- Speaker #0
Tournez la page par Zoé Beaumont.
- Speaker #1
Dans son essai « Pourquoi les lesbiennes sont invisibles » , Marie Ausha, photographe, explore les mécanismes qui rendent les lesbiennes si peu représentées, mal représentées, voire absentes de nos imaginaires collectifs. Elle écrit notamment La dernière question que je posais à chacune avant de réaliser les photos était « Avec quelle représentation t'es-tu construite ? » Nous en avons eu tellement peu à disposition que ce vide nous a façonnés. Construite par le vide, construite par des bricolages, de multiples négociations avec des bribes de films, de romans et une montagne d'hétérosexualité très souvent problématique. Nous en avons souvent été réduites à aimer ce qui nous dépréciait. La norme est omniprésente, surpuissante dans toute la culture, la société et s'impose massivement jusqu'à rendre aveugle à l'altérité, à la différence. Cette question de la représentation, de la possibilité de se reconnaître dans une histoire, est au cœur du témoignage de Lucie. Elle nous parle d'un roman grâce auquel elle a pu, enfin, se reconnaître et se construire.
- Speaker #0
J'ai 40 ans et je suis infirmière libérale. Le livre dont je vais vous parler aujourd'hui, c'est un livre qui s'appelle 6h22, place 108, de Clémence Albery. C'est un livre romantique sur une rencontre entre deux femmes dans un train où elles vont se croiser matin et soir pendant plusieurs semaines. C'est une histoire d'amour qui se développe entre ces deux femmes.
- Speaker #1
Avant que je tombe sur ce livre, j'étais un petit peu perdue dans ma vie, c'était il y a quelques années de ça, c'était juste avant le Covid. Je travaillais beaucoup, j'avais repris mes études.
- Speaker #0
J'étais dans une relation de couple assez compliquée où vraiment j'étais dans un état un peu léthargique. En même temps, je n'avais pas envie de faire grand chose et en même temps, j'avais envie de fuir très loin. Donc, j'étais en train de plus ou moins préparer, enfin plutôt plus que moins, se préparer à un voyage en Amérique centrale à ce moment-là pour partir six mois un peu tout plaqué et reprendre les choses à zéro. Je ne savais pas non plus si je voulais continuer en tant qu'infirmière. Enfin, j'étais vraiment dans un moment un peu perdu. Je lisais plus beaucoup. J'ai eu une période où je lisais un petit peu, plutôt des thrillers, des policiers, ce genre de trucs, une lecture du soir, mais c'était pas tous les soirs, c'était un livre tous les 2-3 mois. Et à ce moment-là, dans ma vie, ça faisait déjà quelques années que je lisais pratiquement plus du tout. Pour préparer ce voyage, je me suis acheté une liseuse.
- Speaker #1
J'ai commencé à chercher qu'est-ce que je pourrais mettre sur cette liseuse. Donc j'ai pris la littérature que je prenais d'habitude et je suis tombée sur...
- Speaker #0
ce livre-là qui était de la littérature LGBT, lesbienne plus particulièrement. J'étais un petit peu émoustillée de découvrir qu'il y avait ce type de littérature. La quatrième de couverture m'avait donné envie de le lire. À ce moment-là, j'étais en nuit sur la clinique où je travaillais et pendant la nuit, il y a plein de moments un petit peu de libre et du coup, j'ai commencé à lire ce livre sur ce temps libre sur mes nuits à l'hôpital et en fait, je n'ai pas réussi à le poser. « Vous vous rendez compte de l'impression que ça donne ? » « Quoi ? Nous deux, ici, enfermés ? » « Dans les toilettes d'un train, vous n'êtes pas sérieuse, » questionna-t-elle en jetant un coup d'œil au lieu. « C'est ce que beaucoup pensent, j'en suis sûre. » « Je me moque de ce qu'ils pensent, qu'ils fantasment si ça aiguait leur vie pathétique. » « Non mais André, on vient quand même de s'enfermer à deux nanas dans les toilettes. » « Et je vais vous enlever votre pantalon, mademoiselle Fournilhède. » En penchant la tête, Kael vit la tâche de sang qui apparaissait sur son jean et se sentit de nouveau mal. Son cerveau s'emballa. « Mademoiselle Fournier ? » appela la jeune femme qui avait senti son malaise. « Tout va bien ? » « Pas trop, non » murmura-t-elle en se sentant partir. Andrea la rattrapa de justesse alors que ses jambes se dérobaient sous elle. « Laissez, je vais m'en occuper, regardez ailleurs. Je vous assure que je ne regarde pas, je veux juste vous aider. » Elle posa ses mains sur le bouton de son jean et planta son regard dans le sien. Gail acquiesça et déglutit quand elle sentit le bouton s'ouvrir. Le bruit de la fermeture éclair sembla résonner à ses oreilles. Entre coups. coupée par les battements assourdissants de son cœur. « Je vais me baisser pour faire descendre le pantalon, mais je vous promets que je ne profiterai pas de la situation. Vous êtes mariée de toute façon, alors vous n'avez même pas envie d'en profiter. » dit-elle