- Speaker #0
Virage, saison 2, épisode 6, un podcast de la Caisse des dépôts. Avec 53,9 millions de journées skieurs par an, la France est au deuxième rang mondial du tourisme hivernal, juste derrière les Etats-Unis. Un dynamisme que l'on doit au plan neige initié par l'État dans les années 60 et 70, dont la construction de nombreuses stations de sport d'hiver était le fer de lance. Naturellement, ces développements politiques ont rendu la montagne économiquement dépendante au ski, dont l'avenir est aujourd'hui questionné par les changements climatiques. A titre d'exemple, et bien que les impacts ne soient pas homogènes sur l'ensemble du domaine skiable, on estime à au moins 30 jours le raccourcissement des périodes d'enneigement d'ici 2050. Avec Sandra Picard, directrice de la communication et de la RSE du groupe Compagnie des Alpes, qui regroupe les domaines de Tignes, Val d'Isère, les Arcs-Pésivalendries, La Plagne, Méribel, les Ménuirs, le Grand Massif et Cerchevalier, nous allons explorer... les stratégies d'adaptation souhaitables pour redonner du souffle à la montagne. Bonjour Sandra.
- Speaker #1
Bonjour Guillaume.
- Speaker #0
Pour bien comprendre la fenêtre depuis laquelle vous vous exprimez aujourd'hui, est-ce que vous pouvez nous expliquer le rôle de la Compagnie des Alpes dans le fonctionnement des stations de sport d'hiver et notamment par rapport aux collectivités dans lesquelles sont installées ces stations qu'on appelle les déléguants ?
- Speaker #1
Donc la Compagnie des Alpes est entre autres un exploitant de domaines skiables. Cette exploitation se passe dans un cadre contractuel bien spécifique et particulier à la France, qui s'appelle la délégation de services publics. La compagnie des Alpes, en tant que délégataire, est responsable des investissements dans les infrastructures, parfois de l'entretien des pistes, de la détermination de la grille tarifaire et d'un certain nombre de sujets autour de la bonne exploitation, du bon usage et de la bonne sécurité de l'ensemble de ces domaines skiables. En contrepartie, nous sommes autorisés à percevoir le produit de la vente des titres et on verse une redevance aux déléguants. Ce sur quoi je veux insister, c'est que le contrat de délégation de services publics en France, dans les domaines skiables, c'est un contrat qui oblige à une forte discussion avec l'ensemble des parties prenantes et à l'adaptation en permanence. Vous êtes dans un environnement mouvant, parce que ouvert aux grands terres, mouvant parce que climatique, mouvant parce que changement de clientèle, des usages peuvent beaucoup évoluer, néanmoins... Il est bien entendu que les déléguants, c'est-à-dire la collectivité ou les regroupements de collectivité, restent les décisionnaires finaux.
- Speaker #0
On parlait dans l'introduction de la vulnérabilité des stations de ski françaises et des incertitudes qui pèsent sur la stabilité de leur modèle économique et sa pérennité. Quels sont aujourd'hui, selon vous, les risques les plus prégnants, les plus urgents ? Et connaît-on l'horizon de ces risques d'ores et déjà ?
- Speaker #1
Il n'y a pas une montagne, il y a des montagnes, dont les enjeux seront généralement différenciés en lien avec leur niveau d'altitude, basse, moyenne ou haute altitude. Néanmoins, on peut quand même dégager un certain nombre de problématiques ou d'enjeux prégnants. Le premier, certains parlent de raréfaction de la neige, l'horizon est très différent, et ça ne se présente pas exactement comme ça, c'est plutôt la multiplication d'épisodes climatiques qui parfois... Et de plus en plus souvent, sur les basses et moyennes altitudes, privent les stations d'une neige naturelle suffisamment abondante pour pouvoir avoir un modèle économique qui tourne correctement. Ce que je vois et ce qui est assez clair, c'est qu'aujourd'hui, quel que soit l'horizon, on ira probablement vers une réduction des périodes d'enneigement et donc de la saison exploitable des différents domaines skiables. L'autre enjeu majeur, c'est l'attractivité de la montagne. C'est un peu le corollaire. D'aucuns parlaient il y a quelques années d'un éventuel non-renouvellement des populations de skieurs. Je ne sais pas encore déterminer à quelle vitesse cela va s'avérer. Ce qui est très sûr, c'est que dans la montagne du futur qu'on imagine, qui est une montagne qui sera accessible et fréquentée par des habitants ou par des touristes, en fonction du modèle qui aura été développé, il faut qu'il y ait une attractivité pour ce territoire. On le fait par des tests de diversification. Ce sera certainement un des sujets majeurs qu'il faut intégrer dès aujourd'hui.
