Du coup, ça veut dire que c'est quand même une longue période de 10 ans d'anorexie.
- Speaker #1
Alors écoute, j'ai dû stopper ma croissance. Du coup, on voit sur ma courbe. J'ai regardé il n'y a pas longtemps parce qu'on a des suivis de croissance pour mes enfants. Donc, j'ai dû regarder mes courbes de croissance. J'ai eu une cassure dans ma courbe de croissance vers 7 ans, 7-8 ans. Ah ouais ? Voilà, c'est dû à mon héméthophobie et mon début de... Donc ça a cassé ma croissance, mais après on va dire que j'avais un poids... J'étais toute menue. J'étais pas... Enfin, je sais pas ce qu'on peut... J'étais pas maigre, j'étais pas en sous-poids, mais j'étais vraiment toute menue. Voilà. Et je maintenais un poids comme ça jusqu'à mes 17-18 ans. Et ça a vrillé quand je suis partie faire mes études toute seule, où là, je suis devenue encore plus rigide avec mon alimentation, parce que j'avais pas besoin de manger avec mes parents. Parce que je pense que vers la fin de l'adolescence, j'essayais de donner le change, de faire genre. Je mangeais, je pouvais cacher de la nourriture dans mes serviettes, les trucs, voilà. Je n'avais pas de chien à l'époque, donc je ne donnais pas aux chiens. Mais je me souviens que je donnais le change à mes parents pour qu'ils me lâchent un peu la grappe. Et par contre, quand j'ai commencé à vivre toute seule pour mes études, ben là, ça a vrillé parce que j'ai complètement restreint mon alimentation. Et là, je sais que j'ai perdu pas mal de poids à ce moment-là.
- Speaker #0
Ok, t'avais quel âge à ce moment-là ?
- Speaker #1
18-19. Ouais,
- Speaker #0
juste après le bac, t'es partie en fait.
- Speaker #1
Juste après le bac, je suis partie. Et j'ai commencé des études de kiné. Alors je devais avoir 19 ou 20, je ne sais plus, ma première année de kiné. Où là, je mangeais tous les jours la même chose. Je pourrais te citer mon repas, c'est affligeant. Et je me souviens que j'ai perdu énormément, énormément de poids. Je suis descendue à, je crois, 38. 38 kilos. Et là, j'ai dû arrêter mes études parce que j'ai dû être hospitalisée pour cause de sous-poids parce que je faisais des malaises à répétition. Mais du coup, ça signe plus ou moins la fin de ma période pure anorexie, on va dire. Ok. Cette hospitalisation-là.
- Speaker #0
En fait, il y a eu un tout petit peu de... C'est même pas de l'hyperphagie, c'est juste...
- Speaker #1
J'ai goûté de l'achat, j'en vais dire.
- Speaker #0
Voilà, il y a eu une mini-phase comme ça autour du bac, puis une reprise en puissance du contrôle une fois le bac en poche est parti pour les études supérieures.
- Speaker #1
Oui, parce que j'avais l'impression que je pouvais gérer de fou. Ben oui, du coup, là,
- Speaker #0
il n'y avait plus de limites extérieures. Et donc là, ton corps lâche, hospitalisation. C'est une longue hospite ?
- Speaker #1
Quatre mois, je crois.
- Speaker #0
C'était un service spécialisé ?
- Speaker #1
Non, c'était parce qu'il y avait une urgence. Donc, j'étais dans un service qui n'était absolument pas spécialisé. Je me rappelle, c'était une clinique plutôt pour dépressifs, pour personnes dépressives. Et je devais être la seule anorexique là-dedans. Et c'était à l'époque où on enlevait les lacets. Je n'avais plus rien. Je n'avais plus mon téléphone. J'avais un espèce de Walkman, je crois, à l'époque encore. Enfin, un truc où j'écoutais de la musique. Peut-être un lecteur MP3, je ne sais plus. Je n'avais plus rien du tout. J'avais les toilettes de fermé. Et pendant cet hospice, je me rappelle que j'avais les plateaux repas et j'avais pas eu la sonde au départ. J'avais les fortimels, je sais pas si on en a l'air de dire des marques, on s'en fout. C'est l'espèce de truc où j'avais midi, en milieu de matinée j'avais ça à manger et j'avais l'après-midi. Donc j'avais deux collations plus les trois repas et j'ai perdu 4 kilos les deux premiers mois que j'étais là-bas. C'est-à-dire que j'avais une alimentation qui était normale puisque je mangeais les plateaux. qu'on me donnait, parce que je voulais sortir. Donc je voulais atteindre, il m'avait dit qu'il me laissait sortir à 40 kilos. Et je voulais atteindre ce poids-là, et mon corps, c'est comme s'il refusait de prendre. Je perdais du poids. Donc il me fliquait, j'avais quelqu'un qui m'observait quand je mangeais, les toilettes étaient fermées, il voyait bien, de toute façon j'étais incapable de me faire vomir. Donc ça, je ne l'ai toujours pas compris, comment ça a été possible que je descende si bas en remangeant. Je ne sais pas le métabolisme, comment il est fait, mais... Ce serait intéressant,
- Speaker #0
effectivement, il y a quand même des trucs hyper bizarres. À la fois, c'est pareil, il y a plein de personnes qui se disent, parce que c'est très juste ce que tu disais tout à l'heure, moins on mange, plus le métabolisme se met, tu vois, on pose, on consomme très très peu, le corps il est sur le minimum. Et pourtant, on observe aussi qu'il y a quand même plein de personnes qui souffrent d'anorexie et qui au moment où elles remangent, galèrent à prendre du poids. Alors, reperdre, c'est vrai que ça, je l'ai assez peu entendu. Mais sur le fait que le poids, il n'augmente pas au début. Et puis, certaines personnes racontent aussi que derrière, ça part d'un coup,
- Speaker #1
tu vois. Moi, ça a été le cas. Derrière, ça a parti.
- Speaker #0
C'est fou. Les mystères du corps humain,
- Speaker #1
quoi. Ces deux premiers mois-là, ça a été très, très compliqué à vivre parce qu'avec le personnel soignant, j'avais une sensation d'être jugée. Je les entendais parler dans le couloir. Ah, tu vas... Je ne sais plus quelle chambre j'avais, mais tu vas à la 37. Bon courage. C'était... Il y avait juste une dame qui était gentille avec moi. C'est la dame qui faisait le ménage dans ma chambre. Parce que j'étais enfermée dans la chambre. Je ne pouvais pas sortir. J'étais enfermée dans cette chambre et j'avais les plateaux qui arrivaient. Et c'était vraiment... J'avais l'impression d'être gavée, quoi. D'avoir aucune stimulation. Je sais que j'avais des feuilles et je pouvais dessiner ou peindre. Je me rappelle que je peignais. Mais ouais, c'était rude. C'était une des périodes de ma vie où j'étais... Et j'ai quelques vagues souvenirs. Ce n'est pas des choses qui me hantent. Parce que voilà, maintenant, j'y pense... Mais ouais, c'était rude. Et le fait de... perdre du poids, c'est-à-dire que je montais sur cette balle et je me gavais d'eau avant d'y aller. J'essayais de boire, j'essayais de mettre des couches de vêtements pour que quand je me pèse, j'ai pris 20 grammes. Mais non, ça descendait, c'était affligeant.
- Speaker #0
Incroyable. Et alors du coup, comment ça s'est passé ? Je veux connaître la suite. Du coup, ils t'ont gardée ? Parce qu'en fait, il y avait ce contrat de poids, donc comment ?
