- Speaker #0
Virage, saison 2, épisode 7, un podcast de la Caisse des dépôts. Selon une étude de l'Union sociale pour l'habitat, il faudrait construire ou remettre sur le marché 518 000 logements par an d'ici 2040. pour répondre à la demande croissante. Mais selon les chiffres provisoires publiés en janvier 2025 par le ministère de l'Aménagement du Territoire et de la Décentralisation, seuls 330 400 logements ont été autorisés à la construction en 2024, en baisse de 12,3% par rapport à 2023. Face à cette crise, la transformation de locaux d'activité en logement s'impose comme une partie crédible de la solution. Anne-Laure Jourdeuil, maîtresse de conférences à l'Université Paris-Nanterre, chercheuse au laboratoire architecture, ville, urbanisme et environnement et membre de la chaire Logement Demain, nous aide à mieux cerner cette opportunité. Bonjour Anne-Laure.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Pour comprendre ce qu'on qualifie aujourd'hui comme une opportunité quand on parle de locaux d'activité, pour quelles raisons est-ce qu'on les regarde actuellement comme une solution à cette pénurie de logements présente et à venir ?
- Speaker #1
Cette question n'est pas tout à fait nouvelle. Le sujet de la transformation de bureaux en logement était déjà questionné dans les années 90. En 2018, on peut noter une année charnière dans cette question de la transformation de bureaux en logement, à la fois du fait de la charte d'engagement pour la transformation de 500 000 m² de bureaux en logement en Ile-de-France, mais aussi à cause de la loi Elan et d'une série de mesures qui visaient à favoriser cette transformabilité. En 2021, la loi Climat et Résilience, qui rendait obligatoire à partir du 1er janvier 2023 la réalisation, au préalable à toute construction ou démolition d'un bâtiment, d'une étude du potentiel de changement de destination et d'évolution. En parallèle, on est passé entre 2019 et 2023 de 9 à 26% de personnes qui pratiquent au moins occasionnellement le télétravail.
- Speaker #0
Et alors ces opportunités de transformation, est-ce qu'aujourd'hui on est capable de visualiser la façon dont elles sont réparties sur le territoire ? Est-ce qu'on peut mesurer cette opportunité ?
- Speaker #1
Cartographier le potentiel est plutôt complexe. En revanche, ce que nos travaux de recherche ont permis, c'était de cartographier les opérations qui ont été réalisées de manière effective, donc entre 2013 et 2022. Aujourd'hui, c'est vrai que le débat public porte principalement sur cette question de la transformation de bureaux, de grands immeubles tertiaires, pour produire du logement. Et néanmoins, ce qu'indiquent les chiffres issus de notre recherche, c'est que les bureaux... ne représentent qu'un quart des logements qui ont été produits par la transformation de locaux d'activité au cours de la décennie, les locaux agricoles représentant quant à eux un peu plus de 22% et les locaux publics 14%. Ce qu'on peut voir et ce qu'on peut dire également, c'est que ces opérations font intervenir une grande diversité de maîtres d'ouvrage, avec une forte présence des particuliers, qui représentent 39% des logements qui ont été créés par la transformation, alors que les promoteurs immobiliers et investisseurs vont représenter 31% des logements ainsi créés. Sur la répartition, si effectivement les débats portent principalement sur la question des territoires métropolitains, donc des grandes métropoles, en fait ce que montrent nos travaux de recherche, c'est qu'il y a une diversité des contextes dans lesquels s'opèrent ces transformations. Et on voit des spécificités locales se dessiner, avec par exemple des origines majoritaires de surfaces hôtelières dans le Gennevois français, dans les Pyrénées, dans les communes du littoral méditerranéen ou du littoral atlantique. On voit par exemple des surfaces majoritaires de locaux publics transformés dans les grands centres urbains comme Lyon ou Strasbourg, mais aussi dans des centres urbains plus réduits comme Nancy ou Périgueux. L'Île-de-France est un territoire dans lequel on observe une majorité de bureaux transformés pour créer des logements, et en particulier à Paris et dans sa première couronne.
- Speaker #0
Quels sont concrètement les avantages de la transformation de locaux d'activité en logement par rapport notamment à de la construction ?
- Speaker #1
Les avantages ou les vertus de la transformation de locaux d'activité et de locaux tertiaires pour produire des logements sont notamment liés au fait qu'ils vont participer à la diversité des manières de produire des logements dans un contexte aujourd'hui de pénurie, dans un contexte de besoin avéré de production de logements et en particulier de logements abordables et ce, en particulier... dans des contextes de pénurie de foncier, avec des ambitions fortes de lutte contre l'artificialisation des sols, en s'inscrivant dans des politiques de recyclage, de limitation de la consommation de terrains non bâtis tout en densifiant l'espace urbanisé. Ces opérations permettent aussi de renforcer la mixité urbaine dans certains territoires, à dominante tertiaire notamment, dont certains étaient jusque-là monofonctionnels.