- Speaker #0
Les tests de diversification dont vous parlez, ce sont concrètement des endroits où vous amenez les gens à consommer la montagne d'une façon différente de la consommation historique via uniquement le ski ?
- Speaker #1
Pour la Compagnie des Alpes, oui. On a longtemps contenu du grand pragmatisme que demandent l'exploitation de domaines skiables et des principes de réalité qui se mettent en place a été amenée à développer des adaptations incrémentales qui permettent de continuer à exploiter le domaine skiable et qui, ce faisant, amènent des modifications qui permettent d'ouvrir un peu le spectre ou bien de l'expérience que l'on propose aux skieurs, ou bien de l'expérience tout court. Alors, exemple concret, pour illustrer ça, la plagne. Au cours des trois dernières années, on a réaménagé 200 mètres plus bas une nouvelle infrastructure, les télécabines des glaciers en deux tronçons, qui permettait de rendre un certain nombre d'hectares à la nature, de diminuer le nombre de pinômes, de diminuer le nombre de câbles, d'avoir une technologie qui soit moins gourmande en énergie. On a aussi repensé l'expérience pour que du point bas au sommet, il y ait un peu plus que juste du transport pour remonter et pour skier, mais aussi la possibilité... tout en haut, d'avoir quelque part un point d'observation avec un restaurant et des services associés qui permettent d'avoir une visibilité sur l'ensemble du parc de la Vanoise et de collaborer avec eux sur de la sensibilisation, d'offrir une expérience sur la télécabine des glaciers en ayant deux cabines qu'on appelle l'aérolive qui offrent une expérience un peu époustouflante parce que c'est ouvert à tout vent et ça donne quelque chose d'un peu différent. En s'adaptant de façon incrémentale face à une problématique, on a à la fois diminué au maximum notre impact sur l'environnement et la nature, tout en continuant à développer une attractivité qui va au-delà du skieur et au-delà de la pure saison d'hiver, puisque c'est aussi quelque chose qui tourne l'été.
- Speaker #0
Vous avez cité l'adaptation incrémentale. On la met souvent à côté de l'adaptation transformationnelle. Est-ce que vous pouvez nous aider à comprendre ce que sont l'une et l'autre et comment elles diffèrent et comment elles se complètent peut-être ?
- Speaker #1
L'incrémentale, c'est comment est-ce que je continue à faire le métier pour lequel je suis désignée. Tout en contournant les nouveaux obstacles et contraintes qui peuvent se mettre en place. Je viens de vous donner l'exemple de la télécabine des glaciers. L'adaptation transformationnelle, c'est lorsque l'exploitation ne sera plus possible. Pour nous, c'est à très longue échéance. Commencer à réfléchir à la mise en place de diversification qui s'éloigne un peu de la colonne vertébrale peut-être de l'infrastructure, remonter mécanique et commencer à proposer d'autres choses et qui commence à générer un modèle économique un peu différent.
- Speaker #0
Dans cette dynamique d'adaptation, vous avez récemment intégré à vos statuts votre raison d'être, dont la mise en œuvre passe par des objectifs de transition que vous appelez engagement et renoncement majeur. Vous dites que vous ne vous acharnerez plus à maintenir des domaines skiables qui ne pourraient pas bénéficier d'un enneigement naturel suffisant. Concrètement, de quoi on parle quand on dit qu'on ne s'acharnera plus ?
- Speaker #1
Cette raison d'être, c'est ce qui accompagne la stratégie, c'est notre conception de la façon dont on fait notre métier. Le premier renoncement que vous citez est probablement le moins difficile pour nous à mettre en œuvre puisqu'on a commencé à l'intégrer depuis longtemps. On n'a pas équipé des zones de basse altitude ou de villages chez nous parce qu'on sait que pour faire de la neige de culture correctement, il faut commencer par avoir des fenêtres de froid. Or, en basse altitude, il ne fait pas suffisamment froid pour faire de la nage de culture. Et l'autre principe de réalité auquel on était confronté, à un moment donné, sur certaines de nos stations, c'était le ski 365 jours par an. Et donc, quand il y avait quelques jours où ça n'allait pas, on enneigeait. Maintenant, on ne s'acharne pas. On sait bien que les glaciers sont de moins en moins exploitables. Donc ça, on recommande fortement, je vous rappelle qu'on n'est pas les décisionnaires finaux sur des territoires de montagne, de ne pas y aller. Il y a un autre dérenoncement qui est de ne pas apporter notre assistance technique. Lorsqu'on est sur des zones qui n'ont pas un enneigement suffisant, on a pu être sollicité par des pays en Asie ou le Moyen-Orient qui ont envie de monter des snowdomes ou autres objets similaires. Depuis 18 mois, 2 ans, nous ne répondons plus à ces sollicitations.