- Speaker #1
J'ai réussi à sortir sans ça. À un moment donné, je ne sais plus comment j'ai réussi à passer un coup de fil à mon père. Je ne sais plus comment ça s'est goupillé, ça. J'ai réussi à appeler mes parents. Et j'ai supplié mon père de me sortir de là. J'étais en larmes. Et il a fait appel à mon médecin traitant. Et qui a réussi à me faire sortir de ce truc-là. Et donc, je suis rentrée à la maison. Je faisais 35-36 kilos. Et c'est là, précisément là, que les crises d'hyperphagie ont commencé. Alors, on peut peut-être parler de boulimie parce que... Alors, je ne me faisais pas vomir, jamais. Mais j'avais une compensation. C'est-à-dire que je pouvais utiliser le sport à outrance à l'époque. et j'avais eu des prises de laxatifs, j'avais des choses comme ça. Plutôt le sport, on va dire.
- Speaker #0
Oui,
- Speaker #1
donc effectivement. C'est là que les crises ont commencé. Et c'est là que je suis tombée au plus bas moralement, finalement, parce que je n'avais plus du tout la main sur ce que je mangeais et j'ai des souvenirs de moi après des crises, parce que j'étais seule. Je m'allongeais dans le jardin et je pleurais et je voulais partir, vraiment. Je voulais partir dans ces moments-là parce que ça m'était insupportable. donc ça c'était un des moments les plus difficiles je dirais cette période là mais j'ai repris mon poids je suis remontée je crois jusqu'à 45 kilos en un temps record en 4-5 mois et le pire c'est l'entourage qui est oh Caro t'as repris du poids ça va mieux et moi je suis là je suis à l'intérieur je suis je suis en vrac je suis je supporte plus la vie ouais c'est vraiment
- Speaker #0
C'est important que tu le nommes ça. Je ne sais pas si des proches écoutent ce podcast, mais c'est vraiment quelque chose qu'il faudrait que les proches comprennent. Mais les proches, mais aussi les médecins, parce qu'il y a aussi plein de monde dans le milieu médical qui s'accroche au poids sur les troubles alimentaires et que je suis d'accord avec toi. Moi, c'est aussi comme ça que je l'ai vécu et c'est ce que j'entends tout le temps, en fait. Le pire moment, c'est celui-ci. Et je pense que le risque suicidaire, c'est vraiment là qu'il est le plus élevé.
- Speaker #1
C'est là, oui. Parce qu'on a l'impression que notre vie nous échappe, on a l'impression que toutes nos barrières de sécurité sont plus là et qu'on n'a plus la main sur rien. Et c'est trop difficile quand on s'est construit toutes ces barrières de voir que c'est comme si on a une deuxième personne à l'intérieur de nous qui va manger de manière incontrôlée. Et c'est terrible de vivre avec ça. Et du coup, je pense que c'est le moment où on devrait être le plus accompagné. Parce que c'est le moment où on est le plus en détresse et le plus fragile finalement. Dans les phases anorexiques, on n'a pas envie d'aide. On dit ça va, je gère très bien toute seule.
- Speaker #0
Oui, le déni est tellement énorme. Oui, c'est un truc de fou.
- Speaker #1
Et là, c'était la période où j'étais la plus fragile, on va dire.
- Speaker #0
Ok. Et tu parles de cette reprise de poids en 4-5 mois. Et derrière ça, ça s'est stabilisé ? Comment ça s'est passé ?
- Speaker #1
Je dirais que ce poids-là, je l'ai gardé 45. Je l'ai gardé pendant quelques années. C'est assez stabilisé. Comment j'ai vécu après ?
- Speaker #0
Les crises se sont arrêtées ?
- Speaker #1
Non, non, non, non. Les crises ne se sont pas arrêtées, mais j'avais le moyen de compenser. C'est-à-dire que je ne prenais plus de poids. Arrivé à ces 45 kilos, je ne sais pas, le corps a dû dire c'est OK pour moi de vivre à 45 kilos. J'accepte cette barrière-là. Et du coup, je crois que je mangeais une fois par jour, mais c'était une crise par jour. Donc, en termes d'apport alimentaire, ça devait être désastreux. puisque je crois que j'étais plutôt axée sur le sucré donc ça devait être, je ne sais pas comment j'ai fait pour ne pas développer de diabète mais pendant 2-3 ans j'ai dû faire un repas par jour, une crise par jour et par contre il fallait quasiment, je me souviens, je me revois sur ce vélo d'appartement, il fallait que j'aie éliminé la crise que j'allais faire en amont c'est à dire que je faisais du vélo à jeun il devait être 15h, je m'envoie à 15h faire mon vélo et machin et je m'arrêtais quand je pouvais faire ma crise C'est-à-dire que je devais mériter ma crise.
- Speaker #0
Ok. Et tu mesurais ça comment ? Qu'est-ce qui te permettait de dire « Ok, je peux faire ma crise » ?
- Speaker #1
Je ne sais pas. Je crois que c'était à hauteur de 500-600 calories que je l'éliminais. Et puis, je devais manger un peu plus sûrement, mais je me disais qu'à 500-600, j'avais le droit.
- Speaker #0
Ok. Oui, tu avais trouvé un... C'est horrible à dire. J'ai envie de dire que tu avais trouvé un équilibre dans une vie totalement déséquilibrée. Non, mais c'est ça la boulimie. C'est trouver l'équilibre le plus foireux qu'il soit, mais c'est une forme d'équilibre, en fait, entre ce qui sort, avec des petits couacs, des fois, où il y a des phases où tu prends du poids parce que, en fait, t'arrives moins bien à gérer, à éliminer. Mais c'est ça, c'est terrible.
- Speaker #1
Et on n'a pas de vie dans ces moments-là. C'est-à-dire qu'on ne vit que pour la nourriture. Je ne voyais personne. Je me suis coupée de tous mes amis, de ma famille, et je n'avais plus rien. Ma vie, c'était... Quand j'y repense, je me dis, ouais. Ma vie, c'était la bouffe et c'était comme en mode automatique.
- Speaker #0
Comme si j'étais un robot, en fait. Et je ne vivais que pour ça. Mes pensées n'étaient que pour ça. Je pouvais regarder des recettes à longueur de journée. Je pouvais fantasmer sur ces recettes. Je pouvais regarder des... À l'époque, il y avait d'ailleurs des blogs de filles qui comptaient leurs calories, qui surveillaient leur poids. Je devais regarder ça quand j'étais pas bien. Quand j'y repense, je me dis, waouh, ma vie n'était pas palpitante à ce moment-là.
- Speaker #1
Tu n'avais pas repris tes études en sortant ?
- Speaker #0
Si. J'ai repris mes études. Au bout de ces 4-5 mois, j'ai repris mes études. J'ai changé de cursus. J'ai pris des études un peu moins, on va dire, challengeantes. Je me suis rendu compte que quand j'étais en études de kiné, mon corps m'a lâchée parce que j'avais un rapport au corps qui était compliqué. Et le fait qu'on me touche ou le fait de toucher les autres, ça m'était insupportable. Et il faut le dire, en études de kiné, tous les matins, on a des cours théoriques et tous les après-midi, on a de la pratique. C'est-à-dire que pendant deux heures, on se fait masser ou on est en sous-vêtements. Et pendant deux heures après, c'est nous qui faisons sur l'autre cobaye. Donc, ça m'était très, très compliqué. Donc, ce côté-là, ce côté rapport au corps et rapport aux autres, trop de proximité, je ne me projetais plus du tout dans le métier de kiné. Je savais que je voulais faire un métier dans l'aide à la personne, dans le soin, mais ce métier de kiné ne m'allait pas. Je ne me projetais pas là-dedans parce que j'étais trop à vif avec mon corps pour ça. Donc, je me suis réorientée et j'ai repris mes études. Et je me souviens que pour mes études, je faisais un repas par jour le soir de crise. Je faisais plusieurs... Tous les jours, je n'avais pas de stock à la maison. Tous les jours, je faisais deux magasins en rentrant des cours. On voit que ça se voit. Et voilà, je rentrais, je mangeais. et après il y a la phase, après la crise il y a la phase de culpabilité où on se dégoûte, où on se sent nulle, où on dit plus jamais demain, et puis le demain recommence parce que quand on se lève on a la nausée donc on mange pas, on a pas faim, le midi je mangeais pas parce que je révisais mes cours parce que je savais que le soir j'allais pas être hyper performante et le soir c'était mon moment à moi, rien qu'à moi où je faisais ça c'est ça qui est hyper piégeant aussi je trouve cette croyance de ce moment j'en ai besoin,
- Speaker #1
il y a plein de personnes qui abordent la guérison de la boulimie avec la peur du manque des crises. Ben ouais, mais c'est mon moment, c'est là où je relâche, c'est là où, tu vois, cette croyance que c'est un moment à toi, alors qu'en fait, c'est juste créé par tout le reste.