- Speaker #0
Dans les études que vous faites, et notamment l'approche quantitative, est-ce que vous observez une tendance des acteurs qui vont vers cette transformation de locaux d'activité ? Est-ce que la pente est bonne ? Est-ce qu'il y a même une accélération peut-être de la transformation ?
- Speaker #1
Alors, il y a effectivement une dynamique, d'augmentation de ces opérations. On voit que pour les projets de transformation de locaux d'activité en logement, la décennie entre 2013 et 2022 a permis l'autorisation de 216 571 logements avec une augmentation progressive et assez régulière du nombre de logements autorisés annuellement. Sur les projets de transformation de locaux tertiaires, plus spécifiquement en logement, sur la période étudiée, ces transformations vont concerner 11 500 projets et représenter 108 975 logements autorisés, soit 5,8 millions de mètres carrés de locaux d'activité tertiaire transformés pour produire du logement.
- Speaker #0
Alors justement, si on reste dans le tertiaire, la proposition de loi numéro 2003 du 15 décembre 2023, qui a été un peu ralentie par le contexte politique, mais qui est toujours à l'agenda évidemment, vise à faciliter la transformation des bureaux du tertiaire en logement. Pourquoi il y a besoin d'une loi ? Quels sont les freins qui sont importants à lever rapidement et le plus efficacement possible ?
- Speaker #1
Les freins sont relativement nombreux si on prend la question du système d'acteurs. La question de la transformation, elle fait se rencontrer deux mondes différents avec des intérêts communs, mais qui avaient pour tradition d'opérer sur deux marchés distincts. Entre d'un côté les marchés immobiliers tertiaires et de l'autre le marché immobilier résidentiel. Aujourd'hui, ces deux secteurs avec des logiques économiques et des fonctionnements relativement différents sont amenés à se rencontrer et à travailler ensemble sur des opérations pour pouvoir procéder à ces opérations de transformation. Autre frein ou autre enjeu, la question de la volonté politique, puisque accepter pour une collectivité locale de voir se transformer du patrimoine immobilier tertiaire en logement, c'est accepté aussi, la disparition de la cotisation foncière des entreprises, de taxes sur les bureaux, voire de taxes sur les bureaux vacants en Ile-de-France. C'est aussi accepter que la création de logements et par conséquent l'arrivée de nouveaux habitants nécessitent et imposent la construction de nouveaux équipements publics, comme des écoles ou des crèches. C'est aussi faire intervenir ou en tout cas interroger la question de l'acceptabilité par les riverains. Un autre enjeu est celui de l'accessibilité, de la desserte, et finalement de l'attractivité des territoires, avec une question et une hypothèse qui est la nôtre d'une possible double obsolescence géographique, avec à la fois une non-attractivité pour le bureau, mais également pour le logement. Et peut-être, pour finir sur cette question des freins, une approche plus technique, architecturale et réglementaire, avec ici différents sujets qui sont liés à la fois aux typologies des bâtiments de bureaux, à leurs gabarits, à leurs épaisseurs, qui se prêtent plus ou moins, plus ou moins bien à la transformation. Et peut-être un dernier sujet sur ces enjeux techniques et architecturaux, c'est celui de la problématique patrimoniale et des performances environnementales, puisque si vous intervenez sur un immeuble classé ou dans un contexte patrimonial, eh bien, une difficulté par rapport aux questions d'isolation qui ne pourront pas se faire par l'extérieur du bâtiment.
- Speaker #0
Alors, malgré tous ces freins, est-ce que vous avez des histoires positives à nous raconter de transformation ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Aujourd'hui... Il y a une multitude d'exemples. Dans chacune de ces opérations, les acteurs évoquent la question du sur-mesure. Et peut-être que l'une des clés d'entrée pour mieux intervenir dans ces questions de transformation, c'est de comprendre que chacune d'entre elles va supposer la mise en place à la fois d'un système d'acteurs spécifiques et d'une connaissance très très forte du bâti existant pour intervenir. Un enjeu important de la transformation, c'est celui de la programmation. Et notamment celui de la mixité programmatique qui permet à la fois bien souvent de trouver un équilibre économique, mais aussi de répondre aux préoccupations des élus et des riverains. Pour citer une opération sur laquelle nous avons travaillé, j'évoquerai peut-être le cas de Corbeil-Essonne, d'un ancien bâtiment de bureau situé au centre de la ville de Corbeil-Essonne, qui a été transformé pour devenir à la fois une résidence étudiante, des commerces, et des logements locatifs sociaux familiaux, qui a donc permis ici, par cette mixité programmatique, de répondre aux contraintes de l'existant qui avait déjà connu une transformation préalable. D'autres exemples de réussites récentes, on pourrait évidemment penser à la caserne de Reilly, dans le XIIe arrondissement, l'opération en cours de transformation de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, dans le XIVe arrondissement, l'opération de transformation par immobilière 3F de bureaux à Charenton avec les architectes Moitier-Rivière, ou encore des opérations en cours comme à Cergy-Pontoise avec l'ancienne tour d'EDF qui est en cours de transformation pour créer une résidence étudiante.