- Speaker #0
Vous vous engagez à ne plus recourir aux énergies fossiles dans l'exploitation des stations dont vous avez la responsabilité. On parle des engins de damage en priorité, c'est ça ?
- Speaker #1
On s'est engagé à atteindre le net zéro carbone sur le scope 1 et 2, c'est-à-dire ce qu'on produit nous-mêmes, à horizon 2030. Donc le premier renoncement, c'est plus d'énergie fossile chez nous et sur l'ensemble de nos matériels roulants. Ça veut dire effectivement qu'on ose mettre en place depuis deux ans des technologies qui existaient, qui s'appellent le HVOSAN, c'est l'huile végétale hydrogénée qui est produite à partir d'huiles usagées, diverses et variées qui sont retraitées, qui permettent... lorsqu'on remplace le gasoil par ça, de diminuer de 92% les émissions de gaz à effet de serre. De plus en plus, on recherche toutes les solutions techniques qui nous permettront de ne plus utiliser d'énergie fossile. À la Compagnie des Alpes, les émissions de gaz à effet de serre sur l'année de référence pour nous qui était pré-Covid, on était à un peu plus de 29 000 tonnes équivalent CO2 émis par l'ensemble de nos activités. Donc plus de 50% dans les domaines skiables. Aujourd'hui, on a déjà diminué de 60% cette empreinte-là.
- Speaker #0
Dans le cadre de l'activité des stations de sport d'hiver, 70% des émissions de gaz à effet de serre sont le fait des transports des gens qui viennent jusqu'aux stations de ski et en repartent. Est-ce que de ce côté-là, il y a aussi des choses qui se passent et est-ce que vous voyez un horizon plus clair ?
- Speaker #1
Donc l'objectif c'est, à notre mesure, de pouvoir de plus en plus diminuer cette empreinte. Mais soyons très clairs, les actions qu'on peut mettre en œuvre qui sont de notre ressort, c'est-à-dire pousser au covoiturage, pousser à prendre les transports en commun, ont une forme de limite. Je pense qu'il faudra qu'il y ait un vrai alignement. C'est pour ça que j'ai envie de voir dans les Jeux Olympiques de 2030. qui s'annonce durable, la possibilité d'avoir véritablement les moyens et l'alignement d'intérêt pour que sur ce sujet bien précis du scope 3 et notamment du déplacement des visiteurs, on ait une grande avancée.
- Speaker #0
Quels sont les relais de croissance, selon vous, qui peuvent réalistement assurer un avenir durable à l'activité économique des stations, à la montagne en général, et nous aider à voir l'avenir au-delà du ski ?
- Speaker #1
Ce qui me paraît assez... évident aujourd'hui à la lumière de ce que l'on voit, c'est qu'il faut sortir de nos biais cognitifs. Probablement qu'il va falloir élargir le spectre de réflexion pour se dire quelles sont les autres possibilités qui permettront d'avoir une attractivité à l'année de la montagne. Je ne sais pas comment se traduira concrètement le réchauffement climatique à horizon 50 ans, mais je peux croire que la montagne pourrait être une solution, le laboratoire de beaucoup de solutions. Qu'elle va s'exprimer de manière très différente, qu'il y aura très certainement des zones qui en bénéficieront plus que d'autres, mais on ne va pas vers une catastrophe totale.
- Speaker #0
Est-ce qu'il y a un livre ? ou des livres qui ont jalonné cette relation que vous avez avec la montagne et que vous conseilleriez aux auditeurs de lire à leur tour ?
- Speaker #1
Le premier, c'est évidemment Premier de Cordée de Roger Frison Roche, celui des années 40, où on raconte cette histoire de l'alpinisme, de l'homme qui se confronte à la montagne, cet univers aride, où pour finir en communion avec la montagne, il faut quand même beaucoup lutter. C'est toute cette image de pionnier et de relation un peu particulière avec la montagne. Et puis, j'ai un autre livre que j'aime bien, qui est plus dans le feel-good, qui s'appelle Kilomètre Zéro, qui a été écrit par Maud Ankawa, parce que j'aime aussi l'approche solution qu'apporte la montagne. Le livre raconte une quête initiatique d'une jeune femme qui va finir par trouver du sens à l'ensemble de sa vie en cheminant. Et je pense qu'on cherche tous du sens et tous des solutions et que l'être humain quand il chemine vraiment de façon réelle et notamment dans la montagne il trouve pas mal de solutions donc j'aime assez ce livre pour ça.
- Speaker #0
Merci beaucoup Sandra Picard je rappelle que vous êtes directrice de la communication et de la RSE du groupe Compagnie des Alpes, merci encore d'avoir accepté notre invitation Virage est un podcast de la Caisse des dépôts et on se retrouve très bientôt pour de nouveaux Virages.
- Speaker #2
Merci Guillaume