- Speaker #0
Eh ben, la dernière crise, parce que j'ai eu une époque de... Voilà, je me suis... Ça s'est amélioré au fil des années, on va dire, avec le temps. Je sais que la dernière crise que je n'arrivais pas à enlever, c'était la crise du lundi soir. Parce que le week-end, je devais partir, je ne sais pas si j'allais chez mes parents à l'époque ou si j'allais chez des amis, enfin peu importe, mais je n'étais pas souvent chez moi le week-end. Et j'avais cette frustration des repas imposés du coup, j'avais cette frustration d'avoir été avec des gens, peut-être que mon, comment on appelle ça, ma jauge sociale était atteinte. Et du coup, le lundi soir, je ne mangeais pas le lundi et le lundi soir, c'était crise. Et à partir du moment où j'ai conscientisé, je me suis dit mais... cette crise c'est un besoin de liberté, est-ce que c'est obligé que ça passe par la nourriture ? Et ça, voilà, j'ai réussi à enlever cette crise comme ça. Pas en voulant l'enlever, en disant non je contrôle, ou en comptant les semaines, en cochant les semaines sans crise, c'était pas du tout un truc comme, il y en a souvent qui comparent ça à de l'addiction, c'était pas vraiment ça, c'était à partir du moment où j'ai conscientisé le besoin que j'avais derrière, j'ai pu l'enlever.
- Speaker #1
Ok.
- Speaker #0
Parce que j'avais compris pourquoi je faisais ça. Ouais. Mais bon, il a fallu que je grandisse et que j'ai le recul d'observer. Oui,
- Speaker #1
et puis j'imagine que là, tu dis que c'était la dernière crise que tu n'avais pas enlevée. Donc, ça veut dire que tout le reste que tu as enlevé, tu l'avais bien. Donc, justement, ça m'intéresse. Quand est-ce que tu as commencé à aller mieux au niveau de la boulimie ? En fait, je ne sais pas du tout comment ça s'est passé pour toi. Est-ce que tu as demandé de l'aide ou pas ? Comment ça s'est passé ?
- Speaker #0
Je sais que j'ai demandé de l'aide. J'avais un suivi. Alors, je vais peut-être... Je ne sais pas, j'allais voir un psychiatre à l'époque. J'avais un psychiatre, il fut un temps. Après, j'ai eu un psychologue. Enfin, j'ai eu de l'aide psychologique qui ne m'ont pas vraiment hyper aidée, je dois dire. Certainement que si, mais sur le coup, la personne en face ne parlait pas, n'alignait pas un mot. Elle griffouillait sur son carnet et faisait des « hum hum, hum hum » . Et moi, ça m'insupportait. Je disais « mais ça ne sert à rien » . J'étais dans une colère folle, mais ça m'a sûrement aidée à aller chercher à l'intérieur ce qui se passait. Mais ouais, cette non-communication à l'époque, je me disais, mais ça me rendait folle. Mais j'y allais quand même, parce que je me disais, il faut bien chercher quelque chose. Comment ça... Alors je dirais, comment est-ce que j'ai fait pour... J'essaie de me rappeler, parce que c'est... Le processus n'est pas très clair. Ce qui m'a aidée, c'est mes stages. Ah oui, alors ça, j'étais dans un cursus... Comment on appelait ça ? Un DUT en recherche pharmaceutique, peu importe. Dans mon cursus, j'avais six mois de stage à faire. Et pendant mes stages, j'avais un poids quasi normal. J'étais toute maigrichonne, mais ça ne faisait pas malade. Avec mes crises, j'arrivais à avoir un côté presque normal. Et je me souviens que je ne voulais pas qu'on voit que j'avais un problème avec l'alimentation. Pour moi, c'était comme une tare. En fait, je me disais, mais si les gens perçoivent ça, ils vont me juger. Ils vont me juger pas apte à travailler ou ils vont se dire, ils vont me trouver bizarre. Ils vont pas m'approcher. Et j'arrivais à donner le change la journée. J'étais très souriante, très blagueuse. J'avais un contact facile avec les gens que j'arrivais à construire comme ça. Et du coup, le midi, je mangeais avec eux. Donc, j'avais réintégré un repas du midi. Et mine de rien... Quand on intègre un repas, on a moins faim le soir, donc on va pas... La crise n'était plus systématique le soir. Et puis des fois, les collègues disaient « Tiens, on va boire un verre là » . Eh bien, j'allais avec eux. Pas à chaque fois, mais les premières fois où je suis allée, je me suis dit « Ça se trouve, je peux avoir une vie normale moi aussi » . Et en fait, je me suis comme ouverte aux autres, alors dans le contrôle toujours, parce que j'étais... C'était comme ce phénomène de suradaptation, c'est-à-dire que j'essayais quand même de me calquer aux attentes des autres, donc j'avais comme un « le » , j'avais comme un masque. de la Caroline joyeuse, la Caroline qui a toujours la petite blague, le petit truc. J'étais un peu comme ça. Mais ça me plaisait d'avoir le retour et de me dire que j'étais intégrée dans une équipe, qu'on m'invitait à boire un verre, que le midi, tiens Caro, tu viens manger avec nous. Et ce côté-là, je me suis dit, je pourrais avoir une vie normale. Et c'est à partir du moment où j'ai conscientisé que je n'étais pas qu'un trouble alimentaire. Je n'étais pas qu'une personne complètement... J'ai souvent répété cette phrase-là, que moi, j'étais une handicapée de la vie, que je ne savais pas comment vivre et comment être heureuse. Et là, c'est comme si je goûtais, même si c'était peut-être un masque au départ, ou la méthode Coué, je vais bien, tout va bien, peu importe. J'ai goûté ça, ce côté, je peux avoir des interactions sociales et je peux être quelqu'un en dehors des troubles alimentaires. Et c'est finalement pas si mal que ça.
- Speaker #1
C'est finalement pas si mal que ça.
- Speaker #0
Ouais.
- Speaker #1
Parce que j'avais qu'une projection.
- Speaker #0
Oui, j'avais besoin d'être rassurée sur le monde qui pouvait m'entourer, sur le fait que je n'allais pas être blessée, que je pouvais avoir confiance en les autres. Et finalement, je ne m'ouvrais pas complètement, mais j'ai fait ce premier pas vers les autres. Et je me suis dit, je ne suis peut-être pas si handicapée que ça de la vie.
- Speaker #1
Ok, et c'est ce pas vers la vie, on va dire ça comme ça. qui, mine de rien en plus, a pu avoir des petits effets sur des crises qui n'étaient plus forcément systématiques. Et c'est ça, tu dirais, qui a déclenché l'idée que, non seulement tu n'étais pas que le trouble alimentaire, mais que peut-être tu pouvais en guérir ?
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Parce que, je ne t'ai pas posé cette question, mais là j'ai envie de te la poser, sur les années précédentes, que ce soit l'anorexie, ou même là les phases de boulimie intenses, est-ce que tu croyais en la guérison du trouble alimentaire ?
- Speaker #0
Pas du tout. Pas du tout, parce que je me disais que j'allais finir comme ça. Et j'ai eu cette phrase magnifique du psychiatre, la première hospitalisation, là où je suis sortie contre la vie médicale grâce à mon papa et à mon médecin traitant, qui a dit à mon père devant moi, vous feriez mieux de lui mettre un flingue tout de suite dans les mains, ça serait plus rapide. Et j'avais 19 ans à cette époque-là. Et c'est resté, cette phrase-là est restée. Et plusieurs années après, je sais que... Quand je m'en suis plus ou moins, que je vivais normalement, je me suis dit, il faudrait que j'envoie une petite carte postale ou un truc pour dire, les gars, je suis en vie et je ne suis pas si mal maintenant.