avec un rire nerveux face à la proximité de la brune qui était à genoux devant elle. En soi, l'histoire en elle-même n'a pas grande importance, mais c'était la première fois que je me sentais investie dans un personnage, voire dans les deux. Dans tous les livres, toutes les séries, tous les films que j'avais pu regarder jusque-là. Bien sûr que de temps en temps, il y a un personnage lesbien avec ses problématiques qui arrivent, mais déjà, c'est très ponctuel, c'est très rare, c'est difficile de s'identifier là-dedans et de vivre l'histoire pleinement. Dans ce livre-là... Tout le monde tourne autour de ça. Les personnages se posent des questions que moi-même je pourrais me poser. Je me suis sentie complètement écoutée, comprise à travers ce livre et représentée. C'est ce qui m'a permis après de pouvoir en parler autour de moi aussi, dans ma communauté, dans mon groupe d'amis. Et ça a ouvert un monde où au final j'arrivais à répondre à des problématiques de ma vie, de ma vie quotidienne, de ma vie amoureuse, à travers ce que je pouvais trouver dans ces livres-là et dans ces personnages-là. Par exemple, dans celui-là, dans la manière de flirter, dans la manière d'aborder, d'envoyer des petites piques, etc., de se répondre, c'est une manière d'aborder que j'ai pu déjà recevoir dans les jeux de regard, dans même la façon de toucher. Dans la sexualité, après, dans le livre, c'est des sensations et des découvertes, des façons de parler, des façons de comprendre l'autre, et des questions qu'en tout cas, moi, je n'ai jamais retrouvées dans un couple avec un homme, et que je retrouve dans un couple avec une femme. J'ai réduit mon temps de travail et j'ai changé complètement ma façon de vivre pour me permettre d'avoir une, deux, trois heures des fois de libre uniquement dédiée à ça, à la lecture. Quand on termine un livre sur une liseuse, ça nous propose un choix qui est un peu similaire dans le type de lecture ou du même auteur. Et en fait, en finissant ce livre, je me suis rendue compte qu'il y avait des maisons d'édition qui ne publiaient que des romances lesbiennes. ou homosexuels, et qui du coup étaient tout un pan de littérature que je ne connaissais pas. Et en fait, chaque proposition m'amenait à un autre livre qui répondait aussi à certaines envies que j'avais, des découvertes culturelles aussi sur l'histoire, sur l'histoire du monde lesbien que je ne connaissais pas particulièrement et qui s'ouvrait à moi à travers la recherche des auteurs. Petit à petit, j'ai monté toute une collection de ce type de livres. J'ai plus de 323 livres, je crois, spécifiquement lesbiens, sur ma liseuse. Il y a tout un pan qui est vraiment intime dans cette littérature-là, où je pense que je ne le partagerai pas sur certains livres, qui sont plus des livres érotiques. Par contre, au début, quand j'ai plongé dans ce monde-là, je l'ai partagé autour de moi, puisque j'ai... J'ai tout un groupe d'amis qui lisent, qui sont comme moi lesbiennes et à qui ça pouvait parler. Il n'y en a que ça a intéressé, qui ont aussi été de ce côté-là de la littérature et d'autres à qui ça n'a pas du tout parlé. J'en ai parlé aussi à ma famille qui me posait des questions puisqu'ils me voyaient souvent sur ma liseuse avec mes livres et qui du coup se sont retrouvés à connaître aussi ce monde-là à travers ma petite liseuse et ma collection. C'est des livres qui parlent de genre. qui parle de famille, qui parle de coming out, mais pas que. Il y a une écrivainne, Radcliffe, qui écrit sur le médical, l'approche des gens, des patients. Donc c'est très intéressant pour moi qui suis infirmière, par exemple.
- Speaker #1
Qu'est-ce que la littérature lesbienne peut apporter justement aux personnes concernées ?
- Speaker #0
Avoir une multitude de personnages comme ça, auxquels on peut s'identifier, se reconnaître ou pas, peut être important, je pense. quand on n'a pas beaucoup de visibilité là-dessus. Moi, j'ai passé ma vie à regarder des films, des séries ou à lire un petit peu des livres et en fait, pas vraiment plongée dedans parce que j'avais du mal à comprendre les choix des personnages et les seuls personnages qui représentaient ma sexualité, qui représentaient ma vie amoureuse. Donc, ce qu'il pouvait y avoir comme choix, c'était des personnages qui étaient tellement peu présents qu'ils étaient sélectionnés pour moi et que je ne m'identifiais pas dessus. je pense à Buffy contre les vampires, où le seul personnage, c'était Willow, c'est pas quelqu'un sur lequel je me serais identifiée au départ, mais là, j'étais un peu obligée de m'identifier à elle, parce que c'était quelqu'un qui allait plus dans mon sens de vie. Cette littérature-là, elle permet de ne pas avoir à choisir, et de juste avoir un panel qui peut répondre à nos façons de penser.