- Speaker #0
Vous avez parlé de surmesure, qui était un maître mot, et de la rencontre entre ces deux mondes, le monde du tertiaire et le monde du logement. Est-ce que cette rencontre, ce besoin de surmesure, implique ? Des montages différents et peut-être l'apparition d'acteurs complémentaires pour faire la jointure entre ces mondes ?
- Speaker #1
Ces opérations nécessitent à la fois de repenser le système d'acteurs et de repenser l'approche économique de ces projets. L'un des acteurs qui émerge aujourd'hui dans ces opérations de transformation est la FTI, la Foncière de Transformation Immobilière, qui est une filiale du groupe Action Logement, dont la raison même d'exister est... de participer à ces opérations de transformation, notamment au travers du bail à construction. La FTI va acheter l'immeuble tertiaire, bien souvent sans conditions suspensives, et le conserver en propriété, tandis que les bailleurs vont être titulaires du bail à construction pour une durée de 50 à 60 ans et vont pouvoir, en s'acquittant d'une redevance auprès de la FTI, louer ces logements et exploiter donc, les logements et l'immeuble pendant toute la durée de ce bail à construction. À l'issue du bail, l'immeuble revient à la FTI. On est ici sur un système qui repose sur un principe de dissociation entre propriété et droit d'usage. Et ce dispositif, il permet aux bailleurs notamment de minimiser, voire de ne pas mettre de fonds propres dans les opérations.
- Speaker #0
Comment est-ce que, dans ce type de transformation, on garantit ou est-ce qu'on peut s'assurer qu'en termes de confort, d'isolation, d'habitabilité, on soit au même niveau que si on était parti du sol.
- Speaker #1
Il y a une importance cruciale qui est accordée par les acteurs à la phase de diagnostic, qui doit permettre de confirmer la transformabilité du bâtiment, qui doit permettre de définir la programmation la plus appropriée en fonction du contexte, en fonction de l'environnement et en fonction des caractéristiques du bâtiment existant. Il y a aussi la question et le sujet des espaces extérieurs qui... d'après un retour d'expérience récent suite à la période de confinement dans le cadre de la Covid-19, nous a montré l'importance de ces espaces extérieurs individuels dans le logement collectif. Deux autres problématiques, celui de l'isolation acoustique, aujourd'hui, par rapport à la question de la qualité de l'habitabilité, puisqu'il y a des réglementations qui sont différentes entre tertiaires et résidentielles, et donc il y a un enjeu spécifique d'améliorer cette isolation phonique entre niveaux, cette isolation acoustique, lorsque les hauteurs sous plafond le permettent. Le sujet aussi de l'éclairage naturel et de l'épaisseur des bâtiments, avec la manière dont aujourd'hui les opérateurs travaillent pour s'assurer d'un meilleur éclairement possible. Certains opérateurs, et c'est notamment le rôle de la FTI, vont mettre en place des chartes, des cahiers des charges qui sont relativement prescriptifs et qui visent finalement à encadrer la qualité de cette production.
- Speaker #0
Si les auditeurs veulent poursuivre leur exploration du sujet, est-ce qu'il y a un ouvrage que vous conseilleriez de lire à ceux qui vous écoutent ?
- Speaker #1
Alors peut-être deux ouvrages que je recommanderais. L'un plus sur cette question de la transformation et des espaces vacants, qui est un ouvrage qui a été coordonné par Nadia Arab et Johan Millot et qui s'appelle « La ville inoccupée, enjeux et défis des espaces urbains vacants » . Et un autre qui s'intéresse plus spécifiquement à la question de la production du logement et des marchés du logement, qui s'appelle « Les métropoles et les marchés du logement » de Jean-Claude Drian.
- Speaker #0
Merci beaucoup, Anne-Laure Jourdeuil.
- Speaker #1
Merci à vous.
- Speaker #0
Je rappelle que vous êtes maîtresse de conférences à l'Université Paris-Nanterre et chercheuse au Laboratoire Architecture, Ville, Urbanisme et Environnement. Merci d'avoir accepté l'invitation de Virage, un podcast de la Caisse des dépôts. On se retrouve très vite pour de nouveaux virages.