- Speaker #1
Tu ne l'as jamais fait ?
- Speaker #0
Non, je ne l'ai jamais fait. C'est vrai qu'il faudrait que je réécrive.
- Speaker #1
Mais attends, tu vois, moi, je me dis, ces gens-là, ces gens-là exercent, ces gens-là sont médecins, médecins psychiatres au calme. Je dis ces gens-là parce que ça me fait penser aussi à des soignants que j'ai rencontrés.
- Speaker #0
Mais cet hospice-là, elle a été très rude. Et ça ne m'a pas aidée à avoir confiance dans le personnel soignant, dans le fait qu'on pouvait m'apporter de l'aide. Donc je ne me suis absolument pas ouverte en thérapie pendant cet hospice-là parce que je voyais qu'on ne voulait que me gaver pour atteindre un chiffre pour pouvoir me laisser sortir et être débarrassée de moi parce que j'étais peut-être trop difficile à comprendre ou que je sentais que j'étais jugée comme manipulatrice. Parce que troubles alimentaires, souvent, on est jugée comme « Ah ben elle, elle manipule, elle va se faire vomir en cachette, c'est obligé » ou « Elle jette son plateau par la fenêtre » . Comment elle fait pour perdre du poids avec tout ce qu'elle mange ? Donc on est... J'ai été jugée comme des menteuses. Et ça ne m'a pas aidée, cet hospice-là. Par contre, j'ai vécu une deuxième hospice. Alors là, c'est moi qui l'avais demandé. Et c'était en période où j'étais plutôt boulimie, hyperphagie. Alors, hyperphagie, c'est quand je ne compensais plus. Quand je ne faisais plus mon sport avant. Je pouvais faire une crise par jour, mais c'était plus de l'hyperphagie parce que je n'avais pas de compensation. Mais j'avais quand même cette phase d'énorme culpabilité derrière. Et j'ai eu une deuxième hospice à ce moment-là, qui a duré... 4-5 mois, et là, dans un service adapté, et là, incroyable. Un personnel soignant à l'écoute des activités. J'avais mon téléphone, je pouvais écouter de la musique, j'avais de l'art-thérapie. J'avais même, ils faisaient une thérapie dans la piscine, c'est-à-dire qu'on allait en maillot de bain, on prenait des photos de soi, on s'observait sur photo, parce que le regard change sur une photo. Enfin, c'était adapté, quoi. Il n'y avait pas à dire, c'était adapté. Et là, cette hospice-là, elle m'a fait beaucoup avancer. Même si je dois dire, alors je pense qu'il y en a pas mal qui se reconnaîtront là-dedans, quand on est hospitalisé dans un service adapté, l'inconvénient, je dirais, c'est qu'on fait des repas avec des personnes malades comme nous. Et il y a cette espèce de... T'as vu, elle a mangé... Et ce truc, ça bloque pendant les repas. Il y a plusieurs personnes qui sont venues me voir et qui m'ont dit c'est vrai, quand on est en hospice de jour et qu'on a les repas en commun... C'est compliqué ce jugement entre personnes. Elle n'est pas si malade, tu as vu ce qu'elle mange ?
- Speaker #1
Oui, mais c'est marrant que tu dises ça. Le dernier épisode de podcast que j'ai enregistré en mode témoignage aussi, justement, la personne me disait à quel point elle me parlait de... Un peu comme toi, il y a eu des hospices catastrophiques et puis il y a eu une hospice qui a été super aidante dans un service spécialisé. Et elle me parlait du fait qu'il y avait plein d'autres personnes qui vivaient la même chose qu'elle. Et je lui disais, mais... Ce n'était pas un frein quelque part, tu vois, un peu la course à la maigreur, être la plus maigre et tout ça. Et là, elle ne me disait pas du tout. En tout cas, elle, elle ne l'a pas vécu comme ça. Et j'étais très étonnée parce que je suis d'accord avec toi. À mon sens, c'est un peu ce qui pose problème ou quoi.
- Speaker #0
Oui. Alors moi, je l'avais mal vécu. Je l'ai pris comme un frein parce qu'en fait, j'étais à un poids normal à ce moment-là. Je n'étais pas hospitalisée parce que j'étais en danger pour mon corps. J'étais hospitalisée parce que ma tête était en crise, parce que je ne voulais plus vivre comme ça, parce que je ne voulais plus subir mes crises. Et du coup, j'étais la grosse du service, quoi. La meilleure voix normale.
- Speaker #1
Mais oui, mais c'est terrible.
- Speaker #0
C'était quitter ce truc-là. Enfin, ça m'a aidée, dans un sens, à ne pas être comme les autres, à peut-être pas m'identifier à ce trouble-là et à peut-être quitter ce costume d'anorexique, je dirais. Parce que c'est un costume.
- Speaker #1
Pardon.
- Speaker #0
Non, non.
- Speaker #1
Ça ne t'a pas rendu nostalgique, justement ? Moi,
- Speaker #0
je trouve que c'est un peu... Je me disais, j'étais quand même mieux quand je pouvais faire le tour de mes cuisses avec mes... Mais je pouvais faire plus de choses. Après, je me disais, moi, j'ai un travail qui m'attend. Parce que j'avais fait une pause dans mon emploi pour faire ça. Et je me disais, moi, je connais autre chose. Je les voyais qui étaient quand même emprisonnés dans leurs troubles. Et quelque part, même si des fois, j'étais nostalgique de cette maîtrise que j'avais pu avoir avant, Je me disais, est-ce que c'était si bien que ça quand t'étais emprisonnée là-dedans ? Est-ce que t'étais heureuse ? Est-ce que t'étais en vie ? Non, j'étais en survie. Et de quitter ce truc-là, de me dire, je peux être autre chose que cette personne dans les troubles alimentaires, que cette personne... J'avais plus besoin, moins besoin d'être maigre aux yeux du monde, d'être différente comme ça, via ça.
- Speaker #1
Ok, mais c'est... Waouh ! En fait, j'allais te dire bravo aussi pour, tu sais, cette prise de recul que t'es capable d'avoir sur le moment. Parce que c'est hyper difficile de ne pas romantiser l'anorexie, en fait, tu vois, et d'être capable de se dire, mais attends, genre, quand je suis dans cette phase-là, j'ai juste pas de vie, j'ai rien du tout, tu vois, d'être capable de prendre ce recul-là.
- Speaker #0
Ouais, je sais pas comment c'est venu, mais ouais. Après, voilà, j'avais des moments où j'étais pas bien, où je refusais ce corps-là qui était normal, et je me disais, mais qui je suis si j'ai un corps normal ? Qui je suis si je suis plus anorexique ? Ça, c'est la phase dans la guérison qui est compliquée. Qui je suis ? Qu'est-ce que je suis venue faire ici ? Qui je suis si je suis plus maigre ? Comment je suis à la société ? J'avais une certaine révolte quand j'étais plus jeune de la société, finalement du monde adulte, et je me disais si je leur renvoie plus ça à la tronche, comment je peux vivre ? C'était comme une vengeance quelque part que j'avais développée. En me maltraitant moi-même, en montrant ma maigreur, je montrais le mal qu'on m'avait fait et peut-être mon opposition au monde des adultes. Quelque part, ça devait se jouer un peu là-dessus. Et après, il a fallu que je me reconstruise en me disant qui je suis sans ça.
- Speaker #1
Ça me rappelle tellement une personne que j'ai accompagnée il y a quelques temps, il y a quelques années. Je ne sais pas si elle écoute les podcasts, mais je suis sûre que ce que tu viens de dire la touchera énormément si elle écoute en fait une jeune femme qui a vécu de l'inceste de la part de son père pendant longtemps, longtemps, longtemps, tellement longtemps. Et en fait, l'anorexie qu'elle s'infligeait à elle-même, c'était un moyen de montrer au monde qu'elle était victime. de cet homme-là, parce qu'il y avait différentes choses qui faisaient qu'elle n'était pas suffisamment reconnue comme victime, que ce soit par la justice, la société, mais même certains membres de la famille. Et du coup, c'était sa réponse de dire, mais voilà, je suis victime, et du coup, si je guéris de l'anorexie, ça veut dire quoi, en fait ? Tout ça, ça ne s'est jamais passé, tu vois ? Un truc hyper piégeant. Oui,
- Speaker #0
complètement. Mais je pense que dans les phases de guérison, ce qui est important, Et en ça, les hospices qui sont bien, on va dire que c'est les hospices qui vont ouvrir le champ de l'art-thérapie, de la danse, de la musique, de faire goûter, finalement faire goûter la vie à quelqu'un qui n'est plus en vie. Parce que quand on est dans un trouble alimentaire, on n'est plus en vie, on est en survie et on est comme en mode automatique et on ressent plus rien. Moi, je sais que je n'avais plus d'émotion. Alors, c'était tranquillou, je ne ressentais plus d'émotions. Mais quand j'ai commencé à regoûter la vie, j'ai commencé à me dire, OK, c'est ça les émotions, c'est ça se sentir bien, c'est ça pleurer, c'est ça... J'étais à vif, j'ai eu une période où j'étais à vif, mais je trouve que les hospices qui sont bien, c'est celles qui font regoûter à ça. On teste la peinture, on teste... Et comment je suis quand je peins ? Comment je suis quand je chante ? Qu'est-ce que ça fait dans mon corps ? OK. Et regoûter à ça, je trouve que ça... Enfin, je trouve que ça a beaucoup de résultats par rapport à... Un truc où on fait juste gaver, quoi.
- Speaker #1
Oui, on ne peut pas dire que ce soit une vraie prise en charge, juste renourrir quelqu'un.
- Speaker #0
Pour moi, c'est répondre à des stats, de dire, bon, elle a repris 5 kilos, on peut sortir.
- Speaker #1
Je pense que les choses évoluent, les prises en charge évoluent. Je pense qu'il y en a de plus en plus qui sont comme celles que tu décris, avec vraiment une prise en charge globale. mais bon après c'est aussi lié à nos âges quoi on a à peu près le même âge toi et moi je pense que voilà il y a aussi la prise en charge d'il y a 20 ans qui était pas la même ok et donc du coup je suis curieuse j'ai envie de retourner tu vois en fait donc tu dis qu'il y a quelque chose qui t'a ouvert en lien avec ton travail tes collègues de travail le fait en fait ça rejoint ce que tu viens de dire sur les hospices tu as regoutté la vie ?
- Speaker #0
La vie ouais complètement je me suis dit peut-être que ça en fait ça m'a ouvert une... porte, là où j'étais dans un sas avec toutes les portes fermées, enfermées dans mon truc, j'ai une porte qui s'est ouverte à me dire ça se trouve, il y a de la vie. Tu peux être en interaction, même si au départ, je dis pas que c'était tout ou rien, au départ, la journée avec mes collègues, le soir, il fallait que je sois seule parce que ça m'avait coûté d'être en interaction toute la journée ou de faire semblant d'aller bien, j'avais parfois besoin de pleurer pour décharger ce que je pouvais ressentir ou que je me sentais nulle, ou si j'avais... si je faisais une boulette au travail, c'était... J'étais en détresse le soir. Les personnes ne pouvaient pas soupçonner, je pense, que j'étais dans un tel état de détresse après avoir fait une mini boulette, oublié un échantillon ou autre. Moi, c'était un désastre parce que c'était tout mon monde qui s'effondrait si je n'étais pas performante pour mon travail. Mais ce truc-là, ça m'a permis de regoutter à la vie petit à petit et de voir que j'étais autre chose que ça. De me construire finalement. Alors, j'ai fui. de chez moi, je suis partie à 700-800 kilomètres. J'ai fui mes parents, le contexte familial, j'ai fui tout ça. Et c'est comme si je m'étais sauvée. Je me suis sauvée là-bas. J'ai eu besoin de partir loin pour me construire sur un mode neuf. Je ne sais pas si tu vois. Auprès de personnes qui ne me connaissaient pas. Et ça, ça m'a vraiment aidée. Parce que je n'avais pas ce regard des gens qui allaient se dire, tiens, elle a pris 5 kilos, ou elle a perdu 5 kilos. Ce côté sur mon corps, je ne l'avais plus. Tout le monde s'en fout finalement du corps des gens. Enfin, je veux dire, des fois, je me dis, mais est-ce que tes copines avec elles, parce qu'elles font 43 kilos ou est-ce que tes copines avec elles ? Non, c'est parce qu'elles sont drôles, c'est parce qu'elles me racontent des trucs, c'est parce que le poids, finalement, c'est presque futile, je dirais. Et donc, je me suis construite loin de chez moi, donc j'ai recommencé presque à zéro et ça, ça m'a aidée à m'en sortir. Parce que j'avais moins besoin de faire des crises, parce que plus j'allais dans la vie, plus j'avais des repas normaux, donc moins je partais en crise le soir, ou alors mes crises c'était, je mangeais une demi-tablette de chocolat à la fin de mon repas devant la télé. Et j'avais moins de culpabilité le lendemain, donc je recommençais moins la restriction. Donc, je n'étais pas...
- Speaker #1
Oui, ok. C'est la tendance, en fait.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Et est-ce que tu as réenclenché du soin en parallèle à ce moment-là ?
- Speaker #0
Alors, je ne me souviens plus. J'ai réenclenché du soin après quand j'ai rencontré mon conjoint actuel. Parce qu'avant, il faut... Avant, on va dire que je... J'acceptais les relations si c'était des personnes gentilles. Je ne sais pas comment dire. Je n'avais pas la flamme. Quand j'ai rencontré mon conjoint, je l'ai aperçu. J'ai su tout de suite que... Enfin, je ne sais pas. Il était tout lumineux. Je me suis dit, c'est lui. Il sera le père de mes enfants. Alors que je ne voulais pas d'enfants, à la base. Mais il y a eu un truc. J'ai ressenti vraiment un sentiment que je n'avais jamais ressenti pour quelqu'un d'autre. Et ça m'a mis en danger. Parce que j'ai eu peur de le perdre. Vu que c'était tellement intense et que j'étais tellement amoureuse, la peur du rejet ou de l'abandon s'est déclenchée chez moi. Donc là, j'ai commencé une période de soins avec une psychologue pour ça, à la base. Parce que ça a déclenché chez moi des peurs profondes qui sont revenues à ce moment-là.
- Speaker #1
Ok. Tu avais quel âge quand tu l'as rencontrée ?
- Speaker #0
Alors, j'avais 27 ans. Ouais, 27 ans. Ok,
- Speaker #1
donc c'était déjà terminé en fait les...
- Speaker #0
Quasiment. J'avais parfois, on va dire, des compulsions, mais c'était plus des crises. Et non, c'était quasi terminé. Ok. Mais je me souviens que je n'avais encore pas tout à la maison. Là, actuellement, j'ai trois enfants, donc je peux dire que les placards sont blindés de gâteaux, de tout. Donc j'ai tout à la maison et ce n'est pas pour ça que je vais faire des crises. À cette époque-là, je n'achetais rien parce que j'étais encore dans la... J'étais encore dans la peur. Je préférais rien avoir. Donc, quelque part, je n'étais pas si sortie du truc que ça. Mais voilà, j'avais une vie normale, mais j'avais quand même une certaine fragilité, un petit reliquat.
- Speaker #1
Il y avait une forme de restriction qui subsistait ?
- Speaker #0
Alors, ce n'était pas de la restriction, c'était de la peur de retomber dedans, je pense. OK.
- Speaker #1
Et ton mari, conjoint, il est au courant du fait que tu as vécu ton vie alimentaire ?
- Speaker #0
Oui, parce qu'il a appris quand il est venu chez mes parents. Et il y avait une photo de moi, je ne sais pas pourquoi, on avait fait cette fête de famille à cette époque. Il y a une photo de moi où je suis complètement décharnée, je fais 34 kilos, je suis un monstre. Et il me dit, c'est qui ? J'ai dit, c'est moi. Et là, waouh ! Ah ouais, d'accord. Mais ouais, je n'étais pas dans la vie. On voit bien sur la photo que je ne suis pas dans la vie. Je suis juste... Je suis une enveloppe, on va dire. Je suis présente, mais pas...
- Speaker #1
Et comment tu qualifierais ta relation aujourd'hui avec la nourriture et avec ton corps ?
- Speaker #0
Alors, avec la nourriture, c'est tellement plus un problème pour moi que ça ne... Ce qui me pèse, par exemple, c'est de devoir faire des repas un peu variés pour les enfants. Des fois, j'ai un... J'ai un moment où je me dis, oh, il faut encore faire à manger. Oui. Voilà, j'ai parfois ce côté-là, mais je pense que c'est toutes les mamans qui l'ont. Oui,
- Speaker #1
je confirme, je pense.
- Speaker #0
Mais ce n'est tellement plus un problème. Je suis hyper à l'écoute de ce que j'ai envie de manger. Je suis presque chiante de ce côté-là parce que des fois, je planifie des repas pour le week-end. On fait des courses et je planifie des trucs. Et au dernier moment, j'ai terriblement envie de manger autre chose. Eh bien, je vais faire autre chose à côté, quitte à me faire un truc à côté. Je vais être... hyper à l'écoute, comme un enfant capricieux. Tu vois, un truc... Je me suis trop restreinte. J'ai trop fait de... Non, j'écoute. Et j'ai pas de... J'ai plutôt une alimentation intuitive. C'est-à-dire que je vais m'écouter. Il y a des moments où j'ai pas faim, je vais pas manger. Et c'est pas pour ça que je suis en restriction où je me dis, ah, j'ai dû... Je ne compte absolument pas les calories, je ne regarde absolument pas ce que je mange. Et finalement, de laisser faire mon corps tout seul, me guider, j'ai une alimentation qui est plutôt saine. Sans chercher, des fois, j'ai des... Alors, avant mes... Au moment du cycle, avant mes règles, où j'ai envie de tuer la Terre entière 7 jours avant, je ne sais pas comment on appelle ça, le SPM. Le SPM, oui. Le truc à la mode. Là, j'ai remarqué que je mange plus de sucre dans ce moment-là. Mais ce n'est pas des trucs de fou, c'est juste que j'ai plus faim, et j'ai plus envie de sucre, et j'ai envie de voir personne. Mais c'est le cas de la majorité des gens. Et je ne me fais pas tout un monde en me disant, il faudrait que je compense, machin. Absolument pas. Et mon rapport au corps, je ne le trouve pas si mal pour mon âge. Voilà, je n'ai pas de... J'ai un corps qui est presque plus mince que quand j'étais en période d'hyperphagie ou de cas 26-27 ans. J'ai perdu tous mes kilos de grossesse sans chercher à les reperdre. Donc, mon corps, j'en ai fait un allié. Si j'avais un truc à dire, c'est que mon corps, au lieu d'en faire un ennemi, j'en ai fait un allié. Je suis à son écoute et pour l'instant, il me le rend plutôt bien. On a une bonne relation, lui et moi. J'ai comme fait la paix avec lui. J'ai eu une phase où je lui ai demandé pardon de ce que je lui avais fait subir, de toutes les restrictions que j'avais eues avec lui, de tous les gavages que j'avais pu avoir. Et maintenant, on est vraiment en paix. Et je sais que je suis venue sur cette terre. J'ai pris ce corps-là, on va dire. Je vais le traîner jusqu'à ma mort, le machin. Donc, autant qu'on soit potes et que ça se passe bien, plutôt que j'en fasse un ennemi et que j'essaye... Je dis souvent aux gens, c'est comme les... Un corps qu'on restreint, c'est comme un enfant hyperactif qu'on essaierait de cadrer à foison. Les gamins, il va péter un truc et il va être juste insupportable. On aura de plus en plus de mal à le restreindre et partir en restriction avec son corps ou en espèce de contrôle. À chaque fois qu'il y a du contrôle, finalement, on refuse la vie que nous transmet le corps. On refuse d'être en lien avec lui. On se croit plus fort, on croit que notre tête est plus forte. Pas du tout. Notre corps, c'est un allié. C'est en ça que j'ai travaillé sur mon corps comme ça. Après, je ne dis pas que j'aime toutes les parties de mon corps. Ce serait fou. J'ai la fesse un peu flasque. Je n'ai pas fait de sport depuis huit ans. Je suis dans un état de... Des fois, je me dis...
- Speaker #1
C'est important que tu dises ça, je trouve. Que tu dises que des fois, tu dis... Qu'il y a des parties de toi que tu n'aimes pas.
- Speaker #0
Les grosses cites au niveau de la poitrine, ce n'est pas fou du genou. C'est quand même un peu mieux, un peu plus tonique qu'avant. Mais mon corps, il a porté la vie, il a donné la vie, il me suit jusque-là, il a traversé tout ce que je lui ai fait subir, le gars, et il est encore là, quoi. Merci. Et puis, j'ai moins peur de vieillir, j'ai moins peur de... Je suis beaucoup moins attachée à mon physique, finalement. Je me dis, j'ai tellement d'autres choses à apporter. Parce que quand on cultive le corps qu'on ne cultive que le physique, finalement, on laisse tomber toutes les choses qu'on pourrait apporter. aux gens autour de nous, au monde, tout ce qu'on pourrait... Tout ce pour quoi on est fait, finalement. Et du coup, c'est comme... Ouais, c'est comme faire taire la vie qu'il y a en nous. Et je trouve de... Et j'accentue beaucoup plus maintenant sur ce que je peux apporter moi plutôt que mon corps. J'ai pris conscience que, ben voilà, ma copine, je l'aime pas pour son corps. Je vais rire, la Siri, qu'elle ait pris 3 kilos, qu'elle... Non ! Mon Dieu, qu'elle me fait rire quand elle me fait un vocal sur le truc, et qu'est-ce que je... Qu'est-ce que je la remercie d'être là dans les moments où ça va pas et où elle vient et où elle me dit... Elle me raconte une anecdote qui me fait mourir de rire.
- Speaker #1
C'est très juste. C'est joli tout ce que tu dis. Je pense que c'est hyper important. Je suis contente que tu le dises. Je suis contente de me dire qu'il y a plein de personnes qui vont écouter ça. Non, mais c'est vrai. C'est vrai, c'est vrai. Tout ça, c'est très juste. J'ai quand même envie de te poser la question, même si j'ai l'impression que tu as répondu à plein de moments, mais c'est aussi pour toi peut-être la possibilité de, si tu devais le résumer, qu'est-ce qui t'a le plus aidé, selon toi, sur ton parcours de guérison ?
- Speaker #0
De rentrer dans la vie. De faire semblant que tout allait bien. Quelque part, j'ai fui. C'est peut-être une lâcheté d'avoir fui ma famille parce que je n'arrive toujours pas à y retourner sereinement. Donc, c'est toujours un... Ça, c'est un truc qu'il faudrait que je travaille dans les années futures. Mais j'ai fui pour me sauver. Et j'en suis fière parce que si je n'avais pas fui, je ne serais pas là. Mais le fait d'avoir fui et d'avoir tenté de reconstruire quelque chose à neuf... avec un regard des gens qui ne m'impactait pas. Ça, ça m'a vraiment aidée de me dire que les gens ne s'attendaient pas à ce que je sois maigre. J'avais plus cette pression-là. Je sais que tout le monde ne peut pas se barrer à l'autre bout du monde pour dire à la dame, elle a dit qu'elle avait fui, que ça l'avait aidée. Quelque part, moi, c'est de travailler et de me dire que pour être performante dans mon travail, il fallait que j'ai un minimum mangé, de manger avec mes collègues le midi. d'apprécier les premières sorties avec eux, d'apprécier d'aller faire un karaoké un soir, alors que jamais auparavant j'aurais tenté ça, et de me dire, waouh, ça m'a fait vibrer, c'était cool, et qu'est-ce que j'ai ri, et c'est ça la vie. C'est pas juste, je vais, je suis beaucoup... Ça m'a aidée à ne plus être dans la représentation, finalement. Je me suis découverte petit à petit. Je ne me connaissais pas avant, je ne me suis jamais... connue finalement. J'ai traversé les troubles alimentaires toute mon adolescence. Donc ma construction ne s'est fait qu'au travers de ces troubles-là. Et j'ai appris à me connaître à l'âge adulte en fait. Et j'ai appris à me dire, en fait ouais, t'aimes chanter, t'aimes ça. Parce que des fois en thérapie, je me souviens dans l'hospite, qui était cool parce qu'elle était adaptée on va dire, et j'en disais, qu'est-ce que t'aimes faire ? Et j'étais là, mais je sais pas. Moi j'étais empêtrée dans mes « je dois, il faut » . Dans mes... je dois être performante, je dois travailler, je dois faire ça, je dois entretenir ma maison. Et je n'avais pas de qu'est-ce qui te fait plaisir, qu'est-ce qui te fait vibrer. Et en fait, j'aime lire, j'aime peindre, j'aime chanter, j'aime plein de choses, j'aime les plantes. Je suis une fan un peu trop de plantes, mais toutes ces choses-là, elles me montrent, elles font vibrer des choses en moi. que je ne peux pas ressentir quand je suis dans les troubles alimentaires et pour rien au monde, je n'y retournerais parce que maintenant, j'ai goûté à la vie finalement. Je n'ai plus peur d'être blessée, je n'ai plus peur des adultes, j'ai guéri cette part de moi et du coup, j'accepte d'être en vie. C'est comme... Oui, je m'en suis sortie parce que j'ai à un moment donné accepté d'être en vie. J'ai pris le risque de me décevoir en me découvrant quelque part parce que j'aurais pu être hyper déçue de... J'aurais pu ne pas vouloir aimer lire, ne pas vouloir aimer... Mais en fait, j'apprends à m'aimer petit à petit. Même s'il y a encore des parts de moi que je trouve reloues, même si j'ai encore un peu de contrôle sur certaines choses, notamment avec mes enfants, j'ai parfois du mal à lâcher. Mais plus je m'en rends compte, plus je lâche, plus je me dis que je vais être pas mal à la fin de ma vie.
- Speaker #1
Ouais, c'est un peu notre but à tous et toutes, je pense. C'est le chemin d'une vie. C'est hyper important ce que tu dis, tu l'as déjà dit tout à l'heure, il n'y a rien qui est parfait, et la guérison, elle ne sera pas parfaite.
- Speaker #0
Il y a chacun son chemin.
- Speaker #1
Et penser que la vie sera parfaite, et penser qu'on va absolument aimer notre corps, et que notre corps sera parfait, c'est rester dans la façon de penser des TCA, en réalité, non. Et pourtant, on entend aussi dans ce que tu dis, à quel point ça vaut mille fois le coup de sortir des TCA. Même si rien ne sera jamais parfait, ça n'a rien à voir.
- Speaker #0
Après, je pense qu'on ne peut pas sortir des TCA avec un plan alimentaire ou avec un... Je veux dire, moi, ce qui m'a aidée, c'est le travail sur mes émotions, c'est le travail sur mes blessures, c'est le travail sur mon insécurité, sur mes failles. Ce n'est pas du tout un travail de plan alimentaire et de prise de poids et de contrôle de crise ou de choses comme ça, ou de mettre un espèce de plan B à la place des crises. Non, c'est un travail sur... Je me mets à nu, je regarde qui je suis et j'avance avec moi-même. je me guéris et j'avance. Et c'est vraiment purement sur le côté émotionnel que j'ai guéri. Et les TCA sont des conséquences de cette faille et de cette fragilité émotionnelle, finalement.
- Speaker #1
C'est vrai. Oui, c'est vrai. Et à la fois, mais c'est presque surprenant parce que je repense à la période charnière que tu décrivais avec tes collègues. Tu étais capable, par exemple, de manger le midi avec eux.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Parce que malgré tout, t'étais restée dans ton fonctionnement ultra rigide de non, je ne mange pas le midi, je fais mes crises le soir et tout, je pense que ça aurait été compliqué d'aller travailler sur le côté émotionnel.
- Speaker #0
C'était purement un but d'être acceptée, de ne pas être rejetée. Je veux dire, je dois faire comme si j'étais normale. C'était hyper dur parce que dans ma tête, chaque bouchée était compliquée et chaque truc. Et si quelqu'un ramenait un gâteau, c'était compliqué de dire non à tout ça. Donc, petit à petit, j'ai regoutté, j'ai remachin. Et je me suis rendue compte que quand je mangeais une part de gâteau le midi, du coup, c'était... Ah tiens, ça me vient, ça. Je me souviens que j'ai réintégré des choses le midi, après. Quand j'ai commencé à faire ça, finalement, je me disais, si je dois manger un gâteau, je vais l'amener le midi, parce que je sais que ça dérape pas. Parce qu'après, j'ai retrouvé ça au labo. Oui,
- Speaker #1
très bien.
- Speaker #0
Ça, je me souviens, ça s'est revenu. Mais en fait,
- Speaker #1
c'est ouf, parce que toute seule, dans ton coin, t'as trouvé des outils.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Tu vois, c'est assez intuitivement.
- Speaker #0
Je n'ai jamais été quelqu'un de compétent dans les troubles alimentaires ou autre. J'ai vraiment suivi des décisions passionnelles.
- Speaker #1
C'est un conseil qu'on pourrait clairement donner à quelqu'un de dire, OK, voilà la réintroduction à ce moment-là. Choisis de le faire dans un endroit sale que tu sais que ça ne va pas déborder. Tu vois, c'est trop bien. Tu as tous les outils.
- Speaker #0
J'ai expérimenté. Je trouve vraiment que l'expérimentation, parce que ça ne va pas à chacun. Ça ne va pas à tout le monde. On a chacun des... On traverse chacun des troubles qui ont des origines complètement différentes et des manifestations complètement différentes et que l'expérimentation reste le maître mot.
- Speaker #1
Oui, c'est clair.
- Speaker #0
Ça te va, tu continues. Ça ne te va pas, t'arrêtes. Et puis, il y a autre chose à tester. Il y a des milliards de trucs à tester. Le but du jeu, c'est vraiment de retrouver cette espèce de raison de vivre ou de lien avec soi-même. Parce que c'est quand même, les troubles alimentaires, c'est comme une scission entre sa tête et son corps. Et de faire ce lien et de renouer à soi-même, c'est vraiment le fait que je ne reviendrai jamais en arrière. Je n'ai plus peur d'avoir un effet, je ne pourrais pas revenir en arrière. C'était tellement chiant quand j'y repense. Je n'étais pas libre. Et ça n'a pas de prix. Et des fois, il y a des gens qui me disent... Ah, tu devrais essayer, avec les trucs en ce moment, le sans gluten, le sans machin, le truc, le régime protéiné, le machin. Je serais incapable de suivre un régime. Ça me... Incapable. Je ne pourrais plus... On ne pourrait plus me demander de... Et c'est comme le sport. D'ailleurs, le sport, il faudrait que je m'y remette de manière... Que ça me fasse plaisir, parce que je ne peux plus m'astreindre à une activité qui fait, qui met en mal mon corps. Je suis devenue une enfant... Une enfant capricieuse. On ne peut pas m'imposer quoi manger. Je suis devenue trop libre pour ça. Et j'ai tellement galéré pendant des années à éliminer les calories avant de les manger. Quand j'y repense, je me dis, mais qu'est-ce que c'est que la vie ? Mais à l'époque, je me suis construite comme ça. Et après, j'ai dû me déconstruire.
- Speaker #1
C'est ça, c'est exactement ça.
- Speaker #0
Pour me découvrir. Et ce n'était pas si mal. Je n'ai pas été trop déçue. Mais si, des fois, je me sens... Des fois, je me dis, je suis quand même... Voilà. Je suis un peu déçue, mais ça peut être des sauts d'humeur ou des réactions que je peux avoir en termes émotionnels. J'ai encore plein de choses à travailler. Mais je me dis, j'ai déjà fait un bout de chemin qui n'est pas si mal. En termes d'alimentation, aujourd'hui, ce n'est plus du tout un problème. Et mon corps, même avec les grossesses, même à ma première grossesse, mon corps n'était plus à moi. Donc, je n'avais pas cette... J'avais pas trop cette peur de grossir, mais mon corps n'était plus à moi. Donc je le louais. J'étais le proprio qui louait son corps. Et j'ai eu peur quand j'ai accouché de ne pas reperdre. Mais finalement, le corps l'a fait tout seul, sans que je cherche. Et après, j'étais maman. J'avais autre chose en tête que de regarder mon corps. C'était de la survie après. Le manque de sommeil.
- Speaker #1
Ouais. Qu'est-ce que t'aurais envie de dire si tu devais conclure cet échange en t'adressant aux personnes qui sont encore dans les troubles alimentaires, quels qu'ils soient, peu importe la forme que ça prend ? Qu'est-ce que t'aimerais leur dire ?
- Speaker #0
J'aimerais leur dire peut-être de garder dans un coin de leur tête qu'il y a peut-être une porte qui peut s'ouvrir à un moment donné, une porte de sortie qui ne sera peut-être pas... ça sera peut-être un tunnel au départ, ça ne sera peut-être pas tout lumineux. Ça se fait pas du jour au lendemain, ça met du temps. Et chacun peut découvrir son moyen de sortir de ça, de ce fonctionnement-là. Et je leur souhaite de se découvrir finalement, de trouver ce qu'elles ont, on dit souvent elles, mais ce qu'ils ou elles ont, à l'intérieur d'eux, ce qui les fait vibrer. De cultiver ça, plus on cultive ça, je trouve, moi c'est ce qui m'a sauvée, plus j'ai cultivé qui j'étais. En dehors de ça, moins ça prenait de la place dans ma vie. Moins j'avais envie d'accorder de l'importance à mon corps, finalement. On est autre chose que ce corps-là. On a plein de choses à offrir. Et à partir du moment où on se connecte à soi, où on se découvre et où on teste des choses, je reviens toujours à l'expérimentation. C'est hyper important de tester des choses, de regarder. Ça nous fait plaisir, on y va. Ça ne nous fait pas plaisir, on n'y va pas. On ne peut pas se sortir, je pense, des troubles alimentaires avec un... Quelque chose de trop rigide. Il faut lâcher. Pour moi, il faut lâcher les barrières. Il faut lâcher le contrôle. Alors, c'est hyper dur de dire cette espèce de lâcher prise, la quête de tout le monde, ce truc hyper dur à faire. Mais plus on maintient cet état de contrôle, moins on est dans la vie. Et quand on commence à prendre conscience de ça, plus on lâche. Chaque degré de lâcher, c'est de la liberté retrouvée. Et il y a des hauts, des bas. et il y a des rechutes et on revient, mais je trouve que globalement, on ne revient pas plus en arrière que ce qu'on a été. En tout cas, quand on regoutte à la liberté, on n'a plus très envie de revenir en arrière. Et puis, on a des choses à offrir, on a des choses à apporter. Si on croise quelqu'un qui traverse les mêmes troubles, peut-être qu'on aura une oreille un peu différente d'une personne qui n'a pas vécu ça. Et du coup, on peut toujours planter des petites graines autour de soi et se dire j'ai traversé ses traumas, j'ai traversé ses troubles alimentaires et peut-être que maintenant, on n'est pas obligé d'être tous thérapeutes. Pas du tout, mais on peut planter des petites graines autour de soi. Avec un sourire, avec un mot, avec une attention, avec une phrase qui peut toucher les gens autour de nous. On a cette sensibilité-là d'avoir traversé ça et on peut en faire quelque chose.
- Speaker #1
Oui, je trouve ça cool.
- Speaker #0
On est toutes et tous des petites fées qui pourront amener quelque chose de plus dans notre monde.
- Speaker #1
Merci à toi pour tout ce que tu auras apporté dans ce monde avec ton témoignage. Merci vraiment beaucoup pour... L'authenticité avec laquelle tu as livré ce témoignage, je trouve que ça transparaît de partout. Il y a quelque chose de très vrai, de pas déguisé, tu vois.
- Speaker #0
Ah non, je ne suis plus déguisée maintenant.
- Speaker #1
Oui, c'est ça. Ça se sent vraiment. Et du coup, c'est sûr qu'énormément de gens vont se retrouver dans ton témoignage. Et je pense que c'est hyper inspirant, d'autant plus parce que tu vas bien aujourd'hui. Donc c'est aussi un témoignage d'espoir pour les personnes qui galèrent encore.
- Speaker #0
Si je pouvais dire une phrase, la phrase qui m'a marquée le plus à l'époque où j'étais en pure anorexie, je devais avoir 17 ans, je devais être en hôpital de jour. Et il y a une personne qui est venue faire un témoignage, elle s'en était sortie. Et j'ai rien écouté parce que j'étais en sous-poids et que je n'arrivais pas à être attentive. Et la phrase qu'elle a dite c'est « Voyez par exemple, je ne sais pas ce que je vais manger ce soir » . Je vais rentrer chez moi, je vais ouvrir le frigo et je vais improviser. Et là, ma tête a reconnecté, j'ai ouvert des grands yeux et j'ai dit un jour, je veux être cette personne-là qui ne sait pas ce qu'elle va manger ce soir. Elle va ouvrir le frigo et qui va improviser, qui ne va pas être en train de calculer ce qu'elle a le droit de manger, ce qu'elle peut manger. Non, elle va ouvrir le frigo, cette phrase-là m'a marquée à vie. Alors écoutez, si j'ai quelque chose à transmettre, je suis cette personne qui ne sait pas ce qu'elle va manger ce soir. Et c'est possible de devenir cette personne qui ne sait pas ce qu'elle va manger ce soir. Et cette phrase-là, elle m'a marquée, elle a été décisive après. Je n'y ai pas repensé tout de suite. Mais au fur et à mesure de la guérison, des fois, je me disais, mais waouh, j'y suis !
- Speaker #1
Trop bien.
- Speaker #0
Et voilà, je suis cette personne qui ne sait pas ce qu'elle va manger ce soir. Et on peut tous arriver à ça à un moment donné. Et c'est tellement agréable d'être libre.
- Speaker #1
C'est ça. La liberté. Merci beaucoup.
- Speaker #0
Merci à toi.
- Speaker #1
Un grand merci à toi qui est encore là à la fin de cet épisode. Comme je te le dis souvent, ton soutien est super important. C'est même ça qui permet au podcast d'exister encore aujourd'hui. Alors, si mon contenu t'apporte de l'aide d'une quelconque manière que ce soit, sache que tu peux m'en redonner à ton tour. Pour ça, il y a plusieurs façons de faire. Tu peux tout d'abord partager le podcast, en parler autour de toi, à tes proches, mais aussi à des professionnels. Tu peux laisser 5 étoiles, notamment sur Spotify ou Apple Podcast, ou laisser ton meilleur commentaire. Mais depuis peu, j'ai aussi apporté une nouveauté qui te permet de me soutenir encore plus concrètement avec de l'argent.
- Speaker #0
Effectivement,
- Speaker #1
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